12.09.2023 à 18:48
Folashadé Soulé : “La Chine est un partenaire plus flexible, plus rapide pour l’Afrique, même si cela comporte également des risques”
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Dans le cadre des 10 ans des Nouvelles Routes de la Soie, l’OFNRS mène divers
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Texte intégral (3475 mots)
Dans le cadre des 10 ans des Nouvelles Routes de la Soie, l’OFNRS mène divers entretiens avec des spécialistes. Aujourd’hui, nous parlons des relations Afrique-Chine.
Madame Folashadé Soulé, pouvez-vous vous présenter, notamment votre parcours personnel et académique ?
Je suis chercheuse en Relations Internationales à l’université d’Oxford au Royaume – Uni, plus précisément au Blavatnik School of Government où je travaille sur les questions liées à l’Afrique dans les relations internationales et plus précisément, les relations Afrique-Chine. Je préfère utiliser la dénomination des « relations Afrique-Chine » plutôt que l’inverse car la position que j’adopte étudie la manière dont les acteurs africains organisent leurs relations avec les acteurs chinois. Dans la littérature, le contraire ,c’est-à-dire les stratégies de la Chine en Afrique sont davantage étudiées. J’ai donc choisi ce focus de l’Afrique vers la Chine et comment les acteurs africains organisent cette relation. Plus précisément encore, je regarde comment les acteurs (à la fois au sens des gouvernements et des acteurs non étatiques) négocient ces partenariats avec la Chine que ce soit dans le domaine des infrastructures physiques (routes, ponts, bâtiments administratifs…) ou soit dans d’autres secteurs. Actuellement je dirige un projet de recherche sur les négociations dans le digital et les négociations dans le domaine des minéraux stratégiques où j’interroge les pratiques de négociation et comment les acteurs africains gèrent ces relations dans un contexte de rivalités géopolitiques.
On assiste depuis quelques années maintenant à un développement des relations économiques, politiques et diplomatiques entre les pays caractérisés comme des pays en développement : d’un point de vue de chercheur, quelle est la différence entre les dynamiques Sud-Sud et les dynamiques Nord-Sud ? Comment cela s’exprime pour le continent africain ? (dans un second temps comment cela s’explique pour le Bénin).
Les relations sud-sud ne sont pas récentes, elles ont commencé surtout dans les années 1950 avec un focus plus idéologique et sous forme de coopération technique, notamment des échanges entre pays africains. Progressivement cela s’est étoffé. Je vous renvoie à l’article que j’ai publié dans la revue Afrique Contemporaine et qui s’intéresse aux relations sud-sud et leurs évolutions historiques, ainsi que les contours de cette évolution[1]. La Chine y a joué un grand rôle car elle est devenue le partenaire commercial de bon nombre de pays africains.
C’est le premier partenaire bilatéral et financier externe en termes du financement des infrastructures. Je précise « externe » car les pays africains sont les premiers à financer les infrastructures sur leurs budgets nationaux.
Au fur et à mesure on voit que ces relations se sont étoffées notamment avec la Chine mais aussi avec l’Inde, le Brésil, la Turquie et dans des secteurs divers qui vont de l’économie à la culture ou encore l’éducation (un nombre important des bourses qui sont fournies aux étudiants africains viennent de différents pays du Sud.) On assiste à un changement de ces rapports qui sont densifiés et dans le même temps on assiste à une diminution relative des échanges économiques avec certains partenaires traditionnels sauf dans le domaine des investissements directs à l’étranger (IDE), où les partenaires classiques comme la France, Etats-Unis ou les Pays-Bas selon le rapport de la CNUCED reste les premiers investisseurs en Afrique.
Au Bénin, sous le Président Kérékou (1972-1991), l’acteur chinois était déjà un partenaire privilégié. C’était l’époque de la Guerre froide et donc de la proximité idéologique. Il y avait déjà plusieurs projets notamment dans le domaine du coton à Lokossa. Un autre projet emblématique est le stade de l’amitié dont le nom complet est en fait, Stade de l’Amitié entre les peuples béninois et chinois. La Chine entreprend beaucoup de projets qui se veulent proches du peuple. C’est donc idéologique et populaire : ce sont des projets qui doivent servir au peuple, afin qu’il se rappelle ce qui a été offert par le partenaire chinois.
Ces relations ont évolué sous le Président Soglo, et après la Conférence des Forces Vives de la Nation (1990). Nous sommes repartis vers une dynamique plus classique plus orientée vers les partenaires occidentaux dont le France et les Etats Unis. La Chine était présente mais pas autant que les autres partenaires. Il y a eu un vrai changement sous le président Yayi Boni qui était très impliqué dans les affaires étrangères. Il considérait réellement la Chine comme un modèle économique et de développement. C’est également lui qui a œuvré pour que la Chine entre au Conseil d’administration de la BOAD. L’idée était donc d’apprendre du « modèle chinois » et au niveau des infrastructures, la Chine a financé et exécuté plusieurs projets stratégiques routiers et administratifs.
Cela signifie également plus de bourses pour les étudiants béninois. Ce qui est intéressant c’est que ces étudiants à leur retour au Bénin, deviennent des relais entre la Chine et le Bénin, au niveau des rapports commerciaux mais également en tant qu’interprètes pour les entreprises chinoises comme Huawei qui s’implantent. De plus, le centre d’affaires chinois à Ganhi sert de vitrine aux produits chinois et permet notamment aux commerçants béninois de s’approvisionner en gros mais aussi d’avoir des interlocuteurs directs. C’est à ces différents niveaux qu’on remarque la présence chinoise au Bénin.
La Chine est également de plus en plus présente au niveau militaire. Non en termes de troupes au sol, mais en termes d’infrastructures militaires et d’équipements. En somme, la Chine est hyperactive : elle est présente à plusieurs niveaux avec une offre qui est plus intégrée et complète.
Dans ce sens, et à travers vos recherches, comment évaluez-vous et qualifieriez – vous l’état des relations sino-africaines notamment au cours des 10 dernières années ?
Il y a des changements à plusieurs niveaux. Je vais en développer deux essentiellement.
Premièrement, la Chine est un peu affectée par la diversification de l’offre depuis quelques années. C’est-à-dire que d’autres partenaires tels que la Turquie ou l’Inde deviennent maintenant des compétiteurs pour la Chine. Ces partenaires aussi cherchent des marchés pour leurs entreprises. Je pense notamment au Bénin et au Sénégal par exemple, avec les entreprises telles que Summa (entreprise de construction turque). La Chine se retrouve donc à devoir faire davantage de concessions sur certaines choses. Il faut noter qu’il y a de plus en plus de critiques de l’offre chinoise. Au départ, les critiques étaient plutôt dirigées vers la qualité de certains matériaux, les travailleurs chinois qui étaient souvent plus favorisés que les locaux et on retrouve également des critiques envers un certain non-respect des normes environnementales, de construction…Les contrats d’infrastructure chinois sont souvent des projets « clés en mains »,où tout est livré directement au bénéficiaire. Le problème qui se posait est que toutes les composantes étaient chinoises et de ce fait il y a eu des critiques de plus en plus fortes vis-à-vis de ce modèle. On voit désormais un changement dans le sens où aujourd’hui les acteurs africains négocient mieux ces contrats. Précisément, les évaluations sont désormais faites par des cabinets indépendants par exemple. Au Bénin, le projet d’asphaltage des routes a été négocié de sorte à ce que les Béninois aient accès au terrain afin de vérifier la qualité des travaux. Il y a donc une évolution qui s’accompagne de plus en plus de critiques et de diligence de la part des acteurs africains.
Deuxièmement, les opinions publiques évoluent. L’institut d’enquêtes Afrobarometer publie régulièrement des enquêtes d’opinions et on constate que l’influence de la Chine est toujours vue comme très positive. Mais le pourcentage décroît progressivement. Il y a des critiques notamment vis-à-vis de la question de la dette.
Quel est votre avis de chercheur sur l’acteur chinois et ses relations avec l’Afrique? Dans quelles mesures serait-il ou non, un acteur mieux adapté à l’Afrique ?
Je dirais que la Chine a su profiter d’un manque, voire d’un désintérêt des partenaires traditionnels dans un premier temps. C’est-à-dire que les pays africains ont un réel besoin de provision en infrastructures. Il s’agit d’une priorité pour bon nombre de gouvernements africains dans leurs plans de développement. Les pays occidentaux ont progressivement arrêté de financer ces projets. La plupart des projets d’envergure que la Chine met en œuvre sur le continent sont des projets qui avaient été proposés dans un premier temps à des partenaires occidentaux ou à des banques multilatérales mais qui n’ont pas été considérés. Pareil dans les critères du CAD (Comité d’Aide au Développement) de l’OCDE et dans leurs statistiques, les infrastructures ne sont pas considérées comme une aide au développement. On est donc dans quelque chose de plus fondamental et conceptuel. La question qui se pose est « est-ce que les infrastructures conduisent au développement économique et social » ? Pour la Chine c’est oui, mais pour les pays du Nord c’est plutôt la gouvernance, la santé, l’éducation, le respect des droits de l’homme etc… Donc, il y a deux visions différentes. Pour les pays africains, la Chine a comblé ce vide en apportant des financements. Cet engagement était en lien avec ses propres intérêts puisque les entreprises chinoises cherchaient également des débouchés à l’étranger. Il faut savoir qu’il y a eu une surproduction de certains matériaux en Chine (aluminium, cuivre…). Au niveau des relations Chine-Afrique dans le domaine des infrastructures, l’offre rencontra la demande.
La Chine est également considérée comme un partenaire plus flexible, plus rapide, même si cela comporte également des risques. Il reste que les gouvernements africains sont face à une course car, un gouvernement nouvellement élu à 5 ans pour délivrer des projets afin de pouvoir être réélu. D’un point de vue politique et électoral c’est très avantageux et stratégique pour le parti politique en place de choisir la Chine comme partenaire. À ce niveau, la Chine est mieux adaptée. Globalement, la Chine s’est montrée plus à l’écoute des priorités affichées par les différents pays. Si on regarde dans le détail, on peut trouver des critiques, mais les experts se rejoignent sur le fait que la Chine a joué un grand rôle dans la croissance et le développement d’un bon nombre de pays africains.
Il y a néanmoins des aléas. Notamment cela crée une autre forme de dépendance, et de risques. La Zambie par exemple à un taux élevé d’endettement envers la Chine et a fait défaut.
Comment les partenariats entre la Chine et l’Afrique pourraient-ils être améliorés pour mieux répondre aux besoins et aux priorités des partis concernés pour éviter un certain rapport de dépendance ?
Il n’y a pas vraiment de rapport de dépendance uniquement envers la Chine à proprement parler. On parlait tantôt de diversification de l’offre et donc les pays du Nord reviennent sur la scène africaine (cf les Etats-Unis et leur nouvelle politique Afrique, l’Allemagne, la France…). Là où les pays africains pourraient plutôt s’améliorer c’est en élaborant des meilleures stratégies. Par exemple, le Sénégal avait déjà une stratégie précise en termes d’infrastructures et c’est en fonction de cette stratégie et agenda qu’elle cherche des partenaires adaptés en termes de financement notamment. C’est une question de gestion des affaires publiques, comment s’organiser en interne et apprendre à mieux connaître ses partenaires.
Il faut le dire, les décideurs africains ont pour beaucoup été formés en France, en Europe et aux Etats Unis pour beaucoup. Ils sont également davantage habitués à gérer les partenariats et ) négocier avec des partenaires traditionnels. De ce fait, ils ont eu du mal à s’adapter aux pratiques de négociation avec l’acteur chinois qui négocie de manière différente avec la présence concertée de représentants de chefs d’entreprises nationales ou provinciales, des banques de développement comme la China Exim Bank, des représentants des missions économiques chinoises et de représentants diplomatiques dont souvent l’ambassadeur. On peut parler d’un capitalisme d’État dans le sens où à la table des négociations ces acteurs représentantes à la fois les intérêts économiques et l’Etat et arrivent à parler d’une seule voix. Les négociations sont également considérées comme étant plus agressives et l’utilisation du mandarin, que peu de négociateurs africains maîtrisent peut également créer un ensemble de mauvaises interprétations.
Je dis souvent qu’il faut capitaliser sur les étudiants et ceux qui sont passés par la Chine car ils connaissent la langue et la culture chinoise. Ce sont des éléments qui aident à mieux comprendre le partenaire. Il faut savoir également jouer sur la compétitivité de ces acteurs. Par exemple, l’Éthiopie a su mettre les différents acteurs en compétition dans le projet de privatisation de la licence télécom et ainsi faire augmenter l’offre des différents partenaires.
Vous avez présidé un atelier de travail Afrique-Chine avec le Collective for Renewal of Africa au cours duquel vous avez discuté de la meilleure façon d’améliorer les cadres de gouvernance dans les relations Afrique-Chine. Pourriez-vous nous en parler? Quelles conclusions ont été tirées?
Deux secteurs ont été principalement abordés : le digital et la sécurité. Ce qui est ressorti c’était la question de la stratégie notamment dans le domaine du digital. C’est-à- dire tout ce qui concerne la protection des données, des transferts de technologie et qui doit faire partie d’un cadre de gouvernance adapté entre les partenaires mais d’abord en interne. En effet, beaucoup de pays africains se sont engagés dans un processus de transformation digitale mais sans stratégie adéquate au-delà des grands principes. Il faut notamment dans un contexte de rivalités géopolitique, intégrer tous ces éléments dans les contrats afin que les différents acteurs s’alignent dessus. Sur la question sécuritaire l’une des conclusions était une meilleure intégration de la sécurité humaine dans les projets chinois afin de trouver des solutions et de prévenir les cas de maltraitance des ouvriers, ou d’accidents de travail qui doivent faire l’objet d’une attention particulière.
Comment l’agenceité (l’action, la capacité d’agir dans le sens de agency) de l’Afrique influence-t-elle sa capacité à négocier avec la Chine et à participer aux relations internationales notamment dans le cadre des BRI ?
Il y a plusieurs éléments qui peuvent entrer en compte mais il est nécessaire d’avoir une meilleure organisation. Ça parait simple mais très efficace – il faut davantage prendre le temps pendant les négociations et les rendre moins expéditives.
Un autre élément de cette agencéité, comme on l’a dit plus haut, c’est de jouer sur la compétitivité des acteurs pour valoriser l’offre. C’est la capacité de l’Afrique à jouer de ce rapport asymétrique pour faire valoir ses intérêts qui est importante ici.
En guise de conclusion , la question qui se pose c’est de savoir comment les partenariats Afrique-Chine peuvent-ils être améliorés non seulement pour répondre au besoin du continent mais aussi à ceux de la Chine.
L’Afrique pour la Chine représente une faible part de leur commerce extérieur. Mais elle est stratégique en termes de soutien politique. C’est surtout dans les organisations internationales qu’on constate une forte corrélation entre les votes des pays d’Afrique et ceux de la Chine. Politiquement le continent est important pour la Chine. Il faut être conscient de tous ces éléments lors des négociations avec la Chine car il y a toutes ces considérations politiques à prendre en compte pour obtenir une offre plus favorable aux pays africains.

Propos recueillis par Raïnath Sylla, Analyste stagiaire Afrique de l’Ouest
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