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08.04.2024 à 05:00

Les marchés urbains de contrebande en Bolivie : une planche de salut insoutenable pour un pays en proie à des indices élevés d'emploi informel

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Il est 17 heures, un samedi après-midi animé dans la ville de Cochabamba, en Bolivie, lorsqu'une avenue centrale se transforme en épicentre de ce que l'on nomme désormais communément le « marché de la contrebande ». Les marchands s'empressent d'installer leurs étals, créant une ambiance trépidante à la tombée du jour. L'offre est variée et les produits, acheminés par des voies irrégulières, sont proposés à des prix alléchants.
La contrebande, activité illicite consistant à faire du commerce de marchandises (...)

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Texte intégral (2462 mots)

Il est 17 heures, un samedi après-midi animé dans la ville de Cochabamba, en Bolivie, lorsqu'une avenue centrale se transforme en épicentre de ce que l'on nomme désormais communément le « marché de la contrebande ». Les marchands s'empressent d'installer leurs étals, créant une ambiance trépidante à la tombée du jour. L'offre est variée et les produits, acheminés par des voies irrégulières, sont proposés à des prix alléchants.

La contrebande, activité illicite consistant à faire du commerce de marchandises sans payer de taxes, est un problème persistant dans ce pays andin et reflète une réalité largement répandue en Amérique latine. Selon l'Organisation mondiale des douanes, 80 % de la contrebande mondiale se trouve concentrée dans cette région. De par sa position géographique et le laxisme dont elle fait preuve en matière de contrôle de ce commerce irrégulier, la Bolivie s'est avérée un terrain fertile pour ce type d'activité.

Selon une étude présentée par la Chambre nationale des industries (Camara Nacional de Industrias, CNI), la contrebande en Bolivie aurait généré plus de 26 milliards de dollars US au cours de la dernière décennie, ce qui représente une augmentation de 44 % entre 2013 et 2022. Pour la seule année 2022, ce chiffre dépassait les 3,3 milliards USD, soit environ 8 % du produit intérieur brut (PIB) du pays.

Dans un entretien avec Equal Times, la directrice exécutive de l'INESAD (Instituto de Estudios Avanzados en Desarrollo), Beatriz Muriel, explique que le commerce de contrebande est devenu pour les travailleurs une source de revenus dans un contexte de coûts élevés, entraînant par-là même un déplacement important de la population active vers ce secteur d'activité, a fortiori dans un contexte où le contrôle de l'État est rendu difficile par la forte concentration de travailleurs dans l'économie informelle.

Outre l'impact économique de la contrebande, une autre réalité s'impose indéniablement dans ce pays andin : plus de 80 % de la population vit dans l'informalité économique, selon l'Organisation internationale du travail (OIT). Ce taux, l'un des plus élevés de la région, touche principalement les femmes, qui représentent 87 % des personnes qui en vivent.

« Ces gens sont en quête de travail et le commerce représente une entrée facile. Il faut signaler, en outre, une grande expérience du commerce, les peuples Aymara et Quechua étant porteurs d'une longue tradition commerciale, qui remonte à l'époque coloniale. Le commerce n'a donc pas de secrets pour eux. Qui plus est, il se transmet de génération en génération », explique Fernanda Wanderley, directrice et chercheuse principale auprès de l'Institut des recherches socio-économiques (IISEC) à l'Université catholique bolivienne.

Dans ce contexte, la contrebande se nourrit de l'informalité économique, tirant parti de la carence de débouchés et de la désillusion associées à un emploi formel qui ne se matérialise jamais. Selon les estimations, deux millions de personnes (sur une population d'environ 12 millions) travaillent dans le marché de la contrebande. Cette voie ne garantit toutefois pas la sécurité sociale, la retraite et les autres prestations liées à l'emploi formel.

Néanmoins, « les familles qui se consacrent à la vente vont de la subsistance aux hauts revenus, en fonction du produit de contrebande. Les articles en vente sur les marchés de contrebande peuvent aller des simples fournitures scolaires jusqu'aux voitures », explique Mme Muriel.

Entre-temps, la croissance manifeste des activités de contrebande en Bolivie se trouve reflétée dans l'expansion de ces marchés informels vers les principaux centres urbains. La présence de familles est aussi révélatrice de la réalité que vivent ces marchands qui, malgré le fait qu'ils occupent le dernier maillon dans la chaîne de la contrebande, se voient criminalisés, ce qui est d'autant plus paradoxal dans un milieu social qui consomme ouvertement les produits de contrebande écoulés sur ces marchés.

L'économie informelle et la contrebande, un phénomène structurel persistant

« Dans de nombreux pays d'Amérique latine, l'informalité s'est intensifiée à partir des années 1980 et 1990, lorsque sont entrées en jeu les politiques néolibérales. Dans le cas bolivien, cette informalité était antérieure et est allée croissant au cours de la période en question. La Bolivie n'a, en effet, jamais connu une majorité de travailleurs formels, ça n'a jamais été le cas au cours de son histoire contemporaine », indique Mme Wanderley, précisant que l'informalité économique en Bolivie est structurelle et historique et que, dans ce contexte, le commerce a de tous temps constitué une activité dominante.

Au milieu de la cohue des marchés urbains, on entend des phrases comme « Que vas a llevar, case ? » (littéralement « Que vas-tu emporter l'ami »), une façon affectueuse d'interpeler les clients. Les étals sont tenus majoritairement par des femmes, qui excellent dans l'art de la persuasion et proposent une variété de produits alimentaires, de produits d'entretien et de produits cosmétiques. Parmi la foule, une cliente explique qu'elle fréquente ces marchés principalement en raison des « prix plus abordables » qui y sont proposés par rapport aux commerces officiels, révélant là une réalité économique partagée par de nombreux Boliviens.

« Dans une population où les salaires sont bas, la contrebande permet de contrôler l'inflation, tout en rendant possible une consommation accrue. Par exemple, les vêtements ou les appareils électroménagers usagés reviennent moins chers. Les jouets sont meilleur marché que dans n'importe quel commerce officiel qui est soumis à l'impôt et qui cotise pour les travailleurs. Ici [dans les marchés clandestins], il n'y a pas de salariés [avec une fiche de paie]. Tout est informel. Les prix sont donc moins élevés », explique Fernanda Wanderley.

C'est aussi pourquoi les transactions qui ont lieu sur ces marchés très animés ne se résument pas, loin s'en faut, à de simples échanges commerciaux, mais racontent plutôt l'histoire de liens humains qui se tissent au hasard des besoins et de la résilience.

Lorsque les vendeurs exposent leurs marchandises de contrebande, la population réagit et est consciente de sa participation à cette dynamique. Le bénéfice est mutuel.

« Au début, ils vendaient exclusivement à partir de leurs voitures, généralement des breaks. Les ventes se faisaient à la sauvette, en ouvrant et en fermant les portières. Petit à petit, ils se sont installés sur les trottoirs et dans les rues », explique Virginia Flores, analyste indépendante.

Selon Mme Flores, pendant la pandémie, de nombreuses familles des villes ont eu recours à la contrebande pour faire face à la crise. Ce qui était autrefois une réalité propre aux zones frontalières et qui fait désormais partie du quotidien des principales villes du pays, est le reflet, selon la chercheuse, d'un jeu intriqué de dynamiques et de modes de consommation qui fournissent des informations précieuses sur les différents acteurs intervenant dans la contrebande et, donc, sur la complexité de ce phénomène dans le contexte actuel.

« Ce groupe de personnes [au sein de la chaîne de contrebande] ne constitue pas une masse homogène, et il est très important de le comprendre. On distingue parmi ces personnes une stratification sociale, alors que beaucoup d'entre elles appartiennent à des groupements familiaux. Ce qui n'empêche qu'elles peuvent être de classe supérieure, moyenne ou inférieure [...]. Puis, il y a celles qui gagnent beaucoup d'argent, que l'on pourrait qualifier de riches. Il y a les intermédiaires. Et enfin, il y a les petits vendeurs [des marchés], qui se trouvent dans une situation précaire », ajoute Mme Wanderley.

Derrière chaque offre, un monde d'histoires personnelles

Dans le contexte économique bolivien, « derrière les grands groupes d'entreprises, tels que l'industrie pétrolière, se trouvent les grandes entreprises importatrices, qui appartiennent généralement à la classe moyenne ou supérieure. On y trouve des familles d'origine aymara et quechua, par exemple celles qui font construire les “cholets” d'El Alto [bâtiments au style architectural détonnant unique à La Paz], mais aussi des personnes [d'ascendance espagnole] de milieu aisé, qui gagnent beaucoup plus d'argent et s'enrichissent grâce aux marchés de contrebande. En fait, quand on se rend dans les marchés, on ne voit que les vendeurs, on ne voit pas toute la chaîne qui se cache derrière », explique Mme Wanderley.

Or, il suffit de visiter les marchés de contrebande, qui fonctionnent sans restriction même pendant la journée, pour découvrir des histoires bien connues relatant les expériences vécues par les personnes qui se trouvent au bas de la chaîne de contrebande, celles qui portent le fardeau du commerce de la contrebande : vendre dans un contexte d'extrême vulnérabilité.

Juana (nom d'emprunt), 38 ans, mère de cinq enfants, incarne parfaitement la situation des familles qui écoulent sur leurs étals les marchandises distribuées par les importateurs. « Le besoin t'oblige à aller de l'avant », confie Juana, qui, avec énormément de charisme et de joie, rend hommage à la résilience notoire des femmes boliviennes.

L'histoire de Juana reflète également la réalité que vivent un grand nombre de femmes qui sont, en quelque sorte, le visage du commerce informel dans le pays andin. En plus d'affronter les dangers de la nuit ou de porter de lourdes caisses, elles doivent faire face aux aléas de la météo. Elles doivent en outre endosser le double rôle de mère et de chef de famille, en conciliant les soins prodigués à leurs enfants et les exigences du travail de la rue.

« Je fais tout moi-même. Pendant la journée, je m'organise, je me lève, je m'occupe de mes enfants. À midi, je leur donne bien à manger, je termine ce que j'ai à faire à la maison et à 16 heures, je vais vendre sur le marché jusqu'à 10 ou 11 heures du soir et je rentre à la maison à minuit. Même chose le lendemain. C'est fatiguant », explique Juana. Prothésiste de formation, la difficulté à trouver un emploi formel l'a contrainte à travailler pour le compte d'autrui, en vendant des produits de contrebande.

Selon Mme Wanderley, les marchés de contrebande révèlent clairement une situation d'exploitation, caractérisée par la prédominance d'emplois informels, précaires et non réglementés. Prédominance féminine aussi, qui conduit, à terme, au regroupement de nombreux autres membres de la famille (dans certains cas, de nouveaux arrivants en provenance des zones rurales).

Lucia (nom d'emprunt), une jeune femme de 20 ans venue de la campagne à la ville pour aider sa tante à vendre sur les marchés, relate les complexités de cette réalité, qui s'accompagne parfois d'expériences de harcèlement. « C'est compliqué car, en plus des tracas de la vente, en tant que jeune femme, on ne peut même pas vendre sans être inquiétée. Il y a toujours quelqu'un [qui essaie, au cours de la transaction] de dépasser les bornes », explique-t-elle.

Sœur aînée de deux filles dont elle doit également s'occuper, Lucia rêve d'émigrer à l'étranger à la recherche de meilleures opportunités. Contrainte par les bas salaires qui sont la norme dans le secteur formel en Bolivie, elle ne considère pas non plus la vente de produits de contrebande comme une solution viable pour améliorer la situation de sa famille.

« Les prix [que nous donnent les intermédiaires] sont maintenant plus élevés. C'est-à-dire que ce ne sont plus les prix d'avant, et c'est ce qui est compliqué aujourd'hui. Avant on vendait bien, maintenant on ne vend plus, on vend très peu », explique Lucia.

Juana attire également l'attention sur la criminalisation dont elles font l'objet en tant que vendeuses. « On est contraint par le besoin, il n'y a pas d'autre issue. Combien de professionnels travaillent aujourd'hui comme chauffeurs de taxi ou comme chauffeurs ? C'est-à-dire qu'ils ne travaillent pas dans leur profession. C'est une bien triste réalité », dit-elle.

Bien que les droits des travailleurs soient inscrits dans la Constitution bolivienne, la majorité des citoyens de ce pays d'Amérique du Sud se trouvent toujours piégés dans des emplois précaires, selon le rapport El desafío de contar con trabajos dignos para todos (Le défi de l'emploi décent pour tous) de l'INESAD.

Le rapport souligne l'informalité et la contrebande comme des facteurs clés contribuant à cette situation et affectant négativement le secteur formel, soulignant la nécessité d'améliorer les conditions. La lutte contre l'informalité en Bolivie est toutefois entravée par des problèmes structurels et historiques profondément enracinés qui freinent l'émergence de nouvelles alternatives.

« La situation est d'autant plus préoccupante lorsque l'on sait que 70 % de la population ne contribue pas aux caisses de retraite [AFP]. Les gens ne peuvent donc pas arrêter de travailler, de générer des revenus. La situation des personnes âgées, dont le nombre augmente, devient de plus en plus compliquée. Il est interdit de vieillir », affirme Mme Wanderley à propos des répercussions futures.

04.04.2024 à 05:00

En Azerbaïdjan, une interminable répression s'abat sur l'opposition et les médias indépendants

Clément Girardot

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Une vingtaine d'activistes sont regroupées sur une place, elles sont filmées par quelques reporters et encerclées par des policiers masqués. La photo a été partagée le 8 mars 2024 sur X (ex-Twitter) par l'activiste trans et féministe azerbaïdjanaise Alex Shah. Une autre militante adresse aux médias un message défendant les droits des femmes, dénonçant les féminicides et demandant au gouvernement la libération des journalistes incarcérés et des autres prisonniers politiques.
Ce rassemblement sous haute (...)

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Texte intégral (2080 mots)

Une vingtaine d'activistes sont regroupées sur une place, elles sont filmées par quelques reporters et encerclées par des policiers masqués. La photo a été partagée le 8 mars 2024 sur X (ex-Twitter) par l'activiste trans et féministe azerbaïdjanaise Alex Shah. Une autre militante adresse aux médias un message défendant les droits des femmes, dénonçant les féminicides et demandant au gouvernement la libération des journalistes incarcérés et des autres prisonniers politiques.

Ce rassemblement sous haute surveillance pour la Journée internationale des droits des femmes est un des rares actes de contestation récents en Azerbaïdjan. Après avoir succédé à son père Heydar Aliyev (un ancien dignitaire soviétique) en 2003, Ilham Aliyev dirige cette république du Sud-Caucase riche en hydrocarbures, grande comme l'Autriche et peuplée de 10 millions d'habitants.

Depuis 20 ans, le pays n'a cessé de reculer dans les différents classements internationaux sur le suivi du respect des principes démocratiques et de la liberté d'expression. L'Azerbaïdjan est notamment passé de la note 6 (en 2005) à 7 (en 2016), considérée alors comme la pire dans l'index concernant les droits politiques et libertés civiles établi par l'ONG étatsunienne Freedom House, rejoignant la catégorie des dictatures dures telles que l'Iran, la Birmanie ou la Corée du Nord. Depuis 2017, l'Azerbaïdjan a continué de chuter dans le classement de Freedom House, qui a adopté une nouvelle forme de calcul, en passant de la note 14 sur 100 à 7 sur 100, en 2024.

Le 7 février 2024, M. Aliyev a été réélu avec 92 % des voix pour un cinquième mandat présidentiel lors d'un scrutin verrouillé, durant lequel les observateurs locaux et internationaux ont dénombré de nombreuses fraudes.

Les principaux partis d'opposition ont boycotté cette élection, alors que de nombreux dissidents sont soit en prison soit en exil. La répression politique n'est pas un phénomène récent, mais elle s'est accentuée dans les mois précédant le scrutin.

Entre février et décembre 2023, le nombre de prisonniers politiques est passé de 80 à 253 selon l'Union pour la Libération des Prisonniers Politiques d'Azerbaïdjan (Azərbaycan Siyasi Məhbusların Azadlığı Uğrunda İttifaq). Le dernier décompte publié mi-mars ne laisse pas entrevoir d'assouplissement, bien au contraire, 288 noms figurent actuellement sur la liste.

L'opposition politique et les journalistes d'investigation sont ciblés

Parmi les personnalités incarcérées durant cette dernière année se trouve notamment l'économiste Gubad Ibadoghlu, président du Parti pour la Démocratie et la Prospérité de l'Azerbaïdjan (Azərbaycan Demokratiya və Rifah Partiyası). Il est en prison depuis juillet dernier, accusé par la justice d' « impression, acquisition ou vente de fausse monnaie » et de « soutien à l'extrémisme religieux ».

M. Ibadoghlu est toujours en détention préventive malgré de graves problèmes de santé. Souffrant de diabète et de problèmes cardiaques, et privé de traitement adéquat, son avocat a affirmé au mois de février qu'il pourrait prochainement tomber dans le coma.

En novembre, ce sont les journalistes d'investigation Sevinc Vaqifqizi et Ulvi Hasanli qui ont été arrêtés, accusés de « complot en vue d'introduire illégalement de l'argent dans le pays ».

Des pressions sont aussi exercées sur leurs proches : « On empêche nos mères d'accéder à leur seule source de revenus, leur retraite, car leurs cartes bancaires sont bloquées alors que les comptes de nos amis ont été gelés et qu'ils sont interdits de sortie du territoire », explique M. Hasanli dans une lettre ouverte rédigée pour sa fille.

Leur site Abzas Media est devenu la bête noire du gouvernement en publiant régulièrement des révélations sur la corruption du régime. Une de leurs dernières enquêtes porte sur un scandale de torture au sein de l'armée. Selon l'ONG Amnesty International, les cas de torture et de mauvais traitements sont aussi très répandus dans les prisons.

Quatre autres journalistes d'Abzas Media ont été arrêtés avant l'élection, ainsi qu'une dizaine de travailleurs des médias, des avocats, des activistes et des responsables politiques de l'opposition, de même que plusieurs membres de la jeune confédération syndicale indépendante nommée Le Bureau des Travailleurs (İşçi Masası) qui avait notamment soutenu en 2022 et 2023 le mouvement de protestation des livreurs à moto.

« Les activistes parlent de seconde grande vague de répression, la première date de 2014 [. Toutes les voix critiques ne sont pas réprimées, mais toutes les formes organisées d'opposition le sont », analyse Cesare Figari Barberis, doctorant à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève et spécialiste du Caucase.

« Le gouvernement s'est aussi engagé dans la voie de l'autoritarisme numérique en ayant par exemple recours à une armée de trolls pour harceler les voix dissidentes sur internet. »

Au mois de mars, de nouvelles arrestations ont touché les journalistes de la chaîne YouTube Toplum TV et le mouvement III Respublika, une nouvelle plateforme de l'opposition libérale qui prévoyait de présenter des candidats aux élections parlementaires de 2025.

« Par le passé, les autorités poursuivaient les activistes et les membres de la société civile pour des activités économiques illégales, maintenant, c'est principalement la contrebande de devises étrangères. L'intention reste la même, supprimer les dernières voix critiques présentes dans le pays », note Giorgi Gogia, directeur associé pour l'Europe et l'Asie Centrale de l'ONG Human Rights Watch.

Cette vague de répression arrive paradoxalement à une période où le régime est relativement peu contesté et a même renforcé sa légitimité en prenant le contrôle total de l'enclave du Haut-Karabakh, de facto indépendante depuis 1991, à la suite des offensives militaires de 2020 et 2023.

« Ilham Aliyev est devenu encore plus répressif après la fin de la guerre du Karabakh. Auréolé de sa victoire, il n'a plus aucune tolérance pour l'opposition politique ou la société civile », observe l'activiste Nil Mammadrzayeva.

Ces dernières années ont aussi été marquées par une radicalisation idéologique. « Le régime est plus nationaliste et militariste que par le passé, il n'a plus de limites », estime le politiste Bahruz Samadov de l'Université Charles de Prague.

Une des illustrations de ce nouveau paradigme est la création du Parc des Trophées Militaires dans la capitale Bakou où sont exposés des équipements militaires confisqués aux forces arméniennes, mais aussi des casques de combattants ennemis tués et des personnages en cire aux traits caricaturaux représentant des soldats arméniens. Des mises en scène que plusieurs observateurs ont qualifiées de « déshumanisantes ».

Une position géostratégique qui renforce le régime

Une conjonction de facteurs internes et externes a permis à Ilham Aliyev de jouir d'un pouvoir absolu. La rente liée aux hydrocarbures a financé le renforcement de l'armée, mais aussi de la police. La répression a décimé une opposition politique qui n'est jamais arrivée à incarner une alternative crédible. « Elle est depuis longtemps divisée et traversée par d'importantes tensions internes. Depuis la fin de la guerre, elle n'a plus de stratégie et est attentiste », continue M. Samadov.

Au niveau international, l'autocratie bénéficie d'une position géostratégique unique. Bakou est l'allié d'Israël et des États-Unis contre le voisin iranien, le partenaire économique privilégié d'une Russie qui a lâché l'Arménie et un « État frère » de la Turquie d'Erdoğan.

Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine et aux sanctions contre la Russie, l'Union européenne a signé avec M. Aliyev un accord énergétique concernant l'approvisionnement en gaz, affaiblissant un peu plus la capacité des instances européennes à s'opposer à la dérive autoritaire de l'Azerbaïdjan.

« L'UE a essentiellement légitimé la consolidation du pouvoir d'Aliyev », estime M. Figari Barberis. « La guerre de septembre 2023, qui a conduit au nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh, a poussé le Parlement européen à adopter une résolution non-contraignante condamnant l'Azerbaïdjan, mais la Commission européenne n'a adopté aucune sanction. »

Symbole de l'influence et du statut privilégié de l'Azerbaïdjan sur la scène internationale malgré les violations flagrantes des droits humains, Bakou accueillera en novembre prochain la conférence climatique internationale annuelle de l'ONU. La COP29 s'inscrit dans une stratégie d'organisation de méga-événements visant à accroître la légitimité du pouvoir d'Ilham Aliyev : le concours de l'Eurovision en 2012, les premiers Jeux européens en 2015, un Grand Prix de F1 depuis 2017.

Face à un régime tout-puissant, l'espoir d'un changement de régime est mince pour les activistes et l'ensemble des forces pro-démocratie.

Le principal motif de mécontentement populaire est la situation socio-économique du pays touché par une forte inflation et une stagnation du PIB en 2023. Avant les élections, un visuel avait largement circulé sur les réseaux sociaux, mettant côte à côte une salle de classe délabrée dans une ville du sud du pays et une ferme caprine nouvellement rénovée par le gouvernement et même dotée d'un piano dans la région du Haut-Karabakh.

Pour les internautes, cette juxtaposition illustre l'abandon par les autorités des zones rurales et l'inexistante redistribution de la rente liée aux hydrocarbures en dehors de projets idéologiques. Mais il est peu probable que la colère d'une partie de la population se traduise par une mobilisation collective contre le gouvernement.

« On ne doit pas s'attendre à ce que le peuple azerbaïdjanais renverse Aliyev ni aujourd'hui ni dans cinq ans. À ce rythme, il transmettra le pouvoir à son fils dans quelques années », déplore Mahammad Mirzali, un jeune blogueur réfugié en France depuis 2016.

Dans ses vidéos, il critique vivement les plus hauts dignitaires du régime. En raison de ses opinions, il a fait l'objet de trois tentatives d'assassinat sur le sol français et vit désormais sous protection policière.

Bien qu'il n'occupe aucune fonction officielle, Heydar Aliyev Jr a récemment été photographié en tenue militaire avec son père en train de visiter une base aérienne où sont stationnés des drones de combat. Les prochaines élections présidentielles se tiendront normalement en 2029, Ilham Aliyev aura alors 67 ans et son fils 30 ans.

02.04.2024 à 08:30

Réduire les inégalités et porter la voix des femmes : la diplomatie féministe comme réponse efficace aux crises ?

Camille Grange

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Un mois après sa victoire aux élections législatives d'octobre 2022, le nouveau gouvernement suédois de droite, allié avec l'extrême-droite, effectuait un revirement historique. Quelques heures après sa nomination, Tobias Billström, ministre des Affaires des étrangères, confiait à l'agence de presse suédoise TT, que l'approche féministe de la diplomatie de sa prédécesseuse, Margot Wallström, serait abandonnée sans délai.
Outil d'action politique mis en place en 2014 par l'ancienne ministre suédoise, la « (...)

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Un mois après sa victoire aux élections législatives d'octobre 2022, le nouveau gouvernement suédois de droite, allié avec l'extrême-droite, effectuait un revirement historique. Quelques heures après sa nomination, Tobias Billström, ministre des Affaires des étrangères, confiait à l'agence de presse suédoise TT, que l'approche féministe de la diplomatie de sa prédécesseuse, Margot Wallström, serait abandonnée sans délai.

Outil d'action politique mis en place en 2014 par l'ancienne ministre suédoise, la « diplomatie féministe » est un concept en évolution censé renforcer les droits des femmes dans le monde au travers des relations diplomatiques. Elle repose essentiellement sur trois piliers : les droits, les ressources et la représentation (en anglais, les trois « R » pour « rights », « ressources », « representation »). Son domaine d'action peut aller aussi bien du financement de projets de développement en faveur de l'égalité des sexes, qu'à une meilleure représentation des femmes dans les instances diplomatiques, afin que leur voix soit mieux représentée dans les négociations et les décisions.

Dans le sillage de la Suède, d'autres chancelleries du Canada, de la France, du Mexique, de l'Espagne, du Luxembourg et d'Allemagne ont adopté à leur tour ce type d'approche et l'ont intégré, chacune à leur façon, dans leur politique internationale.

C'est ainsi qu'Annalena Baerbock, première femme nommée ministre fédérale des Affaires étrangères en Allemagne, a voulu inscrire son mandat, débuté en décembre 2021, dans un engagement féministe. En mars 2023, son ministère s'est engagé, dans une feuille de route, à nommer une ambassadrice dédiée à la diplomatie féministe et souhaite augmenter la part des projets qu'il finance pouvant être « sensibles au genre » de 64 à 85 % d'ici 2025. Par ailleurs, 8 % du budget de son ministère devront être destinés à terme à des projets « sources de transformations en matière d'égalité des genres. »

L'État allemand finance par exemple, via des associations locales soutenues par l'UNICEF, la mise en place d'accompagnements médicaux et psychologiques des victimes de violences sexuelles en Éthiopie et en Somalie.

De son côté, la « diplomatie féministe » de la France a choisi de se focaliser sur la promotion des droits sexuels et reproductifs et soutient l'égalité femmes-hommes dans les pays en développement. « La France porte un bel historique de positions progressistes dans les instances multilatérales, notamment pour sa défense du droit à l'avortement au Conseil de sécurité de l'ONU », explique Alice Apostoly, co-fondatrice de l'Institut du genre en géopolitique (IGG), un centre de recherche et de réflexion (think tank) sur les relations internationales sous le prisme du genre.

Associer les femmes dans la négociation et les décisions

La « diplomatie féministe » renvoie en outre à la capacité qu'auraient les femmes d'être plus à même de porter et d'appliquer des valeurs pacifiques durables, faisant fi de certains clivages. Muriel Domenach, ambassadrice de la France à l'OTAN depuis 2019, estime qu'il est indispensable de contrer la diplomatie actuelle, très majoritairement masculine, « qui associe la puissance à la brutalité ».

Dans un article publié par l'Institut du genre en politique, Cassandre Impagliazzo, consultante sur les questions de genre et ex-collaboratrice de l'ambassade de France au Vietnam, « si le virilisme a tendance à appeler la violence, la présence de femmes et de motivations féministes au sein de la diplomatie internationale pourraient permettre de soulever des problématiques rencontrées par les minorités. (…) Une politique étrangère féministe aurait ainsi pour objectif d'œuvrer pour l'intérêt de l'égalité de genre, mais aussi et surtout pour le respect des droits humains dans leur intégralité ».

Autrement dit, le fait de reconsidérer les politiques, en incluant la perspective de genre, amènerait à traiter les problèmes de manière plus universelle.

La recherche académique contribue depuis plusieurs années à montrer que le rôle des femmes dans les processus de recherche de la paix peut avoir un impact significatif.

Récemment, cela a été observé au Yémen, où l'expérience du conflit vécue par des femmes a été écoutée. Tandis qu'en Colombie, pour parvenir aux Accords de paix, signés avec les groupes armées des FARC en 2016, la participation des femmes par leurs témoignages et autour de la table des négociations a été pour la première fois activement encouragée. En conséquence, un chapitre entier des accords fut consacré à la prise en compte des dimensions « sexospécifiques » du conflit et de sa résolution pacifique. Une expérience considérée comme une première du genre, à cette échelle. En Asie du Sud, la coopération interrégionale (ASACR) a mis en place des efforts diplomatiques de longues dates pour garantir les droits des femmes et l'égalité dans des sociétés touchées par les conflits armées comme le Sri Lanka , l'Afghanistan ou le Myanmar.

De fait, la « participation des femmes à la prévention et au règlement des conflits, ainsi qu'à la consolidation de la paix » fait l'objet de la résolution 1325, dite « Femmes, Paix et Sécurité » adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations Unies, depuis plus de 20 ans. Ainsi, une organisation politico-militaire telle que l'OTAN, s'est doté d'une représentante spéciale en charge de cette mission, Irene Fellin. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, celle-ci a rappelé, en mai 2023, lors d'une visite à Kyiv, « qu'il est important que les femmes participent sur un pied d'égalité à la prise de décisions pendant toute la durée de la guerre et après la victoire de l'Ukraine ».

La participation des femmes et la prise en compte des aspects liés au genre sont aussi de plus en plus perçues comme des facteurs d'influence favorable sur l'élaboration de politiques économiques et de développement. L'autonomisation des femmes et des filles est l'un des objectifs de l'Agenda 2030 de l'ONU pour contribuer à faire advenir une société plus juste et égalitaire entre les femmes et les hommes. Pour cela, l'ODD 5.5 demande justement de « garantir la participation entière et effective des femmes et leur accès en toute égalité aux fonctions de direction à tous les niveaux de décision ». Une approche féministe de la politique étrangère doit donc aussi faire sa place dans la négociation de traités économiques internationaux, puisque l'impact du genre est désormais reconnu.

Une représentation féminine qui reste timide

Selon Ann Towns, enseignante-chercheuse suédoise spécialiste des liens entre genre et diplomatie, la présence de femmes dans la diplomatie reste un point crucial. « C'est l'une des branches qui a accepté les femmes tardivement. Lorsque les États démocratiques ont commencé à ouvrir leurs administrations aux femmes – pour beaucoup, après la Seconde Guerre mondiale –, il y a souvent eu une exception pour les corps militaires et diplomatiques », rappelle-t-elle.

La représentation féminine dans les ambassades françaises progresse, d'après l'association Focus 2030, mais « à petit pas ». Aujourd'hui, seulement 39 d'entre elles sont dirigées par une femme. L'année 2021 a connu le plus fort taux de nomination d'ambassadrices : 34 %. « Généralement, les ambassadrices ne sont pas nommées dans les ambassades qui ont une importance géopolitique majeure. L'exemplarité de la France n'est pas forcément respectée et est très timide », poursuit Alice Apostoly. Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) explique :

« Des recherches ont montré que la visibilité et la présence des femmes dans la diplomatie de haut niveau et dans la défense ont certes augmenté au cours des 20 dernières années, mais que la grande majorité des postes de décision sont encore occupés par des hommes, en particulier au sommet de la pyramide ».

Au niveau des instances onusiennes, Alice Apostoly observe : « C'est surtout UN Women qui porte ces enjeux-là, alors qu'ils devraient être traités de façon transversale ». Il y aurait également « un refus de voir des femmes aux tables de négociations », car, d'après elle, « le siège des Nations unies demeure un establishment masculin parmi tant d'autres. Ces valeurs sont défendues par des hommes puissants qui bénéficient d'un certain statu quo ».

Dans une tribune publiée sur le site du journal Le Monde, en 2020, avec sa consœur Déborah Rouach, de l'IGG, elles évoquaient l' « emprise des schémas patriarcaux » sur les décisions internationales et « le retour à des valeurs conservatrices », notamment sur les discussions portant sur la santé sexuelle et reproductive et les violences sexuelles durant les conflits.

Un champ politique variable selon les pays

Bien que présentée sous le prisme des bonnes intentions, la « diplomatie féministe » se heurte inévitablement à des obstacles politiques, économiques et culturels.

Le concept semble encore difficile à délimiter formellement. « Le féminisme peut avoir plusieurs définitions et, par conséquence, la diplomatie féministe également. Il faut voir précisément ce qu'en fait chaque pays. Les observations ne font que commencer », analyse Ann Towns.

« Les mouvements féministes sont loin d'être politiquement homogènes. Tous les militants et intellectuels ne sont pas d'accord sur ce qu'une telle transformation structurelle impliquerait », complète Saskia Brechenmacher, chercheuse en politique internationale à l'université de Cambridge.

Les différences de points de vue et ce manque de cohésion rendent-ils alors plus difficile l'application de la diplomatie féministe ? « Pas forcément, mais cela signifie qu'il y aura inéluctablement des réponses mitigées et des points de vue divergents sur ces politiques. Certains considéreront également que les gouvernements n'en font jamais assez », pondère la chercheuse allemande.

Ainsi, à l'image de ce que l'on observe dans d'autres champs d'action, cette diplomatie volontariste doit se confronter aux intérêts stratégiques des États.

« La France est connue pour sa diplomatie féminisme, mais aussi pour son commerce d'armes. C'est un gros point d'incohérence. Notre politique commerciale ne prend pas en compte le genre. Ces armes vendues sont parfois, par exemple, utilisées au Yémen, contre la population et donc les femmes, les enfants et les filles », constate Alice Apostoly.

Un autre exemple de contradiction stratégique s'est vue avec la réticence de l'Allemagne à soutenir les demandes de résolution à l'ONU pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza, à cause de sa ligne politique de soutien total à Israël. Ce qui a mis en colère les féministes contre Annalena Baerbock, accusée publiquement de ne pas agir pour faire cesser les souffrances des femmes gazaouis et de ne pas prôner fermement la voie pacifiste. « Le comportement de vote de l'Allemagne a provoqué l'incrédulité et l'indignation de celles et ceux qui, dans les pays du Sud, avaient suivi avec enthousiasme l'évolution de la politique étrangère féministe du gouvernement allemand et ses orientations », déplore Lydia Both, à la tête du programme moyen-oriental de la Friedrich-Ebert-Stiftung sur le féminisme politique et le genre, dans un billet d'opinion publié par IPS.

Ceci rappelle que la « diplomatie féministe » n'est pas toujours si facile à mettre en œuvre. Par ailleurs, selon Marie-Cécile Naves, elle peut aussi créer, si on n'y prend pas garde, d'autres formes de visions déformées potentiellement contre-productives : « Des stéréotypes essentialistes peuvent persister, selon lesquels les femmes sont plus pacifistes et les hommes plus violents, et les femmes les principales victimes de la violence dans le monde. Pourtant, de nombreux hommes sont exploités économiquement et sont victimes de violences – y compris sur la base du sexe – comme dans certaines situations de guerre. C'est pourquoi il est important de prendre en compte les questions de la masculinité autant que de la féminité dans la diplomatie que l'on pourrait qualifier de « politique étrangère sensible au genre », et d'impliquer les hommes. »

De leur côté, les féministes africaines, notamment, veulent rester prudentes sur un concept qui peut favoriser des politiques de développement jugées néo-colonialistes. L'écrivaine ougandaise Rosebell Kagumire, collaboratrice de plateforme African Feminism estime : « La politique étrangère féministe occidentale ne devrait pas être présentée comme quelque chose qui est là pour nous sauver. Nous pouvons voir cela comme un cadre utile dans certains cas, mais être conscientes des silences qu'elle entretient, et de ce qu'elle laisse de côté, car qui met [les Occidentaux] mal à l'aise […] comme la question pertinente de la justice raciale ».

28.03.2024 à 10:21

Au Kenya, un ambitieux projet de logements abordables se heurte à des obstacles juridiques majeurs et à une opposition croissante

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En 2018, lorsque le gouvernement du Kenya, dirigé par l'ancien président Uhuru Kenyatta, a lancé son programme « Big Four » pour un développement transformationnel, l'un des principaux piliers était la mise à disposition de logements décents aux personnes à faibles et moyens revenus.
Même si l'article 43.1 (b) de la Constitution du Kenya déclare que « toute personne a droit à un logement accessible et décent, ainsi qu'à des conditions d'hygiène raisonnables », le logement constitue depuis longtemps un défi (...)

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Texte intégral (1818 mots)

En 2018, lorsque le gouvernement du Kenya, dirigé par l'ancien président Uhuru Kenyatta, a lancé son programme « Big Four » pour un développement transformationnel, l'un des principaux piliers était la mise à disposition de logements décents aux personnes à faibles et moyens revenus.

Même si l'article 43.1 (b) de la Constitution du Kenya déclare que « toute personne a droit à un logement accessible et décent, ainsi qu'à des conditions d'hygiène raisonnables », le logement constitue depuis longtemps un défi majeur au Kenya, en particulier dans les centres urbains, où l'on estime que 61 % des ménages vivent dans des habitations informelles. Selon les données de l'ONG internationale Habitat for Humanity, le gouvernement ne livre actuellement que 50.000 des 250.000 unités de logement nécessaires annuellement pour répondre à la demande de la population kenyane, qui compte 55 millions d'habitants.

Le plan initial de M. Kenyatta prévoyait la construction de 500.000 logements en cinq ans dans les villes et les zones métropolitaines du pays. Le plan s'inscrivait dans le cadre du programme de logements abordables connu à l'époque sous le nom de Boma Yangu (qui signifie « Ma maison » en kiswahili). La contribution des travailleurs était assurée par un système de prélèvement, tandis que les personnes travaillant dans le secteur informel devaient verser des cotisations volontaires pour constituer la caution de 10 % nécessaire pour accéder à la propriété.

Néanmoins, le site internet de recoupement de données Africa Check constate qu'à peine plus de 3 % (13.529) des 500.000 logements avaient été construits à la fin de l'année 2022, et ce, pour un certain nombre de raisons ; notamment un financement insuffisant du programme, des prêts hypothécaires inabordables et un manque de terrains constructibles.

Pauline Wanjiru, marchande de fruits sur un marché en bord de route dans la capitale kenyane, Nairobi, est l'une de celles qui se sont rapidement inscrites au programme, en versant des cotisations mensuelles variables dans le but de réunir 1.900 dollars US (environ 250.000 shillings kenyans ou 1.848,20 euros) en trois ou quatre ans, le montant minimum de la caution requise pour participer au programme. Si une maison venait à lui être attribuée, elle rembourserait alors le reste de sa créance grâce à un prêt hypothécaire d'une durée de 15 à 20 ans.

Même s'il lui arrive parfois de ne pas pouvoir honorer ses paiements pendant un ou deux mois, cette mère de deux garçons continue de cotiser au programme, et ce, malgré les difficultés économiques qui frappent le Kenya depuis la pandémie de Covid-19 en 2020.

« Épargner pour cette maison m'a obligée à renoncer à l'achat d'une belle robe ou d'une paire de chaussures, mais je dois réaliser mon rêve d'avoir une maison à moi », affirme-t-elle.

Cependant, l'avenir du programme (qui a été rebaptisé Affordable Housing Programme ou Programme de logement abordable) est aujourd'hui incertain, du fait de la résistance qui se manifeste contre le prélèvement obligatoire imposé aux travailleurs salariés kenyans par la Loi sur les finances 2023 et servant à financer le capital de base du projet.

Le gouvernement avait créé un Fonds national pour le développement du logement en vue de financer la construction de 250.000 logements par an, qui seraient vendus aux citoyens kenyans éligibles à un prix compris entre 7.600 et 26.600 dollars US (entre 1 million et 3,5 millions de shillings kenyans ou entre 6.469,75 et 27.727,50 euros), en fonction de leur éligibilité à un logement social, à un logement à bas prix ou à un prêt hypothécaire abordable sur le marché libre.

Mais avec un salaire mensuel moyen de 14.000 shillings kenyans (environ 106 dollars US ou 125 euros), selon les statistiques les plus récentes de 2019 de l'Organisation internationale du Travail (OIT), pour certains travailleurs, même un logement dit « abordable » est complètement hors de portée. « Je ne veux pas payer une taxe sur le logement pour une habitation dans laquelle moi ou mes enfants ne vivrons jamais », a déclaré un travailleur à Al-Jazeera.

Démagogie politique

Des particuliers et des associations de travailleurs ont réussi à contester le prélèvement de 1,5 % pour le logement prélevé sur les revenus mensuels bruts des employés (complété par un montant équivalent apporté par leurs employeurs) devant les tribunaux, le déclarant « discriminatoire et irrationnel », ainsi qu'anticonstitutionnel. Alors que le gouvernement loue le projet pour son potentiel à créer des centaines de milliers d'emplois dans le secteur de la construction et à combler la pénurie de logements du pays, les critiques affirment que les travailleurs qui ont déjà été durement touchés par la flambée du coût de la vie au cours des dernières années ne peuvent pas supporter de charges fiscales supplémentaires.

Dans un arrêt du 26 janvier, la Cour d'appel du Kenya a conclu que le prélèvement avait également été introduit sans cadre juridique approprié, confirmant un arrêt de novembre 2023 de la Haute Cour qui avait jugé que la Loi sur les finances de 2023 avait violé l'article 10.2 (a) de la Constitution.

Le prélèvement avait été déduit des salaires des employés depuis juillet 2023. Les travailleurs salariés du secteur formel représentent environ 16 % de la population active totale. Toutefois, le gouvernement n'a pas avancé de proposition claire sur la manière dont les travailleurs du secteur informel seraient taxés par le système, même lorsque leurs revenus sont plus élevés que ceux des travailleurs salariés.

Le projet est en outre embourbé dans des manœuvres politiques démagogiques, l'actuel président William Ruto se l'appropriant comme projet phare de son premier mandat et promettant de le poursuivre, en dépit des protestations des travailleurs qui estiment que ce projet ne profitera qu'aux quelques travailleurs de la classe moyenne qui gagnent suffisamment d'argent et bénéficient d'une sécurité de l'emploi suffisante pour contracter un prêt hypothécaire sur 15 ou 20 ans.

Des controverses ont par ailleurs éclaté quant à la propriété des terrains sur lesquels les logements sont construits, certains gouvernements locaux se plaignant d'être contraints de céder des terrains pour les construire et des expulsions ont également eu lieu pour leur laisser la place.

Le fait que les salariés qui financent le programme n'ont aucune garantie de se voir attribuer un logement suscite lui aussi la controverse, car les logements sont attribués à l'issue d'une procédure de mise aux enchères.

« Une approche multidimensionnelle est nécessaire »

Au début du mois, l'université publique, l'Université des sciences et technologies Jaramogi Oginga Odinga, est devenue la première institution à annoncer qu'elle allait rembourser les déductions, dans ce qui pourrait créer un précédent. La Fédération des employeurs du Kenya a également conseillé à ses membres de cesser immédiatement de déduire le prélèvement pour le logement sur les salaires des employés.

Selon Wahome Thuku, avocat à Nairobi, les employeurs n'ont désormais plus aucune base légale pour imposer ces déductions. « Le pouvoir judiciaire n'a pas empêché le président William Ruto et son gouvernement de construire des logements ni d'embaucher qui que ce soit sur les chantiers de construction. Il est également libre d'utiliser tous les terrains du gouvernement pour construire des appartements. Ce qu'il ne doit pas, ne peut pas et ne fera pas, c'est collecter de l'argent auprès des salariés kenyans pour financer ces projets. C'est cela que le tribunal a bloqué ».

Le gouvernement, par l'intermédiaire du Procureur général, avait la possibilité de faire appel de la décision devant la Cour suprême, mais M. Thuku a exprimé ses doutes quant à la possibilité que la plus haute juridiction casse une décision prise par deux juridictions inférieures.

Selon l'ONG internationale Habitat for Humanity, bien qu'il soit louable que le gouvernement se concentre sur le logement abordable pour les personnes à revenus moyens, il est important qu'il s'intéresse également aux solutions de logement social qui donnent la priorité aux besoins des personnes les plus vulnérables.

« Concernant la récente décision de la Cour d'appel d'arrêter les déductions, Habitat for Humanity Kenya reconnaît la complexité de la question et respecte les procédures juridiques concernées. Nous pensons qu'une approche multidimensionnelle est nécessaire pour répondre efficacement aux besoins en logements des travailleurs et pauvres dans les villes », déclare à Equal Times Anthony Okoth, le directeur national d'Habitat for Humanity Kenya.

Cette approche devrait inclure « l'utilisation de mécanismes de financement innovants », tels que la microfinance immobilière et les partenariats public-privé, explique M. Okoth, afin de permettre aux individus et aux communautés d'accéder à des solutions de logements abordables.

« Il est également nécessaire de mettre en place une planification urbaine globale qui intègre le logement aux services essentiels tels que l'eau, l'assainissement et l'énergie, tout en abordant les questions de propriété foncière et de réforme politique dans le but de créer un environnement propice au développement immobilier durable », ajoute-t-il.

25.03.2024 à 08:00

Les Uru Morato, les « hommes de l'eau » tentent de survivre à la disparition du Lac Poopó en Bolivie

Nils Sabin, Sara Aliaga Ticona

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Dans l'Altiplano bolivien, à plus de 4.000 mètres d'altitude, la communauté de Puñaca Tinta María du peuple Uru Morato lutte pour ne pas disparaître. Pendant des siècles, les Uru Morato ont vécu sur des îles du lac Poopó, d'où leur surnom « d'hommes de l'eau ».
Mais depuis 2015, ce lac est complètement asséché, transformant radicalement leur mode de vie. La disparition du Poopó est due à plusieurs facteurs, parmi lesquels, les exploitations minières de zinc et d'étain très gourmandes en eau, la culture du (...)

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Dans l'Altiplano bolivien, à plus de 4.000 mètres d'altitude, la communauté de Puñaca Tinta María du peuple Uru Morato lutte pour ne pas disparaître. Pendant des siècles, les Uru Morato ont vécu sur des îles du lac Poopó, d'où leur surnom « d'hommes de l'eau ».

Mais depuis 2015, ce lac est complètement asséché, transformant radicalement leur mode de vie. La disparition du Poopó est due à plusieurs facteurs, parmi lesquels, les exploitations minières de zinc et d'étain très gourmandes en eau, la culture du quinoa et le réchauffement climatique qui réduit les pluies et favorise l'évaporation dans l'Altiplano. En plus de cela, la communauté fait actuellement face à une intense sécheresse et il ne reste plus qu'un seul puits pour tous les habitants.

Les photos de ce reportage font partie d'une exposition photographique réalisée par Sara Aliaga Ticona, artiste plasticienne et journaliste. En collaboration avec la communauté, elle a réalisé cette exposition photographique et un court documentaire, intitulé Urus, del agua vengo, où il dépeint la vision du monde, la lutte et la résilience de ce peuple ancestral qui risque plus que jamais de disparaître, ce qui signifierait une perte irréparable pour la Bolivie.

La nation Uru Murato a fondé sa cosmovision sur sa relation avec l'eau, un lien si profond que ce peuple est connu sous le nom d' « hommes de l'eau ». 15 juin 2023, Oruro.

Photo: Sara Aliaga Ticona

« Nous n'avons pas d'eau, nous ne pouvons pas planter et cultiver parce que nous n'avons pas la terre pour cela », se désole Erasmo Zuna, 33 ans, le dirigeant de la communauté. Les dix familles qui vivent encore à Puñaca Tinta María font face à un double défi : tout d'abord développer des activités économiques pour continuer à vivre sur leur territoire ancestral et ensuite réussir à conserver des récits, des souvenirs pour que l'identité et la cosmovision du peuple Uru Morato ne disparaissent pas complètement.

Portrait d'une artisane du peuple Uru Murato, María Choque, dans la communauté de Puñaca Tinta María, municipalité de Poopó. 15 juin 2023.

Photo: Sara Aliaga Ticona

« Avant, nous vivions du lac, de ses poissons, nous chassions les oiseaux qui vivaient sur le Poopó. Nous vivions sur des îles et n'allions presque jamais sur la terre ferme » , raconte Maria Choque, une artiste de la communauté. Sur ses toiles en broderie, elle retrace l'ancienne vie lacustre de son peuple.

Une vie au milieu des roseaux, rendue possible par l'abondance du lac. « Aujourd'hui, nous sommes abandonnés, personne se souvient de nous, il n'y a pas d'eau ou de terres à cultiver, aucune autorité ne nous aide. » De nombreux habitants sont partis dans d'autres régions de Bolivie ou à l'étranger, faute d'envisager un avenir à Puñaca Tinta María.

Vue aérienne de la ville de Poopó, contaminée par une intense activité minière. 13 juin 2023.

Photo: Sara Aliaga Ticona

Les Uru Morato doivent également faire face à l'industrie minière, très importante dans cette zone riche en zinc et en étain, qui a participé à l'assèchement du lac Poopó et qui contamine le territoire de la communauté et notamment l'unique puits. « Regardez le puits, vous avez envie de boire son eau ? » , demande Erasmo Zuna en faisant visiter la communauté. Entre deux planches de bois, il est possible d'apercevoir une eau aux reflets huileux. Les tests menés il y a quelques semaines ont révélé la présence de métaux lourds comme le plomb ou le mercure. « Sans aide extérieure pour acheter de l'eau, on n'a pas le choix, on doit tous boire l'eau de ce puits » , continue, d'un air résigné, le leader de la communauté. Les autres communautés à proximité sont aussi affectées par ce problème.

Le chef de la communauté Uru Murato située à Puñaca Tinta María, municipalité de Poopó, Erasmo Zuna alors qu'il tente de chasser un oiseau appelé Pariguana avec un instrument ancestral de son peuple appelé « Liwi », 15 juin 2023, Oruro, Bolivie.

Photo: Sara Aliaga Ticona

Mais tous n'ont pas baissé les bras et plusieurs activités économiques sont en train de voir le jour. La communauté veut notamment miser sur le tourisme local et culturel, une manière de faire découvrir le mode de vie et la cosmovision des Uru Morato.

Abdón Choque, un jeune de la communauté, s'est formé en tourisme communautaire. Il est à l'origine de l'ouverture d'un petit musée à Puñaca Tinta María qui recense les 38 espèces d'oiseaux qui vivaient sur le lac Poopó. « Chaque espèce avait son utilité », détaille-t-il, « certaines pour la viande, d'autres pour leurs œufs et certaines nous guidaient vers des zones du Poopó riches en poissons » . À terme, il aimerait également recenser les différentes plantes utilisées traditionnellement par les Uru Morato et ouvrir un petit hébergement pour touristes.

Deux autres activités sont également en cours de développement : la production et la vente de sel — favorisée par la salinisation croissante de la zone de l'ancien lac — et la vente d'artisanat sur place et bientôt à Oruro, ville la plus importante du département.

Les chefs du peuple Uru Murato à Puñaca Tinta María, municipalité de Poopó, effectuent un rituel pour demander de l'eau à l'endroit où se trouvait autrefois le lac Poopó, ce rituel n'est effectué que par les sages de la communauté. 14 juin 2023, Oruro.

Photo: Sara Aliaga Ticona

Au sein de la communauté, l'espoir que le lac Poopó revienne un jour existe encore. En effet, ce n'est pas la première fois que le lac disparaît. Entre 1939 et 1944, le Poopó s'était déjà complètement asséché et lors d'autres périodes au XXe siècle, son niveau avait drastiquement baissé, comme par exemple en 1969 et 1973.

Portrait du chef spirituel Felix Mauricio Zuna, alors qu'il effectue un rituel pour demander de l'eau à l'endroit où se trouvait autrefois le lac Poopó, ce rituel n'étant effectué que par les sages de la communauté. 14 juin 2023.

Photo: Sara Aliaga Ticona

Régulièrement, les chefs Uru Morato réalisent un rituel sacré pour faire tomber la pluie et que l'eau revienne. Erasmo Zuna, Felix Mauricio Zuna, l'ancien de la communauté, et Pablo Flores se rendent au cerro Jututilla, un lieu spirituel important pour leur peuple : « Cette colline est comme un dieu pour nous », raconte Erasmo Zuna, « donc on lui demande que le lac revienne. De leur temps, mes grands-parents disaient, « d'ici dix ans, le lac reviendra » et ça fonctionnait. C'est pour ça qu'on suit ces us et coutumes. »

22.03.2024 à 05:00

Les paysans en lutte pour l'accès à la terre et l'acquisition de la souveraineté alimentaire dans le monde entier

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Du 1er au 8 décembre 2023, la 8e Conférence internationale de La Via Campesina (LVC) s'est tenue à Bogota, en Colombie. L'événement a réuni plus de 400 petits exploitants agricoles représentant quelque 200 millions de producteurs de denrées alimentaires à petite échelle, appartenant à 182 mouvements dans 81 pays du monde. Pour la première fois depuis la pandémie de Covid-19, les militants ont pu se réunir en présentiel pour discuter des questions les plus pressantes pour les paysans du monde entier et pour (...)

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Du 1er au 8 décembre 2023, la 8e Conférence internationale de La Via Campesina (LVC) s'est tenue à Bogota, en Colombie. L'événement a réuni plus de 400 petits exploitants agricoles représentant quelque 200 millions de producteurs de denrées alimentaires à petite échelle, appartenant à 182 mouvements dans 81 pays du monde. Pour la première fois depuis la pandémie de Covid-19, les militants ont pu se réunir en présentiel pour discuter des questions les plus pressantes pour les paysans du monde entier et pour élaborer un programme commun. L'événement a également marqué le 30e anniversaire d'un mouvement qui a vu le jour à Mons, en Belgique, en 1993.

Parmi l'éventail de thèmes abordés – tels que la justice climatique, le féminisme et l'agroécologie – la lutte pour l'accès à la terre et la réforme agraire s'est imposée comme l'un des piliers essentiels de l'accès à la nourriture et de la souveraineté alimentaire, ainsi que de la justice sociale au sens le plus large du terme.

L'un des exemples les plus criants de la corrélation qui existe entre l'accès à la terre, la souveraineté alimentaire et la justice sociale nous vient de Palestine, où, après des décennies d'occupation violente, plus de 30.000 Palestiniens ont été tués dans le bombardement de Gaza, alors même que l'accaparement des terres par les colons israéliens en Cisjordanie ne cesse de s'intensifier, avec un bilan de plus en plus meurtrier.

Selon les données les plus récentes de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), près de 42,6 % de l'ensemble des terres cultivables de Gaza ont été endommagées. Ce problème s'étend à la Cisjordanie, où 50 % des cultivateurs de légumes ont été empêchés d'accéder à leurs terres au moins une fois. Selon les Nations Unies, plus d'un demi-million de personnes sont menacées de famine imminente.

« Les paysans palestiniens souffrent et sont empêchés d'avoir accès à leurs terres. C'était le cas même avant 1948 et c'est toujours le cas aujourd'hui. Des oliviers de plus de 600 ans sont abattus pour donner des terres aux colons », explique Hatem Aouini, du mouvement Million de femmes rurales et sans terre de Tunisie.

« Les colons s'opposent à la souveraineté alimentaire des Palestiniens, à leur accès à la terre et à leur existence-même. C'est pourquoi la Palestine est au cœur du combat que mène La Via Campesina dans le monde entier. »

Face à une crise alimentaire d'une ampleur sans précédent, entraînée par les conflits, les chocs économiques, les extrêmes climatiques et la flambée des prix des engrais, LVC poursuit son action en faveur de la souveraineté alimentaire comme solution à cette situation d'urgence.

« Le capitalisme est la principale cause des problèmes actuels. Nous nous trouvons face à un système alimentaire mondial défaillant qui produit tellement de nourriture que si vous redistribuiez le tout, il y aurait plus qu'assez pour nourrir les huit milliards d'habitants de la planète. Et pourtant, ce système coexiste avec [presque] un milliard de personnes souffrant de faim chronique », explique à Equal Times Jun Borras, professeur d'études agraires à l'Institut international d'études sociales de l'université Erasmus aux Pays-Bas et l'un des fondateurs de LVC.

Depuis trois décennies, LVC œuvre à l'autonomisation des paysans dans le monde entier avec un objectif fondamental : l'acquisition de la souveraineté alimentaire, un concept défini par le l'organisation comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement saines et durables, et leur droit de définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ».

Bien que différents facteurs soient requis pour acquérir la souveraineté alimentaire, LVC estime qu'un accès plus équitable à la terre est essentiel pour garantir le droit des personnes à des produits alimentaires sains et durables. « Il est inconcevable de parler de souveraineté alimentaire sans accès démocratique à la terre. Comment peut-on promouvoir l'agroécologie sans démocratiser ce même système agroécologique pour ce qui concerne la terre et la nature ? C'est impossible », souligne M. Borras.

Selon une enquête réalisée en 2020, les 10 % les plus riches de la population rurale dans les pays de l'échantillon accaparent 60 % de la valeur des terres agricoles, tandis que les 50 % les plus pauvres, généralement plus dépendants de l'agriculture, ne contrôlent que 3 % de cette valeur. L'étude conclut que l'inégalité foncière est plus importante que ce qui avait été rapporté précédemment et qu'elle menace les moyens de subsistance d'environ 2,5 milliards de personnes dans le monde qui pratiquent l'agriculture à petite échelle.

La lutte pour la terre et l'acquisition de la souveraineté alimentaire

La situation de la Palestine ne constitue pas un cas isolé de recours à la violence en vue de l'appropriation des terres d'un groupe de personnes. Selon M. Borras, les atrocités commises actuellement contre les musulmans rohingyas au Myanmar [ndlr : depuis 2016-2017] présentent certaines similitudes.

« Le gouvernement militaire du Myanmar, qui a pris le pouvoir par la force à la suite d'un coup d'État en 2021, a incendié des [de nombreux] villages. Il s'agit d'une forme d'accaparement des terres qui vise, non pas, à produire quelque chose, mais au contraire. Il s'agit de s'assurer que rien ne puisse être produit afin d'affamer les groupes de résistance. » D'autres facteurs qui contribuent à l'inégalité foncière sont les inégalités de genre, les inégalités sociales et politiques ainsi que les forces du marché.

L'agro-industrie et le secteur minier sont deux exemples de forces du marché qui favorisent l'accumulation foncière et conduisent à la dégradation de l'eau et des sols. Cette situation a des répercussions sur les paysans, les pêcheurs et les femmes du monde entier, limitant leur accès à la terre et la possibilité de subvenir à leurs besoins grâce à l'agriculture.

Selon Josana Pinto, du Mouvement des hommes et des femmes de la pêche artisanale (MPP, Movimento de Pescadores e Pescadoras Artesanais, en portugais) au Brésil, la contamination de l'eau par les activités minières, la limitation de l'accès à la terre par les grandes industries et la destruction des mangroves par les élevages de crevettes sont quelques-uns des plus grands défis auxquels se heurtent les hommes et les femmes de la pêche artisanale au Brésil. « Pour nous, sans accès à nos territoires, nous n'avons ni production, ni histoire, ni vie », dit-elle.

« Alors que le Banc rural [une fraction puissante au sein du Congrès national du Brésil alliée aux intérêts de l'agrobusiness] continue de veiller aux profits de l'agro-industrie, notre mouvement, lui, est un mouvement populaire. Nous sommes alignés avec les autres mouvements de La Via Campesina et nos frères et sœurs indigènes. Nous pensons que seul le syndicat peut faire la différence et garantir nos droits à la terre et à l'eau », ajoute Mme Pinto.

Partout dans le monde, des mouvements de paysans et de pêcheurs s'organisent pour défendre leurs droits fonciers et acquérir la souveraineté alimentaire. Cela va d'actions directes, telles que l'occupation de terres, aux actions légales, telles que les projets de loi ou la création de réserves paysannes.

Certaines de ces luttes sont également associées à d'autres types d'inégalités, comme au Sri Lanka, où la dimension de genre est directement liée à l'inégalité en matière de droits fonciers. En 2020, les femmes se sont vu garantir des droits de succession foncière par le biais d'une loi portant modification de l'ordonnance sur le développement foncier (Land Development Ordinance Amendment Act).

« De nombreux cas se sont présentés où des femmes ont dû quitter leur terre parce que le frère aîné est venu en disant : “Cette terre ne t'appartient pas. Tu dois partir.” Dans ces cas, on a même assisté à de nombreux actes de violence physique et psychologique », déclare Anuka De Silva, membre de l'organisation Women for Land and Agricultural Reform au Sri Lanka et du comité international de coordination de LVC.

En Tunisie, après la révolution de 2011, une vague d'occupations a eu lieu dans le sud du pays, près de la ville de Kébili. Pour M. Aouini, le cas de l'occupation des terres par l'Association pour la protection de l'oasis de Jemna est un exemple à suivre. Cette plantation de dattes, d'abord exploitée par les colons français puis par l'État tunisien, est aujourd'hui gérée par la communauté. Cinq ans après son occupation, la communauté a réussi à doubler la production de cette exploitation, d'une superficie de 185 hectares, engendrant d'importants bénéfices pour la population locale.

« Aujourd'hui, les bénéfices sont redistribués dans le cadre d'une coopérative. Une partie va aux petits paysans, et le reste pour améliorer les conditions de vie de la communauté. Ils ont acheté une ambulance, construit une école et un terrain de football pour les enfants », explique Hatem Aouini.

En Tunisie, la vague d'occupations a été réprimée à coups de poursuites judiciaires par l'État, ce qui a entraîné la faillite de nombreuses exploitations agricoles occupées. « Malheureusement, après l'occupation des terres, nombre de nos camarades ont été arrêtés, incarcérés, et jusqu'à aujourd'hui – alors que plus de dix années se sont écoulées – ils n'ont toujours pas fini d'en découdre avec les tribunaux », a déclaré M. Aouini. Malgré ces revers, les mouvements paysans en Tunisie continuent de se mobiliser pour acquérir la souveraineté alimentaire. Ils sont inspirés, notamment, par le succès de la plantation de dattes de Jemna et du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) au Brésil, où 370.000 familles se sont installées sur 7,5 millions d'hectares de terres, ce qui leur a permis d'accéder à la scolarisation, aux crédits agricoles et aux soins de santé.

« Nous pensons que l'occupation est une tactique révolutionnaire qui peut aider les petits paysans à accéder à la terre. Néanmoins, les coopératives, les sociétés communautaires, l'économie solidaire et d'autres alternatives peuvent également constituer une solution pour les jeunes, les femmes et les petits paysans qui souhaitent accéder à la terre », explique M. Aouini.

En 2020, les pêcheurs brésiliens ont déposé une proposition de loi visant à reconnaître et à garantir le droit au territoire des communautés de pêche traditionnelles, entendu comme un patrimoine culturel matériel et immatériel. « Pour l'heure, nous avons soumis un projet de loi d'initiative populaire au Congrès national. Nous visons à travers ce projet à régulariser nos territoires afin de garantir la souveraineté alimentaire et de meilleures conditions de vie pour tous », a indiqué M. Pinto.

La Colombie progresse également dans la protection des droits fonciers des communautés paysannes grâce à la création de Zones de réserve paysanne (ZRP). Jusqu'à présent, le pays compte 12 de ces ZRC qui couvrent une superficie totale d'environ 403.000 hectares. Cinq d'entre elles ont été créées sous l'actuel gouvernement de gauche de Gustavo Petro. La création de ces zones vise à privilégier les pratiques agricoles traditionnelles par rapport aux monocultures, à limiter l'accaparement des terres par l'agro-industrie et à servir de zone tampon pour limiter l'impact du développement sur les zones protégées.

Pour M. Borras, la lutte pour la souveraineté alimentaire est un processus et il reste encore beaucoup à faire. « Les luttes pour la démocratisation de l'accès à la terre sont trop dispersées et trop peu nombreuses », reconnaît M. Borras. « À l'heure qu'il est, quelque 100 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde entier. Ces personnes ont besoin de terres pour reconstruire leur vie et restaurer leurs communautés, or pas une seule politique de restitution efficace n'a encore vu le jour dans le monde jusqu'à présent. »

Malgré tous ces défis, M. Borras continue de voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. « Nous savons qu'il n'y a pas d'avenir pour ce système alimentaire capitaliste. Il est voué à disparaître, mais il n'a pas encore rendu son dernier soupir. Entre-temps, les militants pour la souveraineté alimentaire sont comme un collectif de sage-femmes qui assistent à la naissance d'un nouveau système. »

18.03.2024 à 05:00

En Macédoine du Nord, face à l'impunité des employeurs et la violation de leurs droits des ouvrières du textile se mobilisent

Louis Seiller

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Bien visibles dans le centre comme à l'entrée de Shtip, des peintures murales interpellent le regard des passants. Du fil, des aiguilles, et surtout des mains se détachent au milieu des habituels tags et slogans footballistiques. Ces mains expertes sont celles des couturières de l'est de la Macédoine du Nord. Leurs représentations artistiques n'apportent pas seulement de la couleur aux murs gris de Shtip.
« Les femmes qui travaillent dans les usines textile sont l'identité même de la région », (...)

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Texte intégral (1919 mots)

Bien visibles dans le centre comme à l'entrée de Shtip, des peintures murales interpellent le regard des passants. Du fil, des aiguilles, et surtout des mains se détachent au milieu des habituels tags et slogans footballistiques. Ces mains expertes sont celles des couturières de l'est de la Macédoine du Nord. Leurs représentations artistiques n'apportent pas seulement de la couleur aux murs gris de Shtip.

« Les femmes qui travaillent dans les usines textile sont l'identité même de la région », explique Kristina Ampeva, la fondatrice de l'organisation Glasen Tekstilec qui est à l'origine de ces fresques militantes. « Il fallait leur rendre hommage, leur rendre leur fierté. »

Depuis 70 ans, la ville de Shtip fait figure de place-forte de l'industrie du textile en Macédoine du Nord. Le secteur est en perte de vitesse, mais il emploie encore près de 30.000 personnes, un chiffre considérable dans ce pays de 2 millions d'habitants.

Chaque matin, des milliers d'ouvrières sont amenées en bus dans les nombreuses usines des banlieues nord-macédoniennes. Kristina Ampeva y a elle-même travaillé neuf ans comme couturière. Cette trentenaire déterminée en garde un souvenir amer, mais il a nourri son engagement. « Il n'y avait personne pour vous expliquer vos droits et vos conditions de travail. Quel doit-être le montant de votre salaire, combien d'heures vous devez travailler et combien sont payées les heures supplémentaires, etc. Qui est censé vous aider si vos droits sont bafoués ? Rien n'était expliqué. C'est pour ça qu'on a lancé Glasen Tekstilec : pour se battre pour les droits des travailleuses du textile. »

En Macédoine du Nord, des centaines d'usines confectionnent vêtements et chaussures pour des grandes marques européennes. La difficulté des conditions de travail dans ces ateliers n'est un secret pour personne, pourtant les violations généralisées du code du travail ont longtemps été passées sous silence.

Depuis son lancement en 2017, Glasen Tekstilec recueille quotidiennement des témoignages édifiants. « Les conditions dans l'usine étaient désastreuses », résume Dimitrinka dans le bureau de l'organisation. Cette ancienne ouvrière d'une soixantaine d'années a travaillé pendant plus de 20 ans dans l'un des principaux ateliers de Shtip.

« Il faisait froid parce qu'il n'y avait même pas de chauffage. On devait amener notre propre matériel de couture. C'était sale, les toilettes étaient toujours fermées. On était payées en dessous du salaire minimum ! »

En 2021, alors que leur entreprise connaît des difficultés, Dimitrinka et ses collègues sont privées de salaires pendant plus de trois mois. « Alors on a cherché de l'aide auprès de Kristina. Pour qu'elle fasse la médiatrice entre nos employeurs et nous. » Grâce à ses passages réguliers sur les chaînes de télévision, Kristina est devenue en quelques mois l'incarnation de la lutte des femmes du textile. Et le porte-voix de leurs doléances : son téléphone sonne en continu.

Décoré d'immenses affiches qui représentent les couturières en superhéroïnes, armées d'aiguilles et de fil à coudre, le local de son organisation accueille chaque jour des ouvrières démunies face à leurs employeurs peu scrupuleux. Elles y obtiennent gratuitement des conseils, mais aussi une aide légale concrète pour faire valoir leurs droits. Horaires de travail non respectés, salaires versés avec des mois de retard, heures supplémentaires non payées, congés maternité non accordés, etc. Les membres de l'organisation se chargent de rédiger leurs plaintes et de les transmettre aux institutions concernées, et notamment à l'inspection du travail.

La classe ouvrière face au moins-disant social

S'il est en déclin continu depuis de nombreuses années, le secteur du textile représente encore plus de 10 % du PIB nord-macédonien. La quasi-totalité de la production est destinée à l'export, et les usines de la région de Shtip travaillent essentiellement pour des marques allemandes, belges ou italiennes.

Avoir un atelier dans le Sud-Est européen est particulièrement avantageux pour ces grandes entreprises. « Vous avez une main-d'œuvre pas chère comme au Bangladesh ou comme en Chine, mais vous êtes dans les Balkans occidentaux », explique Kristina Ampeva. « En une journée, vous pouvez acheminer votre production n'importe où en Allemagne par exemple. C'est ce qui attire ces compagnies qui ont des usines en Albanie, en Serbie, au Monténégro et en Macédoine du Nord. »

Candidate à l'Union européenne depuis 2005, la Macédoine du Nord dispose sur le papier d'un code du travail plutôt protecteur, mais il est rarement respecté loi dans les ateliers. Les institutions du petit pays restent fragiles, et les employeurs influents ont peu de mal à faire valoir leurs intérêts auprès des décideurs. Selon les spécialistes, les mécanismes de contrôle étatique ne fonctionnent pas.

Le syndicat de l'industrie du textile, du cuir et de la chaussure de Macédoine (Синдикат на работниците од текстилната, кожарската и чевларската индустрија - STKC), affirme tenter d'agir. « Pour chaque violation des droits du travail, nous réagissons, par l'intermédiaire de l'inspection du travail, du médiateur public ou d'une action en justice », explique son président Ljupco Radovski, à Equal Times.

Mais ce n'est pas toujours efficace, puisque « les plaintes déposées par les employés sont la plupart du temps ignorées par l'inspection du travail et le pouvoir judiciaire », constate Branimir Jovanovic, économiste auprès de l'Institut de Vienne des études économiques internationales (WIIW) et ancien conseiller du gouvernement social-démocrate macédonien (2017-2019).

« Dans les rares cas où des mesures sont prises, les sanctions imposées aux entreprises sont minimes et les travailleurs concernés reçoivent rarement une compensation. Cela décourage les travailleurs de signaler les violations dont ils sont victimes et, dans le même temps, les entreprises sont encouragées à enfreindre les lois, car elles savent qu'elles ne subiront aucune répercussion. »

Ce fonctionnement clientéliste, qui favorise l'employeur, est l'une des plaies de nombreuses sociétés d'Europe de l'Est, embarquées depuis trois décennies dans une interminable « transition économique ». Les dérégulations et les privatisations ont accompagné la sortie du socialisme, et la classe ouvrière a été confrontée aux affres du moins-disant social, imposé par le néolibéralisme triomphant. L'économie nord-macédonienne souffre encore de la désindustrialisation post-yougoslave et les responsables politiques déroulent le tapis rouge aux investisseurs étrangers.

« La Macédoine du Nord se trouve géographiquement en Europe, mais c'est un pays typique de la périphérie capitaliste, notamment en ce qui concerne les normes de travail », contextualise Zdravko Saveski, sociologue à l'Institut des sciences sociales et humanités de Skopje (ISSHS). « Si une entreprise occidentale a par exemple besoin de conditions de travail plus flexibles, ce qui implique souvent de violer le droit du travail existant, le gouvernement peut l'aider à y parvenir… quitte à modifier la législation. On l'a encore vu récemment avec le projet de Bechtel-Enka. » Au printemps 2023, ce puissant consortium turco-américain aurait poussé le gouvernement social-démocrate à, entre autres, relever la durée légale hebdomadaire du travail à 60 heures.

En réponse, avec d'autres organisations de la société civile, Glasen Tekstilec, le STKC et la Fédération des syndicats de Macédoine (Сојуз на синдикатите на Македонија - SSM) se sont mobilisés et ont réussi à bloquer le projet de loi provisoirement. Une menace de plus pour les travailleurs, tandis que les scandales de corruption éclaboussent régulièrement la classe politique. Selon une étude du Centre macédonien pour la coopération internationale (CMCI), la corruption est ainsi la première préoccupation des citoyens.

10 % des travailleurs de Macédoine du Nord vivent dans la pauvreté

Forte de son expertise mise au service des ouvrières du textile, Glasen Tekstilec s'est imposée comme un interlocuteur dans le dialogue social. L'organisation a notamment contribué à certaines augmentations du salaire minimum, passé de 130 euros, il y a dix ans, à 320 euros aujourd'hui.

Kristina Ampeva et ses collègues conseillent également les rares employeurs de la région qui respectent le code du travail. C'est le cas de l'usine familiale de Hristian Velkov à Sveti Nikolé, une petite ville située à 30 kilomètres de Shtip. « Ici, on propose des conditions de travail bien différentes de celles des autres entreprises de la région », affirme ce styliste de 22 ans qui compte reprendre la direction de l'usine après son père. « Nos ouvrières travaillent 40 heures par semaine et les salaires varient de 25 000 à 34 000 dinars (400 à 560 €). Deux jours supplémentaires par mois sont payés au taux horaire majoré de 35 %. »

Glasen Tekstilec devrait prochainement se transformer en un véritable syndicat et le jeune patron ne s'oppose pas à son implantation dans son atelier. « Il faut proposer des bonnes conditions pour que les jeunes restent travailler dans notre pays. »

Alors que l'inflation galopante liée aux tensions internationales a exacerbé les inégalités et encore un peu plus précarisé les employés du secteur privé, la question de l'augmentation des salaires est au cœur des revendications ouvrières.

Selon beaucoup d'experts, la filière du textile pourrait ne pas survivre aux bouleversements actuels. « Près de 10 % des travailleurs de Macédoine du Nord vivent dans la pauvreté, l'un des taux les plus élevés d'Europe », s'inquiète l'économiste Branimir Jovanovic. « Dans le même temps, les 1 % les plus riches du pays gagnent 14 % du revenu national total, et ces disparités économiques sont les plus évidentes dans les usines textiles. Personne ne veut travailler dans cette filière quand les salaires sont si bas, le travail dur, les conditions mauvaises et que les ouvriers savent que les propriétaires empochent tous les profits. Si les choses ne changent pas rapidement, l'industrie textile s'éteindra lentement. »

Déjà durement éprouvée par la crise de 2008 et la pandémie de Covid-19, l'industrie textile nord-macédonienne vit-elle ses derniers jours ? Les conditions de travail dans le secteur rebutent la jeunesse qui préfère émigrer en Allemagne, et, faute de main-d'œuvre, de plus en plus d'entreprises européennes délocalisent leurs ateliers en Afrique du Nord.

« Le secteur s'effondre, car personne n'endosse la responsabilité pour toutes ces entreprises qui ne paient pas les salaires de leurs travailleurs », accuse Kristina Ampeva, infatigable. « C'est malheureusement un secteur économique criminel et nos politiques soutiennent ces pratiques criminelles. C'est à cause de ce système que nos jeunes et nos travailleurs en bonne santé quittent le pays. »

15.03.2024 à 05:00

Yaya Coulibali, artiste malien menacé par des djihadistes : « Le théâtre de marionnettes est la somme de tout l'imaginaire collectif humain »

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Né en 1959 dans le village de Koula, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale malienne Bamako, le maître marionnettiste vétéran Yaya Coulibali a plus d'un demi-siècle d'expérience dans le théâtre de marionnettes, ce qui lui a valu de voyager dans le monde entier pour présenter son art. Descendant de l'illustre lignée qui a régné sur le royaume animiste bambara de Ségou (1721-1861), son père lui a confié l'apprentissage et la transmission du rôle de marionnettiste qui, dans la culture malienne, (...)

- Entretiens / , , , , , , ,
Texte intégral (1853 mots)

Né en 1959 dans le village de Koula, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale malienne Bamako, le maître marionnettiste vétéran Yaya Coulibali a plus d'un demi-siècle d'expérience dans le théâtre de marionnettes, ce qui lui a valu de voyager dans le monde entier pour présenter son art. Descendant de l'illustre lignée qui a régné sur le royaume animiste bambara de Ségou (1721-1861), son père lui a confié l'apprentissage et la transmission du rôle de marionnettiste qui, dans la culture malienne, englobe un large éventail de connaissances dépassant le cadre du théâtre. Et c'est à cette mission qu'il a consacré toute sa vie.

Il en va d'un engagement artistique mais aussi politique, dans la mesure où le théâtre de marionnettes est aujourd'hui la cible des groupes djihadistes qui contrôlent une partie du pays, mais non la capitale, Bamako, où il vit. Celui-ci considère en outre de son devoir de transmettre aux jeunes générations la valeur de la culture autochtone dont la survie est menacée par l'émigration massive vers les pays occidentaux.

Dans le cadre du 24e Festival international de théâtre de Carthage (Tunisie) célébré en décembre dernier, M. Coulibali, qui était au nombre des invités de marque de cet événement, a accordé un entretien à Equal Times, l'occasion de nous faire découvrir la place qu'occupe son art dans le contexte africain.

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Comment définiriez-vous le théâtre de marionnettes ?

Mon père en donnait une définition que j'aime beaucoup : le théâtre de marionnettes est la somme de tout l'imaginaire collectif humain. Il englobe en effet un éventail de disciplines artistiques différentes : parmi elles, le conte, le chant et la danse, et bien d'autres encore. Le théâtre de marionnettes est le premier art vivant de l'humanité. Le reste est venu par après. Il s'agit d'une discipline artistique de portée universelle dont les premières manifestations ont pu être retracées à travers le monde sur une période qui remonte à entre 4.000 et 10.000 ans. Au Mali, le théâtre de marionnettes est un art très ancien, qui touche aux racines de notre culture. Il y a plus de 700 ans, l'explorateur arabe Ibn Battûta évoquait déjà dans ses chroniques de voyage le rôle des marionnettes.

Pourquoi sont-elles si importantes au Mali ?

Traditionnellement, les spectacles de marionnettes ont rempli un large éventail de fonctions sociales, où les marionnettistes ont assumé, tour à tour, le rôle de dramaturge, de guérisseur, de sorcier et de théologien. Une croyance veut par exemple que le théâtre de marionnettes serve de canal pour la résurrection des ancêtres, permettant même à certaines personnes d'entrer en transe et de communiquer avec eux. Le marionnettiste contribuait également à guérir certains problèmes de santé. Il faisait office d'orthopédiste lorsqu'une personne se cassait un os et qu'il fallait lui poser une attelle. Aujourd'hui, des études scientifiques menées en France démontrent l'effet que peuvent avoir les marionnettes sur la guérison d'enfants atteints de maladies psychosomatiques.

Il est parfois question du rôle des marionnettistes dans la cohésion sociale, que pouvez-vous nous en dire ?

Bien entendu, ils contribuent à renforcer le tissu social, le vivre-ensemble. Les marionnettes jouent un rôle fondamental dans la transmission des savoirs, des mythes ancestraux et de l'histoire de la communauté, notamment. En somme, de la culture. Le théâtre de marionnettes constitue un moyen nettement plus efficace de transmettre des messages et des connaissances aux générations de demain. Autrefois, de nombreux festivals étaient organisés dans les villages et permettaient aux enfants d'être au contact de la culture. Ces événements revêtaient une valeur véritablement socialisante. Autre exemple de leur importance en tant qu'outil de cohésion sociale : à l'arrivée de la saison des pluies, les marionnettes sacrées sortaient danser dans la rue pour annoncer la fête des semailles. Venait ensuite le temps des récoltes, c'était l'occasion de remercier le ciel de nous avoir nourris. Tout le monde sortait danser dans une atmosphère de fraternité.

De telles coutumes doivent revêtir une importance d'autant plus grande à l'heure où le Mali est en proie à la violence des djihadistes…

Le djihadisme représente une nouvelle forme de banditisme. Cela n'a rien à voir avec notre peuple. Au Sahel, la bonne entente a toujours régné entre nous. Le problème, c'est qu'après la mort de [Mouammar] Kadhafi, les groupes extrémistes ont essaimé, le désordre s'est installé et la région est devenue un eldorado pour les trafiquants en tout genre. Nous devons être capables de promouvoir l'unité dans la diversité. Nous, les marionnettistes, avons toujours eu un problème avec les religions, et avec le pouvoir en général, parce que nous exprimons la vérité. Et à présent, nous sommes la cible des djihadistes, pour qui la représentation de l'être humain est une hérésie.

Sur le plan personnel, que représentent pour vous les marionnettes ?

Elles sont ma vie. Je suis né un jour consacré à une célébration spirituelle et, selon mon peuple, les Bambaras, j'étais donc destiné à être le dépositaire du savoir ancestral, même si je n'étais pas le fils aîné. Le métier de marionnettiste se transmet de père en fils, une tradition qui, dans ma famille, remonte au 11e siècle. Pour toutes ces raisons, ma famille ne souhaitait pas que je poursuive mes études [secondaires], et surtout pas dans la capitale. Elle craignait que je renonce à cette responsabilité. Ce qui, du reste, ne risquait pas d'arriver car les marionnettes ont toujours été pour moi une passion. Toute ma vie, je me suis battu pour que le théâtre de marionnettes soit reconnu dans la sphère francophone, car il n'y a pas si longtemps, il était encore considéré comme un art mineur. Cette discipline représente un patrimoine culturel central pour l'ensemble du continent africain.

Êtes-vous optimiste quant à l'avenir de l'Afrique ?

Absolument, car l'Afrique est très riche. N'oublions pas que c'est ici qu'est née l'humanité, avant de s'étendre au reste du monde. Je pense que tôt ou tard l'humanité reviendra en Afrique. Nous sommes le berceau de la culture mondiale. Cependant, nous courons aujourd'hui un risque, qui est celui d'une perte de la transmission des connaissances, car les jeunes émigrent en grand nombre. C'est pourquoi, un de mes combats est de donner du courage aux jeunes, de leur servir de référence. Il nous appartient, à nous, Africains, de valoriser davantage ce que nous avons et ce que nous sommes, c'est-à-dire la culture, une valeur qui n'est pas tangible et qui ne peut être achetée et vendue, comme l'argent. En Occident, vous avez un autre problème avec les jeunes, celui des écrans, qui sont nocifs, car ils empêchent les jeunes de se concentrer.

Comment définiriez-vous votre style de fabrication des marionnettes ?

Je m'y suis initié en suivant la méthode traditionnelle, que j'ai toutefois enrichie grâce à mes contacts à l'extérieur. J'ai suivi une formation en France, puis j'ai voyagé dans le monde entier. Nos marionnettes traditionnelles étaient des marionnettes à tige, et celles portées sur les épaules, mais c'est en Occident que j'ai appris à fabriquer des marionnettes à fil. On peut donc dire que mon travail est aujourd'hui le fruit d'une fusion. Chaque pays à sa tradition propre. J'aime beaucoup celles du Laos et de l'Indonésie.

Vos marionnettes ont toutes des couleurs très vives. Que symbolisent ces différentes couleurs ?

Au Mali, nous sommes un pays de couleurs, et dans l'art de la marionnette, celles-ci sont particulièrement importantes du fait qu'autrefois, nous jouions dans la pénombre, au clair de lune, et que les marionnettes devaient pouvoir être vues de loin. Une couleur importante est le jaune, qui symbolise les ancêtres et la vie. Le jaune, après tout, est la couleur de l'aube, du soleil, mais aussi celle des premiers excréments d'un nouveau-né. Le blanc symbolise la déesse de la purification, mais aussi la mort, car il s'agit de la couleur des excréments du crocodile. Alors que le bleu et le vert sont associés à mère nature.

Certaines marionnettes représentent des êtres humains et d'autres des animaux, que nous transmettent-elles ?

[Selon le groupe,] elles portent des noms différents. Celles qui représentent des êtres humains sont appelées manis, et celles qui représentent des animaux sogo. La relation avec les animaux est extrêmement importante à nos yeux. Nous vivons avec eux depuis la nuit des temps et nous avons appris d'eux. Ils sont pour nous une source d'inspiration. Normalement, chaque animal représente un trait de caractère humain. Deux animaux importants dans notre théâtre sont l'hyène et la gazelle.

Quel est le rôle de la femme dans le théâtre de marionnettes au Mali ?

Les femmes occupent une place très importante dans notre culture, elles sont la mémoire de la nation. Selon notre croyance, nous descendons toutes et tous d'une femme dans l'antiquité, qui porte le nom de Pemba. Pour cette raison, la figure de la femme représente Dieu, la création. En effet, dans notre langue, lorsqu'une personne s'éteint, nous disons qu'elle « a rejoint la mère ». C'est aussi pourquoi les défunts sont mis en terre dans la position fœtale. Les femmes assument aussi certaines fonctions particulières lors des festivals de marionnettes. Ce sont, par exemple, elles qui sont chargées de l'accueil des artistes et qui prennent soin des instruments des musiciens.

Quel rêve vous reste-t-il à réaliser ?

Achever la construction de la Maison de la marionnette à Bamako. Celle-ci remplira plusieurs fonctions : elle inclura un théâtre, un musée, ainsi qu'une résidence pour héberger les artistes en formation provenant d'autres régions. Dans le cadre du projet, nous sommes en train de procéder à l'inventaire des quelque 25.000 pièces que je conserve. Un grand nombre d'entre elles font partie de mon héritage familial. Les plus anciennes remontent au sixième siècle. Quant à celles qui m'appartiennent [personnellement], elles doivent être au nombre de quelque 3.000. Les marionnettes doivent être traitées comme des personnes, car il est toujours possible qu'elles assument une nouvelle vie des années plus tard, et qu'elles soient un jour exposées dans un musée.

13.03.2024 à 11:09

Prendre pour cibles les travailleurs essentiels et les infrastructures civiles de Gaza est une attaque contre nous tous et toutes

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Dans toute la bande de Gaza, les agents des services publics sont confrontés à des scènes de dévastation inimaginables : 392 établissements scolaires détruits, 132 puits d'eau hors d'usage, 24 hôpitaux mis hors service et les 11 restants ne fonctionnant que partiellement. L'ensemble du réseau énergétique reste hors d'usage en raison des restrictions d'importation de carburant et des coupures de lignes extérieures. Le manque d'électricité a contraint les usines de dessalement et de traitement de l'eau à (...)

- Opinions / , , , , , , ,
Texte intégral (1625 mots)

Dans toute la bande de Gaza, les agents des services publics sont confrontés à des scènes de dévastation inimaginables : 392 établissements scolaires détruits, 132 puits d'eau hors d'usage, 24 hôpitaux mis hors service et les 11 restants ne fonctionnant que partiellement. L'ensemble du réseau énergétique reste hors d'usage en raison des restrictions d'importation de carburant et des coupures de lignes extérieures. Le manque d'électricité a contraint les usines de dessalement et de traitement de l'eau à fermer, les eaux usées s'écoulant ouvertement dans les rues. Le manque d'installations de lavage oblige de nombreuses femmes à prendre la pilule pour retarder leurs menstruations.

Pourtant, au milieu des décombres et des ruines, on ne renonce pas. Les agents du secteur de l'eau se démènent pour éviter la déshydratation après la destruction des canalisations et des nappes aquifères. Les médecins et les infirmières sauvent des vies tout en craignant pour la leur. Les travailleurs et travailleuses humanitaires sont confrontés à l'impossible tâche de nourrir et de loger une population déplacée de la taille de la ville de Barcelone, dans une « zone de sécurité » de quelques kilomètres carrés.

Gaza est désormais l'endroit le plus dangereux au monde pour exercer la médecine, avec plus de 340 professionnels de la santé décédés. Plus de 150 membres du personnel des Nations unies ont été tués, ce qui représente le plus grand nombre de morts dans un conflit en 78 ans d'histoire de l'organisation.

Comme le dit Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) :

« Dans quel monde vivons-nous lorsque les populations n'ont pas accès à la nourriture et à l'eau, lorsque les travailleurs de la santé risquent d'être bombardés alors qu'ils et elles effectuent leur travail de sauvetage ? »

Les pertes civiles ont été aggravées par des attaques contre des lieux tels que des associations juridiques, des universités, des sièges de syndicats, des télécommunications, des routes, des tours d'habitation et même des bâtiments de l'ONU. Une source des services de renseignement israéliens aurait déclaré que la motivation première de ces attaques était de causer des « dommages à la société civile ». Une autre source déclare : « Rien n'arrive par hasard. Lorsqu'une fillette de trois ans est tuée dans une maison à Gaza, c'est parce que quelqu'un dans l'armée a décidé qu'il n'était pas grave qu'elle soit tuée - que c'était un prix qui valait la peine d'être payé pour atteindre [une autre] cible. »

Il n'est pas nécessaire de répéter que les attaques contre les civils et les infrastructures non militaires sont illégales au regard du droit international des droits humains. Tous les gouvernements et acteurs ont l'obligation, en vertu des Conventions de Genève, de protéger les civils, en particulier celles et ceux qui fournissent des services vitaux dans les zones de conflit. Rendre les droits humains facultatifs ou dépendant du contexte envoie un message dangereux, met en danger les travailleurs travailleuses des services publics et porte atteinte aux droits de chacun et chacune d'entre nous.

Lors de notre 31ème Congrès mondial, qui s'est tenu à Genève du 14 au 18 octobre 2023, l'Internationale des Services Publics (ISP) a condamné les attaques terroristes du 7 octobre 2023 menées par le Hamas, qui ont fait plus d'un millier de morts, et a demandé la libération de tous les otages. Nous avons également noté que la réaction d'Israël de punir collectivement l'ensemble de la population de Gaza pour les actions du Hamas n'était pas justifiée et nous avons appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin du blocus illégal.

« La situation est catastrophique et ne fait qu'empirer »

En janvier, la Cour internationale de Justice a estimé qu'il était plausible qu'un génocide se produise à Gaza et a ordonné à Israël de prendre des mesures. Pourtant, de hauts fonctionnaires occidentaux déplorent qu'il n'y ait eu que peu ou pas d'améliorations, l'un d'entre eux ayant déclaré, selon The Guardian, que « la situation est catastrophique et ne fait qu'empirer ». Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation déclare qu' « Israël détruit les infrastructures civiles, le système alimentaire, cible les travailleurs et travailleuses humanitaires et permet un tel degré de malnutrition et de faim ».

Les témoignages de nos collègues à Gaza reflètent cette évaluation. En décembre, l'ISP a fait entendre la voix d'Ilias Al-Jalda, Vice-Président du Syndicat général des travailleurs et travailleuses de la santé de Gaza, lors d'une réunion d'urgence de l'OMS, afin de garantir qu'ils et elles soient entendus dans ce débat au plus haut niveau. À l'époque, il ne pouvait pas quitter Gaza et se réfugiait avec sa famille et sa mère âgée dans une église sous les bombardements. Il a décrit aux dirigeants mondiaux comment « la bande de Gaza est devenue un lieu où sont régulièrement violés les droits humains ».

Actuellement, 90 % des enfants et des femmes enceintes de Gaza sont confrontés à de graves pénuries de nourriture et d'eau. Les professionnels de la santé signalent que des enfants meurent de déshydratation, de malnutrition et de maladie, et que des centaines de milliers d'autres sont menacés. Le Dr Salama Abu Zaiter nous raconte :

« Même avant la guerre, notre syndicat militait en faveur de la construction d'un hôpital à Rafah, qui faisait cruellement défaut. Aujourd'hui, 1,5 million de personnes s'y trouvent, dont de nombreux enfants souffrant de blessures graves et de maladies que nous sommes tout simplement incapables de traiter. »

Pourtant, 16 pays qui financent l'UNRWA, la principale agence d'aide des Nations unies à Gaza, ont suspendu leurs paiements à la suite d'allégations israéliennes selon lesquelles 12 personnes parmi les 30.000 employés de l'organisation avaient des liens avec l'attentat du 7 octobre. Ces personnes ont été immédiatement licenciées et, bien qu'Israël doive encore fournir à l'ONU des preuves à l'appui de ces allégations, des enquêtes sont en cours.

De nombreux personnels des services publics vous le diront, c'est une tactique courante de la droite réactionnaire que de dénoncer les services publics lorsque des personnes qui y travaillent commettent, ou sont supposées avoir commis, un crime. Il s'agit d'une tactique de manipulation utilisée de manière répétée à des fins politiques par ceux qui veulent saper la fourniture de services publics vitaux et réduire leur financement. Ce n'est pas acceptable dans nos propres pays, et ce n'est pas acceptable à Gaza.

Le Council of Global Unions a clairement déclaré : « La population de Gaza et nos membres dépendent de l'aide vitale apportée par l'UNRWA ». L'UNRWA coordonne 98,5 % de tous les travailleurs et travailleuses humanitaires de l'ONU à Gaza. Sa fermeture serait catastrophique pour les cinq millions de réfugiés qu'elle soutient en Palestine, au Liban, en Jordanie et en Syrie, et risquerait d'alimenter une crise régionale. En Australie, le Conseil australien des syndicats a appelé le gouvernement travailliste à rétablir d'urgence le financement de l'UNRWA. L'Union européenne a déjà rétabli ses contributions à l'UNRWA, et d'autres pays doivent faire de même.

En temps de guerre, les travailleurs et travailleuses essentiels et les services publics sont souvent tout ce qui sépare la vie de la mort. Ce conflit démontre la catastrophe humanitaire causée par leur destruction. Notre mouvement syndical mondial n'acceptera jamais que le meurtre de civils, le bombardement d'infrastructures vitales ou le ciblage de nos camarades soient considérés comme des méthodes de guerre valables - ni à Gaza, ni ailleurs.

NOTE : Vous pouvez faire un don au Fonds de solidarité de l'ISP pour Gaza afin de fournir une assistance humanitaire et un soutien aux travailleurs et travailleuses des services publics.

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