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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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14.03.2024 à 14:45

Jard’In Zur : un terrain de jeu pour mêler pratiques artistique et agricole

Aurélie Doulmet

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, […]

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Le groupe d’artistes Zur (pour zone utopiquement reconstituée) défend un art qui prône le mélange des genres et des langages artistiques et qui dépasse les spécialisations. Les trois artistes fondateurs, animés par l’envie de rencontrer d’autres publics que ceux du spectacle vivant, ont imaginé à Angers, sur un ancien terril d’ardoises, le « Jard’In Zur », poétique, collaboratif et expérimental. Ils cherchent à combiner et alterner pratiques artistique et agricole. Les deux disciplines nourrissent des propositions qui se font écho, les actions culturelles se mêlant au potager. Dans ce lieu de détente, mais aussi de travail et d’expérimentation, collaborent les artistes de Zur, des étudiant·es, des structures sociales et culturelles, ainsi que des entreprises.

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05.03.2024 à 15:18

Loisirs des villes, loisirs des champs : quelle partition territoriale ?

Frédérique Cassegrain

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Aller au cinéma, au musée, au spectacle, écouter la radio ou des podcasts, bricoler, tricoter, jardiner… L’accès à l’offre et aux loisirs culturels dépend-il du lieu de résidence et des caractéristiques sociales des individus ? La nouvelle exploitation de l’enquête Pratiques culturelles du DEPS (ministère de la Culture), croisée avec la grille communale de densité, se penche sur les écarts culturels entre ville et campagne.

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Texte intégral (4130 mots)
Photo © R Mine Daisy, Plateforme Unsplash

Relancée par la toute récente annonce, par la ministre de la Culture, du Printemps de la ruralité, la question du lien entre le lieu de résidence de la population, les pratiques culturelles des habitants et leur accès à l’offre n’est pourtant pas nouvelle. L’aménagement culturel des territoires a été l’une des politiques prioritaires du ministère des Affaires culturelles à partir de 1959 et une politique volontariste d’implantation de l’offre s’est poursuivie pendant plusieurs décennies. Au début des années 2020, le territoire français s’avère toutefois toujours inégalement pourvu. Les territoires ultramarins sont, ainsi, toujours moins dotés d’équipements culturels labellisés que la France métropolitaine, et la situation varie d’une région à l’autre, que ce soit numériquement ou rapporté à la population régionale E. Millery, J.-C. Delvainquière, L. Bourlès, S. Picard, Atlas Culture : dynamiques et disparités territoriales culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 3, 2022..

Qu’en est-il des pratiques culturelles et de loisir de la population ? Les loisirs des urbains et ceux des ruraux sont-ils de nature et d’intensité comparables ? Celles-ci varient-elles, comme on peut le supposer, selon le niveau d’équipement des territoires, mais aussi selon le lieu de résidence des individus, la mobilité nécessaire pour accéder à l’offre culturelle et d’autres critères plus classiques en sociologie de la culture comme le niveau de vie, le niveau de diplôme ou encore la catégorie socioprofessionnelle ? En d’autres termes, l’effet territorial vient-il renforcer les caractéristiques des publics de la culture et des publics éloignés de la culture ? L’enclavement territorial ou l’éloignement des centres urbains contribuent-ils à renforcer des écarts de participation culturelle ou bien conditionnent-ils des univers de pratique très différents selon que l’on est rural ou urbain ?

Pour le savoir, nous avons croisé, dans notre étude, la participation culturelle et les loisirs de la population Enquête Pratiques culturelles 2018, ministère de la Culture, DEPS : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/L-enquete-pratiques-culturelles. avec le type de territoire où résident les personnes afin d’identifier des différences ou des similitudes selon l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle. Le temps d’accès à l’équipement le plus proche a ensuite été calculé, afin d’objectiver la question de l’accessibilité à l’offre culturelle.

Une population plus âgée et moins diplômée dans les communes rurales

Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que la structure de la population n’est pas identique selon le type de territoire.

Tout d’abord, elle est plus jeune dans les grands centres urbains où les 15-24 ans représentent 18 % de la population contre 14 % dans l’ensemble de la population. À l’inverse, elle est plus âgée dans le rural où les plus de 60 ans représentent respectivement 36 % de la population des bourgs ruraux, 35 % du rural à habitat dispersé et 42 % du rural à habitat très dispersé (contre 32 % dans l’ensemble de la population). Ainsi, la part des 60 ans est trois fois plus élevée que celle des 15-24 ans dans les bourgs ruraux, et près de trois fois et demie supérieure dans le rural à habitat très dispersé. Dans les grands centres urbains, cet écart se réduit : les plus de 60 ans ne sont plus qu’une fois et demie plus nombreux que les 15-24 ans.

En outre, la part des familles n’est pas la même selon les territoires : les ménages composés d’un couple avec au moins un enfant sont plus nombreux dans les ceintures urbaines, où l’habitat pavillonnaire est plus répandu, et dans le rural à habitat dispersé et les bourgs ruraux.

Ensuite, les populations ne présentent pas les mêmes caractéristiques selon l’endroit où elles résident en matière d’emploi et de niveau de vie. Ainsi, la part des cadres est deux fois et demie plus importante dans les grands centres urbains que dans les territoires ruraux. À l’inverse, la part des employés et des ouvriers est plus importante dans le rural que dans les grands centres urbains.

Enfin, le niveau de formation des populations diffère selon le lieu de résidence. Près d’un tiers de la population est diplômée de l’enseignement supérieur en France en 2020, mais la population des grands centres urbains est surdiplômée par rapport à l’ensemble de la population (un effet propre à cette catégorie territoriale). La part des diplômés de l’enseignement supérieur est deux fois plus importante dans les grands centres urbains que dans le rural à habitat très dispersé (respectivement 41 % contre 22 % de la population).

Ces différences de structure de la population, selon la grille de densité, sont importantes à souligner car la participation culturelle des individus est étroitement corrélée au sexe, à l’âge, au niveau de diplôme et à la catégorie socioprofessionnelle O. Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 7, 2011..

Loisirs culturels de sortie : un effet territorial net en défaveur des habitants des espaces ruraux

Parmi les activités culturelles de la population, certaines peuvent se pratiquer à domicile, comme la lecture, par exemple, quand d’autres sont qualifiées de « sortie » et supposent de fréquenter un équipement culturel : aller à la bibliothèque ou au cinéma, assister à un spectacle, visiter un musée ou une exposition, etc. Pour ces pratiques de sortie et à la différence des pratiques domestiques, on peut supposer qu’elles sont en partie dépendantes de l’offre territoriale et de la mobilité des individus. On sait aussi qu’elles sont liées à la sociabilité D. Pasquier, La Sortie au théâtre, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 1, 2013., ce qui renvoie aux caractéristiques sociodémographiques des personnes : plus développée chez les jeunes et, à contrario, moins chez les seniors qui vont préférer des loisirs domestiques, comme l’avait montré la dernière enquête Emploi du temps de l’Insee C. Brousse, « Travail professionnel, tâches domestiques, temps “libre” : quelques déterminants sociaux de la vie quotidienne », Économie et Statistique, nos 478-479-480, 2015.. Or, il faut garder à l’esprit que la structure de la population est plus jeune dans les grands centres urbains, plus âgée dans le rural.

Pour illustrer les pratiques de sortie, prenons l’exemple des sorties au théâtre ou au musée, pour lesquelles les écarts les plus marqués s’observent.

Un peu plus de quatre personnes sur dix ont assisté à un spectacle et près de trois sur dix ont visité un musée ou une exposition en 2018, d’après l’enquête Pratiques culturelles Enquête Pratiques culturelles 2018, op. cit.. Un effet contrasté de territoire s’observe entre les populations résidant dans les grands centres urbains, dont la pratique de sortie est supérieure à la moyenne dans la population générale, à l’inverse de celles résidant dans les centres urbains intermédiaires, les petites villes et le rural dispersé qui déclarent des taux de pratique moindres.

Il y a là sans doute un effet d’offre, que ce soit dans le domaine du spectacle ou des musées : 61 % des théâtres et 55 % des scènes (de spectacle ou de musique) sont situés dans les grands centres urbains, 18 % des théâtres et 31 % des scènes le sont dans les centres urbains intermédiaires. Dans les grands centres urbains, le temps d’accès à la scène la plus proche est inférieur à 15 minutes, alors que dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, 82 % des scènes les plus proches sont situées à plus de 15 minutes du lieu de résidence des personnes. Un tiers des 1 200 musées bénéficiant de l’appellation « musées de France » sont situés dans les grands centres urbains, 38 % dans l’urbain intermédiaire et 29 % seulement dans le rural. Les lieux d’exposition labellisés se trouvent très largement en milieu urbain, même si ces établissements labellisés ont des missions de service public d’action hors les murs, notamment en zones rurales. Les trois quarts des lieux muséaux et d’exposition les plus proches sont accessibles à moins de 15 minutes, dont un quart à moins de 5 minutes. Les temps d’accès sont bien sûr plus élevés pour les habitants du rural à habitat dispersé ou très dispersé : plus de 15 minutes pour 62 % d’entre eux.

Est-ce à dire que la sortie au spectacle ou au musée est, en partie, déterminée par la présence d’un équipement culturel sur le territoire ? Le fait que quatre habitants sur dix de zones rurales à habitat dispersé ou très dispersé, particulièrement peu dotées d’équipements de spectacle vivant, ont assisté à au moins un spectacle dans l’année invite à modérer ce point de vue. Ces populations, mobiles, se déplacent pour travailler, mais sans doute aussi pour des sorties à motif culturel. Ensuite, la pratique au sein des cadres et des diplômés de l’enseignement supérieur de la population rurale à l’habitat dispersé ou très dispersé est plus élevée que celle de leurs homologues des bourgs ruraux ou de l’urbain intermédiaire. Ainsi, s’il y a un effet territorial discriminant pour les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural, il n’exclut qu’une partie de la population au sein de ces espaces, tandis que les personnes qui possèdent les propriétés sociales et le capital culturel maintiennent un taux de pratique, certes plus faible que celui de leurs homologues résidant dans l’urbain dense, mais plus élevé que celui observé dans tous les autres types de territoire.

L’analyse a aussi porté sur d’autres pratiques comme le fait d’aller à la bibliothèque, au cinéma ou à un festival. L’écart de participation entre les habitants des grands centres urbains et les habitants de l’urbain intermédiaire et du rural est toujours présent, dans des proportions plus ou moins fortes, à l’exception de la pratique festivalière qui semble aussi bien partagée par les urbains que les ruraux. La bibliothèque et le cinéma sont pourtant les deux équipements culturels les plus présents sur le territoire. Il est donc difficile de conclure à un simple effet d’offre, même si celle-ci est plus qualitative (amplitude des horaires d’ouverture, surface, fonds et qualification des personnels pour les bibliothèques) ou plus fournie (nombre d’écrans et de fauteuils pour les cinémas) dans l’urbain. Concernant la fréquentation des bibliothèques, par exemple, celle-ci reste déterminée par le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle : dans le rural à habitat dispersé et très dispersé, le taux de fréquentation des diplômés de l’enseignement supérieur est comparable à celui de leurs homologues résidant dans les grands centres urbains, et celui des cadres est même supérieur et le plus élevé pour les cadres, quel que soit leur lieu de résidence.

Graphique : Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité
Sorties culturelles au cours des douze derniers mois selon la grille de densité

Télévision, radio, podcasts : un plus fort engagement des habitants du rural et de l’urbain intermédiaire

Les loisirs médiatiques – comme le fait de regarder la télévision, d’écouter la radio ou des podcasts – sont eux aussi marqués par de forts écarts d’engagement dans la pratique selon le lieu de résidence des personnes. Six personnes sur dix déclarent écouter la radio quotidiennement, avec un taux de pratique supérieur pour les résidents du rural et des ceintures urbaines. Le temps de transport entre le domicile et le lieu de travail peut en partie expliquer ce résultat. On sait en effet qu’un tiers des actifs en emploi résident dans une commune rurale et que seuls 25 % d’entre eux résident et travaillent dans la même commune tandis que près de la moitié de ces actifs travaillent en zone urbaine et se déplacent donc plus que les urbains. De plus, la distance parcourue par les actifs en emploi résidant dans le rural est plus élevée que celle de l’ensemble des travailleurs (13 km contre 8 km) S. Chaumeron et A. Lécroart, « Le trajet médian domicile-travail augmente de moitié en vingt ans pour les habitants du rural », Insee Première, no 1948, mai 2023.. Concernant l’écoute de podcasts, l’écart de pratique observé selon le lieu de résidence est moins significatif que l’effet d’âge : ce sont d’abord les jeunes qui se sont emparés de ce nouveau format, tandis que les plus âgés demeurent attachés à l’écoute de programmes radiophoniques, ce qui vient confirmer la dimension générationnelle dans l’appropriation des supports de diffusion de la musique et, plus généralement, des contenus culturels O. Donnat, Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques, Paris, ministère de la culture, DEPS, coll. « Culture prospective », no 3, 2007. Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Paris, ministère de la Culture, DEPS, coll. « Culture études », no 2, 2020..

Graphique : loisirs médiatiques selon la grille de densité
Loisirs médiatiques selon la grille de densité

Concernant la télévision, « invitée permanente O. Masclet (sous la direction de), L’Invité permanent. La réception de la télévision dans les familles populaires, Paris, Armand Colin, « Individu et Société », 2018. » des ménages, un média « qui s’inscrit et se fond dans les routines quotidiennes du foyer D. Pasquier, « Les publics, entre usages de la télévision et réception des programmes », Réseaux, vol. 229, no 1, 2015. » et occupe une place centrale, elle reste le premier loisir à domicile à la fin des années 2010. Un effet territorial distingue les habitants des grands centres urbains dont le taux de pratique est inférieur à la moyenne de la population générale. Cette moindre pratique concerne toutes les catégories sociodémographiques des habitants des grands centres urbains : âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle. Pour autant, les habitants du rural à habitat dispersé et très dispersé ne sont pas ceux qui regardent le plus la télévision : ce sont les habitants des centres urbains intermédiaires et des petites villes ainsi que des ceintures urbaines qui déclarent les plus forts taux de pratique. L’urbanité versus la ruralité n’est donc pas le principal indicateur discriminant. Le mode de logement, la composition des foyers et la concurrence d’autres loisirs expliquent sans doute cette distribution différente concernant la télévision selon le lieu de résidence.

Loisirs ludiques et ordinaires : des univers de pratiques différents pour les ruraux et les urbains

L’enquête Pratiques culturelles, mise en œuvre pour la première fois au début des années 1970, avait la double ambition de rendre compte de la montée en puissance de la civilisation du loisir conceptualisée par Joffre Dumazedier J. Dumazedier, Vers une civilisation du loisir ?, Paris, Seuil, 1962 ; J. Dumazedier, Révolution culturelle du temps libre : 1968-1988, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988. et de mesurer la progression des pratiques culturelles de la population, un peu plus de dix ans après la création du ministère des Affaires culturelles par André Malraux en 1959. L’enquête démarre ainsi par une série de questions très générales sur le rapport au temps libre : bricolage, jeu, chasse, pêche, pratiques sportives et formes de sociabilités permettent d’en savoir plus sur ces loisirs qui ont en commun d’être des temps soustraits aux temps contraints (travail et tâches domestiques), qu’ils soient culturels, ordinaires ou relevant des « semi-loisirs » Ph. Coulangeon, P.-M. Menger, L. Roharik, « Les loisirs des actifs : un reflet de la stratification sociale », Économie et Statistique, nos 352-353, 2002..

Si l’on s’intéresse à quelques pratiques de loisir dites « d’autoproduction » comme les travaux d’aiguille (tricot, broderie ou couture), le bricolage et la décoration, le jardinage, les habitants du rural sont plus nombreux à déclarer ces loisirs, en particulier le bricolage et le jardinage. On observe cependant un désinvestissement des catégories populaires pour certaines de ces pratiques, historiquement liées à la capacité des ménages populaires à améliorer leurs conditions de vie, tandis que les cadres et les plus diplômés, à l’inverse, sont plus investis dans ces pratiques. Si l’on ne peut exclure un effet de renforcement du manque de ressources (manque de terrain pour cultiver son jardin, d’espace dédié pour bricoler ou coudre par exemple) qui pénaliserait les ménages les plus modestes, force est de constater que « l’omnivorisme En sociologie, le terme « omnivorisme » renvoie historiquement au processus de diversification des répertoires culturels observé chez les populations appartenant aux classes socioéconomiques favorisées. Dans ce contexte, la notion renvoie à la diversité des goûts et des pratiques culturelles de la population, mais aussi au répertoire plus large des loisirs. [NDLR]. », documenté pour les goûts (l’éclectisme), s’étendrait aussi aux loisirs ordinaires et que loin de rejeter des activités peu distinctives, les catégories supérieures les plus diplômées se caractérisent au contraire par un spectre d’activités plus large que celui des catégories populaires, moins nombreuses à déclarer bricoler, jardiner, y compris dans l’espace rural. Dans le cas de la cuisine (« cuisiner de bons petits plats »), les plus diplômés des espaces urbains sont ceux qui déclarent le plus s’adonner à ce loisir. Cuisiner est devenu une pratique distinctive, plus investie par les diplômés et les cadres, en particulier en ville.

Graphique : Loisirs ordinaires selon la grille de densité
Loisirs ordinaires selon la grille de densité

Urbains ou ruraux, une stratification sociale des loisirs qui résiste à la question territoriale

Les habitants de l’urbain dense et ceux du rural à habitat dispersé ou très dispersé se distinguent par les activités de loisir qu’ils pratiquent pendant leur temps libre. Moins engagés dans les pratiques culturelles de sortie, les habitants du rural leur préfèrent des loisirs domestiques ou médiatiques. Si l’éloignement des grands centres urbains, où se concentrent l’offre culturelle et les services, explique en partie cet effet territorial, on observe qu’il concerne moins les cadres et les plus diplômés du rural. On peut faire l’hypothèse que ces populations, par effets de revenus et de capital symbolique, ont les moyens d’une plus grande mobilité, y compris culturelle. La mobilité culturelle, des œuvres et des populations, est ainsi l’un des enjeux majeurs à prendre en compte pour répondre à la question de l’engagement culturel des populations.

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26.02.2024 à 09:47

Non, l’éducation artistique et culturelle n’est pas devenue « un appareil idéologique d’État »

Frédérique Cassegrain

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En contrepoint de l’article de M.-P. Chopin et J. Sinigaglia récemment publié, Anita Weber plaide pour une analyse de l’EAC à l’épreuve des pratiques. Celle-ci aurait-elle perdu sa visée émancipatrice en s’institutionnalisant ? L’hypothèse reste à prouver. Plus encore, l’auteure rappelle les choix politiques controversés et acquis de haute lutte qui ont permis d’affirmer la place de l’EAC dans les enseignements fondamentaux. Un consensus toujours fragile et sans cesse à défendre.

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Texte intégral (1545 mots)
Photo © Jess Bailey, Plateforme Unsplash

Tout consensus suscite, chez les intellectuels et les chercheurs, le désir de le regarder de plus près, et l’on ne peut que s’en réjouir. Il est vrai que, depuis le colloque d’Amiens « Pour une école nouvelle » en 1968 – centré sur l’ouverture de l’institution scolaire – qui proposait l’intervention des artistes à l’école, les textes officiels relatifs à l’éducation artistique et culturelle (EAC) – discours ministériels, textes législatifs, chartes, protocoles d’accord, plans d’action, circulaires, etc. – ont été promulgués sous des gouvernements de droite aussi bien que de gauche, qui ont tous affirmé et réaffirmé le rôle essentiel de l’éducation aux arts, véritable enjeu de société, composante de la formation générale, facteur d’épanouissement des jeunes, élément incontournable de la construction du futur citoyen, etc. Un consensus fascinant et assez unique.

Que se cache-t-il donc derrière cette belle unanimité qui a porté haut et fort l’étendard de l’EAC jusqu’à sa généralisation ? Il est très intéressant de se pencher sur le sujet.

C’est ce qu’ont fait Marie-Pierre Chopin et Jeremy Sinigaglia. Ils s’interrogent particulièrement sur « la visée émancipatrice » de ces politiques, dès lors qu’elles ont donné lieu à une véritable institutionnalisation. Ils se sont appuyés sur l’étude des principaux textes officiels et ont procédé à une analyse des objectifs de l’EAC tels que définis par ces différents documents.

Selon eux, l’EAC n’échappe pas aux effets des processus d’institutionnalisation qui enferment toute action publique dans un « périmètre acceptable par l’État » M.-P. Chopin, J. Sinigaglia, « Civiliser les individus : les paradoxes de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle », L’Observatoire, no60, avril 2023, p.16.. L’idéal émancipateur de l’après-guerre qui s’exprimait dans les mouvements de l’Éducation nouvelle notamment, aurait été oublié, emporté par une vision politique pragmatique et conformiste : finis les grands rêves émancipateurs porteurs de transformation sociale et mettant en cause l’ordre établi, place aux objectifs visant à adapter les élèves à un contexte néolibéral, centré sur l’individu.

Cette lecture a ébranlé la militante de l’EAC que je suis, fortement impliquée dans la production de ces politiques. C’est bien là, me dira-t-on, le rôle de la recherche que de bousculer les certitudes, de remettre en cause les convictions, d’interroger les engagements. 

Certes, mais une question se pose donc aux agents – et ils sont nombreux – qui ont participé à la définition ou à la mise en œuvre de cette politique : qu’avons-nous fait ? Avec la généralisation de l’EAC (le « 100% EAC »), celle-ci serait-elle devenue, comme toute institution, un appareil idéologique d’État – selon la définition d’Althusser L. Althusser, « Idéologie et appareil idéologique d’État », La Pensée, no 151juin 1970. –, contribuant ainsi à diffuser les valeurs de la classe dominante ? Même si les auteurs prennent soin de dire qu’ils ne préjugent en rien « ni [de] l’usage qu’en font les agents éducatifs et culturels (enseignantes, médiatrices, artistes, etc.), ni [des] effets potentiels de ces pratiques sur les élèves » M.-P. Chopin, J. Sinigaglia, op. cit., p.19., ils ouvrent néanmoins la voie au doute. Ces presque cinquante ans d’efforts pour le développement de l’EAC, cette volonté de généralisation portée par de nombreux militants convaincus que l’accès à l’art est émancipateur, ont-ils conduits à conforter l’ordre social ? C’est ce qu’avancent les auteurs, et qui n’est pas sans faire débat. En effet, même si l’analyse des textes montre un glissement dans la formulation des objectifs depuis les premières orientations en matière d’EAC, comment en conclure que les objectifs initiaux ont été dévoyés si ce n’est par une étude des résultats ? Ce n’est pas l’objet de leur recherche, mais il n’en reste pas moins que le propos perd de sa pertinence en l’absence de références aux pratiques elles-mêmes et d’un regard porté sur leurs effets. Comment, sans cette analyse de pratiques, peut-on affirmer que « la généralisation de l’éducation artistique passe par un traitement de plus en plus individualisé des problématiques sociales » Ibid., p.17. sauf à tordre le réel, en soumettant la réalité à un schéma théorique, voire idéologique ?

En second lieu, on peut regretter que les auteurs analysent le contenu de ces textes sans donner quelques éclairages historiques sur les contextes dans lesquels ils ont été élaborés. Je citerais en particulier les débats extrêmement vifs qui opposaient, dès 1971, les tenants d’une vision des apprentissages scolaires centrés uniquement sur les matières fondamentales et ceux qui voyaient dans l’EAC un enrichissement de la formation. Très concrètement, les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale défendaient des positions très éloignées l’une de l’autre et les textes produits ont été le fruit de bagarres et de négociations interminables. Admettre que l’EAC joue un rôle positif dans les parcours d’apprentissage fut très difficile pour de nombreux responsables de l’Éducation nationale et on peut même penser que l’énoncé de certains objectifs, perçus comme une instrumentalisation de l’EAC par les auteurs de l’article cité, n’ait été que le moyen tactique pour que l’Éducation nationale admette la présence de ces nouvelles activités. Ainsi repère-t-on de nombreux arguments selon lesquels l’EAC est un moyen de lutter contre l’échec scolaire, « la porte qui donne accès aux autres savoirs »  Ibid., p.17-18. et permet la réussite scolaire. Rappelons que cette profonde divergence de points de vue demeure d’actualité : des activités très diverses relevant de l’EAC restent encore totalement marginales par rapport aux apprentissages dits « fondamentaux ».

De plus, s’il est assurément intéressant de connaître et étudier les cadrages politiques, comme cela est mentionné – et c’est le mérite de cet article –, il faudrait cependant s’interroger sur leur caractère performatif. Peut-être est-il plus faible qu’on ne le croit… surtout en ce qui concerne cette matière artistique, assez insaisissable et multiforme, qui va du théâtre au cinéma, en passant par les arts plastiques, la musique, la littérature, etc. incarnée par de très nombreux artistes et une extraordinaire variété de projets. Autant de bouillonnements, d’imaginaires, d’émotions, d’inventions et d’aventures individuelles et collectives, peu sensibles aux injonctions ministérielles.

Enfin, sauf à penser que le rôle de l’EAC est de fabriquer des révolutionnaires, ne peut-on se féliciter de cette convergence de points de vue, aussi bien pédagogiques que politiques, qui a permis à cette dimension de l’action publique éducative, in fine, un développement sans précédent ?

Peut-être nous sommes-nous trompés en nous engageant dans cette action qui aurait perdu son sens initial et n’aurait comme effet que de domestiquer les cœurs et les consciences… mais persistons dans l’erreur ! Car les enjeux d’ouverture, d’émancipation demeurent aujourd’hui pour notre jeunesse et notre société, plus importants que jamais, et je m’obstine à croire – qui sait ? – que l’art peut y jouer un rôle déterminant.

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20.02.2024 à 11:46

Le potentiel du végétal dans la fabrique sensible de la ville : l’exemple angevin

Frédérique Cassegrain

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Forte de son histoire botanique, Angers a fait du végétal un objet d’appropriation collective et un sujet permanent d’expérimentation. Comment les artistes prennent-ils part à l’invention d’une ville sensible et habitable, à la croisée des aspirations citoyennes et des dynamiques territoriales ? Dominique Sagot-Duvauroux et Isabelle Leroux se penchent sur l’émergence d’une scène végétale urbaine où s’hybrident valeur patrimoniale de la nature, santé et engagement militant.

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Texte intégral (2345 mots)
Jardin avec meubles envahis par la végétation
Jardin bio de la maison de l’environnement à Angers. Photo © Dominique Sagot-Duvauroux

À travers ses fonctions esthétiques, utilitaires ou écologiques, le végétal est aujourd’hui mobilisé pour rendre plus acceptable la vie en milieu urbain M. Wintz,« La nature en ville : une réconciliation en trompe l’œil », Revue du MAUSS, no 54, 2019, p. 95-107.. Les collectivités territoriales l’intègrent à leurs politiques d’aménagement urbain dans l’esprit d’une reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ces politiques sont rendues visibles au grand public par le recours à des labels et à des classements, par exemple les villes vertes. L’Observatoire des villes vertes http://www.observatoirevillesvertes.fr/, créé en 2014, évoque l’idée de la « ville sensible », nouveau paradigme urbain visant à générer « un foisonnement d’initiatives végétales dans l’urbain ». Le végétal apparaît comme un « objet intersécant » dans la fabrique de la ville de demain, susceptible d’offrir un avenir au modèle de la ville créative, tout en soulevant de nombreux débats sur le rapport entre l’homme et la nature dans les sociétés occidentales Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.. La ville d’Angers, marquée par une histoire, une activité productive et des aménités paysagères nombreuses, propose un terrain d’observation pertinent de l’émergence d’une scène végétale urbaine inscrite dans la perspective de la ville sensible Ch. Ambrosino, D. Sagot-Duvauroux, « Scènes urbaines : vitalité culturelle et encastrement territorial de la création artistique », dans B. Pecqueur, M. Talandier, Renouveler la géographie économique, Paris, Éditions Economica, 2018..

Les origines du végétal en Anjou remontent au XVe siècle sous l’impulsion du roi René Ier le Bon, duc d’Anjou, amateur d’espèces végétales notamment méditerranéennes I. Leroux, P. Muller, B. Plottu, C. Widehem, « Innovation ouverte et évolution des business models dans les pôles de compétitivité : le rôle des intermédiaires dans la création variétale végétale », Revue d’économie industrielle, no 146, 2014, p. 115-151.. Dès cette époque se constitue une pratique savante autour de botanistes que le roi René fait venir de Paris. La ville d’Angers, située en bord de Loire, devient très vite une place d’échanges commerciaux et de transports des végétaux. Le XVIIe siècle est marqué par l’émergence d’une communauté de pratique botanique médiatisée par les jardins botaniques et par les concours horticoles qui participent à la renommée de la ville et à l’attractivité de son offre végétale. Aux XVIIIe et XIXe, un écosystème d’innovation se met en place croisant les communautés de la production et de l’échange horticoles avec celles des sociétés savantes et des érudits propriétaires de jardins. À cette époque, le végétal est source de récits et d’imaginaire collectif porté par des horticulteurs de renom à la croisée des arts et de la science, tel André Leroy, célèbre pépiniériste qui deviendra maire adjoint d’Angers P. Détriché, « Les manifestations horticoles », dans M. Portron, L’Horticulture angevine des origines à l’an 2000, Angers, Société d’horticulture d’Angers, 2000, p. 78-103.. Plusieurs jardins voient le jour, par exemple le jardin des plantes au XVIIIe siècle ou bien encore l’arboretum créé par le botaniste angevin Gaston Allard à la fin du XIXe siècle. Les jardins maillent la géographie de la ville par un effet d’extension paysagère L. Germain, « Les jardins et les parcs publics d’Angers », Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, no 239-240, 1941, p. 365-386.. Les pépinières se créent ou se déplacent à la périphérie de la ville. L’enseignement horticole se propage. On peut parler ici des prémices d’une scène végétale urbaine, fondées sur une communauté de pratique prolifique alliant botanique, horticulture, arts et jardin.

Une logique d’écosystème d’innovation éloignée de la fabrique sensible de la ville

Les liens entre la filière botanique, l’esthétique, l’art et les sciences se délitent dans le courant du XXe siècle. Les jardins botaniques et d’ornement restent toujours au cœur de la politique urbaine mais déconnectés de la filière économique horticole qui tendra vers une logique de production, de recherche scientifique et d’innovation industrielle avec des effets d’agglomération soutenus : l’installation à Angers de l’Institut national de la recherche agronomique (devenu INRAE), d’écoles d’ingénieurs comme l’Institut national d’horticulture (aujourd’hui Institut Agro Rennes-Angers), la création d’une université publique aux côtés d’une université catholique historiquement implantée, la création du département de physiologie végétale, de lycées ou encore de divers instituts. L’activité scientifique angevine attire par la suite des grands groupes (Limagrain, Pioneer…). Cette dynamique aboutit à la labellisation en 2005 de l’Anjou en pôle de compétitivité Vegepolys qui permet à l’écosystème de se structurer autour d’acteurs d’envergure supralocale comme Plante & Cité, ou bien l’Office communautaire des variétés végétales. À ces acteurs s’ajoutent le parc Terra Botanica, ouvert en 2010 (premier parc à thème d’Europe consacré au végétal) et l’arboretum Gaston-Allard (350 000 échantillons dans un herbier retraçant les évolutions de la flore française) Angers & le végétal. Au milieu des années 2010, Vegepolys, Terre des Sciences et Terra Botanica engagent une réflexion sur le lien entre tourisme, patrimoine et innovation végétale, et la valorisation des plantes angevines (par exemple l’hortensia d’Angers Val de Loire)  À ce sujet, consulter le site de Terre des Sciences.. L’écosystème d’innovation se complexifie donc, s’ouvre à la ville mais reste toutefois dans une logique d’offre intégrant difficilement la complexité du rapport sensible des habitants au végétal et les expérimentations citoyennes.

La fabrique sensible de la ville : vers une scène végétale urbaine

La période actuelle est marquée par une transition vers une conception participative du végétal dans la ville, se rapprochant progressivement d’une logique de fabrique urbaine et d’une expérience végétale collective (filtres perceptifs, culturels, apprentissages collectifs et rencontres). Les associations et conseils citoyens de quartiers sont associés aux grands projets d’urbanisme. Le budget participatif d’Angers, mis en place en 2018, concrétise des projets d’habitants dont nombre d’entre eux sont liés au végétal. La communauté urbaine est lauréate de l’appel à projet national de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), « Les quartiers fertiles ». L’opération « Cultivons notre terre » encourage les habitants à s’impliquer dans des initiatives d’agriculture urbaine. Les travaux menés par Plante & Cité présentent des méthodes de gestion écologique en ville, des actions associant santé et nature. L’élargissement de l’écosystème ouvre la voie à de nouvelles perspectives. Les hybridations transversales, par exemple le lien entre végétal et traitement du cancer à la Cité des soins de la clinique de l’Anjou, témoignent du croisement de compétences et de ressources spécifiques locales pour de nouveaux usages. Le pôle Vegepolys, devenu Vegepolys Valley en 2019, déploie un nouvel axe « végétal urbain » dans sa stratégie d’innovation, ce qui conduit implicitement à son réancrage territorial.

Parallèlement, la ville élabore une stratégie de marketing territorial construite autour du concept de « super nature » animé par une communauté en ligne regroupant les acteurs, mais aussi des amateurs et des collectifs citoyens. L’opération « Angers Supernature » fédère également une pluralité d’événements culturels autour de la mise en valeur du patrimoine végétal. L’Agence d’urbanisme de la région angevine met par ailleurs à disposition sur son site un guide de déambulation invitant les marcheurs, adultes ou enfants, à la perception multisensorielle de leur environnement urbain https://www.aurangevine.org/.

Ces évolutions rendent visibles plusieurs micro-scènes végétales animées par des acteurs dits keystone [« clé de voûte » en anglais], faisant lien entre individus, organisations, disciplines, objets, etcL’expérience du Jard’In Zur animé par le groupe d’artistes Zur (pour « zone urbaine réversible») illustre parfaitement ce que le végétal peut provoquer sur un territoire, à la fois en offrant aux étudiants, chercheurs, associations, entreprises diverses un laboratoire d’expérimentation in situ, en donnant à voir aux habitants la diversité de la nature en ville et en les dotant des capacités de se l’approprier pour transformer leur environnement dans un processus qui reste cependant non « standardisable », condition d’une vraie « résonance » selon Rosa H. Rosa, Résonance, Paris, La Découverte, 2018. Selon Rosa, pour entrer en résonance avec le monde (un paysage, un individu, une œuvre, etc.), il faut d’abord être touché, affecté ; il faut ensuite qu’il y ait une réaction. Cette réaction doit provoquer une transformation. Enfin, cette résonance demeure aléatoire et n’est pas instrumentalisable (à ce sujet, voir l’article Fin de cycle pour la ville créative ? dans ce dossier)..

Cette logique de fabrique urbaine autour de micro-scènes commence à s’étendre à l’échelle de la ville. Toutefois le récit rassembleur construit par la municipalité se heurte à des controverses ou conflits de visions, faisant de la ville un espace de confrontation potentiel entre les valeurs des différents mondes marchand, industriel, symbolique ou domestique qui s’intéressent au végétal. Toute la subtilité du rapport à celui-ci dans l’urbain est de parvenir à dépasser ces clivages et à favoriser les nécessaires apprentissages collectifs, base d’une vision partagée de la nature en ville.

Mais peut-être qu’une scène végétale urbaine doit rechercher sa visibilité et son récit dans sa capacité à faire de la nature un sujet permanent d’expérimentation et d’échanges entre l’ensemble des parties prenantes, de façon à faire naître cette ville sensible et habitable que le modèle de la ville créative a pu oublier. Finalement, le récit ne devrait-il pas porter davantage sur la diversité des rapports à la nature offerte par ces micro-scènes et les débats qu’elle génère plutôt que d’essayer de les faire rentrer dans un discours unificateur improbable. C’est sans doute l’enjeu de la ville sensible fondée sur une scène urbaine que l’on pourrait qualifier de « discrète ».

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15.02.2024 à 11:29

Low is the new tech ? Prototypes de numérique culturel responsable

Frédérique Cassegrain

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La deuxième édition de l’Augures Lab Numérique responsable a mobilisé dix-huit institutions culturelles et collectivités pendant huit mois. Cette recherche-action, menée sur trois ans, interroge la soutenabilité du numérique au sein du secteur culturel. Un enjeu de taille, à l’heure des transitions sociétales et environnementales, bien que son immatérialité présumée le rende parfois impalpable. Résolument déterminé à ancrer le sujet dans le réel, le Lab a permis de faire émerger trois nouveaux prototypes, restitués en décembre dernier.

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Texte intégral (3331 mots)
lllustration © 2023, Roman Guillanton, licensed under CC BY-NC-SA 4.0. Extrait de Dix (dossiers) de perdus, un de retrouvé, Les Péripéties de l’Archivage et de la Conservation.

En invitant à pousser les portes du ministère de la Culture, le message envoyé semble clair : le numérique responsable intéresse en haut lieu. Il faut cependant chercher son chemin et arpenter quelques couloirs pour trouver la salle excentrée où se déroule la restitution de l’Augures Lab numérique responsable. Un contraste révélateur de l’ambivalence du sujet ? Ici de grandes institutions culturelles* sont rassemblées pour élaborer de nouvelles pratiques autour de ce qui est encore perçu comme un sujet secondaire. La tendance est donc plutôt à l’expansion des expériences et solutions numériques, qu’il s’agisse de programmation, de médiation, de communication ou – plus confidentiel – de conservation. Pourtant, l’impact du numérique est non négligeable d’un point de vue écologique et social. C’est par la présentation de ces enjeux que Romane Clément du studio de design numérique responsable Ctrl S – chargée de la coordination conjointe de ce Lab avec Les Augures – démarre la restitution : « Le numérique représente aujourd’hui 4 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, avec une projection évaluée à +187 % d’ici à 2050 Études conduites par l’Ademe/Arcep, Évaluation de l’empreinte environnementale du numérique en France en 2020, 2030 et 2050, mars 2023. – il s’agit du secteur avec la plus forte progression. » Contrebalançant l’image d’un numérique immatériel, elle évoque les tonnes de matériaux lourds, les fermes de serveurs, les travailleurs du clic, les produits contaminés, les câbles sous les mers ou encore les satellites, replaçant le sujet dans le monde bien réel. Romane Clément invite également à penser le numérique dans son cycle de vie –extraction/raffinage/distribution/recyclage 83 % des matériaux sont aujourd’hui non recyclés. – pour en comprendre le véritable impact, qu’il ne s’agirait pas de réduire aux émissions de CO2. L’enjeu se place également à l’endroit des conditions de travail, de la préservation de la biodiversité, de la consommation d’eau… « Une fois que l’on comprend mieux les empreintes du monde numérique, les promesses de technologies comme les médiations tout-numérique, la réalité virtuelle ou augmentée, les NFT, les métavers et tant d’autres, apparaissent moins évidentes » conclut-elle, dans une invitation à « être conscients et pragmatiques quant à leurs coûts ».

Et la culture dans tout ça ?

C’est évidemment la question suivante : quelle est la part du numérique dans la culture, et la part de culture dans le poids du numérique ? Le numérique est le 4e poste d’empreinte carbone du secteur culturel et « 60 % de la bande passante du web est du contenu
culturel D’après le rapport L’Insoutenable usage de la vidéo en ligne, The Shift Project, 2019. » expose Camille Pène, cofondatrice des Augures. Néanmoins, elle place la problématique à un autre endroit : « la culture est prescriptrice en matière d’usages, d’imaginaires ». Elle évoque ici la dépendance aux GAFAM qui soulève des enjeux éthiques, les inégalités d’accès à la culture parfois renforcées par le numérique en dépit de sa promesse de démocratisation culturelle, ou encore ses effets sur l’attention cognitive. Par ailleurs, souligne-t-elle, « si la consommation de vidéos est exponentielle, ce n’est pas tant la consommation des données qui a le plus de poids, mais l’effet d’entraînement entre les usages et les infrastructures, nourrissant l’obsolescence technique et marketing »Comprendre : amenant la surproduction et la surconsommation d’équipements numériques.

Et le « numérique culturel » ne cesse de s’étendre : infrastructures matérielles, éléments de scénographie, plateformes et contenus web, expériences immersives… « Son histoire est rythmée par des décisions politiques, des appels à projets qui conduisent à un empilement d’innovations, venant répondre à des promesses tentantes – diversifier les publics, développer de nouveaux revenus, décarboner le secteur en réduisant les déplacements – perpétuellement non advenues » énonce Camille Pène. L’Augures Lab pose très clairement son intention : un changement de paradigme. Sa cofondatrice poursuit : « Il nous faut sortir du techno-solutionnisme et promouvoir des imaginaires low-tech, c’est-à-dire des innovations qui s’inscrivent dans les limites planétaires », appelant à « mener une reconstruction positive autour du numérique responsable en coproduction entre les acteurs de la culture, les artistes, les fournisseurs numériques et les publics. »

Photo : Atelier d’idéation – Augures Lab numérique responsable 2023 © Les Augures

Une recherche-action qui percute les institutions…

Soutenu par le ministère de la Culture pour une durée de trois ans, le programme en appelle également au volontarisme des structures participantes qui assument une partie du financement, à hauteur de 4 500 euros par an. « Tout ce qui est issu de cette recherche-action est en creative common » explique Camille Pène qui souhaite que les connaissances développées dans le cadre de ce processus puissent aussi bénéficier aux plus petites structures. C’est également l’objectif recherché par le ministère qui mise sur une mutation en profondeur des établissements culturels investis dans l’intégralité de cette démarche : de la sensibilisation à la réalisation de prototypes, en passant par des phases de problématisation et d’idéation.

Pour cette 2e édition, trois thématiques, définies avec les participants, sont approfondies. Comment amortir l’impact écologique des productions numériques ? Comment instaurer une sensibilisation et un dialogue pour mettre en œuvre une politique de conservation et d’archivage numérique soutenable ? Quelles solutions pour concilier enjeu de visibilité et éco-responsabilité dans sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux ?

Responsable de la communication digitale au Palais de Tokyo, Lucile Crosetti témoigne son intérêt pour cette expérience à laquelle elle participe depuis deux ans et qui « crée un lien entre institutions sur une problématique reliant la responsabilité et la sobriété sans être moraliste ». Ce sentiment d’être dans le même bateau est prégnant dans l’assemblée. Agnès Abastado, cheffe du service numérique des musées d’Orsay et de l’Orangerie, complète : « Le programme mise sur l’intelligence collective, nous permettant d’échanger sur les enjeux de chacun – qui sont pour beaucoup partagés – et d’aborder les problématiques de différentes manières. » Plébiscitée, la méthodologie mise en effet sur la construction commune de solutions et d’actions concrètes, dépassant le stade du simple échange. Une relation au long cours permettant, d’après les témoignages, de faire tomber les masques et d’évoluer dans « un climat de confiance qui aide à ce que la parole se libère » ajoute Agnès Abastado.

Peut-on continuer à vouloir concilier une perspective d’élargissement des publics par l’accroissement des contenus tout en demandant de réduire l’impact écologique des activités numériques ? 

… sans toutefois lever les freins politiques

Malgré les incantations à une plus grande sobriété, cette perspective peut-elle trouver à s’incarner dans le modèle politique actuel ? « L’injonction est plus forte côté croissance aujourd’hui, à travers une démarche assez classique visant à toucher plus de publics »témoigne Étienne Jolivet, responsable des contenus numériques au Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Entre les externalités positives d’un message et les gaz à effet de serre produits par sa création et diffusion, quelle est la somme ? Quid de renoncer ou limiter ses réseaux sociaux sachant que c’est aujourd’hui la première source d’information
des jeunes Le rapport 2022/23 de l’Ofcom sur la consommation d’informations au Royaume-Uni révèle que les adolescents plus âgés et les jeunes adultes âgés de 16 à 24 ans sont beaucoup plus susceptibles de consommer des informations en ligne que les adultes en général (83 % contre 68 %). Et généralement, cela se fait via les réseaux sociaux sur leur téléphone mobile (63 % contre 39 %). Les personnes de ce groupe d’âge sont également beaucoup moins susceptibles que l’adulte moyen d’accéder à du contenu d’information provenant de sources médiatiques traditionnelles, telles que la télévision (47 % contre 70 %), la radio (25 % contre 40 %) et les journaux imprimés (16 % contre 26 %). ? Donc, que faire ? Faut-il préférer des voies médianes aux choix radicaux, ou au contraire détourner les outils pour sensibiliser aux sujets environnementaux ? Des questions soulevées lors de ce Lab, que restitue Étienne Jolivet, par ailleurs membre du groupe de travail dédié aux réseaux sociaux. S’il admet ne pas avoir fait de « pas de géant », ce n’est pas ce qu’il attendait d’un tel « sujet épineux » qu’Agnès Abastado qualifie même de « problème politique ». Selon elle, « la vertu de la démarche est surtout de bousculer l’existant ». Peut-on continuer à vouloir concilier une perspective d’élargissement des publics par l’accroissement des contenus tout en demandant de réduire l’impact écologique des activités numériques ? Une double injonction à laquelle n’échappent ni les institutions ni le ministère de la Culture, le principal critère d’évaluation des politiques culturelles centrées sur la démocratisation restant l’augmentation des publics aussi bien physiques que numériques. « Si nous voulons réussir notre transition, il faut changer les indicateurs à partir desquels nous sommes évalués, et cela vient de tout en haut » ajoute-t-elle.

Pour y parvenir, les coordinatrices du Lab évoquent des « croyances à déconstruire » : l’innovation technologique et le numérique permettraient de diversifier les publics, de capter les plus jeunes d’entre eux, de réduire l’empreinte carbone des établissements par la réduction des déplacements de visiteurs (encore faut-il qu’ils y consentent)… Autant « d’idées reçues » qu’aucune étude ne permet de confirmer à ce jour. « C’est très difficile pour des directions de renoncer à ce qu’ils estiment être un enjeu de compétitivité » ajoute Camille Pène.

Véritable levier pour amorcer un processus de transformation qui dépasse largement la question du numérique et touche aux fondements des projets culturels, de nombreux participants évoquent leur « chance » d’avoir des directions investies sur le sujet. Des freins existent toutefois pour plusieurs institutions dépendant de collectivités et n’ayant pas toutes les latitudes pour opérer certains choix.

Mises en réseau grâce à ce Lab, les grosses institutions seront-elles les premières à amorcer le mouvement ? Pas nécessairement. Comme l’explique Romane Clément de Ctrl S, les petites organisations développent souvent des projets numériques moins ambitieux : « Ce qu’elles pensent être un retard est en fait de l’avance, comparé à de grosses institutions qui vont devoir détricoter. » Camille Pène des Augures complète : « C’est très compliqué de revenir en arrière lorsqu’on a une stratégie numérique orientée sur l’innovation – comme le musée d’Orsay, le Mucem, Universcience – et des habitudes en termes d’abondance d’énergie. Paradoxalement, les structures qui n’ont pas eu les moyens jusqu’ici d’investir dans le numérique vont pouvoir développer aujourd’hui des stratégies numériques de façon sobre. »

lllustration © 2023, Roman Guillanton, licensed under CC BY-NC-SA 4.0. Extrait de Mémoire (pas si) vive, Les Péripéties de l’Archivage et de la Conservation.

Trois nouveaux prototypes

Pour répondre aux problématiques définies pour cette 2e édition, trois prototypes ont été réalisés par et avec les participants :

  • un guide pratique de coopération dans les achats numériques culturels afin d’éviter les principaux impacts environnementaux et anticiper le réemploi. Constitué de trois parties, il apporte des conseils pratiques pour organiser la coopération en interne et avec le fournisseur, puis pour rédiger l’appel d’offres. Car « les marchés publics sont des opportunités pour affirmer nos conditions » invite Guillaume Rouan des Champs Libres ;
  • quatre histoires illustrées sous forme de BD pour exposer les « péripéties de l’archivage et de la conservation numérique » et comment les éviter : une manière de rendre ludique ce sujet de niche, et de créer des conversations autour d’enjeux tels que le sur-archivage ou encore la fragilité des centres de données ;
  • un Club des cobayes composé de cinq institutions prêtes à expérimenter une éthique de la communication social media (le Centquatre-Paris, le Muséum national d’histoire naturelle, le Palais de Tokyo, l’Opéra national de Lyon et Les Champs Libres). Elles expérimenteront pendant six mois des actions – telles qu’utiliser la fonction de Meta Business peu connue permettant de programmer une suppression automatique des posts, réduire systématiquement le poids des vidéos ou encore mettre en place deux semaines sans publications. Le Club restituera, à l’issue de la période, ses recommandations par le biais de fiches pratiques.

Ces trois nouveaux prototypes s’ajoutent aux quatre autres livrés en 2022. Ils sont accessibles en open source sur la plateforme dédiée à cet effet, ainsi que les apprentissages obtenus lors des enquêtes de terrain.

Certes, les solutions peuvent paraître relativement pragmatiques au regard d’une démarche générale qui invite à un changement de paradigme. On peut aussi y voir une façon détournée de questionner les institutions et de les inviter à repenser leur conception même d’un projet culturel « réussi ». Cette conduite du changement permettra-t-elle de sensibiliser les décideurs et les équipes aux problématiques environnementales, dans une approche constructiviste « L’enseignement constructiviste est fondé sur la croyance que toute personne apprend mieux lorsqu’elle s’approprie la connaissance par l’exploration et l’apprentissage actif, les mises en pratique remplaçant les manuels » (définition du constructivisme, par Jennifer Kerzil, dans
J.-P. Boutinet, L’ABC de la VAE, Toulouse, Erès, 2009, p. 112 à 113). Source : https://www.cairn.info/l-abc-de-la-vae–9782749211091-page-112.htm)
 ? « L’enjeu est celui de la transformation des mentalités, ce type d’outil permet de dialoguer avec nos équipes pour les inscrire, petit à petit, dans de nouvelles pratiques » illustre Agnès Abastado.

Les cofondatrices du Lab numérique responsable, lancé en 2022, constatent de premiers effets : « Une analyse du cycle de vie menée par Les Champs Libres, un groupe de travail interne sur la sobriété numérique au Muséum national d’histoire naturelle, le ministère se nourrit également de ce qui se fait dans le Lab » expose Camille Pène. « Au-delà de planter la graine, nous l’arrosons pendant huit mois et nous sentons qu’il y a un changement dans la façon de voir les choses »ajoute Romane Clément qui mise sur le « biais de cohérence » : un concept développé par Robert Cialdini selon lequel « accepter de faire même la plus petite des actions permet ensuite d’en faire de plus grandes, par souci de cohérence ».

* Les participants à cette deuxième promotion de l’Augures Lab numérique responsable : Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie-Valéry Giscard d’Estaing ; Les Champs Libres ; Art Explora ; Centre des monuments nationaux ; Palais de Tokyo ; Universcience ; Mucem ; Bibliothèque nationale de France ; musée des Arts décoratifs de Bordeaux ; Palais des Beaux-Arts de Lille ; Paris Musées ; musée des Arts et Métiers ; Centquatre-Paris ; Opéra national de Lyon ; musée Picasso ; Métropole de Rennes ; Bordeaux Métropole ; Archives nationales.

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