Chayka Hackso et Viciss Hackso
Le hacking social est une méthode plus qu’une doctrine, méthode qui tend à transformer les environnements sociaux vers plus d’autodétermination des personnes, plus d’altruisme, plus d’autotélisme, plus d’intelligence sociale, émotionnelle et cognitive dans les structures et systèmes, moins de souffrance, moins de domination, moins d’injustices, moins de discrimination, moins de manipulation, etc.
Publié le 17.07.2023 à 09:40
Sincèrement, je suis encore en mode bidouillage et recherche pour ce sujet, parce que j’ai le sentiment qu’on peut en créer un outil encore plus situationnel et facile d’accès aux non-chercheurs que nous pouvons être, et ce, afin de nous aider à viser des buts prosociaux. J’ai encore besoin de temps et d’exploration avant d’en reparler, cependant on peut aujourd’hui se permettre d’envisager quelques pistes d’utilisation des notions que nous avons vu au travers de ce dossier, qu’on soit une personne lambda ou hacker social.
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
⇒ ça peut servir à contrer des exploitations/manipulations : bien se connaître est toujours un avantage stratégique
Très souvent, les manipulateurs peuvent mieux comprendre leur cible qu’elle-même, et s’appuyer sur un trait de sa personnalité en situation pour l’influencer ou la contrôler. Et ça ne marche que trop bien. Alors, connaissons-nous mieux, non pas de façon abstraite, mais en situation : la wtt nous a montré que nous étions tout à la fois, tout le temps, mais notre singularité réside dans des schémas que nous adoptons typiquement selon les situations, changeant beaucoup ou peu.
Ainsi, savoir que tel contenu angoissant nous attire car nous sommes dans une situation qui rend saillante notre névrosisme permet de prendre de la distance avec ce contenu et de se préoccuper plutôt à investiguer le vrai problème, à savoir traiter les causes qui rendent saillantes ce névrosisme (tout ce qui pourrait être dans le trait EXP, voir schéma au-dessus).
Pour les traits « positifs » qu’on valorise, il ne s’agit pas d’éteindre des élans qui nous apportent du bonheur, mais de voir clairement ce qui se passe « cette histoire d’extraterrestres est génialement construite, ça me fait rêver, mon Ouverture est comblée esthétiquement, dans l’imagination, je veux y croire car c’est nouveau, surprenant, poétique… seulement, ce n’est pas parce que ça m’anime que cela doit être vrai, ce n’est pas parce que cela m’anime que je dois pour autant rejoindre ce groupe fermé, payer ce truc, me faire certainement berner » A la place, on peut noter ce qui afforde, stimule des traits positifs dans leur mécanique, quitte à les employer plus tard pour de meilleures fins prosociales et créatives.
On a tous des coups de mous, c’est pas grave de s’être fait embrigadé dans des trucs louches à cause de notre enthousiasme (et vous pouvez remplacer cet adjectif par n’importe quel trait de la personnalité), l’enthousiasme n’est pas débile pour autant : il y a des éléments précieux à récupérer, à recycler, à laver de leurs fins exploitatrices, à rendre autodéterminateur/autodeterminé.

On a tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain lorsqu’on est manipulé à coup d’élans, motivations, de sentiments « positifs », à savoir se haïr de l’enthousiasme dans lequel on a été, de la curiosité, de l’espoir, et de vouloir tout supprimer pour optimiser notre sécurité. Or, le problème reste la manipulation initiale, ses fins égoïstes. Si on a exploité votre empathie, votre altruisme, votre joie, vos espoirs, ce ne sont pas ces caractéristiques le problème. Le problème est la manipulation. Et la manipulation, ça peut se corriger.
On peut décortiquer le contenu manipulatoire et ses effets, pour trier les éléments, voire imaginer une version alternative non manipulatrice. Par exemple, les pubs de voiture jouent pas mal sur la corde des sensations fortes, de l’extraversion (voire de l’ouverture, pour l’esthétique et l’ouverture aux actions). Ils lient l’état de l’extraversion avec l’objet voiture, comme si c’était indisociable ( inconsciemment, on y voit une opportunité de trouver des sensations fortes « je dois avoir cette voiture pour vivre ces sensations fortes »). Or non. On peut accueillir cette influence, sentir nos états stimulés, et décidés de faire mieux en fonction de nos moyens, en organisant une aventure dans la nature, en partant à la découverte de tel lieu avec tels amis. On prends la stimulation, mais on reconceptualise la chose selon nos décisions.
⇒ ça peut servir à contrôler et établir des stratégies, car l’information c’est le pouvoir.
Cambridge Analytica a utilisé le champ de la personnalité pour stimuler et orienter les autoritaires (soit A+, O-, C+ ; soit A- ; ou A- O-, voire la triade noire en plus, c’est-à-dire machiavélisme, psychopathie, narcissisme) en fonction de leur trait.
Jamais il ne sont préoccupés de l’extraversion/introversion ou encore de la haute ouverture (assez gauchiste, surtout si elle est couplée à A+). Il serait possible de faire le travail inverse, comme je l’avais déjà évoqué dans cet article mais aussi avec certaines expériences de la SDT (dans ETP, chapitre des orientations). .
On part des traits des autoritaires et, plutôt que d’alimenter et stimuler leurs frustrations, leurs ressentiment et leur haine, on s’appuie sur les facettes pour d’une part éviter toutes les stratégies inutiles (il est inutile de demander à un SDO d’être empathique, il ne le fera jamais, il est inutile d’inciter un RWA a s’intéresser à une œuvre artistique très originale, il se sent en insécurité face à la nouveauté). Comme ils sont rassurés par la tradition, le passé et le « non-nouveau », on peut créer une esthétique conservatrice de valeurs progressistes : par exemple, c’est une tradition française très vieille que de valoriser la fraternité et l’égalité, ainsi le racisme est très clairement une tentative de grand remplacement de l’identité française. Nos (arrières) grands parents français ont toujours lutté contre le fascisme et sa hiérarchisation sociale. Nos ancêtres ont tenu tête contre les monarchies et tyrannie au péril de leur vie. Les patriotes qui ont peur d’un grand remplacement de part d’autre pays sont des pseudopatriotes qui veulent eux-mêmes grand remplacer les valeurs françaises par des valeurs complètement nazie au final.
Et tout un tas de discours de la sorte peut être testé, il y a juste besoin de votre ouverture et de votre agréabilité.
⇒ comprendre les autres
On a tendance à projeter la dynamique de trait sur les autres, d’autant plus si on a certains traits hauts de manière chronique. Rolland (2004) dit qu’on a tendance à trouver normal d’être chroniquement agréable ou désagréable par exemple, donc on peut potentiellement ne pas comprendre un individu qui serait dans une dynamique opposée.
La théorie elle-même ne permet pas de comprendre pleinement l’autre, d’une part parce qu’on ne peut pas raisonnablement faire passer un ESM aux autres puis analyser les résultats de tous les gens qu’on croise; d’autre part, même lorsqu’on met le doigt sur une dynamique, elle peut s’avérer très mystérieuse (les A- conflictuels avec leurs amis mais pas avec des inconnus froids).
Mais on peut utiliser préventivement nos propres résultats : si on est extrême sur un score (très bas ou très haut), il est probable qu’un individu à score inverse puisse nous choquer, nous dégoûter, on peut trouver son comportement insensé ou bête, il y aura incompréhension de ses buts, motivations, valeurs. Et même sans en être choqué, on attribue de base à l’autre nos mêmes traits : un haut agréable part en premier lieu de la confiance en autrui parce qu’il est lui-même une personne de confiance, et inversement, le bas agréable se méfie d’autrui par défaut parce qu’il n’est pas de confiance lui-même. Donc, il y a d’une part une prise de conscience que l’autre peut être totalement différent dans sa dynamique de comportement, d’autre part il y a à abandonner le « fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent » : non, l’extraverti chercheurs de sensations qui offre un saut en parachute ne fera pas plaisir à l’introverti casanier.
Mais deviner la moyenne de trait ou état de trait de l’autre ne révèle pas pour autant sa nature ni le rend prédictible à tout jamais : votre pote complètement déprimé, angoissé au lycée est peut-être un rayon de bonheur maintenant qu’il a la trentaine, parce que le N a tendance à descendre avec l’âge. Peut-être que c’était le cadre familial ou scolaire dans lequel il était forcé d’être qui augmentait ses angoisses et que, l’ayant quitté, cela va beaucoup mieux. Un introverti que vous croisez régulièrement dans une bibliothèque ne l’est peut-être qu’en situation bibliothèque.
⇒ on peut détecter nos états de personnalité et chercher quels buts nous ont amené à eux, puis travailler sur les buts pour autodéterminer ses performances.
La WTT nous apprend que les buts précédent les traits: par exemple, c’est parce qu’on veut optimiser son temps qu’on va être consciencieux. On pourrait donc à la fois enquêter sur nos comportements pour y voir l’état de trait, puis creuser pour découvrir le but qui y a mené. Ensuite on peut décider si on veut faire persister ce schéma qui serait par exemple d’avoir pour but d’optimiser son temps lorsqu’on voit des amis, donc un état de conscienciosité dans une situation qui demande davantage des états d’extraversion et/ou d’agreabilité. Il ne s’agit pas de se dire qu’on est con, mais d’essayer de comprendre pourquoi on a ce but : peut-être qu’on est surmené par les tâches à faire, et qu’on active sa conscienciosité en permanence pour gérer ce quotidien trop lourd – peut être qu’on a une estime de soi à plat et qu’on se sent obligé de tout gérer en permanence et qu’on ne se permet pas d’être juste là avec ces amis, dans un moment de détente spontanée – peut être que ces amis là nous invitent juste pour nous exploiter et nous faire travailler, d’où nos buts consciencieux pour abattre le travail, etc. Et on peut ensuite décider de tester d’autres buts, ce qui nous amènera à des états de personnalité différentes.
Si c’est la situation qui nous forçait à avoir tel état et qu’on teste ouvertement une autre performance, il risque d’y avoir des fortes résistances, de la surprise, voire du dénigrement ; l’effet de surprise est interessant dans une perspective de hack social, cela fait gagner du temps, permet d’agir. Par sécurité, surtout face à environnement autoritaire et/ou manipulateur, mieux vaut y aller doucement, voire sournoisement (garder ses buts cachés, singer l’état de personnalité habituel quand bien même on se sent différent).
Si l’environnement social est suffisamment libre, voire autodéterminateur, l’individu risque d’accueillir très bien le changement s’il est prosocial et de partager le bonheur qui en découle. Ou bien, il l’acceptera avec indifférence, parce que ces nouveaux buts ou nouveaux états lui semblent évidemment possible, quand bien même lui-même ne les avait jamais testé.
A noter que lorsqu’on investigue sur les buts sous-jacent à nos états de traits, j’ai l’impression qu’on risque de tomber sur des régulations introjectés, et c’est assez perturbant : pour ma part, j’ai un duo malsain de N4+N3 qui s’active par but d’éviter la honte, l’ostracisation, la souffrance et cela dans des situations très précises où instinctivement je sens qu’il faut que je m’autodétruise de la façon la plus dénigrante possible, parce que sinon c’est l’autre qui va me détruire encore plus, prendre toutes les fautes sur le dos, avouer l’horreur que je suis, démontrer quel monstre j’ai été, quelle imbécile je suis, et ce qu’importe les faits. Et ce n’est pas un jeu d’actrice, quand bien même on parle de performance, les états de traits sont réellement vécus, ressentis, ce n’est pas du faire-semblant.
Et ce n’est pas parce que je suis totalement débile que mon N4/N3 s’active selon certains stimuli, c’est parce que cet état m’a effectivement sauvé la vie par le passé, évité des souffrances encore plus grandes. Si j’avais activé ma colère dans ces situations passées, l’autre augmentait ses offenses : j’avais déjà testé face à lui plein d’états variés, et finalement ce N3+N4 est devenu l’état qui m’a épargné le plus de souffrances. Il est donc normal qu’il s’active lorsque je suis dans des situations qui ressemble un tout petit peu à celle où j’ai souffert et où ce pattern était inutile. Là, la solution est de prendre du recul, voire la réalité (=le risque n’est plus là), trouver des preuves matérielles que le risque n’est plus là et ce afin de pouvoir trouver des patterns moins autodestructeurs .
Clairement je pense qu’on peut tomber sur beaucoup d’actions à régulation introjectées, fait pour éviter la honte ou chercher la validation d’autrui : ça se travaille en réfléchissant pour savoir si faire ça compte pour nous et pour quelle visée autre que la validation sociale nous pourrions continuer ou arrêter. Il s’agit de trouver la valeur de ce qui compte pour nous, et non rester tétanisé par le risque de perdre en valeur ou de ne pas obtenir le minimum social de valeur par autrui. C’est vraiment difficile, mais petit à petit, parfois avec l’aide d’une thérapie ou d’un changement d’environnement social, on arrive à sortir des introjections que nous ont refilé les environnements passés. C’est de la déconstruction reconstructive en quelque sorte, on démonte le lego de nos schémas pour en monter un autre qui nous sied plus.
Parfois, on n’a pas accès à ces buts, ou ceux-ci s’avèrent un peu idiots, liés à des conditionnements ou à l’ergonomie : typiquement l’état d’impulsivité (N5 ci-dessous) n’a pas vraiment de but, généralement on craque et on se met à manger trop (ou autre consommation) sans contrôle. Mais cela peut être pour des raisons ergonomiques : si l’environnement dispose des sucreries partout de façon accessible, l’attention est sans cesse sollicitée par l’idée qu’on pourrait les manger, donc à force, on arrive plus à résister. Ainsi, la solution est ergonomique et parfois on obtient plus de résultats en changeant la façon dont sont rangés et accessibles les choses autour de nous.
On peut avoir attraper des habitudes dont on a perdu totalement la trace des buts, comme checker dans les médias tout ce qui va mal dans le monde dès le réveil, ce qui a pour but d’amorcer le névrosisme. Cela couplé à l’ergonomie parfaite (accessible, facile, stimulante, etc.) des réseaux sociaux, on peut garder des habitudes tout en sentant que cela ne nous aide pas, et ne pas réussir à décrocher. On peut aussi essayer de trouver une concurrence ergonomique plus attractive.
Ce genre de conditionnement peut être arrêté, il y a pas mal de solutions diverses en changeant l’ergonomie de notre quotidien, ou en installant des conditionnements autodéterminés qui ont du sens pour nous (on décide soi-même d’une habitude à installer). J’en reparlerai sans doute un jour, mais en attendant si cela vous intéresse ce livre donne des bonnes pistes, très comportementaliste : Tiny Habits, de Fogg BJ.
Quand on commence à changer, il s’agit de tolérer les ratés : Il y aura de nouvelles habitudes avec de nouveau buts ratés, gênants, inefficaces, parce que c’est ainsi qu’on apprend son rapport au monde, ça passe par le guidage de toutes les émotions, négatives comme positives. Mais petit à petit on peut re-concevoir un quotidien plus autodéterminé, ne serait-ce sur quelques points où l’on peut agir.
⇒ on peut tester des états de personnalité inédits
Avec de nouveaux buts, on est amené à mettre en œuvre des états inédits. J’ai l’impression que seuls de nouveaux rôles sociaux peuvent offrir vraiment une palette de nouvelles performances à tester. Sans rien changer à nos rapports sociaux, on va avoir du mal à accéder à de nouveaux rôles. Ou alors cela ressemblera au jeu du faire semblant des enfants, avec un coté artificiel et trop peu impliqué dans l’action. Par contre, si pour être résolue la situation demande intrinsèquement par exemple de s’ouvrir plus et de socialiser plus, là, la performance doit être réelle. Même si on a pas l’habitude de cette performance et qu’on joue de façon maladroite, décalée, le fait que la situation soit réelle, qu’on veuille sincèrement la résoudre ou l’aboutir, on sera attentif aux feedbacks liés et on apprendra.
Ci-dessous une étudiante en doctorat avant et après sa thèse, le changement est assez incroyable :
Ma théorie est que son étude demandait intrinsèquement un contact positif avec une forte diversité de personnes auxquelles elle devait être attentive en toute bienveillance et avec un intérêt sincère pour effectuer sérieusement son travail. Donc elle a sûrement dû apprendre à s’ouvrir plus et être plus agréable pour accomplir ce travail, et c’est resté parce que ces états sont extrêmement bénéfiques dans la vie en général.
On peut prendre ça du point de vue du changement social : si des rôles sapent la personnalité des gens (augmentation du névrosisme, diminution des autres traits), clairement quelque chose ne tourne pas rond dans la structure qui frustre l’individu, l’empêche d’exprimer le meilleur ou le plonge dans les émotions négatives. A l’inverse, lorsqu’on voit le nombre d’études qui montre à quel point la fac a des effets positifs (sur la personnalité mais aussi sur la diminution de l’autoritarisme), il y a à voir ce qui marche et le reproduire ailleurs : clairement, la mixité sociale, les opportunités de se lier à des personnes venant de toute part de façon joyeuse, les opportunités d’apprentissage qui sont moins contrôlantes (l’étudiant est libre de s’organiser comme il l’entend), plus choisies qu’à l’école (on choisit un cursus qui nous plaît et non un amalgame de matières qui nous sont imposés), etc., sont quelques explications possibles. Les états changeants de la personnalité sont une prise de température de l’environnement social ainsi que ce qu’il sape ou nourrit chez les individus.
⇒ on peut utiliser les états de personnalité pour traduire la situation et y trouver des solutions
La WTT nous disait qu’à partir de la situation on pouvait prédire les états des personnes. Et clairement, il n’y a pas besoin de faire de grands calculs pour comprendre qu’en examen on peut prédire chez les gens une conscienciosité plus élevée parce qu’ils ont pour but de réussir l’évaluation, qu’ils diminueront leur extraversion (parce que chercher à se marrer serait ici contre-productif), etc. Mais il y a des analyses plus poussées qu’on pourrait faire et dont les découvertes ne seraient pas inutiles. Personnellement, pour tester, j’ai pris le questionnaire Neo Pi, j’ai juste rajouté devant les items « dans tel boulot X » pour voir ma personnalité moyenne dans ce travail. Et j’ai passé le questionnaire pour un autre job dont la structure était totalement différente bien que tous deux concernaient la restauration. Et j’avais à côté les résultats de ma personnalité en passation classique.
Et clairement, j’ai pu voir comment une situation nous fait brider certains traits, et en stimule d’autres.
Ceci n’a pas de valeur scientifique, c’est un juste un test individuel – peut être que je suis plus une girouette que d’autres personnes ou encore peut être que ces situations étaient particulièrement puissantes dans leur positivité ou négativité. En tout cas, si vous souhaitez tester il suffit de précéder les questions d’un questionnaire type big five par « dans telle situation… » et de comparer à vos scores en passation classique.
Les points en plus sont clairement signe de mieux-être dans les facettes A, E, C, O, et signe de mal-être dans les facettes N. Les points en moins sont signes de mal être dans A, E, C, O et de bien être dans N. J’ai mis en jaune les changements important appréciables selon moi et en gras noir les changements dépréciable.
Facettes |
%d’augmentation ou de diminution du score de facette en situ pro négative |
%d’augmentation ou de diminution du score de facette en situ pro positive |
N1 |
3.13 |
18.75 |
N2 |
28.13 |
31.25 |
N3 |
-9.38 |
-50.00 |
N4 |
-12.50 |
-37.50 |
N5 |
21.88 |
-9.38 |
N6 |
0.00 |
-25.00 |
Névrosisme moyen |
5.21 |
-11.98 |
e1 |
-53.13 |
3.13 |
e2 |
21.88 |
0.00 |
e3 |
31.25 |
15.63 |
e4 |
6.25 |
6.25 |
e5 |
-9.38 |
-6.25 |
e6 |
-31.25 |
-18.75 |
Extraversion moyenne |
-5.73 |
0.00 |
o1 |
-78.13 |
-59.38 |
o2 |
-78.13 |
-34.38 |
o3 |
-68.75 |
-34.38 |
o4 |
-53.13 |
-3.13 |
o5 |
-78.13 |
-25.00 |
o6 |
-56.25 |
0.00 |
Ouverture moyenne |
-68.75 |
-26.04 |
a1 |
-81.25 |
-53.13 |
a2 |
-78.13 |
-50.00 |
a3 |
-21.88 |
-15.63 |
a4 |
-37.50 |
-6.25 |
a5 |
-59.38 |
-34.38 |
a6 |
-78.13 |
-12.50 |
Agreabilité moyenne |
-59.38 |
-28.65 |
c1 |
9.38 |
28.13 |
c2 |
-3.13 |
50.00 |
c3 |
-25.00 |
-28.13 |
c4 |
-6.25 |
31.25 |
c5 |
6.25 |
18.75 |
c6 |
-31.25 |
12.50 |
Conscienciosité moyenne |
-8.33 |
18.75 |
Ce qui distingue ces deux aperçus de personnalité-situation, ce sont des buts différents qui nous étaient tous imposés : dans la première colonne la priorité était de faire du chiffre par tous les moyens, donc il fallait optimiser tous nos gestes, nos relations avec les clients. On nous imposait de pratiquer des techniques de manipulations, voire de pression, on nous disait de ne jamais faire confiance au client et qu’ils étaient tous des gros cons. Alors que dans la situation de la deuxième colonne, l’agréabilité était à l’honneur, il était même bien vu de passer du temps avec le client quand bien même ça ne rapportait rien directement. Le management était très contrôlant dans la première situation, très autonomisant dans la seconde.
L’avantage de checker sa personnalité en situation et de comparer à d’autres données permet d’éviter des biais d’internalité et de se croire « naturellement » comme ci ou comme ça : la situation peut nous forcer à ne pas exprimer un trait. Par exemple, dans mon test, même dans la bonne entreprise, démontrer de l’ouverture était difficilement possible parce que les activités demandaient surtout des états de conscienciosité.
J’ai fait un autre test où cette fois j’évaluai comment les personnes étaient en général dans la situation : j’ai pris les items des questionnaires et j’ai changé la première personne du singulier pour mettre au pluriel ce qui donnait des items tels que « dans cette situation X les gens étaient souvent inquiets ». Attention, là encore ça n’a rien de scientifique. Très clairement cela va donner des résultats qui passent par notre subjectivité, qui pourraient être potentiellement différents avec une autre personne qui évaluerait la même situation. Mais ce qui m’a intéressé d’un point de vue hack social, ce sont les items pour lesquels je ne savais pas répondre ou encore ceux pour lesquels je pouvais dire « c’est possible dans les deux sens ». Les « je ne sais pas » soulignaient là que je manquais d’observation du terrain à ce sujet, que je n’avais pas été attentive à des gens qui avaient pu performer par exemple une forte chaleur et comment cet état avait pu être accueilli (puni, récompensé, avec indifférence, valorisé, dévalorisé, etc.) ou que je ne l’avais pas testé moi-même.
Là, dans ce « je ne sais pas », il y a des observations à faire, des possibles à tester, des chemins à explorer.
Quant aux points où je pouvais répondre « c’est possible dans les deux sens », c’était souvent lié à de la liberté, un point fort de l’environnement. Par exemple, dans l’environnement cool que j’ai testé, les gens pouvaient être extrêmement introvertis comme extrêmement extravertis, c’était ok. Franchement en repensant à ça, je me demande si celui qui nous recrutait et formait les équipes ne faisait pas exprès de créer des équipes avec mi-extravertis et mi-introvertis. Parce que ça créait vraiment une force sur le terrain, puisqu’ainsi réuni on était disposé à accueillir toutes sortes de clients ayant des besoins différents, certains préférant la festivité des collègues extravertis, d’autres préférant se confier à la discrétion des introvertis. Donc la mécanique vertueuse apparaît très clairement : l’équipe fonctionne mieux si elle n’est pas formatée à un seul type de personnalité. Ça peut paraître évident dit ainsi, mais c’est totalement le contraire qui est poursuivi par certaines entreprises (on en a exposé plusieurs dans l’homme formaté).
Donc pour simplifier cette enquête, je pense que rien que d’avoir la liste des facettes, de checker ces points face à une situation (« est ce que dans cette situation les gens peuvent être haut ou bas sur [facette] »), cela permet de voir ce qu’on pourrait tester ou chercher à observer (si on répond je ne sais pas), de voir les zones de liberté (c’est possible dans un sens ou un autre), de voir les zones rigides (les traits hauts ou bas très fermes, liés souvent à des interdits, des punitions, des dévalorisations ou au contraire à des récompenses, des promotions, des félicitations, etc.).
Face à cette évaluation du game – la structure de la situation -, on peut ajuster notre état de personnalité pour cracker, patcher, tenter de mettre à jour ce système : il s’agit de tester d’autres états liés à nos buts et de voir comment le système social y répond. Si on veut augmenter l’ouverture d’un environnement un peu rigide qui met la priorité sur des aspects consciencieux, il s’agit d’injecter de l’imagination, de l’esthétique, de la nouveauté mais de façon extrêmement organisée et rigoureuse pour que ça passe. Si on veut augmenter l’agréabilité d’un milieu bas agréable, il s’agit de développer un style brutal, d’apparence cynique mais visant l’altruisme, la sensibilité au sort des autres, etc. Et là, on commence à créer une nouvelle dynamique, surtout si les autres commencent à nous imiter et à improviser, comprenant l’aspect stratégique. Et peut-être que certains le font déjà intuitivement ! J’ai vu des hackers sociaux feindre la soumission amicale et la haute conscienciosité pour viser un futur hédonisme collectif et opérer des actes désobéissants qui servaient joyeusement à tous. Il s’agit de créer des états de personnalité très particuliers, assez incalculables/prédictibles par avance.
Si vous avez suivi ce que je disais dans ETP ou que vous connaissez l’autodétermination, vous me direz: et l’authenticité alors ? L’authenticité n’est pas le fait de jouer de la même façon sur toutes les scènes de nos vies, mais d’être animé par des valeurs qu’on a sciemment décidé, des buts autodéterminés prosociaux qu’on a soupesé avec notre cœur, notre tête et nos intestins. La continuité de qui on est authentiquement ne se mesure pas à notre même façon de jouer sur scène mais dans les conséquences qu’on cherche à produire. Pour poursuivre la métaphore, ce n’est pas le fait de toujours bien jouer ce même rôle de comédie qui fait le bon acteur, mais la force, la compétence, l’empathie qu’il met à accomplir son jeu et ce qu’importe la différence des rôles : c’est ce qu’il injecte de puissant dans le rôle qui fait sa singularité, son authenticité, ce qui le fait être un excellent acteur. Il s’agit de jouer en engageant toute notre mana dans le rôle qu’on veut accomplir.
! Ceci étant dit, attention à ne pas chercher à analyser en permanence…
Checker les états possibles d’un contexte précis n’est pas inutile si on veut améliorer la situation, la transformer, ou la combattre si elle est destructrice. Le problème est, je vous l’accorde, la masse d’informations à traiter, même en simplifiant la grille des facettes.
Sur le terrain on n’a pas le temps de calculer 30 variables possibles croisées avec des dizaines d’autres, surtout face à une oppression en train de se dérouler, une autorité qui vous manipule, une situation de détresse. Il y a besoin de trouver une solution rapidement, et de manière créative pour atteindre un résultat notable.
En art1, certains disent qu’il est impossible d’analyser et d’agir en même temps, ce sont des activités opposées : si on se met à analyser, on sort de l’action, donc on ne créée rien. Et lorsqu’on agit ou créée pleinement, en flow, se mettre à analyser ce qui se passe, c’est interrompre l’action. Comprendre cette incompatibilité aide à passer à l’action : il y a un temps pour l’analyse, un autre pour faire. Le faire a besoin d’un cerveau pleinement à sa disposition, sans un nuage continuel de réflexion. Il suffit de se laisser entraîner dans l’action comme dans un courant, lâcher prise dans le mouvement.
Et c’est tout le paradoxe, dans tous domaines créatifs comme en hack social: oui cette plongée dans l’action créative demande en amont des apprentissages, des analyses poussées, des observations, des réflexions, des planification, qu’il faut ensuite savoir stopper au bon moment et faire taire pour laisser place à l’action créative.
Et me voici face à un paradoxe en tant que partageuse d’infos et qui me donne l’impression de vous transmettre un produit qui serait tout autant curatif que toxique : certes je peux vous transmettre des informations que je sais être socialement utile car je teste chaque sujet tant que possible. Mais je sais aussi d’expérience que le travail cognitif que cela nécessite pour être compris, réfléchi, peut devenir toxique si on confond la valeur de l’information avec l’émulsion cognitive qu’elle provoque en premier lieu, cet espèce de révélation autour des mots qu’on peut poser sur des phénomènes auparavant confus. Le danger est de se satisfaire de ce mode grocervo et de le voir comme une fin, car dès lors qu’arrive le besoin d’action, si ce mode est encore saillant, on ne fera rien d’autre que de calculer les variables et on loupera le coche. On ne peut pas analyser et créer dans le même temps, ces modes demandent chacun leur temps, mais ils se combinent très mal, se dégradent l’un et l’autre si on se force à les superposer ou si on privilégie l’un sur l’autre.

Quand vient l’action, il va falloir faire confiance à vos processus inconscients2 qui gardent secrètement cette masse d’informations et d’idées, et qui piocheront la carte nécessaire ou déduiront de toutes ces informations une stratégie créative toute nouvelle. Vous aurez l’impression d’avoir totalement improvisé, d’avoir agi de façon aléatoire, au hasard. Ça pourrait être le cas comme pas du tout : lorsqu’on produit quelque chose de créatif, ce n’est clairement pas un processus conscient, le plus gros du travail se fait avec nos processus inconscient. Ainsi, tout comme l’idée créative semble arriver par magie, le comportement créatif – parce qu’il change la situation de façon inédite – a aussi cet aspect impromptu.
Ceci dit, on peut avoir un comportement aléatoire, mais si on analyse après coup, on remarque qu’il a un cadre un peu trop adapté à nos valeurs, nos besoins, nos émotions, notre vision du monde, notre santé, nos buts, nos limites, à ce qu’on veut de la situation idéale, et donc n’est pas si aléatoire que cela. On canalise les choses en amont.
Donc, ces outils et informations sur les états de la personnalité ne peuvent pas être employés pleinement dans l’action, mais en analyse en amont ou après l’événement.
Ce point est très important pour moi, car je m’en voudrais de plonger des personnes dans la sur-analyse intellectualisante, paralysante lorsqu’elle advient au mauvais moment : tout contenu théorique n’a pas à être consciemment présent en permanence dans l’esprit: faites confiance à vos processus inconscients qui ont eux aussi pris note, rangé les savoirs, et sauront vous sortir vous délivrer les cartes adaptées le moment venu. C’est ce qui se passe lorsqu’on a vraiment décidé de façon autodéterminée ce qu’on faisait avec tel élément, lorsqu’on l’a soupesé avec notre cœur et notre tête. Faites confiance à votre capacité à improviser, et si ce n’est pas le cas vous pouvez renforcer votre confiance en tentant de toutes petites choses d’abord. Bon jeu
C’est tout ?
Comme je le disais en introduction, il s’agissait ici de poser des bases sur la question de la personnalité, parce que quasiment tous les autres thèmes qui peuvent m’intéresser et dont j’ai envie de vous parler à l’avenir (la créativité notamment) sont croisés avec le champ de la personnalité. Et je ne pouvais pas me contenter d’une description sommaire qui n’aurait pas suffit à éclairer les enjeux, notamment au vu du renversement de pensée que suppose des nouveaux modèles comme celui de la WTT, et des préjugés qu’il abat quant à notre vision de la personnalité.
Ainsi, comme vous vous le représentiez peut être déjà, ceci n’est sans doute qu’un prélude à un voyage, une « base » avant d’affronter des « quêtes »3, vers des lieux dont je ne connais pas encore pleinement la destination
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à consulter les sources !
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
1 Je pense à un ouvrage de Corita Kent « Learning by heart », mais aussi en game design avec notamment « l’art du game design » de Jesse shell .
2 Lorsque je parle de processus inconscients, je parle de tous les processus de notre cerveau, ses calculs, etc, qui ne sont pas accessibles à la conscience. Cela n’a rien à voir avec l’inconscient freudien.
3 C’est métaphorique mais c’est aussi un lien direct à la structure que j’ai déjà utilisé pour l’ouvrage ETP qui se décomposait en « base » expliquant le théorique, puis en « quête » activant ce savoir avec des exemples concrets d’actions IRL.
L’article ★ PP16: Tout, partout est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 11.07.2023 à 11:19
Aujourd’hui, on fait une revue des points que nous avons abordés au cours du dossier, on mixe théorie dispositionnelle, critiques de celle-ci et WTT.
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
J’ai repris le titre d’Everything Everywhere all at once pour cet article et le dernier parce que ce film résume follement bien un mix de théorie totale et d’autodétermination à mon avis [!spoiler] : 1. on change de meta en faisant des trucs qui sortent des comportements attendus 2. on se découvre possible de mille façons différentes 3. on agit, on met en œuvre tous nos pouvoirs partout à la fois 4. on se perd, on rate parce que sinon on n’apprend pas ; on découvre que l’obstacle est le nihilisme toxique, pas celui qui en ait empoisonné 4. on cherche à comprendre avec respect les situations et les personnes, les besoins de tous et tout le monde, on écoute et prend note des stratégies 5. on s’autodétermine et on aide à autodéterminer autrui parce que c’est la solution la plus totalement efficace.
Qu’est-ce qu’on garde des théories ?
[article 2 ; 3 ; 4] Les description des traits, des facettes, circumplex et interprétation
Les descriptions, que ce soit des traits, des facettes ou des circumplex restent tout à fait valables, y compris dans le cadre de la WTT. La différence est que, plutôt que de s’identifier à une série de traits à telle hauteur, on peut plutôt s’identifier à tous, étant donné que l’ESM montre qu’on expérimente toutes les hauteurs de traits au quotidien. Ainsi, selon les circonstances, on peut se retrouver dans n’importe quel circumplex. Cependant, notre moyenne nous fait être plus fréquemment à telle hauteur de trait avec telle autre hauteur de trait, mais n’ignorons pas que nous pouvons très bien être dans une autre configuration selon les circonstances.
Je disais dans l’article 3 que la connaissance d’autres configurations permettaient de mieux comprendre les autres, mais au vu des découvertes de la WTT, cela permet de mieux nous comprendre aussi. Si je prends le circumplex le plus scolaire (ci-dessous), on peut très bien être le C+/O+ dans une matière qu’on aime et qui permet la créativité, puis ensuite passer à C -/O- dans une matière où l’on nous interdit d’être créatif, et ainsi de suite. Et ce n’est clairement pas qu’une affaire personnelle, mais aussi une question de ce qu’on exige de nous et comment on internalise (ou pas) les contenus en retour. Ainsi, pour que les circumplex soit WTT compatible, il suffit de supprimer les « en moyenne » par « dans certaines circonstances ».
c- |
c+ |
|
o – |
En moyenne, Dans certaines circonstances, les activités intellectuelles, la réflexion et l’abstraction ne sont pas leur point fort. Ils ont besoin d’encouragement pour persévérer dans leurs études et pour s’organiser. Dit « étudiant réticent ». |
En moyenne, Dans certaines circonstances, ils sont appliqués, méthodiques, respectueux des règles. Mais le manque d’imagination les pousse à suivre les instructions pas à pas. Ils n’ont pas de difficultés pour apprendre par cœur, mais peuvent avoir du mal à traiter les questions pour lesquelles il n’y a pas une seule bonne réponse. Ils ont besoin de structure et d’un cadre délimité. Dit « by the book ». |
o+ |
En moyenne, Dans certaines circonstances, ces personnes sont attirées par les idées nouvelles, développées par imagination, mais ça peut être assez chimérique. Elles sont souvent productives pour trouver des solutions originales ou se lancer dans un projet innovant. Mais c’est dur lorsqu’il s’agit de le faire sur la durée. Elles ont des capacités de naviguer dans des contextes incertains. Dit « rêveur ». |
En moyenne, Dans certaines circonstances, ces personnes ont soif d’apprendre, s’appliquent, s’organisent et démontrent une détermination qui les poussent vers l’excellence. Il y a à la fois ambition et créativité dans leur approche des problèmes. Elles vont aussi loin que leur talent leur permet. Dit « bons étudiants » |
[article 5, 6 et 7] Le modèle dispositionnel et les règles de la personnalité
On va reprendre les règles du modèle dispositionnel et les revoir au vu de ce que nous avons appris des expériences de la WTT.
« les traits ne sont pas des déterminations absolues ce sont des dispositions »
Oui, ce ne sont pas des déterminations absolues, par contre la WTT ne souscrit pas à l’idée que ce sont des dispositions. Des configurations de traits données sont répétées parce qu’ils ont des utilités pour répondre aux besoins, aux situations, à nos buts, et non pas parce qu’on serait disposé à ces traits uniquement. Dans notre situation précédente, on a généralement trouvé un intérêt stratégique à répéter et exprimer tel niveau de trait plutôt que tel autre. Même lorsqu’on est haut en névrosisme, l’intérêt est la défense, la protection. Il s’agit d’éviter encore plus de souffrance dans un contexte difficile en se retirant un maximum de l’action (pour les traits N1, N3, N4 ; c’est différent pour l’impulsivité et la colère/hostilité où l’on extériorise au contraire les émotions, les projette) qui pourrait avoir pour conséquence d’augurer encore plus de souffrance. Attention, parfois aussi on garde un mode de retrait même une fois le danger écarté, cela demande du temps et du ressourcement de s’en remettre.
« les traits sont distincts des valeurs, attitudes et croyances »
Oui, excepté que la WTT affirme que ce sont les valeurs, les croyances et les attitudes qui préparent l’état de personnalité, qui en sont la cause. Alors que le modèle dispositionnel place ces phénomènes comme à côté de la personnalité, la personnalité restant la cause première des comportements (surtout pour McCrae et Costa).
Par exemple, dans une étude sur les autoritaires (Duckitt & Sibley, 2009), le phénomène autoritaire est expliqué avec des déterminants en premier lieu issus à la fois par le contexte et la personnalité :

Si on renversait les choses façon WTT, la personnalité pourrait potentiellement être une conséquence :
Autrement dit, les valeurs et attitudes expliqueraient en partie pourquoi il y a telle performance de trait. Pour le problème autoritaire, cela expliquerait aussi pourquoi les changements de circonstances, d’environnement social sont à prioriser si on espère que la personne diminue son niveau d’autoritarisme plutôt que de vouloir tenter de changer sa psyché personnelle.
« Les traits ne sont pas une habilité mentale »
Et pourtant en thérapie, l’apprentissage amène à augmenter les niveaux, comme s’il y avait une habilité que l’on pouvait apprendre, à laquelle on pouvait s’exercer, s’entraîner. Effectivement cela n’a rien à voir avec les mesures des habiletés cognitives (McCrae et Costa comparaient cela au QI), mais qu’en est-il des habilités sociales et émotionnelles ? La WTT ne permet pas d’infirmer ou d’affirmer que les traits ont un lien avec les habiletés sociales, mais d’autres expériences tendent à dire que ce n’est pas si séparé que cela1.
« Les traits ne sont pas liés à des habitudes mécaniques »
Effectivement, on ne peut pas dire le contraire pour les exemples que donnent McCrae et Costa qui tiennent plus des tics (dire « tu sais » à chaque fin de phrases par exemple) ; mais le phénomène d’accrétion (on fait fonctionner en même temps une configuration de trait, et ce de façon assez chronique comme employer à la fois une haute chaleur E1 et une haute agréabilité) montre une même configuration habituelle : untel est plus poli et chaleureux automatiquement que tel autre qui est habituellement moins poli et chaleureux. Avec le temps, ça devient une habitude automatique de performer une configuration de trait, et ça peut d’ailleurs être un atout comme un problème selon l’adaptation de cette configuration au contexte et ses conséquences.
« Les traits sont distincts des humeurs temporaires »
Oui, la moyenne des traits s’écarte des humeurs temporaires, on le voit à l’ESM, on peut être totalement anxieux un jour, mais la moyenne des fréquences révèle qu’on ne l’est pas vraiment en général. Ceci étant dit, si cela se voit sans biais à l’ESM, j’émets un fort doute quant au questionnaire : comme je l’expliquais, lorsque j’ai comparé mon questionnaire et mon ESM, j’ai découvert que j’avais notamment très mal résumé mon névrosisme, sans doute par biais de négativité (ne voir que le négatif), par problème d’estime de soi ou encore parce que j’ai une trop haute attention à mes émotions en général. Comme à l’ESM on n’a pas à établir de fréquences, car c’est le cumul des données qui révélera si quelque chose est fréquent ou non, ces biais sont potentiellement moins prégnants. Mais ce n’est qu’une hypothèse de ma part et cela ne veut pas dire que l’ESM est exempt d’erreurs possibles, tels que des biais liés à la lassitude de remplir des questionnaires tout le temps.
Autrement dit, si les performances de traits, leur moyenne, s’avèrent montrer clairement qu’il y a une signature personnelle singulière et non une somme d’humeurs temporaires rassemblées, j’émets un doute sur le fait que le questionnaire (qui n’est passé qu’une fois et potentiellement dans une situation où l’individu est fortement imprégné d’un contexte qu’il répercute sur ses résultats) le mesure bien.
« Plus un trait est haut ou très bas, plus cela s’exprimera en comportement »
Oui, cela se voit très bien à l’ESM aussi, et les stratégies face aux situations divergent beaucoup dans le cas de traits très marqués vers le haut et le bas.
« Plus un trait est ancien et marqué, plus la personne la revendique comme bon ou l’estime naturel »
À l’heure où j’écris (03/23), la WTT ne dit rien à ce sujet à ma connaissance. Si on part du principe que ce sont les valeurs, croyances et attitudes qui poussent à performer certains traits, ainsi celui qui croit que l’humanité est mauvaise, que le monde est une compétition constante et brutale, va alors exprimer une basse agréabilité. Donc oui, il va revendiquer tout ce chemin comme bon et naturel, que ça soit à travers ses croyances, ses valeurs et le trait bas agréable. Ainsi, que ce soit dans la perspective dispositionnelle ou totale, c’est une règle intéressante à mémoriser pour comprendre les comportements.
« Les situations peuvent activer un trait ou une configuration de trait »
Oui, les expériences tant dans la perspective dispositionnelle que totale le démontre. La différence est que peut-être la perspective dispositionnelle s’est préoccupée davantage des situations puissantes où les rôles, l’environnement social sont transformés (prise d’emploi, licenciement, chômage, divorce, mort de proches, etc.), et la perspective totale montre que de tout petit changement très habituel, comme l’heure de la journée par exemple, a un effet sur la performance de personnalité.
« Les traits conduisent au développement de comportements nouveau »
À cette affirmation de McCrae et Costa (1992), je n’ai rien trouvé qui la confirme ni l’infirme. À vrai dire, je ne sais pas pourquoi ils ont dit cela. La seule chose à laquelle cela me semble renvoyer c’est peut être la question de l’ouverture, qui corrèle souvent à la créativité (mais en pensant en mode WTT, on pourrait dire qu’être créatif amène possiblement à performer plus d’ouverture), et les grands ouverts (mais aussi les extravertis) sont connus pour chercher la nouveauté et l’aventure, donc possiblement improviser des comportements inédits.
La WTT n’infirme pas cela, ni la confirme. Et à vrai dire, je serais vraiment très curieuse de voir un protocole expérimental à ce sujet, je pense qu’il y a possiblement quelque chose de très précieux dans la découverte des déterminants qui nous font avoir soudainement un comportement tout à fait nouveau. Je pourrais trouver des parallèles dans le champ de la créativité, mais ce qui est généralement testé se rapporte davantage à la capacité à trouver des idées singulières, non-conventionnelles, et pas tant des comportements inattendus ou nouveaux pour la personne.
« Notre personnalité nous incite à sélectionner des situations »
La WTT ne dit rien à ce sujet, mais face à une situation on l’interprète et on réagit différemment selon nos traits les plus marqués et on y réagit différemment. Les expériences2 dans le cadre dispositionnel montrent effectivement que les gens sélectionnent parfois les situations selon leur trait moyen.
« Les traits affectent la perception que nous avons des événements »
Oui, la WTT le confirme lorsqu’elle montre par exemple que contrairement aux autres, les extravertis ne diminuent pas leur extraversion lorsqu’ils sont entourés d’inconnus, mais au contraire tiennent à la maintenir, car ils estiment que c’est une bonne stratégie pour se connecter aux autres. On peut le voir aussi avec les hauts consciencieux qui face à une situation de travail vont monter au maximum leur conscienciosité, mais la descendre drastiquement hors travail, faisant faire les montagnes russes à leur état de trait.
« La personnalité est stable dans le temps et en moyenne »
Oui, la WTT le confirme, mais uniquement pour la moyenne des états. Au jour le jour, on expérimente tous les niveaux de traits, au point qu’on diffère plus de nous-mêmes que des autres.
McCrae et Costa insistent pour dire que l’environnement n’aurait aucune influence
C’est faux, comme le montre la WTT avec la variation énorme d’un trait comme l’extraversion par exemple (on était à plus de 70 % de variance intra-individuelle), mais aussi quantité d’études sur le changement suite à des changements de rôles sociaux, d’environnements sociaux ou d’apprentissage tels que nous l’avons rapporté dans l’article 7.
McCrae et Costa disent que les différences de personnalité entre les genres démontreraient que c’est uniquement biologique
C’est un raisonnement qui n’est pas soutenu, car les recherches montrent que les différences entre genre varient selon la société, donc que ce n’est pas « biologique ». Les rôles sociaux ont une influence et changent la personnalité des hommes comme des femmes, là encore les études ne manquent pas (cf l’article 7).
McCrae et Costa disent que comme les Big Five seraient universellement trouvés, ça serait dès lors naturel et stable
Je ne trouve pas de soutien à cet argument, étant donné que de nombreuses théories trouvent aussi des phénomènes universels et ce n’est pourtant pas interprété comme codé dans une nature séparée du social.
McCrae et Costa affirment que les animaux ont des traits, donc que c’est naturel et stable
Là encore, je ne trouve aucun soutien à cet argument. Les animaux sont tout autant influencé par leur environnement et peuvent changer en fonction.
McCrae et Costa affirment que comme c’est dans les gènes, alors la personnalité ne change pas
Il y a bien des liens avec les gènes ou des structures physiologiques, cependant il s’agit de liens. On ne peut pas savoir avec ce lien si une structure neurophysiologique cause telle hauteur de trait ou si c’est parce qu’il y a telle hauteur de trait régulièrement que la structure neurophysiologique est maintenant changée ainsi. Toute la WTT et les recherches sur le changement démontrent que le changement est possible, et parfois individuellement très important, même s’il n’y a eu aucun événement affectant la physiologie de la personne (par exemple, les changements suite à une thérapie ou encore après avoir fait une thèse à la fac, ci-dessous).
[article 6, 7, 8, 9] Les critiques du modèle dispositionnel
Le champ de la personnalité, c’est inutile pour guider le changement humain
Effectivement si on reste dans la perspective de McCrae et Costa, oui, c’est inutile. Mais si on l’envisage comme pouvant changer (via toutes les recherches sur le changement) ou dans le cadre de la WTT, là elle guide le changement, puisqu’on voit ce qui la fait varier (les buts, les interprétations, la situation, etc.).
Dans un article de recherche couplant WTT et autodétermination, Jayawickreme, Zachry, & Fleeson, (2018) abordent à quoi pourrait servir le champ des états de personnalité :
- On pourrait envisager des interventions pour formuler des buts efficaces qui amènent à performer des traits d’extraversions, ceux étant liés aux émotions positives.
- On pourrait développer des interventions pour promouvoir l’énaction de traits, c’est-à-dire arriver à désactiver certains traits quand c’est le moment, mais sans perdre la capacité de les activer au bon moment :
« Pour donner un exemple, un employé peut apprendre à agir de manière consciencieuse au travail tout en conservant la possibilité d’agir de manière moins consciencieuse à d’autres moments, en particulier dans des contextes où l’importance de la conscienciosité peut ne pas être aussi importante. »
Jayawickreme, Zachry, & Fleeson, (2018)
- Cela pourrait permettre d’aider à la croissance post-traumatique (des événements hautement négatifs peuvent être surmontés et servir de tremplin à une croissance psychologique – c’est approximativement le « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » de Nietzsche). Cette croissance post-traumatique est associée à des traits comme l’ouverture, l’extraversion et l’agréabilité (Jayawickreme & Blackie, 2014)
« Ainsi, la promotion d’états ouverts, extravertis et/ou agréables pourrait conduire à un changement psychologique positif suite à une adversité personnelle. Bien que ces spéculations doivent être vérifiées par des recherches prospectives approfondies, de telles interventions peuvent aider les individus à adopter ces traits de comportement dans des domaines de vie pertinents à la suite de l’expérience de l’adversité. À titre d’exemple, les chercheurs peuvent identifier les manifestations comportementales pertinentes de l’extraversion, puis aider les survivants de traumatismes à adopter ces comportements afin d’explorer les opportunités de grandir et d’extraire un sens de leur lutte avec des événements difficiles. »
Jayawickreme, Zachry, & Fleeson, (2018)
- Il y a possiblement un pont à faire entre les thérapies basées sur la narration et le modèle de la WTT, parce que :
« Les stratégies narratives pourraient être un outil puissant pour augmenter le changement de personnalité. Grâce au processus de suggestion stratégique d’histoires spécifiques, les cliniciens peuvent influencer la façon dont les gens donnent un sens à la manière dont les expériences difficiles s’inscrivent dans leur passé, les conduisent au présent et préparent leur avenir. Lorsqu’elle réfléchit à l’adversité, une personne peut utiliser les mêmes faits pour raconter différentes histoires : par exemple, la même information peut informer une histoire de ruine et de désespoir par rapport à une histoire de douleur et de rédemption ultérieure. Les stratégies narratives représentent un puissant mécanisme de personnalité à cibler dans les interventions. Il faudrait cependant déterminer l’efficacité de ces interventions dans un cadre expérimental avec une manipulation proche de celle employée par Fleeson et al. (2002) avant de les appliquer à des populations plus vulnérables. »
Jayawickreme, Zachry, & Fleeson, (2018)
Autrement dit, oui une théorie de personnalité qui se focalise sur la stabilité est improductive quant au bien être humain, alors qu’une qui se focalise sur les variations amène à penser des tas de solutions vers un changement positif, puisque la variation et le changement sont considérés comme accessible aux personnes.
Le champ de la personnalité a un gros problème de raisonnement circulaire qui amène à la rendre inutile
Ce raisonnement circulaire c’était de dire par exemple que si quelqu’un souffre, c’est parce qu’il est haut névrosé, qu’il est « naturellement » fragile et « misérable », et ce parce qu’il est haut en névrosisme.
Dans beaucoup d’interprétations dispositionnelles de la personnalité, on tombe rapidement sur ce raisonnement circulaire totalement infécond.
Mais la WTT permet de mettre fin à ce raisonnement circulaire en faisant du trait une performance finale qui est expliquée par une synthèse entre buts, physiologie, situation, motivation, valeurs, etc. La personnalité devient une conséquence, ainsi un haut névrosé l’est à cause de la situation, des buts, d’interprétation de la situation, d’événements physiologiques (etc.). C’est-à-dire tout autant de points pour lesquels on peut tenter d’améliorer la situation, contrairement au raisonnement circulaire et naturaliste pour lequel on ne peut que constater que ça ne va pas, car ça ne va pas de « nature ».
Les traits sont des abstractions qui ne renvoient pas à des actions contextualisées et forment des agglomérats inconsistants
Oui, lorsqu’on envisage une mesure uniquement par questionnaire et que l’on a que ça.
Mais avec l’ESM, tout change, car d’une part on contextualise au moins 4 fois par jour la personnalité, on la croise donc avec les divers temps de la personne, voire d’autres variables précises et concrètes : à telle heure, dans telle activité et telle caractéristique de la situation, untel était très extraverti alors qu’en moyenne il est introverti. L’abstraction est levée dès lors qu’on peut y associer des variables situationnelles précises. L’agglomérat inconsistant (par exemple agglomérer le fait d’aimer goûter de nouveau plat avec le fait d’être curieux des idées politiques controversées) est également levé avec les méthodes de l’ESM puisque les traits ne sont pas testés par des éléments de la sorte. À la place, on teste directement les adjectifs par exemple « être sociable » à telle heure, telle situation, dans telle circonstance. La cohérence apparaît dans l’analyse de l’ESM de la personne, et sa sociabilité peut apparaître comme généralisée (elle est sociable tant dans des situations d’anonymat que des situations amicales) ou uniquement dans certaines situations.
La personnalité ne sert finalement qu’à évaluer les gens, à les sélectionner
Actuellement, oui, que ce soit dans la recherche ou dans le monde professionnel qui n’utilisent que le questionnaire et son interprétation dispositionnelle, voire qui y superposent des idées complètement essentialisantes. Même l’usage en clinique (donc avec pour viser d’aider le patient) me semble rare (mais je peux me tromper). On a vu que les cliniciens utilisaient les informations du questionnaire également pour évaluer et contrôler la personne, et qu’ils avaient tendance à naturaliser les traits aussi.
La mesure de la personnalité par ESM et son interprétation WTT me semble impossible à utiliser pour un usage de recrutement par exemple, parce que c’est un protocole très lourd à mener et à analyser. Je pense qu’aucun employeur ne serait intéressé de savoir que son travailleur varie beaucoup et que ça ne va pas du tout lorsqu’on lui impose des tâches (augmentation du névrosisme dans les situations typiques de travail par exemple). Et quant bien même il y aurait un intérêt sincère d’améliorer l’entreprise, en prenant en compte les défauts structurels, faire passer un ESM aux employés serait éthiquement immoral, constituerait une grave intrusion dans l’intimité de la personne parce qu’on accède alors à une masse de données privées énormes.
La méthode de l’ESM n’offre donc pas vraiment d’utilité évaluative pour celui qui gère ou organise un événement ou un environnement social.
L’intérêt de la WTT réside à mon sens dans la compréhension du changement de comportement, comment certaines personnes différent face à un même événement (et pourquoi), comment on pourrait en tirer des leçons thérapeutiques, comment on pourrait en tirer des leçons organisationnelles (n’y a-t-il pas à changer la structure du travail qui augmente le névrosisme de tout le monde ?), etc. Autrement dit, la WTT me semble une excellente piste pour remettre la personnalité dans sa place académique psychologique qu’est de comprendre la personne, ses singularités et comment l’aider et non plus uniquement comme y voir une variable qui contrôle.
Hors terrain académique, je suis face à un casse-tête : c’est un protocole trop lourd pour se l’emparer personnellement, mais d’un autre côté c’est dingue ce que cela peut apprendre sur son rapport aux situations et sur ses propres dynamiques, donc c’est dommage de ne pas avoir ça à disposition facilement. Je garde l’espoir que ça puisse être utilisé, en tout cas je vais continuer à bidouiller le sujet.
On aurait davantage besoin d’études idiographiques et de 4500 termes différents pour décrire la personnalité plutôt que la chair à saucisse des 5 traits

Et effectivement, il manque toujours plus de vocabulaire pour rendre hommage à la singularité de chacun. Personnellement, je serais aux anges de découvrir que tous les ESM passés puissent être décrits par chacun des sujets à chaque instant. On aurait tout rassemblé et on aurait là une richesse situationnelle et personnelle autour des traits qui constituerait une très riche base de données. La WTT pourrait être un modèle apte à contenir tout ceci, mais ce serait un projet gigantesque.
Mais la question qui me turlupine face à ce fantasme, c’est pour quelle visée on ferait un tel travail. Pour écrire ce dossier, j’ai rangé par traits et facettes toutes les données que j’apprenais et lorsque je vois ce travail pourtant extrêmement incomplet, je n’ai pas envie de le partager3 parce que son usage le plus logique est le profiling, et on fait du profiling pour contrôler, exploiter, manipuler. Le contrôle n’est pas forcément mauvais en soi, on peut faire du profiling pour stopper, empêcher la destructivité d’un individu, d’un groupe ou d’un environnement social sur d’autres personnes ; mais ce but est facilement détournable et peut servir au contraire à détruire un individu, un groupe ou un environnement social constructif et innocent.
Il y a besoin de garde fou éthique qui cadre tout cela, d’une formulation qui soit apte à dégoûter les manipulateurs de son usage, ou au moins, qu’une contre-manipulation soit déjà formulée et prête a l’emploi. Or il n’y en a pas totalement, et c’est ce qui s’est passé avec Cambridge Analytica : ils avaient ce que pourrait compiler une étude semi-idiographique à travers le filtre de la WTT, à savoir les moyennes des traits, leurs associations avec des expressions, des données sociodémographiques et un contexte clair et délimité (Facebook entre autres). Et comme je le disais dans le dossier de Cambridge Analytica, on peut se prémunir numériquement, politiquement, mais que faire face à un manipulateur qui a à la fois en main le contexte et toutes les données personnelles de sa cible ? Il saura la séduire, il saura l’envoyer dans une direction ou une autre.
Personnellement, oui je ne peux m’empêcher de rêver de feuilleter cette ultra base de données qui rassemblerait à la fois perspective idiographique et nomothétique au sujet des états de personnalité comme de tout ce qui les expliquent, mais d’un autre côté ce savoir serait une bombe nucléaire aux mains des manipulateurs, des exploiteurs. Il y a besoin de développer en même temps des moyens de contrer les usages destructifs.
Le questionnaire de personnalité est inutile dans le recrutement parce qu’en fait les employeurs cherchent avant tout des obéissants
La WTT ne contredit pas cet aspect ni même d’autres études dans le champ dispositionnel. Personnellement, je pense que dans certains métiers à risque, il n’est pas inutile d’exclure des profils à haute triade noire : un sadique dans un métier de soin, c’est une catastrophe, il va se satisfaire et chercher à faire souffrir des patients parce que c’est son kiff. Pour protéger les personnes, faire le métier dans les règles, ce genre de profil ne doit pas entrer dans la structure. Mais seuls des scores extrêmes sur le big five peuvent faire potentiellement repérer des profils antisociaux (basse agréabilité, conscienciosité notamment), or on sait qu’en contexte professionnel ou de recrutement, les personnes peuvent donner un faux profil de candidat idéal. En plus, les profils antisociaux ont du plaisir à mentir, donc ils ne montreraient rien des caractéristiques qui débusquent leur sadisme par exemple.
Globalement, j’ai du mal à voir l’intérêt d’utiliser des questionnaires de psychologie en contexte professionnel. S’il s’agit d’évaluer la personne pour voir si elle convient à un poste, autant la mettre en situation, dans son rôle, ou évaluer la compétence précise qui lui est demandée, par des personnes qui connaissent le rôle en question, ont la compétence en question. Donc oui, personnellement ça me paraît inutile dans le but de recrutement.
En fait, la personnalité est une mesure de l’utilité sociale
Avec la WTT on voit qu’on performe des traits pour répondre à nos besoins, à la situation, à notre interprétation de la situation, pour accomplir nos buts : la performance a donc une utilité sociale – pour la situation et ceux qui la supervisent – (par exemple, Xavier est amusant comme attendu par Kate qui l’a invité parce qu’il paraissait fun), mais aussi social-personnelle dans un sens où il peut y avoir un accord personnel avec la situation sociale (Xavier sent extrêmement bien quand il peut être amusant, ainsi non seulement il accepté l’invitation, mais se fait un plaisir d’être encore plus fun que lorsque Kate l’a repéré).
Avec la WTT on voit aussi que les gens résistent à ce qui est demandé par la situation sociale : face à une situation de travail, les moins consciencieux vont l’être à peine plus que d’habitude. Et les plus consciencieux vont réagir différemment en donnant tout, mais juste durant la situation, puis en étant au plus bas par la suite.
Alors est-ce que face ces résultats on peut encore soutenir que la personnalité est une mesure de l’utilité sociale ? On pourrait dire que les états portent leur utilité sociale, mais pas que, il y a toute une soupe de facteurs qui fait que l’individu va être ou non en affordance avec la situation, et cela peut ne pas durer du tout.
Les accrétions chroniques et la moyenne des états pourraient être traduites comme l’utilité sociale que performe la personne en général, et que cela est sans doute perçu comme ayant de la valeur par le pouvoir social à laquelle elle est soumise actuellement, sinon, elle ferait autre chose. Et ça peut être le cas. Mais le problème, c’est qu’en rester là nie encore les capacités d’autodétermination de la personne, or on voit des gens qui persistent à être chroniquement agréables dans des situations où leur utilité sociale est mesurée à hauteur de leur capacité à aller vite, abattre les tâches, ne surtout pas passer du temps à socialiser de façon agréable (CF etp).
Donc qu’importe la perspective dispositionnelle ou totale, je pense que la question de l’utilité sociale d’une performance de personnalité reste toujours un point à considérer avec attention parce que oui, on est souvent massivement soumis dans nos vies, de façon directe avec des structures hiérarchiques, comme indirectes avec diverses pressions sociales culturelles. Mais il manquerait quelque chose à l’analyse si l’on n’envisage pas des formes d’utilité sociale-personnelle possibles, car cela revient à nier l’existence de désobéissants, d’autodéterminés et d’autodéterminateurs. Sans même parler de ces étincelles de libre arbitre, la personne peu émancipée de par son environnement étant souvent forcée de prendre ses propres décisions, hors des ordres : il y a une concurrence entre (voire en leur sein) environnements sociaux qui nous demandent des utilités sociales incohérentes et incompatibles (comme être dynamique dans un métier qui nécessite de rester devant son PC, par exemple), et nos choix personnels face à ces contradictions (singer le dynamisme quand c’est le moment, mais ne pas vraiment le vivre au quotidien, car c’est insensé dans ce métier, ou être dynamique parce qu’on kiffe bouger dans tous les sens, qu’importe si on a fini le travail moins rapidement). Ainsi, même lorsqu’on est surdéterminé par les environnements sociaux, comme ceux-ci sont contradictoires, même l’individu le plus soumis et le moins autonome est forcé parfois de prendre des décisions, de composer avec les contraintes et les incohérences.
La théorie totale [Article 10 ; 11 ; 12 ; 13 ; 14]
Comme je l’ai déjà dit, la WTT est une théorie jeune, il y a peu de critiques. Personnellement, j’ai juste des réticences avec leur emploi des adjectifs de Goldberg surtout sur la catégorie intellect.
Voici ce que je garde personnellement de la WTT dans la liste ci-dessous, notamment pour le potentiel d’empuissantement que ces nouvelles règles peuvent représenter :
- Tout le monde expérimente à peu près tous les niveaux de traits au quotidien.
- On a plus de chances d’être dans un état de personnalité très similaire à notre voisin qu’à nous-mêmes à un autre moment.
- En fait, le questionnaire de personnalité habituel donne approximativement la moyenne de nos états et leur maximum possible, mais tout le reste est invisible. L’ESM permet de faire de la lumière sur toute la variation autour.
- Les différences entre les gens ne sont pas forcément dans les comportements extrêmes, mais dans la fréquence moyenne de comportements peu spectaculaires.
- Il y a des situations qui nous sont plus ou moins psychoactives selon nos moyennes, c’est-à-dire prompt à l’émergence de traits et pas à d’autres (pour l’extraversion, l’heure et la présence de personne qu’on aime par exemple).
- Face à une même situation, certains vont avoir des changements d’états de personnalité contre-intuitifs en fonction de leur moyenne (les bas agréables vont être désagréables avec leurs amis, agréables avec des inconnus ; les moins consciencieux ne vont pas hisser leur conscienciosité en situation de travail dur, alors que les hauts vont la hisser très fort puis la baisser très fortement).
- On manifeste un type de trait pour atteindre un but, donc le but précède l’état de personnalité.
- Un trait n’est pas la cause d’un comportement, mais la mise en scène synthétique de tout ce qui est dans la partie traitsEXP du schéma ci-dessus.
- La WTT estime que la personnalité est prédictible à partir d’une situation et des buts que se donnent un individu à un moment donné.
- La WTT n’estime pas que c’est une disposition, mais parle plus volontiers d’état de personnalité que la personne adopte si la situation, leurs besoins, leur physiologie, leurs motivations et interprétation des situations le leur permettent et donnent leur feu vert pour cette performance.
Et ce que je retiens de son association avec l’autodétermination :
- Les manifestations de traits sont des outils pour satisfaire les besoins.
- Notre personnalité s’approche de notre idéal de traits lorsqu’on est en compagnie de personnes soutenant l’autonomie et dans des rôles sociaux dans lesquels on peut être pleinement authentique.
- Le soutien à l’autonomie de la part d’une personne envers une autre est lié à une agréabilité et une ouverture haute en premier lieu. Lorsque ce soutien perdure dans le temps, c’est parce que la personne a une orientation à l’autonomie.
Autrement dit, je ne conseillerais pas d’aller chercher du soutien de la part de personnalités autoritaires (RWA comme SDO), puisqu’ils ont une performance de personnalité inverse (bas agréable pour les SDO, basse ouverture pour les RWA) et une orientation de causalité vers le contrôle. Ceci étant dit, ils peuvent changer.
- Lorsqu’on est dans des rôles sociaux où l’on peut se sentir authentique, c’est-à-dire pleinement soi, nos traits augmentent et le névrosisme diminue.
Si vous avez un doute sur qui vous aimeriez être, vous pouvez prendre le descriptif de chaque facette et le jauger au vu de vos valeurs, attentes, de ce que vous aimez ou pas et ainsi décider pour chaque point ce qui vous plaît le plus. Il y a besoin d’écarter de ce brainstorming tout ce qu’on voudrait pour être bien vu/réussir tel autre objectif et il faudrait plutôt se concentrer sur les bénéfices intrinsèques, à savoir ce que vous, en tant que personne singulière, aimez pleinement sentir/vivre/être directement. Par exemple, vouloir être plus assertif pour avoir un plus gros salaire, ce n’est pas viser sa propre personnalité idéale, mais l’idéal de l’entreprise dans lequel vous êtes et qui rémunère plus les personnes assertives.
- L’orientation de causalité reflète, en partie, l’accrétion des interprétations et raisons déterminant le comportement, dans des patterns relativement stables dans le temps.
Par exemple, l’orientation de causalité vers le contrôle, lié au RWA ou SDO, est la résultante d’interprétations et de réflexions qui les conduisent respectivement à être bas ouvert pour le RWA, bas agréable pour le SDO. Parce qu’ils interprètent l’environnement comme cherchant à les contrôler, alors ils se méfient des gens, alors ils expriment une basse agréabilité. Pour les aider à sortir de ce pattern pour les SDO, il y aurait à les convaincre ou leur prouver que l’environnement ne cherche pas à les contrôler en permanence, ou leur montrer des possibilités qu’ils n’avaient pas perçus.
***
Si vous ne devez retenir qu’une seule chose, c’est que la personnalité est flexible, que tous ses traits et facettes sont des outils au service de nos buts, de nos besoins, que la personnalité est comme une trace de nos conditionnements et habitudes, conséquence des sapages ou nourrissement par des environnements sociaux. Elle est une mise en scène, et comme n’importe quel acteur ou actrice, on peut changer de rôle, de performance, ce qui changera le scénario en cours dans les environnements sociaux. Ceux qui veulent au contraire maintenir le caractère normatif de ces environnements sociaux s’attendent souvent à ce que l’on reste fixé dans du plâtre pour mieux nous prédire et nous contrôler.

On peut décider sciemment de stabiliser des traits qui nous amènent à plus de bien être (cela ne veut pas dire bonheur, c’est à prendre de façon littérale, c’est-à-dire à être bien dans l’existence, y compris lorsqu’elle est tornade), de comportements prosociaux et de justesse : ça demande parfois de la furtivité, de la résistance, du courage, mais cela n’a rien d’un élan immatériel de volonté surpuissante, d’intellect ou de pensées positives, mais d’un pragmatisme consistant à s’organiser et à agir directement sur le terrain. On n’est pas plus altruiste en pensant juste que c’est dommage qu’il y ait de la souffrance, mais en affrontant un danger, une difficulté, un obstacle pour aider autrui. Ainsi, c’est pour cela que je ne crois pas à l’idée d’un développement uniquement personnel4 : personne ne s’améliora, ne changera, juste par soi-même. On ne change que lorsque socialement on agit différemment, lorsqu’on trouve un terrain social différent qui nous ouvre des possibilités.
Et les environnements sociaux ne gardent leur statu quo que si les gens y jouent dans les règles, respectent les buts, selon les rôles attendus : si on change (sournoisement ou non) les rôles, les règles, les interactions, alors le jeu commence à se transformer.
La prochaine fois, on verra que faire de tout ceci !
La suite et fin :
PP16: TOUT, PARTOUT
Note de bas de page
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
1 Nellis 2011 ; pour une revue de la question, voir Rolland 2004
2 Emmons, Diener et Larson 1985 ; Rohrer et Lucas 2018 ; Wilt, Revelle 2019 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6168084/ ; Jackson, Thoemmes, Jonkmann, Trautwein 2012 ; Rauthmann, Sherman, Nave, Funder, 2015 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0092656615000082 ; Rudolph, Katz, Lavigne, Zacher 2017 https://www.researchgate.net/profile/Hannes-Zacher/publication/317128663_Job_Crafting_A_Meta-Analysis_of_Relationships_with_Individual_Differences_Job_Characteristics_and_Work_Outcomes/links/59c81649458515548f37c0ae/Job-Crafting-A-Meta-Analysis-of-Relationships-with-Individual-Differences-Job-Characteristics-and-Work-Outcomes.pdf
3 Oui j’avais dit que je donnerais tout, mais j’ai changé d’avis Ceci dit toutes ces listes de corrélations et d’études sont accessibles ailleurs, un livre comme celui de Rolland 2004 en fait une revue très dense, et il y a quantité d’ouvrages en anglais qui rassemblent ces milliers d’études et leurs résultats.
4 Même la thérapie n’est en rien un développement personnel à mon sens, je l’envisage comme la rencontre avec un environnement social sécurisant qui ne sape pas nos besoins, où l’on peut donc explorer tous nos problèmes sans crainte d’être jugé (ce qui permet de mieux se comprendre, de mieux comprendre la situation, et donc trouver des solutions), où le psychologue peut nous aider à trouver des outils qui combleront davantage nos besoins, nous permettant de continuer l’exploration de nous-mêmes avec plus d’autonomie.
L’article ♦PP15: Tout à la fois est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 03.07.2023 à 10:28
♦PP14 : L’autodétermination et les états de personnalité
On a vu précédemment que le champ de l’autodétermination (qui porte sur les motivations) ne s’était pas réellement intéressé à la personnalité. Les modèles dispositionnels rendaient hors sujet les motivations ou postulaient que c’était uniquement les traits qui nous motivaient, sans que l’environnement social ait une quelconque influence sur le fait de nourrir ou saper nos motivations. Mais l’arrivée de la WTT a changé la donne.
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
Oui, mais d’abord, c’est quoi la théorie de l’autodétermination ?
La théorie de l’autodétermination (ou SDT self-direction theory) est une théorie de psychologie sociale portant sur la motivation : plus nos motivations peuvent être autonomes, déterminées par nous-mêmes, plus elles nous apportent du bien-être, du sens dans nos vies, répondent à nos besoins psychologiques de compétence, d’autonomie et de proximité sociale.


Et pour accéder à ces motivations autonomes, il ne s’agit pas de se développer personnellement avec l’unique force de sa volonté, mais d’être dans des environnements sociaux qui comblent nos besoins fondamentaux, au moins à un moment donné. Cela nous permet de garder, de développer ou de retrouver des motivations intrinsèques (par exemple des passions) et de construire des motivations autonomes (identifiées, intégrés). Cela passe aussi par déconstruire des motivations introjectées pour décider de ce qu’on va en faire : par exemple, « pour être bien vu ou ne pas avoir honte, je me sens obligé de passer du temps à repasser les draps (motivation introjectée car on se sent obligé et on le fait pour obtenir l’approbation/ne pas être rejeté). Est-ce que consacrer ce temps à repasser est quelque chose qui compte dans mon existence et la vie en général ? Est-ce que c’est une activité qui m’apporte au quotidien ? Est-ce que j’aime les conséquences de cette activité ? Quelles valeurs je donne à cette activité ? Etc… ». Ainsi, une activité n’est pas en soi à motivation intrinsèque ou introjectée, l’individu pourrait avoir une motivation autonome à tout repasser (parce qu’il aime ce geste, cela le détend, il aime beaucoup l’esthétique des draps lisses, etc.) comme introjectée (il a honte s’il ne repasse pas, parce que ses parents l’humiliaient, le regardaient avec dégoût s’il avait un tee-shirt froissé par exemple). On peut être autodéterminé pour n’importe quelle activité, contenu, comme être à motivation non-autonome pour n’importe quelle activité ou contenu. Et ces motivations peuvent varier, évoluer, se transformer, parfois parce qu’on veut changer, d’autres fois parce que des environnements sociaux bienveillants nous ont permis de nous développer, ou encore parce qu’un environnement social a détruit nos motivations afin de nous contrôler.

La puissance d’autodétermination est donc un développement personnel-social ou social-personnel, c’est dans l’interaction avec le social que la personne peut s’autodéterminer et c’est en voulant sincèrement aider et être respectueux que l’environnement social devient autodéterminateur.
Cette théorie est donc très opérationnelle si on a pour but d’améliorer notre sort dans la société, qu’on soit un individu, une organisation ou face à un évènement massivement perturbateur. Par exemple, en Belgique durant le covid, une étude longitudinale permettait de suivre les motivations (à poursuivre des gestes barrières, à se confiner, etc.1) en fonction des événements et de la communication politique : il a été découvert que la motivation à faire les gestes barrières ou à rester confiné dépendait très largement de la politique (et sa communication), parfois cela aidait les gens à maintenir une motivation forte et positive pour eux et les autres, parfois cela sapait tout et transformait les actes en contrainte à laquelle les gens seraient prompts à désobéir, car elle empiétait sur leurs besoins fondamentaux.
Autodétermination X États de Personnalité
La perspective totale des traits, la WTT, laisse conceptuellement place à l’autodétermination, car on voit qu’il y a une forte variance des états de personnalité : la personne expérimente tous les états au quotidien, sans qu’il y ait besoin d’évènements majeurs pour la changer. Elle performe les traits selon ses besoins, selon son interprétation de la situation et les contraintes de la situation elle-même.
Ainsi, l’angle de l’autodétermination est superposable, compatible avec la WTT : les états de personnalité y sont considérés comme des outils pour satisfaire ses besoins de base (McCabe et Fleeson, 2015). Théoriquement, cela veut dire que si on exprime du névrosisme, notamment des facettes telles que « dépression » ou « timidité sociale », c’est qu’on inhibe son comportement pour éviter le sapage de nos besoins fondamentaux. Si on exprime un état d’extraversion, ce serait pour combler nos besoins de proximité sociale et parce l’environnement n’y met pas de veto. Si on performe un état de conscienciosité, c’est pour combler notre besoin de compétence : je travaille dur pour accomplir un projet, et durant ce projet jusqu’à son achèvement, mon besoin de compétence est comblé, peut-être même aussi celui d’autonomie, si j’ai pu activer mes performances d’autodiscipline.
Ainsi, les chercheurs associant le champ de l’autodétermination et la WTT schématisent ainsi ce qui se passe :
On peut imaginer qu’une performance de trait, même à valence positive (comme l’extraversion), peut être punie : l’élève est enthousiaste d’un contenu à l’école, veut partager son émotion positive par prosocialité, par volonté que les autres aient leurs besoins comblés (ce qui décuple souvent notre émotion positive), donc il se met à bavarder. Mais là, il se fait humilier par son professeur qui veut contrôler son comportement. Une performance d’extraversion est donc amenée à être associée à du danger, donc peut potentiellement activer N4 (timidité sociale) ou N2 (colère/hostilité) : quoiqu’il en soit, les bénéfices du contenu intéressant sur les besoins sont alors sapés. Même si l’élève d’à côté, introverti, n’a pas été ciblé par l’humiliation, il enregistre la règle qu’être sincèrement enthousiaste et le partager (ce qui solidifie une motivation intrinsèque via le gain en proximité sociale supplémentaire) est dangereux. Dans les années 80-90, j’ai vu des classes entières se faire forcer de taire toute expression, tout mouvement, à coup d’humiliations, de mépris voire pour certains, de punitions, de claques.
La satisfaction (ou la frustration/le sapage) des besoins serait la conséquence des manifestations de traits. Et les traits seraient des outils pour la satisfaction des besoins, notamment en passant par des buts qui sont des formulations de motivations : quand j’ai pour but de m’amuser, j’ai une motivation intrinsèque à vivre quelque chose d’amusant, ce qui m’amène à me mettre en état d’extraversion avec les autres, afin d’atteindre ce but.
Ainsi, à force d’expériences variées, on va généraliser des performances de traits : par exemple concernant cette classe dont je parle, qu’importe les personnalités moyennes des élèves (qui pouvaient être plus ou moins extravertis dans la cour par exemple), au fil de l’année, tout le monde avait appris à performer de l’introversion en classe, et à surtout ne jamais manifester d’émotions. Cela peut se généraliser, et c’est là à mon sens qu’arrivent les motivations introjectées : qu’importe ce qu’il y a au fond de l’individu dans ses pensées ou ses envies, il y a un « je dois ne pas attirer l’attention » « je dois être invisible » « je ne dois pas montrer mes émotions positives ou négatives » qui devient une loi déterminée par l’extérieur, et ce, même si un autre professeur encourage les échanges et les émotions positives. Plus tard dans ma scolarité, la classe silencieuse ne bougeant pas d’un iota est devenue la norme, au point que personne n’osait répondre à des questions évidentes de professeurs pourtant bienveillants et que nous étions adultes à la fac.
Mais on peut généraliser de façon autodéterminée : on apprend par exemple à être chaleureux dans un métier avec des contacts sociaux, le rôle social demande intrinsèquement cette performance de trait. Et si les conséquences sont positives, il y a comblement des besoins, alors on persiste et à force cela devient notre trait. On s’y identifie « je suis une personne chaleureuse » parce qu’on le performe souvent, on a donc une motivation identifiée autonome pour cette performance de trait. Et peut-être que c’est devenu une motivation très autodéterminée, associée à des réflexions sur des valeurs qui comptent dans notre existence « je veux continuer à être chaleureux parce que cela crée des épisodes de vie bons pour tout le monde, cela permet de connecter les personnes, c’est la façon juste et éthique d’aborder les relations, même difficiles », etc. Et cette motivation à performer l’état de chaleur le plus souvent possible serait autodéterminée, parce que même dans un environnement social qui punit cette chaleur (obligation de traiter les gens avec froideur, distance, mépris), l’individu persisterait à trouver des solutions pour être chaleureux et agréable avec les gens.
Les deux théories se complètent donc à merveille. Voir les traits comme des états et performances associés à nos besoins fondamentaux permet de diagnostiquer ce qui se passe dans un environnement social donné ou comment des environnements sociaux passés ont laissé leurs traces des sapages ou nourrissement des besoins sur la personne.
Le champ de l’autodétermination permettrait de compléter les « traitsEXP » (voir ci-dessous) qui précède les performances, mais aussi l’après-performance du trait qui est renforcé ou puni par l’environnement social, décourageant ou encourageant à le reproduire.
Mais est-ce que ce mariage entre la WTT et la SDT est réellement compatible ? Bien qu’il y ait peu d’études encore, il y a des ponts évidents.
Études mêlant autodétermination et personnalité
Ici on voit des études qui tentent de lier le champ de l’autodétermination et de la personnalité. L’usage de la méthode ESM est assez récent, par conséquent la personnalité est ici principalement mesurée de façon classique par questionnaire.
Les traits, les motivations et l’exercice physique
Ingledew, Markland, sheppard (2003) ont étudié les traits et les motivations dans le cadre de l’exercice physique. Voici les corrélations qui ont été trouvées :
On voit qu’il y a un petit lien positif entre le névrosisme et les régulations externes introjectées pour l’exercice et négatif avec les motivations autonomes (régulation intrinsèque, identifiée).
Autrement dit, si j’interprète ce résultat selon le cadre de la WTT et de l’autodétermination : des environnements sociaux auraient transmis le contenu « exercice » d’une façon contrôlante ou sapante des besoins (« il faut faire de l’exercice, sinon tu ne vaux rien ! »), ce qui aurait amené l’individu à avoir une régulation introjectée pour l’exercice (« je dois faire de l’exercice, sinon ce sera la honte » « je dois faire de l’exercice pour être bien perçu »), ce qui l’amène en partie à exprimer un haut névrosisme. Je précise en partie, parce que d’autres phénomènes intérieurs ou extérieurs pourraient être la cause de cette expression de névrosisme, que les corrélations ne soient que petites indique clairement que d’autres facteurs jouent.
On voit ici toute l’ambiguïté de la situation du haut N : il se force, mais son expression de névrosisme lui dit de fuir, parce que c’est quelque chose qui n’est pas autodéterminé.
Personnellement, j’en suis venue à penser que toute expression du névrosisme est un appel chaque fois singulier à se poser et à réfléchir à ce qu’on veut vraiment, à ce qu’on doit quitter, changer, transformer. En cela, le névrosisme est un signal très utile — même s’il est extrêmement pénible à vivre — pour commencer à transformer notre vie/les situations. C’est souvent un appel tout d’abord à fuir les environnements sapants, s’en distancier ou encore prendre du repos, ou obtenir de l’aide nécessaire pour se remettre de leurs sapages. Puis il s’agit de décider. Ce n’est qu’une fois les ressources retrouvées, les décisions prises qu’on peut ensuite agir de façon cette fois autodéterminée. C’est un défi très difficile, mais la transformation qu’il peut amorcer est profondément utile : on se réhumanise en prenant le courage de se reposer, on quitte les carrières sapantes, les relations qui nous sont sapantes, on se libère, on développe un courage de changer les situations, on apporte un nouveau sens à nos vies en agissant socialement, en créant, etc.
On voit également dans cette étude qu’il y a un lien entre extraversion et régulation identifiée ou intrinsèque.
Si j’interprète selon l’autodétermination et la WTT, cela peut donner ceci : des environnements sociaux auraient transmis le contenu « exercice » d’une façon nourrissant les besoins et permettant alors de s’identifier à l’activité (avec des personnes-modèles faisant de l’exercice, à laquelle la personne veut s’identifier) ou d’en voir les attraits intrinsèques (comme se sentir bien dans son corps et sa tête, le plaisir de se sentir actif, etc.). Ainsi, cette bonne transmission permet une expression de l’extraversion qui aide à solidifier cette motivation et qui est aussi la conséquence de la bonne transmission de départ (la personne a appris que cela peut être source d’amusement, se donne donc le but de s’amuser, donc exprime de l’extraversion à travers cette activité).
On voit qu’il y a un lien négatif entre ouverture et régulation externe. Autrement dit, si j’interprète selon les deux théories, on pourrait dire que lorsque les environnements sociaux transmettent le contenu exercice d’une façon réellement libre, la personne peut suivre ce contenu tout en y exprimant une ouverture. Mais si l’environnement social oblige à faire de l’exercice, alors la personne n’exprime pas de l’ouverture ou bien ceux qui veulent performer de l’ouverture quittent l’activité. Ici, je trouve difficile d’y accoler les potentiels buts déclenchant l’état d’ouverture, car ceci n’ont pas été éclairés par la recherche. Ceci étant dit, mon hypothèse est que l’un des buts déclenchant l’ouverture est peut-être la recherche de nouvelles possibilités, de découvertes, donc une espèce de soif de liberté et de curiosité. Ainsi c’est incompatible à tous niveaux avec la régulation externe générée par les obligations, qui représente une absence de liberté.
On voit aussi un lien négatif de la conscienciosité avec la régulation externe et un lien positif avec la régulation intrinsèque.
Les chercheurs supposent que les individus extravertis sont capables de se sentir autodéterminés parce que l’exercice peut satisfaire le besoin de proximité sociale, tandis que les individus consciencieux sont capables de se sentir autodéterminés parce que l’exercice peut satisfaire le besoin de compétence. Dans le même ordre d’idées, le constat spécifique d’ouverture (inversement associé à la régulation externe) peut refléter un besoin d’autonomie.
Les chercheurs supposent aussi que les individus consciencieux trouverait un moyen de rendre les activités satisfaisantes, car Little, Lecci et Watkinson (1992) ont découvert que la conscienciosité était en lien avec la « signification » des projets personnels (importance, plaisir, identité de soi et absorption)et qu’ils ont la « capacité de rendre agréables les projets qui leur sont demandés par d’autres ou de transformer des activités banales en entreprises estimables »2.
Si on prend nos deux théories, une transmission non contrôlante, satisfaisant les besoins amène à des régulations autonomes qui laissent alors s’exprimer la conscienciosité, l’extraversion et l’ouverture. Ces états de traits amènent à combler respectivement le besoin de compétence, de proximité sociale et d’autonomie. Et c’est un cercle vertueux qui s’enclenche, pouvant potentiellement se généraliser, tant que l’environnement social ne devient pas sapant.
Les besoins fondamentaux et les traits
Au japon, en 2016, Nishimura et Sutzuki ont étudié le lien entre besoins fondamentaux et traits :
satisfaction |
frustration |
|||||||
autonomie | prox soc | compet | total | autonomie | prox | compet | total | |
e | 0,30 | 0,41 | 0,30 | 0,44 | -0,20 | -0,23 | -0,28 | -0,30 |
c | 0,07 | 0,13 | 0,23 | 0,18 | -0,14 | -0,18 | -0,28 | -0,25 |
n | -0,28 | -0,20 | -0,33 | -0,35 | 0,29 | 0,24 | 0,43 | 0,41 |
o | 0,32 | 0,20 | 0,48 | 0,48 | -0,09 | 0,07 | -0,26 | -0,15 |
a | 0,23 | 0,17 | 0,29 | 0,30 | -0,13 | -0,22 | -0,21 | -0,24 |
Globalement on voit que le névrosisme est associé à une insatisfaction des besoins fondamentaux et à une frustration (le pire étant la frustration du besoin de compétence), alors que les autres traits sont globalement associés à une satisfaction des besoins, les plus fortes associations étant la satisfaction de la proximité sociale avec l’extraversion, la satisfaction de la compétence avec l’ouverture.
On peut interpréter ceci selon deux mouvements à la fois : l’individu pouvant exprimer une extraversion (ou C, A, O) dans l’environnement social, il va pouvoir combler ses besoins de proximité sociale (ou de compétence pour O) et potentiellement persister à chercher les situations où il peut exprimer cette extraversion. Et cela est permis de base par un environnement qui offre cette opportunité d’expression ou ne la sape pas. Ainsi les hauts en N n’ont peut-être pas accès à des environnements qui leur permettent de satisfaire leurs besoins ou les punit : au vu de la frustration de leur besoin de compétence, ils sont peut-être dans des environnements qui les font percevoir comme nul, incompétent, incapables, ou punissant/dénigrant leurs initiatives. Ou peut-être que des environnements passés ont sapés tellement leur besoin qu’ils n’arrivent plus à voir les opportunités leur permettant de satisfaire leurs besoins, bref, être en impuissance acquise.
Proposée en 1975 par Seligman, puis reformulée par Abraham et de Teasdale sous le nom d’impuissance acquise (ou résignation acquise), c’est un sentiment d’impuissance permanente et générale qui résulte du vécu d’un animal ou d’un humain. L’impuissance acquise est provoquée par le fait d’être plongé, de façon durable ou répétée, dans des situations en lesquelles l’individu ne peut agir et auxquelles il ne peut échapper. L’impuissance apprise se rapproche de la dépression, de l’anxiété, et du désespoir, et est corrélée à ces types de souffrances psychiques
définition reformulée à partir de wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Impuissance_apprise#cite_note-1
ESM de la personnalité et des besoins
Les chercheurs (Church 2013 https://www.webpages.uidaho.edu/klocke/publications/2013%20Church%20etal%20within-individual%20variability.pdf ) ont mené une étude utilisant la méthode de l’ESM dans 5 pays différents (Japon, Chine, Philippines, Venezuela, et États-Unis), mesurant les états de personnalité mais aussi la satisfaction des besoins d’autonomie, de compétence, de proximité sociale, d’actualisation de soi (penser que les actions ont un sens important dans sa vie), de plaisir-stimulation (ressentir du plaisir, de l’enthousiasme).
Ils ont découvert que la satisfaction des besoins représente de 20 à 45 % de la variabilité intraindividuelle des traits. Le sens de la causalité n’était pas connue, mais on peut supposer que les gens changent d’état en partie pour satisfaire leurs besoins fondamentaux ; ou bien que la satisfaction des besoins fondamentaux fait changer d’état.
Des traits qui varient selon les rôles sociaux et la façon dont ils sapent ou nourrissent les besoins
Sheldon, Ryan, Rawsthorne et Ilardi (1997) ont émis l’hypothèse qu’il y aurait probablement une variabilité considérable des cinq grands traits selon les rôles de la vie, comme être étudiant, employé, enfant, ami ou partenaire amoureux. Les chercheurs ont demandé aux participants de décrire le degré auquel ils se sentaient authentiques (c’est-a-dire se sentir soi-même, pouvoir être pleinement soi-même, ce qui est en lien avec le fait que la situation, le rôle ne soit pas insécurisant à cause d’éléments sapant les besoins). Comme prévu, il y avait une variation considérable des traits de personnalité selon les rôles de la personne. De plus, lorsqu’ils occupaient des rôles où ils se sentaient authentiques, ils rapportaient non seulement plus de satisfaction, mais aussi une extraversion, une amabilité, une ouverture et une conscienciosité plus élevée, et un névrosisme plus faible.
Notre personnalité idéale est performée lorsqu’on est avec des gens soutenant notre autonomie
Lynch, La Guardia et Ryan (2009) ont demandé à des participants venant des États-Unis, de Russie et de Chine d’évaluer leur moi réel et idéal en utilisant des mesures de traits. Puis ils ont évalués comment ils se percevaient sur les traits, selon les personnes qu’ils côtoyaient (parent, amis, autorités, etc.) et le soutien à l’autonomie de leurs partenaires étaient également évalués. Leur personnalité s’approchait de leur idéal lorsqu’ils étaient en compagnie de personnes soutenant l’autonomie.
Les profs soutenant l’autonomie sont agréables et ouverts
Dans l’étude de Reeve, Jang et Jang en 2018, il s’agissait de découvrir le lien entre les traits et le soutien à l’autonomie des professeurs. Les traits ouverture et agréabilité prédisaient au départ ce soutien à l’autonomie ; cependant c’est une autre caractéristique personnelle mesurée dans le cadre de la SDT qu’est l’orientation à l’autonomie (voir schéma ci-dessous) qui prédisait un soutien persistant dans le temps. À l’inverse, l’orientation vers le contrôle prédisait que les professeurs seraient par la suite contrôlant.

Parents contrôlants VS enfants agréables
Mabbe, Soenens, Vansteenkiste, & Van Leeuwen, 2016 et Mabbe, Vansteenkiste, et al., 2018 ont étudié les parents contrôlants et la personnalité. Quels que soient les scores des enfants sur la personnalité, aucun ne bénéficiait favorablement de parents psychologiquement contrôlants. Les enfants agréables n’extériorisent pas leur problème (c’est-à-dire en étant violent sur les autres par exemple) mais ils manifestent une détresse intériorisée, ils payent un coût émotionnel lorsque leurs parents contrecarrent leurs besoins.
Soumission aux environnements contrôlants et personnalité
Soenens, Vansteenkiste et Van Petegem, 2015 ont constaté que les individus ayant des traits insuffisamment autocontrôlés et impulsifs (par exemple, basse conscienciosité et basse agreabilité) peuvent réagir par la brutalité lorsque leur besoin est frustré, alors qu’à même frustration des besoins, les personnes plus inhibées (introversion, timidité) peuvent au contraire se soumettre, se conformant aux exigences de contrôle. Cela peut augmenter la détresse émotionnelle.
Ce qui reste flou à ce jour selon les chercheurs3, c’est pourquoi différentes personnes développent des traits différents en réponse aux besoins sapés par des environnements contrôlants.
En résumé, la WTT X SDT
Prentice, Jayawickreme, Fleeson 2018 résument le pont théorique entre WTT et théorie de l’autodétermination avec ces différents points :
Les parallèles théoriques entre les notions de la SDT et celles de la WTT :
Mini-théorie de l’autodétermination |
Ce qui va avec la WTT |
Propositions de recherches pour lier la SDT et les big five |
Besoins psychologiques fondamentaux (autonomie, compétence, proximité sociale) | Les besoins fondamentaux expliquent partiellement les traits. Les manifestations de traits sont des outils pour satisfaire les besoins. | L’activation des traits sera corrélée aux satisfactions des besoins. Ces relations peuvent être prédites par une perspective fonctionnelle des traits. Les relations ne seront pas telles qu’il y ait des liens exclusifs entre des traits particuliers et des besoins particuliers, parce que les traits peuvent être utilisés comme outils pour une variété de contenus d’objectifs en série ou en parallèle. |
Théorie de l’évaluation cognitive | L’environnement procure des entrées, et ces entrées doivent se lier aux intermédiaires entre entrée et sortie avec par exemple les interprétations, l’activation de buts… Les évaluations cognitives sont les interprétations et les sortie avec par exemple les paradigmes classiques de la théorie de l’évaluation cognitive, comme l’engagement dans les tâches. | La théorie de l’évaluation cognitive est une théorie situationnelle (cf la théorie des orientations de causalité pour voir l’association des traits à la situation). |
Théorie de l’intégration organismique | L’internalisation représente le lien entre les événements environnementaux, les interprétations, l’activation des buts, et les conséquences à poursuivre des états, ce qui explique la plus haute qualité de la motivation en comparaison de la motivation externe notamment due à la quantité moindre de liens de celle-ci. | L’objectif persistant de la conscienciosité et le fait de récompenser l’intérêt de l’extraversion devrait faciliter l’autonomie relative. Le névrosisme facilitera la régulation des émotions comme la culpabilité et la fierté et se rapportera ainsi négativement à l’autonomie relative. |
Théorie des orientations causales | L’orientation de causalité reflète, en partie, l’accrétion des interprétations et les raisons pour le comportement dans des patterns relativement stables d’interprétation et de réflexion dans le temps. | Certains traits peuvent être liés à des interprétations caractéristiques (comme les orientations de causalité). Par exemple, les interprétations punitives peuvent conduire à des niveaux plus élevés de névrosisme, qui peuvent à leur tour produire des relations entre névrosisme et orientations contrôlées ou impersonnelles. La motivation autonome sera positivement associée aux traits plastiques d’extraversion et d’ouverture. |
- La WTT veut également éviter le relativisme comme la SDT : les traits ne peuvent être qu’adaptatifs que s’ils sont propices à la poursuite réussie d’expériences satisfaisant les besoins et la production de bien-être.
- Les traits sont des outils pour satisfaire les besoins de base.
- Les besoins sont des explications de traits ; la satisfaction des besoins sont les conséquences des manifestations de traits.
- Les concepts de motivations de la SDT sont des processus d’interprétation (cf schéma de la WTT en début d’article) ou d’activation des objectifs qui agissent comme intermédiaires entre les entrées et sorties.
- les sorties, c’est l’état d’un trait dans une situation, et cet état a une orientation autonome/contrôlée/ou impersonnelle. Au vu des recherches, l’orientation autonome est susceptible d’être N – C+ E+ O+ A+, l’orientation contrôlée à A -, O -, N+, et l’impersonnelle à N+ O- A -. À noter que les autoritaires corrèlent aussi à ce O – [pour le RWA] et/ou A- [pour le SDO]
La prochaine fois, ce sera l’avant-dernier article du dossier, nous synthétiserons tout à la fois !
La suite :
PP15: TOUT À LA FOIS
Note de bas de page
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
1 Les rapports publics : https://motivationbarometer.com/fr/rapporten-2/ les recherches : https://motivationbarometer.com/fr/communication/
2 Ingledew, Markland, Sheppard (2003) Personality and self-determination of exercise behaviour https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0191886903003118
3 Ryan, Richard M.; Soenens, Bart; Vansteenkiste, Maarten (2018). Reflections on Self-Determination Theory as an Organizing Framework for Personality Psychology: Interfaces, Integrations, Issues, and Unfinished Business. Journal of Personality, (), –. doi:10.1111/jopy.12440
L’article ♦PP14 : L’autodétermination et les états de personnalité est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 26.06.2023 à 10:45
Nous avions vu précédemment des études qui remettaient en cause la perspective dispositionnelle de la personnalité, car en la testant plusieurs fois par jour et en vérifiant en même temps des variables situationnelles (l’heure de la journée, les tâches, l’amicalité de l’entourage, etc.) ou personnelles (les buts que se donnait la personne) on découvrait la variabilité de la personnalité. Il n’était plus possible de l’envisager comme source de comportement, car les buts par exemple causaient les changements d’état de personnalité. Aujourd’hui on voit le modèle théorique qui accompagne ces expériences, la WTT Whole Theory Trait, la théorie totale des traits.
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
Un désaccord avec les modèles dispositionnels
Les chercheurs (Fleeson, Jayawickrene 2015) partent du même constat critique que d’autres, tel que Bandura et Mischel, Epstein : le modèle à 5 facteurs décrit le « quoi », le comportement d’une personne, mais ne dit rien sur le pourquoi et le comment. Il y a besoin d’une explication sur les processus dynamiques des traits, que tentera d’apporter la WTT.
La WTT n’est pas d’accord sur le fait que les traits seraient comme figés dans le plâtre ou définis comme une essence de la personne : ici, les situations comptent, mais aussi l’interprétation particulière de la personne concernant celle-ci. Ainsi, utiliser les gènes pour expliquer les traits y est considéré comme une approche réductrice : les traits sont multi-déterminés, mais deviennent également des ensembles de schémas caractéristiques ayant une part de détermination, notamment à cause du phénomène d’accrétion qu’on verra un peu plus loin.
Ainsi, ils pensent que les mécanismes socio-cognitifs tel que décrit par Mischel ou Bandura sont constitutifs des traits : les mécanismes socio-cognitifs sont un traitement de l’information lié à l’affect, à la motivation, à l’interprétation de la situation ; ils concernent les croyances, les objectifs, les valeurs, les scénarios, l’histoire de vie.
Autrement dit, alors que la théorie de McCrae et Costa faisait de chacun de ces élément quelque chose de séparé ou de déterminé par la personnalité, ici au contraire l’expression d’un trait est le résultat de tous ces éléments qui le précèdent. Les chercheurs de la WTT estiment que les mécanismes socio-cognitifs sont un meilleur moyen de comprendre la personnalité car on évite par là même le raisonnement circulaire propre au modèle à 5 facteurs qui pouvait en venir à « il est névrosé parce qu’il est naturellement névrosé ». Ici un haut score en nevrosisme ferait se demander quelle croyance, quel but, quelle situation, quelle interprétation de la situation (etc.) l’a poussé à performer un état haut de nevrosisme.
La WTT, le modèle théorique
Autrement dit, la WTT considère la nature des traits comme fonctionnelle : les individus adoptent des manifestions de traits afin d’atteindre des objectifs spécifiques. Dans l’expérience précédente, on voyait par exemple que lorsqu’une personne se donne pour but de se connecter aux autres, elle va hausser son extraversion, parce que c’est un bon moyen d’atteindre ce but. Le trait a une fonction, une utilité sociale.
A noter que c’est une perspective différente de celle de Beauvois et Dubois qui voyait le trait comme la valeur sociale donné à celui qui est évalué. Ici, les expériences montrent que l’individu déploie par exemple une haute conscienciosité face à un travail tant pour répondre à ses buts qu’à la situation que pour être potentiellement bien vu. C’est utile pour lui comme pour l’environnement, ce n’est donc pas seulement l’expression d’une valeur sociale, mais aussi d’une valeur personnelle : on voit que certains au contraire ne vont pas monter leur conscienciosité malgré une situation qui y pousse.
Cependant, l’interprétation de Beauvois et Dubois et celle de la WTT ne me semblent pas incompatibles : du côté de l’évalué qui change son trait, il met en œuvre plus d’extraversion à la fois pour atteindre son but et l’environnement social peut évaluer cette performance et l’estimer inutile ou utile. Par exemple, cette hausse d’extraversion sera perçu comme bienvenue dans une situation amicale, mal vue en plein examen.
La WTT considère la personnalité comme multipotente : la personnalité peut changer selon les besoins, pour atteindre des buts. Plus encore, ils considèrent la personnalité comme un outil, et l’expression des traits comme la mise en scène choisie pour répondre à la situation, mais représentant aussi une singularité personnelle. Voici comment cela est représenté :

On a en haut une première grande catégorie « TRAIT EXP (= EXPlication) » : c’est tout le « pourquoi »/ »comment » de l’expression d’un trait :
En entrée, l’individu est exposé à un événement environnemental et/ou à un événement interne : prenons par exemple une situation d’évaluation à l’université, l’individu est forcé de faire telle tâche dans un temps limite.
Ces entrées sont mises en lien avec les intermédiaires, qui comportent aussi les valeurs et les motivations : par exemple l’étudiant a un stock de souvenirs d’évaluations qui lui font penser que ça va super mal se passer s’il est déconcentré et il oublie de lire attentivement les questions. Des buts sont activés : « je dois réussir » « il faut que je m’organise » « je ne dois pas m’amuser » « je ne dois rien oublier », etc. Il interprète cette situation comme un devoir à remplir absolument, à réussir. Et l’initiation homéostatique serait de se réveiller, d’engager sa concentration, d’activer ses forces, de stresser fortement.
D’autres étudiants à ce même examen peuvent ne pas activer les mêmes intermédiaires : un autre interprétera ça comme une évaluation qui n’a aucune espèce d’importance et il ne cherchera même pas à être plus éveillé ou concentré. Un autre interprétera cela comme une compétition qui lui permettra de démontrer sa supériorité « je vais bien me concentrer pour tous les écraser » « ils vont voir ce qu’ils voir » « si je suis attentif, je pourrais dépasser Jean Bernard d’au moins 4 points ahaha [rire démoniaque] » etc.
Puis la sortie serait un changement dans la manifestation d’un trait : l’étudiant va exprimer une plus haute conscienciosité, l’expression de ce trait dépend donc de la situation, de l’interprétation de celle–ci par l’étudiant et les buts qu’il y met, mais aussi des valeurs. Pour l’étudiant compétitif, possible que ça s’accompagne d’une basse agréabilité, une hausse de l’assertivité, étant donné qu’il interprète la situation comme une compétition, un jeu à somme nulle où il n’y a qu’un gagnant (alors que c’est faux, ce n’est pas parce qu’un étudiant « gagne » une bonne note que les autres vont « perdre », ils peuvent tous réussir ou rater et la note de l’autre n’a pas de répercussion sur sa propre réussite, sauf en cas de concours sélectif).

La partie DES (DEScriptive) est la description de ce qui se passe, comme dans les études menées par ESM. Il y a différents niveaux d’états à différents moments, une fréquence différente selon les individus qui restent néanmoins singulièrement stables dans leur variation d’état de personnalité : l’individu face à un devoir, une évaluation, une contrainte à faire telle tâche va y répondre par une très forte conscienciosité, puis la faire descendre quand il n’y a plus cette situation. Alors qu’un autre n’y répondra que par une moyenne conscienciosité qu’il conservera constante, comme on l’a vu dans les études précédentes.
Ici il est important de remarquer que le trait n’est pas la cause du comportement, c’est tout ce qui le précède (situations, interprétation, buts etc.) et c’est la dynamique entre tous ces éléments (comment on interprète la situation, comment notre interprétation nous fait formuler des buts et pas d’autres, comment nos valeurs filtrent notre perception de la situation, etc.) qui causent l’état du trait.
La WTT ne prétend pas avoir toutes les données qui expliquent pourquoi l’individu a tel état de personnalité à tel moment : il y a encore peu de recherches dans ce cadre théorique. On a vu qu’il y avait déjà quantité de nouveaux grands mystères qui ont était révélé avec les méthodes de l’ESM : par exemple le mystère des bas agréables qui sont désagréables quand tout le monde est amical autour d’eux. Les chercheurs constatent l’état de la personnalité et quelques variables de la situation (présence de personnes amicales) ainsi que des caractéristiques de l’individu (à une moyenne basse d’états d’agreabilité), mais le mystère reste dans l’interprétation ou les buts que cet individu se donne pour arriver à cet état.
C’est donc extrêmement différent des théories du modèle à cinq facteurs qui pourraient expliquer cela de façon circulaire tel que : « il est bas agréable parce qu’il est naturellement bas agréable, sa physiologie lui fait ça ». Or cette affirmation n’explique absolument pas pourquoi ce bas agréable, bien qu’il sache être poli ou chaleureux, ne le fait que lorsque les gens sont désagréables autour de lui. Très souvent cette perspective naturaliste des comportements a ce défaut d’envoyer dans une voie sans issue où l’on ne trouve ni explication, ni solutions, ni espoir de changement positif, et à cela s’ajoute un déni de quantités de facteurs situationnels, interactionnels, personnels qui ont un impact sur les comportements.
Ici la WTT donne une piste à explorer pour comprendre : la solution est peut–être dans les buts, les interprétations de la situation, voire les valeurs et leur interactions.
A noter que dans ce modèle, le résultat par questionnaire n’a que peu de place, même si néanmoins il est probable qu’il corrèle à la moyenne des états, et que les états maximum corrèlent aux résultats du questionnaire parce que les personnes y exprimeraient leur capacité maximale d’états (Baird 2006; Fleeson 2001).
Donc…
Les chercheurs disent que la WTT montre que « différents états se produisent à différents moments en raison de différentes entrées dans les processus à différents moments en raison de différents intermédiaires dans les processus en raison de différents liens entre entrées intermédiaires et sorties »1. Et les individus différent dans ces processus dans les liens entre entrées, sorties, intermédiaires. En conséquence, la même entrée à différents individus, par exemple une humiliation, peut conduire à des sorties différentes, donc des états différents : l’un exprimera sa colère, l’autre de la honte, certains ne la remarqueront même pas, d’autres éclateront de rire pensant que c’est une blague, certains plongeront dans la dépression, etc.
La WTT soutient que le comportement devrait être décrit par des distributions entières plutôt que par un nombre unique. Autrement dit, elle estime le questionnaire de personnalité insuffisant à rendre compte des comportements caractéristiques ou variés de la personne, ce n’est qu’un élément de trait DES, à savoir en lien avec la moyenne des états, mais pas selon sa variation.
La WTT veut éviter le relativisme : les traits ne peuvent être adaptatifs que s’ils participent à la réussite d’expériences satisfaisant les besoins et produisant du bien être. Ainsi, j’ai pu voir que les chercheurs tentent de s’approcher du thème des vertus.
La WTT soutient que les états de personnalité sont prévisibles à partir des caractères de la situation, qu’ils sont prévisibles à partir des objectifs qu’un individu poursuit à un moment. (McCabe Fleeson 2012)
La WTT considère les manifestations de traits comme des moyens, des outils et non comme des fins. Les manifestations de traits sont les moyens concrets par lesquels les gens atteignent leur objectif. L’état de personnalité est simplement la personnalité mise en scène à chaque instant.
La WTT ne parle pas de dispositions pour qualifier les traits : la haute extraversion par exemple n’est plus une disposition à parler avec assurance ; parler avec assurance est un état caractéristique de l’extraversion, et les personnes sont capables d’adopter cet état si la situation, leurs besoins, leur physiologie, leurs motivations et interprétation des situations le leur permettent et leur donnent le feu vert. Et ce, qu’importe si la moyenne générale de l’individu prédisait pourtant une introversion par exemple.
La variabilité est donc très importante dans ce modèle et non considérée comme une erreur ou un phénomène mineur (contrairement à ceux qui insistent sur la stabilité). Au contraire, la variabilité est perçue utile, réactive et contrôlable, car les manifestations des traits sont des outils pour atteindre des objectifs (Fleeson 2001). Et cette variabilité est estimée causée par la situation.
L’accrétion
La WTT introduit aussi le terme d’accrétion. Ce sont « les cohérences et les efficacités comportementales et logiques qui fournissent des centre de gravité autour duquel des schémas de comportements peuvent être cohérents et devenir des ensembles qui sont souvent observés de concert ou se renforçant mutuellement »2.
L’accrétion peut se produire par l’apprentissage, les principes abstraits, les liens, la logique, le physiologique, le culturel, par les résultats que les états en accrétion donnent. Le chaleureux également hautement agréable aura pour résultat d’avoir des amitiés à fortes émotions positives, ce qui l’incite à persister dans l’expression conjointe de ses états.
Cette accrétion peut se faire aussi par généralisation : la généralisation selon Allport se produit lorsque les individus reconnaissent les similitudes dans les situations, dans les comportements, et dans les effets des comportements. Reconnaître les similitudes conduit à aligner les comportements pour qu’ils soient cohérents les uns avec les autres à travers ces similitudes. La généralisation est une capacité très utile dans l’apprentissage : quand on a appris le mouvement, la gestuelle pour ouvrir une porte, on va généraliser cet apprentissage à toutes les portes, quand bien même elle sont de formes et de couleurs différentes et que la situation est différente. A noter qu’ici on prend un angle différent de la généralisation vue dans les critiques : les critiques reprochaient à la théorie dispositionnelle de la personnalité de généraliser les résultats du questionnaire, à savoir par exemple qu’un haut score en névrosisme permettrait de qualifier la personne de naturellement névrosée ; le processus est le même mais il ne portait que sur un angle différent, à savoir que c’est l’évaluateur qui généralisait une caractéristique de la personne. Ici c’est la personne évaluée qui va par elle-même décider de généraliser un trait ou une facette à diverses situations.
Pour l’état de la personnalité, une personne peut reconnaître qu’être altruiste avec un proche a des effets similaires à être altruiste avec ses collègues de travail et généraliser cet altruisme à d’autres situations, comme aider un inconnu en difficulté dans la rue. Des principes et valeurs peuvent souder cette accrétion, et mener à des application larges : la personne va se mettre à aider discrètement une personne en situation irrégulière quand bien même elle risque d’être punie pour cela.
Les principes d’accrétion ne suivent pas la logique de « tout est permis » parmi les traits : certains états de traits sont logiquement incompatibles. Par exemple, il est difficile d’aimer les fêtes si on n’aime pas être entouré de personnes. Il est difficile d’être dans la plannification tout en étant impulsif : les états ne peuvent pas être vécus en même temps, l’un s’annule si l’autre est actif.
Les phénomènes d’accrétion expliquerait l’universalité des big five comme les spécificités culturelles : l’universalité se produirait lorsque conjointement des contraintes logiques, biologiques, physiques, entraînent des phénomènes d’accrétions similaires. Et cette accrétion expliquerait les spécificités culturelles : certaines cultures n’associent pas les mêmes comportements les uns aux autres, ni y accolent pas les mêmes valeurs. On a vu que les étasuniens avaient une forte pression à démontrer de l’extraversion car celle-ci est bien vue voire est un prérequis demandé, alors qu’attirer l’attention sur soi peut être perçu dans d’autres cultures plus collectivistes comme impoli et irrespectueux.
Des critiques ?
Le modèle est encore récent, peu connu et de plus les recherches peuvent demander pas mal de moyens : l’ESM demande à chaque fois une forte collecte de données, par conséquent je pense qu’il va s’avérer très difficile de faire des études longitudinales par exemple. Même tester tous les traits à la fois représente une gageure, parce que c’est pénible pour les participants. Donc le principal problème actuellement, c’est qu’il y a encore peu de recherches dans ce modèle, et qu’évidemment on aimerait en voir plus avec de plus gros échantillons de personnes non-étudiantes, dans d’autres pays, à différents âges, différents statuts sociaux, etc.
Personnellement, j’ai du mal avec leur emploi des adjectifs de Goldberg pour mesurer l’ouverture, je préférais de loin les facettes de McCrae et Costa qui me semblent plus pertinentes. Certaines études semblent avoir employé le Neo Pi (dans la meta-analyse de Fleeson) pour leur ESM, mais impossible de mettre la main dessus.
Ces adjectifs me posent un problème aussi pour les raisons d’identification plutôt que d’actions : toujours dans le cas de l’intellect, lorsque la personne répond « durant la dernière heure j’étais fortement intelligent », on ne mesure pas une activité de réflexion mais comment elle se sentait intellectuellement. Un narcissique mettrait des hauts scores à ceci tout le temps et une personne à basse estime de soi mettrait des scores misérables à ceci, quand bien même elle serait souvent dans une activité intellectuelle.
Je ne suis pas non plus très hypée avec leur tentative de rapprochement avec le thème des vertus3, parce qu’un comportement vertueux me semble demander une étude trop précise de la situation qui peut être inaccessible, surtout dans un protocole de recherche utilisant l’ESM. Un comportement n’est vertueux que si on a une photographie très complète de la situation, ainsi l’altruisme d’un comportement peut être complètement non-vertueux (faire une collecte de charité pour une cause raciste incitant à maltraiter des gens), être désagréable et dominateur peut être vertueux (comme la résistante qui s’énervait sur le préfet pour sauver sa collègue). La vertu se voit au cas par cas, pour des situations extrêmement bien renseignées, donc par approche idiographique (c’est–à–dire centrée sur l’étude d’individus) ce qui n’est pas l’approche des recherches actuelles autour de la WTT qui étudie des groupes et des ensembles de données.
Ceci étant dit, le modèle est très prometteur et j’ai hâte de découvrir ces évolutions ou les découvertes qu’il va permettre. D’autant plus que la WTT est tout à fait compatible avec la théorie de l’autodétermination que j’adore. C’est ce que nous verrons la prochaine fois !
La suite :
PP14 : L’AUTODÉTERMINATION ET LES ÉTATS DE PERSONNALITÉ
Notes de bas de page
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
1Fleeson W, Jayawickreme E. Whole Trait Theory. J Res Pers. 2015 Jun 1;56:82-92. doi: 10.1016/j.jrp.2014.10.009. PMID: 26097268; PMCID: PMC4472377. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4472377/
2Prentice M, Jayawickreme E, Fleeson W. Integrating whole trait theory and self-determination theory. J Pers. 2019 Feb;87(1):56-69. doi: 10.1111/jopy.12417. Epub 2018 Aug 14. PMID: 29999534.
3 Notamment dans un chapitre de l’ouvrage Moral Psychology, Volume 5: Virtue and Character, Walter Sinnott-Armstrong, Christian B. Miller, 2017.
L’article ♦PP13 : WTT, La théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause. est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 23.06.2023 à 18:11
⬛ La transphobie selon la psycho
Le chapitre 8 « SHOCKING #28 – LA TRANSIDENTITÉ, AU-DELÀ DES APPARENCES. » est disponible !
Cet article a été également publié ici :
[thread sur la Transphobie] Le chapitre 8 est dispo !
Il y sera question notamment des détransitions, d’autogynéphilie, du sport, ainsi que de la transphobie.
C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter, en vous proposant un « petit » résumé de la recherche en psycho sur ce thème. https://t.co/NlGHT3aHql pic.twitter.com/9UtaPc0KJU— Chayka Hackso (@ChaykaHackso) June 23, 2023
Il y sera question notamment des détransitions, d’autogynéphilie, du sport, ainsi que de la transphobie.
C’est là-dessus que je voudrais m’arrêter, en vous proposant un « petit » résumé de la recherche en psycho sur ce thème.
Pour commencer, la transphobie qu’est-ce que c’est ?
« Discrimination sociétale et stigmatisation des individus qui ne se conforment pas aux normes traditionnelles de sexe et de genre » Sugano et Coll. 2006
Les préjugés transphobes peuvent être mesurés par différentes échelles psychométriques. Vous trouverez un exemple ici :
[TW transphobie, préjugés explicites]
Je serais curieuse de savoir quel serait les scores des "femellistes" à des échelles de psycho mesurant la force de préjugés transphobes.
Prenons par exemple l'échelle de Nagoshi et al (2008), composée de 9 items,https://t.co/DT2E0B4jFZ
— Chayka Hackso (@ChaykaHackso) October 5, 2022
Quelques éléments à préciser d’entrée de jeu pour éviter quelques malentendus et confusions :
- Oui dans transphobie, il y a « phobe », suffixe qui se traduit par « peur ». Or, il faudrait plutôt parler d’aversion : les préjugés homophobes et transphobes tiennent d’une vive répulsion, sans qu’il soit question de peur à proprement parler.
- Les préjugés transphobes sont en confluence avec d’autres préjugés tels que l’homophobie et le sexisme. Parler de transphobie ce n’est donc pas que parler de transphobie.
- Ce que nous allons voir vaut aussi très souvent pour les préjugés contre les personnes LGBTQI+ en général, en cela qu’elles peuvent être perçues comme dérogeant aux normes dominantes de genre et de sexualité (spoiler : le rapport à la norme est important).
Les recherches en psycho nous apportent différents enseignements :
On peut voir les préjugés comme un spectre, et ici je vais surtout parler des personnes et groupes à fort préjugés transphobes.
1.Plus un individu/groupe sera perçu comme s’éloignant des normes de genres/sexuelles, plus il est la cible d’attitudes négatives de la part de ceux qui adhérent à ces normes [Nagoshi & coll 2019]
Trois normes sociales sont ici impliquées :
- Normes de sexualité = hétérosexisme, c’est-à-dire un système idéologique qui passe par la dévaluation et la promotion d’antipathie à l’encontre des personnes non hétéro et tout ce qui sera perçu comme tel [Herek 2004]
- Normes d’identité de genre = valorisation des identités cisgenre au détriment des transidentités (=cisnormativité), c’est-à-dire réduire les identités de genre à deux catégories binaires liées au sexe biologique [Worthen 2016]
- Normes de rôles de genre = soit les attentes, comportements et traits traditionnellement attendus en fonction du genre (ex : les hommes sont forts, les femmes sont douces, les stéréotypes quoi) [Bornstein 1998]
Les personnes trans (plus particulièrement les femmes trans et les hommes cis gays) sont perçus comme venant flouter ces normes, leur existence entrant en friction avec l’hétérosexisme, la cis normativité et les rôles traditionnels binaires de genre où les normes masculines sont conçues comme le négatif de la « féminité » [Qu’est-ce qu’un homme ? un individu capable de n’avoir aucune ambiguïté avec la féminité] [Carnaghi et coll. 2011]
Pour le dire autrement, la transidentité est perçue comme une menace à ces 3 normes, ce qui est l’un des moteurs des préjugés, des discriminations et des paniques morales en tout genre (sans jeu de mots).
2.Plus des groupes adhéreront à ces normes, plus ils auront potentiellement de forts préjugés
De qui parle-t-on ?
Les études montrent un fort lien avec les individus qui adhèrent en général à des valeurs conventionnelles (= tendance à se conformer aux normes sociales en général, à justifier le système social en place),
ce qu’on retrouve fortement en Europe et en Amérique du Nord dans le conservatisme de droite et l’extrême droite.
Le RWA (= l’autoritarisme de droite) et le fondamentalisme religieux sont connectés aux préjugés transphobes [Nagoshi & coll 2019], rien d’étonnant donc à ce que la transphobie soit souvent associée à d’autres préjugés comme l’anti-féminisme, le racisme, la xénophobie, etc.
Qu’est-ce que le RWA et le fondamentalisme religieux? On en parle ici :
3.Les préjugés transphobes peuvent avoir des processus différents entre les hommes et les femmes (cis)
Chez les hommes, la menace à ces normes découlent d’une crainte à la remise en cause de leur statut d’hommes (pouvoir/privilège), et la transphobie est étroitement lié à l’hétéronormativité= chez les hommes, les préjugés transphobes se mélangent à des préjugés homophobes.
Pour eux, exprimer des attitudes négatives à l’encontre des personnes LGBTQI+ est un moyen de préserver leur statut social, leur identité masculine et leur hétérosexualité (l’idée d’une sexualité autre leur apparaît insupportable) [Falomir-Pichastor et Mugny 2009]
Cette association homophobie/transphobie se retrouve moins chez les femmes cis à fort préjugés. Leur transphobie réside davantage dans la crainte de perdre leurs rôles traditionnels, avec cette croyance que leur place dans la société dépend de leur conformité aux rôles de genre.
Autrement dit, la transphobie ici est souvent liée au sexisme bienveillant.
Qu’est-ce que le sexisme bienveillant ? Selon la théorie du sexisme ambivalent (Glick & Fiske 1996), le sexisme comprend deux types de croyances idéologiques interconnectés :
- Le sexisme hostile = « idéologie qui caractérise les femmes comme incompétentes, trop émotives et tentant de manipuler les hommes pour accéder au pouvoir »
- Le sexisme bienveillant = « idéologie [qui maintient] le pouvoir des hommes, en caractérisant les femmes comme délicates, pures et ayant besoin de la protection et des soins des hommes [Hammond et coll. 2018]
Autrement dit, la transphobie chez les H s’articulera souvent sur l’hétéronormativité, la transphobie chez les femmes cis s’articulera par la valorisation de ce que devrait être une « vraie femme » (sur le plan anatomique, psychologique, et/ou des rôles sociaux traditionnels).
4.La transphobie repose sur des processus cognitifs, émotionnels et motivationnels identifiés.
Selon l’approche de la cognition sociale motivée les personnes aux préjugés transphobes ont un plus grand besoin de fermeture cognitive (NFC need for the closure, Makwana 2017), de structure, d’ordre.
Ils peinent à gérer l’ambiguïté, seront demandeurs de réponses simples, fermées et définitives. Or, la bisexualité et la transidentité sont perçues comme remettant en cause les dichotomies hétéro/homo, homme/femme [Grelick et Al.], ce qui peut engendrer des sentiments de doute, d’ambiguïté, un inconfort psychologique chez ces personnes.
(à remarquer que c’est là l’une des raisons pour laquelle la biphobie a aussi un statut particulier par rapport à l’homophobie : une personne ayant un besoin de fermeture fort pourra tolérer davantage l’homosexualité car la dichotomie ne lui apparaît pas menacé, à l’inverse la bisexualité pourra le perturber +).
Concrètement, les hauts score au NFC manifesteront un besoin pressant d’une définition de genre, ne se satisferont pas d’une réponse nuancée, souple et ouverte. D’où la fameuse « guerre » des définitions dès qu’on commence à parler de transidentité.
Pour résumer : plus le besoin de fermeture cognitive est forte, plus les préjugés à l’encontre des personnes trans pourront être forts ; mais à l’inverse, les personnes ayant un besoin de cognition élevé (=appétence pour la connaissance, la complexité, la nuance, etc. ) plus les préjugés transphobes seront faibles.
Bon, c’est bien joli tout ça, mais ça sert à quoi ?
Ces recherches nous donnent des pistes pour faire diminuer ces préjugés (pas seulement transphobes, ça marche aussi pour de très nombreux groupes ciblés autres que trans).
Petite liste des procédés efficaces :
- Contact intergroupe = plus on interagit avec un groupe, plus les préjugés diminuent. L’ouverture à la diversité des expériences est centrale dans la diminution des préjugés, d’où l’importance de visibiliser les minorités.
- Cela vaut pour les représentations = plus de visibilité de la parole des personnes trans/nb, meilleure représentation dans les fictions, médias, etc. [cela peut mettre mal à l’aise les hauts scores aux préjugés transphobes qui manifesteront leur désapprobation, mais à long terme c’est redoutablement efficace]
- On peut valoriser les comportements pro sociaux : plutôt que de pointer du doigt des comportements, on peut aussi au contraire essayer de valoriser (visibiliser) des comportements prosociaux que l’on peut élargir à l’ensemble des groupes. Ce mode est intéressant car il évite les injonctions et jugements sociaux négatifs qui peuvent parfois entraîner des effets boomerang.
- Meilleur traitement journaliste du sujet. Beaucoup de choses à revoir ici. Pour en savoir plus sur les problèmes médiatiques en France, ce dossier d’AJL est excellent : http://transidentites.ajlgbt.info/
- Vouloir rationaliser (aller sur le terrain des définitions par exemple) sera peu efficace, tout comme adopter un mode injonctif. On peut préférer l’écoute, tendre à rassurer tout en prenant en compte les valeurs d’autrui, sans discours apparaissant comme contrôlant. C’est bien plus efficace.
- Apprentissage de la reconnaissance des stéréotypes et idées reçues sexistes, homophobes et transphobes (plutôt que de débunker, prébunker !) Comment ? par une meilleure information, formation et sensibilisation, à l’école et dans les milieux pro, et ce en privilégiant l’autonomie (sans injonction)
- On peut intégrer dans nos pratiques des questionnements sur nos actes langagiers : par exemple dans les fiches de renseignements à l’école, les papiers d’identité, le fait de ne pas ramener la personne à son sexe ou genre.
- À l’école, quand je parle de sensibilisation je ne parle pas seulement des élèves (plus ouvert sur les questions LGBTQI+ que les adultes, vive les jeunes) mais l’équipe pédagogique (dont la direction, trop souvent oubliée). Soyons clair, les sensibilisations ne seront jamais suffisantes, mais demeurent importantes.
- Ces sensibilisations peuvent passer par des mises en perspective (se mettre à la place de…) et par des activités créatives (la créativité participe à diminuer le besoin de fermeture cognitive et participe à plus de souplesse, à une meilleure tolérance à l’ambiguïté, et en + c’est fun).
- On peut aussi mettre en avant le fait que la transidentité ne vient pas restreindre des possibilités, au contraire elle les ouvre énormément, par seulement pour les personnes trans et non binaire, mais aussi pour les personnes cis, et ça c’est plutôt cool, non ?
Voilà pour ce « petit » résumé.
- Vous pouvez retrouver le chapitre 8 sur plusieurs plateformes ( https://metadechoc.fr/tree/ ) , comme youtube :
- Le site de Meta de choc : https://metadechoc.fr/podcast/la-transidentite-au-dela-des-apparences/
- Les plateformes de streaming comme spotify : https://open.spotify.com/show/4j5ZAz47NbAgO2HyA30kPo
L’article ⬛ La transphobie selon la psycho est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 19.06.2023 à 10:32
♦PP12 : Nos buts produisent notre personnalité ?
Nos états de personnalité varient constamment, et nous avons vu la dernière fois des études montrant qu’il n’y avait pas besoin de situations exceptionnelles pour changer : parfois seules l’heure ou la présence de personnes autour de nous nous amenait à exposer une autre personnalité. Ceci étant dit, nous ne sommes pas des machines déterminées uniquement par la situation, chacun a sa façon de l’interpréter et y répondre par des stratégies parfois totalement opposées. Certains augmentent leur politesse et sympathie lorsqu’ils sont dans une situation inamicale, puis deviennent désagréables lorsqu’ils sont entourés d’amis ; d’autres produisent un travail acharné en examen puis deviennent très paresseux, alors que d’autres sont à peine plus travailleur en situation d’examen, mais ne flirtent jamais avec cette paresse totale. Et si la raison de ces différences individuelles face à une même situation avait quelque chose en rapport avec les buts que se donnent les personnes ?
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
En 2016, Fleeson et McCabe vont explorer cette question des buts en tenant compte des apports des expériences précédentes : on a une situation qui comporte des indices où l’expression de l’extraversion sera favorable, que ce soit quant à l’horaire (disons début de soirée), au social (il y a du monde), à l’amicalité (des gens agréables qui nous apprécient),ainsi que d’autres facteurs qui ont un impact (mais tout ne peut pas être testable). Certains individus qui ont moins de variation de l’extraversion ne vont pas saisir ces indices, tout du moins ces indices n’activeront pas une hausse de leur extraversion : leur état de personnalité sera le même, ne réagira pas à ces éléments nouveaux. D’autres au contraire saisiront cet indice et enclencheront alors une forte extraversion, ce qui au final dans leurs résultats révèlera une forte variabilité intraindividuelle. Et on a vu que globalement, la variabilité intraindividuelle des gens était très forte pour l’extraversion. Ainsi, il est plus probable qu’en ce début de soirée avec du monde, les gens soient très différents de ce qu’ils étaient seuls au petit matin, ils seront plus similaires entre eux qu’avec eux-mêmes.
L’hypothèse de McCabe et Fleeson est que la manifestation des traits, par exemple l’enclenchement d’une haute extraversion à cette soirée, est un outil pour la poursuite des buts de la personne : si vous avez vu les théories dispositionnelles précédentes, vous comprendrez à quel point c’est un renversement que de penser ainsi. Le trait n’est plus considéré comme un déterminant de notre nature, mais comme quelque chose qu’on met en œuvre pour atteindre des buts. Il y a un retournement paradigmatique de ce que nous disaient McCrae et Costa. Pour eux, les traits orientent nos buts : à la place de « comme je suis extraverti, je vais aller à cette soirée pour exprimer mon extraversion naturellement haute » (interprétation de McCrae et Costa), on a ici le postulat inverse « comme j’ai pour but de m’amuser, je vais déployer mes capacités d’extraversion dès que la situation montrera des indices favorables à celles-ci (heure/présence de monde/amicalité) ».
La façon dont s’interpréterait le comportement d’une personne démontrant de l’extraversion à une fête, selon les dispositions à gauche et selon la perspective des expériences sur les états de traits à droite :
L’hypothèse de McCabe et Fleeson (2016) est donc que si les gens manifestent des traits différents à des moments différents et à des degrés différents, c’est parce qu’ils auraient des buts différents.
Les chercheurs définissent le but comme une « représentation cognitive d’un objet futur que l’organisme s’engage à approcher ou à éviter » (Elliot et Fryer 2008). Le but a donc une fonction et un processus clair qui amènent à développer des stratégies, de l’engagement à l’action et la réalisation d’un point final. Les buts dirigent notre comportement : si mon but est de nettoyer l’appartement, je vais exclure des comportements tels que partir à la fête foraine, répéter la Marseillaise à la flûte, dormir, faire un concours d’apnée avec le voisin, etc. Je me dirige plutôt vers la préparation de l’aspirateur et d’autres outils de ménage, je planifie pour optimiser les tâches, m’organise, puis travaille à tout ordonner. Ici le but de faire le ménage amène donc à avoir besoin de performer de la conscienciosité.
Le trait ou la facette n’est pas un but en soi. Vous ne dites pas par exemple à votre compagne ou compagnon : « je m’absente une heure, je vais aller être chaleureux et altruiste ! ». Vous formulerez peut-être cela en but beaucoup plus précis « je m’absente une heure, je vais aller discuter avec tel ami qui a besoin de soutien en ce moment ! » et vous activerez votre état de chaleur et celui de l’altruisme tel un outil pour que ce but d’amitié et d’altruisme soit atteint.
McCabe et Fleeson rapportent des études précédentes connectant les buts aux traits :
« L’extraversion prédit les objectifs interpersonnels, hédonistes, de croissance et politiques, l’agréabilité prédit les objectifs interpersonnels, la conscienciosité ] prédit les objectifs de santé, académiques et professionnels, le névrosisme prédit les objectifs d’image et l’ouverture les objectifs de croissance prévus (Bleidorn et al., 2010 ; Reisz, Boudreaux et Ozer, 2013 ; Roberts et Robins, 2000 ; Roberts, O’Donnell et Robins, 2004). »
McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi : 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Cependant, la causalité est ici pensée à l’inverse, à savoir que les buts causent les traits :
« Nous partons de l’hypothèse que les États [de personnalité] sont plus que de simples couleurs ou styles d’action, mais sont des opérations sur le monde avec des conséquences réelles (Sadikaj, Moskowitz, Russell, Zuroff et Paris, 2012). Par exemple, être dominant sur le moment peut changer la façon dont les autres agissent et se sentent. Si les États ont des conséquences, alors peut-être que ces conséquences pourraient être utiles. Si les conséquences peuvent être utiles, alors peut-être que les gens emploient ces états intentionnellement afin d’obtenir ces conséquences (McCabe & Fleeson, 2012 ; Paulhus & Martin, 1987). Autrement dit, le contenu des traits peut être adopté lorsque les conséquences des états sont nécessaires pour un objectif particulier.
Ainsi, nous proposons que les buts provoquant des états puissent être l’un des mécanismes constitutifs des traits. »
McCabe K.O., Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Pour vérifier cela, ils ont fait passer l’ESM à 44 étudiants 5 fois par jour pendant 10 jours. Les questions portaient sur deux traits : l’extraversion et la conscienciosité, à savoir pour l’extraversion « à quel point étiez-vous assertif (ou sociable, extraverti, asociable, audacieux, peu assertif) ces 30 dernières minutes ? » et ils pouvaient répondre de 1 = pas du tout à 6 = beaucoup.
Et pour la conscienciosité la question avait la même forme, excepté que les adjectifs étaient : organisé, désorganisé, assidu, persévérant, déterminé, paresseux, ordonné.
Les buts comportaient des questions sous la forme de : « à quel point essayiez-vous de vous amuser durant les 30 dernières minutes ? ». Les buts testés étaient : « s’amuser », « retrouver de l’énergie/recharger ses batteries », « éviter de se mettre dans l’embarras », « être le centre de l’attention », « éviter d’être ignoré par les autres », « éviter les conflits », « s’adapter », « utiliser son temps efficacement », « éviter d’oublier de faire quelque chose », « diriger son énergie vers là ou elle est la plus nécessaire », « éviter d’être tendu », « accomplir les tâches », « éviter de faire des erreurs », « ne pas s’inquiéter de quelque chose », « éviter un défi ».
Résultats
Il a été découvert que les buts prédisaient 46 % de la variation intraindividuelle de l’état d’extraversion. Autrement dit, la personne change d’état d’extraversion à cause des buts qu’elle se donne à hauteur de 46 %. 53,8 % de son changement d’état d’extraversion n’est pas expliqué par les buts. C’est légèrement plus pour la concienciosité où les buts prédisent 50,6 % de variation intraindividuelle de l’état de conscienciosité.
Le questionnaire général mesurant les traits et non l’état de la personnalité ne prédisait que 6,6 % de la variance de l’état d’extraversion. Autrement, il prédisait très peu l’état varié d’extraversion, contrairement aux buts. Si les buts étaient pris en compte dans les calculs, la prédiction du questionnaire tombait à 2,6 %.
Pour la conscienciosité, les questionnaires prédisaient la variance à 29,6 % sans les buts, mais s’ils étaient pris en compte, le questionnaire de personnalité ne prédisait plus que 13,5 % de la variance des états de conscienciosité. Autrement dit, votre questionnaire de personnalité, même si vous y obteniez des scores très marqués en introversion ou extraversion, ne peut vous prédire ou prédire à autrui comment vous changerez dans une situation donnée.

Si par contre on vous demande quel serait votre but principal à la soirée de votre voisin Jean-mich (qui fête son nouveau record exceptionnel d’apnée), et que celui-ci est de vous faire de nouveaux amis, que vous soyez catégorisé d’introverti ou d’extraverti par le questionnaire, il est très probable que vos scores d’extraversion montent, car l’extraversion est un bon outil pour se faire des amis. Si votre but est au contraire de vous venger (vous estimez que c’est vous qui méritiez de gagner ce concours d’apnée), là ce n’est pas l’outil extraversion que vous allez utiliser, mais l’outil « basse agréabilité » couplé à la facette colère-hostilité, et ce afin de ruiner la réussite de Jean-mich et sa soirée.
Mais dans l’étude, quel but prédit alors le plus un état d’extraversion ou de conscienciosité ? Voici les résultats de cette première étude, dont je mets le détail parce que cela peut être fort utile ; si vous voulez diminuer ou augmenter ces deux états de traits, un moyen de le faire est d’adopter un but ou d’arrêter un but qui n’amènerait pas au résultat que vous souhaitez.
On peut aussi utiliser cela comme une analyse : par exemple, si on a pour but d’utiliser son temps efficacement, on performe sans doute un état de conscienciosité qui sera perçu comme tel par les autres. C’est bien vu au travail, très mal vu en soirée amicale, parce que ce n’est pas la contingence attendue. Cela peut expliquer pourquoi les gens vont mal vous percevoir à ce moment-là ou se sentir insultés. Mais peut-être a-t-on de bonnes raisons d’agir ainsi : il s’agit d’enquêter sur ces raisons et si elles sont déjà claires pour nous, on peut être en discuter avec les autres ou s’atteler au problème sous-jacent qui nous empêche de nous harmoniser aux contingences de la situation.
En gras les plus fortes corrélations, mais les petites corrélations sont parfois très signifiantes (celles avec ** signifie que p < .01, c’est-à-dire que le résultat est statistiquement hautement significatif).
Extraversion générale | Conscienciosité générale | Extraversion facette sociable | Extraversion facette assertive | Consciencisité facette ordonné | Conscienciosité facette industrieux | |
S’amuser |
.36** |
−.06 |
.49** |
29** |
−.09* |
−.04 |
Éviter de louper une opportunité |
16** |
.18** |
.13* |
.19** |
.11* |
.23** |
Retrouver de l’énergie/recharger ses batteries |
−.11** |
−.26** |
−.09* |
−.12** |
−.20** |
−.32** |
Éviter d’être embarrassé |
.34** |
.05 |
.42** |
.25** |
−.04 |
.10* |
Être le centre de l’attention |
.47** |
.01 |
.60** |
.32** |
−.09* |
.08* |
Éviter d’être ignoré par les autres |
.33** |
.00 |
.43** |
.24** |
−.05 |
.04 |
S’adapter (fit in) |
.42** |
.03 |
.55** |
.28** |
−.05 |
.08* |
Éviter les conflits |
.14** |
.03 |
.19** |
.10** |
.02 |
.04 |
Utiliser son temps efficacement |
.00 |
.35** |
−.07 |
.08* |
.32** |
.39** |
Éviter d’oublier quelque chose |
.02 |
.21** |
−.03 |
.07* |
.19** |
.24** |
Mettre de l’énergie ou il y en a besoin |
.04 |
40** |
−.03 |
.12** |
.32** |
.41** |
Éviter d’être tendu |
.21** |
.03 |
.26** |
.17** |
−.02 |
.06 |
Accomplir des tâches |
−.01 |
.36** |
−.08 |
.08* |
.32** |
.39** |
Éviter les erreurs |
.07* |
.26** |
.02 |
.13** |
.22** |
.30** |
Ne pas s’inquiéter de quelque chose |
.05 |
−.04 |
.06 |
.02 |
−.04 |
−.05 |
Éviter un défi | −.06 | −.18** | −.06 | −.06* | −.14** | −.22** |
*p <.05 ; **p < .01
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/#FN1
Ils ont mené une deuxième étude pour clarifier les résultats :
« L’étude 1 a montré qu’environ la moitié de la variance des états d’extraversion et de conscienciosité peut être prédite à partir des objectifs que les gens poursuivent. Cependant, ce lien ne peut être revendiqué comme un mécanisme sous-jacent aux traits que s’il a été démontré que les relations sont causales. Cependant, l’hypothèse typique est que le flux causal est le contraire, des traits (ou états) aux objectifs (Corker, Oswald, & Donnellan, 2012; Lischetzke, Pfeifer, Crayen, & Eid, 2012 ; Lüdtke et al., 2009). Ainsi, le but de l’étude 2 est de tester si l’association entre l’objectif et l’état de la personnalité survit au test de causalité. »
McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Cette fois, il y avait un aspect plus expérimental, car les participants venaient au laboratoire du campus, et les buts leur étaient donnés (ceux qui avaient le plus de puissance dans l’étude 1). Les buts étant les présentés ainsi : « votre objectif pour les 45 prochaines minutes : vous connecter avec les gens et faire rire les autres » (but en lien avec l’extraversion) ou « Votre objectif pour les 45 prochaines minutes : accomplir une tâche et utiliser votre temps efficacement » (but en lien avec la conscienciosité).
Après les 45 minutes, les participants revenaient au labo et décrivaient ce qu’ils avaient fait, remplissaient des questionnaires sur l’état de leur personnalité, mais aussi des questionnaires liés aux buts et aux affects.
Résultat, l’état d’extraversion était beaucoup plus élevé lorsque le participant avait pour but de se connecter aux autres, contrairement au but de faire ses tâches. Cette expérience démontre l’effet causal des buts sur l’état de la personnalité : parce que le but a été donné, demandé à être effectué, et ce, qu’importe le niveau d’extraversion de base de la personne, l’état d’extraversion est monté pour accomplir le but. Si les traits étaient la cause première, cet effet n’aurait fonctionné que sur des profils extravertis, les introvertis n’auraient pas pu augmenter leur extraversion, or ce n’est pas le cas. Et si la personnalité était cause première, avec le but des tâches, les hauts extravertis seraient restés hauts. Or, on voit que le but a amené les personnes à diminuer leur extraversion.
Mon hypothèse sur le fait que la conscienciosité bouge moins est qu’il s’agit d’une expérience contrôlée, sur le campus : la conscienciosité était un état latent, parce que les participants — même avec le but de se connecter à autrui — le faisaient aussi sans doute par conscienciosité de bien mener l’expérience prise au laboratoire.
La troisième étude
« On craint que les États [de personnalité], étant autodéclarés, ne soient pas des évaluations précises de ce que les gens font réellement. Le cinquième élément de preuve nécessaire pour nos affirmations est que les États évaluent avec précision ce que les gens font réellement. Si nous voulons affirmer que les objectifs expliquent le côté “ce que les gens font réellement” des traits, alors nous devons montrer que ces changements d’état en réponse aux objectifs sont ce que les gens font réellement. Ainsi, nous avons ajouté des observateurs afin d’évaluer les états. »
McCabe K.O., Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Les chercheurs ont donc organisé cinq séances de groupe, d’une heure, pendant 5 semaines. Chaque groupe de 4 à 3 personnes suivaient l’enseignement d’une activité :
« Les activités comprenaient (1) une activité de mots (définitions des adjectifs de notation), (2) de la peinture, (3) une tâche de décision du comité d’organisation, (4) une analyse d’art, (5) une séance de devoirs en groupe, (6) une activité libre (jeux ou devoirs) »
McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Un temps était dédié au fait de remplir des questionnaires d’évaluation de leur comportement et de leurs objectifs, mais aussi d’évaluation du comportement et objectifs des autres. Chaque participant faisait au total 10 autoévaluations et jusqu’à 30 évaluations des autres. Et cette connexion buts-traits est également perçue en observant et en évaluant les autres :
Extraversion | Conscienciosité | Bavard (facette extraversion) | Assertif (facette extraversion) | Organisation (facette conscienciosité) | Industrieux (facette conscienciosité) | |
S’amuser | .28** | -.05 | .38** | .19** | .04* | -.05* |
Être le centre de l’attention | .54** | -.02 | .63** | .44** | -.07* | .03 |
Utiliser son temps efficacement | -.05 | .38** | -.14 | .04 | .40** | .36** |
Accomplir ses tâches | -.07* | .39** | -.16 | .02 | .39** | .40** |
Table 5 issue de McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
En conclusion
Les chercheurs concluent donc que si les traits sont considérés comme des descriptions de ce que font réellement les gens et cela est déterminé en partie par les objectifs qu’ils poursuivent. L’étude apporte cinq éléments de preuve :
— Les buts hypothétiques ont prédit près de la moitié de la variance de l’état de conscienciosité et de l’état d’extraversion, ce qui démontre que la poursuite d’un but explique la mise en acte de traits.
— Les buts expliquaient de grandes quantités de variance inter et intra-individuelle dans la manifestation des traits. Les gens agissent parfois de manière extravertie ou consciencieuse parce qu’ils poursuivent des objectifs qui nécessitent ces manifestations, et certaines personnes sont plus extraverties ou consciencieuses que d’autres parce qu’elles poursuivent les objectifs associés plus souvent que d’autres.
— Les états de personnalité avaient des fonctions distinctes, confirmant que différents états ont des utilisations différentes, car ils exécutent différentes opérations sur le monde et différentes opérations sont nécessaires pour différents objectifs.
— L’effet des buts sur les états de personnalité s’est avéré être un effet causal. Les gens différaient les uns des autres par leurs traits, car ils poursuivaient des objectifs différents. Les gens ont adopté l’état de personnalité dans leur vie quotidienne parce qu’ils poursuivaient des buts qui bénéficieraient de ces états. Par exemple, certaines personnes étaient plus extraverties que d’autres parce qu’elles voulaient s’amuser plus souvent que d’autres, et elles étaient parfois plus extraverties parce qu’elles voulaient s’amuser à ces moments-là. Les chercheurs signalent que le mot « parce que » est sciemment utilisé, car ce n’est pas qu’une simple association, les buts causent l’adoption d’un état plutôt qu’un autre.
« La poursuite d’objectifs momentanés et spécifiques est une source majeure de mise en acte de traits dans la vie quotidienne. Des objectifs spécifiques et de petites tailles sont activés, puis les États [de personnalité] sont sélectionnés pour être promulgués. Les états qui sont promulgués sont ceux qui ont des conséquences qui devraient accomplir l’objectif activé. »
McCabe KO, Fleeson W. Are traits useful? Explaining trait manifestations as tools in the pursuit of goals. J Pers Soc Psychol. 2016 Feb;110(2):287-301. doi: 10.1037/a0039490. Epub 2015 Aug 17. PMID : 26280839 ; PMCID : PMC4718867. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4718867/
Au vu de tous ces résultats, notamment tous ceux qui montrent la variation de la personnalité et le fait que des éléments déterminent l’état d’un trait (et non le trait qui détermine par exemple un but), le modèle théorique de McCrae et Costa n’était pas tenable pour expliquer les résultats obtenus via ces méthodes. On ne peut plus parler de dispositions. Aussi, les chercheurs autour de ces résultats, vont développer un nouveau modèle théorique, le modèle total des traits (whole theory trait) qu’on va expliquer la prochaine fois.
La suite :
PP13 : WTT, LA THÉORIE TOTALE DES TRAITS : LA PERSONNALITÉ COMME OUTIL, MISE EN SCÈNE, CONSÉQUENCE ET NON PLUS CAUSE.
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
L’article ♦PP12 : Nos buts produisent notre personnalité ? est apparu en premier sur Hacking social.
Publié le 12.06.2023 à 10:36
♦PP11 : Le pouvoir des situations sur la personnalité
La dernière fois nous commencions à explorer une nouvelle façon d’appréhender la personnalité à travers la méthode de l’ESM : il était découvert que lorsqu’on mesure notre personnalité plusieurs fois par jour, il s’avère que nous expérimentons à peu près tous les états de personnalité, à tel point que nous différons plus de nous-mêmes que des autres. Mais en même temps, notre moyenne d’état correspond à notre personnalité mesurée sur le questionnaire, ce qui démontre une signature personnelle qui néanmoins persiste dans le temps. La conception de la personnalité comme une disposition ne peut donc qu’être bouleversée.
Aujourd’hui, on voit plus en détail une étude qui nous montre comment les situations ont une influence sur notre personnalité, et que cette influence est propre à chacun.
La totalité du dossier est accessible en epub : https://www.hacking-social.com/wp-content/uploads/2023/06/La-personnalite-cette-performa-Viciss-hackso.epub
Articles du dossier :
- PP1 La personnalité, cette performance
- PP2. Le questionnaire de votre personnalité
- PP3. Comment interpréter les résultats selon la théorie dispositionnelle ?
- PP4. Un agresseur sexuel, un fondamentaliste accro aux jeux, et une perfectionniste rigide : analyse de personnalité
- PP5. La personnalité selon la perspective dispositionnelle
- PP6. [critique] La personnalité figée dans le plâtre, stable et inchangeable dès nos 30 ans ???
- PP7. [critique] La personnalité, uniquement « biologique » ????
- PP8. [critique] La personnalité et ses 5 traits, un concept inutile ?
- PP9. [critique] La mesure de ta personnalité, cette mesure de ta valeur sociale
- PP10. [WTT] Les états de personnalité : où l’on découvre qu’on est plus différent de nous-même que des autres
- PP11. [WTT] Le pouvoir des situations sur la personnalité
- PP12. [WTT] Nos buts produisent notre personnalité ?
- PP13. [WTT] WTT, la théorie totale des traits : la personnalité comme outil, mise en scène, conséquence et non plus cause
- PP14. [WTT] L’autodétermination et les états de personnalité
- PP15. [Synthèse] Tout à la fois
- PP16. [à quoi ça va nous servir] Tout, partout
- PPX. Sources
En 2001, Fleeson a mené trois études de la personnalité via ESM, avec en tout 105 participants. Ceux-ci remplissaient le questionnaire 5 fois par jour selon la méthode décrite précédemment, entre 2 et 3 semaines.
Tout d’abord, on voit les résultats attendus de cette méthode, à savoir que l’état de personnalité varie davantage au sein de la personne qu’entre les individus :

Et on peut observer la distribution des états d’un individu sur deux semaines :

On voit que chaque trait a sa dynamique particulière, et ici, pour comprendre la personne, il s’agit de regarder tous les éléments :
– L’emplacement de la forme compte : vers la droite on a des résultats de traits hauts, vers la gauche de traits bas. L’agréabilité de cet individu est assez haute, ce n’est pas le cas de l’intellect qui est plutôt dans la moyenne basse, et l’extraversion est moyenne. En statistiques, ils nomment cet indicateur le skew, qui statistiquement est négatif si la forme va vers la droite, positif si c’est l’inverse.
– La hauteur compte : plus c’est haut, plus c’est fréquent. Par exemple, pour cette personne, l’agréabilité est très fréquemment assez haute et est très rarement basse ; son extraversion est par contre plus étalée, c’est-à-dire que même si l’extraversion moyenne est plus fréquente chez lui, il est fréquent qu’il explore des états hauts comme bas. En statistiques, c’est l’observation du kurtosis.
Il a été découvert que l’extraversion en particulier variait en fonction de l’heure de la journée et du nombre de personnes. Et plus un individu varie en fonction de l’heure et du nombre de personnes, plus son extraversion varie en général.
Donc, tous les traits ne varient pas immanquablement selon l’heure, mais même pour l’extraversion, cela dépend aussi de la personne. Ce n’est pas parce qu’il est 21h et qu’il y a du monde que d’un coup, tout le monde passe de l’introversion à l’extraversion.
Fleeson a découvert qu’il y a un lien entre la sensibilité aux indices situationnels pertinents et la variation. Autrement dit, une personne peut sentir que c’est le moment idéal pour sociabiliser etonc le faire ; alors qu’un individu peu sensible à cet indice situationnel n’y répondra pas et sera peu variable dans son état de personnalité. Ceci étant dit, Fleeson n’exclut pas que cet effet soit dû à d’autres raisons1, comme la poursuite d’objectifs (par exemple la personne a pour but de s’amuser et saisit la situation qui lui permet d’accomplir ce but, ce qui donne une hausse de l’extraversion quand il y a du monde), des stratégies adaptatives (on a appris qu’on était plus inclus en étant plus extraverti lorsqu’il y a du monde, donc on le fait), voire même des changements hormonaux ou rythmes biologiques (les hormones varient tout le long de la journée, et je pense qu’on n’est pas tous égaux sur la capacité à être « énergique » dès le réveil par exemple, alors qu’à d’autres moments peut-être c’est plus facile, grâce à un état physiologique particulier, de fournir cette énergie). On verra dans la partie suivante une autre de ses études sur les buts.
Une situation psychoactive
Précédemment, on avait vu que Beauvois et Dubois disait qu’on sélectionnait une personne pour une situation par affordance avec l’un de ces traits (le « fun » de Xavier qui collait bien au fait d’organiser une soirée réussie). Fleeson développe des concepts qui me semblent assez proches, excepté qu’il met cette affordance dans les situations elles-mêmes : certaines situations ont des caractéristiques psychoactives qui provoqueraient un changement d’état de la personnalité. Il y aurait contingence, c’est-à-dire une relation entre un état de personnalité donné (être amusant par exemple) et une caractéristique de situation donnée (beaucoup de monde joyeux à une soirée). La contingence ne se réfère pas au trait, mais au changement d’état de personnalité. Fleeson (2007) suppose que les individus vont différer dans leur perception des contingences. Par exemple, dans une situation sociale de rencontre d’inconnus, certains ne vont pas pour autant réduire leur extraversion, parce qu’ils l’estiment comme une bonne adaptation pour apprendre à connaître l’autre. Alors que d’autres ne mobiliseront cette extraversion qu’avec des proches.
Fleeson va ainsi mettre en place une étude via ESM qui testera à la fois la conscienciosité, l’extraversion et l’agréabilité (avec le même genre de questions que vu précédemment). Mais il ajoute aussi des questions au sujet des caractéristiques de la situation potentiellement contingente :
- « au cours de la dernière demi-heure…
- … combien d’autres personnes étaient présentes ?
- … dans quelle mesure avez-vous interagi avec les autres ?
- Ce que vous faisiez était-il imposé ou l’aviez-vous choisi ?
- À quel point aimiez-vous les autres ?
- À quel point étaient-ils amicaux ?
- Comment était structurée la situation ?
- Est-ce que c’était du temps libre ou une obligation ?
- Dans quelle mesure faisiez-vous quelque chose d’intéressant ? »
Les résultats habituels ont été trouvés, à savoir que les personnes variaient plus d’elle-même que des autres, mais qu’en même temps elles étaient stables dans leur singularité (niveau moyen et montant de la variation) :
Paramètres de distribution |
Extraversion |
Agréabilité |
Conscienciosité |
Niveau moyen | 3,75 | 5,14 | 4,53 |
Variance entre les individus | .14 (7%) | .30 (24%) | .23 (10%) |
Variance intraindividuelle | 1,92 (93%) | .96 (76%) | 2,03 (90%) |
Stabilité des différences individuelles dans le niveau moyen | .58 | .60 | .68 |
Stabilité des différences individuelles dans la quantité de variations | .60 | .46 | .60 |
Issue de la table 1 de Fleeson, W. (2001). Toward a structure- and process-integrated view of personality: Traits as density distributions of states. Journal of Personality and Social Psychology, 80(6), 1011–1027.
Les chercheurs ont étudié les contingences en regardant l’anonymat de la situation (qui est ici liée au nombre de personnes présentes, au fait de ne pas connaître les autres autour de soi, au fait de ne pas les aimer), l’amicalité de la situation (qui est liée au fait que les autres sont amicaux, au nombre d’interactions avec eux, au statut des autres) et l’orientation vers les tâches (qui est ici lié au fait d’être obligé, de se voir imposer des tâches, avoir des dates/temps limites pour un travail et un désintérêt pour une tache).
J’ai mis cette citation parce que la contingence « orientation vers les tâches » aurait pu se nommer travail selon cette définition.
Comme cela pouvait être prévisible, les situations d’orientation vers la tâche sont corrélées positivement à l’anonymat (.48) et négativement corrélées à l’amicalité (-.32), l’anonymat et l’amicalité sont sans lien (.06).
États de personnalité |
||||||
Extraversion |
Agréabilité |
Conscienciosité |
||||
Caractéristique de situation | Moyenne contingence | Ecart type des contingences | Moyenne contingence | Ecart type des contingences | Moyenne contingence Ecart type des contingences | Ecart type des contingences |
Anonymat | .09 | .20* | .06 | .09 | .09 | .17 |
Orientation à la tâche | -.08 | .14 | -.10** | .07 | .56*** | .25* |
Amicalité | .67*** | .13 | .13* | .20 | .03 | .13 |
Issu de Fleeson, W. (2001). Toward a structure- and process-integrated view of personality: Traits as density distributions of states. Journal of Personality and Social Psychology, 80(6), 1011–1027. https://doi.org/10.1037/0022-3514.80.6.1011 ; *p<.05 **p<.01 *** p<.001
L’anonymat et l’orientation vers les tâches n’ont pas prédit de manière significative les changements dans l’état d’extraversion, bien qu’il y ait eu une tendance selon laquelle les individus sont devenus plus extravertis dans des situations plus anonymes et moins axées sur les tâches, en plus de devenir plus extravertis dans des situations plus conviviales.
Mais il y avait un écart-type de .20 entre la situation d’anonymat et l’état d’extraversion, signifiant que les personnes étaient différentes sur leur état d’extraversion durant cette situation. Les individus différaient de manière fiable dans la façon dont leur extraversion variait avec l’anonymat de situation. Ceux qui étaient de base plus bas en extraversion, dans la situation d’anonymat, la diminuaient alors que c’était l’inverse pour des plus hauts scores en extraversion. Donc la situation a une influence sur l’état de personnalité, mais parfois les individus vont avoir en quelque sorte une stratégie de personnalité différente face à celle-ci (ici, diminuer l’extraversion ou au contraire la monter quand on est entouré d’inconnus).
Les individus étaient de plus en plus agréables (chaleureux, polis et sympathiques) au fur et à mesure que la situation devenait plus amicale, mais de moins en moins agréables (plus froids, grossiers et antipathiques) à mesure que la situation augmentait dans l’orientation des tâches. Cela semble logique, mais là aussi il y avait des différences individuelles : les bas agréables étaient au contraire plus désagréables lorsqu’il y avait amicalité, mais devenaient plus agréables lorsque les autres étaient moins amicaux.
Ce résultat m’avait particulièrement surprise, car si pour l’extraversion on s’attend à ce que de hauts extravertis aient pour stratégie de se faire des amis ou reconstruire une situation d’amicalité avec des inconnus contrairement à de bas extravertis qui n’engageront pas cette stratégie, quel est l’intérêt ici pour le bas agréable d’être désagréable avec des gens amicaux et inversement ?
Concernant la conscienciosité, il y avait un lien fort entre orientation vers les tâches et conscienciosité (.57 à p<.001), mais c’était aussi très différent selon les individus : pour certains plus haut consciencieux, l’état de conscienciosité était presque entièrement dépendant de l’orientation de la tâche dans la situation, alors que pour ceux plus bas, l’état de conscienciosité n’était qu’un peu plus élevé. On le voit bien sur le schéma, ou le haut consciencieux élève très fort sa conscienciosité dans la situation orientation vers la tâche, alors que par ailleurs elle est très basse. Alors que les plus bas en conscienciosité restent davantage sur un niveau moyen malgré le changement de situation. Autrement dit, la citation d’Isaka mise plus haut (travail = se consacrer avec toute son énergie à des activités que l’on n’aime pas) ne fonctionne que pour les plus hauts consciencieux, ceux plus bas vont légèrement augmenter leur effort, mais pas plus que ça.
Dans une seconde étude, Fleeson a augmenté le nombre de participants à 47, mais aussi leur nombre de rapports à 5 fois par jour pendant 5 semaines. C’était le même protocole, excepté que cette fois ce n’est pas l’agréabilité qui a été testée mais la stabilité émotionnelle (avec les adjectifs « sensible », « confiant », « en insécurité »). Fleeson et ses collègues ont aussi remplacé 3 caractéristiques de situation avec de nouvelles questions telles que :
- « Serez-vous (ou avez-vous été) évalué sur ce que vous faisiez au cours de la dernière demi-heure ?
- “Comment êtes-vous bon dans ce que vous faisiez au cours de la dernière heure ?
- “Au cours de la dernière demi-heure, avez-vous fait quelque chose pour le plaisir ou pour obtenir autre chose ? ».
Il a été découvert que plus la situation est orientée vers la tâche, plus le névrosisme augmente pour la personne moyenne. Mais il y a des différences individuelles et certains n’augmentent pas ou diminuent leur névrosisme dans cette situation.
Plus la situation était anonyme ainsi qu’orientée vers les taches, plus les personnes étaient consciencieuses (travail acharné/responsable/organisé). Mais certains au contraire augmentaient leur conscienciosité à mesure qu’ils étaient dans des situations familières (entourées de personnes connues/amies) plutôt qu’anonymes. Il y avait environ 6 % des personnes qui, dans des situations d’orientation vers la tache, diminuaient leur conscienciosité. Dans cette étude, l’extraversion était négativement corrélée à l’anonymat : les chercheurs expliquent qu’un temps de l’étude tombait pendant les vacances de printemps, mais cela peut aussi s’expliquer par le fait qu’ils aient remplacé la composante « amicalité des autres » par « affection pour les autres ».
En résumé, les résultats ont montré que la variation intra-individuelle dans les états des Big Five était en effet associée à la variation des caractéristiques de la situation ; il y a un rôle puissant des situations dans l’explication des états de personnalité.
Cependant la situation n’est pas non plus toute puissante – sinon tous les individus augmenteraient systématiquement tel trait dans telle situation. L’individu perçoit la situation singulièrement et y répond de façon singulière selon ses états moyens. Mais on ne peut pas pour autant prédire que tel trait moyen amènera à tel comportement, car il s’agit d’une interaction subtile, stratégique, et parfois bien mystérieuse à mon sens, comme le fait d’augmenter sa conscienciosité dans des situations amicales ou d’être plus désagréable lorsqu’on est entouré de personnes amicales.

La façon dont un individu agira à un moment donné n’est pas seulement fonction du niveau de trait de l’individu ou de la situation, mais plutôt de la façon dont l’individu répond de manière unique et régulière à la caractéristique de la situation concurrente. Et tout ceci est encore mystérieux, comme en témoigne la découverte de ces individus qui deviennent plus agréables (polis, chaleureux et sympathiques) dans un contexte où les autres sont inamicaux et désagréables (impolis, froids et antipathiques). Et si c’était parce que leurs buts étaient différents ?
C’est ce que nous verrons la prochaine fois !
La suite :
PP12 : NOS BUTS PRODUISENT NOTRE PERSONNALITÉ ?
Note de bas de page
La totalité de la bibliographie de ce dossier est présente ici : https://www.hacking-social.com/2023/04/03/%e2%99%a6ppx-sources/
1Ils citent en particulier ces études : la dynamique de la poursuite d’objectifs (Cantor et Kihlstrom, 1987), les modèles de comportement cycliques et inertiels (Brown et Moskowitz, 1998 ; Fleeson, 2001 ; Larsen, 1987 ; Larsen et Kasimatis, 1990), l’apprentissage de la stratégie adaptative (Siegler et Shipley, 1995), les rythmes biologiques ou hormonaux (Haus, Lakatua, Swoyer et Sackett-Lundeen, 1983) et les premières étapes du changement à long terme (Nesselroade, 1988)
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