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19.04.2024 à 01:43

« Tout reprendre en 2027 » avec Aude Lancelin, Didier Maïsto et Harold Bernat

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Trois complices, Aude Lancelin, fondatrice de QG, Didier Maïsto, journaliste indépendant, et Harold Bernat, professeur de philosophie à Bordeaux, recevront deux fois par mois en ligne jusqu’en 2027 de nombreux invités: politiques, candidats prétendants à la présidentielle, intellectuels, citoyens privés d’offre politique, insiders maîtrisant leurs dossiers. Un seul objectif: créer une force collective pour changer … Continued
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Trois complices, Aude Lancelin, fondatrice de QG, Didier Maïsto, journaliste indépendant, et Harold Bernat, professeur de philosophie à Bordeaux, recevront deux fois par mois en ligne jusqu’en 2027 de nombreux invités: politiques, candidats prétendants à la présidentielle, intellectuels, citoyens privés d’offre politique, insiders maîtrisant leurs dossiers. Un seul objectif: créer une force collective pour changer la donne politique dès que possible. Vos réactions apparaîtront à l’écran en direct tout au long de ces soirées passionnées. On vous explique tout dans cette première édition de Quartier Populaire, à ne pas manquer sur QG !

17.04.2024 à 11:01

« Tant qu’il n’y aura pas de sanctions, ni de cessation de livraison d’armes à Israël, les responsables israéliens continueront »

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En dépit du vote d’une résolution de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » dans la bande de Gaza le 25 mars dernier, grâce à l’abstention des États-Unis, Israël continue de bombarder et de massacrer la population civile palestinienne quasiment sans répit depuis fin 2023. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, y voit le signe d’un … Continued
Texte intégral (3581 mots)

En dépit du vote d’une résolution de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » dans la bande de Gaza le 25 mars dernier, grâce à l’abstention des États-Unis, Israël continue de bombarder et de massacrer la population civile palestinienne quasiment sans répit depuis fin 2023. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, y voit le signe d’un profond sentiment d’impunité chez les dirigeants israéliens. Interviewé par QG, ce dernier souligne l’hypocrisie, voire la duplicité des pays occidentaux qui continuent de livrer des armes à Israël tout en se positionnant favorablement à l’idée d’un cessez-le-feu. Un comportement qui pourrait bien un jour coûter très cher aux pays de l’OTAN, le conflit israélo-palestinien accentuant la désoccidentalisation du monde, notamment à travers la plainte déposée par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice en janvier dernier. Interview par Jonathan Baudoin

Didier Billion est directeur adjoint de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et auteur de « Désoccidentalisation – Repenser l’ordre du monde » (éditions Agone, 2023)

QG : Pourquoi le vote de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un « cessez-le-feu immédiat » n’a pas marqué de tournant dans la bande de Gaza ?

Didier Billion : Il y a deux éléments de réponse à apporter. Le premier, c’est qu’on est, tout de même, à l’orée d’une nouvelle étape puisqu’on se souvient que, depuis le 7 octobre, à trois reprises, les États-Unis avaient posé leur veto à des résolutions portées au Conseil de sécurité, visant à obtenir un cessez-le-feu. Cette fois-ci, ils se sont abstenus et on sait très bien que dans le fonctionnement du Conseil de Sécurité, une abstention permet de passer ladite résolution. De ce point de vue, il y a une véritable évolution de la part des États-Unis.

Rappelons toutefois que cette résolution n’est pas contraignante à l’encontre de l’État d’Israël. La meilleure preuve, c’est que depuis l’adoption de cette résolution, les dirigeants israéliens continuent de bombarder de façon aussi intensive et sauvage que lors de ces derniers mois. Et surtout, en matière d’aide, notamment militaire, de la part des États-Unis à l’État d’Israël, rien n’a changé. Il y a une forme de duplicité de la part des États-Unis. Ils ont bougé dans la mesure où ils se sont abstenus de leur veto. Tant mieux ! C’est un point d’appui. Mais dans le même mouvement, il y a eu 100 envois aériens de livraisons d’armes à Israël depuis le 7 octobre. C’est quelque chose d’énorme. Il faudra suivre cela, mais ce serait une aide militaire de plusieurs milliards de dollars. Tant qu’il n’y aura pas de sanctions, ni de cessation de livraison d’armes à Israël, les responsables israéliens continueront.

Que faudrait-il pour contraindre l’État d’Israël à stopper l’opération militaire en cours ?

Je pense qu’il n’y a pas 36 solutions. Il y a la nécessité, pour ma part le souhait, que dans les plus brefs délais, les accords d’association avec Israël, concernant les États-Unis, mais aussi l’Union Européenne, dont la France, doivent être suspendus, voire dénoncés, car on sait fort bien, vu la composition du gouvernement israélien, que seul le rapport de force peut peser sur la situation. La seule manière de faire plier Israël est de lui imposer des sanctions économiques. Les dirigeants israéliens ne comprennent que la force, qu’ils utilisent brutalement contre les Palestiniens. Le propos, c’est d’être aussi rudes et brutaux qu’eux, sans opération militaire bien entendu. Je parle de sanctions économiques, politiques. Ce sont des décisions qui peuvent se prendre concrètement. Les bonnes résolutions, les déclarations, sont nécessaires. Mais totalement insuffisantes.

Lundi 25 mars 2024, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution réclamant un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, grâce à l’abstention des États-Unis, ici représentés par l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield

J’observe le secrétaire général de l’ONU qui mène un combat de principes depuis des semaines. Il a raison sur ce qu’il déclare. Il a dénoncé la politique israélienne à maintes reprises. Mais comme il n’a pas les moyens d’imposer des sanctions envers qui que ce soit, les dirigeants israéliens continuent leur œuvre de mort méthodique comme si de rien n’était. C’est une leçon de ces six derniers mois, mais on peut remonter beaucoup plus loin dans le temps du fait que les dirigeants israéliens jouissent d’un total sentiment d’impunité. À un moment donné, il faut dire stop ! On dénonce tel accord d’association. On arrête les livraisons d’armes. On arrête les livraisons économiques. Et là, peut-être que leur position évoluerait. Il y a urgence car pendant ce temps-là, il y a des gens qui meurent de faim dans des conditions d’inhumanité barbare.

Depuis le lancement des représailles après l’attaque du Hamas du 7 octobre, le gouvernement israélien – et ses soutiens en Occident – accusent l’ONU ou d’autres instances internationales d’antisémitisme. N’est-ce pas plutôt sa politique à l’égard des Palestiniens qui fait désormais monter l’antisémitisme dans le monde?

Oui. À nouveau, il y a deux niveaux de réponse. Tout d’abord, les Israéliens sont passés maîtres, depuis longtemps, dans l’art d’accuser d’antisémitisme toute personne, toute institution ou tout gouvernement qui ose porter une critique à l’égard de leur politique. C’est une ritournelle classique qui, depuis le 7 octobre, prend une ampleur considérable.

Mais ce qui est terrible, dans cette histoire, c’est qu’à travers le monde, cette politique de la terre brûlée, dont la Cour internationale de justice a évoqué des intentions génocidaires, peut nourrir, et c’est regrettable, des critiques, des actions, des manifestations dont certaines peuvent en effet avoir un caractère antisémite. Honnêtement, je crois que c’est là un aspect infiniment minoritaire. Qu’il y ait des antisémites, je le regrette et le condamne. Mais pour l’instant, dans le mouvement de solidarité internationale à l’égard des Palestiniens, l’immense majorité des positions, qu’elles soient individuelles, d’intellectuels, de responsables politiques, de gouvernements, ne peuvent pas être qualifiées d’antisémites. Elles sont critiques à l’égard de la politique d’Israël. Mais à travers le monde, le mouvement de solidarité est réel, tant dans les pays dits du Sud que dans les pays occidentaux. Les fondements politiques de ce mouvement de solidarité au peuple palestinien sont la dénonciation de la barbarie, de la colonisation, de la volonté d’annexion. Ce sont des engagements et des objectifs politiques. Cela n’a rien d’antisémite. Il faut déconstruire ces pseudo-accusations israéliennes.

Manifestation en soutien au peuple Palestinien à Paris, samedi 30 mars 2024. Photo : Serge D’Ignazio

Que vous inspire la démarche entamée par la Cour internationale de justice le 26 janvier dernier pour prévenir un « risque de génocide » ?

Je pense que la Cour internationale de justice avait raison, et que tout converge à terme dans le sens d’une qualification de génocide. C’est ce que je pense. Ceci étant dit, l’accusation est très grave et elle doit être fondée juridiquement. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là. La Cour internationale de justice, fin janvier, a évoqué le risque génocidaire. Elle n’a pas qualifié la politique israélienne de génocide. Et nous savons, malheureusement, que pour instruire ce dossier, cela va prendre des mois, voire des années. Or, il y a une urgence absolue. De mon point de vue, il y a tous les éléments d’une politique génocidaire, mais pour le moment cela reste une qualification politique. Pour la qualification juridique, il faudra que le dossier soit instruit. Et tant que nous sommes encore dans la phase actuelle du conflit, l’instruction n’ira pas à son terme. On peut regretter que la justice internationale n’ait pas un rythme correspondant à celui des nécessités humanitaires que nous avons sous les yeux. C’est le propre des actes de justice de ne pas correspondre au temps politique.

Si d’aventure l’État d’Israël est jugé comme un État génocidaire, est-ce que des pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la France ou l’Allemagne pourraient être visés par des plaintes d’autres pays pour complicité de génocide devant la CIJ ?

D’un point de vue strictement juridique, oui. Mais nous savons que le droit international est dépendant des rapports de force politiques. Dans l’hypothèse où des actes génocidaires seraient établis par la Cour internationale de justice, alors oui, des États comme ceux que vous avez cités pourraient être accusés de complicité de génocide. C’est tout à fait envisageable. Mais cela dépendra des rapports de force car quel État, quelle entité pourrait vouloir accuser les États-Unis, la France ou d’autres États et quelle serait la poursuite juridique ? Cela n’est pas écrit d’avance.

En tout cas, au niveau politique, on peut considérer qu’il y a une forme de complicité de la part d’États comme les États-Unis, la France, et de nombreux autres, face à ce qui se passe actuellement parce que si j’évoquais tout à l’heure une duplicité des États-Unis s’abstenant au Conseil de sécurité tout en livrant des armes à Israël, la France ne vaut guère mieux sur le principe. Je sais que la France livre beaucoup moins d’armes que les États-Unis à Israël, mais elle pourrait se battre, au sein de l’Union européenne, pour la dénonciation ou la suspension des accords d’association avec Israël. Elle ne le fait pas. On regarde pudiquement ailleurs pour éviter de prendre les responsabilités.

Gaza détruite par les bombes israéliennes, le 8 octobre 2023. Photo : Wafa

Il a fallu près de six mois pour qu’il y ait une résolution onusienne pour un cessez-le-feu. N’est-ce pas un aveu d’impuissance de la part de l’instance internationale ?

Là aussi, il y a deux niveaux de réponse. Une des leçons qu’on peut d’ores et déjà tirer, c’est l’inadéquation des organisations internationales pour peser sur la résolution des conflits. Celui de Gaza est singulièrement terrifiant. Il y en a beaucoup d’autres à l’égard desquels ladite « communauté internationale » a fait preuve de son inefficacité. Cela nous pose un sacré défi collectif. J’entends, dans certains débats, que l’ONU ne sert à rien. Je ne suis pas d’accord. L’ONU, j’en vois toutes les limites, notamment sur la question palestinienne, parce qu’on parle, à raison, de l’actualité chaude. Mais rappelons-nous toujours de la résolution 242 de l’ONU, de novembre 1967, qui n’est toujours pas appliquée. Ce n’est pas tout à fait nouveau et on peut constater qu’à propos de la Syrie par exemple, que ladite « communauté internationale » a fait preuve de son impuissance.

En tant que chercheur, journaliste, citoyen, nous avons notre mot à dire sur la nécessaire refondation de l’ONU parce que si on veut être efficace, si on veut que l’ONU soit un instrument efficient de régulation des relations internationales, il faut la modifier de fond en comble. Facile à dire, infiniment compliqué à faire, je le sais. Mais le constat actuel, et cette crise palestinienne, le prouvent tragiquement: c’est qu’il n’y a plus d’instance de régulation internationale fonctionnelle et efficace.

Il y a un deuxième niveau de réponse, si on zoome sur la singularité de la question israélo-palestinienne. On sait bien que nombre d’États occidentaux ont une sorte de mauvaise conscience à l’égard d’Israël en raison de l’Holocauste. Il est vrai qu’on évoquait le sentiment d’impunité et cette expression est parfaitement juste pour décrire la façon dont les dirigeants israéliens, qu’ils soient travaillistes, du Likoud ou d’extrême-droite, ont compris que ladite « communauté internationale », notamment sa composante occidentale, n’ose pas prendre des sanctions parce qu’il y a toujours ce rapport singulier à l’égard de l’État d’Israël. C’est insupportable parce qu’encore une fois, être exigeant, voire sévère à l’égard d’Israël, ce n’est pas du tout faire preuve d’antisémitisme ! C’est tout simplement vouloir faire respecter le droit international. Il est important, intéressant, que ce soit l’Afrique du Sud qui ait saisi la Cour internationale de justice. Un État dit « du Sud ». Je pense que c’est un indicateur de ce qu’on appelle le basculement du monde. Il y a quelques mois, j’ai co-écrit, avec un ami, Christophe Ventura, un livre qui s’appelle Désoccidentalisation-Repenser l’ordre du monde. Je pense que c’est un fait majeur des relations internationales. La désoccidentalisation du monde n’est pas un concept géographique, mais un concept politique. Le fait est que nombre d’États ne veulent plus passer sous les fourches caudines des exigences occidentales. Le fait que ce soit un État du Sud qui ait saisi la CIJ est donc tout à fait révélateur du cours actuel des relations internationales qui va, sûrement, s’approfondir dans les années à venir. C’est un phénomène marquant et je pense que dans ce cadre-là, les dirigeants israéliens seraient bien à même de méditer ce basculement du monde parce que je pense que leur sentiment d’impunité risque, peu à peu, de disparaître parce que des États comme l’Afrique du Sud, comme le Brésil, la Turquie, ne sont pas en situation d’avoir les mêmes préventions à l’égard d’Israël que les États occidentaux. Il y a là quelque chose d’essentiel pour l’avenir. Les rapports de force internationaux sont en train de se modifier profondément.

Naledi Pandor, Ministre des Relations Internationales d’Afrique du Sud ayant saisi la Cour Internationale de Justice pour la Palestine, lors d’une conférence au Palais des Nations en 2022. / Photo : Violaine Martin

Est-il nécessaire de réformer en profondeur le fonctionnement de l’ONU, notamment celui du Conseil de Sécurité ? Si oui, faudrait-il supprimer les sièges permanents et le droit de veto allant avec ?

Je pense qu’il faudrait le faire. Mais chacun comprend que cela ne pourra pas se réaliser d’un coup de baguette magique. C’est impossible aujourd’hui parce qu’évidemment, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité jouissent de ce pouvoir inouï de droit de veto, qui est insupportable. L’ONU, dans son essence, c’est l’égalité entre tous les États puisque chaque État a une voix. On sait bien que ce droit de veto est le produit des rapports de force issus de la Seconde guerre mondiale, avec un tour de force des Français pour obtenir ce droit de veto d’ailleurs. Ces cinq États s’arc-boutent sur une prérogative absolument injuste.

La tâche, dans les années à venir, c’est que le Conseil de sécurité ne fonctionne plus de cette façon. Déjà, il faut l’élargir à d’autres États. Il faut aussi modifier la règle du veto. Mais vous imaginez bien que ni les Russes, ni les États-Uniens, ni les Chinois, ni les Britanniques et ni les Français ne veulent voir cette prérogative être supprimée ! Pourtant, c’est la voie vers laquelle on doit se diriger. Il est incroyable qu’il n’y ait pas de pays africains, pas de pays latino-américains, pas de pays moyen-orientaux qui soient représentés, de façon permanente, au Conseil de sécurité. Je pense que la marche de l’Histoire sera celle d’élargir le Conseil de Sécurité et de supprimer le droit de veto. Encore une fois, ce n’est pas pour tout de suite. Cela va prendre du temps. Ce sera une bataille politique acharnée pour parvenir à ce résultat.

Il y a d’autres réformes du fonctionnement de l’ONU à mener. Mais je suis, pour ma part, persuadé, en dépit de toutes ses faiblesses, que c’est un instrument à conserver, à réformer, à refonder, parce qu’on n’a pas inventé mieux pour tenter de réguler les relations internationales. Je pense qu’il faut maintenir une enceinte où les conflits, les tensions, les différends, peuvent être discutés, plutôt que de multiplier les conflits guerriers. J’espère que ce n’est pas un vœu pieux de ma part. C’est du travail. Rien ne sera mécanique, automatique. C’est la volonté politique qui comptera.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Didier Billion est politologue, directeur adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Il est l’auteur de : Désoccidentalisation – Repenser l’ordre du monde (avec Christophe Ventura, éditions Agone, 2023) ; La Turquie, un partenaire incontournable (éditions Eyrolles, 2021) ; Géopolitique des mondes arabes (éditions Eyrolles, 2021)

Image d’ouverture : Pancarte « Stop arming Israël » affichée à Paris lors d’une manifestation en soutien au peuple palestinien, samedi 30 mars 2024. Photo: Serge D’Ignazio

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« Le gouvernement ne fait pas la guerre à la précarité, mais préfère s’en prendre aux plus vulnérables »

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« Une réforme de l’assurance chômage est nécessaire pour atteindre le plein-emploi ». Ces mots du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, le 6 mars 2024, témoignent de l’empressement du gouvernement à durcir davantage les conditions d’existence des chômeurs et à faire des économies sur leur dos. Pour QG, l’économiste Anne Eydoux, maîtresse de conférences au CNAM … Continued
Texte intégral (2700 mots)

« Une réforme de l’assurance chômage est nécessaire pour atteindre le plein-emploi ». Ces mots du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, le 6 mars 2024, témoignent de l’empressement du gouvernement à durcir davantage les conditions d’existence des chômeurs et à faire des économies sur leur dos. Pour QG, l’économiste Anne Eydoux, maîtresse de conférences au CNAM et membre du collectif les Économistes Atterrés, analyse ce projet, ainsi que d’autres tels que le RSA sous condition d’activité, la suppression de l’Allocation spécifique de solidarité ou la réforme de Pôle emploi devenu France Travail. Autant de mesures de coercition destinées à exercer une forte pression sur le monde du travail entier, dans la logique d’une politique néolibérale pratiquant une austérité sélective, qui frappe les plus pauvres, épargne les plus riches, et échoue invariablement depuis 40 ans, notamment par rapport à l’objectif du plein-emploi. Interview par Jonathan Baudoin

Anne Eydoux est économiste, maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), membre du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE-CNRS) et du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)

QG : Comment analysez-vous la sortie du Premier ministre Gabriel Attal, déclarant que « travailler est un devoir », et ses déclarations affirmant la nécessité d’une nouvelle réforme de l’assurance chômage ?

Anne Eydoux : Sur le premier point, le Premier ministre dit vrai. Le Préambule de la Constitution de 1946 indique bien que « chacun a le devoir de travailler ». Mais ce même Préambule affirme aussi le « droit à l’emploi » (article 5), ainsi que celui « d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » (article 11) lorsqu’on ne peut travailler, que ce soit pour des raisons liées à l’âge, à la santé, ou à la « situation économique ». Or les politiques de l’emploi ne garantissent en rien l’effectivité du droit à l’emploi. Quant aux réformes du service public de l’emploi et de l’insertion, elles remettent de plus en plus nettement en question le droit à des « moyens convenables d’existence ». Elles sont déséquilibrées : elles se focalisent sur les devoirs au détriment des droits.

S’agissant de la réforme de l’assurance chômage, on assiste depuis quelques années au détricotage du système bismarckien créé en 1958. C’était un système protecteur, à la fois pour les travailleurs et pour l’économie. Financé par les cotisations des salariés et des employeurs, géré par les partenaires sociaux, ce système assure, en cas de perte d’emploi, un revenu de remplacement proportionnel au salaire antérieur. Il garantit aux chômeurs une relative continuité de leurs revenus et soutient l’économie en cas de récession, en évitant l’effondrement complet du pouvoir d’achat.

Or, conformément au programme du candidat Macron à la présidentielle de 2017, la loi de financement de la Sécurité Sociale 2018 a supprimé, au nom du pouvoir d’achat, les cotisations salariales d’assurance chômage. C’est une goutte d’eau pour le pouvoir d’achat, mais ça change la nature même du système d’assurance chômage. Les salariés qui ne cotisent plus ont moins de raisons de bénéficier d’un revenu de remplacement en cas de chômage, et les syndicats qui les représentent sont moins légitimes pour cogérer le système. C’est un pilier du système bismarckien qui s’est effondré, en silence. L’État en a profité pour reprendre la main sur les objectifs et l’agenda des négociations en imposant, dès 2019, des coupes sévères dans les indemnités chômage, au détriment des plus précaires.

Photo de Bruno Le Maire: crédit Benedikt von Loebell

Aujourd’hui, le ministre de l’Économie annonce une reprise en main « définitive » du système par l’État. Est-ce la fin du paritarisme et le parachèvement d’une « beveridgisation » du système [du nom de William Beveridge, principal instaurateur de l’État-Providence au Royaume-Uni après la Seconde guerre mondiale, NDLR] ? Que va-t-il advenir des cotisations employeurs qui permettent encore d’assurer à une partie des chômeurs des revenus de remplacement proportionnels à leur salaire antérieur ?

Avec les dernières dispositions prises par le pouvoir en matière de droits sociaux – suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), coupe dans l’assurance-chômage, RSA sous condition de 15h de travail hebdomadaire, réduction du délai de contestation d’un licenciement, peut-on dire que c’est une guerre aux plus pauvres qui est menée?

Ce qui est clair est que le gouvernement ne fait pas la guerre à la pauvreté ni à la précarité, mais préfère s’en prendre aux plus vulnérables. La loi Plein-emploi de décembre 2023 a prévu la généralisation du RSA sous condition d’activité, sans attendre les résultats des évaluations du RSA conditionné. La condition d’activité devrait d’ailleurs concerner l’ensemble des demandeurs d’emploi, au RSA ou non, sans qu’on sache à partir de quelle durée de chômage. Mais les ressources pour organiser ces 15 heures d’activité manquent, si bien que cette généralisation ne sera vraisemblablement pas effective avant 2025. Si elle a lieu, ce sera la porte ouverte à une forme de « workfare » à la française (politique de travail obligatoire en contrepartie des aides).

Ce qu’on peut dire déjà de la réforme France Travail, c’est qu’elle est financée par les chômeurs. L’État n’a pas remis un sou dans la machine. Le budget consacré par le ministère du Travail au programme 102 « accès et retour à l’emploi » a même très légèrement diminué. Les ressources allouées à France Travail sont donc essentiellement puisées dans le budget de l’assurance chômage (Unedic). Cette dernière contribuait déjà largement au budget de Pôle emploi [désormais France Travail, NDLR]. Sa contribution devrait passer de 4,33 milliards d’euros en 2023 à 6 milliards d’euros à l’horizon 2026.

À cela s’ajoute la suppression prochaine de l’Allocation spécifique de solidarité (ASS), qui bénéficiait aux chômeurs en fin de droits. Derrière le maintien du budget « accès et retour à l’emploi » du ministère du Travail, il y a donc de nouveaux services pour l’activation des chômeurs (accompagnement, activités, mais aussi contrôles et sanctions) financés par la baisse des montants qui leur sont alloués. Une partie des chômeurs va basculer au RSA. Une autre partie, notamment les personnes en couple dont le conjoint a un revenu supérieur au seuil d’éligibilité au RSA, devra se contenter de la solidarité familiale. Les femmes en couple seront probablement les premières concernées, comme lors des réformes Hartz en Allemagne il y a 20 ans.

Peter Hartz, ancien directeur du personnel de Volkswagen, est à l’origine des réformes du marché du travail de 2005 en Allemagne

C’est une illustration de plus du caractère sélectif de l’austérité en France. Les économies budgétaires se concentrent sur les plus vulnérables, tandis que les ménages aisés et les entreprises bénéficient de baisses d’impôts et/ou de cotisations. Les catégories qui ont besoin d’aide sont mises à contribution quand celles qui pourraient contribuer profitent du soutien sans faille de l’État.

Doit-on craindre un dépeçage quasi-complet des droits sociaux dans les années à venir ?

Difficile à dire. Je ne pense pas que le RSA disparaisse, par exemple. Par contre, à cause de l’érosion de l’assurance-chômage, il va prendre davantage de place dans le soutien au revenu des chômeurs. Mais il offrira un soutien dégradé, d’autant qu’il n’a pas été assez revalorisé pour assurer un « revenu convenable d’existence ». On est sur une pente de réduction continue des droits et des acquis sociaux de l’après-Seconde guerre mondiale. À l’époque de la création de l’Unedic en 1958, personne ne se posait la question de savoir si l’assurance chômage était trop généreuse et risquait de décourager de travailler. Les indemnités étaient généreuses mais le chômage était très bas : les chômeurs retrouvaient facilement du travail parce qu’il y avait des emplois. Depuis le début des années 1980, on reste loin du plein-emploi, même quand le chômage se réduit. Les gouvernements successifs préfèrent rejeter la faute sur les chômeurs et les précaires plutôt que d’admettre l’inadéquation des politiques de l’emploi.

Peut-on dire que le gouvernement Attal, composé pour moitié de millionnaires selon les révélations de nos confrères de l’Humanité, est un gouvernement « bourgeois », complètement déconnecté des réalités économiques et sociales des Français ?

Je dirais que ce sont des néolibéraux, à la fois dogmatiques et autoritaires. Je ne suis pas sûre qu’ils soient déconnectés de la réalité, ils savent quels intérêts ils servent. Il est rare qu’une manifestation contre une réforme, même massive, parvienne à l’empêcher complètement. Par exemple, la loi Plein-emploi et la réforme France Travail mettent en œuvre, sous une autre forme, le projet de Revenu universel d’activité (RUA) qui avait été abandonné en 2020 lors de la crise sanitaire. Derrière ce nom censé être à la mode se cachait peut-être déjà un projet de remise en cause du système paritaire d’assurance-chômage: le fameux « revenu universel », financé par l’impôt, qui assurerait aux chômeurs un minimum social.

Logo de France Travail, ayant remplacé Pôle emploi depuis le 1er janvier 2024

Quelles alternatives à la politique économique et sociale en place seraient à mettre en œuvre?

Il me semble qu’il faudrait d’abord réaffirmer les grands principes de notre Constitution, au-delà du devoir de travailler qui reste incantatoire quand le volume d’emplois à pourvoir est insuffisant. D’abord le droit à un « revenu convenable d’existence » sans condition, parce que c’est le devoir d’une société riche de ne laisser personne sans ressources, et parce que certains allocataires du RSA ont une famille, des enfants. Ensuite, le droit à l’emploi. On sait que celui-ci ne peut être assuré par les politiques de l’emploi classiques mais nécessite des politiques macroéconomiques. Or ces dernières doivent être repensées pour viser la transition écologique et sociale plutôt que la croissance. Les enjeux en termes de travail et d’emploi sont considérables : réduire l’activité des secteurs polluants, organiser les transitions professionnelles, répondre aux besoins sociaux (services publics sociaux, de santé, d’éducation) et environnementaux (services publics de transport, d’énergie, isolation des logements), réduire le temps de travail. Cela demande une ambition et des moyens tout aussi considérables. Il faut sortir des politiques d’austérité, du moins telles qu’elles sont conçues aujourd’hui. C’est aujourd’hui aux ménages aisés et aux entreprises qui ont des ressources (tout en ayant l’empreinte carbone la plus élevée) de contribuer à la transition écologique et sociale et de la rendre vivable pour les plus précaires. Ce qui suppose aussi de soutenir ces derniers et de revaloriser leurs emplois.

Avec les réformes punitives du service public de l’emploi et de l’insertion, on en est très loin. Les allocataires du RSA, les jeunes suivis par les Missions locales et les personnes en situation de handicap accompagnées par Cap emploi seront automatiquement inscrits à France Travail et priés de s’activer. Mais le nouveau service public de l’insertion et de l’emploi aura-t-il des ressources pour proposer des activités ? Celles-ci seront-elles adaptées aux besoins et aux contraintes des nouveaux demandeurs d’emploi ? Leur permettront-elles de retrouver un emploi décent ? S’agira-t-il d’activités utiles à la collectivité ? On peut craindre que l’objectif du gouvernement soit plutôt d’activer un nombre toujours plus grand de demandeurs d’emploi pour satisfaire les demandes des employeurs et pourvoir les postes les plus pénibles. L’objectif paraît être le plein-emploi pour les employeurs et non le plein-emploi au sens d’un accès à l’emploi pour celles et ceux qui en sont privés. C’est aussi le plein-emploi des capacités productives, aux antipodes de la transition écologique et sociale.

Jonathan Baudoin

Anne Eydoux est économiste, maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), membre du Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE-CNRS) et du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), membre du collectif les Économistes Atterrés. Elle est l’auteure de : Misère du scientisme en économie. Retour sur l’affaire Cahuc-Zylberberg (avec Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Agnès Labrousse, André Orléan, éditions du Croquant, 2017) ; Faut-il un revenu universel ? (avec Didier Gelot, Jean-Marie Harribey, Marc Mangenot, Christiane Marty, Henri Sterdyniak, Stéphanie Treillet, éditions de l’Atelier, 2017)

Image d’ouverture : Capture d’écran de Gabriel Attal, Premier ministre, sur le plateau du 20h de TF1 le 27 mars 2024

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