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17.07.2023 à 17:47

«Merci Pierre Palmade !»

Alexis Poulin

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L’affaire Palmade n’est pas un fait-divers. Elle est le symbole éclatant d’un monde basculant dans le Moyen-Âge où rois et serfs se côtoient sans vivre ensemble. Cette tragédie est symptomatique d’une déliquescence institutionnelle qui érige pour seule valeur l’absence de véritable égalité entre ses citoyens. L’accident provoqué par le comédien a permis de mettre en […]

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Texte intégral (2531 mots)

L’affaire Palmade n’est pas un fait-divers. Elle est le symbole éclatant d’un monde basculant dans le Moyen-Âge où rois et serfs se côtoient sans vivre ensemble. Cette tragédie est symptomatique d’une déliquescence institutionnelle qui érige pour seule valeur l’absence de véritable égalité entre ses citoyens.

L’accident provoqué par le comédien a permis de mettre en lumière la rupture irrémédiable entre des élites déconnectées des réalités et une opinion publique fatiguée de l’impunité parfois offerte par la célébrité ou le mandat.

Avant de commencer cet article, nous souhaitons avoir une pensée pour les victimes de Pierre Palmade, dont les vies ont été bouleversées et détruites par l’inconséquence d’un toxicomane multirécidiviste. À ce jour, l’humoriste n’a pas encore été interrogé par le juge d’instruction dans l’attente d’expertises. Il est mis en examen pour homicide et blessures involontaires. Son contrôle judiciaire a été allégé début juin et il reste libre de ses mouvements, sans pouvoir quitter la région Nouvelle-Aquitaine.

Que la fête commence

Dans le film de Bertrand Tavernier, «Que la Fête Commence», la scène finale d’un accident de calèche provoqué par des aristocrates au sortir d’une soirée orgiaque, annonce les ferments de la Révolution. Le film se passe sous la régence, et la mort d’une jeune paysanne, niée par les élites du moment n’est qu’un événement invisible de plus vers la lente sécession du peuple contre l’ordre injuste de l’Ancien Régime.

L’accident de Palmade peut rappeler à bien des égards cette scène, dont les conséquences ne seront visibles que bien des années après. Au coeur d’un brasier, un événement isolé peut tout faire s’embraser.

Tout est présent dans ce tragique accident pour rappeler combien le moment que nous vivons n’est synonyme que de violence pour une majorité de français. Le terme même d’accident pose problème car le mot accident apporte avec lui l’idée d’un hasard, d’une imprévisibilité. Or, que peut-il se passer quand l’argent, le pouvoir, la notoriété et l’ennui se trouvent mêlés ? Une tragédie programmée par l’idée que certains peuvent se permettre des conduites dangereuses, persuadés qu’ils sont de ne pas appartenir au commun des mortels.

Dans le drame qui a eu lieu, une famille innocente, respectueuse de la loi, protégeant ses enfants, devient victime directe des folies des nouveaux aristocrates de l’époque, stars du showbiz, ultra-riches et rentiers de la République. Devant l’indignation légitime du public se met alors en marche une machine à excuses, propulsée par les médias. Car les élites tremblent de se voir accusées pour leurs nombreuses dérives et cherchent alors à protéger la permanence de leurs vies privilégiées, préservées d’un quotidien populaire.

Comme à chaque scandale d’ampleur (pédocriminalité, comptes de campagnes, coffre-forts compromettants) apparaît alors l’allégorie du vice et du cynisme, la nettoyeuse de cet univers gangrené et malsain, la taulière de ces coulisses sordides de notre République défaillante, Mimi Marchand. Celle-ci est immédiatement arrivée à la rescousse, interrompant sa participation à la cérémonie des «Victoires de la Musique» à la minute où elle apprenait l’accident.

Pour comprendre la dérive de nos institutions et le parallèle entre la macronie et la Régence, il faut savoir qui est Mimi Marchand et pourquoi elle occupe une telle place au coeur du pouvoir élyséen.

Papesse de la presse people, condamnée pour trafic de stupéfiants, ancienne reine des nuits parisiennes, Michèle «Mimi» Marchand, d’abord amie de confiance des Sarkozy, est devenue de facto une amie intime de Brigitte Macron en étant une pièce ouvrière clef dans la campagne de 2017, pour la construction de la légende du couple Macron, où comment transformer une sinistre réalité : une professeure de français prédatrice de 39 ans qui jette son dévolu sur son élève de 14 ans, en un compte de fée des temps modernes.

Mimi Marchand a ensuite rendu de nombreux services, parfois gracieusement, dans l’organisation de la disparition du coffre-fort d’Alexandre Benalla, dans la non-publication de la condamnation pour pédocriminalité du fils de Marc Ladreit de Lacharrière, ou encore dans la manipulation du témoignage de Ziad Takieddine dans l’affaire du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par l’argent de Mouammar Kadhafi.

Ainsi, comme le poisson, la République pourrit par la tête et la présence de Mimi Marchand dans tous ces dossiers ainsi que sa proximité avec les cercles de pouvoir devrait alerter les citoyens sur la réalité de l’imposture démocratique qui enferme les peuples dans un jeu de vote à personnalités variables tous les 5 ans, où l’argent des oligarques peut décider en amont du candidat victorieux.

Évidemment, l’affaire Palmade n’est pas une affaire politique au sens propre, mais elle l’est devenue par l’implication de Madame Marchand et par l’empressement d’une certaine scène à se distancier le plus vite possible du comédien criminel.

Une affaire politique

Cette tragédie a montré jusqu’où pouvait mener le sentiment d’impunité et la complaisance de certains cercles avec les gens fortunés. La justice a fait le choix de placer Monsieur Palmade en détention préventive à l’issue de son hospitalisation sous bracelet électronique et l’enquête sera longue, après un nettoyage en règle du domicile du comédien, préalable évident à toute perquisition compromettante.

Le sommet de l’indécence fut sans doute atteint dans les titres misérabilistes sur «les démons» du comédien et sur la défense contre un tribunal populaire fantasmé, qui aurait voulu la peau du chauffard.

Outre le volet pédocriminel ouvert en marge de l’affaire (un des protagonistes étant actuellement incarcéré pour des faits de pédocriminalité a accusé Palmade de faits similaires), les charges sont suffisantes pour révolter toute la population.

Roselyne Bachelot, en chevalier de l’ordre établi, ancienne ministre et bateleuse de foire installée sur la chaîne d’information du groupe Altice, BFM TV, voit dans les réactions légitimes des français une haine des riches, en partie provoquée par l’extrême gauche, et défend bien mal l’indéfendable, d’une façon grotesque et ridicule. Cela pourrait prêter à sourire (ou ricaner) si les faits n’étaient pas si graves.

Ce tribunal populaire qui fait tant peur aux défenseurs de l’ordre établi est en réalité la colère légitime de la majorité dépossédée du pouvoir. «Assez!» disent des millions de français qui ne tolèrent plus l’impunité d’une caste qui les sermonne et les maltraite pour le profit de quelques donneurs d’ordre.

Ce cri de ras-le-bol n’est pas entendu. D’ailleurs, le Président Macron ne juge pas qu’il y ait de la colère mais beaucoup d’inquiétude, lors de ses prises de parole au Salon de l’Agriculture. C’est évidemment un mensonge de plus dans la bouche de celui qui a fait fi de la réalité depuis trop longtemps, biberonné depuis son plus jeune âge dans les cercles du pouvoir politique ou financier, pour devenir le champion d’une oligarchie triomphante.

L’inquiétude, c’est le carburant de ces maîtres de la manipulation, dont le métier n’est plus l’intérêt général ou le bien de la nation, mais la destruction des identités et des conquis sociaux, par la peur, ou par la coercition.

Non, Monsieur Macron, il n’y a pas d’inquiétude, malgré vos efforts à imposer un climat anxiogène et des politiques de peur sur les français : de confinements en plans de sobriété, de guerres en combats contre les peuples. Tout cela est fini, depuis la carte maîtresse du confinement, une partie de l’opinion publique réalise combien ces politiques ubuesques dictées par les cabinets de conseil, McKinsey en tête, n’avaient rien de rationnel et faisaient partie d’un projet d’ingénierie sociale de gouvernance par la peur. Empêcher, contraindre et menacer, voilà les mots qui ont désormais remplacés la devise républicaine ou la liberté, l’égalité et la fraternité étaient les boussoles de l’action publique. Il s’agit d’une perversion irréversible du pouvoir, malheureusement accepté par lassitude ou par intérêt.

La colère invisible

Il y a donc de la colère. Sourde, contenue, rentrée depuis l’éruption des gilets jaunes qui a fait trembler le faible pouvoir macroniste.

Depuis 2018, cette colère n’a fait que croître. Mais conscients du déchaînement de la violence d’État contre les manifestations sociales, soucieux de ne pas perdre le peu qu’il leur reste, les français en colère se taisent et attendent. Certains ont abandonné l’idée même du vote, lassés des oppositions de façade et des promesses sans lendemains, et d’autres choisissent des votes dits «contestataires» qui laminent l’assise déjà faible des anciens partis de gouvernement, devenus partis zombies, subventionnés, sans militants et dont les projets respectifs se ressemblent en tous points pour reprendre le pouvoir dans une alternance feinte et parachever le grand oeuvre européiste d’une gouvernance technocratique débarrassée des nations, ces encombrants phénomènes.

Cette colère peut parfois se voir et s’entendre auprès des humiliés, des «riens» selon Macron, de ceux qui, à bout, dépassent la sidération de la litanie permanente des mensonges pour hurler et demander justice.

Car cette colère n’a qu’une source : l’injustice. Le mépris de ces élites, leur sentiment de toute-puissance, protégées derrière les écrans des médias de désinformation et derrière les boucliers des compagnies de CRS. Ce mépris est même devenu personnifié, par la caricature vivante de certains politiques, capables de dire une chose et son contraire en mois de 24 heures, pour ne pas briser le récit de contre-vérité du pouvoir.

Ce mépris qui se transforme en politique de l’humiliation, lorsque la sobriété devient un objectif national pour masquer la paupérisation et les faillites. Humiliation supplémentaire, quand la famille Macron, Monsieur et Madame, critique allègrement l’usage de la violence et dit craindre pour leurs proches sans jamais n’avoir eu un seul mot d’excuse ou de compassion pour les mutilés des gilets jaunes, pour les victimes de la violence de leurs choix politiques et de leur défense féroce de leurs privilèges.

La fin des privilèges?

Mais que faudrait-il pour abolir les nouveaux privilèges et surtout stopper l’imposture perverse du gouvernement par la peur d’une minorité sur un peuple contraint ?

Dans le cadre démocratique, le jeu bi-partisan trouve ses limites dans l’obéissance des politiques élus aux règles d’airain de la finance, qui oblige les États à assurer la course en avant de l’endettement par des mesures de violence sociale, garantissant le droit à l ‘endettement perpétuel. Ce modèle est devenu le modèle dominant des démocraties libérales, emmenées dans l’abîme de la dette-dollar par l’empire américain.

Rien ne semble remettre en cause cette suprématie, faisant de la politique le lieu de l’illusion du pouvoir, alors que le pouvoir est tout entier concentré entre les fonds voraces de Wall Street et la FED, banque centrale américaine, qui donne le tempo obligatoire à la banque centrale européenne.

Faudrait-il que les peuples jouent alors les règles du jeu financier, et par la masse, créent un fond pirate capable de rivaliser avec les tyrannosaures de la finance ?

Faut-il pousser à revoir les règles de financement des partis politiques et des campagnes présidentielles ? Campagnes systématiquement entachées de malversations ou d’approximations, tant la commission des comptes de campagne n’a que des moyens dérisoires face à l’ampleur de la tâche de contrôle qui devrait être la sienne.

Faut-il proposer une nouvelle offre politique, sur les bases d’une souveraineté retrouvée, en opposition au diktat de la dette toute-puissante, avec à la fois des fonds nationaux et des politiques de nationalisation des services stratégiques, dont le délitement est un danger pour la cohésion sociale et aussi pour la sécurité nationale ?

Les pistes ne manquent pas, mais les bras et l’argent, oui. Les privilèges restent l’apanage de ceux qui ont pour luxe le temps et pour béquille l’argent. Forts de cette supériorité, il est alors possible de fermer les champs des possibles et de contraindre, dans la douceur et le divertissement, les masses à accepter, valider et désirer un ordre injuste, sous couvert de mythologie de la réussite personnelle et de la liberté individuelle.

Les libertés, nous en avons fait l’amère expérience, sont fragiles et menacées systématiquement par la minorité maltraitante. La réussite personnelle, concernant les plus riches, ne repose principalement que sur l’héritage, privilège donc, de naissance. Oui, c’est le nouvel Ancien Régime. Seuls les noms ont changé et le roi est devenu un acteur en CDD, pour occuper et divertir, tout en concentrant les frustrations sur sa personne publique.

Il s’agit donc de retrouver une liberté plus grande qui permette des marges de manoeuvre et la construction des alternatives politiques et économiques à l’ordre des chevaliers de la dette-dollar.

Un chemin est possible, reste à le parcourir, et trouver enfin les clefs de nos cellules virtuelles, mais pourtant bien réelles.

Article initialement publié dans la revue Le Banquet

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16.07.2023 à 13:12

Les premiers de corvée

Bénédicte

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Le 15 octobre 2020, j’ai pris le chemin de mon nouveau travail après deux ans de chômage. Contrairement aux discours libéral et macroniste, devenant grâce à la propagande des médias asservis, le seul discours rendu audible et visible aux oreilles et aux yeux du plus grand nombre, je ne «profitais» pas de mon chômage. Je […]

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Texte intégral (1870 mots)

Le 15 octobre 2020, j’ai pris le chemin de mon nouveau travail après deux ans de chômage. Contrairement aux discours libéral et macroniste, devenant grâce à la propagande des médias asservis, le seul discours rendu audible et visible aux oreilles et aux yeux du plus grand nombre, je ne «profitais» pas de mon chômage. Je n’aimais pas ne rien faire car lutter contre le vide est un combat perdu d’avance face auquel on se détruit petit à petit.

Une conjonction de facteurs économiques qu’ils soient locaux, nationaux ou internationaux, de facteurs personnels, et bientôt d’un facteur sanitaire que personne n’aurait pu prévoir a fait défiler les mois, jusqu’à presque 22, à une vitesse terrible de lenteur quotidienne et d’extrême rapidité vers la précarité. En marchant vers mon nouveau lieu de travail, j’angoissais et me sentais fébrile en même temps. J’étais heureuse d’avoir trouvé un emploi, j’avais hâte de commencer, et simultanément, j’étais pétrifiée à l’idée de ne pas être à la hauteur.

Quel était donc ce poste qui m’angoissait tant ? Quels étaient les défis que je m’apprêtais à relever ?

Ce poste, c’était celui d’une caissière, ou plutôt à l’heure du politiquement correct et du bullshit managérial, d’une hôtesse de caisse. Les défis à relever consistait à encaisser des clients. On pourrait penser que c’est simple. On le pense. On dénigre inconsciemment ce métier. Mais il s’agit bien d’encaisser les clients. Dans tous les sens du terme. Et ce n’est qu’un des nombreux aspects qui font de ce genre de job, un calvaire pire que celui d’une recherche d’emploi infructueuse.

La supérette dans laquelle j’ai exercé cette activité se situait au cœur d’une zone à urbaniser en priorité ou quartier prioritaire, n’étant pas au fait de l’appellation à la mode actuellement dans les hautes sphères de la République. Car nous pénétrons ici en un endroit où la République et la politique n’existent plus. Ici règne l’immédiateté et les difficultés.

Me voilà plongée dans un univers que je ne pensais plus connaître depuis mes années d’étudiante où un bref passage dans une enseigne célèbre de la grande distribution m’avait permis de financer mes études. Entre ces deux moments, vingt ans se sont déroulés, et en découvrant ce qu’est devenu ce métier, on comprend à quel point tout notre monde est en train de s’effondrer. Pas la peine de lire de grands livres ou de longues études économiques ou sociologiques. Notre pays fait naufrage. Quand vous scannez des articles à longueur de journée dans un quartier populaire, vous finissez par détester tous ceux qui osent parler au nom du peuple. Vous voyez défiler devant vos yeux toutes les formes de misère que les choix de nos dirigeants ont créées. Les corps sont usés, et vous savez que le vôtre subit le même traitement. La détérioration n’est pas que psychique. Cela est réservé aux emplois de bureau. La souffrance de ces professions dont nous ne pouvons pas nous passer est terriblement physique. Si l’on vous vole votre humanité et le respect que vous avez pour vous-même, on vous vole aussi votre santé, votre jeunesse, la souplesse de votre dos et de vos mains, la douceur de votre peau.

Je voyais passer des cafards sur le tapis de caisse, certains tombaient sur mes cuisses. Les clients s’en apercevaient et quasiment tous, hormis ceux que la vie avait encore plus malmenés et qui se réfugiaient dans l’alcool bon marché et l’ammoniaque à respirer pour seules évasions, compatissaient et semblaient sincèrement outrés de nos conditions de travail. Il ne voyait que ce à quoi ils accédaient. Si les réserves leur avaient été autorisées, ils ne seraient plus venus et ce lieu maudit aurait enfin fermé. Mais ce lieu maudit, j’en avais besoin et je m’y attachais pour l’entraide que j’y trouvais auprès de certaines personnes. L’amour et la gentillesse demeurent, même sous les insultes et les brimades d’une direction qui n’est que le reflet d’un monde du travail globalement malade. La grande distribution ne semble pas connaître le droit du travail, secteur en avance sur les fantasmes les plus débridés des néolibéraux les plus acharnés. J’ai pleuré d’être insultée et violentée au quotidien par des clients alcoolisés ou drogués. J’ai eu des migraines à cause de la puissance des néons et de la musique devant assourdir les cris que nous tous nous désirions pousser. Il faut étouffer la laideur, étourdir la pensée. J’ai eu des problèmes dermatologiques, des infections urinaires et des cystites à cause de la saleté des toilettes dédiés aux personnels. J’ai pleuré de voir des êtres humains compter au centime près et devoir se séparer d’une boîte de thon pour conserver une brique de lait. J’ai offert des articles au risque de me faire licencier car je ne pouvais pas imaginer agir autrement. J’ai sympathisé avec un couple âgé de clients mariés depuis 62 ans, toujours collés l’un à l’autre, toujours complices et amoureux, toujours rieurs et jeunes d’une jeunesse perdue dans le regard de beaucoup de vingtenaires d’aujourd’hui, elle commençant à avoir des problèmes à la jambe, monsieur devant parfois venir seul, le regard éteint d’être seul le temps des courses, achetant donc un bouquet de fleurs pour sa bien-aimée. J’ai été adoptée par des familles algériennes, gitanes, sénégalaises. J’ai fait des rencontres que je n’aurais jamais faites ailleurs.

Mais ces moments d’entraide éphémères ne suffisent pas à vous donner la force de croiser votre reflet lorsque vous vous préparez à aller travailler, lorsque vous enfilez cet uniforme ridicule, jamais à votre taille, que l’on vous a donné pas même lavé du précédent esclave l’ayant enfilé. Ces environnements de maltraitance abaissent votre niveau d’estime de vous-même jusqu’à l’anéantir totalement. Petit à petit, vous vous donnez de moins en moins de droits et vous acceptez ce que vous n’auriez pas accepté quelques mois auparavant.

Les horaires qui changent tous les jours, vous faisant faire 9 heures d’affilée sans pause-déjeuner, seule dans le magasin, votre caisse étant la seule ouverte, vous obligeant à abandonner vos clients le temps d’un aller-retour aux WC, aller-retour qu’on ne vous a pas autorisé, car ici, il faut quémander le droit d’uriner. Sauf que personne n’est là, personne ne répond au téléphone (les jours où ce dernier fonctionne), et vous prenez votre courage à deux mains pour oser faire ce qu’aucun être humain ne devrait avoir peur de faire. Satisfaire un besoin naturel. Vous devriez être un robot. Cela simplifierait tout pour ceux d’en haut, réfugiés dans leurs bureaux, jouissant du maigre pouvoir de ceux qui n’ont pas grand-chose mais qui ont malgré tout plus que vous.

À quoi ressemblent leurs avantages ? Ils peuvent aller aux toilettes sans demander, ils peuvent manger entre 12 heures et 14 heures et conserver ainsi un rythme de vie normal, ils ont leur week-end et des horaires réguliers. Vous, vous n’aurez que 3 minutes de pause par heure travaillée, si ce jour-là, on vous laisse la prendre. Vous mangerez en 12 minutes à 10h30 ou à 17 heures, si tant est que vous mangiez, car vous devez aller pointer à l’autre bout du magasin puis dépointer, ces temps de trajet bien évidemment décomptés de votre temps de pause. Et n’imaginez pas qu’il y ait une cantine ou une salle correcte pour manger, celle-ci est la plupart du temps rendue inaccessible par les transpalettes entreposés devant son unique porte, et de toute façon, y accéder c’est accéder à un taudis crasseux, sans fenêtres, avec une table brinquebalante et un micro-ondes ne fonctionnant pas.

Il faut en sortir pour se rendre compte de l’anormalité de la situation vécue. Malheureusement, quand vous êtes obligée de «choisir» ce genre de travail, toute votre vie devient peu à peu violente et pauvre. Les histoires d’amour ne sont plus possibles car la lutte pour survivre ne les permet pas. Vous sortez brisée de votre journée, vous sentez mauvais, vous avez honte de vous, de votre odeur, de votre saleté, vous vous inventez un autre métier par crainte, dans certains milieux, de raconter votre déchéance. Vous avez 40 ans et vous pensez à retourner vivre chez vos parents. Vous ne construisez rien car l’avenir ne concerne que les «riches», ceux qu’on ne croise même plus car tomber dans la précarité, c’est comprendre que le monde est divisé et que la quantité d’argent que l’on possède organise tout ce qui nous entoure, faisant disparaitre tout un pan du réel qui ne devient qu’illusion ou fiction. Votre vie à l’extérieur n’existe plus. Vous ne pouvez rien prévoir, ni même prendre un rendez-vous chez le médecin, rejoindre un chéri – n’en parlons même pas – devient un rêve lointain car ces vies privent de la possibilité d’aimer.

Sachez qu’en ces lieux maudits, vos horaires de servitude changent chaque semaine et que vous n’obtenez que le vendredi les horaires de la semaine qui suit. Sachez qu’en ces lieux maudits, vous demandez l’autorisation d’aller faire pipi. Sachez qu’en ces lieux maudits, vous avez 3 minutes de pause par heure travaillée à partir de 4 heures consécutives de labeur déshumanisé. On raye sur une liste se prolongeant chaque jour un peu plus des choses qu’on ne fera jamais plus ou dont on rêvait mais dont on préfère même s’abstenir de les envisager, de peur d’avoir trop mal. Ces lieux sont des enfers qui ne survivent que par la peur d’enfers plus grands car plus définitifs. Ces lieux sont voulus par nos élites pour que vivants, nous soyons déjà morts et dociles. Ces lieux sont des cimetières créant une mort sociale annonciatrice d’une mort prématurée.

Regardez l’espérance de vie d’un ouvrier et celle d’un technocrate et criez, levez-vous, rebellez-vous et devenez féroces. 

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03.02.2023 à 17:24

Qui est prêt à mourir pour le Donbass ou la Crimée ?

Marc Chesney

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Sans aucune consultation démocratique, nous voici tous embarqués sur une route bien dangereuse, voire apocalyptique. Comme aucun des gouvernements supposés démocratiques ne daigne poser aux populations concernées la question de leur éventuel sacrifice pour le Donbass ou la Crimée, chacun d’entre nous devrait se la poser en son for intérieur. Que ceux qui poussent à […]

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Texte intégral (1166 mots)

Sans aucune consultation démocratique, nous voici tous embarqués sur une route bien dangereuse, voire apocalyptique.

Comme aucun des gouvernements supposés démocratiques ne daigne poser aux populations concernées la question de leur éventuel sacrifice pour le Donbass ou la Crimée, chacun d’entre nous devrait se la poser en son for intérieur. Que ceux qui poussent à la guerre, au nom du droit qu’aurait chaque pays à se défendre, réfléchissent bien aux conséquences de ce conflit sur eux, leurs familles et proches. Au contraire, que ceux qui y sont opposés, et qui mettent au premier plan le droit de vivre et d’être respecté, se fassent entendre. Sans aucune consultation démocratique, nous voici tous embarqués sur une route bien dangereuse, voire apocalyptique.

Des poignées d’individus, en l’occurrence de sinistres ministres, généraux, producteurs d’armes et financiers, réunis en conciliabules à Ramstein, Davos ou ailleurs, décident de jouer au poker la vie de millions ou de milliards d’individus en pariant sur la réaction de Vladimir Poutine aux récentes décisions de livraisons de chars lourds à l’Ukraine. Certains «commentateurs autorisés» prétendent qu’il réagira de manière rationnelle, d’autres, parfois les mêmes avec un délai, qu’il est difficilement prévisible.

Des «responsables» politiques, comme Emmanuel Macron, déclarent que les livraisons d’armes lourdes ne font pas de leur pays un cobelligérant, d’autres qu’ils sont de fait en guerre avec la Russie. Ainsi, selon les récentes affirmations d’Annalena Baerbock, membre du parti des verts et ministre des affaires étrangères allemande, «Nous menons une guerre contre la Russie et pas entre nous». Le chancelier Scholz a quant à lui déclaré qu’en matière de livraison de chars Leopard 2 et d’armes lourdes en général à l’Ukraine, «personne ne peut déterminer en quoi consiste une bonne ou mauvaise décision». Bref, la confusion règne. Or, ceux qui jouent au poker avec la vie de populations entières devraient, s’ils ne voient pas clair, s’abstenir de prendre des décisions aussi graves. Ces dernières nourrissent la dynamique guerrière et ce, d’autant plus que ces chars peuvent être armés de projectiles perforants à ogives à uranium appauvri et à longue portée, qui, s’ils étaient tirés, seraient considérés par la Russie, comme une utilisation de bombes nucléaires sales. À supposer que ces projectiles ne soient pas livrés par l’OTAN, il est probable que le gouvernement ukrainien cherche à s’en procurer sur le marché noir pour viser, sur le territoire russe, des centres de commandement ou des agglomérations. Les «responsables» occidentaux ont-ils perdu toute sorte de bon sens, ou conservent-ils encore un brin de jugeote pour comprendre le caractère irresponsable de leurs choix? Ce sont souvent des idéologues radicaux sur lesquels le souvenir des souffrances générées par la seconde guerre mondiale n’a pas prise. Ils ont accès à de vastes abris antiatomiques et, manifestement, ne jugent pas pertinent de considérer les risques et souffrances de l’actuel conflit, en particulier pour la population ukrainienne restée sur place. Celui-ci représente à leurs yeux des opportunités stratégiques ainsi que financières et la paix n’est donc pas à l’ordre du jour. Il est d’ailleurs inquiétant de constater qu’en Suisse, les administrations cantonales et fédérales ne communiquent aucune véritable information concernant la protection des populations et les adresses d’abris aménagés. Cette impréparation n’est pas acceptable.


Pour quelques panzers de plus


Chaque gouvernement fait de la surenchère. Dans un premier temps, le Danemark, les pays baltes et l’Espagne se proposent de livrer quelques unités du chars Leopard 2, l’Allemagne 14, la Pologne 14. Qui dit mieux pour la grande enchère internationale organisée par l’OTAN? Il devrait être bientôt question de la livraison d’avions de chasse! Quid de la légitimité de gouvernements qui prennent des décisions aussi lourdes de conséquences, sans aucune consultation démocratique et qui se montrent incapables de garantir une sécurité minimale aux populations concernées? Le contrat social est rompu, et ce, d’ailleurs depuis longtemps maintenant. Tous les signaux cruciaux sont au rouge : conflit en Europe avec risque d’escalade nucléaire, réchauffement climatique, perte de biodiversité, injustice sociale extrême. Il s’agit en réalité de la profonde faillite d’un système prédateur qui marchandise à l’extrême les rapports que les humains entretiennent entre eux, vis-à-vis de la nature, de l’art … et qui traite le commun des mortels comme des facteurs de production, devant se transformer, en cas de guerre, en facteurs de destruction, pour être, le cas échéant, détruits eux-mêmes. Il est temps de tourner la page, avant d’être emporté dans sa chute. Comme le disait Jean Jaurès à la veille de la première guerre mondiale «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage!».


Les réactions négatives à ces tendances guerrières sont trop rares. La précarité et le matraquage médiatique tendent à rendre les populations malléables et corvéables à merci. Ces derniers temps, les flots quasi permanents de nouvelles insignifiantes concernant la retraite de Roger Federer, la Coupe du monde de football, les confidences de Messi ou Mbappé, la mort de la reine d’Angleterre, les mémoires anticipés du prince Harry… ont permis de détourner l’attention et ont contribué au lavage de cerveaux.


La propagande guerrière est, elle aussi, déversée sur tous les canaux médiatiques possibles. Comment concevoir un seul instant qu’il soit justifié de risquer l’existence de populations entières pour que le Donbass soit ukrainien ou russe? La supposée guerre juste se ramène juste à une guerre, un conflit insupportable porteur d’énormes risques pour le genre humain.

Que ceux qui s’y opposent de part et d’autre du rideau de feu et qui veulent promouvoir la vie se fassent entendre en organisant manifestations, grèves, en particulier dans les usines de production et les sociétés de transport de ces armes, et le cas échéant, en refusant de combattre.

Une version de cet article a été publiée dans Le Temps le 30 janvier 2023.

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