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28.03.2024 à 09:15

L’urbanisme culturel et transitoire : un contre-modèle à la ville créative ?

Frédérique Cassegrain

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Les politiques inspirées par la notion de « ville créative » ont donné une place de choix à l’art et la culture pour revitaliser des métropoles post-industrielles, en les rendant dynamiques et attractives. Mais face aux crises sociétales actuelles, notamment écologiques et démocratiques, ce modèle n’est plus aussi prisé. Parmi les voix critiques, s’élèvent celles d’acteurs et actrices qui œuvrent à la croisée de l’urbanisme et des enjeux culturels, sociaux et citoyens. Le Média de l’OPC a recueilli les témoignages de Fanny Broyelle et Jules Infante qui opèrent sur le territoire nantais à partir de logiques culturelles et urbaines alternatives.

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Texte intégral (3443 mots)
Scène de foule à Transfert. Paquebot festif
Ouverture de Transfert. Photo @ Alice Grégoire

Fanny Broyelle est directrice de projets artistiques, culturels et d’urbanisme culturel, et sociologue. Pendant cinq ans, elle a contribué au projet Transfert (Pick Up Production), parc urbain expérimental, zone libre d’art et de culture, espace éphémère d’urbanisme transitoire, installé sur le terrain désert des anciens abattoirs de Rezé. Jules Infante a fondé, à Nantes, Territoires InterStices qui travaille pour le développement des arts de rue. Dans cette dynamique, l’association a créé les Ateliers Magellan (Nantes), une friche qui réunit un atelier d’auto-réparation de vélos, un bar, un jardin partagé, un espace de résidence artistique et de fête.

Jules comme Fanny plaident pour la fabrique d’une urbanité plus conviviale, permissive et hospitalière.

Quelles critiques des politiques culturelles urbaines inspirées du modèle de la ville créative pouvez-vous formuler ?

Fanny Broyelle – J’aimerais reprendre les trois axes critiques de la ville créative exposés entre autres par les chercheurs Elsa Vivant et Luca Pattaroni E. Vivant, Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris, PUF, 2009 ; L. Pattaroni, La Contre-culture domestiquée. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, Genève, MētisPresses, 2020.. Le premier point concerne l’instrumentalisation des artistes : mobilisés pour redorer des environnements délaissés, ils sont ensuite évincés des espaces qu’ils ont contribué à réhabiliter, par un phénomène d’augmentation de la valeur du foncier. Le deuxième aspect porte sur le processus de gentrification, c’est-à-dire le remplacement d’une population de classe populaire par une autre, de classe moyenne voire supérieure, transformant un quartier populaire en quartier hype. Il s’agit d’une forme de destruction de la mixité sociale au sein des villes. La troisième critique renvoie à la question du marketing territorial et du storytelling. Un nouveau récit est produit et efface certaines identités passées. La richesse immatérielle – que sont la mémoire, la poésie, les liens, c’est-à-dire tout ce qui n’a pas de valeur financière – disparaît au profit d’une vision marketée de la ville, qui cherche à se vendre comme un produit.

Jules Infante – Je partage cette analyse et ajoute que, dans ce processus de gentrification, il y a aussi une réécriture de la culture populaire, vernaculaire, de lutte. L’identité et la mémoire des lieux sont retravaillées. Les artistes, malgré eux, contribuent à remodeler ces histoires et à en effacer des passages devenus gênants, sous couvert de commande publique et par nécessité d’obtenir des financements.

L’île de Nantes est un bon laboratoire pour observer la manière dont les espaces se modifient après l’installation d’artistes dans des friches. Le patrimoine industriel est réinvesti, mais en ne mettant en avant que son aspect esthétique. Il est aussi intéressant de rappeler qu’à Nantes l’entité qui a la compétence sur ce qui relève de la sphère créative est un aménageur : la Samoa (Société d’aménagement de la métropole Ouest Atlantique). Et force est de reconnaître qu’ils font ça très bien depuis trente ans. Ils sont à l’avant-garde du développement de l’aspect dit « créatif », avec tout ce que ce terme peut recouvrir : les nouvelles technologies, la smart-city, les « nouvelles démocraties »… et ne se cantonnent pas au champ dit « culturel ».

F. B. – Pour compléter ce qu’évoque Jules, il y a aussi un changement de vocabulaire. On ne parle plus d’« action culturelle » mais d’« industrie créative ». Il y a un glissement marketing d’un lexique issu au départ de l’éducation populaire, de la médiation et de la politique de la relation, vers des choses qui relèvent du monde marchand et de l’économiquement viable.

Nantes s’est transformée en s’appuyant sur des liens forts entre culture et développement urbain. Les politiques publiques volontaristes et leur mise en récit ont rendu cette métropole particulièrement attractive. Quelles évolutions constatez-vous aujourd’hui ?

J. I. – Ce phénomène d’attractivité a entraîné de véritables tensions liées au foncier et au bâti à Nantes. Tout n’est pas saturé, mais il y a moins d’aisance dans le champ des possibles que dans les années 1980-1990 quand il y avait des friches partout. Aujourd’hui, les espaces vacants sont plutôt des zones industrielles ou commerciales qui font moins rêver. Il faudrait d’ailleurs peut-être qu’on apprenne à se défaire d’une forme d’esthétique romantique qu’on a pu avoir vis-à-vis des grandes friches pour s’investir dans ces espaces.

F. B. – Le récit autour du développement métropolitain à Nantes est en train de changer. On passe de la ville créative à la ville nature, la ville accessible, la « ville du quart d’heure » La ville du quart d’heure est le modèle d’une ville où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou à vélo, concept relancé sous cette dénomination en 2015 par Carlos Moreno, un urbaniste franco-colombien, afin de réduire les transports motorisés et ainsi limiter les émissions de gaz à effet de serre (source Wikipédia).. Dans le discours de lancement du Grand Débat « Fabrique de nos villes », organisé de mars à juillet 2023 par Nantes Métropole, la dimension culturelle comme levier d’attractivité du territoire n’était quasiment pas présente. C’est assez symptomatique d’un changement de storytelling.

J. I. – J’ajoute que l’île de Nantes est devenue le nouvel hypercentre et, à mon sens, il y a un trust de l’aspect culturel et créatif par la Samoa sur cette portion de territoire ; tandis que la politique publique de la culture travaille en périphérie, dans les quartiers. Une segmentation s’est opérée. On le voit d’ailleurs dans le fait que la compétence « culture » est municipale alors que la métropole a la compétence « tourisme et attractivité », avec Le Voyage à Nantes.

Ce qui motive vos engagements professionnels et militants pour un autre modèle de fabrique de la ville relève-t-il encore du champ culturel et artistique ?

J. I. – Aux Ateliers Magellan, ce qui nous porte depuis longtemps est de ne plus être dépendants des subventions du secteur culturel pour vivre. Nous pensons que la culture ne peut pas répondre à tous les enjeux et valeurs que l’on souhaite défendre. En revanche, elle va être un très bon liant pour toucher à une multitude de sujets tels que l’hospitalité qui nous tient à cœur.

Mais de ce fait, on a beaucoup de mal à présenter le projet Magellan : est-ce un tiers-lieu, un espace de friche artistique et culturelle, un local associatif à destination du quartier… ? C’est tout cela à la fois.

F. B. – Le champ qui m’intéresse est celui des espaces publics et la manière dont la ville évolue, dans un mouvement permanent. La ville créative a des bons côtés mais entraîne aussi vers ce que Luca Pattaroni appelle la « domestication » ou l’« encaissement » de l’art dans l’espace public M. Piraud, L. Pattaroni, « Le droit à la ville comme politique culturelle : post contre-culture et lignes de fuite », L’Observatoire, no 59, avril 2022.. Il veut dire par là que le caractère subversif de certaines interventions artistiques n’est souvent pas accepté, voire gommé par les pouvoirs publics. Or beaucoup d’artistes aspirent à se frotter à des choses rêches, qu’on n’a pas envie de voir et qui vont à l’encontre du storytelling des villes. À cet endroit du subversif, il y a un angle mort de la ville créative.

J. I. – C’est vrai du côté des pouvoirs publics, mais je regrette aussi que cette volonté de subversion ne soit pas plus présente et affirmée par les artistes. Beaucoup d’entre eux ont été biberonnés à l’appel à projets, à l’aide à l’émergence. Pour moi, la gentrification s’est faite au sein même de la classe artistique.

Par ailleurs, à Nantes, je ne dénombre plus aucun squat dit « artistique » dans lequel se vit une marge, qui développe des espaces vraiment subversifs. Il y a des lieux, subventionnés, qui proposent des « esthétiques d’alternative », mais il n’y a pas de mouvement culturel underground structuré. Tandis que, dans le même temps, beaucoup de squats se montent pour répondre à d’autres besoins, moins pris en compte par la politique publique : hébergement, alimentation, scolarisation.

Je pense aussi que des personnes qui auraient pu épouser des carrières culturelles et artistiques ont préféré aller se frotter plus concrètement à des sujets de crise, en s’investissant sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par exemple.

F. B. – J’aimerais souligner un autre angle mort de la ville créative, et sur lequel je m’engage : celui de l’intervention artistique dans la matrice de la fabrique urbaine, le hardware. J’entends par hardware la gouvernance et la conception des projets urbains, considérant que le software relève de l’animation, l’évènementiel, la décoration. J’essaye de faire en sorte que la création artistique ne soit pas seulement du saupoudrage, mais puisse être une des parties prenantes de la fabrique urbaine. Qu’elle soit au cœur de sa matrice, comme devraient l’être d’autres expertises : celles des mondes sociaux, de l’éducation, des habitants-citoyens…

Ateliers Magellan. Photo © Laura Severi

Urbanisme culturel, temporaire, transitoire… Ces notions recouvrent des caractéristiques différentes mais cherchent à repenser l’urbanisme classique en incluant notamment l’expertise habitante et en partant des besoins existants. Où vous situez-vous dans ce champ ?

J. I. – Même si on y travaille tous plus ou moins, j’ai rarement vu des expériences d’urbanisme transitoire à proprement parler, c’est-à-dire l’occupation d’un espace vacant dont les activités vont transformer son devenir pérenne. Il est rare que les décideurs politiques ou les aménageurs soutiennent ce que l’équipe de Patrick Bouchain a développé à l’Hôtel Pasteur à Rennes avec le « non-programme » « Hôtel Pasteur : les dix ans d’un lieu citoyen », 1er juin 2023, dans Le Média de l’Observatoire des politiques culturelles..

Je préfère donc parler d’urbanisme ou d’occupation « intercalaire », c’est-à-dire un entre-deux : occuper des lieux laissés vacants pour y développer des projets à différentes échelles, sans avoir la prétention d’élaborer ou de modifier le devenir du site. Mais ce n’est pas par manque d’ambition. Le fait de ne pas se projeter tout de suite permet de répondre à des besoins existants immédiats. L’aspect temporaire autorise aussi à être agile et à tester des choses qui seraient plus difficiles à réaliser dans un cadre classique. De ces zones grises d’un point de vue de la norme vont naître des espaces de liberté qu’on n’aurait pas dans des structures plus conventionnelles, avec des cahiers des charges. Je crois aussi beaucoup à la spontanéité de la programmation. Quand on occupe un lieu pendant un an, il faut aller vite.

F. B. – C’est aussi dans l’occupation, la présence in situ que l’urbanisme classique a beaucoup à apprendre. Aujourd’hui, rares sont les urbanistes qui vivent dans les lieux sur lesquels ils travaillent. L’expérience habitante n’est plus là. Avec Transfert, on a fait de l’« urbanisme de trottoir », qui implique de se placer à hauteur d’humain, parcourir la ville à pied, et ne plus la regarder d’en haut depuis un plan.

L’urbanisme culturel, intercalaire, éphémère, transitoire propose de procéder avec agilité à partir de la contextualisation immédiate d’un lieu par rapport aux besoins des gens qui y vivent, pour créer des ambiances et de l’interrelation.

La complémentarité entre une vue du ciel par des regards techniques, juridiques, normatifs, et une vue du sol, une permanence, une expérience habitante sensible et poétique, permettrait clairement d’avoir une autre vision de la fabrique de la ville. C’est ce couple-là qui manque aujourd’hui.

Inauguration de Transfert. Photo © Kevin Charvo

Est-ce que le fait d’être identifiés comme des acteurs et actrices culturels a pu vous desservir pour porter des projets de développement urbain, notamment en termes de légitimité ? Si oui, quelle stratégie de « pas de côté » avez-vous mise en place ?

J. I. – Je vois trois stratégies de contournement. D’abord, quitter le champ culturel pour mieux y revenir à partir du champ social, notamment parce que c’est une thématique qui a pris de l’importance à Nantes. C’est la trajectoire que j’ai empruntée. Un autre moyen est de sortir de la métropole pour retrouver des zones de liberté en dehors d’un territoire saturé. On peut aussi se réapproprier des espaces en les achetant, monter des modèles économiques, juridiques et inventer les moyens de créer nous-mêmes notre commande.

Je prends pour exemple La Charpenterie, un nouveau lieu qui se développe à La Grigonnais (44). Une compagnie d’arts de la rue a acheté ce bâtiment de 3 600 m2 qui ne sera pas juste une résidence de travail pour eux. Ils souhaitent en faire un tiers-lieu en s’appuyant sur les problématiques du territoire, avec des espaces de convivialité, de coworking, etc. En prenant le parti d’être propriétaires du lieu, ils proposent un autre modèle et attirent l’attention des élus de la région qui viennent les voir et souhaitent maintenant les soutenir.

F. B. – Pour ma part, je me positionne encore comme une actrice culturelle qui a son mot à dire sur la question de la fabrique d’une ville conviviale En référence au principe de convivialité développé par Ivan Illich, La Convivialité, Paris, Seuil, 1973., à savoir donner aux sachants et aux non-sachants le même niveau de parole pour discuter d’un sujet qui les concerne tous. Mais le monde de l’urbanisme est très hermétique. On l’a vécu au premier plan avec Transfert. Même si, au départ, il y avait une vraie volonté d’associer le projet urbain à un projet culturel expérimental, les portes se sont refermées les unes après les autres et, au bout de cinq ans, il ne reste pas grand-chose : le projet urbain suit son cours et le projet culturel a complètement disparu du champ de vision…

J. I. – Oui, et je pense qu’il y a un problème d’acculturation des deux côtés et qu’il manque encore des structures intermédiaires comme les nôtres pour faire la traduction entre ces mondes. Là on a un rôle à jouer, ça nous donne une utilité et une raison d’être.

Les acteurs et actrices culturels demeurent donc selon vous de bons intermédiaires pour penser le développement d’une urbanité accueillante et hospitalière ?

F. B. – Oui ils restent de bons acteurs dans leur capacité à proposer des espaces conviviaux, mais encore une fois au sens d’Illich : qui donnent leur place à des personnes auxquelles on ne pense pas de prime abord. Ils développent souvent des projets dans un désir de mixité humaine avec un gros effort pour mélanger des personnes, des cultures, des manières de voir. Dans un projet urbain, par le prisme de l’art et de la culture, on catalyse de l’expression habitante qui sort du champ des concertations publiques. Cela peut permettre de dépasser les conflits et d’influer sur le projet initial en le faisant évoluer différemment. Et tout le monde en sort grandi. La culture et l’art sont des filtres intéressants pour entendre les controverses, les traduire, les esthétiser, voire les rendre universelles et pouvoir en faire quelque chose de constructif de manière pacifiée.

J. I. – Effectivement, mais selon moi le champ de la culture et des arts doit retrouver une place d’humilité et se mettre davantage « au service de ». C’est ce qu’on fait à Magellan : par le biais de l’accompagnement à la régie, à la mise en scène, à la fabrique d’un récit, on soutient des gens qui ont des choses à dire, qui ont besoin de rencontrer un public. Le drame c’est que les artistes sont devenus inaudibles à force de croire qu’ils avaient toujours un mot à dire et qu’ils avaient raison, alors qu’ils sont comme des citoyens lambda : ils ne maîtrisent pas plus les sujets que les autres…

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21.03.2024 à 09:14

Un portable sinon rien ? Les pratiques culturelles des jeunes à l’ère numérique

Frédérique Cassegrain

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« Vital » pour la plupart des jeunes, le smartphone est devenu le principal terminal culturel de la nouvelle génération. Pour autant, leurs sorties culturelles ne sont pas en recul et leurs usages numériques viennent nourrir des pratiques à forte valeur collaborative. Désir d’interaction, besoin d’expressivité et aspiration à se lier au monde global font partie des traits distinctifs qualifiant leur rapport à la culture, ainsi que l’analyse Aurélien Djakouane dans les données rassemblées ici.

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Texte intégral (4696 mots)
Infographie. Un portable sinon rien ? Jeune fille assise sur un canapé qui consulte son téléphone
Illustration © Marion Boucharlat. Infographie complète à retrouver en fin d’article.

Les pratiques culturelles des jeunes suivent les mutations technologiques qui transforment nos manières de lire, d’écouter, de regarder. En une décennie, les usages numériques sont devenus majoritaires dans le quotidien des jeunes, qu’il s’agisse d’écouter de la musique ou de regarder des vidéos en ligne, d’échanger sur les réseaux sociaux ou encore de jouer aux jeux vidéo. Les médias traditionnels, comme la radio ou la télévision, perdent de leur centralité tandis que les réseaux sociaux sont devenus une source d’information incontournable. Comme le rappelle Sylvie Octobre, l’appétit des jeunes à l’égard des technologies n’est pas nouveau S. Octobre, « Retour sur les pratiques culturelles des jeunes. Questions à… », Le Français aujourd’hui, no 207, décembre 2019, p. 11-18.. Depuis plusieurs décennies, il prend forme dans une culture de la chambre où s’agrègent toutes sortes d’appareils technologiques (télévision, radio, console, ordinateur…)  H. Glevarec, La Culture de la chambre. Préadolescence et culture contemporaine dans l’espace familial, Paris, La Documentation française, 2009.. Cette technophilie s’est accélérée avec le numérique et la convergence des médias qui consacrent le smartphone comme le principal terminal culturel des jeunes. Cet attrait s’inscrit désormais dans les stratégies éducatives des familles et les inégalités qu’elles contiennent.

La culture comme lien

La question de l’expressivité est centrale dans la construction des pratiques culturelles de la jeunesse. C’est une tendance qui n’a fait que s’accentuer depuis les années 1960, et dans laquelle la musique joue un rôle clé. En 2008, 86 % des 15-28 ans écoutent de la musique tous les jours Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, DEPS, ministère de la Culture, 2020, p. 1-92.. Outre les chorégraphies ou chants qu’elle suscite, la force expressive de la musique réside dans une série de dispositifs (vestimentaires, groupes affinitaires, langages spécifiques, posters, goodies…) qui en prolongent l’expérience via Internet, l’ordinateur ou le smartphone. Ils deviennent ici des outils de créativité avec les tutos, les mods, les mèmes et autres apps dédiées.

En outre, les jeunes se distinguent par l’importance qu’ils accordent aux dimensions relationnelles de leurs pratiques culturelles. Celles-ci sont désormais totalement liées à leurs pratiques de communication, elles en sont à la fois un objet, un vecteur et une finalité. De fait, la montée en puissance des réseaux sociaux et des valeurs collaboratives qu’ils véhiculent accompagne la construction de nouvelles références culturelles qui déjouent le clivage classique entre culture savante et culture populaire.

Comme le rappelle Dominique Pasquier, l’utilisation des réseaux sociaux souligne ce qui semble être la dimension ambivalente des cultures adolescentes : le travail en équipe et le besoin d’un public D. Pasquier, « La communication numérique dans les cultures adolescentes », Communiquer, no 13, 2015.. Ce double aspect contribution/exhibition illustre l’imbrication de plus en plus forte entre pratiques culturelles et sociabilités à l’ère numérique. La valeur socialisatrice de la culture devient primordiale, et l’on passe ainsi d’une « culture comme bien à une culture comme lien L. Allard, « Express yourself 2.0 ! », dans É. Maigret et É. Macé (dir.), Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Paris, Armand Colin, 2005, p. 162. » faisant de la jeunesse un des ambassadeurs, avant l’heure, des droits culturels.

Pour de nombreux jeunes, être ensemble constitue parfois l’objet et la finalité de la plupart des sorties.

Désaffection des médias traditionnels

Cette tendance s’accompagne d’une certaine désaffection des médias traditionnels qui ne répondent plus à ce besoin d’expression. C’est le cas pour la radio, longtemps considérée comme emblématique des pratiques de la jeunesse, mais c’est aussi le cas de la télévision. Comme l’indique la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français, si en 2008, 79 % des 15-24 ans la regardaient tous les jours, ils ne sont plus que 58 % en 2018 Ph. Lombardo, L. Wolff, 2020, op. cit.. Certes, il s’agit d’une tendance généralisée. Mais c’est chez les jeunes qu’elle est la plus forte. Cette baisse des pratiques télévisuelles ne signifie pas pour autant qu’ils se détournent des écrans. Souvent, elle s’accompagne d’une consommation accrue de contenus audiovisuels sur Internet qui, en soi, représente une pratique largement spécifique à la jeunesse : 59 % des 15-24 ans regardent quotidiennement des vidéos sur Internet, en dehors de la télévision.

Des sorties en retrait ?

Ce développement des loisirs domestiques n’est pas forcément synonyme d’un recul des pratiques de sortie. Les 15-24 ans fréquentent toujours assidûment les lieux culturels, qu’il s’agisse des cinémas (84 % y sont allés au moins une fois en 2018), des bibliothèques ou même des sites patrimoniaux (musée, exposition ou monument historique). Toutefois, si leurs niveaux de fréquentation des spectacles restent élevés (41 % en 2018), ils connaissent, en l’espace de dix ans, une forte baisse (51 % en 2008). Ce phénomène est d’autant plus remarquable que les Français sont, par ailleurs, de plus en plus nombreux à fréquenter les lieux culturels. Tandis que le cinéma – pratique longtemps emblématique de la jeunesse –connaît un regain d’intérêt chez les plus âgés, et que la danse et le théâtre voient leur programmation jeune public couronnée de succès, le spectacle vivant reste à la peine auprès des 15-24 ans. Ce décrochage est moins vrai pour les festivals dont la fréquentation reste stable chez les moins de 25 ans (27 %), et nettement supérieure à la moyenne des Français (19 %). Sans doute parce que la dimension sociale et collective demeure une composante essentielle de l’expérience qu’on y vit A. Djakouane, « Ce que les sociabilités font à l’écoute musicale. Le cas des Eurockéennes de Belfort », Culture & Musées, no 25, Actes Sud, 2015, p. 23-45.. C’est d’ailleurs un élément que l’on retrouve au-delà des sorties culturelles où, pour de nombreux jeunes, être ensemble constitue parfois l’objet et la finalité de la plupart des « sorties Ch. Dayan, Chr. Détrez (dir.), Goûts, pratiques et usages culturels des jeunes en milieu populaire, Injep, Rapport d’étude, octobre 2020, p. 31-32. ».

Nouveaux rapports à la culture et cosmopolitisme

Accéléré par le numérique, l’essor de la culture des écrans participe à l’émergence de nouvelles perceptions du temps, de l’espace et des chaînes de valeurs. Il favorise une certaine hybridation des catégories culturelles qui se traduit par un éclectisme croissant et une porosité des comportements : divertissement et culture, (fiction et autofiction, virtuel et réel. Avec les réseaux apparaissent de nouvelles catégories d’acteurs (leaders d’opinion, influenceurs, modérateurs, etc.) qui s’affirment comme de nouvelles instances de légitimité (de consécration, de labellisation) en marge des institutions traditionnelles (famille, école, équipements culturels). L’observation des modalités d’accès à l’information éclaire autrement cette question. Télévision et réseaux sociaux font désormais jeu égal chez les jeunes, puisque 65 % des 15-24 ans les considèrent comme leurs outils privilégiés d’accès à l’information, loin devant la presse (44 %) – papier et numérique – et la radio (28 %).

Cet affaissement des vecteurs traditionnels de transmission se couple à une plus grande ouverture sur le monde qui s’observe à travers le succès des produits culturels asiatiques (mangas, manhwas, séries, K-pop et J-pop), nord-européens (séries et polars) mais aussi indiens ou africains (Bollywood et Nollywood). Les jeunes ont désormais accès à des productions issues d’aires géographiques de plus en plus étendues. Plusieurs facteurs expliquent ce cosmopolitisme culturel V. Cicchelli, S. Octobre, L’Amateur cosmopolite. Goûts et imaginaires culturels juvéniles à l’ère de la globalisation, ministère de la Culture – DEPS, 2017.. D’un côté, l’élévation du niveau d’étude des jeunes et l’accroissement de leur mobilité, et de l’autre, les jeunes issus de l’immigration qui importent des musiques provenant de leur pays d’origine. S’ajoutent à cela, la généralisation des réseaux sociaux et la puissance des industries culturelles numériques mondiales qui excellent dans l’art d’hybrider les références culturelles.

Affaiblissement des transmissions verticales

Ce cosmopolitisme interroge la stratification habituelle des pratiques culturelles. Il montre l’aspiration d’une partie de la jeunesse à entrer en lien avec le monde global, et propose des leviers pour penser une citoyenneté culturelle à l’ère de la globalisation. De nombreux travaux font état d’une fragmentation des jeunesses S. Octobre, R. Sirota, Inégalités culturelles : retour en enfance, ministère de la Culture – DEPS, 2021. en archipels de comportements et de goûts H. Glevarec, M. Pinet, « La “tablature” des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements », Revue française de sociologie, no 50-3, juillet-septembre 2009, p. 599-640. qui rend les généralisations de plus en plus délicates. Par ailleurs, rien n’interdit de penser que ces comportements, exacerbés chez les jeunes, n’affectent pas les générations plus âgées : des continuités s’observent, notamment dans la baisse de la lecture, dans la transformation du rapport à l’information ainsi que dans la complexification des demandes formulées à l’égard des institutions S. Octobre, « Pratiques culturelles des jeunes et stéréotypes », Hermès, La Revue, no 83, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 238-242..

Les jeunes disposent désormais d’une culture commune prolifique (musique, émissions de télévision ou de radio, magazines, jeux vidéo, réseaux sociaux…), dont le livre, fondement de la culture scolaire, reste en retrait. De fait, tout un pan des transmissions et des socialisations culturelles classiques semble s’affaisser traduisant ainsi la crise du programme institutionnel dont parle François Dubet à propos des valeurs de l’école Fr. Dubet, Le Déclin de l’institution, Paris, Seuil, 2002.. Bien qu’ouverte vis-à-vis de l’éclectisme des jeunes, celle-ci maintient un apprentissage qui favorise un rapport cultivé à la culture savante Ph. Coulangeon, « Lecture et télévision : les transformations du rôle culturel de l’école à l’épreuve de la massification scolaire », Revue française de sociologie, no 48-4, octobre-décembre 2007, p. 657-691.. Alors que dans la famille moderne, les identités culturelles sont négociées et construites dans l’interaction S. Octobre, « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de culture ? », Culture Prospective, ministère de la Culture, 2009., à l’école, les mécanismes traditionnels de transmission sont concurrencés par Internet qui met à mal son autorité. Ceci incite à une réflexion sur les modes d’apprentissage où les aptitudes des jeunes générations, leur fonctionnement multitâche, leur désir d’interaction remettent en question les présupposés de l’éducation cartésienne, silencieuse et dissertative.

Les paradoxes du smartphone

Aborder les pratiques culturelles de la jeunesse oblige à s’intéresser aux effets du téléphone portable. Omniprésent dans le quotidien des adolescents, il s’impose désormais pour rester connecté à soi-même et aux autres M. Amri, N. Vacaflor, « Téléphone mobile et expression identitaire : réflexions sur l’exposition technologique de soi parmi les jeunes », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 11/1, 2010, p. 1-17.. Couplé aux réseaux sociaux, cet appareil – qui contient « toute leur vie L. Allard, « Express yourself 3.0 ! Le mobile comme technologie pour soi et quelques autres entre double agir communicationnel et continuum disjonctif soma-technologique », dans L. Allard, L. Creton, R. Odin (dir.) Téléphone mobile et création, Armand Colin, Paris, 2014, p. 156. » – participe à la construction d’un récit de soi dans une existence de plus en plus documentée.

Si les jeux vidéo ont longtemps été emblématiques des pratiques juvéniles, ce sont désormais 44 % des Français qui s’y adonnent (dont 83 % des 15-28 ans). C’est dès lors au téléphone portable qu’il convient de s’intéresser : 90 % des 12-17 ans possèdent un téléphone mobile (86 % un smartphone) et 99 % des 18-24 ans (98 % un smartphone) J. Baillet, P. Croutte, V. Prieur, Baromètre du numérique 2019. Enquête sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, Rapport Crédoc, décembre 2020.. Pratique discrète mais massive, le SMS (les 12-17 ans en envoient 250 par semaine en moyenne) est progressivement détrôné par les messageries instantanées (WhatsApp, Messenger, Snapchat, FaceTime…), utilisées par 79 % des 12-17 ans et 90 % des 18-24 ans. L’âge est aussi le principal facteur de l’usage des réseaux sociaux : 80 % des moins de 18 ans et 94 % des 18-24 ans les utilisent, contre 61 % des 40-59 ans.

Paradoxalement, alors que les adolescents sont en quête d’autonomie relationnelle, les notifications permanentes les contraignent à rester connectés à leurs amis. D’un côté, ces notifications les maintiennent en contact permanent avec l’extérieur du foyer familial, tandis que, d’un autre côté, elles exigent d’eux une hyperconnectivité qui les assigne à leur téléphone et réduit leurs mouvements.

L’amitié est d’ailleurs un objet de surenchère qui implique d’apporter constamment la preuve de son affection C. Balleys, « Socialisation adolescente et usages du numérique », Rapport d’étude, juin 2017, Injep.. Cette sociabilité médiatisée prolonge les sociabilités en présentiel, tant et si bien que la distinction réel/virtuel perd de son sens. Très normées, les interactions générées par les médias sociaux se caractérisent par une certaine « orientation positive des échanges », qui fait que « le plus souvent, on approuve, ou on s’abstient A. Coutant, Th. Stenger, « Processus identitaire et ordre de l’interaction sur les réseaux socionumériques », Les Enjeux de l’information et de la communication, no 11/1, 2010, p. 45-64. ». Toutefois, lorsqu’elle advient, la désapprobation s’impose alors comme une marque publique de désaffiliation. Alors qu’il est pensé comme un outil d’intégration sociale, le smartphone accélère la quantification des ressources symboliques qui devient, à son tour, un enjeu d’intégration et de popularité. Être soi-même, c’est souvent être comme les autres ou une injonction à avoir un style qui génère une forme de conformisme et de radicalisation des appartenances propres aux cultures juvéniles Fr. Dubet, « Cultures juvéniles et régulation sociale », L’Information psychiatrique, vol. 90, no 1, janvier 2014, p. 21-27..

L’ambivalence des stratégies familiales

Dans la famille contemporaine où le modèle de l’indépendance a remplacé celui de l’obéissance Fr. de Singly, Les Adonaissants, Paris, Armand Colin, 2006, p. 46., l’acquisition d’appareils électroniques (télévision, ordinateur, console de jeux, smartphone, etc.) participe au processus d’autonomisation des jeunes. Le smartphone accélère leur émancipation relationnelle et gustative sur laquelle les parents n’ont plus prise A.-S. Pharabod, « Territoires et seuils de l’intimité familiale. Un regard ethnographique sur les objets multimédias et leurs usages dans quelques foyers franciliens », Réseaux, no 123, vol. 22, 2004, p. 85-117.. L’entrée au collège marque souvent l’arrivée du premier portable auquel les parents résistent difficilement. Malgré une prise de conscience des effets négatifs liés à la surexposition aux écrans – en matière de santé ou de difficultés scolaires – et des dérives liées aux médias sociaux– cyberharcèlement S. Couchot-Schiex (dir.), « Le cybersexisme chez les adolescent·e·s (12-15 ans). Étude sociologique dans les établissements franciliens de la 5e à la 2nde », Rapport pour le Centre francilien pour l’égalité femmes-hommes (Centre Hubertine Auclert), 2016., surexposition à la pornographie IFOP, 2017, « Les adolescents et le porno : vers une “Génération Youporn” ? Étude sur la consommation de pornographie chez les adolescents », Rapport pour l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique, mars 2017. – le smartphone rassure les parents. D’un côté, il leur permet de maintenir un lien avec leurs enfants, et de l’autre, il les aide à les accompagner dans leur autonomie relationnelle. Plusieurs travaux ont montré l’effet positif de certaines activités médiatiques sur le lien familial S. M. Coyne, L. M. Padilla-Walker, A. M. Fraser, K. Fellows, R. D. Day, « “Media Time = Family Time”: Positive Media Use in Families with Adolescents », Journal of Adolescent Research, vol. 29, no 5, p. 663-688. ou sur la socialisation à la vie adolescente D. Pasquier, La Culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, Paris, Éditions de la MSH, 1999.. Le téléphone portable devient, paradoxalement, un outil de contrôle des contenus et des mobilités des enfants dans des espaces publics considérés comme dangereux. Tout comme l’augmentation des consommations multimédias, il participe aux stratégies parentales de maintien de l’enfant dans la sphère domestique.

Au sein de la famille contemporaine, l’équilibre entre l’individu et le collectif reste précaire. Il fait d’ailleurs l’objet d’intenses négociations car plus les équipements s’individualisent au sein du cercle familial, plus les temps partagés se réduisent. En 2017, une étude menée sur 700 collégiens montrait que 34 % des jeunes passent plus d’une heure sur leur téléphone après le dîner, 15 % plus de deux heures, et près de 15 % l’utilisent la nuit.

Les transformations anthropologiques que le numérique produit sur nos vies et celles des adolescents ne doivent pas faire oublier les inégalités culturelles sur lesquelles elles de développent.

Une fracture culturelle

Derrière cette hyperconnectivité, d’importants clivages persistent. La jeunesse n’est pas une catégorie homogène, et sa sociologie reste liée aux inégalités (économiques et sociales) présentes dans la société. De fait, la fracture numérique est avant tout une fracture culturelle C. Rizza, « La fracture numérique, paradoxe de la génération Internet », Hermès, La Revue, no 45, 2006, p. 25-32.. Et pour les jeunes d’aujourd’hui, il s’agit moins d’accéder à des technologies (Internet, ordinateur, smartphone) que d’acquérir les savoirs et les compétences qui en conditionnent l’usage : gérer son identité en ligne, maîtriser la confidentialité de ses données, savoir repérer, évaluer et classer les contenus, trouver des sources, etc. S. Livingstone, M. Bober, « UK children go online: Surveying the experiences of young people and their parents », London School of Economics and Political Science, Londres, juillet 2004.. Malgré le nom dont on les affuble (« digital natives »), les nouvelles générations ne sont pas naturellement mieux disposées à l’égard du numérique. Comme l’indique danah boyd Nous respectons ici l’écriture sans majuscules souhaitée par l’auteur, et dont l’explication est donnée sur son blog [NDR]., un grand nombre de jeunes tiennent pour vrais les résultats qui arrivent en tête dans un moteur de recherche  d. boyd, It’s Complicated. The Social Life of Networked Teens, New Haven/Londres, Yale University Press, 2014.. Plus naïves que natives, les nouvelles générations sont prises au sein d’une fracture numérique à plusieurs dimensions : « fracture d’accès (en résorption), fracture des usages, fracture des réinvestissements (passer des usages ludiques à ceux liés aux exigences de la vie sociale) et fracture des capacités réflexives et des compétences critiques (particulièrement sollicitées dans l’immense machine à mélanger information et bruit des réseaux sociaux), etc. S. Octobre, « Pratiques culturelles des jeunes et stéréotypes », Hermès, La Revue, no 83, 2019, p. 238-242. ».

Les transformations anthropologiques que le numérique produit sur nos vies et celles des adolescents ne doivent pas faire oublier les inégalités culturelles sur lesquelles elles se développent. Trois mouvements de fond semblent se dessiner. D’abord, le déclin des formes de transmissions institutionnelles, descendantes et hiérarchiques. Celles-ci laissant place à l’expression de réseaux de sociabilités à géométries, espaces et temporalités, variables et ajustables. Ensuite, la construction de référentiels culturels s’effectue désormais, non plus par l’imposition des valeurs des pères, mais dans un espace négocié entre pairs. En découle le fait que la valeur de l’art ne repose plus uniquement sur une forme d’expertise privatisée par des spécialistes homologués par l’institution. S’adjoint désormais celle des usagers dont l’importance croît avec les réseaux d’information contributifs. Enfin, s’amorce un changement profond de la conception de la participation culturelle : le passage du spectateur docile, discipliné et complice à celui du spectateur actif et participant. Une rupture dont la jeunesse se fait l’écho dans la mesure où, comme le rappelle Sylvie Octobre, « le nouvel amateurisme est fondé sur les compétences que les jeunes acquièrent par le jeu, l’écoute, la transformation et qui affectent la façon dont ils participent au processus éducatif, politique, civique et à la constitution du lien social […] Pour que les jeunes participent, il faut qu’ils pensent que ce qu’ils apportent au contenu l’enrichit et enrichit l’expérience des autres S. Octobre, « Les enfants du 21e siècle », L’Observatoire, no 46, automne 2015, p. 22-26.. »

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14.03.2024 à 14:45

Jard’In Zur : un terrain de jeu pour mêler pratiques artistique et agricole

Aurélie Doulmet

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, […]

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, collaboratif et expérimental. Ils cherchent à combiner et alterner pratiques artistique et agricole. Les deux disciplines nourrissent des propositions qui se font écho, les actions culturelles se mêlant au potager. Dans ce lieu de détente, mais aussi de travail et d’expérimentation, collaborent les artistes de Zur, des étudiant·es, des structures sociales et culturelles, ainsi que des entreprises.

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05.03.2024 à 15:18

Loisirs des villes, loisirs des champs : quelle partition territoriale ?

Frédérique Cassegrain

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Aller au cinéma, au musée, au spectacle, écouter la radio ou des podcasts, bricoler, tricoter, jardiner… L’accès à l’offre et aux loisirs culturels dépend-il du lieu de résidence et des caractéristiques sociales des individus ? La nouvelle exploitation de l’enquête Pratiques culturelles du DEPS (ministère de la Culture), croisée avec la grille communale de densité, se penche sur les écarts culturels entre ville et campagne.

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Texte intégral (4130 mots)
Photo © R Mine Daisy, Plateforme Unsplash

Relancée par la toute récente annonce, par la ministre de la Culture, du Printemps de la ruralité, la question du lien entre le lieu de résidence de la population, les pratiques culturelles des habitants et leur accès à l’offre n’est pourtant pas nouvelle. L’aménagement culturel des territoires a été l’une des politiques prioritaires du ministère des Affaires culturelles à partir de 1959 et une politique volontariste d’implantation de l’offre s’est poursuivie pendant plusieurs décennies. Au début des années 2020, le territoire français s’avère toutefois toujours inégalement pourvu. Les territoires ultramarins sont, ainsi, toujours moins dotés d’équipements culturels labellisés que la France métropolitaine, et la situation varie d’une région à l’autre, que ce soit numériquement ou rapporté à la population régionale E. Millery, J.-C. Delvainquière, L. Bourlès, S. Picard, Atlas Culture : dynamiques et disparités territoriales culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 3, 2022..

Qu’en est-il des pratiques culturelles et de loisir de la population ? Les loisirs des urbains et ceux des ruraux sont-ils de nature et d’intensité comparables ? Celles-ci varient-elles, comme on peut le supposer, selon le niveau d’équipement des territoires, mais aussi selon le lieu de résidence des individus, la mobilité nécessaire pour accéder à l’offre culturelle et d’autres critères plus classiques en sociologie de la culture comme le niveau de vie, le niveau de diplôme ou encore la catégorie socioprofessionnelle ? En d’autres termes, l’effet territorial vient-il renforcer les caractéristiques des publics de la culture et des publics éloignés de la culture ? L’enclavement territorial ou l’éloignement des centres urbains contribuent-ils à renforcer des écarts de participation culturelle ou bien conditionnent-ils des univers de pratique très différents selon que l’on est rural ou urbain ?

Pour le savoir, nous avons croisé, dans notre étude, la participation culturelle et les loisirs de la population Enquête Pratiques culturelles 2018, ministère de la Culture, DEPS : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/L-enquete-pratiques-culturelles. avec le type de territoire où résident les personnes afin d’identifier des différences ou des similitudes selon l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle. Le temps d’accès à l’équipement le plus proche a ensuite été calculé, afin d’objectiver la question de l’accessibilité à l’offre culturelle.

Une population plus âgée et moins diplômée dans les communes rurales

Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que la structure de la population n’est pas identique selon le type de territoire.

Tout d’abord, elle est plus jeune dans les grands centres urbains où les 15-24 ans représentent 18 % de la population contre 14 % dans l’ensemble de la population. À l’inverse, elle est plus âgée dans le rural où les plus de 60 ans représentent respectivement 36 % de la population des bourgs ruraux, 35 % du rural à habitat dispersé et 42 % du rural à habitat très dispersé (contre 32 % dans l’ensemble de la population). Ainsi, la part des 60 ans est trois fois plus élevée que celle des 15-24 ans dans les bourgs ruraux, et près de trois fois et demie supérieure dans le rural à habitat très dispersé. Dans les grands centres urbains, cet écart se réduit : les plus de 60 ans ne sont plus qu’une fois et demie plus nombreux que les 15-24 ans.

En outre, la part des familles n’est pas la même selon les territoires : les ménages composés d’un couple avec au moins un enfant sont plus nombreux dans les ceintures urbaines, où l’habitat pavillonnaire est plus répandu, et dans le rural à habitat dispersé et les bourgs ruraux.

Ensuite, les populations ne présentent pas les mêmes caractéristiques selon l’endroit où elles résident en matière d’emploi et de niveau de vie. Ainsi, la part des cadres est deux fois et demie plus importante dans les grands centres urbains que dans les territoires ruraux. À l’inverse, la part des employés et des ouvriers est plus importante dans le rural que dans les grands centres urbains.

Enfin, le niveau de formation des populations diffère selon le lieu de résidence. Près d’un tiers de la population est diplômée de l’enseignement supérieur en France en 2020, mais la population des grands centres urbains est surdiplômée par rapport à l’ensemble de la population (un effet propre à cette catégorie territoriale). La part des diplômés de l’enseignement supérieur est deux fois plus importante dans les grands centres urbains que dans le rural à habitat très dispersé (respectivement 41 % contre 22 % de la population).

Ces différences de structure de la population, selon la grille de densité, sont importantes à souligner car la participation culturelle des individus est étroitement corrélée au sexe, à l’âge, au niveau de diplôme et à la catégorie socioprofessionnelle O. Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 7, 2011..

Loisirs culturels de sortie : un effet territorial net en défaveur des habitants des espaces ruraux

Parmi les activités culturelles de la population, certaines peuvent se pratiquer à domicile, comme la lecture, par exemple, quand d’autres sont qualifiées de « sortie » et supposent de fréquenter un équipement culturel : aller à la bibliothèque ou au cinéma, assister à un spectacle, visiter un musée ou une exposition, etc. Pour ces pratiques de sortie et à la différence des pratiques domestiques, on peut supposer qu’elles sont en partie dépendantes de l’offre territoriale et de la mobilité des individus. On sait aussi qu’elles sont liées à la sociabilité D. Pasquier, La Sortie au théâtre, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 1, 2013., ce qui renvoie aux caractéristiques sociodémographiques des personnes : plus développée chez les jeunes et, à contrario, moins chez les seniors qui vont préférer des loisirs domestiques, comme l’avait montré la dernière enquête Emploi du temps de l’Insee C. Brousse, « Travail professionnel, tâches domestiques, temps “libre” : quelques déterminants sociaux de la vie quotidienne », Économie et Statistique, nos 478-479-480, 2015.. Or, il faut garder à l’esprit que la structure de la population est plus jeune dans les grands centres urbains, plus âgée dans le rural.

Pour illustrer les pratiques de sortie, prenons l’exemple des sorties au théâtre ou au musée, pour lesquelles les écarts les plus marqués s’observent.

Un peu plus de quatre personnes sur dix ont assisté à un spectacle et près de trois sur dix ont visité un musée ou une exposition en 2018, d’après l’enquête Pratiques culturelles Enquête Pratiques culturelles 2018, op. cit.. Un effet contrasté de territoire s’observe entre les populations résidant dans les grands centres urbains, dont la pratique de sortie est supérieure à la moyenne dans la population générale, à l’inverse de celles résidant dans les centres urbains intermédiaires, les petites villes et le rural dispersé qui déclarent des taux de pratique moindres.

Il y a là sans doute un effet d’offre, que ce soit dans le domaine du spectacle ou des musées : 61 % des théâtres et 55 % des scènes (de spectacle ou de musique) sont situés dans les grands centres urbains, 18 % des théâtres et 31 % des scènes le sont dans les centres urbains intermédiaires. Dans les grands centres urbains, le temps d’accès à la scène la plus proche est inférieur à 15 minutes, alors que dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, 82 % des scènes les plus proches sont situées à plus de 15 minutes du lieu de résidence des personnes. Un tiers des 1 200 musées bénéficiant de l’appellation « musées de France » sont situés dans les grands centres urbains, 38 % dans l’urbain intermédiaire et 29 % seulement dans le rural. Les lieux d’exposition labellisés se trouvent très largement en milieu urbain, même si ces établissements labellisés ont des missions de service public d’action hors les murs, notamment en zones rurales. Les trois quarts des lieux muséaux et d’exposition les plus proches sont accessibles à moins de 15 minutes, dont un quart à moins de 5 minutes. Les temps d’accès sont bien sûr plus élevés pour les habitants du rural à habitat dispersé ou très dispersé : plus de 15 minutes pour 62 % d’entre eux.

Est-ce à dire que la sortie au spectacle ou au musée est, en partie, déterminée par la présence d’un équipement culturel sur le territoire ? Le fait que quatre habitants sur dix de zones rurales à habitat dispersé ou très dispersé, particulièrement peu dotées d’équipements de spectacle vivant, ont assisté à au moins un spectacle dans l’année invite à modérer ce point de vue. Ces populations, mobiles, se déplacent pour travailler, mais sans doute aussi pour des sorties à motif culturel. Ensuite, la pratique au sein des cadres et des diplômés de l’enseignement supérieur de la population rurale à l’habitat dispersé ou très dispersé est plus élevée que celle de leurs homologues des bourgs ruraux ou de l’urbain intermédiaire. Ainsi, s’il y a un effet territorial discriminant pour les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural, il n’exclut qu’une partie de la population au sein de ces espaces, tandis que les personnes qui possèdent les propriétés sociales et le capital culturel maintiennent un taux de pratique, certes plus faible que celui de leurs homologues résidant dans l’urbain dense, mais plus élevé que celui observé dans tous les autres types de territoire.

L’analyse a aussi porté sur d’autres pratiques comme le fait d’aller à la bibliothèque, au cinéma ou à un festival. L’écart de participation entre les habitants des grands centres urbains et les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural est toujours présent, dans des proportions plus ou moins fortes, à l’exception de la pratique festivalière qui semble aussi bien partagée par les urbains que les ruraux. La bibliothèque et le cinéma sont pourtant les deux équipements culturels les plus présents sur le territoire. Il est donc difficile de conclure à un simple effet d’offre, même si celle-ci est plus qualitative (amplitude des horaires d’ouverture, surface, fonds et qualification des personnels pour les bibliothèques) ou plus fournie (nombre d’écrans et de fauteuils pour les cinémas) dans l’urbain. Concernant la fréquentation des bibliothèques, par exemple, celle-ci reste déterminée par le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle : dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, le taux de fréquentation des diplômés de l’enseignement supérieur est comparable à celui de leurs homologues résidant dans les grands centres urbains, et celui des cadres est même supérieur et le plus élevé pour les cadres, quel que soit leur lieu de résidence.

Graphique : Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité
Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité

Télévision, radio, podcasts : un plus fort engagement des habitants du rural et de l’urbain intermédiaire

Les loisirs médiatiques – comme le fait de regarder la télévision, d’écouter la radio ou des podcasts – sont eux aussi marqués par de forts écarts d’engagement dans la pratique selon le lieu de résidence des personnes. Six personnes sur dix déclarent écouter la radio quotidiennement, avec un taux de pratique supérieur pour les résidents du rural et des ceintures urbaines. Le temps de transport entre le domicile et le lieu de travail peut en partie expliquer ce résultat. On sait en effet qu’un tiers des actifs en emploi résident dans une commune rurale et que seuls 25 % d’entre eux résident et travaillent dans la même commune tandis que près de la moitié de ces actifs travaillent en zone urbaine et se déplacent donc plus que les urbains. De plus, la distance parcourue par les actifs en emploi résidant dans le rural est plus élevée que celle de l’ensemble des travailleurs (13 km contre 8 km) S. Chaumeron et A. Lécroart, « Le trajet médian domicile-travail augmente de moitié en vingt ans pour les habitants du rural », Insee Première, no 1948, mai 2023.. Concernant l’écoute de podcasts, l’écart de pratique observé selon le lieu de résidence est moins significatif que l’effet d’âge : ce sont d’abord les jeunes qui se sont emparés de ce nouveau format, tandis que les plus âgés demeurent attachés à l’écoute de programmes radiophoniques, ce qui vient confirmer la dimension générationnelle dans l’appropriation des supports de diffusion de la musique et, plus généralement, des contenus culturels O. Donnat, Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques, Paris, ministère de la culture, DEPS, coll. « Culture prospective », no 3, 2007. Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 2, 2020..

Graphique : loisirs médiatiques selon la grille de densité
Loisirs médiatiques selon la grille de densité

Concernant la télévision, « invitée permanente O. Masclet (sous la direction de), L’Invité permanent. La réception de la télévision dans les familles populaires, Paris, Armand Colin, « Individu et Société », 2018. » des ménages, un média « qui s’inscrit et se fond dans les routines quotidiennes du foyer D. Pasquier, « Les publics, entre usages de la télévision et réception des programmes », Réseaux, vol. 229, no 1, 2015. » et occupe une place centrale, elle reste le premier loisir à domicile à la fin des années 2010. Un effet territorial distingue les habitants des grands centres urbains dont le taux de pratique est inférieur à la moyenne de la population générale. Cette moindre pratique concerne toutes les catégories sociodémographiques des habitants des grands centres urbains : âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle. Pour autant, les habitants du rural à habitat dispersé et très dispersé ne sont pas ceux qui regardent le plus la télévision : ce sont les habitants des centres urbains intermédiaires et des petites villes ainsi que des ceintures urbaines qui déclarent les plus forts taux de pratique. L’urbanité versus la ruralité n’est donc pas le principal indicateur discriminant. Le mode de logement, la composition des foyers et la concurrence d’autres loisirs expliquent sans doute cette distribution différente concernant la télévision selon le lieu de résidence.

Loisirs ludiques et ordinaires : des univers de pratiques différents pour les ruraux et les urbains

L’enquête Pratiques culturelles, mise en œuvre pour la première fois au début des années 1970, avait la double ambition de rendre compte de la montée en puissance de la civilisation du loisir conceptualisée par Joffre Dumazedier J. Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, 1962 ; J. Dumazedier, Révolution culturelle du temps libre : 1968-1988, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988. et de mesurer la progression des pratiques culturelles de la population, un peu plus de dix ans après la création du ministère des Affaires culturelles par André Malraux en 1959. L’enquête démarre ainsi par une série de questions très générales sur le rapport au temps libre : bricolage, jeu, chasse, pêche, pratiques sportives et formes de sociabilités permettent d’en savoir plus sur ces loisirs qui ont en commun d’être des temps soustraits aux temps contraints (travail et tâches domestiques), qu’ils soient culturels, ordinaires ou relevant des « semi-loisirs » Ph. Coulangeon, P.-M. Menger, L. Roharik, « Les loisirs des actifs : un reflet de la stratification sociale », Économie et Statistique, nos 352-353, 2002..

Si l’on s’intéresse à quelques pratiques de loisir dites « d’autoproduction » comme les travaux d’aiguille (tricot, broderie ou couture), le bricolage et la décoration, le jardinage, les habitants du rural sont plus nombreux à déclarer ces loisirs, en particulier le bricolage et le jardinage. On observe cependant un désinvestissement des catégories populaires pour certaines de ces pratiques, historiquement liées à la capacité des ménages populaires à améliorer leurs conditions de vie, tandis que les cadres et les plus diplômés, à l’inverse, sont plus investis dans ces pratiques. Si l’on ne peut exclure un effet de renforcement du manque de ressources (manque de terrain pour cultiver son jardin, d’espace dédié pour bricoler ou coudre par exemple) qui pénaliserait les ménages les plus modestes, force est de constater que « l’omnivorisme En sociologie, le terme « omnivorisme » renvoie historiquement au processus de diversification des répertoires culturels observé chez les populations appartenant aux classes socioéconomiques favorisées. Dans ce contexte, la notion renvoie à la diversité des goûts et des pratiques culturelles de la population, mais aussi au répertoire plus large des loisirs. [NDLR]. », documenté pour les goûts (l’éclectisme), s’étendrait aussi aux loisirs ordinaires et que loin de rejeter des activités peu distinctives, les catégories supérieures les plus diplômées se caractérisent au contraire par un spectre d’activités plus large que celui des catégories populaires, moins nombreuses à déclarer bricoler, jardiner, y compris dans l’espace rural. Dans le cas de la cuisine (« cuisiner de bons petits plats »), les plus diplômés des espaces urbains sont ceux qui déclarent le plus s’adonner à ce loisir. Cuisiner est devenu une pratique distinctive, plus investie par les diplômés et les cadres, en particulier en ville.

Graphique : Loisirs ordinaires selon la grille de densité
Loisirs ordinaires selon la grille de densité

Urbains ou ruraux, une stratification sociale des loisirs qui résiste à la question territoriale

Les habitants de l’urbain dense et ceux du rural à habitat dispersé ou très dispersé se distinguent par les activités de loisir qu’ils pratiquent pendant leur temps libre. Moins engagés dans les pratiques culturelles de sortie, les habitants du rural leur préfèrent des loisirs domestiques ou médiatiques. Si l’éloignement des grands centres urbains, où se concentrent l’offre culturelle et les services, explique en partie cet effet territorial, on observe qu’il concerne moins les cadres et les plus diplômés du rural. On peut faire l’hypothèse que ces populations, par effets de revenus et de capital symbolique, ont les moyens d’une plus grande mobilité, y compris culturelle. La mobilité culturelle, des œuvres et des populations, est ainsi l’un des enjeux majeurs à prendre en compte pour répondre à la question de l’engagement culturel des populations.

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26.02.2024 à 09:47

Non, l’éducation artistique et culturelle n’est pas devenue « un appareil idéologique d’État »

Frédérique Cassegrain

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En contrepoint de l’article de M.-P. Chopin et J. Sinigaglia récemment publié, Anita Weber plaide pour une analyse de l’EAC à l’épreuve des pratiques. Celle-ci aurait-elle perdu sa visée émancipatrice en s’institutionnalisant ? L’hypothèse reste à prouver. Plus encore, l’auteure rappelle les choix politiques controversés et acquis de haute lutte qui ont permis d’affirmer la place de l’EAC dans les enseignements fondamentaux. Un consensus toujours fragile et sans cesse à défendre.

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Texte intégral (1545 mots)
Photo © Jess Bailey, Plateforme Unsplash

Tout consensus suscite, chez les intellectuels et les chercheurs, le désir de le regarder de plus près, et l’on ne peut que s’en réjouir. Il est vrai que, depuis le colloque d’Amiens « Pour une école nouvelle » en 1968 – centré sur l’ouverture de l’institution scolaire – qui proposait l’intervention des artistes à l’école, les textes officiels relatifs à l’éducation artistique et culturelle (EAC) – discours ministériels, textes législatifs, chartes, protocoles d’accord, plans d’action, circulaires, etc. – ont été promulgués sous des gouvernements de droite aussi bien que de gauche, qui ont tous affirmé et réaffirmé le rôle essentiel de l’éducation aux arts, véritable enjeu de société, composante de la formation générale, facteur d’épanouissement des jeunes, élément incontournable de la construction du futur citoyen, etc. Un consensus fascinant et assez unique.

Que se cache-t-il donc derrière cette belle unanimité qui a porté haut et fort l’étendard de l’EAC jusqu’à sa généralisation ? Il est très intéressant de se pencher sur le sujet.

C’est ce qu’ont fait Marie-Pierre Chopin et Jeremy Sinigaglia. Ils s’interrogent particulièrement sur « la visée émancipatrice » de ces politiques, dès lors qu’elles ont donné lieu à une véritable institutionnalisation. Ils se sont appuyés sur l’étude des principaux textes officiels et ont procédé à une analyse des objectifs de l’EAC tels que définis par ces différents documents.

Selon eux, l’EAC n’échappe pas aux effets des processus d’institutionnalisation qui enferment toute action publique dans un « périmètre acceptable par l’État » M.-P. Chopin, J. Sinigaglia, « Civiliser les individus : les paradoxes de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle », L’Observatoire, no60, avril 2023, p.16.. L’idéal émancipateur de l’après-guerre qui s’exprimait dans les mouvements de l’Éducation nouvelle notamment, aurait été oublié, emporté par une vision politique pragmatique et conformiste : finis les grands rêves émancipateurs porteurs de transformation sociale et mettant en cause l’ordre établi, place aux objectifs visant à adapter les élèves à un contexte néolibéral, centré sur l’individu.

Cette lecture a ébranlé la militante de l’EAC que je suis, fortement impliquée dans la production de ces politiques. C’est bien là, me dira-t-on, le rôle de la recherche que de bousculer les certitudes, de remettre en cause les convictions, d’interroger les engagements. 

Certes, mais une question se pose donc aux agents – et ils sont nombreux – qui ont participé à la définition ou à la mise en œuvre de cette politique : qu’avons-nous fait ? Avec la généralisation de l’EAC (le « 100% EAC »), celle-ci serait-elle devenue, comme toute institution, un appareil idéologique d’État – selon la définition d’Althusser L. Althusser, « Idéologie et appareil idéologique d’État », La Pensée, no 151juin 1970. –, contribuant ainsi à diffuser les valeurs de la classe dominante ? Même si les auteurs prennent soin de dire qu’ils ne préjugent en rien « ni [de] l’usage qu’en font les agents éducatifs et culturels (enseignantes, médiatrices, artistes, etc.), ni [des] effets potentiels de ces pratiques sur les élèves » M.-P. Chopin, J. Sinigaglia, op. cit., p.19., ils ouvrent néanmoins la voie au doute. Ces presque cinquante ans d’efforts pour le développement de l’EAC, cette volonté de généralisation portée par de nombreux militants convaincus que l’accès à l’art est émancipateur, ont-ils conduits à conforter l’ordre social ? C’est ce qu’avancent les auteurs, et qui n’est pas sans faire débat. En effet, même si l’analyse des textes montre un glissement dans la formulation des objectifs depuis les premières orientations en matière d’EAC, comment en conclure que les objectifs initiaux ont été dévoyés si ce n’est par une étude des résultats ? Ce n’est pas l’objet de leur recherche, mais il n’en reste pas moins que le propos perd de sa pertinence en l’absence de références aux pratiques elles-mêmes et d’un regard porté sur leurs effets. Comment, sans cette analyse de pratiques, peut-on affirmer que « la généralisation de l’éducation artistique passe par un traitement de plus en plus individualisé des problématiques sociales » Ibid., p.17. sauf à tordre le réel, en soumettant la réalité à un schéma théorique, voire idéologique ?

En second lieu, on peut regretter que les auteurs analysent le contenu de ces textes sans donner quelques éclairages historiques sur les contextes dans lesquels ils ont été élaborés. Je citerais en particulier les débats extrêmement vifs qui opposaient, dès 1971, les tenants d’une vision des apprentissages scolaires centrés uniquement sur les matières fondamentales et ceux qui voyaient dans l’EAC un enrichissement de la formation. Très concrètement, les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale défendaient des positions très éloignées l’une de l’autre et les textes produits ont été le fruit de bagarres et de négociations interminables. Admettre que l’EAC joue un rôle positif dans les parcours d’apprentissage fut très difficile pour de nombreux responsables de l’Éducation nationale et on peut même penser que l’énoncé de certains objectifs, perçus comme une instrumentalisation de l’EAC par les auteurs de l’article cité, n’ait été que le moyen tactique pour que l’Éducation nationale admette la présence de ces nouvelles activités. Ainsi repère-t-on de nombreux arguments selon lesquels l’EAC est un moyen de lutter contre l’échec scolaire, « la porte qui donne accès aux autres savoirs »  Ibid., p.17-18. et permet la réussite scolaire. Rappelons que cette profonde divergence de points de vue demeure d’actualité : des activités très diverses relevant de l’EAC restent encore totalement marginales par rapport aux apprentissages dits « fondamentaux ».

De plus, s’il est assurément intéressant de connaître et étudier les cadrages politiques, comme cela est mentionné – et c’est le mérite de cet article –, il faudrait cependant s’interroger sur leur caractère performatif. Peut-être est-il plus faible qu’on ne le croit… surtout en ce qui concerne cette matière artistique, assez insaisissable et multiforme, qui va du théâtre au cinéma, en passant par les arts plastiques, la musique, la littérature, etc. incarnée par de très nombreux artistes et une extraordinaire variété de projets. Autant de bouillonnements, d’imaginaires, d’émotions, d’inventions et d’aventures individuelles et collectives, peu sensibles aux injonctions ministérielles.

Enfin, sauf à penser que le rôle de l’EAC est de fabriquer des révolutionnaires, ne peut-on se féliciter de cette convergence de points de vue, aussi bien pédagogiques que politiques, qui a permis à cette dimension de l’action publique éducative, in fine, un développement sans précédent ?

Peut-être nous sommes-nous trompés en nous engageant dans cette action qui aurait perdu son sens initial et n’aurait comme effet que de domestiquer les cœurs et les consciences… mais persistons dans l’erreur ! Car les enjeux d’ouverture, d’émancipation demeurent aujourd’hui pour notre jeunesse et notre société, plus importants que jamais, et je m’obstine à croire – qui sait ? – que l’art peut y jouer un rôle déterminant.

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20.02.2024 à 11:46

Le potentiel du végétal dans la fabrique sensible de la ville : l’exemple angevin

Frédérique Cassegrain

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Forte de son histoire botanique, Angers a fait du végétal un objet d’appropriation collective et un sujet permanent d’expérimentation. Comment les artistes prennent-ils part à l’invention d’une ville sensible et habitable, à la croisée des aspirations citoyennes et des dynamiques territoriales ? Dominique Sagot-Duvauroux et Isabelle Leroux se penchent sur l’émergence d’une scène végétale urbaine où s’hybrident valeur patrimoniale de la nature, santé et engagement militant.

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Texte intégral (2345 mots)
Jardin avec meubles envahis par la végétation
Jardin bio de la maison de l’environnement à Angers. Photo © Dominique Sagot-Duvauroux

À travers ses fonctions esthétiques, utilitaires ou écologiques, le végétal est aujourd’hui mobilisé pour rendre plus acceptable la vie en milieu urbain M. Wintz,« La nature en ville : une réconciliation en trompe l’œil », Revue du MAUSS, no 54, 2019, p. 95-107.. Les collectivités territoriales l’intègrent à leurs politiques d’aménagement urbain dans l’esprit d’une reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ces politiques sont rendues visibles au grand public par le recours à des labels et à des classements, par exemple les villes vertes. L’Observatoire des villes vertes http://www.observatoirevillesvertes.fr/, créé en 2014, évoque l’idée de la « ville sensible », nouveau paradigme urbain visant à générer « un foisonnement d’initiatives végétales dans l’urbain ». Le végétal apparaît comme un « objet intersécant » dans la fabrique de la ville de demain, susceptible d’offrir un avenir au modèle de la ville créative, tout en soulevant de nombreux débats sur le rapport entre l’homme et la nature dans les sociétés occidentales Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.. La ville d’Angers, marquée par une histoire, une activité productive et des aménités paysagères nombreuses, propose un terrain d’observation pertinent de l’émergence d’une scène végétale urbaine inscrite dans la perspective de la ville sensible Ch. Ambrosino, D. Sagot-Duvauroux, « Scènes urbaines : vitalité culturelle et encastrement territorial de la création artistique », dans B. Pecqueur, M. Talandier, Renouveler la géographie économique, Paris, Éditions Economica, 2018..

Les origines du végétal en Anjou remontent au XVe siècle sous l’impulsion du roi René Ier le Bon, duc d’Anjou, amateur d’espèces végétales notamment méditerranéennes I. Leroux, P. Muller, B. Plottu, C. Widehem, « Innovation ouverte et évolution des business models dans les pôles de compétitivité : le rôle des intermédiaires dans la création variétale végétale », Revue d’économie industrielle, no 146, 2014, p. 115-151.. Dès cette époque se constitue une pratique savante autour de botanistes que le roi René fait venir de Paris. La ville d’Angers, située en bord de Loire, devient très vite une place d’échanges commerciaux et de transports des végétaux. Le XVIIe siècle est marqué par l’émergence d’une communauté de pratique botanique médiatisée par les jardins botaniques et par les concours horticoles qui participent à la renommée de la ville et à l’attractivité de son offre végétale. Aux XVIIIe et XIXe, un écosystème d’innovation se met en place croisant les communautés de la production et de l’échange horticoles avec celles des sociétés savantes et des érudits propriétaires de jardins. À cette époque, le végétal est source de récits et d’imaginaire collectif porté par des horticulteurs de renom à la croisée des arts et de la science, tel André Leroy, célèbre pépiniériste qui deviendra maire adjoint d’Angers P. Détriché, « Les manifestations horticoles », dans M. Portron, L’Horticulture angevine des origines à l’an 2000, Angers, Société d’horticulture d’Angers, 2000, p. 78-103.. Plusieurs jardins voient le jour, par exemple le jardin des plantes au XVIIIe siècle ou bien encore l’arboretum créé par le botaniste angevin Gaston Allard à la fin du XIXe siècle. Les jardins maillent la géographie de la ville par un effet d’extension paysagère L. Germain, « Les jardins et les parcs publics d’Angers », Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, no 239-240, 1941, p. 365-386.. Les pépinières se créent ou se déplacent à la périphérie de la ville. L’enseignement horticole se propage. On peut parler ici des prémices d’une scène végétale urbaine, fondées sur une communauté de pratique prolifique alliant botanique, horticulture, arts et jardin.

Une logique d’écosystème d’innovation éloignée de la fabrique sensible de la ville

Les liens entre la filière botanique, l’esthétique, l’art et les sciences se délitent dans le courant du XXe siècle. Les jardins botaniques et d’ornement restent toujours au cœur de la politique urbaine mais déconnectés de la filière économique horticole qui tendra vers une logique de production, de recherche scientifique et d’innovation industrielle avec des effets d’agglomération soutenus : l’installation à Angers de l’Institut national de la recherche agronomique (devenu INRAE), d’écoles d’ingénieurs comme l’Institut national d’horticulture (aujourd’hui Institut Agro Rennes-Angers), la création d’une université publique aux côtés d’une université catholique historiquement implantée, la création du département de physiologie végétale, de lycées ou encore de divers instituts. L’activité scientifique angevine attire par la suite des grands groupes (Limagrain, Pioneer…). Cette dynamique aboutit à la labellisation en 2005 de l’Anjou en pôle de compétitivité Vegepolys qui permet à l’écosystème de se structurer autour d’acteurs d’envergure supralocale comme Plante & Cité, ou bien l’Office communautaire des variétés végétales. À ces acteurs s’ajoutent le parc Terra Botanica, ouvert en 2010 (premier parc à thème d’Europe consacré au végétal) et l’arboretum Gaston-Allard (350 000 échantillons dans un herbier retraçant les évolutions de la flore française) Angers & le végétal. Au milieu des années 2010, Vegepolys, Terre des Sciences et Terra Botanica engagent une réflexion sur le lien entre tourisme, patrimoine et innovation végétale, et la valorisation des plantes angevines (par exemple l’hortensia d’Angers Val de Loire)  À ce sujet, consulter le site de Terre des Sciences.. L’écosystème d’innovation se complexifie donc, s’ouvre à la ville mais reste toutefois dans une logique d’offre intégrant difficilement la complexité du rapport sensible des habitants au végétal et les expérimentations citoyennes.

La fabrique sensible de la ville : vers une scène végétale urbaine

La période actuelle est marquée par une transition vers une conception participative du végétal dans la ville, se rapprochant progressivement d’une logique de fabrique urbaine et d’une expérience végétale collective (filtres perceptifs, culturels, apprentissages collectifs et rencontres). Les associations et conseils citoyens de quartiers sont associés aux grands projets d’urbanisme. Le budget participatif d’Angers, mis en place en 2018, concrétise des projets d’habitants dont nombre d’entre eux sont liés au végétal. La communauté urbaine est lauréate de l’appel à projet national de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), « Les quartiers fertiles ». L’opération « Cultivons notre terre » encourage les habitants à s’impliquer dans des initiatives d’agriculture urbaine. Les travaux menés par Plante & Cité présentent des méthodes de gestion écologique en ville, des actions associant santé et nature. L’élargissement de l’écosystème ouvre la voie à de nouvelles perspectives. Les hybridations transversales, par exemple le lien entre végétal et traitement du cancer à la Cité des soins de la clinique de l’Anjou, témoignent du croisement de compétences et de ressources spécifiques locales pour de nouveaux usages. Le pôle Vegepolys, devenu Vegepolys Valley en 2019, déploie un nouvel axe « végétal urbain » dans sa stratégie d’innovation, ce qui conduit implicitement à son réancrage territorial.

Parallèlement, la ville élabore une stratégie de marketing territorial construite autour du concept de « super nature » animé par une communauté en ligne regroupant les acteurs, mais aussi des amateurs et des collectifs citoyens. L’opération « Angers Supernature » fédère également une pluralité d’événements culturels autour de la mise en valeur du patrimoine végétal. L’Agence d’urbanisme de la région angevine met par ailleurs à disposition sur son site un guide de déambulation invitant les marcheurs, adultes ou enfants, à la perception multisensorielle de leur environnement urbain https://www.aurangevine.org/.

Ces évolutions rendent visibles plusieurs micro-scènes végétales animées par des acteurs dits keystone [« clé de voûte » en anglais], faisant lien entre individus, organisations, disciplines, objets, etcL’expérience du Jard’In Zur animé par le groupe d’artistes Zur (pour « zone urbaine réversible») illustre parfaitement ce que le végétal peut provoquer sur un territoire, à la fois en offrant aux étudiants, chercheurs, associations, entreprises diverses un laboratoire d’expérimentation in situ, en donnant à voir aux habitants la diversité de la nature en ville et en les dotant des capacités de se l’approprier pour transformer leur environnement dans un processus qui reste cependant non « standardisable », condition d’une vraie « résonance » selon Rosa H. Rosa, Résonance, Paris, La Découverte, 2018. Selon Rosa, pour entrer en résonance avec le monde (un paysage, un individu, une œuvre, etc.), il faut d’abord être touché, affecté ; il faut ensuite qu’il y ait une réaction. Cette réaction doit provoquer une transformation. Enfin, cette résonance demeure aléatoire et n’est pas instrumentalisable (à ce sujet, voir l’article Fin de cycle pour la ville créative ? dans ce dossier)..

Cette logique de fabrique urbaine autour de micro-scènes commence à s’étendre à l’échelle de la ville. Toutefois le récit rassembleur construit par la municipalité se heurte à des controverses ou conflits de visions, faisant de la ville un espace de confrontation potentiel entre les valeurs des différents mondes marchand, industriel, symbolique ou domestique qui s’intéressent au végétal. Toute la subtilité du rapport à celui-ci dans l’urbain est de parvenir à dépasser ces clivages et à favoriser les nécessaires apprentissages collectifs, base d’une vision partagée de la nature en ville.

Mais peut-être qu’une scène végétale urbaine doit rechercher sa visibilité et son récit dans sa capacité à faire de la nature un sujet permanent d’expérimentation et d’échanges entre l’ensemble des parties prenantes, de façon à faire naître cette ville sensible et habitable que le modèle de la ville créative a pu oublier. Finalement, le récit ne devrait-il pas porter davantage sur la diversité des rapports à la nature offerte par ces micro-scènes et les débats qu’elle génère plutôt que d’essayer de les faire rentrer dans un discours unificateur improbable. C’est sans doute l’enjeu de la ville sensible fondée sur une scène urbaine que l’on pourrait qualifier de « discrète ».

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15.02.2024 à 11:29

Low is the new tech ? Prototypes de numérique culturel responsable

Frédérique Cassegrain

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La deuxième édition de l’Augures Lab Numérique responsable a mobilisé dix-huit institutions culturelles et collectivités pendant huit mois. Cette recherche-action, menée sur trois ans, interroge la soutenabilité du numérique au sein du secteur culturel. Un enjeu de taille, à l’heure des transitions sociétales et environnementales, bien que son immatérialité présumée le rende parfois impalpable. Résolument déterminé à ancrer le sujet dans le réel, le Lab a permis de faire émerger trois nouveaux prototypes, restitués en décembre dernier.

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Texte intégral (3331 mots)
lllustration © 2023, Roman Guillanton, licensed under CC BY-NC-SA 4.0. Extrait de Dix (dossiers) de perdus, un de retrouvé, Les Péripéties de l’Archivage et de la Conservation.

En invitant à pousser les portes du ministère de la Culture, le message envoyé semble clair : le numérique responsable intéresse en haut lieu. Il faut cependant chercher son chemin et arpenter quelques couloirs pour trouver la salle excentrée où se déroule la restitution de l’Augures Lab numérique responsable. Un contraste révélateur de l’ambivalence du sujet ? Ici de grandes institutions culturelles* sont rassemblées pour élaborer de nouvelles pratiques autour de ce qui est encore perçu comme un sujet secondaire. La tendance est donc plutôt à l’expansion des expériences et solutions numériques, qu’il s’agisse de programmation, de médiation, de communication ou – plus confidentiel – de conservation. Pourtant, l’impact du numérique est non négligeable d’un point de vue écologique et social. C’est par la présentation de ces enjeux que Romane Clément du studio de design numérique responsable Ctrl S – chargée de la coordination conjointe de ce Lab avec Les Augures – démarre la restitution : « Le numérique représente aujourd’hui 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, avec une projection évaluée à +187 % d’ici à 2050 Études conduites par l’Ademe/Arcep, Évaluation de l’empreinte environnementale du numérique en France en 2020, 2030 et 2050, mars 2023. – il s’agit du secteur avec la plus forte progression. » Contrebalançant l’image d’un numérique immatériel, elle évoque les tonnes de matériaux lourds, les fermes de serveurs, les travailleurs du clic, les produits contaminés, les câbles sous les mers ou encore les satellites, replaçant le sujet dans le monde bien réel. Romane Clément invite également à penser le numérique dans son cycle de vie –extraction/raffinage/distribution/recyclage 83 % des matériaux sont aujourd’hui non recyclés. – pour en comprendre le véritable impact, qu’il ne s’agirait pas de réduire aux émissions de CO2. L’enjeu se place également à l’endroit des conditions de travail, de la préservation de la biodiversité, de la consommation d’eau… « Une fois que l’on comprend mieux les empreintes du monde numérique, les promesses de technologies comme les médiations tout-numérique, la réalité virtuelle ou augmentée, les NFT, les métavers et tant d’autres, apparaissent moins évidentes » conclut-elle, dans une invitation à « être conscients et pragmatiques quant à leurs coûts ».

Et la culture dans tout ça ?

C’est évidemment la question suivante : quelle est la part du numérique dans la culture, et la part de culture dans le poids du numérique ? Le numérique est le 4e poste d’empreinte carbone du secteur culturel et « 60 % de la bande passante du web est du contenu
culturel D’après le rapport L’Insoutenable usage de la vidéo en ligne, The Shift Project, 2019. » expose Camille Pène, cofondatrice des Augures. Néanmoins, elle place la problématique à un autre endroit : « la culture est prescriptrice en matière d’usages, d’imaginaires ». Elle évoque ici la dépendance aux GAFAM qui soulève des enjeux éthiques, les inégalités d’accès à la culture parfois renforcées par le numérique en dépit de sa promesse de démocratisation culturelle, ou encore ses effets sur l’attention cognitive. Par ailleurs, souligne-t-elle, « si la consommation de vidéos est exponentielle, ce n’est pas tant la consommation des données qui a le plus de poids, mais l’effet d’entraînement entre les usages et les infrastructures, nourrissant l’obsolescence technique et marketing »Comprendre : amenant la surproduction et la surconsommation d’équipements numériques.

Et le « numérique culturel » ne cesse de s’étendre : infrastructures matérielles, éléments de scénographie, plateformes et contenus web, expériences immersives… « Son histoire est rythmée par des décisions politiques, des appels à projets qui conduisent à un empilement d’innovations, venant répondre à des promesses tentantes – diversifier les publics, développer de nouveaux revenus, décarboner le secteur en réduisant les déplacements – perpétuellement non advenues » énonce Camille Pène. L’Augures Lab pose très clairement son intention : un changement de paradigme. Sa cofondatrice poursuit : « Il nous faut sortir du techno-solutionnisme et promouvoir des imaginaires low-tech, c’est-à-dire des innovations qui s’inscrivent dans les limites planétaires », appelant à « mener une reconstruction positive autour du numérique responsable en coproduction entre les acteurs de la culture, les artistes, les fournisseurs numériques et les publics. »

Photo : Atelier d’idéation – Augures Lab numérique responsable 2023 © Les Augures

Une recherche-action qui percute les institutions…

Soutenu par le ministère de la Culture pour une durée de trois ans, le programme en appelle également au volontarisme des structures participantes qui assument une partie du financement, à hauteur de 4 500 euros par an. « Tout ce qui est issu de cette recherche-action est en creative common » explique Camille Pène qui souhaite que les connaissances développées dans le cadre de ce processus puissent aussi bénéficier aux plus petites structures. C’est également l’objectif recherché par le ministère qui mise sur une mutation en profondeur des établissements culturels investis dans l’intégralité de cette démarche : de la sensibilisation à la réalisation de prototypes, en passant par des phases de problématisation et d’idéation.

Pour cette 2e édition, trois thématiques, définies avec les participants, sont approfondies. Comment amortir l’impact écologique des productions numériques ? Comment instaurer une sensibilisation et un dialogue pour mettre en œuvre une politique de conservation et d’archivage numérique soutenable ? Quelles solutions pour concilier enjeu de visibilité et éco-responsabilité dans sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux ?

Responsable de la communication digitale au Palais de Tokyo, Lucile Crosetti témoigne son intérêt pour cette expérience à laquelle elle participe depuis deux ans et qui « crée un lien entre institutions sur une problématique reliant la responsabilité et la sobriété sans être moraliste ». Ce sentiment d’être dans le même bateau est prégnant dans l’assemblée. Agnès Abastado, cheffe du service numérique des musées d’Orsay et de l’Orangerie, complète : « Le programme mise sur l’intelligence collective, nous permettant d’échanger sur les enjeux de chacun – qui sont pour beaucoup partagés – et d’aborder les problématiques de différentes manières. » Plébiscitée, la méthodologie mise en effet sur la construction commune de solutions et d’actions concrètes, dépassant le stade du simple échange. Une relation au long cours permettant, d’après les témoignages, de faire tomber les masques et d’évoluer dans « un climat de confiance qui aide à ce que la parole se libère » ajoute Agnès Abastado.

Peut-on continuer à vouloir concilier une perspective d’élargissement des publics par l’accroissement des contenus tout en demandant de réduire l’impact écologique des activités numériques ? 

… sans toutefois lever les freins politiques

Malgré les incantations à une plus grande sobriété, cette perspective peut-elle trouver à s’incarner dans le modèle politique actuel ? « L’injonction est plus forte côté croissance aujourd’hui, à travers une démarche assez classique visant à toucher plus de publics »témoigne Étienne Jolivet, responsable des contenus numériques au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Entre les externalités positives d’un message et les gaz à effet de serre produits par sa création et diffusion, quelle est la somme ? Quid de renoncer ou limiter ses réseaux sociaux sachant que c’est aujourd’hui la première source d’information
des jeunes Le rapport 2022/23 de l’Ofcom sur la consommation d’informations au Royaume-Uni révèle que les adolescents plus âgés et les jeunes adultes âgés de 16 à 24 ans sont beaucoup plus susceptibles de consommer des informations en ligne que les adultes en général (83 % contre 68 %). Et généralement, cela se fait via les réseaux sociaux sur leur téléphone mobile (63 % contre 39 %). Les personnes de ce groupe d’âge sont également beaucoup moins susceptibles que l’adulte moyen d’accéder à du contenu d’information provenant de sources médiatiques traditionnelles, telles que la télévision (47 % contre 70 %), la radio (25 % contre 40 %) et les journaux imprimés (16 % contre 26 %). ? Donc, que faire ? Faut-il préférer des voies médianes aux choix radicaux, ou au contraire détourner les outils pour sensibiliser aux sujets environnementaux ? Des questions soulevées lors de ce Lab, que restitue Étienne Jolivet, par ailleurs membre du groupe de travail dédié aux réseaux sociaux. S’il admet ne pas avoir fait de « pas de géant », ce n’est pas ce qu’il attendait d’un tel « sujet épineux » qu’Agnès Abastado qualifie même de « problème politique ». Selon elle, « la vertu de la démarche est surtout de bousculer l’existant ». Peut-on continuer à vouloir concilier une perspective d’élargissement des publics par l’accroissement des contenus tout en demandant de réduire l’impact écologique des activités numériques ? Une double injonction à laquelle n’échappent ni les institutions ni le ministère de la Culture, le principal critère d’évaluation des politiques culturelles centrées sur la démocratisation restant l’augmentation des publics aussi bien physiques que numériques. « Si nous voulons réussir notre transition, il faut changer les indicateurs à partir desquels nous sommes évalués, et cela vient de tout en haut » ajoute-t-elle.

Pour y parvenir, les coordinatrices du Lab évoquent des « croyances à déconstruire » : l’innovation technologique et le numérique permettraient de diversifier les publics, de capter les plus jeunes d’entre eux, de réduire l’empreinte carbone des établissements par la réduction des déplacements de visiteurs (encore faut-il qu’ils y consentent)… Autant « d’idées reçues » qu’aucune étude ne permet de confirmer à ce jour. « C’est très difficile pour des directions de renoncer à ce qu’ils estiment être un enjeu de compétitivité » ajoute Camille Pène.

Véritable levier pour amorcer un processus de transformation qui dépasse largement la question du numérique et touche aux fondements des projets culturels, de nombreux participants évoquent leur « chance » d’avoir des directions investies sur le sujet. Des freins existent toutefois pour plusieurs institutions dépendant de collectivités et n’ayant pas toutes les latitudes pour opérer certains choix.

Mises en réseau grâce à ce Lab, les grosses institutions seront-elles les premières à amorcer le mouvement ? Pas nécessairement. Comme l’explique Romane Clément de Ctrl S, les petites organisations développent souvent des projets numériques moins ambitieux : « Ce qu’elles pensent être un retard est en fait de l’avance, comparé à de grosses institutions qui vont devoir détricoter. » Camille Pène des Augures complète : « C’est très compliqué de revenir en arrière lorsqu’on a une stratégie numérique orientée sur l’innovation – comme le musée d’Orsay, le Mucem, Universcience – et des habitudes en termes d’abondance d’énergie. Paradoxalement, les structures qui n’ont pas eu les moyens jusqu’ici d’investir dans le numérique vont pouvoir développer aujourd’hui des stratégies numériques de façon sobre. »

lllustration © 2023, Roman Guillanton, licensed under CC BY-NC-SA 4.0. Extrait de Mémoire (pas si) vive, Les Péripéties de l’Archivage et de la Conservation.

Trois nouveaux prototypes

Pour répondre aux problématiques définies pour cette 2e édition, trois prototypes ont été réalisés par et avec les participants :

  • un guide pratique de coopération dans les achats numériques culturels afin d’éviter les principaux impacts environnementaux et anticiper le réemploi. Constitué de trois parties, il apporte des conseils pratiques pour organiser la coopération en interne et avec le fournisseur, puis pour rédiger l’appel d’offres. Car « les marchés publics sont des opportunités pour affirmer nos conditions » invite Guillaume Rouan des Champs Libres ;
  • quatre histoires illustrées sous forme de BD pour exposer les « péripéties de l’archivage et de la conservation numérique » et comment les éviter : une manière de rendre ludique ce sujet de niche, et de créer des conversations autour d’enjeux tels que le sur-archivage ou encore la fragilité des centres de données ;
  • un Club des cobayes composé de cinq institutions prêtes à expérimenter une éthique de la communication social media (le Centquatre-Paris, le Muséum national d’histoire naturelle, le Palais de Tokyo, l’Opéra national de Lyon et Les Champs Libres). Elles expérimenteront pendant six mois des actions – telles qu’utiliser la fonction de Meta Business peu connue permettant de programmer une suppression automatique des posts, réduire systématiquement le poids des vidéos ou encore mettre en place deux semaines sans publications. Le Club restituera, à l’issue de la période, ses recommandations par le biais de fiches pratiques.

Ces trois nouveaux prototypes s’ajoutent aux quatre autres livrés en 2022. Ils sont accessibles en open source sur la plateforme dédiée à cet effet, ainsi que les apprentissages obtenus lors des enquêtes de terrain.

Certes, les solutions peuvent paraître relativement pragmatiques au regard d’une démarche générale qui invite à un changement de paradigme. On peut aussi y voir une façon détournée de questionner les institutions et de les inviter à repenser leur conception même d’un projet culturel « réussi ». Cette conduite du changement permettra-t-elle de sensibiliser les décideurs et les équipes aux problématiques environnementales, dans une approche constructiviste « L’enseignement constructiviste est fondé sur la croyance que toute personne apprend mieux lorsqu’elle s’approprie la connaissance par l’exploration et l’apprentissage actif, les mises en pratique remplaçant les manuels » (définition du constructivisme, par Jennifer Kerzil, dans
J.-P. Boutinet, L’ABC de la VAE, Toulouse, Erès, 2009, p. 112 à 113). Source : https://www.cairn.info/l-abc-de-la-vae–9782749211091-page-112.htm)
 ? « L’enjeu est celui de la transformation des mentalités, ce type d’outil permet de dialoguer avec nos équipes pour les inscrire, petit à petit, dans de nouvelles pratiques » illustre Agnès Abastado.

Les cofondatrices du Lab numérique responsable, lancé en 2022, constatent de premiers effets : « Une analyse du cycle de vie menée par Les Champs Libres, un groupe de travail interne sur la sobriété numérique au Muséum national d’histoire naturelle, le ministère se nourrit également de ce qui se fait dans le Lab » expose Camille Pène. « Au-delà de planter la graine, nous l’arrosons pendant huit mois et nous sentons qu’il y a un changement dans la façon de voir les choses »ajoute Romane Clément qui mise sur le « biais de cohérence » : un concept développé par Robert Cialdini selon lequel « accepter de faire même la plus petite des actions permet ensuite d’en faire de plus grandes, par souci de cohérence ».

* Les participants à cette deuxième promotion de l’Augures Lab numérique responsable : Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie-Valéry Giscard d’Estaing ; Les Champs Libres ; Art Explora ; Centre des monuments nationaux ; Palais de Tokyo ; Universcience ; Mucem ; Bibliothèque nationale de France ; musée des Arts décoratifs de Bordeaux ; Palais des Beaux-Arts de Lille ; Paris Musées ; musée des Arts et Métiers ; Centquatre-Paris ; Opéra national de Lyon ; musée Picasso ; Métropole de Rennes ; Bordeaux Métropole ; Archives nationales.

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