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17.04.2024 à 06:00

Les livraisons d'armes à Israël font voir rouge à Marseille

Sophie Boutière-Damahi

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Une enquête des médias indépendants Marsactu et Disclose a révélé qu'une entreprise française de Marseille, Eurolinks, a fourni des maillons militaires à Israël en octobre 2023. Sur place, l'opposition à ce commerce mortifère a entraîné une convergence inédite d'acteurs associatifs et de syndicats contre les ventes de munitions. « Il n'y a que grâce aux salariés que l'on pourra savoir quelles entreprises envoient des armes à Israël ». Drapeaux palestiniens en main et keffiehs au cou, (...)

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Texte intégral (3324 mots)

Une enquête des médias indépendants Marsactu et Disclose a révélé qu'une entreprise française de Marseille, Eurolinks, a fourni des maillons militaires à Israël en octobre 2023. Sur place, l'opposition à ce commerce mortifère a entraîné une convergence inédite d'acteurs associatifs et de syndicats contre les ventes de munitions.

« Il n'y a que grâce aux salariés que l'on pourra savoir quelles entreprises envoient des armes à Israël ». Drapeaux palestiniens en main et keffiehs au cou, ce lundi 1er avril 2024, plusieurs centaines de manifestants descendent des bus et investissent le Technopôle Marseille-Provence à Château-Gombert. Devant l'usine Eurolinks, une dizaine de policiers bloquent l'accès au site. Le 26 mars dernier, une enquête de Disclose1 et Marsactu2 révélait que 100 000 pièces de cartouches pour fusils mitrailleurs de l'entreprise marseillaise avaient été envoyées en Israël à IMI Systems fin octobre 2023. Filiale du groupe d'armement israélien Elbit, IMI Systems est le fournisseur exclusif de l'armée israélienne en munitions de petit calibre. Ces maillons liant les munitions entre elles permettent aux mitrailleuses de tirer en rafale.

Ce 1er avril, pour la première fois, une manifestation d'ampleur en soutien à la Palestine se tient devant l'usine d'un fabricant d'armes en France. Selma, membre du comité local des Soulèvements de la Terre 13, souligne le caractère inédit de l'action :

La force de notre appel, c'est qu'on a réussi à réunir des collectifs d'écologie radicale tels que des syndicats de l'enseignement public ou encore des organisations qui se battent pour la Palestine comme Marseille Gaza Palestine en passant par des collectifs antiracistes.

Au total, plus d'une trentaine de collectifs, partis et syndicats se sont réunis à l'occasion de la manifestation. Cette convergence est née d'une solidarité partagée envers la cause palestinienne et d'une demande commune de stopper toute livraison de composant militaire à Israël. « Nous nous battons contre l'accaparement des terres des Palestiniens, ce qui semble évident dès lors qu'on promeut une écologie décoloniale », explique Selma.

À l'image de la participation d'autres collectifs de gauche comme Marseille contre la loi Darmanin ou Extinction Rébellion, les Soulèvements de la Terre appellent à la rencontre des mobilisations contre les « dynamiques impérialistes ».

La manifestation du 1er avril fait suite aux mobilisations de Stop Arming Israel devant les sièges des grandes entreprises qui développent des liens avec Israël. « On est généralement une dizaine à discuter avec les travailleurs. On tracte, et puis les employeurs nous envoient des voitures de police ou les renseignements territoriaux », rappelle Loïc, porte-parole du collectif. Le 11 mars dernier, des militants ont réussi à bloquer l'entrée du siège de Safran Electronics & Defense à Malakoff près de Paris pendant quelques heures pour appeler à cesser « toute collaboration et livraison d'armes, de technologie militaire et de pièces détachées à Israël ».

1er avril 2024. Lors de la manifestation devant l'usine Eurolinks à Marseille, une militante dénonce par un graffiti au mur la vente de maillons militaires à Israël.
Sophie Boutière-Damahi

Une semaine d'action contre les livraisons d'armes

La pression sur les partenaires de l'armement d'Israël grandit. En Angleterre, les blocages se multiplient : ce 8 avril, des militants pro-palestiniens ont bloqué l'entrée d'UAV Engines à Shenstone, où sont fabriqués les moteurs des drones israéliens Hermes 450.

Le 15 octobre 2023, une coalition de syndicats palestiniens appelait leurs homologues du monde entier à se mobiliser pour saboter les livraisons d'armes à Israël. Une semaine mondiale d'action est par ailleurs organisée par Stop Arming Israel du 15 au 21 avril avec le soutien de syndicats comme l'Union syndicale Solidaires (SUD pour « solidaires, unitaires, démocratiques »). Solidaires Industrie a d'ailleurs adressé un communiqué aux travailleurs du secteur de l'armement début novembre indiquant : « Préparons-nous à nous donner le pouvoir de décider ce que nous produisons ».

Car aux dires du gouvernement français, Israël serait un pays en guerre dont les fabricants d'armes, partenaires de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française, revendent à l'étranger les maillons achetés. Le 26 mars, le ministre des armées Sébastien Lecornu avançait que les composants vendus par Eurolinks à son client israélien sont réservés à la réexportation vers d'autres pays clients, la licence délivrée par l'État français ne « donnant pas droit à l'armée israélienne de les utiliser ». Le gouvernement assurait jusqu'alors ne fournir directement de matériel à Israël qu'à destination de son système défensif comme le Dôme de fer qui intercepte notamment des roquettes du Hamas.

Pour Selma, l'argument selon lequel les livraisons militaires seraient réservées à la défense d'Israël brouille encore la position de la France dans le conflit :

La notion de défense est très malléable. Parce que finalement qu'est-ce que ça veut dire de se défendre, pour une armée coloniale qui massacre, tue et vole les Palestiniens depuis 75 ans ?

Si d'aucuns s'inquiètent de voir le gouvernement changer aussi vite son fusil d'épaule et admettre des livraisons militaires en dehors du champ de la défense, lui plaide plutôt pour la bonne foi des clients israéliens de la BITD française. Et la sienne en passant, se dédouanant de la destination de sa production. « La globalisation de la production de l'armement offre aux vendeurs une plus grande possibilité de se défausser de leurs responsabilités en affirmant ne pas pouvoir contrôler l'utilisation finale de tels ou tels éléments vendus à une entreprise basée dans un autre pays », affirme Patrice Bouveret, co-fondateur et directeur de l'Observatoire des armements, un centre indépendant d'expertise et de documentation de la politique d'armement française.

Mais pour le ministre des armées, pas de principe de précaution qui tienne malgré les massacres à répétition documentés depuis l'offensive israélienne sur Gaza. « La France n'a absolument rien à se reprocher », appuyait-il encore dans sa déclaration en réaction à l'enquête de Disclose et Marsactu. Une position qui ne fait pourtant pas l'unanimité chez ses partenaires de l'OTAN. En février, le gouvernement de Wallonie en Belgique interdisait les livraisons de poudres d'explosif vers Israël, alors qu'elles aussi étaient destinées à la réexportation. Puis, ce 19 mars, c'était au tour du Canada d'annoncer l'arrêt de l'envoi d'armes à Israël, deux semaines après qu'une coalition d'avocats et de citoyens d'origine palestinienne ait déposé une plainte contre le gouvernement de Justin Trudeau. Cette plainte invoquait un risque sérieux que les armes exportées servent à commettre ou faciliter des violations graves du droit international ou humanitaire. Depuis décembre 2014, date de son entrée en vigueur, le Traité sur le commerce des armes des Nations unies prévoit l'interdiction des exportations lorsque des clients sont soupçonnés de crimes de guerre, et la révision des autorisations.

Si une partie de ces maillons sont peut-être réexportés, le gouvernement n'est pas en mesure d'affirmer que de quelconques détournements soient opérés au profit de l'armée israélienne. Car sur place, aucun contrôle n'est réalisé. « On nous dit qu'on vend seulement des armes défensives. Et maintenant que l'enquête est sortie et prouve le contraire, on nous promet la main sur le cœur qu'Israël n'utilise pas les composants militaires », avance Loïc, porte-parole de Stop Arming Israel en France.

L'année dernière, le rapport présenté au Parlement sur les exportations d'armement de la France mentionnait un montant de 15 millions d'euros de ventes autorisées par des licences codées sous le classement européen du matériel de guerre. Cependant, la nature précise et la quantité des armes livrées restent, elles, confidentielles.

Crime et complicités

« 15 millions d'euros, soit 0,2 % de l'exportation globale (de la BITD française, NDLR), ce n'est rien », objecte quant à lui Sébastien Lecornu, reprenant le dernier montant connu. Qu'en est-il du montant actuel ? « La somme de 2023 n'est pas encore complètement stabilisée, ajoute-t-il, parce que ce sont les commandes réellement exécutées dont je vous parle ». Comprendre : des entreprises françaises continuent de vendre leur production à Israël grâce aux licences d'exportation directement délivrées par le gouvernement. Un pan de l'industrie auquel il faut ajouter les biens à double usage, dont Patrice Bouveret souligne les exportations chaque année :

Lecornu feint aussi d'oublier le montant des composants à double usage, civil et militaire, qui était de 159 millions d'euros en 2021, soit six fois plus important, et de 34 millions d'euros en 2022. La dangerosité d'un élément militaire n'est pas proportionnelle à son coût.

La plainte de la famille Shuheibar illustre ce propos. En 2014, alors qu'Israël lance son opération Bordure protectrice sur Gaza, un missile s'abat sur la maison de la famille Shuheibar et tue trois enfants : Jihad (10 ans), Wassim (9 ans) et Afnan (8 ans). Parmi les débris, les survivants retrouvent un capteur de position d'Eurofarad (renommée Exxilia) fabriqué en France. La famille porte plainte contre l'entreprise française pour « complicité de crime de guerre » et « homicide involontaire ».

Début 2018, une information judiciaire est ouverte. Exxelia réplique que son exportation avait reçu le feu vert des autorités françaises. La première plainte donne lieu à une enquête préliminaire classée sans suite par le parquet de Paris. Exxelia fait également valoir sa position de maillon dans la chaîne des fabricants de la guerre : l'entreprise exporte ses produits vers Israël par l'intermédiaire du revendeur israélien Relcom qui compte parmi ses clients Elbit Systems, Israel Aerospace Industries (IAI), le ministère de la défense israélien et la société Rafael Advanced Defense Systems.

Après une nouvelle plainte, la famille Shuheibar est entendue le 18 juillet 2023 par une juge d'instruction au tribunal de Paris. L'enquête toujours en cours pourrait marquer un précédent en matière de responsabilité pénale des marchands d'armes de l'industrie française et « créer une brèche dans le système français actuel où les entreprises s'abritent derrière l'autorisation reçue du gouvernement sans s'interroger sur leur propre responsabilité », avance Patrice Bouveret. Ce 12 mars, un collectif d'ONG annonçait poursuivre en justice le Danemark afin qu'il suspende ses exportations d'armes vers Israël. Une plainte déposée à l'encontre de la police nationale et du ministère des affaires étrangères, s'inscrivant dans la continuité d'un tribunal néerlandais qui a ordonné mi-février aux Pays-Bas d'arrêter l'exportation de pièces de F-35 à destination d'Israël.

Le nerf des affaires

« Techniquement, avoir massacré et testé des armes pendant des mois sur les Palestiniens, c'est un coup de force pour Israël. Et les boîtes françaises du secteur de l'armement vont être en demande de cette expérience », atteste Loïc de Stop Arming Israel. Ce printemps, les clients de l'industrie israélienne de l'armement n'auront pas à se rendre à Gaza pour la voir à l'œuvre. Du 13 au 17 juin prochain, c'est au Parc des expositions de Villepinte que les fournisseurs de l'armée israélienne tiendront leurs stands au salon Eurosatory.

Au total, ils seront 71 fabricants dont Elbit Systems et IAI, leaders mondiaux ancrés via leurs partenariats dans le complexe militaro-industriel français. « Certes, il n'existe pas de tanks fabriqués en France et envoyés en Israël, mais il existe des pièces détachées comme celles fabriquées par Thalès en co-entreprise (UAV Tactical Systems) avec Elbit Systems pour la conception du drone Watchkeeper », soutient Loïc.

Les collaborations de Dassault avec Elbit Systems font partie intégrante de la politique du géant français qui se targue aussi de ses nombreux investissements dans plusieurs fonds israéliens comme Pitango Venture Capital, le plus grand fonds capital-risque israélien de près de 3 milliards de dollars sous gestion.

Parmi les clients de la pointe israélienne, on retrouve en outre les institutions européennes. Jusqu'à son crash en mer en 2020, l'agence de gardes-frontières Frontex utilisait le drone Hermes 900 d'Elbit Systems pour surveiller les flux de migrants en mer Méditerranée, réduisant drastiquement les patrouilles physiques qui pouvaient encore secourir les embarcations naufragées. Plus récemment, en novembre 2023, Disclose a révélé que la police française utilise un logiciel de reconnaissance faciale de la société israélienne Briefcam depuis 2015 en toute illégalité. Selon l'ONG Who Profits, ce dernier serait utilisé dans les zones de Jérusalem-Est occupées par les colons israéliens. En France, ce système est déployé au niveau national par le ministère de l'intérieur en dehors du cadre légal prévu par les directives européennes et la loi française Informatique et Libertés.

La guerre, droit et pratique

« Chaque fois qu'un conflit se déclenche, le gouvernement commence par pratiquer le silence sur les exportations d'armement et attend d'être interpellé (...) pour affirmer qu'il surveille et a pris toutes les précautions afin que le matériel français ne soit pas utilisé à des fins répressives », rappelle Patrice Bouveret. Une pression médiatique ponctuelle que devrait pourtant canaliser une nouvelle disposition dans l'arsenal législatif : depuis août 2023, une délégation parlementaire d'évaluation des exportations d'armement est prévue par la loi de programmation militaire (LPM) qui fixe la stratégie budgétaire des armées jusqu'en 2030.

En novembre dernier, à l'image des dockers grévistes de la CGT qui avaient refusé de charger le matériel militaire durant la guerre d'Indochine en 1949 à Marseille et Oran, des dockers de Barcelone ont tenté de bloquer les navires d'armements destinés à Israël. Pour Loïc de Stop Arming Israel, les révélations en lien avec Eurolinks pourraient marquer une nouvelle phase dans la mobilisation pour la Palestine, car « beaucoup de salariés finissent par comprendre qu'ils sont un des maillons de cette grande chaîne meurtrière ».


1Mathias Destal, Ariane Lavrilleux, Pierre Leibovici, et Nina Hubinet, « Livraison à Israël d'équipements pour mitrailleuses : la France entretient l'opacité », Disclose, 28 mars 2024

2Ariane Lavrilleux et Nina Hubinet, « Une entreprise marseillaise expédie des composants pour fusils mitrailleurs vers Israël », Marsactu, 26 mars 2024

17.04.2024 à 06:00

« Les déplacés veulent rentrer chez eux »

Rami Abou Jamous

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié. Mardi 16 avril 2024. (...)

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Texte intégral (1519 mots)

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Mardi 16 avril 2024.

Tout le monde a vu les images de ces milliers de personnes déplacées au sud, qui ont voulu dimanche dernier rentrer chez elles, dans le nord de la bande de Gaza. Elles ont été brutalement refoulées par l'armée israélienne.

La rumeur a commencé à monter le dimanche matin. Comme les autres journalistes, j'ai été un des premiers à avoir l'info. J'ai dit à Sabah, ma femme : « Pour le moment, c'est une rumeur, mais on doit se tenir prêts ». On a préparé deux sacs à dos, les mêmes qu'on avait pris quand on a quitté la ville de Gaza. Dans l'un, on a mis les médicaments de Walid et de quoi le changer, dans l'autre tout le nécessaire pour nous, pour les enfants de Sabah et tous nos papiers. On a commencé à dire au revoir aux amis et à tout l'entourage, parce qu'on pouvait partir à n'importe quel moment. J'attendais confirmation des collègues qui étaient dans la zone de Wadi Gaza, la rivière qui traverse Gaza d'Est en Ouest.

Entre temps, j'ai reçu des dizaines d'appels téléphoniques, vu que je suis toujours considéré comme le « grand journaliste qui connaît tout » et qui est « en contact avec les Israéliens ». Tous mes amis et toute ma belle-famille m'ont appelé. Ils pensaient que je pouvais leur dire s'il fallait partir ou pas. Je leur ai dit que c'était une rumeur, qu'il fallait attendre. J'avais aussi des amis de l'autre côté, notamment le frère de Sabah qui était à côté du rond-point de Naboulsi. Pouvait-il nous dire si des gens étaient passés ? Je voulais absolument rentrer, mais je voulais être sûr que c'était possible avant de prendre le risque. Quatre heures après environ, le porte-parole en arabe de l'armée israélienne a publié un communiqué disant que les infos de retour vers le nord n'étaient que des rumeurs, que cette région était toujours une zone militaire fermée et qu'il était dangereux de tenter d'y accéder.

Le strict nécessaire

Mais des milliers de gens étaient déjà partis vers le nord. La majorité étaient à pied. Certains étaient sur des charrettes ou en voiture, mais ils ont dû laisser leurs véhicules à Wadi Gaza. Ce n'était pas comme à l'aller, quand l'armée israélienne avait ordonné à tout le monde d'aller au sud. Beaucoup de gens avaient pu alors venir en voiture, sur des charrettes et même dans des bus. Ils apportaient des matelas, des couettes et même des ustensiles de cuisine.

Aujourd'hui, c'est très différent. On ne peut plus franchir le checkpoint qu'à pied. Les Israéliens ont installé des cabines équipées de caméras pour identifier les gens, où ces derniers passent un par un. Les déplacés n'ont le droit de porter que de petits sacs à dos, avec le strict nécessaire.

Il n'y a pas de hasard dans l'armée israélienne

Les gens ont voulu rentrer alors qu'ils ne savaient même pas si leur maison ou leur appartement était toujours debout, que ce soit à Gaza ville, Beit Lahya, à Beit Hanoun, à Jabaliya, ou dans toutes les zones frontalières sur lesquelles on n'a pas d'information.

Des cousins et des cousines de Sabah ont tenté leur chance. Malheureusement, ils sont arrivés trop tard. Les Israéliens avaient déjà commencé à bombarder et à tirer sur les gens en leur demandant de reculer. L'armée a utilisé tous les moyens dont elle disposait : les chars, les canons à eau, les F-16 qui sont passés pour effrayer les gens. Il y a eu un mort et plusieurs blessés. On ne sait pas ce qui s'est passé exactement : y a-t-il eu des messages de l'armée disant aux gens qu'ils pouvaient rentrer au nord ? Et si oui, qui les a envoyés ? Plusieurs rumeurs circulent. On dit que samedi, des déplacés installés dans une école auraient reçu des appels téléphoniques et des SMS de l'armée israélienne, leur disant que le lendemain, les femmes et les enfants de moins de quatorze ans pourraient rentrer. La deuxième version, c'est que les gens ont cru que les Israéliens s'étaient retirés de la bande de Gaza pour se redéployer ailleurs, afin de se défendre contre les tirs de missiles iraniens.

Bien sûr, pour quelqu'un qui vit en Europe, la première hypothèse peut paraître ridicules. Mais comme je l'ai déjà dit, quand on vit à Gaza et quand on connaît les méthodes des Israéliens, on peut croire aux théories du complot. Il n'y a pas de hasard dans l'armée israélienne.

Il est possible qu'il s'agisse de militaires israéliens mécontents. Quelqu'un de l'armée aurait pu vouloir marquer des points en disant : nous nous sommes retirés de Khan Younès, et voilà ce qui arrive, tout le monde est en train de revenir. Ou alors ce serait un ballon d'essai, pour voir la réaction des gens si on annonçait que les femmes et les enfants pouvaient rentrer, au cas où Israël prendrait une telle décision de manière unilatérale, sans passer par les négociations. De notre côté, on ne sait pas où se trouvait l'armée quand des milliers de personnes sont parties vers le nord. Au début, il n'y avait pas de chars, il n'y avait rien du tout ; c'est pour cela que les gens ont eu le courage de continuer leur chemin.

Cette terre nous appartient

Si les Israéliens voulaient une réponse, ils l'ont eue : les déplacés veulent rentrer chez eux, même s'ils savent qu'il n'y a plus de vie au nord. Lundi matin, quelques personnes ont encore essayé. Les Israéliens ont tiré et ont tué une fillette.

Les gens veulent en finir avec cette vie d'humiliation dans des camps de fortune où nous nous entassons les uns sur les autres. Ils préfèrent planter une tente sur les décombres de leur maison plutôt que de rester à Rafah. Moi, j'ai de la chance. Je sais que mon appartement qui se trouve au neuvième étage d'un immeuble de la ville de Gaza est encore habitable. Les vitres ont explosé, mais c'est bientôt l'été et on peut vivre sans vitres. Les meubles ont été endommagés, il n'y a pas d'électricité, pas de groupe électrogène pour pomper l'eau, mais c'est chez moi. Nous avions quitté Gaza-ville parce qu'il y avait un char qui braquait son canon sur nous. Nous voulons rentrer, c'est notre façon de résister, qui n'a rien à voir avec la résistance militaire. Je sais que dans le nord, il y a aussi de l'humiliation avec les parachutages d'aide alimentaire, même si le nombre de camions qui arrivent a un peu augmenté. Mais cette terre nous appartient. Même s'il n'y a rien, on peut tout reconstruire. On va reconstruire les écoles, on va reconstruire les universités, on va reconstruire les infrastructures. C'est vrai que les Israéliens ont tout détruit, même l'histoire de la bande de Gaza. Ils ont détruit les sites archéologiques, les musées, ils ont même détruit un hammam qui datait de près de mille ans, et dont la gestion s'est transmise de père en fils au sein de la famille Al-Wazir.

Les Israéliens veulent détruire jusqu'au nom de cette terre. Ils veulent effacer notre histoire, mais notre histoire est toujours là. Et nous allons continuer à l'écrire.

16.04.2024 à 12:00

Prix Michel Seurat 2024. Appel à candidatures

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Le prix Michel Seurat a été institué par le CNRS en juin 1988 pour honorer la mémoire de ce chercheur, spécialiste du monde arabe, disparu dans des conditions tragiques. Il vise à aider financièrement chaque année une jeune chercheure, ressortissante d'un pays européen ou d'un pays du Proche-Orient ou du Maghreb, contribuant ainsi à promouvoir connaissance réciproque et compréhension entre la société française et le monde arabe. Depuis 2017, l'organisation du prix a été déléguée au (...)

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Texte intégral (646 mots)

Le prix Michel Seurat a été institué par le CNRS en juin 1988 pour honorer la mémoire de ce chercheur, spécialiste du monde arabe, disparu dans des conditions tragiques. Il vise à aider financièrement chaque année une jeune chercheure, ressortissante d'un pays européen ou d'un pays du Proche-Orient ou du Maghreb, contribuant ainsi à promouvoir connaissance réciproque et compréhension entre la société française et le monde arabe.

Depuis 2017, l'organisation du prix a été déléguée au GIS « Moyen-Orient et mondes musulmans », en partenariat avec l'IISMM-EHESS et Orient XXI.

D'un montant de 15 000 euros en 2023, le prix est ouvert aux titulaires d'un master 2 ou d'un diplôme équivalent, âgés de moins de 35 ans révolus et sans condition de nationalité, de toutes disciplines, dont la recherche doctorale en cours porte sur les sociétés contemporaines du monde arabe, domaine envisagé comme ouvert et en interaction avec d'autres contextes et traditions intellectuels. Il a pour vocation d'aider un jeune chercheur ou une jeune chercheuse à multiplier les enquêtes sur le terrain, dans le cadre de la préparation de sa thèse.

Les enquêtes doivent avoir lieu sur le terrain. La maîtrise de la langue arabe est une condition impérative.

Date limite de dépôt des candidatures : mardi 28 avril 2024 (minuit, heure de Paris)

Constitution du dossier

➞ un plan et un projet de recherche détaillés précisant de manière claire les parties réalisées du travail et celles qui restent à faire, notamment les enquêtes qui seront menées sur le terrain (10 pages maximum, exclusivement en français) ;
➞ un curriculum vitae (exclusivement en français) ;
➞ une copie des diplômes obtenus, assortie le cas échéant de leur traduction en français ;
➞ une ou plusieurs attestations ou lettres de soutien émises par des personnalités scientifiques connaissant de près le travail et/ou le parcours du candidat ou de la candidate : attestations récentes et en rapport avec la candidature au Prix Seurat (lettres en français, en anglais ou en arabe).

Les dossiers sont à adresser uniquement par voie électronique, impérativement à l'adresse suivante :
gismomm-iismm.prix@cnrs.fr.

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Règlement du prix Michel Seurat
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