Lien du flux RSS
E-centre d’étude et de veille francophone basé en Ile de France
Accès libre
▸ les 10 dernières parutions

25.03.2024 à 21:28

Le Sénégal à la croisée des chemins, la relation avec la Chine à l’ère des élections

observatoirenrs

img

Le 25 Octobre 2005 marque le rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine et le

L’article Le Sénégal à la croisée des chemins, la relation avec la Chine à l’ère des élections est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (6722 mots)

Le 25 Octobre 2005 marque le rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Sénégal après 10 ans de rupture.

Les relations entre la République du Sénégal et la République Populaire de Chine ont été établies pour la première fois le 7 décembre 1971. Le 3 janvier 1996, un communiqué de «reprise des relations diplomatiques » est signé par le gouvernement de Taïwan. La République Populaire de Chine voit en cet acte, une violation grave de son principe d’une seule Chine, largement reconnu par la communauté internationale et l’Organisation des Nations unies. Elle avance alors l’atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Chine comme motif et justificatif de rupture des relations entre les deux Etats, autrefois, partenaires.

Le 9 janvier 1996, la rupture de ses relations diplomatiques avec le Sénégal est annoncée. Il faudra attendre le début des années 2000 avec l’arrivée au pouvoir du président S.E. Abdoulaye WADE qui coïncide avec la mise sur pied du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) pour commencer à constater les efforts faits pour rétablir ses relations. Cela passera par la révision de la politique chinoise du gouvernement sénégalais marqué notamment par la volonté de l’impliquer dans sa politique de développement au grand dépit de son rival taiwanais.

Le rétablissement de ses relations offrira un terrain de pouvoir supplémentaire dans sa conquête diplomatique de la sous-région subsaharienne mais surtout ouest-africaine. Pour le Sénégal de l’époque, le rétablissement de ses relations avec l’Empire du Milieu s’inscrit dans une lecture réaliste et pragmatique du contexte géopolitique et économique actuel.

La Chine en pleine ascension, s’érige comme probable future superpuissance politico-économique ; et cela est une raison suffisante de tourner le dos à Taiwan. Tout d’un coup, fermées depuis maintenant dix ans, les écluses des échanges officiels ont été rouvertes, donnant ainsi le feu vert aux deux pays, nouvelles cartes en main, l’opportunité de rebâtir sur une nouvelle base, leurs relations d’amitié et de coopération tous azimuts.

Une image contenant habits, personne, Visage humain, homme

Description générée automatiquement
Président Hu Jintao s’entretenant avec le Président sénégalais Abdoulaye Wade à Dakar, le 13 février 2009

Une coopération fructueuse


En première ligne de la coopération internationale, la relation économique entre le Sénégal et la Chine s’avère extrêmement fructueuse. La Chine est désormais le principal investisseur et le deuxième partenaire commercial du Sénégal. Rien qu’au cours des huit premiers mois de 2017, les investissements directs non financiers chinois au Sénégal ont dépassé les 66 millions de dollars, comparativement à 45,09 millions de dollars en 2016. Cette dynamique positionne le Sénégal à l’avant-garde du développement des relations sino-africaines.

Le parc industriel international de Diamniadio incarne de manière exemplaire cette relation privilégiée. Qualifié de « joyau » par les autorités sénégalaises, ce parc industriel, construit par la China Geology Overseas Construction Group, accueille ses premières entreprises en juillet 2018, dont la société chinoise de confection C&H Garment Company. Le gouvernement chinois encourage vivement ses entreprises à investir dans ce parc afin de favoriser l’industrialisation du Sénégal, et ainsi soutient activement les efforts déployés par le gouvernement sénégalais dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE).

Par ailleurs, les bénéfices d’une coopération mutuellement avantageuse avec la Chine sont largement palpables au Sénégal. En mars 2017, le Président Macky Sall a inauguré les travaux des forages multi-villages, incluant la construction de 181 systèmes d’approvisionnement en eau et la réhabilitation de 70 puits. Ce projet, financé par la Chine à un taux préférentiel, permettra à plus de 2 millions de Sénégalais vivant dans les régions rurales d’avoir accès à une source d’eau potable.

Cette coopération pragmatique continue également d’élargir le spectre des domaines d’investissement notamment dans les secteurs du pétrole, de l’énergie solaire, la transformation des produits agricoles et la recherche.

Elections et enjeux


Les relations entre la Chine et l’Afrique de l’Ouest sont un enjeu majeur lors des prochaines élections au Sénégal. Ces dernières ont une importance non seulement pour le pays en question mais également pour toute la région de l’Afrique de l’Ouest.

Qui dit élections, dit changement de politique et donc de priorités. Pendant que le Sénégal se prépare à élire un nouveau dirigeant, les attentions se tournent vers les changements géopolitiques et économiques en cours, en particulier ceux liés à la Chine et à ses projets tels que les Nouvelles Routes de la Soie. Depuis de nombreuses années, la Chine a consolidé son pouvoir en Afrique grâce à des investissements. Le Sénégal ne fait pas exception.

Emergent alors les questions et inquiétudes liés à la dépendance économique et à la concurrence des entreprises locales en raison de la présence chinoise. A l’heure où le débat politique est à son comble, les politiciens et membres de la société civile expriment leur préoccupation quant aux conditions de ces accords et à leur impact sur la souveraineté nationale. Ces questions prennent une importance particulière dans le contexte électoral actuel.

Les candidats et les partis politiques expriment leur point de vue sur les relations avec la Chine et d’autres acteurs internationaux. Certains soutiennent une étroite coopération avec la Chine en soulignant les avantages économiques potentiels, tandis que d’autres demandent une réévaluation des accords actuels en faveur de la souveraineté nationale et du progrès durable. D’autres puissances et initiatives régionales se positionnent également en parallèle.

En outre, d’autres acteurs et initiatives locales se positionnent dans la région, proposant des alternatives aux Nouvelles Routes de la Soie. L’Union européenne à travers son projet Global Gateway s’efforce de renforcer ses relations avec les nations d’Afrique de l’Ouest, en mettant en œuvre le Programme Indicatif Régional (PIR) pour l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, des États comme les États-Unis visent à renforcer leur influence économique et stratégique dans la région en offrant des investissements et des collaborations axées sur la sécurité et le développement. Ces initiatives concurrentielles offrent aux pays africains, y compris le Sénégal, un large éventail d’options et de partenaires potentiels.

Cependant, elles soulèvent également des questions quant à la manière dont les gouvernements africains devraient naviguer dans ce paysage géopolitique complexe tout en veillant à tirer le meilleur parti des opportunités en gardant comme point cardinal, la conservation de leur autonomie et leurs intérêts nationaux.

Global Gateway Forum: EU and Senegal strengthen partnership - European  Commission
Le Président Macky SALL et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen

Des élections mouvementées : les esprits s’échauffent

Etape 1 :

À la veille de l’ouverture de la campagne présidentielle pour l’élection du 25 février 2024, le président sortant Macky Sall a annoncé l’abrogation du décret convoquant le corps électoral en attendant les résultats d’une commission d’enquête parlementaire sur le processus électoral. Cette commission fait suite à une demande du Parti démocratique sénégalais (PDS) après l’invalidation de la candidature de Karim Wade pour double nationalité. Le PDS, dirigé par l’ex-président Wade, a également accusé certains membres du Conseil constitutionnel de corruption. Malgré les réfutations du Conseil constitutionnel, le président Sall a souligné la gravité de la situation, notamment la découverte de la bi-nationalité d’une candidate après la publication des candidatures. Cette situation risque de compromettre la crédibilité du scrutin, selon le président. On notera que jamais une présidentielle n’a été repoussée au Sénégal depuis 1963.

Des policiers face une route bloquée par une barricade enflammée lors de manifestations pour protester contre le report de l’élection présidentielle, à Dakar, le 4 février 2024.
Des policiers face une route bloquée par une barricade enflammée lors de manifestations pour protester contre le report de l’élection présidentielle, à Dakar, le 4 février 2024

Etape 2 :


Suite à cela des centaines de personnes, répondant à l’appel de certains candidats à l’élection présidentielle , dont Khalifa Sall et Bassirou Diomaye Faye , ont tenté de se rassembler le 4 février sur la voie de dégagement nord à Dakar pour symboliquement lancer une caravane commune alors que la campagne électorale devait commencer. Les opposants considèrent le décret abrogeant celui convoquant le corps électoral comme illégal et prévoient de contester cette décision devant les tribunaux. Les tentatives de rassemblement ont été dispersées par les forces de l’ordre, entraînant des affrontements dans plusieurs quartiers de Dakar et d’autres villes du pays.

La décision de reporter l’élection présidentielle, dans un contexte de grave crise politique, par le président élu en 2012 et réélu en 2019, a aussi provoqué l’inquiétude à l’étranger, notamment celle de l’Union Africaine (UA), la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Union européenne (UE), des Etats-Unis et de la France. Considéré comme un îlot de stabilité en Afrique, le Sénégal est au cœur de troubles politiques depuis 2021.

Etape 3 :

Après une journée de débats houleux à l’Assemblée nationale du Sénégal, marquée par des altercations entre parlementaires, le report controversé de l’élection présidentielle a été validé. La loi repoussant le scrutin du 25 février au 15 décembre 2024 a été adoptée dans la nuit du 5 au 6 février, avec une quasi-unanimité de 105 voix pour et une voix contre, après que les députés de l’opposition, qui bloquaient le vote, ont été évacués par la gendarmerie.

La police monte la garde devant l’Assemblée nationale sénégalaise, à Dakar, le 5 février 2024.
La police monte la garde devant l’Assemblée nationale sénégalaise, à Dakar, le 5 février 2024 

Par ailleurs, lundi, internet a été coupé au Sénégal, une mesure déjà utilisée en juin 2023 pour étouffer les manifestations dans un contexte de crise politique. Cette décision, ainsi que la suspension de la licence de la télévision privée Walf TV, ont été condamnées par de nombreuses organisations de défense des droits, nationales et internationales. Elles ont exhorté les autorités à éviter un recours excessif à la force, aux arrestations arbitraires et aux violations des libertés. La crise actuelle est largement discutée sur les réseaux sociaux et ravive les craintes d’une escalade de violence, comme celle de mars 2021 et de juin 2023, ayant entraîné des morts et des centaines d’arrestations.

Etape 4 :

Depuis le début des émeutes, 3 morts ont été déclarés : un étudiant de 22 ans à Saint-Louis, dans le nord du pays, un commerçant de 23 ans à Dakar et un jeune de 19 ans à Ziguinchor, fief de l’opposant emprisonné Ousmane Sonko.

En effet, le sujet est au cœur du débat politique. Le Conseil considère qu’il est compétent le 16 février, pour se prononcer sur les recours déposés contre  la loi constitutionnelle votée par l’Assemblée nationale du Sénégal le 5 février et sur le décret du chef de l’État qui annulait la convocation du corps électoral. Il avance comme argument principal disposer « d’une plénitude de juridiction en matière électoral ». Autrement dit, tous les actes qui touchent à une élection nationale sont dans son champ de compétence.

-
Le Conseil constitutionnel du Sénégal a jugé que la loi sur le report de l’élection présidentielle violait deux articles de la Constitution sénégalaise : l’article 27, qui concerne la durée et le nombre de mandats présidentiels, et l’article 10.3, stipulant que certains aspects fondamentaux de l’État ne peuvent être révisés. De plus, cette loi va à l’encontre du principe de sécurité juridique et de stabilité des institutions, soulignant l’importance d’une stabilité constitutionnelle indépendante des changements politiques.

-

Le conseil indique également « que la date de l’élection ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat ». Cela veut donc dire que les élections devront avoir lieu avant l’expiration du mandat du président Macky Sall le 2 avril prochain.

-

Le Conseil fait le constat que la date du 25 février 2024, initialement retenue pour le premier tour de la présidentielle, ne pourra pas être tenue. Il ne mentionne pas de nouvelle date, mais demande aux autorités d’organiser cette élection « dans les meilleurs délais ». 

-

La Une du journal «Walf Quotidien» au lendemain de l'annulation du report de la Présidentielle sénégalaise par le Conseil constitutionnel.
Unes des quotidiens se focalisant sur le veto retentissant mis par le Conseil constitutionnel à la décision de Macky Sall sur le report de la présidentielle prévue fin février – Capture AFPTV

Etape 5:

Suite aux tensions pré-électorales, et sous proposition de Macky Sall, l’Assemblée nationale du Sénégal a examiné et adopté avec 94 voix pour, 49 contre et 3 abstentions, un projet de loi d’amnistie controversé concernant les événements liés aux manifestations politiques entre 2021 et 2024. Le texte de la loi propose une amnistie pour tous les actes considérés comme des infractions criminelles ou correctionnelles, commis entre février 2021 et février 2024, en relation avec des manifestations ou motivés politiquement et cela qu’ils aient eu lieu au Sénégal ou à l’étranger, et ce, qu’ils aient été jugés ou non. Ce projet d’amnistie, annoncé par le président Macky Sall lors du lancement du dialogue national en février dernier, vise à apaiser l’espace politique et social, à favoriser la réconciliation et à maintenir la démocratie dans le pays. L’amnistie pourrait bénéficier à des centaines de citoyens sénégalais détenus à la suite des événements politiques, notamment aux responsables du parti dissous Pastef, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, candidats à la présidentielle, tous deux en détention pour diverses accusations.

Le président sénégalais, Macky Sall, à Diamniadio, le 26 février 2024. SEYLLOU / AFP

Bien que la loi d’amnistie soit censée pacifier la situation, elle suscite des critiques de la part de l’opposition et des organisations de défense des droits humains, qui craignent qu’elle n’accorde l’impunité à des responsables de violations des droits humains, notamment du gouvernement.

Etape 6 :

Pour les prétendants en compétition, le début de la campagne électorale a été précipité suite à un mois d’incertitudes qui a suivi l’annonce-surprise du report de l’élection présidentielle par Macky Sall. Alors que le 6 mars, le Conseil constitutionnel avait demandé au président de la République que l’élection se déroule avant le 2 avril, date de la fin de son mandat présidentiel, le premier tour du scrutin a finalement été fixé au 24 mars. Par conséquent, les candidats ont eu moins de deux semaines pour convaincre les Sénégalais de voter pour eux, alors que le code électoral prévoyait initialement une période de vingt et un jours pour la campagne. De manière encore plus inhabituelle, l’un des candidats les plus importants, Bassirou Diomaye Faye, le remplaçant officiel d’Ousmane Sonko, était détenu depuis avril 2023. Il aura fallu attendre le jeudi 14 mars pour les voir quitter la prison de Cap Manuel.

Ousmane Sonko (à droite) et Diomaye Bassirou Diomaye Faye (à gauche), en conférence de presse à Dakar le 15 mars 2024. AFP – JOHN WESSELSH

Un début d’élections calme après plusieurs semaines d’incertitude

Dimanche 24 mars 2024, marquait le début du premier tour des élections sénégalaises tant attendues par la société civile. Ce sont près de 7,4 millions de personnes qui ont été appelées à choisir leur cinquième président parmi une liste de candidats avec une prise de position claire (ou pas,) plus ou moins variés en ce qui concerne leur vision d’un Sénégal émergent et dynamique vis-à-vis de ses partenaires anciens ou nouveaux, notamment vis-à-vis de la Chine.

Après les retraits de Rose Wardini en début février pour double nationalité, ainsi que ceux de Cheikh Tidiane Dieye et Habib Sy les mercredi 20 et jeudi 21 Mars 2024 au profit du candidat antisystème Bassirou Diomaye Faye ; il ne reste de facto que 17 concurrents en lice sur les 20 de départ.

Parmi les 17 candidats, 7 ressortent de façon majoritaire dans les médias et cela grâce à des campagnes dynamiques. Tous ont des ambitions, sans pour autant clairement mettre en avant leur positionnement vis-à-vis de la Chine.

  • Idrissa Seck: ancien premier ministre. Il propose 281 mesures pour accélérer la création d’une monnaie commune en Afrique de l’Ouest et souhaite également consacrer au moins 60% des investissements publics aux régions en dehors de Dakar, renégocier les accords de pêche avec plusieurs pays, et rendre le service militaire obligatoire.

  • Anta Babacar Ngom: seule candidate femme, dirigeante d’entreprise et première femme candidate à la présidence du Sénégal. Elle met l’accent sur la création d’emplois via le soutien au secteur privé, la protection de l’environnement, la gratuité des soins pour les plus vulnérables et une réforme du système éducatif pour inclure l’enseignement dans les langues locales.

  • Mahammed Dionne: ancien premier ministre. Il se concentre sur une plus grande indépendance de la justice, l’accès universel aux soins de santé grâce à une assurance maladie ainsi qu’au renforcement du secteur hospitalier.

  • Aly Ngouille Ndiaye: plusieurs fois ministre sous la présidence de Macky Sall. Il espère devenir le candidat de la coalition présidentielle Benno Book Yakaar après la décision de Macky Sall de ne pas se représenter. Il met en avant son expérience gouvernementale et propose des initiatives pour l’agriculture, l’équipement rural et la souveraineté alimentaire.

  • Amadou Ba: ministre de l’Économie et des Finances de 2013 à 2019 puis, ancien chef du gouvernement et ministre des Affaires étrangères jusqu’en 2020. Il est un inspecteur des impôts diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature de Dakar. Il représente le camp présidentiel en tant que candidat « de la paix » et de la « prospérité partagée ». Il propose la création de plus d’un million d’emplois en cinq ans via un pacte public-privé et des investissements dans divers secteurs tels que l’agriculture, l’industrie, les infrastructures et les énergies renouvelables, avec la mise en œuvre de 22 projets phares.

  • Bassirou Diomaye Faye: désigné comme alternative par la coalition issue du Pastef après l’incarcération de son leader, vise à incarner le candidat du changement de système. Il envisage une révision des contrats dans les secteurs minier et pétrolier, ainsi qu’une réévaluation des accords de pêche avec les acteurs étrangers. Il propose également des réformes institutionnelles, dont la limitation des pouvoirs présidentiels et la création d’un poste de vice-président, ainsi que l’introduction d’une monnaie nationale, le Sénégal, en remplacement du franc CFA.

  • Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, bénéficiant d’une modification du code électoral, présente un projet de réforme axé sur les valeurs traditionnelles et familiales, la justice, les libertés et les droits humains. Il propose notamment d’allouer au moins 1 000 milliards de francs CFA du budget national annuel à l’agriculture, de réviser les accords de pêche, et d’effectuer un examen minutieux de tous les contrats miniers, pétroliers et gaziers.

Pour rappel voici les 10 autres candidats en lice pour ces élections :

  • Aliou Mamadou Dia: représentant du Parti de l’Unité et du Rassemblement.
  • Boubacar Camara: ancien directeur général adjoint des douanes.
  • Mamadou Lamine Diallo: député, intellectuel, homme politique et le fondateur du Mouvement Tekk.
  • Papa Djibril Fall: député à l’Assemblée nationale.
  • Malick Gackou: économiste et ancien ministre.
  • Thierno Alassane Sall: ingénieur en télécommunications et en aviation civile.
  • Mamadou Dia: ancien directeur de la Caisse des dépôts et consignations et un candidat indépendant ayant été dans la majorité présidentielle mais se dissociant désormais du camp présidentiel.
  • Serigne Mboup: maire de Kaolack, dirigeant d’une entreprise influente et le candidat de la coalition And Nawle, And Suxali Sénégal.
  • Déthié Fall: vice-président de Rewmi, soutenu par le Parti républicain pour le progrès (PRP).
  • Daouda Ndiaye: chef du département de parasitologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et un candidat indépendant renommé internationalement pour ses travaux dans le domaine de la santé et de l’éducation.

Il ne reste plus qu’à attendre de voir comment la situation évolue. Jusque-là, la Chine ne s’est pas prononcée sur la situation. Cela reste cependant très peu surprenant si on prend en considération la politique de cette dernière basée sur l’opportunisme commercial, se caractérisant par la formule «business is business». Le commerce passe avant toute préoccupation «occidentale» de transparence, de démocratie, etc. et c’est cette posture qui permet à la Chine de commercer.

Les relations sino-africaines revêtent une importance stratégique majeure dans le contexte des élections sénégalaises. Les choix politiques et économiques qui seront faits auront des répercussions durables sur le développement et la position du Sénégal dans la région.

Pour le Sénégal, Faye, vainqueur proclamé se veut le candidat du changement de système et d’un panafricanisme de gauche. Son programme insiste sur le rétablissement de la souveraineté nationale, bradée selon lui à l’étranger. Il a promis de combattre la corruption et mieux répartir les richesses, et s’est aussi engagé à renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers conclus avec des compagnies étrangères.

Pékin félicitera le jeune gagnant, en attendant les premières rencontres et discussions sur le nouveau cap à donner aux relations sino-sénégalaises.


Par Nadine EKLU, Chargée de Veille et Analyste au Pôle Afrique de l’Ouest

L’article Le Sénégal à la croisée des chemins, la relation avec la Chine à l’ère des élections est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

02.03.2024 à 14:51

Maldives, la route de liaison Laamu

observatoirenrs

img

La route de liaison de l’atoll de Laamu, reliant les îles maldiviennes de Gan, Maandhoo,

L’article Maldives, la route de liaison Laamu est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (2269 mots)

La route de liaison de l’atoll de Laamu, reliant les îles maldiviennes de Gan, Maandhoo, Kadhdhoo et Fonadhoo sur une distance totale de 15,1 kilomètres, a été le fruit d’une collaboration entre le gouvernement maldivien et la Chine, dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie – Belt and Road Initiative (BRI).

A sign next to a rock

Description automatically generated

A road with a body of water and a blue sky

Description automatically generated
Plaque et photo de la route, publiées par l’ambassade de Chine aux Maldives http://mv.china-embassy.gov.cn/eng/mytz/202210/t20221011_10781014.htm

Le financement du projet a été assuré par un don non remboursable du gouvernement chinois, qualifié de « cadeau », à hauteur de 30 millions de dollars américains. La planification et la réalisation de la route ont été attribuées à des entités distinctes, bien que toutes les deux chinoises, avec la conception confiée à Second Harbour Engineering, une division de la China Communications Construction Company, et la construction confiée au Jiangsu Transportation Engineering Group.

A group of men wearing safety vests and helmets standing on a road

Description automatically generated
Membres du Jiangsu Transportation Engineering Group, posant sur la route de Laamu
http://mv.china-embassy.gov.cn/eng/mytz/202210/t20221011_10781014.htm

L’étude d’impact environnemental réalisée par Water Solutions Pvt. Ltd., commissionnée par le ministère du Logement et de l’Infrastructure, a souligné les conséquences visibles telles que l’abattage d’arbres et le nivellement des routes. Pour contrer ces impacts, des mesures d’atténuation, notamment une gestion efficace des déchets, ont été proposées pour minimiser les répercussions sur l’environnement physique des îles de Gan, Fonnadhoo et Maandhoo. De plus, les avantages socio-économiques du projet, tels que l’amélioration de la connectivité et la stimulation du développement régional, ont été jugés supérieurs aux inconvénients environnementaux. Le coût, la durabilité et la sécurité de la conception du projet ont également été évalués comme faisables.

Le projet a été entrepris sous la présidence d’Abdulla Yameen Abdul Gayoom, qui avait une stance pro-chinoise. Lors de la cérémonie d’inauguration, le président Yameen a souligné l’importance du projet, déclarant que la route de liaison de Laamu était un élément clé pour la réalisation des aspirations de développement de l’atoll. Il a annoncé que l’atoll avait été identifié comme une Zone Economique Spéciale (ZES) potentielle, renforçant ainsi son rôle dans les plans de développement économique du pays. Pourtant, cette possibilité n’a pas encore abouti.

A group of people standing on a stage

Description automatically generated
L’ex président Abdulla Yameen Abdul Gayoom inaugure le projet de développement routier dans l’atoll de Laamu
https://presidencymaldives.gov.mv/Press/Article/15116

L’actuel président Dr. Mohamed Muizzu, à l’époque ministre du Logement, a également souligné l’importance stratégique de la route de liaison pour le développement de l’atoll de Laamu. Le Dr. Muizzu a exprimé l’espoir que ce projet ouvrira de nouvelles opportunités d’investissement et d’entreprises dans la région, bénéficiant ainsi à l’ensemble de la population locale. Il a déclaré en 2014 que « Les transports sont la clé du développement. Ce projet apportera certainement du progrès et du développement ».

Cependant, cette collaboration sino-maldivienne n’a pas été exempte de controverses et de préoccupations. Des rumeurs ont circulé sur des questions d’espionnage impliquant un avant-poste américain de la CIA et des activités du gouvernement indien, mettant en lumière les tensions géopolitiques dans la région. Par ailleurs, au-delà de la route de liaison, la Chine a étendu son influence dans divers secteurs aux Maldives, suscitant des débats sur les modèles de développement, la transparence des projets d’infrastructure et le rôle des investissements étrangers dans le pays.

A couple of men shaking hands

Description automatically generated
Le Président chinois Xi Jinping of China avec l’Ancient Président des Maldives Abdulla Yameen Abdul Gayoom, en 2014
https://presidency.gov.mv/Press/Article/14809

En conclusion, la route de liaison de l’atoll de Laamu représente bien plus qu’une simple infrastructure routière. Elle incarne les complexités des relations internationales, des dynamiques politiques locales et des préoccupations environnementales. Le récit de ce projet reflète les enjeux cruciaux auxquels sont confrontés les pays insulaires en développement lorsqu’ils cherchent à équilibrer le progrès économique avec la préservation de leur environnement et de leur souveraineté.


Par Marie-Solveig MAGNIER, Analyste Océan Indien et Global Gateway

L’article Maldives, la route de liaison Laamu est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

23.02.2024 à 09:00

Pour Lula et la Chine, quel bilan un an après le début de son mandat ?

observatoirenrs

img

Les élections présidentielles brésiliennes d’octobre 2022 avaient laissé entendre que le choix du prochain président

L’article Pour Lula et la Chine, quel bilan un an après le début de son mandat ? est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (2255 mots)

Les élections présidentielles brésiliennes d’octobre 2022 avaient laissé entendre que le choix du prochain président aurait un impact direct sur la position diplomatique et les engagements commerciaux et économiques du Brésil. On voyait dans Bolsonaro un alignement sur les Etats-Unis et un rejet de la Chine et dans Lula une position anti-impérialiste, donc plus éloignée des Etats-Unis, suggérant un rapprochement avec Pékin. Cependant, cette vision binaire se révèle inexacte, notamment parce que la marge de manœuvre et le pouvoir de décision du président brésilien sur son alignement géopolitique est limité.

D’un côté, la Chine est le premier partenaire commercial et le deuxième plus grand investisseur au Brésil. Il existe donc une dépendance du Brésil envers le marché chinois, sur des exportations de produits comme le boeuf, le soja, le fer et le pétrole.

D’un autre côté, les États-Unis est le pays qui investit le plus au Brésil. Brasilia n’a donc aucun intérêt à s’éloigner de Washington pour des raisons purement économiques. Ainsi, même si Bolsonaro présentait une hostilité verbale envers Pékin dans son discours, en l’accusant d’avoir volontairement introduit le Covid et « d’acheter le Brésil, plutôt que d’acheter au Brésil », il avait tenu une position commerciale réaliste, marquée par une augmentation des exportations vers la Chine de plus de 40% entre 2019 et 2022.

Un principe de non-alignement

Dès le début de son mandat, Lula a été très clair quant à son positionnement géopolitique et sa politique commerciale. Il a annoncé que le Brésil aurait des « relations avec tous » et qu’il respecterait un principe de non-alignement. Ainsi, le président socialiste a rejeté une offre américaine de remplacement de son équipement militaire vieillissant, dans le cas où le Brésil déciderait de le donner à l’Ukraine. Il a également proposé de former un club de paix des BRICS pour aider à la médiation et à la négociation d’une sortie de conflit entre l’Ukraine et la Russie. Lula a aussi fait part de sa volonté de bâtir une indépendance stratégique et de se libérer de l’alignement historique du Brésil sur les États-Unis en déclarant que « personne n’allait empêcher l’intensification des relations entre le Brésil et la Chine », ce qui visait implicitement Washington.

Les avancées des projets commerciaux et des activités chinoises au Brésil

De nombreuses avancées ont été faites par Pékin depuis le début du mandat de Lula. Dès le mois de mars 2023, les deux pays ont arrêté d’utiliser le dollar pour les transactions commerciales et financières. Cet accord leur permet d’échanger directement le yuan contre le real, plutôt que de passer par le dollar, réduisant ainsi les frais de transactions. Dans le but d’implémenter le yuan comme monnaie d’échange, la filiale brésilienne de l’ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) a commencé à agir en tant que banque de compensation, tandis que la banque brésilienne BOCOM BBM a annoncé son adhésion au système de paiement transfrontalier en yuan.

La visite diplomatique de Lula en Chine en avril 2023 a conclu une quinzaine d’accords bilatéraux notamment en matière de commerce, de technologie et de recherche. Pour permettre de faciliter les échanges commerciaux de produits agricoles, les deux pays ont mis en place une numérisation des procédures douanières.

Le Président Xi Jinping et le Président Luiz Inácio Lula da Silva en avril 2023 à Pékin

Dans le secteur des énergies renouvelables, la société d’électricité Electrobas Furnas s’est associée à la SGCC (State Grid Corporation of China) pour la rénovation de la plus grande centrale hydroélectrique du Brésil (Itaipu). De même, le producteur brésilien de minerai de fer et de nickel Vale a signé 7 accords avec différentes organisations chinoises, incluant un échange de connaissances avec l’Université Tsinghua et un accord de coopération avec Baoshan Iron and Steel pour produire du biochar dans le but de décarboner l’industrie sidérurgique.

Dans le domaine des technologies et de la construction, un accord a été passé entre les entreprises de télécommunication brésilienne et chinoises Unifique et ZTE, afin de renforcer le réseau 5G dans la partie sud du Brésil alors que l’entreprise d’ingénierie ETERC Engenharia et China CITIC Construction Co. ont signé un accord de coopération portant sur des projets d’infrastructures et des programmes de logements sociaux au Brésil.

Port de Aratu dans la province de Baiha

De même, le plus grand fabricant de voitures électriques du monde BYD a investi 3 milliards de reais pour produire des voitures électriques dans l’État de Bahia au Brésil. En retour, il bénéficiera d’une réduction de 95 % de la taxe sur la valeur ajoutée jusqu’en 2032 ainsi qu’un accès au port d’Aratu, ce qui facilitera l’importation de matières premières et l’exportation de produits finis. Les deux pays ont également annoncé la création d’un dixième satellite de surveillance de la déforestation en Amazonie, le CBERS-6, qui coûtera 100 millions de dollars et qui devrait être effectif en 2028.

Une signature pour rejoindre la BRI qui n’est pas d’actualité

Compte tenu de l’intensification et de la diversification des projets de collaboration sino-brésilien, il est légitime de s’interroger sur une éventuelle signature et adhésion de Brasilia aux nouvelles routes de la soie, ce projet lancé par Xi Jinping visant à renforcer les liens entre Pékin et ses partenaires via des investissements dans leurs structures d’échanges (commerciales, financières, sociales et politiques). L’Argentine, qui est le pays d’Amérique Latine le plus comparable au Brésil en termes économique et commercial, avait fait le choix en Février 2022 de rejoindre ce projet chinois. Cependant, il n’est pas dans l’intérêt de Brasilia de rejoindre cette initiative car les conditions d’adhésion à la BRI sont souvent dictées par Pékin et visent donc des pays dont le pouvoir de négociation est faible. C’est notamment pour cette raison que la Grèce et l’Argentine avaient adhéré au projet lorsque leur stabilité économique et financière avait atteint un stade critique.

Le Brésil dispose aujourd’hui d’une marge de manœuvre importante dans sa relation avec Pékin, notamment car la Chine est dépendante des exportations brésiliennes pour sa sécurité alimentaire. Par conséquent, Brasilia n’a pas d’intérêt particulier à rejoindre une initiative dont il ne maîtriserait pas les termes de l’adhésion. De plus, le Brésil ne veut pas non plus développer un partenariat exclusif avec la Chine, afin de pouvoir continuer à commercer avec tous. Compte tenu du fait que Brasilia ne perd rien de significatif à ne pas adhérer à la BRI, il est improbable que Lula décide de choisir la voie bilatérale avec la Chine, qui est contraire à son positionnement géopolitique.

Les limites d’un rapprochement

Finalement, plusieurs facteurs limitent le rapprochement entre Pékin et Brasilia. Il existe notamment au sein de la classe politique et de la société brésilienne une inquiétude quant à l’augmentation de la présence d’activités et d’entreprises chinoises sur le territoire brésilien. La désindustrialisation, la perte d’emploi des ouvriers brésiliens au profit de la main-d’œuvre chinoise et la dégradation environnementale figurent parmi les préoccupations des Brésiliens. De plus, la signature d’un accord de libre échange entre le Mercosur et l’UE reste d’actualité, malgré la réticence du président Macron. En cas de signature, cet accord risquerait d’entraver les exportations brésiliennes vers la Chine, car le marché européen représente une opportunité immense pour le Brésil.

Depuis l’arrivée de Lula au pouvoir, les investissements, les accords de coopération et les échanges ont augmenté entre la Chine et le Brésil dans plusieurs domaines. Cependant, Lula ne compte pas s’engager dans une relation exclusive avec la Chine, car il a compris que la force du Brésil réside dans sa capacité à dialoguer, commercer et coopérer avec tous. Ainsi, la signature de la Belt and Road Initiative (BRI) n’est pas d’actualité et les relations entre le Brésil et les États-Unis et ses autres partenaires restent et resteront sûrement intactes sous le mandat du président Lula.


Par Aloïs Mottard, Chargé de veille du Pôle Amérique Latine

L’article Pour Lula et la Chine, quel bilan un an après le début de son mandat ? est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

22.02.2024 à 18:01

La centrale de Gwadar et les résolutions vertes chinoises au Pakistan

observatoirenrs

img

Lors de son discours au débat général de la 76e Assemblée générale des Nations unies

L’article La centrale de Gwadar et les résolutions vertes chinoises au Pakistan est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (1590 mots)

Lors de son discours au débat général de la 76e Assemblée générale des Nations unies en 2021, le président XI Jinping a souligné la nécessité de promouvoir une « coexistence harmonieuse entre l’Homme et la nature » marquant ainsi son engagement envers l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2060. Simultanément, le pays s’efforce d’améliorer la durabilité de ses investissements internationaux.

Le président chinois Xi Jinping s’adresse au débat général de la 76e session de l’Assemblée générale des Nations Unies par vidéo

Cette ambition s’est manifestée par la décision de la Chine de ne plus supporter la construction de nouvelles centrales électriques au charbon, alors que nombre de ces projets avaient été promus dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie (Lamu, Hunutlu, Cekulan Bawang, Gwadar). Depuis 2013, la Chine a alloué 50 milliards de dollars à des projets de centrales thermiques au charbon.

Par cette décision, la Chine montre qu’elle est consciente de l’impact environnemental significatif de ces initiatives. En effet, les centrales thermiques au charbon émettent une quantité importante de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre. À la suite de cette déclaration, 20 projets ont été définitivement annulés, mais en octobre 2022, 77 projets de centrales électriques au charbon étaient encore planifiés, 65 étaient en phase de construction, tandis que 68 avaient été suspendus. La Commission nationale chinoise pour le développement et la réforme statue la même année que la décision n’incluait pas les projets déjà lancés.

Des efforts ont tout de même été déployés afin de réduire l’investissement dans les centrales thermiques, notamment en transformant les projets déjà signés vers des options plus respectueuses de l’environnement.

Focus sur le projet de centrale thermique de Gwadar

Au Pakistan, les résolutions chinoises ont rapidement été confrontées à une réalité bien plus complexe. Le projet de centrale thermique de 300 MW dans la ville portuaire de Gwadar annoncé en 2016 est au centre des discussions puisqu’en janvier 2023, le premier ministre pakistanais annonce que le projet verra bien le jour.

Parallèlement, la Chine réaffirme sa volonté d’investir dans le projet via deux crédits alloués par la ICBC et la CBC afin de commencer sa construction. En novembre 2023, la compagnie CIHC Pak Power, à son tour, accepte de commencer à travailler sur le projet. Le charbon utilisé proviendra de Chine.

Le projet est le reflet des investissements massifs qu’a effectué la Chine dans le secteur de l’énergie au Pakistan. Le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) a facilité le développement de projets axés sur le charbon, bien que le pays ne détienne que 0,03% des réserves mondiales. La production pakistanaise à base de charbon et de combustibles fossiles en général dépend donc majoritairement des importations chinoises qui représentent 90% de la capacité de production actuelle du Pakistan.

Thar Coal Block -1 Power Generation Company (PVT) Ltd., en tant que filiale de Shanghai Electric au Pakistan, est propriétaire d’une centrale électrique au charbon de 2 × 660 MW dans le Thar Coal Block-1

Cependant, en pleine crise économique, le pays cherche à s’émanciper de sa dépendance énergétique en passant par le développement de son aptitude à exploiter le charbon qu’il possède dans le désert du Thar. Des négociations avaient eu lieu concernant les termes du contrat pour le projet Gwadar, reflétant la volonté du Pakistan d’utiliser son propre charbon dans la centrale, une demande que la Chine avait refusée.

Le Pakistan ne semble donc pas envisager de réduire l’exploitation du charbon, cela ayant été confirmé par la déclaration du premier ministre de l’Énergie qui annonce lors d’une interview que « le pays prévoit de quadrupler sa capacité domestique de production de charbon et qu’il ne construira pas de nouvelles centrales au gaz dans les années à venir ». Cette décision est motivée par des facteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux.

La Chine doit ainsi composer avec les intérêts du gouvernement pakistanais dans le cadre du projet Gwadar, tout en respectant ses engagements et en encourageant une transition vers les énergies renouvelables pour ses pays partenaires.

Une transition énergétique longue mais nécessaire

La Chine dispose alors de plusieurs moyens pour garantir la faisabilité de ses ambitions environnementales. Au Pakistan, le développement des énergies renouvelables est poussé par le gouvernement chinois avec la mise en place de tarifs particuliers. Cependant, la mise en place d’infrastructures éoliennes et solaires s’avère être un long processus. En juin 2022, les énergies renouvelables ne représentaient que 6% de la capacité énergétique du Pakistan. Pourtant, il apparaît plus que nécessaire d’accélérer la transition énergétique du pays. En effet, les villes de Lahore et Karachi se classent parmi les 10 villes les plus polluées au monde depuis maintenant quelques années.

En conclusion, la nouvelle position chinoise a encouragé une réflexion autour de nouveaux projets qui s’alignent sur les nouvelles directives environnementales des Nouvelles Routes de la Soie. Une réflexion qui s’est traduite par des projets verts d’envergure. Par exemple, selon des données du Centre de finance durable et de développement de l’université de Fudan, 42% des investissements étrangers chinois dans le secteur de l’énergie concernaient les énergies solaire et éolienne pour la première partie de 2023.


Par Dounia Dif, Chargée de Veille Route de la Soie verte auprès de l’OFNRS

L’article La centrale de Gwadar et les résolutions vertes chinoises au Pakistan est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

19.02.2024 à 23:03

La relation sino-birmane face aux bouleversements politiques en Birmanie

observatoirenrs

img

Cet article est la première partie du dossier Birmanie – L’intégration de la Birmanie au

L’article La relation sino-birmane face aux bouleversements politiques en Birmanie est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (3417 mots)

Cet article est la première partie du dossier Birmanie – L’intégration de la Birmanie au sein des Nouvelles Routes de la Soie : retour sur la relation sino-birmane depuis 1949

La visite de Xi Jinping en Birmanie en janvier 2020 a symboliquement entériné l’intégration de cette dernière au sein des Nouvelles Routes de la Soie. Pays stratégique, la Birmanie entretient avec la Chine des relations ayant connu des difficultés notables. Nées par la reconnaissance de la République populaire de Chine en 1949, les relations bilatérales sont dès le début froides, mais se réchauffent en 1954 sous le principe du Pauk Phaw (fraternité). Malgré le soutien de la Chine à certains groupes ethniques armés dans le nord de la Birmanie et la peur du piège de la dette, la Chine reste le principal partenaire commercial du pays. Les dirigeants birmans de la junte ou du gouvernement démocratique ont dû faire le choix de la Chine pour des raisons économiques et politiques, et ce en dépit d’un sentiment anti-chinois au sein de la population. En résulte une relation complexe et asymétrique qui a dû s’adapter aux différents bouleversements politiques qu’a connu le « pays aux mille pagodes ».

L’établissement des relations bilatérales

L’année 1949 marque le début des relations sino-birmanes. Le ministre des affaires étrangères birman de l’époque annonce que son pays reconnaîtra la République populaire. Il s’agit alors du premier pays d’Asie du Sud-Est non communiste à le faire (1). Mais ce début de relation demeure sans engagement et froid. Une méfiance existait entre les deux parties durant la période 1949-1953. Pékin voyait la Birmanie comme un subalterne des pays occidentaux tandis que Rangoune craignait d’être envahie par la Chine (2).

Les relations ont commencé à se réchauffer en 1954 lorsque les Premiers ministres Zhou Enlai et U Nu se sont mutuellement rendus visite et ont signé l’accord d’amitié et de non agression entre les deux pays (3) sous le principe de  du Pauk Phaw (affinité ou fraternité en birman)

Mais en 1957, les tensions entre les deux pays s’intensifient avec l’entrée des forces chinoises dans la région de Wa (nord-est de la Birmanie) dans le but de combattre les Nationalistes chinois ayant fui la Chine dans les années 1950 après la guerre civile. Ce fut finalement l’accord frontalier de 1960 entre Pékin et Rangoune qui régla cette question (4). De plus, les émeutes anti-chinoises de 1967 en Birmanie et l’expulsion de communautés chinoises du pays vont envenimer les tensions. Cela pousse Pékin à accroître son soutien au parti communiste birman. Il faudra attendre les années 1970 et l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir pour une amélioration des relations. Ce dernier réduit son soutien au Parti communiste birman, signe un accord commercial avec la Birmanie et apporte  une aide militaire et économique à la junte birmane.

Premier Zhou Enlai and Prime Minister U Nu in Myanmar, June 1954
Premier Zhou Enlai and Prime Minister U Nu in Myanmar, June 1954, Global Times, https://www.globaltimes.cn/page/202106/1225991.shtml

En 1988, la Birmanie connaît des manifestations pro-démocratie qui seront réprimées. La communauté internationale condamne Rangoune et impose des sanctions isolant le pays. Pékin se présente alors comme un acteur essentiel pour contrer cet isolement (5). Jusqu’en 2010, la République populaire a fourni un soutien économique et matériel à la junte. Pas moins de 60 % de l’armement de l’armée birmane et 42 % des investissements directs étrangers (IDE) provenaient de Chine (6).

Au niveau des investissements, les IDE chinois en Birmanie s’élevaient de 20 millions de dollars US en 2004 pour atteindre 2 milliards en 2010 (7). Encouragée par la politique chinoise du Go Global lancée en 1999, la Birmanie était à l’époque le deuxième récepteur d’investissements chinois au sein de l’ASEAN après Singapour. Ces investissements portaient essentiellement sur des projets d’extraction de ressources gazières ou pétrolières ou encore hydroélectriques. Ils étaient encadrés par des entreprises d’État chinoises comme la China Wanbao Mining company dans le projet minier de Letpadaung ou encore la China Power investment Corporation pour le projet de barrage d’Irrawaddy.

Les élections contestées de 2011 en Birmanie voient l’arrivée au pouvoir de Thein Sein et d’un gouvernement civil marquant un signe d’ouverture et de libéralisation, même si ce gouvernement comprend encore des militaires. Thein Sein voulait « un gouvernement propre, une bonne gouvernance » avec l’objectif de montrer que son administration pouvait mener des réformes allant à contre-courant de ce que la junte avait mené jusque là. Le but était également d’ouvrir de nouvelles perspectives diplomatiques et économiques à l’international afin de garantir l’autonomie du pays.

Car pour de nombreux Birmans, la Chine s’est trop étendue dans le pays. Des protestations anti-chinoises avaient éclaté contre les projets miniers, pétroliers et hydroélectriques mettant au défi la politique de bonne gouvernance de Thein Sein. La dépendance à la Chine a été jugée trop importante et la recherche de légitimité au niveau international vise à réduire l’isolement birman et les sanctions des pays occidentaux afin de précisément réduire cette dépendance envers Pékin.

La place de la Chine dans la Birmanie d’Aung San Suu Kyi

La victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (National League for Democracy, NLD) et l’arrivée au pouvoir d’Aung San Suu Kyi après les élections de 2015 marque un tournant dans une Birmanie faisant face à de nombreux défis. L’un de ces défis est économique, un aspect qui redonnera une place importante à Pékin dans l’espace politique et économique birman. Ce soutien sera moindre que celui qu’a connu la Birmanie de 1988 à 2010 (8) mais sera cependant celui de l’ancrage du pays au sein des Nouvelles Routes de la Soie.

Le président chinois Xi Jinping et la conseillère d’État du Myanmar, Aung San Suu Kyi, se serrent la main au palais présidentiel de Naypyitaw, au Myanmar, le 17 janvier. Crédit photo : Reuters

En effet, la NLD a maintenu de bonnes relations avec Pékin malgré le sentiment anti-chinois au sein de la population. Aung San Suu Kyi a ainsi assisté au forum de la BRI en 2017 et 2019, et Xi Jinping a visité la Birmanie en 2020. L’objectif est avant tout économique puisque le gouvernement birman a fait du développement des infrastructures un des ses principaux objectifs (9). Ce besoin en infrastructures, ainsi que les liens entre Pékin et Naypyidaw, a amené à la signature du Corridor Économique Sino-Birman (China Myanmar Economic Corridor, CMEC) en 2018 (10). Naypyidaw privilégie alors le partenariat public-privée avec des entreprises chinoises et birmanes pour le développement des infrastructures dans le pays.

Mais le sentiment anti-chinois persiste au sein de la population. Les oppositions aux projets chinois restent fortes et des renégociations de projets ont eu lieu. Les préoccupations de la Birmanie portent surtout sur la question de la dette, du foncier et de l’environnement.

La relation Pékin-Naypyidaw depuis le coup d’État de février 2021

Peu de temps après la visite de Xi Jinping en Birmanie en 2020, la pandémie de Covid-19 a entraîné la fermeture de la frontière sino-birmane. 13 mois plus tard, le 1 février 2021, la Birmanie connaît un coup d’État, Aung San Suu Kyi est arrêtée et une guerre civile démarre. Dans les premiers jours qui ont suivi ce coup, Pékin prend ses distances avec Naypyidaw.

Ayant beaucoup investi dans sa relation avec la Birmanie d’Aung San Suu Kyi, il est clair que le coup d’État a mis à mal des années de relations diplomatiques. L’ambassadeur chinois en Chine a dû démentir les accusations d’implications chinoises dans ce coup d’État en affirmant qu’elle n’y avait aucun intérêt et que la situation politique actuelle n’était « absolument pas ce que la Chine voulait voir ». Face à ce bouleversement politique, Pékin a dû recalibrer son approche afin de préserver ses intérêts dans le pays.

La Chine fait alors le choix du pragmatisme en se rangeant derrière la junte afin de continuer à alimenter le CMEC en investissements (11). Ainsi, à l’ONU, la Chine refuse de sanctionner la junte. S’ensuit un réchauffement des relations, bien que les deux parties fassent profil bas. Cette reprise est marquée par une rencontre entre Wang Yi, le ministre des affaires étrangères chinois et son homologue birman en juin 2021. En avril 2022, Wang Yi déclara que, quelle que soit l’évolution de la situation, la Chine soutiendra la Birmanie, signe d’un retour définitif à la normale.

Le chef militaire du Myanmar, le général Min Aung Hlaing, et le président chinois Xi Jinping se rencontrent à Pékin le 24 novembre 2015

Si lors de la décennie précédente Naypyidaw avait pu concilier sa relation avec la Chine et d’autres acteurs internationaux, le coup d’État de 2021 laisse une économie birmane en difficulté face à des IDE en chute libre. C’est alors Pékin qui détient désormais la plupart des cartes en Birmanie. La priorité demeure le CMEC et la sécurité frontalière. Le corridor économique est toujours à l’ordre du jour mais la trajectoire de la relation est modifiée par ces nouvelles dynamiques politiques et l’évolution des besoins stratégiques de Pékin et de Naypyidaw.

Cette relation s’axe également d’autres thématiques que celle des infrastructures, les  récents développements semblent en tout cas aller dans ce sens (12). Cela s’est d’abord manifesté par la diplomatie des vaccins de Pékin lors de la pandémie. Des transferts de technologies chinoises vers la Birmanie ont eu lieu pour permettre la production de vaccins sous la marque Myancopharm (13). Face à l’absence de concurrents sur le marché birman, la diplomatie des vaccins chinois a ouvert la voie à l’établissement d’entreprises chinoises sur le marché pharmaceutique birman qui est encore fortement dominé par des importations en provenance d’Inde (14).

Autre exemple au niveau des technologies, le renminbi numérique pourrait s’avérer utile pour la Birmanie. Depuis l’introduction du renminbi en tant que monnaie officielle de règlement pour les échanges transfrontaliers sino-birmans (15), la monnaie numérique permettrait une réduction de la dépendance de la Birmanie au dollar US, notamment dans ses échanges commerciaux, et d’atténuer les restrictions de son accès au système international SWIFT (16). Le règlement en renminbi numérique est une projection stratégique pour Naypyidaw et un avantage pour Pékin en termes d’efficacité commerciale et de financement des futurs projets.

Pourtant, à la fin du mois d’octobre 2023, Pékin semble reconsidérer ses intérêts face aux ravages de la guerre civile en cours. L’offensive menée en octobre par l’Alliance des trois confréries, une coalition de groupes ethniques armés s’opposant à la junte birmane au pouvoir, contre des installations de l’armée régulière birmane, semble à première vu exposer un double jeu de Pékin. Cette Alliance des trois confréries entretient des relations avec les services de sécurité chinois (17) et opère dans le nord du Myanmar, à la frontière chinoise, en s’emparant notamment de bases militaires et de quatre points de passage frontaliers essentiels pour le commerce entre la Chine et la Birmanie. L’Alliance a également annoncé que l’un de ses objectifs est l’éradication du réseau de cyber-escrocs s’étant développé le long de la frontière entre le Myanmar et la Chine, des opérations qui constituent un problème de sécurité majeur pour la Chine (18). Il faut cependant noter que c’est au côté de la junte que la Chine lutte contre cette cyber-escroquerie, elle ne s’oppose cependant pas aux agissements des groupes ethniques armés qui vont dans ce sens (19).  

Mais Pékin n’a pas changé de camp pour autant. Pour rassurer la junte, des exercices navals conjoints entre les deux armées ont été réalisés en décembre 2023 et Wang Yi a rencontré le vice-premier ministre du Myanmar, Than Swe, à Pékin. Cette approche de Pékin envers la junte, au premier abord contradictoire, distingue en fait les intérêts chinois à court et long terme. À court terme, Pékin s’inquiète pour sa sécurité, notamment les 2 000 km de frontière commune qui demeurent très peu contrôlés par Naypyidaw et de possible débordement du conflit sur son territoire. À long terme, la Chine craint pour ses intérêts économiques, ses investissements dans le CMEC. 

Il semble donc important de noter que ces groupes ethniques armés ne sont pas des proxys de Pékin et encore moins que la Chine s’immisce dans la guerre civile birmane. Ces groupes armés défendent leurs propres intérêts et Pékin a toujours mené une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures de la Birmanie (20). La Chine craint donc que l’escalade du sentiment anti-chinois au Myanmar menace ses actifs stratégiques et économiques. Par conséquent, Pékin a, pour le moment, plutôt intérêt à ne pas s’immiscer dans la guerre civile pour éviter une vague de sentiments anti-chinois. 


Par Théo Banse, Chargé de Veille Asie du Sud-Est à l’OFNRS

L’article La relation sino-birmane face aux bouleversements politiques en Birmanie est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

12.02.2024 à 15:59

Sawasdipakdi : « Il est trop tôt pour parler de proximité entre la Thaïlande et la Chine »

observatoirenrs

img

Dans le cadre des 10 ans des Nouvelles Routes de la Soie, l’OFNRS mène divers

L’article Sawasdipakdi : « Il est trop tôt pour parler de proximité entre la Thaïlande et la Chine » est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (3615 mots)

Dans le cadre des 10 ans des Nouvelles Routes de la Soie, l’OFNRS mène divers entretiens avec des spécialistes. Aujourd’hui, nous abordons les relations de la Thaïlande avec la Chine, au cours de cet entretien avec la chercheuse Sawasdipakdi Pongkwan.

La caractérisation des relations inter-étatiques par une relation de parenté est sans aucun doute un phénomène culturel. En Asie, les pays ont souvent décrit un autre État comme étant leur frère ou leur sœur, voire leur père ou encore leur fils. Si à l’heure actuelle, aucune étude explique les origines historiques de ce phénomène culturel, cette étiquette implique des relations hiérarchiques. Ce type de relation peut entraîner une attente de loyauté accrue entre les parties, la loyauté étant un principe moral fondamental de la parenté.

Les relations entre les deux pays suivent une trajectoire positive depuis la crise financière asiatique de 1997. Il est indéniable que le coup d’État de 2014 a rapproché Bangkok de Pékin puisque le gouvernement militaire thaïlandais a trouvé en la Chine une alternative attrayante aux pays occidentaux.

Au moins deux facteurs peuvent expliquer le comportement de la Thaïlande :

  • Premièrement, le gouvernement militaire a peut-être cherché à attirer l’attention des pays occidentaux en se rapprochant de la Chine.
  • Deuxièmement, le rapprochement peut avoir été motivé par des similitudes idéologiques.

Pour le moment, je ne pense pas que l’influence de la Chine en Asie du Sud-Est ait diminué. Les échanges commerciaux de la Chine avec les pays de l’ASEAN et les investissements directs étrangers (IDE) dans ces pays n’ont cessé de croître. Toutefois, avec une population vieillissante et une croissance réduite, la Chine pourrait entrer dans une période de croissance plus lente. Si ces symptômes persistent, l’influence économique de la Chine en Thaïlande pourrait se faire ressentir prochainement.

Le président Xi a annoncé cette initiative en 2013 lors de ses visites au Kazakhstan et en Indonésie. Le plan prévoyait la construction d’infrastructures physiques tels que des chemins de fer, des oléoducs et des ports afin de créer un vaste réseau interconnecté pour faciliter le transport et les flux de production. Toutefois, à ce jour, les véritables intentions de « l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie » font toujours l’objet d’un débat :

  • D’une part, certains analystes affirment que cette initiative est motivée par une vision tournée vers l’extérieur ; la Chine aurait l’intention d’établir un réseau interconnecté pour renforcer son influence mondiale, en augmentant la dépendance des autres pays à son égard, que ce soit en termes de besoins financiers ou bien technologiques.
  • D’autre part, certains analystes soutiennent que « l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie » sert principalement des objectifs nationaux. La Chine chercherait donc à exporter chez ses voisins ses capacités excédentaires.

Il est important de noter que ces deux explications ne s’excluent pas nécessairement l’une et l’autre.

Le transport ferroviaire est connu pour être un mode de transport plus fiable et plus rentable que d’autres types de logistique, tels que les camions et les avions. Effectivement, les trains peuvent transporter une grande quantité de produits à la fois, réduisant ainsi les coûts logistiques. Puis, le réseau ferroviaire est moins susceptible d’être affecté par le coût du carburant, qui semble fluctuer davantage ces dernières années.

Si elle est construite avec succès, la ligne ferroviaire améliorera considérablement la qualité des transports interrégionaux en Thaïlande. Cela permettra non seulement d’améliorer la rentabilité et l’efficacité du transport des marchandises et des produits manufacturés, mais elle offrira également aux habitants une alternative attrayante à la migration vers une grande ville comme Bangkok.

Grâce à la ligne ferroviaire du nord-est, les habitants pourront résider dans d’autres provinces, tout en travaillant dans la capitale thaïlandaise où se concentre le plus grand nombre d’emplois. Toutefois, la dépendance à la technologie chinoise présente un risque. L’entretien du chemin de fer ne dépendrait exclusivement que de la Chine puisque les pièces ont été produites par ces derniers et cela donnerait aux Chinois un avantage significatif.

Je ne pense pas que les gens soient bien informés sur les projets chinois en Thaïlande. En effet, aucun projet n’a été officiellement désigné comme faisant partie des « Nouvelles Routes de la Soie » hormis les négociations sur le train à grande vitesse au Nord-Est de la Thaïlande. Pourtant, il est important de noter qu’après une longue discussion sur le taux d’intérêt approprié, le gouvernement thaïlandais a décidé de n’utiliser que la technologie chinoise pour la construction et l’entretien du projet ferroviaire.

L’enquête la plus complète actuellement disponible est « l’État de l’Asie du Sud-Est », menée par le Centre d’études de l’ASEAN à l’Institut ISEAS-Yusof Ishak de Singapour. Selon l’enquête de 2023, lorsqu’on leur a demandé de s’aligner sur l’un des deux rivaux stratégiques, les personnes interrogées en Thaïlande ont majoritairement choisi de s’aligner sur les États-Unis, tandis que 43,1 % d’entre elles ont choisi la Chine.

Lorsque l’échantillon de personnes concernées a été interrogé sur leur confiance à l’égard de la contribution de la Chine à la sécurité, à la prospérité et à la gouvernance, la majorité d’entre eux ont exprimé soit aucune confiance, soit peu de confiance. En revanche, lorsque la même question a été posée à propos de l’Union européenne et des États-Unis, la majorité des personnes interrogées se sont déclarées confiantes ou très confiantes.

Les résultats de l’enquête révèlent donc des opinions complètement divisées à l’égard de la Chine et de l’Occident ; d’après mes observations, cette division est due à la diversité des positions politiques nationales. Ceux qui ont protesté contre le gouvernement militaire, par exemple, ont tendance à être plus pro-occidentaux que ceux qui l’ont soutenu.

L’aspect commercial est relativement simple en soi ; l’existence du réseau ferroviaire améliore la circulation des marchandises au-delà des frontières et vraisemblablement à moindre coût. Simultanément, le peuple peut facilement avoir accès à ce réseau, ce qui favorise le tourisme et le développement des relations interpersonnelles. Si telle est l’intention de la Chine, il est possible de conclure en disant que les échanges commerciaux et les relations interpersonnelles se développeront naturellement grâce à un mode de transport plus pratique.

Hormis le projet de train à grande vitesse du nord-est, qui se rapproche le plus du projet chinois et qui n’a pas été entièrement achevé, il n’y a pas véritablement d’autres projets. De nombreuses cérémonies d’inauguration ont eu lieu au début de la construction, mais les progrès réels ont été lents et laborieux. Selon une estimation récente, l’ensemble du chemin de fer devrait être achevé en 2028.

En termes d’activités économiques, il est certain que la Chine est l’un des principaux partenaires commerciaux de la Thaïlande. Il est également indéniable que la Thaïlande dépende fortement de la Chine pour l’exportation de ses produits agricoles, en particulier des fruits.Cette dépendance a toutefois un coût. Les investisseurs chinois peuvent facilement dominer le marché thaïlandais en imposant leurs prix, ce qui ne laisse aux Thaïlandais que peu ou pas de marge de manœuvre pour négocier leurs prix.

Jusqu’à présent, le projet de chemin de fer du nord-est ne s’est pas encore concrétisé. Ce retard peut être attribué à l’incapacité du gouvernement thaïlandais à accélérer le projet voire la volonté de la Chine à maintenir des taux d’intérêt élevés. Je pense que les universitaires nous mettent en garde quant à la capacité des petits pays à négocier efficacement avec la Chine. Dans le cas de la Thaïlande, il semble qu’elle ait soit la possibilité d’accepter les offres défavorables, soit celui d’abandonner complètement le projet ferroviaire. Le compromis, dans ce cas, consisterait à utiliser la technologie chinoise tout en ayant recours à ses propres ressources/finances.

La Chine est très proche de la Thaïlande et, compte tenu de sa population massive, il n’est pas surprenant que de nombreux touristes chinois choisissent la Thaïlande comme destination. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une dépendance excessive à l’égard d’une seule source de revenus constitue toujours un risque.

Une autre préoccupation spécifiquement liée au tourisme chinois est l’émergence des circuits « zéro baht ». Il s’agit de forfaits extrêmement bon marché, proposés aux touristes chinois par des agences de voyage chinoises. Ces derniers encouragent leurs clients à acheter des souvenirs ou à dîner dans des restaurants qui versent principalement des commissions aux guides touristiques chinois se trouvant en Thaïlande. Par ailleurs, ces magasins et restaurants sont choisis au préalable par les agences de voyage chinoises et sont également détenus par des Chinois. La Chine a mis en place un véritable modèle commercial « en circuit fermé » en empêchant les locaux/le peuple thaïlandais de profiter des dépenses des touristes.

La Thaïlande ne joue pas un rôle majeur entre l’ASEAN et la Chine. Après tout, les dix pays membres de l’ASEAN entretiennent chacun des relations bilatérales avec la Chine et la plupart d’entre eux accueillent au moins un projet de « l’Initiative des Nouvelles Routes de la Soie ».

Par ailleurs, le Cambodge et le Laos restent les partenaires les plus proches de la Chine au sein de l’ASEAN et jusqu’à présent, la Thaïlande n’a pas encore agi de façon explicite en faveur de la Chine.

Tout d’abord, avoir une relation amicale n’équivaut pas à être un allié. Si le mot « allié » désigne une relation contractuelle formelle, comme on l’entend dans le domaine des relations internationales, la Thaïlande n’est certainement pas un allié formel de la Chine. Toutefois, dans la pratique, la Thaïlande s’est rapprochée de la Chine sur les plans économique et militaire. Le commerce entre les deux pays s’est considérablement développé et la Thaïlande a augmenté ses achats d’armes auprès de la Chine. Le gouvernement thaïlandais a également décidé d’utiliser exclusivement les vaccins chinois au début de la pandémie.

Concernant les positions politiques de la Thaïlande sur la scène internationale, il semblerait que le pays s’est éloigné des valeurs occidentales pour se rapprocher de celles de la Chine. Par exemple, en octobre 2022, la Thaïlande s’est abstenue de voter une résolution de l’ONU condamnant les référendums russes en Ukraine. Toutefois, en 2023, la Thaïlande est revenue sur sa position et a voté en faveur d’une résolution de l’ONU visant à mettre fin à la guerre en Ukraine.

Pour le moment, il est trop tôt pour conclure d’une véritable proximité voire complicité entre la Thaïlande et la Chine. À l’avenir, le gouvernement thaïlandais pourrait très bien chercher à renforcer ses relations avec un nouveau partenaire, tel que l’Union européenne.

Un tel projet ne devrait pas être considéré comme concurrent à « l’Initiative des Nouvelles Route de la Soie » chinoise, du moins en théorie. L’amélioration des infrastructures de transport contribue à la connectivité mondiale. Néanmoins, si la Chine considère l’initiative de Bruxelles comme un moyen d’exercer une influence sur les petits pays, ce nouveau mouvement pourrait être perçu comme une menace.

Quoi qu’il en soit, les petits pays sont les gagnants de ce jeu étant donné que cela leur donne un accès à de plus grande sources de financement. En plus d’avoir la possibilité de choisir les pays avec lesquels ils souhaitent négocier, les petits pays augmentent la probabilité d’obtenir un meilleur accord. Néanmoins, les conditions que le « Global Gateway » imposent pourrait rendre le mouvement moins attrayant que l’initiative chinoise. Il s’agit par exemple de la question de la transparence ou des valeurs démocratiques qui, bien que nécessaires, pourraient être perçues comme contraignantes par certains pays en développement.


Propos recueillis par Nutnaree Panich

L’article Sawasdipakdi : « Il est trop tôt pour parler de proximité entre la Thaïlande et la Chine » est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

07.02.2024 à 17:01

CPEC – Corridor économique Chine-Pakistan, l’élève turbulent de la BRI

observatoirenrs

img

CPEC – Corridor Sino-Pakistanais – Chine « Il y a les ingénieurs chinois qui déjeunent

L’article CPEC – Corridor économique Chine-Pakistan, l’élève turbulent de la BRI est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (8273 mots)

« Il y a les ingénieurs chinois qui déjeunent dans des restaurants à Lahore. Il y a la prolifération de nouvelles petites entreprises chinoises à Islamabad. Et, bien sûr, il y a les énormes machines, les armées de cadres et d’ouvriers chinois que l’on peut voir sur tous les chantiers du Pakistan, si l’on s’approche suffisamment de l’une des dizaines de projets financés par Pékin qui parsèment le paysage du pays tout entier. 

Que cela nous plaise ou non, le sort économique du Pakistan est désormais lié à celui de la Chine, même si la question de savoir à quel point — et pour combien de temps — peut encore faire débat.» — Farooq Tirmizi, écrivain pakistanais.

Quelles opportunités stratégiques pour la Chine ?

Une étape clé en Asie du Sud

Lorsque nous évoquons les corridors dans le contexte des Nouvelles Routes de la Soie, nous faisons référence à des itinéraires logistiques directement connectés à la Chine, facilitant la liaison avec d’autres zones économiques. Parmi ceux-ci, le corridor sino-pakistanais, également connu sous le nom de China-Pakistan Economic Corridor (CPEC), prend son départ à Kashgar, ville emblématique du Xinjiang associée aux anciennes routes de la soie. Il traverse le nord du Pakistan jusqu’à Islamabad via « l’autoroute de l’amitié », la plus haute autoroute du monde culminant 4600 mètres d’altitude, et achève son parcours en formant une boucle passant par Karachi, puis le port en eaux profondes de Gwadar, sous contrôle chinois depuis 2015 après signature d’un contrat de location d’une durée de 40 ans. Pékin nourrit de vastes ambitions pour ce port, visant d’ici 2055 la construction de 50 kilomètres de quais, la création d’une zone franche de 900 hectares, et même l’établissement d’un aéroport international. La région prévoit d’être transformée par la construction de multitudes d’infrastructures qui fera de Gwadar un hub international.

Le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) — OFNRS, 2019

Cette voie présente d’immenses opportunités pour la Chine. Tout d’abord, le coût initial estimé à 62 milliards de dollars apparaît relativement modeste en regard du budget global du projet OBOR, qui a cumulé jusqu’à présent 1000 milliards de dollars d’investissement au cours des dix dernières années. En allouant cette somme, Pékin se garantit non seulement un accès direct à l’océan Indien, mais aussi une proximité immédiate du détroit d’Ormuz, par lequel transite jusqu’à 40 % du trafic pétrolier[1]. Ainsi, la Chine sera en mesure d’exporter ses marchandises vers les pays du Golfe en évitant un détour de 10 000 km, de sécuriser ses approvisionnements en hydrocarbures en contournant le détroit de Malacca, et d’éviter d’éventuelles tensions dans cette région stratégique. Cette voie permet également d’éviter le rival indien tout en échappant à la présence de la 7e flotte et des bases militaires américaines surveillant la mer de Chine. La possession conjointe des ports de Gwadar et d’Hambantota au Sri Lanka consolide la sécurisation des intérêts chinois autour de la péninsule indienne. De plus, le port de Gwadar offre un accès à tous les gisements de gaz et d’hydrocarbures encore inexploités de la région. Pour toutes ces raisons, le corridor sino-pakistanais s’affirme probablement comme le plus crucial parmi les Nouvelles Routes de la Soie.

Sécuriser le Xinjiang par projection

Les initiatives d’aménagement dans la région ouest de la Chine permettent à Pékin de renforcer la surveillance dans cette dernière, vis-à-vis du peuple ouïghour, mais aussi des organisations terroristes. Il est important de noter que ces mouvements peuvent également émaner des pays voisins d’Asie centrale. En conséquence, la mise en œuvre du Corridor économique CPEC offre à la Chine un pied à terre au Pakistan permettant et d’enrichir les connaissances de ses services de renseignement.

Pendant longtemps, le Pakistan a affirmé son soutien aux causes musulmanes à l’échelle mondiale, telles que celle du peuple palestinien, bosniaque et albanais. En septembre 2018, le Pakistan a ouvertement critiqué la politique chinoise envers les Ouïghours, devenant ainsi le premier pays musulman à soulever la question. Noorul Haq Qadri, ministre fédéral des Affaires religieuses et de l’Harmonie interconfessionnelle du Pakistan jusqu’en 2022, a déclaré que la politique chinoise envers les Ouïghours alimente l’extrémisme plutôt que de le combattre, suggérant l’organisation de rencontres d’érudits religieux au Xinjiang pour promouvoir l’harmonie religieuse[2]. Bien que l’ambassadeur chinois au Pakistan, Yao Xing, eut apprécié cette proposition et invité le ministre à se rendre en Chine, Pékin a justifié ses pratiques en citant les « échecs » occidentaux dans la prévention des attentats à Paris ou Bruxelles au cours des dernières années.

Cependant, même la solidarité musulmane ne fait pas le poids quand il s’agit de préserver l’intérêt national. En 2018, Mohammad Faisal, porte-parole du même ministère des Affaires étrangères, déclare que les Pakistanais détenus dans lesdits camps du Xinjiang n’y seraient présents que dans le cadre d’une « formation volontaire ». En janvier 2019, le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, confie qu’il ne sait « pas grand-chose » sur les camps chinois, préférant mettre l’accent sur le partenariat entre les deux puissances[3]. Il réitèrera sa position en juin 2021 en déclarant « ne pas être sûr de ce que l’on raconte ».

D’après Simone van Nieuwenhuizen, chercheuse en politique chinoise à l’Université technologique de Sydney, le gouvernement pakistanais est contraint de s’abstenir de critiquer Pékin, car une telle attitude pourrait inévitablement compromettre les négociations à venir entre les deux voisins. Le Pakistan se sait dépendant de la Chine, non seulement car elle est un formidable partenaire économique, mais aussi d’un soutien crucial dans la lutte contre les activités terroristes dans la région.

Le golfe d’Aden : l’assurance d’une Chine qui intervient à l’international

L’inauguration en 2017 d’une base militaire chinoise à Djibouti a annoncé un changement de cap en matière de politique étrangère pour l’Empire du Milieu. Pékin aspire à une implication accrue sur la scène internationale, cherchant à réduire sa dépendance à l’égard d’autres puissances pour garantir sa sécurité. Le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) ouvre de nouvelles perspectives en permettant à la Chine d’étendre son influence aux abords du golfe d’Aden. Cette proximité est d’une importance stratégique, car le golfe offre un accès crucial à la mer Rouge, une région parmi les plus sensibles au monde, où transitent près de 5 millions de barils par jour par le détroit de Bab el-Mandeb[4].

Cet emplacement joue aussi un rôle géostratégique particulier, de par la concentration de câbles sous-marins de télécommunication (99% du trafic de données passe par ces câbles, le reste étant couvert par les satellites) et les gisements d’hydrocarbures qui suscitent d’ailleurs l’intérêt des puissances régionales. Dès lors, plusieurs nations rivalisent pour consolider leur influence dans cette région, expliquant ainsi l’internationalisation de la militarisation de Djibouti.

Djibouti, bordant le Bab el-Mandeb, est un lieu singulier où se côtoient bases militaires chinoises, américaines, françaises et japonaises. Ironiquement, les bases américaines et chinoises se trouvent à seulement quinze minutes l’une de l’autre. En 2018, des incidents entre ces dernières ont suscité la controverse : les États-Unis ont accusé les unités chinoises d’utiliser des lasers contre des pilotes américains en plein exercice de vol, causant des blessures à deux d’entre eux. Pékin a vigoureusement réfuté toute implication dans cet incident. En réalité, il s’avère que les allégations étaient dénuées de tout fondement. En 2022, Christophe Guilhou, ambassadeur de France, mandaté par le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh pour conduire une enquête, a confié que les autorités américaines n’avaient jamais fourni les dossiers médicaux nécessaires pour étayer leur crédibilité[5].

Le 26 avril 2023, le Washington Post révèle que la Chine aurait repris les travaux de construction d’une base militaire au port de Khalifa[6], près d’Abu Dhabi, au grand dam des Américains. Cette initiative souligne clairement l’ambition de Pékin d’accroître son influence dans la région.

Le Pakistan : une terre torturée

Les contentieux himalayens au cœur du CPEC

Depuis 1914, Pékin revendique auprès de New Delhi le territoire d’Arunachal Pradesh (90 000 km²) à l’est de l’Himalaya, et celui d’Aksaï Sin (43 800 km²) au Cachemire. L’un et l’autre seraient respectivement les extensions des territoires du Tibet et du Xinjiang depuis toujours tandis que l’Inde estime que ces territoires sont liés à l’héritage de l’Empire britannique et donc lui reviennent de droit. À ces contentieux territoriaux s’ajoute celui d’une vallée au cœur du CPEC : la vallée de Shaksgam.

Pékin occupe actuellement une position centrale dans les conflits frontaliers entre l’Inde et le Pakistan. Les revendications chinoises sur la vallée du Shaksgam s’ajoutent aux prétentions de l’Inde et du Pakistan sur le Cachemire. Bien que l’Inde s’oppose fermement à toute tentative chinoise d’annexion de cette zone, elle se trouve dans l’incapacité d’intervenir, le territoire étant sous le contrôle du Pakistan. En 1963, la Chine et le Pakistan ont signé un traité afin de résoudre leurs différends frontaliers, entrainant la cession de la vallée du Shaksgam à la Chine. Ce faisant, l’Inde a assisté impuissante à l’annexion d’une terre qu’elle considère comme sienne depuis la fin du Raj britannique.

La célèbre route du Karakoram, partie intégrante du CPEC, passe notamment par cette région, justifiant ainsi le boycott de l’Inde des Nouvelles Routes de la Soie. Cette situation persistante alimente les préoccupations de l’Inde, qui, tout en ne s’opposant pas à l’établissement de collaborations pour la mise en place de projets économiques, conteste l’utilisation et le marchandage de son propre territoire par des puissances étrangères.

Les tensions ont atteint un pic lors des incidents du Doklam en 2017, une zone frontalière stratégique où New Delhi avait déployé des forces armées pour s’opposer à la construction d’une route militaire chinoise. Pendant ce temps, Pékin a profité de la distraction de New Delhi pour poursuivre ses projets de construction dans la vallée de Shaksgam. Entre septembre 2017 et février 2018, environ 70 kilomètres de routes ont été construits à l’ouest du col de Karakoram dans le cadre du CPEC.

En 2018, des images satellites consultées par le média indien The Print révèlent la présence d’au moins 2 postes militaires chinois dans la vallée de Shaksgam. Le 19 janvier 2022, le Hindustan Times a rapporté un projet de construction de route qui vise à relier Yarkand (Xinjiang, Chine), à Muzaffarabad (Jammu-et-Cachemire, Pakistan), en passant par ladite vallée. Selon les médias pakistanais, le département des travaux du Gilgit-Baltistan aurait été sollicité par lettre datée du 8 janvier 2021 pour élaborer une « proposition d’autorisation de concept » afin de définir un nouveau tracé pour le CPEC. Cette dernière serait environ 350 km plus courte que la route actuellement utilisée[7].

Le Baloutchistan : une terre riche, des gens pauvres

« Is CPEC “China Punjab Execution Corridor” ? » — Dr Shabir Choudhry, leader politique cachemiri

Le Baloutchistan historique (à ne pas confondre avec la province pakistanaise du Baloutchistan qui va faire l’objet de cette partie) est le territoire du peuple baloutche. Celui-ci s’étale sur trois pays : le sud-est de l’Iran, le sud de l’Afghanistan et l’ouest du Pakistan. Le Baloutchistan pakistanais représente 43,6 % de la superficie du pays, mais reste pourtant la région la moins peuplée (d’après le dernier recensement en 2011, les Baloutches, ethnie majoritaire à 52 % au sein du Baloutchistan, représentent environ 3,5 % des citoyens pakistanais)[8][9], le reste de la population étant concentré dans le bassin de l’Indus. L’intérêt chinois pour cette région n’est pas un hasard. En plus du positionnement stratégique du port de Gwadar par rapport à l’Inde et le détroit d’Ormuz, le Baloutchistan possède de nombreuses ressources prêtes à être exploitées. Il possède entre autres la cinquième mine d’or la plus grande du monde. Selon un article d’Outre-Terre paru en 2010, le sous-sol de la province produit 36 % du gaz pakistanais. Concernant l’exploitation du pétrole au Pakistan, le Baloutchistan en assure 80 %. Elle possède aussi de nombreuses ressources minières : du cuivre, du charbon, de l’argent, du platine et de l’uranium. La province a donc toutes les cartes en main pour connaitre un développement économique prospère. Pourtant, les Baloutches restent les Pakistanais les plus pauvres du pays.

Les ressources minières du Baloutchistan. (Le dessous des cartes, 2017)

L’index de pauvreté multidimensionnelle du Baloutchistan, qui inclut des paramètres relatifs à la santé, la richesse, l’éducation et le niveau de vie, est de 71 % contre 39 % dans le reste du pays. Environ 96 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de deux dollars par jour. En 2012, 70 % de la population n’ont pas accès au gaz, 78 % n’ont pas d’électricité et 62 % sont privés d’eau potable. La part du PIB du Pakistan consacrée à la province est passée de 4,9 % dans les années 70 à 3,7 % en 2018. La plupart du temps, l’avis des Baloutches n’est pas pris en compte lors des décisions relatives à la gestion des ressources. Entre d’autres termes, nul ne peut contester que les bénéfices engrangés par l’exploitation des ressources du Baloutchistan ne sont pas reversés à ses habitants à juste titre. Pour les Baloutches, qui considèrent ce territoire comme le leur, le gouvernement pakistanais commet un acte d’expropriation. Ainsi, la rancoeur véhiculée par la situation, additionnée au sentiment identitaire inculqué par le poids de l’Histoire, produit inévitablement des soulèvements hostiles à travers la province. Certains Baloutches luttent pour l’indépendance, d’autres pour une répartition des richesses juste et équitable. Seulement 12 % des bénéfices liés à l’exploitation du pétrole reviennent au territoire baloutche en 2018[10].

À l’instar de la Chine, Islamabad a aussi affaire à des problèmes de minorités ethniques. Depuis l’indépendance du Pakistan, les Baloutches ont mené de multiples insurrections, dont la dernière, depuis 2004, est encore d’actualité et a pris son départ pour plusieurs raisons. Premièrement, la part des bénéfices liée à l’exploitation de gaz était jugée insuffisante pour les Baloutches. Le gaz pouvait être vendu jusqu’à sept fois moins cher dans les autres provinces. Deuxièmement, la construction de port de Gwadar était censée apporter à la population de nombreuses opportunités de travail sur le chantier et dans des activités parallèles, or ce ne fut pas le cas. Sur les 600 ouvriers de Gwadar, seulement une centaine était des locaux[11]. Le port de Gwadar a donc bien plus servi les intérêts des Pendjabis et des Sindis que des Baloutches. Enfin, le gouvernement pakistanais fit mettre en place trois garnisons dans trois zones sensibles : une près de Gwadar et deux autres dans les capitales des zones tribales les plus violentes. Pour les Baloutches, c’était la provocation de trop.

S’ensuit alors une politique répressive de la part d’Islamabad, par laquelle sont commises des exactions. Entre 2002 et 2015, l’ONG Voice of Baloch Missing Persons estime le nombre de Baloutches portés disparus à 19 000[12]. Dans le district de Khuzdar, en janvier 2014, des habitants ont fait la découverte macabre de trois charniers. D’après les autorités pakistanaises, 13 corps décomposés ont été retrouvés dans ces fosses, mais d’après la population, le bilan atteignait les 169 cadavres. Le gouvernement a rapidement interdit l’accès aux lieux et a accusé l’Inde d’être responsable de ces agissements. Devant de telles pratiques, il est peu probable que l’insurrection baloutche ne cesse prochainement, même si entre 2013 et 2017, la violence a baissé de 70 % dans le district de Kech, pour cause de perte du soutien de la population locale, mais aussi d’un sentiment d’impuissance face à une armée insurmontable[13].

La Chine au cœur de l’insurrection baloutche

« Le corridor économique Chine-Pakistan n’est pas un corridor économique. C’est un projet anti-peuple et anti-Baloutchistan. Si ce projet était destiné au bien-être des habitants du Baloutchistan, pourquoi sont-ils enlevés, torturés, violés et tués ? Pourquoi trouvons-nous les corps mutilés de nos fils et de nos frères ? Quel est notre crime ? Avons-nous droit à la vie ? Est-ce trop demander que de demander que nous, les Baloutches, voulions vivre dans la paix et la dignité ? Nous voulons utiliser nos ressources pour le bien-être du peuple. » — Pr Naela Qadrich Baloch, militante pour le droit des Femmes, poète et autrice baloutche, 2018.

Tout comme les citoyens des autres provinces, les Chinois sont eux aussi menacés par les insurgés baloutches, car aussi considérés comme opportunistes concernant la gestion des ressources du Baloutchistan. En 2017, Dostain Khan Jamaldini, président du projet de la construction de Gwadar, déclare : « Ce port va aider le Pakistan à nouer des liens avec les pays voisins. La nation tout entière tirera profit de Gwadar »[14]. Or, depuis la mise en place de l’initiative chinoise, les projets accordés aux Baloutches restent relativement rares malgré les promesses. Concernant le chantier énergétique, seuls 2 projets sur 17 ont vu l’implication de locaux. D’après Taj Haider, à la tête du comité spécial du Sénat pakistanais sur le CPEC, les travaux concernant les infrastructures sont bien plus avancés à Karachi qu’à Gwadar. Sur les milliers d’emplois promis, seuls quelques provinciaux ont eu la « chance » d’en bénéficier en tant que subalterne. Le plus préoccupant étant le fait que, non seulement la population du Baloutchistan est mise à part dans ce projet, mais elle subit en plus les inconvénients qui lui sont associés. Les habitants de Gwadar qui ne vivaient jusqu’à maintenant que de la pêche et de la construction de barques sont sur le point, pour la moitié d’entre eux, d’être relogés. Les eaux de Gwadar sont monopolisées par de grands chalutiers de pêche provenant du Sind ou de Chine. Les locaux dénoncent une véritable « mafia des chalutiers » : « Parfois, ces grands navires s’approchent délibérément si près de nos petits bateaux de pêche que nous craignons qu’ils nous nuisent. », dit un pêcheur d’un village à proximité[15].

Devant la montée de l’insécurité, Pékin et Islamabad s’organisent. Le port de Gwadar se militarise. En 2019, News International déclare qu’Islamabad a déployé plus de 17 000 soldats pour assurer la protection des projets chinois[16]. Le général en chef de l’armée pakistanaise, Qamad Javed Bajwa, déclare le 19 septembre 2018 à Pékin : « Ceux qui s’opposent aux Nouvelles Routes de la Soie ou au Corridor économique Chine-Pakistan ne réussiront jamais, car ce sont des initiatives de paix et de développement non seulement pour la Chine, mais pour la région et au-delà. Le Pakistan comprend l’importance de la paix et a consenti beaucoup de sacrifices pour y parvenir. »

Les infrastructures et les travailleurs chinois ne sont pour autant pas épargnés par les attaques des groupes séparatistes baloutches depuis le début du projet. Le 11 mai 2019, trois individus armés ont tenté de pénétrer de force dans le Pearl Continental Hotel à Gwadar. Un garde a perdu la vie en tentant de s’opposer à eux. Selon le policier Mohammad Aslam, aucun client pakistanais ou chinois ne se trouvait dans l’établissement au moment de l’incident. Six mois auparavant, une attaque revendiquée par l’Armée de Libération du Baloutchistan (ALB) a ciblé le consulat chinois de Karachi. Trois kamikazes se sont fait exploser, entrainant la mort de quatre Pakistanais. Le porte-parole de l’organisation a déclaré par la suite à l’AFP : « Nous voyons les Chinois comme des oppresseurs, tout comme les forces pakistanaises ». Le 13 août 2023, l’Armée de Libération du Balouchistan a lancé une nouvelle offensive, ciblant cette fois un convoi d’ingénieurs chinois à l’aide d’engins explosifs dissimulés en bord de route et de tirs d’armes à feu. Selon les informations fournies par le consulat de Karachi, aucune perte humaine parmi les ressortissants chinois n’a été à déplorer, tandis que deux assaillants ont été tués[17].

Selon un article de BBC Ourdou de novembre 2023, l’ALB et d’autres organisations comme le Front de Libération du Baloutchistan (FLB) seraient actuellement en pourparlers dans l’objectif de fusionner au sein d’une seule entité. Selon le journaliste baloutche Malik Siraj Akbar, cela témoigne d’un changement de stratégie sans précédent de la part des organisations, visant désormais à unir leurs forces pour infliger des dommages à échelle étatique.

L’Afghanistan partie prenante du CPEC : un moyen de contenir le terrorisme islamiste

Outre l’effort déployé pour contrer le séparatisme baloutche, la confrontation avec le terrorisme islamiste s’est érigée en une importante priorité au sein de la stratégie sécuritaire nationale. Du Xinjiang à Gwadar, on retrouve diverses organisations à l’œuvre comme le Parti islamique du Turkestan, Lashkar-e-Toiba (mouvement islamiste pakistanais proche d’Al-Qaïda), ou encore le groupe Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Ce dernier est la principale organisation talibane au Pakistan. Selon l’ONU, l’objectif affiché par TTP est le renversement du gouvernement élu du Pakistan afin d’établir un émirat fondé sur son interprétation de la loi islamique. Depuis le retour des Talibans à Kaboul en 2021, le nombre d’attentats perpétrés par le TTP sur le sol pakistanais a considérablement augmenté : on parle d’une hausse de 60 % des attaques et de 500 % d’attentats kamikazes[18]. Ces évènements découlent d’une longue politique d’inaction du gouvernement concernant les zones tribales (FATA, pour Federally Administered Tribal Areas) lors de la guerre d’Afghanistan.

Depuis l’indépendance du Pakistan, Islamabad a accordé à cette zone une forme de quasi-indépendance afin, entre autres, de ne pas froisser les chefs de tribus, favorisant ainsi l’émergence du radicalisme islamiste et la croissance d’organisations terroristes. En 2014, un sinistre épisode secoue une école militaire à Peshawar, lorsque six individus d’une branche dissidente du TTP (Jamaat-ul-Ahrar) armés jusqu’aux dents pénètrent les lieux, arborant ceintures explosives et armes à feu. La scène macabre se déroule classe après classe, les agresseurs ciblant des élèves âgés de 10 à 20 ans. Le bilan s’établit à 141 morts, dont 132 enfants et plus d’une centaine de blessés[19]. En juillet 2018, l’horreur frappe de nouveau avec l’État islamique orchestrant une attaque kamikaze au Baloutchistan, lors d’un rassemblement électoral. Le coût humain de cet assaut s’élève à 149 morts, parmi lesquels figure l’homme politique Siraj Raisani, en plein essor de sa campagne pour les élections générales de 2018[20].

En novembre 2023, les Talibans pakistanais ont proféré des menaces directes envers les intérêts chinois : si le gouvernement pakistanais ne verse pas 5 % de taxe provenant des projets de construction du CPEC au groupe taliban de Gandapur, les machines et le personnel seront pris pour cibles, et le corridor détruit.

Pour la Chine, l’avènement récent des Talibans au pouvoir en Afghanistan dans un contexte marqué par une économie afghane chancelante, constitue une opportunité stratégique pour endiguer les organisations islamistes susceptibles de compromettre ses intérêts dans la région. Ce faisant, la Chine, le Pakistan et l’Afghanistan ont entériné en mai 2023 un accord officialisant l’implication de Kaboul dans la réalisation du CPEC. En contrepartie du développement des infrastructures sur le territoire afghan, Kaboul s’engage expressément à limiter au strict minimum les activités des combattants ouïghours en Afghanistan, voire à directement renvoyer ces derniers en Chine. Jusqu’à présent, ces demandes n’ont toujours pas été entièrement satisfaites.[21]

Qu’en est-il après 10 ans de projet ?

Des résultats mitigés pour un pays en détresse

En raison des défis sécuritaires évoqués précédemment, de la prévalence de la corruption et des répercussions de la crise sanitaire, le CPEC n’a jusqu’à présent connu que des avancées relativement modestes. La première phase du projet, qui devait se terminer en 2020, est toujours d’actualité, sous l’agacement de Pékin.

Le Pakistan a certes attiré de nombreux investissements chinois d’une valeur de 25,4 milliards de dollars[22], entrainant la création d’environ 155 000 emplois pakistanais[23]. Les initiatives relatives à la production d’énergie électrique ont engendré l’intégration de 6000 mégawatts au sein du réseau national, tout en étendant sa portée géographique de 1000 kilomètres. Parallèlement, plus de 500 kilomètres d’autoroutes ont été érigés. La croissance du PIB (6,5 % en 2021) n’a jamais été aussi forte depuis 2005. Et pourtant, la situation économique du pays reste désastreuse.

En dépit des progrès effectués, il reste encore du chemin au Pakistan avant que ses habitants perçoivent des changements tangibles. La dette extérieure du Pakistan a désormais atteint la somme significative de 100 milliards de dollars, dont un tiers est imputable à la Chine. En mai 2023, l’inflation a connu une ascension jusqu’à 38 %, marquée par une hausse des prix alimentaires dépassant les 40 % par rapport à l’année précédente. Alors que le taux de pauvreté s’élevait à 24,3 % en 2015, il a atteint 39,4 % en septembre 2023[24].

En 2022, le déficit national en matière d’électricité a atteint les 6 530 mégawatts, pour une production totale de 20 170 mégawatts, engendrant ainsi des coupures d’électricité récurrentes dans tout le pays d’une durée pouvant aller jusqu’à une douzaine d’heures par jour. En réponse, le gouvernement a opté pour une mesure proactive en réduisant la semaine de travail des fonctionnaires de 6 à 5 jours[25].

Au port de Gwadar, alors que seulement 3 ou 4 cargos par mois étaient amarrés en 2017[26], le média japonais Nikkei Asia a mis en lumière en 2022 que l’activité économique dudit port demeure toujours en suspens. Un voyage sur l’autoroute côtière de Makran sur une distance de 600 kilomètres ne révèle la présence que de 200 véhicules. Les avenues spacieuses de la ville de Gwadar s’étirent désertes, marquées par une notable absence de constructions à plusieurs étages[27]. « Il est difficile d’imaginer Gwadar comme la rampe de lancement d’un nouveau paradigme mondial, mais c’est ce que Pékin voudrait faire croire au monde ».

Afin de répondre à ses défis économiques et de profiter pleinement du potentiel du CPEC, le Pakistan se doit de réorganiser ses politiques énergétiques et industrielles afin de déterminer les goulots d’étranglement qui font obstacle au développement du pays, tout en élaborant un plan afin de répondre aux attentes du peuple baloutche. Lors de l’inauguration de l’hôpital de l’amitié « Pak-China » à Gwadar en décembre 2023, le Premier ministre par intérim Anwaarul Haq Kakar a invité la population du Baloutchistan, notamment les plus jeunes, à saisir les opportunités proposées par le CPEC[28].

Une opportunité de rapprochement entre Islamabad et Kaboul ?

L’Afghanistan et le Pakistan se partagent le territoire d’une ethnie constituée de plus de 55 millions de personnes : celle des Pachtouns. C’est notamment en instrumentalisant le nationalisme pachtoun que les Talibans (eux-mêmes issus de cette ethnie) ont pu résister dans les montagnes afghanes jusqu’à reprendre le pouvoir à Kaboul. La population locale, notamment rurale, se reconnaissait dans les Talibans. L’État d’Afghanistan s’est d’ailleurs formé sous le leadership pachtoun, au détriment des autres minorités, comme celle des Hazaras. Ces derniers, se revendiquant de l’islam chiite, sont encore régulièrement victimes d’attentats des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise. En ce début d’année, le 6 janvier 2024, l’État islamique a d’ailleurs revendiqué une explosion dans un bus ayant fait deux morts et 14 blessés dans un quartier chiite de Kaboul[29].

A map of Pashto-speaking areas
Carte des locuteurs du Pachto (M. Izady, 2019)

Maintenant que les Talibans ont repris le pouvoir, Islamabad est préoccupée par l’exploitation du nationalisme pachtoun de la part des Talibans sur son propre territoire. D’une part, car ce sentiment pourrait se propager chez les Baloutches, mais aussi car il pourrait à terme raviver l’idée d’une revendication par l’Afghanistan de terres à l’est de la ligne Durand, frontière qu’il n’a jusqu’alors jamais reconnue.

L’inclusion de l’Afghanistan au sein du CPEC pourrait permettre, sous l’œil du grand frère chinois, de contenir les tensions dans la région, mais aussi de soutenir la reconstruction et le développement d’un pays meurtri par plus de 40 ans de guerre, donnant ainsi des perspectives d’avenir pour les jeunes générations, souvent séduites par les chefs tribaux et groupes terroristes.

Cet éventuel rapprochement présente néanmoins des défis importants. Actuellement, plus de 2,5 millions d’Afghans ont trouvé refuge au Pakistan afin de fuir les conflits successifs qu’a connus le pays. Le 1er novembre 2023, pour réagir face au nombre d’attentats croissants, Islamabad a décidé que 1,7 million d’entre eux seraient désormais dans l’obligation de quitter le territoire sous peine d’incarcération[30]. Pour cause, certains groupes militants réfugiés offriraient leur soutien au TTP. Devant une telle fermeté, Khalil Haqqani, ministre afghan des Réfugiés, a déclaré : « Les gens doivent être autorisés à rentrer avec dignité, Les Pakistanais ne devraient pas en faire baver aux Afghans, ils ne devraient pas se faire plus d’ennemis ». Le régime taliban a d’ailleurs exigé qu’Islamabad indemnise les réfugiés pour les biens qu’ils sont contraints d’abandonner.

À ce jour, plus de 500 000 Afghans ont été rapatriés, toutefois, cette mesure ne semble pas avoir contribué à l’amélioration de la sécurité du pays[31]. La situation de désespoir vécue par certains réfugiés, ayant abandonné tout ce qu’ils possédaient pour fuir, pourrait, au contraire, constituer un terreau propice à l’exploitation par les combattants du TTP ou de l’État islamique.


Par Laurent Pinguet, Rédacteur à l’OFNRS, passé par l’Université Catholique de Lille en Relations Internationales, contributeur pour Asia Focus de l’IRIS, se spécialise sur les questions dans l’Himalaya, l’Asie Centrale et la BRI


  1. Alain Guillemoles, « « Le détroit d’Ormuz est une artère vitale pour le marché du pétrole » », La Croix, 16 mai 2019.

  2. Alexandre Ma, “China’s largest Muslim ally broke ranks to criticize its repression of the Muslim Uighur minority”, Business Insider, 21 septembre 2018.

  3. Alexandre Ma, “Pakistan abruptly stopped calling out China’s mass oppression of Muslims. Critics say Beijing bought its silence”, Business Insider, 13 janvier 2019.

  4. Centre d’études stratégiques de la Marine, « Brèves marines – Mer Rouge », Géopolitique des océans, n°210, mars 2018.

  5. Antoine Izambard « Djibouti, révélations sur la très secrète base militaire chinoise qui inquiète les Occidentaux », Challenges, 20 octobre 2022.

  6. John Hudson, “Buildup resumed at suspected Chinese military site in UAE, leak says”, The Washington Post, 26 avril 2023.

  7. « China-Pakistan collusion on Shaksgam Valley a threat to India », Pardafas, 7 juin 2023.

  8. Ulrich Bounat, « ENTRE IRAN ET PAKISTAN, UNE RÉGION À RISQUE : LE BALOUCHISTAN », Asia Focus, janvier 2018.

  9. « Le Baloutchistan, la province la plus pauvre du Pakistan », Brut, 28 mai 2018.

  10. « Balochistan », Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO), 5 avril 2018

  11. Frédéric Grare, « Baloutchistan : le conflit oublié », Outre-Terre, 2010/1 (n° 24), p. 325-336.

  12. « Exactions commises dans le cadre du conflit armé au Baloutchistan », OFPRA, 9 septembre 2015.

  13. Ulrich Bounat, « ENTRE IRAN ET PAKISTAN, UNE RÉGION À RISQUE : LE BALOUCHISTAN », Asia Focus, janvier 2018.

  14. « Dans un coin oublié du Pakistan, la Chine se bâtit un port d’ambition mondiale », Le Point, 25 octobre 2017.

  15. Mariyam Suleman Anees, “‘They Own the Ocean’: Gwadar’s Struggle With Illegal Fishing”, The Diplomat, 24 juin 2022.

  16. Muhammad Akbar Notezai, “Will Balochistan Blow Up China’s Belt and Road?”, Foreign Policy, 30 mai 2019.

  17. « Pakistan: des ingénieurs chinois ciblés par une attaque terroriste dans le Sud-Ouest », RFI, 14 août 2023.

  18. “Pakistani Taliban threatens to attack China’s Belt and Road route unless ‘tax’ paid”, The Post, 26 novembre 2023.

  19. « Au moins 141 morts, dont 132 enfants, dans l’attaque d’une école au Pakistan », Le Monde, 16 décembre 2014.

  20. « Pakistan : l’attentat de vendredi a fait 149 morts, selon un nouveau bilan », La Dépêche, 15 juillet 2018

  21. Bethany Allen-Ebrahimian, « Afghanistan joins China’s infrastructure plan as Beijing pushes interests », Axios, 9 mai 2023.

  22. “China’s CPEC reality exposed as Gwadar port in Pakistan remains devoid of economic activity ”, Lowy Institute, 10 août 2022.

  23. Pakistan — veille hebdomadaire, Direction générale du Trésor, 27 juillet 2023.

  24. Pakistan — indicateurs et conjonctures, Direction générale du Trésor, 2 décembre 2023.

  25. « Pénurie. Pour économiser de l’électricité, le Pakistan rétablit la semaine de cinq jours », Courrier international, 9 juin 2022.

  26. Bounat, op. cit.

  27. “China’s CPEC reality… ”

  28. “PM Kakar urges Baloch youth to seize CPEC opportunities”, Dawn, 5 décembre 2023.

  29. « Afghanistan : Revendiquée par l’État islamique, une explosion dans un bus fait deux morts à Kaboul », 20minutes, 7 janvier 2024.

  30. Sophie Landrin, « Le Pakistan expulse des milliers de réfugiés : “Je retourne en Afghanistan, où je n’ai personne, seul Dieu pourra m’aider” », Le Monde, 2 novembre 2023.

  31. Salman Rafi Sheikh, “Expelling Afghan refugees won’t boost Pakistan’s security”, Nikkei Asia, 14 janvier 2024.

L’article CPEC – Corridor économique Chine-Pakistan, l’élève turbulent de la BRI est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

03.02.2024 à 11:24

L’UE déroule sa stratégie pour le Corridor Central Trans-Caspien

observatoirenrs

img

Le forum mondial des investisseurs pour la connectivité des transports entre l’UE et l’Asie centrale

L’article L’UE déroule sa stratégie pour le Corridor Central Trans-Caspien est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (979 mots)

Le forum mondial des investisseurs pour la connectivité des transports entre l’UE et l’Asie centrale s’est tenu les 29 et 30 janvier à Bruxelles, réunissant des représentants de haut niveau, des institutions financières et le secteur privé des États membres de l’Union européenne, d’Asie centrale, du Caucase du Sud et de la Turquie. Un forum autour du corridor central, avenir des routes commerciales ?

Au premier jour de l’événement, le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, a annoncé que les institutions financières européennes et internationales se sont engagées à investir 10 milliards d’euros pour développer une connectivité des transports durables en Asie centrale. L’investissement promis devrait être alloué au développement du Corridor central, également connu sous le nom de Route internationale transcaspienne.

Le conflit en cours en Ukraine a incité l’UE à explorer des routes commerciales alternatives contournant la Russie, amplifiant ainsi l’importance du Corridor du Milieu. Pour optimiser pleinement son potentiel, des améliorations supplémentaires des infrastructures sont impératives. Les investissements promis par les institutions européennes présentent une opportunité historique pour concrétiser cette vision.

Le Corridor central est un corridor de transport multimodal terrestre et maritime, permettant aux produits de se déplacer depuis la Chine jusqu’en Europe à travers le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Turquie, et à travers les mers Noire et Caspienne. Historiquement, l’Europe s’est appuyée sur le Corridor Nord, une route qui transporte des produits de la Chine, à travers la Russie, vers les marchés de consommation européens. Avec une longueur totale de 2 000 kilomètres de moins que le Corridor Nord de la Russie, le Corridor du Milieu a le potentiel de devenir une alternative viable en raccourcissant la durée du transport à 15 jours.

Dans le cadre du package d’investissement de 10 milliards d’euros, plusieurs importants mémorandums d’accord (MoU) ont été signés entre les institutions financières européennes et les gouvernements d’Asie centrale. La Banque européenne d’investissement (BEI) a signé des MoU avec le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et la Banque de développement du Kazakhstan pour investir 1,47 milliard d’euros dans le développement de la connectivité des transports entre l’Europe et l’Asie centrale. De même, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a signé un MoU avec le Kazakhstan pour investir 1,5 milliard d’euros dans des projets de connectivité en cours. L’UE prévoit également de fournir des jumelages et une assistance technique aux pays d’Asie centrale dans le développement de la route. Selon le vice-président de la CE, Margaritis Schinas, « Des conseillers résidents jumelés de haut niveau de nos États membres de l’UE seront affectés à tous les pays d’Asie centrale », ainsi qu’une plateforme de coordination qui suivra les progrès.

Au cours des dernières années, l’UE a notablement renforcé sa coopération avec la région. Le bloc européen reste la principale source d’investissements directs étrangers dans la région, en plus d’être le deuxième plus grand partenaire commercial des pays d’Asie centrale. Dans ses remarques, Dombrovskis a souligné que l’UE reste un « partenaire fort, engagé et fiable » pour l’Asie centrale. Il a mentionné que la connectivité des transports joue un rôle central dans le partenariat UE-Asie centrale. À cette fin, il a été souligné que l’objectif à long terme est de transformer le Corridor central en une « route multimodale, compétitive, durable, intelligente et rapide pour relier nos deux régions en 15 jours ou moins ».

Une attention accrue portée au Corridor central a également attiré l’attention sur certains des défis actuels que rencontre la route. Selon le ministre kazakh des Transports, Marat Karabayev, le volume de transport de marchandises via le Corridor central a atteint 2,8 millions de tonnes à la fin de 2023, contre 1,5 million de tonnes l’année précédente. Étant donné sa capacité actuellement limitée, d’autres développements d’infrastructures et autres sont nécessaires pour éviter les goulets d’étranglement le long de la route. Des améliorations dans les procédures douanières, la capacité de transport et portuaire, la sécurité et la rationalisation sont nécessaires pour optimiser l’efficacité du Corridor du central. Les plans prévoient d’augmenter les volumes de marchandises transitant par le Corridor du central à 11 millions de tonnes annuellement d’ici 2030. Les investissements de la part d’acteurs clés externes tels que l’UE peuvent fournir le capital nécessaire, ainsi que le savoir-faire technique pour réaliser ces objectifs.

Le Forum des investisseurs était un témoignage important des relations de l’UE non seulement avec l’Asie centrale, mais aussi avec l’ensemble de la région caspienne. Interrogé sur l’importance du Forum, l’ancien ambassadeur britannique au Kazakhstan, David Moran, a déclaré : « Les engagements du Forum des investisseurs injecteront un nouvel élan dans le développement de la connectivité des transports régionaux… l’intérêt des investisseurs privés est clair – il y a de nombreux défis et obstacles à surmonter, mais les résultats du Forum marquent un début prometteur pour 2024« .

L’article L’UE déroule sa stratégie pour le Corridor Central Trans-Caspien est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

03.02.2024 à 10:36

Indonésie, la ligne à grande vitesse Yawan

observatoirenrs

img

Le 17 octobre 2023 à 15h35, le train à grande vitesse G1137 quitte la gare

L’article Indonésie, la ligne à grande vitesse Yawan est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

Texte intégral (2060 mots)

Le 17 octobre 2023 à 15h35, le train à grande vitesse G1137 quitte la gare Halim de Jakarta en Indonésie. En 11 minutes, le train atteint déjà sa vitesse de pointe de 350 km/h. Il rejoint sa destination finale Bandung en environ 40 minutes, alors qu’il fallait compter plus de 3 heures auparavant en prenant le chemin de fer traditionnel. Le projet de ligne à grande vitesse Yawan est un succès retentissant et marque une nouvelle étape pour l’industrie ferroviaire chinoise, les relations sino-indonésiennes et les nouvelles routes de la soie. Nous retraçons ici les grandes phases qui ont marqué le développement de ce projet pionnier.

1 Photographie prise le 30/09/2023 d’un train à grande vitesse de la ligne Yawan traversant les abords de la ville de Purwakarta. Source : Xu Qin(徐钦) pour Xinhua

L’Indonésie a toujours occupé une place importante dans le projet chinois des nouvelles routes de la soie. C’est en Indonésie, en octobre 2013, que le président chinois Xi Jinping lançait l’initiative des « routes de la soie maritime du XXIe siècle » (“21 世纪海上丝绸之路”). La même année, la Chine et l’Indonésie élevaient leur relation bilatérale au rang de partenariat stratégique global.

Le projet Yawan quant à lui n’a cessé de focaliser l’attention des plus hautes instances officielles des deux pays tout le long de son développement. Il est devenu un étendard de la coopération sino-indonésienne et des nouvelles routes de la soie. En avril 2015, à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de la conférence de Bandung qui marqua la naissance du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide, le président chinois Xi Jinping et le président indonésien Joko Widodo signent un accord cadre pour le développement d’une ligne à grande vitesse entre Jakarta et Bandung (《关于开展雅加达—万隆高速铁路项目的框架安排》 ). C’est la naissance officielle sur le papier du projet Yawan. Par suite, en janvier 2016, le président Xi félicite le président Jokowi du commencement des travaux. En juillet 2022, le président Jokowi entame une visite d’État en Chine, les deux pays conviennent d’approfondir leur coopération et de continuer à bâtir ensemble les nouvelles routes de la soie. Il est bien sûr question de mener le projet Yawan à son terme. Quelques mois plus tard, Xi Jinping et Joko Widodo se rencontrent le 16 novembre 2022, en marge du sommet du G20 qui s’est tenu à Bali en Indonésie. Les deux leaders visionnent une transmission en direct de l’expérimentation de la circulation d’un train à grande vitesse sur la ligne Yawan. En juillet 2023, Xi et Jokowi se revoient à Chengdu et s’accordent sur les derniers efforts à mener ensemble pour terminer la ligne à grande vitesse Yawan.

L’inauguration du projet mi-octobre 2023 survient à un timing parfait alors que se déroule à Pékin, la 3e édition du forum international de haut niveau sur les routes de la soie. Concomitamment, l’année 2023 marque le 10e anniversaire du partenariat stratégique global sino-indonésien et le 10e anniversaire de l’initiative des nouvelles routes de la soie.

Pourtant, la réalisation de cette ligne à grande vitesse de 142,3 km a présenté bien des défis techniques, géographiques et humains. Elle a nécessité plus de 8 années de travaux. Pour commencer, elle est un test pour le consortium d’entreprises chinoises contracté pour les travaux dont China Railway International Co.,Ltd. (中国铁路国际有限公司) assure la direction. La Chine n’a jamais réalisé de ligne à grande vitesse en dehors de la Chine. Le projet Yawan est donc le premier qui met en œuvre tout le savoir-faire chinois en matière d’ingénierie et de technologies ferroviaires. La ligne est réalisée selon des normes et des technologies chinoises. Elle est pilotée par le système de contrôle de trains CTCS-3, le même qui équipe les lignes à grande vitesse en Chine. La locomotive utilisée est le modèle Fuxing Hao (复兴号) CR400AF.

De plus, dès le véritable commencement des travaux en juin 2018, les maîtres d’œuvre ont dû faire face à des difficultés intrinsèquement liées à la topographie et à la géographie locale. L’Indonésie est situé à la rencontre de plusieurs plaques tectoniques, les séismes et les éruptions volcaniques sont des phénomènes fréquents. De plus, le climat est chaud et humide toute l’année. Les ingénieurs ont dû par-conséquent s’adapter en prévoyant un système d’alerte sismique, en modifiant les matériaux et le revêtement du matériel ferroviaire pour résister au phénomène de corrosion.

En outre, il a fallu recruter et former une main d’œuvre titanesque pour la construction et la logistique. Plus de 51 000 emplois locaux ont été créés dans le cadre du projet Yawan et 45 000 travailleurs indonésiens ont été formés. Une armée de soudeurs, d’ingénieurs et de techniciens indonésiens ont ainsi effectué leur première expérience professionnelle en travaillant sur la ligne Yawan. Les achats de productions locales d’acier, de ciment, de produits du quotidien ont coûté plus de 5,1 Mds USD. En raison de la topographie particulière de la côte Ouest de l’île de Java, les bâtisseurs de Yawan ont dû percer 13 tunnels et construire 56 ponts, le tout selon des normes antisismiques.

L’achèvement de la ligne Yawan a des effets structurants à plusieurs niveaux. Pour l’économie locale de Java et pour l’économie indonésienne, la construction de Yawan ne peut qu’avoir des effets bénéfiques. Cette ligne à grande vitesse va permettre de résoudre la saturation du réseau de transport sur l’île de Java où vit la moitié de la population indonésienne, soit 150 millions de personnes. Elle supplante la ligne de chemin de fer traditionnel construite il y a un siècle. Le train à grande vitesse va permettre de démultiplier les échanges touristiques, professionnels logistiques entre la capitale Jakarta et Bandung, ville dont le secteur touristique occupe une place cruciale. De plus, elle dessert le parc industriel en plein essor de Karawang. La ligne Yawan pourra augmenter la confiance des investisseurs et donc les investissements économiques dans les industries de hautes technologies et les industries manufacturières. Qui plus est, il est estimé qu’elle va permettre la création d’environ 30 000 emplois dans les secteurs du service au voyageur, de la maintenance ferroviaire et des secteurs complémentaires. Par ailleurs, l’Indonésie obtient un premier accès à des technologies pointues de train à grande vitesse qu’elle ne maîtrise pas.

Pour l’industrie ferroviaire chinoise, la ligne Yawan est indubitablement un succès. Les équipementiers chinois peuvent se targuer d’avoir construit la première ligne à grande vitesse d’Asie du Sud-Est reposant entièrement sur des technologies chinoises. La réalisation de Yawan est le tout premier succès à l’export du matériel ferroviaire chinois. Elle témoigne de la maturité et de l’efficacité des technologies chinoises. La Chine a ainsi démontré son expertise en matière d’infrastructure ferroviaire à grande vitesse. Cela renforce le positionnement des grands groupes d’état chinois sur le marché international des appels d’offre pour des projets de lignes à grande vitesse. En clair, les entreprises chinoises de l’industrie ferroviaire sont plus à mêmes de se projeter à l’international (“走出去”)

La réalisation de la ligne à grande vitesse Yawan n’est bien entendu pas le premier projet d’infrastructure sino-indonésien. La coopération sino-indonésienne dans le domaine des infrastructures a déjà donné d’autres concrétisations telles que des centrales électriques, des routes, des ponts ou encore des infrastructures de télécommunications. La Chine a par-exemple contribué à la construction du grand barrage de Bendungan Jatigede et au grand pont de Jembatan Suramadu. Toutefois, Yawan est un projet emblématique de ce que la Chine et l’Indonésie peuvent accomplir ensemble dans le cadre des nouvelles routes de la soie. Il symbolise le concept de « discuter ensemble, construire ensemble, profiter ensemble » (“共商、共建、共享”) inlassablement répété dans le discours officiel chinois sur les nouvelles routes de la soie. Les médias chinois ont même qualifié Yawan de « signe d’or » (金字招牌) du travail commun des deux pays pour l’édification des nouvelles routes de la soie. Yawan représente également la profondeur des relations économiques bilatérales. La Chine est continuellement depuis 10 années le premier partenaire commercial de l’Indonésie. En 2022, le commerce bilatéral s’élève à 149,1 Mds USD. La même année, la Chine a investi plus de 8,2 Mds USD dans l’économie indonésienne, ce qui fait de la Chine le deuxième investisseur étranger en Indonésie. La coopération sino-indonésienne va continuer à s’accroître et à s’approfondir dans tous les domaines.


OFNRS - Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie

Par David HO, Analyste au Pôle Asie du Sud-Est

L’article Indonésie, la ligne à grande vitesse Yawan est apparu en premier sur Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie.

10 / 10

 

  GÉNÉRALISTES
Basta
Blast
L'Autre Quotidien
Alternatives Eco.
La Croix
Euronews
Le Figaro
France 24
FTVI
HuffPost
L'Humanité
LCP
Le Media
Le Monde
Libération
Mediapart
La Tribune
 
  INTERNATIONAL
Equaltimes
CADTM
Courrier Europe Ctle
Courrier International
Global Voices
Info Asie
Inkyfada
I.R.I.S
Jeune Afrique
Kurdistan au féminin
N-Y Times
Orient XXI
Of AFP
Rojava I.C
Toute l'Europe
 
  OSINT / INVESTIGATION
OFF Investigation
OpenFacto°
Bellingcat
Disclose
G.I.J.N
 
  MÉDIAS D'OPINION
AOC
Au Poste
Cause Commune
CrimethInc.
Issues
Les Jours
Le Monde Moderne
LVSL
Marianne
Médias Libres
Quartier Général
Rapports de force
Reflets
Rézo
StreetPress
 
  OBSERVATOIRES
Armements
Acrimed
Catastrophes naturelles
Conspis
Culture
Extrême-droite
Human Rights
Inégalités
Information
Internet actu ✝
Justice fiscale
Multinationales
Situationnisme
Sondages
Street-Médics
Routes de la Soie
Vrai ou Fake ?
🌞