Le blog d'Agnès Maillard
Blog d’opinions, de réflexions et de débats sur la société, la politique, le féminisme, l’économie ou juste l’air du temps.
Publié le 13.09.2021 à 17:39
Le 5 septembre dernier, la sémillante ministre de la Culture lâchait au cours d’une (longue) émission consacrée à sa politique culturelle sur la radio homonyme cette toute petite phrase insignifiante que personne (ou presque) n’a relevée : les syndicats pour les artistes ça ne compte pas ! La politique culturelle de Roselyne Bachelot, ministre de la […]
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Publié le 25.07.2021 à 18:29
Il existe trois grands traumatismes dans la vie d’un être humain : la naissance, la mort et le déménagement. Pour ce qui est de la naissance, j’ai déjà donné. Quant à la mort, je la laisse à ces heures sup’ actuelles, même si nous en avons fidèlement pris notre part ces derniers temps. Reste donc l’indicible […]
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Publié le 24.05.2021 à 19:30
Une brise soutenue et tiède balaie le grand parking et ébouriffe nos cheveux, promesse d’une belle journée et d’une efficace dissipation des miasmes. Nous sommes en terrain inconnu et nous dirigeons instinctivement vers ce qui pourrait être l’entrée principale du grand bâtiment métallique. Nous sommes étonnés d’y trouver une longue file d’attente, alors que tout […]
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Publié le 03.05.2021 à 15:30
C’est comme une énorme fête par anticipation, la perspective du retour à la normale. C’est marrant comme cette évocation reste puissante quand bien même l’expérience et le sage prouvent que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière. Mais le mythe persiste, celui de retrouver sa vie d’avant, parée de toutes les […]
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Publié le 08.03.2021 à 17:50
Je voulais faire l’impasse sur le 8 mars et finalement, c’est le patriarcat qui a décidé de faire de cette journée aussi une journée comme toutes les autres, c’est-à-dire une journée de plus où l’on méprise les gonzesses et où l’on doit se préoccuper une fois encore des pauvres petits problèmes existentiels de ceux qui souffrent […]
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Publié le 24.02.2021 à 17:01
Ma grand-mère avait coutume de commencer les livres par la fin. Elle ne lisait même pas la quatrième de couverture, non, elle l’ouvrait comme le fait aujourd’hui un lecteur de mangas, parcourait les 2-3 dernières pages et décidait alors seulement si le bouquin valait la peine d’être lu. Ce qui m’exaspérait au plus haut point. […]
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Publié le 13.09.2021 à 17:39
Le 5 septembre dernier, la sémillante ministre de la Culture lâchait au cours d’une (longue) émission consacrée à sa politique culturelle sur la radio homonyme cette toute petite phrase insignifiante que personne (ou presque) n’a relevée :
les syndicats pour les artistes ça ne compte pas !
La politique culturelle de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture et de la Communication, France Culture, le 5 septembre 2021Je me méfie toujours de ceux qui prétendent savoir mieux que les principaux intéressés ce qui leur conviendrait le mieux. Et encore plus quand ils parlent de ce dont d’autres n’auraient pas besoin.
Dans la petite saillie de Bachelot, il y a tous les clichés possibles et imaginables sur la condition éternelle de l’artiste, cet être frugal et solitaire, vivant son art comme un sacerdoce, dans l’isolement et le dénuement. Une vision des plus charmante quand on est précisément en charge des cordons de la bourse. Un jugement de classe. Et d’exploiteur.

Le parallèle entre Starbucks qui fait mine de ne pas voir les intérêts antagonistes de ses salariés et Bachelot qui met les syndicats sur la touche depuis qu’elle est arrivée à son ministère m’a littéralement sauté aux yeux. Et ce déni de démocratie n’a pas échappé à la plus affutée des artistes de combat que je connaisse :
Que les syndicats d’artistes ne comptent pas aux yeux du ministère n’est pas pour nous une grosse surprise. En revanche, n’en déplaise à la ministre, les syndicats comptent bien évidemment pour tout professionnel, notamment pour les artistes-auteurs comme pour les artistes-interprètes.
Et puisque madame la ministre a rendu hommage hier à Jean-Paul Belmondo, voilà une réponse d’outre-tombe de Belmondo :
La CGT « est un syndicat comme les autres. Je sais que vous allez penser aux vedettes, aux gros cachets… Nous sommes quoi, une dizaine peut-être ? N’en parlons pas, car là il ne s’agit plus à proprement parler de notre métier d’acteur. Nous sommes traités à ce niveau non pas comme des comédiens, mais comme des marques de pâte dentifrice. Ce n’est pas ça le spectacle. Le spectacle, ce sont les quelque vingt-mille comédiens, acteurs de cinéma, de théâtre, de télé, qui travaillent quand on veut bien leur en donner l’occasion et dont beaucoup ont bien du mal à vivre de leur métier, ce métier qu’ils ont choisi et qu’ils aiment. Et ceux-là, je vous assure, ils ont besoin d’être syndiqués et de se battre pour la vie. ».1
Il en est de même pour les AA. Comme chacun sait la précarité et les trappes de pauvreté sont pires encore pour les AA que pour les artistes-interprètes.
Qui dit syndicats dit capacité pour les créateurs et créatrices de pouvoir défendre leurs intérêts professionnels, comme peuvent le faire toutes les autres professions en France. Pour mémoire la question du financement des syndicats d’AA n’est toujours pas résolue, ni même abordée. La question du versement d’IPG aux AA qui prennent du temps sur leur travail de création pour défendre les intérêts professionnels collectifs des AA est elle aussi soigneusement repoussée aux calendes grecques.
Je souhaiterais savoir si le Cabinet2 à un commentaire à faire sur la déclaration antisyndicale de la ministre. »
Katerine Louineau, syndicat du CAAP
Bien sûr, derrière la petite phrase de Bachelot, tombée comme par inadvertance, il y a un enjeu bien plus important : celui de continuer à nier à plus de 200 000 artistes-auteurs professionnels le droit de désigner démocratiquement leurs représentants, l’une des propositions les plus importantes du rapport Racine, commandé pour trouver des réponses concrètes à la très grande précarité de la profession.
Les mesures concrètes – vingt-trois au total, dont beaucoup sont très techniques – s’articulent autour de trois grands axes, le premier étant l’établissement d’un statut professionnel des artistes-auteurs, clairement défini par des textes. Car il n’existe toujours pas, à ce jour, de définition de l’auteur, ce dernier étant reconnu comme tel uniquement si un contrat est établi avec un diffuseur. Ce statut, basé sur la pratique créative, construirait donc un corps professionnel, ouvrant potentiellement des droits aux créateurs auto-diffusés. En somme, on reconnaîtrait la « carrière artistique comme métier et pas seulement comme vocation » et, si cela semble symbolique, c’est en fait une avancée capitale qui leur permettrait notamment de peser plus face aux « acteurs de l’aval » (éditeurs, producteurs, diffuseurs…), plus puissants et mieux organisés.
Rapport Racine : pour les artistes et auteurs, 23 mesures prometteuses… qu’il faut concrétiser , par Sophie Rahal, Télérama du 24 janvier 2020En niant notre droit fondamental à défendre précisément nos droits, en nous souhaitant divisés, éparpillés façon puzzle, Roselyne Bachelot est dans la droite lignée du gouvernement, un gouvernement qui pour se renforcer n’a de cesse que de diviser, opposer, mettre en compétition et surtout piétiner les droits fondamentaux de ceux qu’il prétend gouverner.
Donc, l’origine de l’expression éparpillés façon puzzle, pour finir et peut-être donner aux plus jeunes l’envie de découvrir ce film d’anthologie.L’article Dans les règles de l’art est apparu en premier sur Le Monolecte.
Publié le 25.07.2021 à 18:29
Il existe trois grands traumatismes dans la vie d’un être humain : la naissance, la mort et le déménagement.
Pour ce qui est de la naissance, j’ai déjà donné. Quant à la mort, je la laisse à ces heures sup’ actuelles, même si nous en avons fidèlement pris notre part ces derniers temps. Reste donc l’indicible harassement de devoir compacter toute une vie en petits cartons bien alignés, dument étiquetés.
Partir, c’est mourir un peu. Rester, c’est mourir beaucoup.
Texte d’une caricature d’Ali Dilem sortie en 1994 sur l’exil des Algériens.1
Ils sont arrivés un peu à la bourre dans leur 30 m³ que l’on trouve un peu étriqué pour bouger la masse insensée de trucs qu’on n’a pas réussi à benner à la déchetterie. Presque 14 ans de vie de blédards. Près d’un quart de siècle de grande ruralité. Des compilations de sapoura qui s’oublient par strates et qui rendent fous les archéologues du quotidien que nous sommes devenus. C’est le miracle des petits pains, mais en mode malédiction : tu sors ton merdier par kilos et pendant que tu as le dos tourné, une tonne de plus a jailli du néant, en mode génération spontanée.
L’art de cartonner
Au début, tu fais tout bien. Les premiers cartons ont même été numérotés et leur contenu inventorié dans un carnet. Mais au fur et à mesure que l’échéance approche et que tu vois que le merdier continue à dégueuler sans fin des recoins, tu perds un peu en précision logistique. La veille de la grande translation, on a fini en mode fouzytout2, à balancer les trucs presque en vrac, désespérés par l’implacable avancée du temps, abrutis de fatigues et de douleurs cumulées, acculés dans nos écuries d’Augias que nul Héraclès ne viendra déblayer… sauf les déménageurs, dans le petit matin frais… et pluvieux, ultime bras d’honneur de cette contrée que l’on veut fuir.
Mon premier déménagement, c’était une valoche sous le bras et en bus régional. Je ne compte pas ceux d’avant, ceux des parents auxquels je n’ai pas participé. Le suivant, déjà, il m’a fallu deux cartons et un coffre de Renault 5. Puis la camionnette et les potes. Le dernier, il y a donc 14 ans, c’était le camion du boulot et une énorme marmite de poule farcie pour réconforter les amis et soulager la fatigue. On en avait bien chié, tous ensemble et ça nous avait un peu dégoutés de recommencer. Mais voilà, la vie suit son cours et vous file des coups de pied au cul qui — étrangement — vous gueulent à l’oreille qu’il est temps de partir ailleurs découvrir ce qui nous attend derrière la prochaine moraine.
Entre le covid qui a bien pourri nos plans et le fait qu’on se retrouve à transbahuter nos vies en plein été, on a donc pour la première fois fait appel à des pros plutôt qu’aux potos. Faut dire aussi qu’eux comme nous n’ont pas vraiment rajeuni ces derniers temps et qu’on ne se voyait pas leur demander de remettre le couvert pour ce truc de forçats.
On est dans l’expectative. L’histoire de Sylviane qui avait pris l’option petite cuillère parce qu’elle est trop handicapée pour se taper cet enfer et qui s’est quand même retrouvée plantée sous la pluie avec son tas de cartons qui prenaient l’eau nous avait pas mal échaudés. Mais 100 fois, ces dernières semaines, on a regretté de ne pas avoir demandé le service complet, celui qui coute la peau du cul, mais qui fait que d’autres gèrent ton merdier. Je sais. C’est mal. Mais on n’avait pas idée d’à quel point on allait en baver.
Nous sommes un peu inquiets de ne découvrir que trois déménageurs pour charrier 120 m² de trucs qu’on aurait dû passer au napalm juste avant de donner notre préavis de départ. Surtout qu’il y en a un qui est gaulé comme un coton-tige et un autre qui n’a pas l’air bien plus jeune que nous. Mais en même temps, nous sommes un peu au bout de notre vie et le chauve plus très jeune qui a l’air d’être le chef nous dit exactement ce que nous avions besoin d’entendre :
Ne vous inquiétez pas, à partir de maintenant, c’est nous qui prenons tout en charge !
C’est tout juste si nous n’éclatons pas en sanglots de soulagement. Pour la première fois depuis des semaines, tout ce que nous devons faire, c’est se poser dans un coin et ne pas les gêner.
En fait, j’avais oublié ce que cela fait quand quelqu’un d’autre s’occupe de tout. Je pense que c’est ça qui rend tant de gens nostalgiques de l’enfance : quand les trucs désagréables échoient aux adultes responsables. Trop longtemps que nous jouons ce rôle, toujours en mode impro, avec un bonheur discutable.
Les démés
Le chauve est bien le chef. D’ailleurs, c’est lui qui conduisait le camion, manœuvrant au poil de cul sur notre chemin trop étroit. C’est surtout un pro. Un comme dans les pubs Manpower de ma jeunesse : le gus concentré, qui sait faire et qui fait bien. Il résout n’importe quel problème avec des couvertures et un rouleau de raphia. Il a une technique de malade pour faire des nœuds étranges, serrés et solides en un tour de poignet et un coup de ciseaux. Et il instruit le jeune baraqué :
— Non, si tu as un buffet avec des clés, tu ne scotches pas les clés sur la porte : elles peuvent s’arracher et se perdre. Non, tu fais une boucle [de raphia] à l’arrière et tu places les clés dans la boucle. Tu ne sais pas qui va déballer ton colis, mais tous les démés vont commencer par aller chercher les clés dans la boucle à l’arrière.
Un vocabulaire, des techniques, une communauté de savoir qui se comprend : la grimpeuse en moi se réjouit.
— Mais il y a une école de déménageurs pour savoir tout ça ?
— Il y a bien un CAP, mais en vrai, tout le monde s’en fout. Tout s’apprend sur le tas. Comme je le fais en ce moment.
Il y a effectivement une dynamique de petit padawan entre le jeune baraqué et le Yoda chauve à lunettes. Le coton-tige, lui, est d’une autre espèce, même s’il est inclus dans le festival de vannes. Le trio bosse dur et fort, mais passe aussi son temps à s’envoyer de petits fions qui tiennent plus de la tape d’encouragement que de l’uppercut de domination. Cela crée comme un bruit de fond qui fluidifie l’effort.
Le jeune mince est étudiant et vu que sa situation familiale s’est dégradée, il profite des vacances pour se faire de l’argent. Comme il est nouveau et sans technique, il est préposé au charriage de cartons, cornaqué par Yoda. Je pense que plutôt que de balancer ses deux années de socio pour la psycho, il gagnerait à bifurquer en psychologie sociale, surtout qu’il va passer l’été aux premières loges dans l’intimité de ses contemporains.
Je relance le chef (qui apprécie immodérément qu’on lui donne du chef avant de se marrer).
— Avec un boulot pareil, vous devez économiser sur la salle de sport.
— Vous pensez vraiment que ce métier fait du bien à nos corps ?
Pan sur mon bec.
— Ouais, bon… effectivement…
— Vous le saviez qu’ils nous ont refusé la pénibilité ?
— Sérieusement ? Mais comment c’est possible ?
— Ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas quantifier les charges que nous portons chaque jour, et que sans quantification, on ne peut pas calculer la pénibilité3.
— Mais c’est n’importe quoi ! Là, on pèse le camion le matin, puis on le repasse à la balance une fois chargé, on divise par le nombre de gus la différence, on multiplie par deux si chargement + déchargement et on a une très bonne estimation du poids porté.
— Peut-être, mais ils ont décidé que déménageurs, ce n’est pas pénible. D’ailleurs, il n’y a que les chauffeurs qui sont concernés. Les autres ne comptent pas. Moi, j’ai calculé que je dois encore tenir 10 ans pour avoir une retraite potable de 1500 €/mois. Ce n’est pas la pénibilité, c’est un truc qu’ils appellent le Congé de Fin d’Activité et c’est un truc pour les routiers, dont je fais partie. À 58 ans, j’aurais 27 ans de conduite, j’aurais fini de payer la maison, alors 1500 €, ça devrait suffire.
— Mais avec les nouvelles réformes qui s’annoncent, ils vont peut-être vous demander de tenir plus longtemps ?
— Je ne crois pas qu’ils vont y toucher. Parce que s’ils le font, ils savent qu’on peut tout bloquer4. Alors, ils n’y toucheront pas.
— Oui, je vous le souhaite. Mais quand même, passé 50 ans, ça va être rude pour continuer à charrier des trucs.
— Surtout que depuis que j’y suis, les conditions de travail n’ont cessé de se dégrader. J’aime ce métier, mais trois personnes pour un déménagement comme le vôtre, c’est quand même juste.
— Ah, oui… on se disait aussi…
— Oui, donc moins de démés pour le même boulot, c’est aussi plus de fatigue, plus d’usure, plus de problèmes. Mais voilà, si on met plus de gens, il faudra faire payer les clients plus cher et ça, ça ne passe plus…
Sur le total de ce que l’on a réglé, je doute que la main-d’œuvre fasse le gros de la note, mais ça, je le garde pour moi. Parce que pendant tout cet échange, Yoda n’a pas cessé de bouger, d’emballer, trimbaler, aider, conseiller, ranger, nouer, charrier tout en refaisant mon éducation prolétarienne contemporaine d’une voix calme… alors qu’il n’a que deux ans de moins que moi, qu’il fait ça tous les jours et que je me traine dans son sillage, dans un corps qui doit avoir 80 ans.
Finalement, ils ne mettront que deux heures pour embarquer toute notre vie dans leur camion et Yoda me montre qu’en fait, quand c’est bien rangé, il y a encore de la place dans la remorque. Derrière, ils vont s’enquiller une heure de route, puis tout refaire à l’envers, avec un étage en plus. Monsieur Monolecte qui gère l’arrivée me racontera qu’ils n’ont pris qu’une pause sandwiches de 30 minutes avant de remettre le couvert, toujours avec gentillesse et bonne humeur, mais que Yoda lui a avoué au moment de partir qu’après une journée pareille, tout ce qu’il peut faire, c’est se trainer au lit.
Le lendemain, de mon nouveau balcon, je verrai passer le courageux petit camion vers sa nouvelle mission et je retournerai me frayer laborieusement un passage dans ma jungle de cartons.
L’article Les démés est apparu en premier sur Le Monolecte.
Publié le 24.05.2021 à 19:30
Une brise soutenue et tiède balaie le grand parking et ébouriffe nos cheveux, promesse d’une belle journée et d’une efficace dissipation des miasmes. Nous sommes en terrain inconnu et nous dirigeons instinctivement vers ce qui pourrait être l’entrée principale du grand bâtiment métallique. Nous sommes étonnés d’y trouver une longue file d’attente, alors que tout a été pensé théoriquement pour éviter au maximum la concentration de personnes. Mais la file est masquée, en plein vent, c’est déjà mieux que rien.
On avise alors des barrières et des rubans qui délimitent un autre parcours, désert celui-ci. On ne comprend pas. Il y a une feuille A4 collée contre un poteau, plus loin. On approche : Noms de L à Z…
Sérieusement ?
Nous avons pris deux rendez-vous contigus dans le temps pour passer en fin de journée et voir s’il ne resterait pas une dose à sauver de la poubelle pour le Minilecte. L’idée, c’est donner des créneaux horaires pour un passage fluide afin d’éviter les attroupements… et là, il y a deux files d’attente… par ordre alphabétique !
— Mais par où doit-on passer quand on a rendez-vous ?
Manifestement, nous ne sommes pas les seuls à être perplexes. C’est juste un coup de bol que nous soyons du même côté le l’alphabet. On suit le parcours sur le côté, puis derrière les poubelles, puis on arrive à une petite file d’attente devant une porte de service.
La porte vitrée s’ouvre sur un long couloir étroit et sombre. Un homme nous barre la route avec un énorme distributeur à pompe de GHA1. Sur le côté, à sa hauteur, il y a une femme debout devant une sorte de guéridon de bar qui parcourt une liste de nom qui s’étale sur une liasse de feuilles A4. Le couple devant nous franchit le seuil et là, la femme au guéridon retire son masque complètement en s’écriant :
— Salut [Machine], quelle bonne surprise ! Tu as vu ? Avec mon masque, tu ne m’as pas reconnue !
Le fait que [Machine] ne retire pas son masque pour répondre ne me console pas vraiment de l’inénarrable abattement qui vient de me tomber dessus.
— Nous avons rendez-vous pour 16h20…
— Non, mais ça ne compte pas, ici on prend les gens quand ils viennent, du moment qu’ils sont sur la liste.
On est sur la liste.
Le gus au GHA nous tombe sur le paletot.
— Aller, un petit coup pour passer !
Je repense au tweet de la prostituée qui racontait qu’elle détestait les distributeurs de GHA que l’on trouve dans les espace publics. Les trois quarts du temps, les mélanges sont médiocres et on se retrouve avec les mains tellement collantes qu’elle a l’impression de faire des heures sup’. Je contourne l’obstacle et son distributeur d’inutilité pendant que ma famille se fait littéralement poisser.
— Et fermez la porte !, poursuit le type le moins informé de l’univers.
Nous parcourons au pas de charge un couloir sombre, étroit, au bout duquel s’ouvre sur la gauche un espace bien plus vaste. Il y a déjà une petite demi-douzaine de personnes, toujours dans le couloir, qui attend de pouvoir s’installer à une table où deux volontaires prennent la température et distribuent des formulaires. Il est évident qu’on aurait pu être moins massés2 sans cette connerie de tri alphabétique.
En fait, ça bloque. Pour une raison que j’ignore, plus personne n’entre dans la grande salle. Et pendant ce temps, les gens continuent à s’entasser derrière nous. Au fond, le gus au flacon à pompe continue à gueuler de fermer la porte. Il fait chaud. Nous sommes à présent une quarantaine de gens coincés dans un couloir étriqué et moite. Dont les habituels 5% de masques sous le nez. Je suis totalement furieuse. Nous macérons littéralement dans notre jus et le seul truc qui me protège de l’haleine éventuellement chargée d’une cinquantaine d’autres personnes dans un espace totalement confiné, c’est mon masque. Nous en avons des spéciaux qui nous permettent de ne pas avoir de fuites sur les côtés. Mais ils ont l’inconvénient de leur avantage : on transpire abondamment dedans.
Bien sûr, pas de distance de sécurité, pas d’aération, les gus à nez sorti qui font les 100 pas pour montrer leur impatience et remontent la foule agglutinée peut-être dans l’espoir de gratter une place en enfer.
Finalement, l’une des volontaires revient : ils n’avaient pas imprimé assez de formulaires !!!
Les gus piquent des gens depuis un mois ou deux, les personnes viennent sur rendez-vous : il n’y a pas plus prévisible que le nombre de formulaires que l’on doit avoir sous la main pour la journée, plus la marge d’erreur de ±5%… un peu comme les pifs sortis.
Les bonnes intentions
Oui, je sais. Ce sont des volontaires. Des gens qui prennent de leur temps pour… pour quoi, déjà, pour pallier l’incurie de l’exécutif qui n’a en fait organisé que le désordre, l’incurie, les passe-droits, les coupe-files et le démerdez-vous généralisé ?
Je comprends tout ça. Mais soyons clairs : ce niveau d’incompétence est inexcusable. À tous les niveaux. Et surtout par ce qu’il révèle de l’indigence — organisée, elle — de nos services de santé, de nos collectivités et de notre exécutif.
Le thermomètre refuse de marcher3, les formulaires sont pratiquement illisibles, parce que personne n’a pensé à changer le toner ou peut-être même en commander plusieurs d’avance en prévision de la surcharge d’utilisation. J’ai l’impression d’être au festival de l’improvisation au doigt mouillé. Les gens sont gentils, font de leur mieux… mais leur mieux, en l’absence d’informations, de moyens et de directives claires, est au mieux insuffisant, au pire, criminel. Je ne sais pas si nos masques ont suffi à tenir le choc pendant notre immersion dans le bouillon de culture. Cela nous ramène aux facteurs chance et probabilités.
- Prise en compte de l’aérosolisation du virus : 0.
- Respect des procédures 4 : 0.
- Respect des distances physiques : 0.
- Anticipations des aléas : 0.
- Non-brassage des populations : 0.
Dans le grand hall, le festival continue. Les différentes files se rejoignent, se séparent, puis se rejoignent à nouveau de l’autre côté de la barrière de boxes improvisés. Les chaises pour attendre les 15 minutes réglementaires5 sont collées les unes aux autres. Les gens patientent au coude à coude. C’est haut de plafond, mais je ne sens pas un souffle d’air dans cette turne. Tout est fermé et immobile et en permanence, il y a plusieurs centaines de personnes qui macèrent là-dedans. Je me fais l’effet de visiter une léproserie à la fin du moyen âge.
Les allergiques gagnent 15 minutes de détention en plus dans le covidrome géant. Là aussi : pourquoi ne pas les prévenir plutôt de prendre leur antihistaminique préféré avant de venir ? Ce n’est pas comme si les allergiques n’avaient pas l’habitude d’en prendre.
Finalement, je vais passer 45 minutes dans cette pétaudière et ma famille une heure complète. En espérant qu’un super-spreader 6n’aie pas choisi de passer dans le coin ce jour-là. Et de faire un carton.
Je sais.
Ce n’est pas partout comme cela. D’autres centres sont totalement fluides et organisés, tu les traverses en quelques minutes, tout est parfaitement huilé, défini, borné… Tu le sais parce que tu as discuté avec des amis, des connaissances.
Mais ce que j’ai vécu n’est pas normal. Il n’est pas normal qu’une question de santé publique aussi importante que celle-là soit laissée à la seule bonne volonté, aux moyens financiers, à l’implication et au sens pratique à géométrie variable des collectivités locales. Il n’est pas normal que plus d’un an après le début de cette pandémie, tant de gens soient encore totalement ignorants de la dynamique du virus… et encore plus quand ces personnes sont impliquées dans la gestion d’un covidrome vaccinodrome.
Il ne s’agit pas de distribuer les bons ou les mauvais points. Tout le monde est à bout dans cette histoire : les gus qui s’en foutent, n’y croient pas et se sentent victimes d’un complot visant à les priver de leur droit fondamental à se battre les steaks de la vie des autres, les gus qui s’informent comme ils peuvent dans le monceau de conneries contradictoires, qui enragent des décisions stupides et qui désespèrent qu’on voit un jour le bout du tunnel, les soignants — quelque soit leur camp — forcément en première ligne, épuisés, souvent à la ramasse, parfois à ça de jeter l’éponge et de laisser tout le monde se dépatouiller des pénuries de tout, tout le temps. Sans compter les jeunes qui voulaient juste vivre leur jeunesse, les pauvres qui voulaient juste bouffer et/ou un peu de répit7, les premiers de corvées encensés quand il ne restait plus qu’eux pour approvisionner les riches planqués et qui depuis le début de ce merdier expérimentent pratiquement tous les jours de leur vie ce que j’ai vécu, dans leurs covidromes respectifs : le RER, le métro, le bus, la caisse à barrière plexi dérisoire, le centre de tri, la chaine de production, le guichet jamais dématérialisé, la salle de classe aux fenêtres qui ne s’ouvrent pas… et tout ça avec des masques chirurgicaux plus ou moins neufs, plus ou moins ajustés, plus ou moins aux normes, mais qu’on doit se fader 7 à 12 heures par jour.
C’est juste un peu de merdier qui vient s’ajouter à toujours plus de merdiers.
Un merdier où je ne frétille pas d’avance de devoir y retourner dans huit petites semaines.
L’article Covidrome est apparu en premier sur Le Monolecte.
Publié le 03.05.2021 à 15:30
C’est comme une énorme fête par anticipation, la perspective du retour à la normale. C’est marrant comme cette évocation reste puissante quand bien même l’expérience et le sage prouvent que l’on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière. Mais le mythe persiste, celui de retrouver sa vie d’avant, parée de toutes les vertus et surtout nimbée d’un bon gros brouillard nostalgique.

C’est réglé comme du papier à musique et on entend presque la fanfare qui accompagne la foule en liesse.
Et on ne voit vraiment pas ce qui pourrait mal se passer.

Les grandes espérances
Je vous demande d’être responsables tous ensemble et de ne céder à aucune panique, d’accepter ces contraintes, de les porter, de les expliquer, de vous les appliquer à vous-mêmes, nous nous les appliquerons tous, il n’y aura pas de passe-droit, mais, là aussi, de ne céder ni à la panique, ni au désordre. Nous gagnerons, mais cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent. Ne nous laissons pas impressionner. Agissons avec force mais retenons cela : le jour d’après1, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant2. Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences.
Adresse aux Français du Président de la République Emmanuel Macron, 16 mars 2020Rétrospectivement, le discours de confinement de Macron sonne plus comme un amoncèlement de menaces que comme un inventaire de promesses et de sortie par le haut. Et nous sommes encore loin d’en avoir réellement tiré toutes les conséquences.
Nous traversons la pandémie les yeux rivés sur l’espérance d’un monde d’après, un monde qui aura pris la mesure de la crise surmontée et surtout de toutes celles à venir, un monde qui aura appris de ses erreurs, mais surtout de ses réussites communes. À l’échelle mondiale, tous les pays ont tiré les conséquences de la pandémie et ont fait leurs choix : certains pour leur population et d’autres contre. Ces choix sont essentiellement politiques.
Il n’y aura pas de monde d’après. Quand la pandémie sera terminée, le monde sera la suite de celui qu’il aura été pendant – autrement dit, socialement mortifère et écologiquement désastreux. Les discours sur le « monde d’après » s’appuient sur la reconnaissance du coronavirus comme opérateur politique : sa seule existence serait en elle-même à l’origine de profondes reconfigurations politiques. Le virus en lui-même ne changera rien, c’est un micro-organisme dont l’action n’est pas consciente, mais seulement biologiquement réactive. En revanche, parce qu’elle s’inscrit dans un vaste et complexe système social, la pandémie est quant-à-elle bien un « moment » au sens d’Henri Lefebvre, soit une situation particulière rassemblant des conditions historiques contingentes, propices à des changements politiques65. Certains changements déjà perceptibles sont d’une faible intensité politique : peut-être le port du masque sera normalisé en hiver, saison favorisant la diffusion de nombreuses maladies communes. Le « moment » pandémique concerne lui des mutations plus profondes des sociétés contemporaines, comme l’émergence d’une raison sanitaire, qui en serait déjà un résultat important, qu’il faut ensuite rendre « irréversible ». Celle-ci représente en effet un impératif écologique/écologiste à double titre.
La naturalisation comme dépolitisation de la pandémie, 27 avril 2021, Perspectives printanièreLa politique du déni

Le sentiment d’irréalité est total. Total parce que partout et de tous les instants. Nous étions dans une guerre contre un ennemi qui ne ne voit pas, qui avance furtivement jusque dans nos maisons, qui peut s’installer des semaines sans que rien ni personne ne le détecte, puis qui se met à moissonner massivement, faisant cette fois disparaitre les gens dans les hôpitaux, dans les maisons de retraites, voire à domicile, dans la plus grande des discrétions, avant de se replier un peu plus loin, pour revenir plus fort, plus malin, laissant derrière lui des hordes de blessés graves que l’on fait mine de ne pas voir.
C’est toujours difficile de prendre la mesure d’un évènement alors que nous sommes encore en train de le vivre. C’est encore plus ardu quand — alors que le tocsin sonne encore dans toutes les campagnes —, nous faisons mine d’avoir laissé le problème derrière nous et tordons le bras à la réalité pour lui faire dire que c’est bon, c’est derrière nous et que nous devons nous empresser de nous vautrer dans une vie d’avant qu’en réalité nous n’avons jamais fait que fantasmer.
Qu’il est difficile de croire ce que l’on ne voit pas, que l’on ne comprend pas. C’est d’autant plus difficile quand le déni est, lui aussi, global, total et alimenté quotidiennement par des intérêts bien particuliers3 qui ont la main mise sur le gros des médias et l’oreille complaisante des puissants.

Qu’elle est forte la tentation d’adhérer à la rengaine lancinante des rassuristes qui promettent d’oublier toute cette merde, toute cette angoisse, là, tout de suite, ici et maintenant, pourvu que l’on produise, que l’on consomme et que l’on ferme bien fort notre gueule et les yeux sur l’autre guerre, toujours en cours, de moins en moins discrète et de plus en plus âpre, celle juste contre nous, les gueux, les riens, et nos petits magots socialisés.
Le monde d’après
Il n’y aura pas de monde d’après, parce que nous y sommes déjà. Un monde fondé sur le déni des preuves scientifiques, des inégalités sociales et des politiques mortifères, un monde où l’on va vivre avec les calamités, c’est-à-dire que nous allons en subir les conséquences pendant qu’ils en tireront les bénéfices. Un monde pas très différent de celui d’avant, en fait. Surtout nettement moins faux-cul.
La pandémie s’abat sur un monde déjà très inégalitaire et où les écarts de richesses n’ont cessé de se creuser ces dernières années. Selon les travaux du Laboratoire sur les inégalités mondiales, entre 1980 et 2016, les 1 % les plus riches ont capté 27 % de la croissance du revenu mondial, plus du double de ce qu’ont gagné les 50 % les plus pauvres.
Et ce sont les pauvres et tous les laissés-pour-compte de la croissance, plus représentés dans les catégories les plus vulnérables (les femmes, les communautés ethniques historiquement marginalisées, les migrants…) qui sont le plus durement frappés par les conséquences en cascade de la pandémie, à la fois parce qu’ils ont moins accès aux soins et parce qu’ils sont surreprésentés dans les secteurs économiques les plus éprouvés par la crise sanitaire et les plus mal rémunérés (la santé et les services à la personne, le secteur informel urbain…).
Au Brésil, les personnes afro-descendantes ont 40 % de chances en plus de mourir du Covid que les personnes blanches, rapporte Oxfam. De même, aux Etats-Unis, le taux d’hospitalisation des personnes atteintes par le virus était cinq fois plus élevé chez les noirs, les hispaniques et les natifs que chez les blancs. Comme les personnes, ce sont aussi les Etats les plus fragiles qui trinquent le plus, avec la chute des transferts des migrants, des investissements étrangers, des recettes fiscales et l’explosion de la dette publique non pas allégée, mais différée pour une part minime de l’encours total.
Le coronavirus fait exploser les inégalités partout dans le monde alerte Oxfam, par Antoine de Ravignan, 28 janvier 2021, Alternatives économiquesNous vivons déjà dans un monde où il y a des gens qui ne sont rien, qui ne comptent pas vraiment, des quantités négligeables de gens négligés, des surnuméraires que l’on peut sacrifier sur l’autel du confort, des loisirs et de la croissance infinie par pack de 300… par jour. Un monde où l’on s’habitue à des taux de perte conséquents. Pourvu que l’on puisse retourner s’amuser, profiter de la vie, celle des méritants et surtout des bien-nés. Un monde où le pandémicide est devenu un mode de gestion tout à fait acceptable et assumé.

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Publié le 08.03.2021 à 17:50
Je voulais faire l’impasse sur le 8 mars et finalement, c’est le patriarcat qui a décidé de faire de cette journée aussi une journée comme toutes les autres, c’est-à-dire une journée de plus où l’on méprise les gonzesses et où l’on doit se préoccuper une fois encore des pauvres petits problèmes existentiels de ceux qui souffrent de tous leurs privilèges.
Qu’ils aillent bien se faire cuire leurs précieuses couilles avec leur minable manœuvre de diversion !
La place des grosses
Ma grosseur m’a exclue de la sororité implicite, celle qu’on partage autour des soucis de l’adolescence, des histoires de cœur, des fringues, du corps qui devient désirant et désiré. J’ai longtemps couru après l’idée que je me faisais de la femme grosse idéale. Je me suis faite “jolie”, j’ai pris soin de ma peau, de mes ongles, j’ai déployé une énergie folle à trouver des vêtements qui mettaient mes seins en valeur, car j’ai compris que seule ma poitrine me permettait de sortir du brouillard du genre orchestré par mon poids. J’ai ainsi négocié ma place chez les femmes, adopté leurs signes distinctifs, je me suis rendue reconnaissable comme telle aux autres. Je ne me suis vraiment reconnue femme que dans la violence de mes relations aux hommes cisgenres, que dans une hétérosexualité obligatoire. Comme le négatif d’une pellicule, me confronter à leurs corps, à leurs désirs, à leur violence, me permettait de créer un espace où j’étais sûr.e de ne pas être un homme, j’étais donc rassurée, à ma place. J’ai accepté de me déguiser, de me faire pénétrer, de me faire violence, de nier toute forme d’identité propre à mon histoire, à mon esprit, pour participer à la course à la validation.
8 mars 2021, par Daria Marx
Cela fait des années que je lis Daria. Je pourrais broder sur son talent, sur sa puissance, son intelligence, son acuité, son écriture incisive. Parce qu’elle a tout ça, bien sûr. Mais en vrai, j’ai besoin de lire Daria pour continuer à cheminer dans ma tête et plus particulièrement pour m’éduquer. Parce que, comme tout le monde, j’ai été dressée à repousser les grosses, à leur reprocher de prendre plus de place qu’on ne nous en accorde habituellement, c’est-à-dire : que dalle.

Et dans cette guerre aux femmes, dans cette négation à les laisser exister dans quelque espace que ce soit, les grosses sont encore plus mal traitées, parce que débordant systématiquement des (toutes) petites boites où l’on s’entend à les faire disparaitre.
Intersectionnalité des luttes
Mais dans la course à l’invisibilisation des femmes, de leurs luttes et de leurs achèvements, il y a compet’. Et même dans un magazine dit féminin qui consacre ses Unes aux femmes différentes, on se rend compte qu’il y a des différences plus présentables que d’autres.

Mon attention est attirée alors par Looping MacGyver qui a eu un mal de chien à trouver la huitième couverture1.

Encore une femme qui prend trop de place, y compris au milieu de ses sœurs.
En tant que femme, si vous avez de la personnalité, direct, on va vous dire : « Tu es dure, autoritaire. » Si vous êtes une femme handicapée, encore plus, vous devriez doublement la fermer. Votre personnalité ne colle pas avec ce que vous êtes supposée être. Plus jeune, je me disais : « Les femmes doivent être douces, moi, je n’ai pas ce truc-là. » Je voyais ça comme un problème.Maintenant, j’assume. J’ai du caractère. Ça a le grand mérite d’éloigner les gens inintéressants. Petite, j’adorais les personnages de méchantes, de reines machiavéliques.
Elles me donnaient envie de leur ressembler, j’aurais aimé être aussi impitoyable. Je m’identifiais plus à ces femmes diaboliques qu’aux princesses nulles. Elles incarnaient la mauvaise féminité, celles qui veulent le pouvoir. Ce sont des mecs qui créent ces personnages : ils leur prêtent l’ambition de contrôler le monde alors qu’en fait, elles veulent juste contrôler leur vie.
C’est ce qu’on reproche aux féministes, finalement. Vraiment, j’adore ces personnages. C’est pour ça que je me dessine des sourcils de méchante. Pour rigoler, jouer avec ce type de codes.
Élisa Rojas, l’avocate activiste « l’intime est un enjeu politique », Marie-Claire, 4 mars 2021
Ce sur quoi toutes deux s’accordent2 — chacune du fond de la singularité de son parcours —, c’est que la voie de l’émancipation de toutes les femmes passe par la fin de la validation de ce qu’elles sont, de ce qu’elles pensent ou de ce qu’elles font par les hommes.
Je me fous totalement de la façon dont les hommes me considèrent. Je pense d’ailleurs que les femmes hétéros perdent trop de temps à essayer de savoir si elles plaisent ou pas aux hommes. Il faut n’en avoir juste rien à secouer.
Idem
Mais en fait, ignorer leurs regards, leurs jugements3, leur agenda, leurs priorités, leurs critères ne suffira pas. Si nous ne voulons pas crever de leur sollicitude, il va falloir aussi les priver de notre propre assentiment, notre propre validation de dominées. Et c’est cette affirmation qu’Alice Coffin paye aussi cher.
Je sais qu’ils veulent qu’on crève.
Je ne sais pas comment cela va finir.
S’ils auront la peau de l’humanité avant qu’on ait la leur, si l’on va sortir les couteaux.
Ou, à défaut de prendre les armes, organiser un blocus féministe. Ne plus coucher avec eux, ne plus vivre avec eux en est une forme. Ne plus lire leurs livres, ne plus voir leurs films, une autre. À chacune ses méthodes.
Nous avons le pouvoir, sans les éliminer physiquement, de priver les hommes de leur oxygène : les yeux et les oreilles du reste du monde. « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette », dit le slogan féministe. L’inverse n’est pas vrai. Nos regards béats, attendris et indulgents sont l’air dont se gonfle la masculinité. Cessons d’admirer les exploits et colères des petits garçons, les œuvres, les corps et les discours des hommes, et ils cesseront d’exister.
Le génie lesbien, Alice Coffin, Grasset, 2020
Et pour finir :
Je ne dis jamais que les hommes, aussi, ont tout à gagner au féminisme. C’est faux. Ils ont tout à perdre. Leurs privilèges, leurs monopoles, leur pouvoir. C’est un combat, nous ne le menons pas ensemble. Ce sera le cas lorsque les hommes quitteront un à un leurs postes pour les laisser aux femmes, accepteront d’entendre les souffrances qu’ils causent et paieront. Il faut qu’ils paient. Ce n’est pas un cri de vengeance, je n’aspire à faire souffrir personne, c’est une nécessité. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter l’hécatombe. Les hommes vont perdre, beaucoup, si l’on veut qu’elle cesse.
Idem
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Publié le 24.02.2021 à 17:01
Ma grand-mère avait coutume de commencer les livres par la fin. Elle ne lisait même pas la quatrième de couverture, non, elle l’ouvrait comme le fait aujourd’hui un lecteur de mangas, parcourait les 2-3 dernières pages et décidait alors seulement si le bouquin valait la peine d’être lu. Ce qui m’exaspérait au plus haut point.
À quoi bon lire une histoire dont on connait déjà la fin ? Le plus marrant, dans l’affaire, c’est que je ne lui ai jamais posé la question, me contentant de désapprouver la méthode d’un reniflement bruyant et indigné.
Ma grand-mère lisait aussi le journal à partir de la fin. Elle commençait par le plus intéressant : l’éphéméride, la météo, l’horoscope, la recette de cuisine du jour, la citation en patois, puis elle remontait le courant vers son deuxième grand centre d’intérêt quotidien, la rubrique nécrologique. Encore des histoires dont elle prenait connaissance par la fin inéluctable.
Quand j’étais gosse, c’était son Perdu de vue personnel. Elle y retrouvait d’anciens amis de jeunesse qui avaient construit leur vie au bled pendant qu’elle s’exilait laborieusement dans la capitale. Je trouvais ça morbide. C’était son agenda des sorties. Avec le temps, les nécros parlaient moins des gens qu’elle connaissait. Vers la fin, c’était plus comme si Highlander compulsait le Guiness book des records, histoire de vérifier qu’elle était bien la dernière de son espèce.
Le sens de la vie
J’ai donc raté le sens de la vie tel que le voyait ma grand-mère, parce que je n’ai jamais réellement eu la curiosité de comprendre un fonctionnement qui me semblait juste aberrant. Et maintenant que j’ai réussi à me dire qu’il y avait quelque chose à creuser dans l’histoire, elle ne peut plus me répondre. Je me demande à présent ce que son habitude révélait de son rapport au temps et même à la vie, au récit de nos vies.
Je lis comme on part en exploration : j’aime ne rien savoir de ce qui m’attend, j’aime me perdre dans les méandres de narrations qui s’entrecroisent et plus le livre est gros, plus je suis contente de savoir que le voyage va durer. J’adore les sagas interminables, les auteurs capables de rester toute leur œuvre dans le même univers, capables de repartir d’un personnage secondaire pour bâtir une nouvelle digression et relancer la machine pour un tour. Quand j’apprécie un auteur, je suis capable de m’enfiler toute son œuvre à la queue leu leu, comme une balade interminable à ces côtés, une randonnée de l’esprit qui peut durer plusieurs mois et dont je ressortirai potentiellement transformée. Et rien n’est plus frustrant pour moi que d’arriver au mot fin. Rien n’est plus triste que d’achever le voyage, de dire adieu à l’auteur et ses personnages. J’ai parfois même besoin d’une pause à lire un essai ou un truc un peu aride pour ne pas perdre tout de suite la saveur de cette rencontre, pouvoir poursuivre encore un peu l’aventure dans mon cinéma intérieur.
En fait, dans la vie comme dans la lecture, je préfère le trajet à la destination. Et même quand je suis arrivée, j’enchaine souvent avec l’exploration des environs, une poursuite du voyage, une sorte de refus inconscient de poser mes valoches ou de m’amarrer au port. Et rien n’est plus terrible pour moi que la sensation d’avoir fait le tour d’un lieu, d’une aventure, d’une personne, d’être arrivée à la fin d’une époque ou d’une histoire. À ce moment-là, je me remets en quête… d’une autre quête, d’un autre mouvement. Je suis une nomade dans ma propre vie.
Alors que ma grand-mère avait bien l’air de savoir que tout cela finissait toujours de la même manière, quels que soient les raccourcis ou sentiers buissonniers que l’on puisse choisir en cours de route. Finalement, ma grand-mère savait que la vie ne chemine que dans un seul sens : celui qui va du berceau au tombeau et que tout ce qu’il y a au milieu, finalement, n’est que littérature. Elle n’attendait finalement pas grand-chose de la vie, si ce n’est que quelques déceptions de plus et je pense qu’elle avait une secrète jouissance à penser qu’au bout du chemin, c’était la même conclusion pour tout le monde, que le riche qui méprise comme le pauvre qui supplie, les petites haines quotidiennes comme les grandes histoires d’amour éperdu, tout cela se termine assez mal, en général.
La fin des haricots
Dans la famille de monsieur Monolecte, il y a eu longtemps une tradition de grandes randonnées familiales. En tant que pièce rapportée j’ai eu le droit d’intégrer ce rituel déambulatoire, généralement commis à flanc de montagne avec au moins un bivouac au milieu pour marquer la pause nocturne. L’idée générale était de reproduire la progression erratique de la tribu primitive, avec, au bout du chemin, la promesse du point de vue unique et insaisissable. Tout comptait : le choix du trajet, la compagnie, l’effort, la souffrance, la joie et la récompense suprême du sommet. L’errance de la vie, mais avec un but, une destination, et toujours l’aiguillon de la curiosité :
— C’est encore loin, l’arrivée ?
— Non, c’est juste derrière la prochaine moraine.
Depuis, j’ai appris que derrière chaque moraine s’en cache une autre et qu’il n’y a de pause qu’arrivé·e au sommet. Derrière la prochaine moraine est même devenu un gimmick familial pour exprimer le leurre du but proche qui cache une destination inatteignable. C’est le moteur de la vie, ce qui fait qu’on décide de tenir le coup, de serrer les dents et de continuer à avancer malgré la lassitude, malgré nous, malgré l’adversité, le temps qui passe et nous lamine, malgré la vie, malgré tout.
Je ne saurai jamais pour quelle raison ma grand-mère commençait tous ses livres par la fin. Comment — à la lecture de quelques phrases jetées au terme du parcours de personnages qu’elle ne connaissait même pas — pouvait-elle décider que, finalement, cette histoire méritait d’être lue ? Peut-être qu’elle était comme un archéologue patient qui reconstitue une civilisation à partir de quelques rognures d’os roulées dans la poussière. Peut-être aussi qu’elle voulait se rappeler qu’en cette vie, elle n’entretenait l’illusion d’aucun espoir. Peut-être que c’est de cette manière que se déroule l’existence des croyants : tendue dans l’attente du point final, qui les délivrera de cette vallée de larmes. Peut-être n’était-elle qu’impatiente et avide de passer à la moraine suivante.
Toujours est-il qu’elle a déroulé le plus longtemps possible son propre récit, pas plus avide de sa conclusion qu’une autre.
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