France Travail déploie actuellement des robots visant à automatiser et massifier le contrôle des personnes inscrites à France Travail. Depuis le 1 janvier 2025, cela inclut également les personnes au RSA. Il s’agit d’une nouvelle étape du dangereux projet de gestion algorithmique des personnes sans-emplois, porté par le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy. Retour sur le contexte de cette mise en place et ses implications sociales.
Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, les contrôles réalisés par France Travail sont passés de moins de 200 000 en 2017 à plus de 600 000 en 2024. Il y a tout juste un an, l’exécutif surenchérissait et fixait à l’institution un objectif de 1,5 million de contrôles en 20271Pour les chiffres de 2017, voir l’étude de Pôle Emploi « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » disponible ici. Pour 2024, voir « Bilan du Contrôle de la recherche d’emploi » disponible ici. Pour les annonces d’Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir voir cet article de 2017 et cet article de 2021. L’objectif de 1,5 million a été annnoncé par Gabriel Attal en 2024, voir cet article..
Parallèlement était votée, en décembre 2023, la loi dite « Plein Emploi », entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Cette dernière vient modifier en profondeur les modalités du contrôle des personnes sans-emplois via deux mesures phares. La première est l’extension du pouvoir de contrôle et de sanctions des personnes au RSA par France Travail. La seconde concerne l’obligation pour toute personne suivie par France Travail – qu’elle soit au RSA ou au chômage – de réaliser 15 « heures d’activité » hebdomadaires sous peine de sanctions.
C’est dans ce contexte que France Travail déploie actuellement une refonte de son processus de contrôle. Dénommée « Contrôle de la Recherche d’Emploi rénové » (ou « CRE rénové »), elle vise tant à « arriver à mettre en oeuvre 1,5 million de contrôles […] à l’horizon 2027 » qu’à prendre en compte les « évolutions introduites par la loi “Plein Emploi” »2« Information en vue d’une consultation sur le contrôle de la recherche d’emploi rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 9 et 10 octobre 2024, disponible ici..
Pour atteindre l’objectif de massification des contrôles, France Travail mise sur l’automatisation3A noter que le CRE rénové s’accompagne aussi d’une réduction des droits des personnes contrôlées afin de réduire le temps nécessaire à un contrôle. Il s’agit de mettre en place une procédure « flash » permettant de faire « l’économie de l’entretien téléphonique » et/ou de l’envoi d’un formulaire à la personne contrôlée, deux choses qui étaient systématiques jusqu’alors lors d’un CRE. En cas d’« avertissement avant sanction », la personne contrôlée disposera de 10 jours pour justifier de sa situation. Voir « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici.. Début 2025, ses dirigeant·es ont ainsi annoncé que le « CRE rénové » s’accompagnerait du déploiement de « robot[s] d’aide à l’analyse du dossier » destinés à assister la personne en charge du contrôle. L’objectif affiché est de réaliser des « gains de productivité » permettant de réduire la durée d’un contrôle pour pouvoir alors les multiplier à moindre coût4« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central (CSEC) des 13 et 14 mars 2024, disponible ici..
Pour ce faire, ces « robots » ont pour tâche de classer les personnes ayant été sélectionnées pour un contrôle selon différents degrés de « suspicion »5La sélection des personnes relève d’un autre traitement algorithmique. Elles sont le fruit de requêtes ciblées (métiers en tensions…) et aléatoires, de signalements agence ou encore d’« alertes automatiques » incluant désormais certains des flux provenant de la « gestion de la liste ». Voir le document « Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici. afin de guider le travail du contrôleur ou de la contrôleuse. Concrètement, ils réalisent un profilage algorithmique de la personne contrôlée sur la base de l’analyse des données personnelles détenues par France Travail.
Ce profilage prend la forme d’une classification en trois niveaux : « clôture » (pas de suspicion), « clôture potentielle » (suspicion moyenne) ou « contrôle potentiel » (suspicion forte)6Ces informations se basent sur des discussions avec des équipes de France Travail ayant eu accès aux résultats des profilages réalisés par les robots. Notons aussi l’existence d’une catégorie « erreur » pour les dossiers n’ayant pas pu être traités par l’algorithme.. Ce résultat est alors transmis, en amont du contrôle, au contrôleur ou à la contrôleuse afin de l’inciter à se concentrer sur les dossiers considérés comme suspects par l’algorithme, tout en clôturant rapidement le contrôle pour les autres.
À travers notre campagne France Contrôle, nous avons déjà parlé de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la première à se lancer dans ce contrôle algorithmique des populations. Le fait qu’elle soit rejointe par France Travail démontre une fois de plus pourquoi il est fondamental de s’opposer, par principe, à l’usage d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle. Mais également d’exiger la transparence autour du fonctionnement de ces algorithmes, afin de mieux pouvoir les combattre tant politiquement que juridiquement.
Dans le cas présent, cette transparence est d’autant plus importante que l’objectif d’un contrôle de la recherche d’emploi – « une appréciation globale des manquements [de la personne contrôlée] afin de sanctionner un comportement général »7« Information sur le pilote du contrôle de la recherche d’emploi (CRE) rénové », Comité Social d’Entreprise Central des 13 et 14 mars 2024, disponible ici. – est très flou et propice à l’arbitraire. L’analyse du code de l’algorithme pourrait aussi appuyer un combat juridique, tel que l’actuel contentieux contre la CNAF.
Mais sur le sujet des « robots » de contrôle – comme sur beaucoup d’autres8Une grande partie de nos demandes d’accès aux documents administratifs restent sans réponse. Nous reviendrons sur ce point dans un article dédié. – la direction de France Travail se refuse à toute transparence. Son directeur est allé jusqu’à déclarer à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) « qu’aucun algorithme n’est utilisé dans le cadre du « CRE rénové » […] » suite à la saisine déposée par des journalistes de Cash Investigation ayant travaillé sur ce sujet9L’avis de la CADA citant le directeur de France Travail est disponible ici..
En l’absence de transparence sur le fonctionnement de ces « robots », nous ne pouvons qu’avancer quelques hypothèses sur le fonctionnement du profilage algorithmique. Côté technique, la direction de France Travail a déclaré que le « robot » n’était pas basé sur de l’intelligence artificielle, sans toutefois exclure qu’il puisse l’être à l’avenir10Propos tenus lors du CSEC de France Travail du 22 novembre 2024.. En conséquence, le profilage serait le résultat d’opérations algorithmiques simples issues de la combinaison de différents critères construits à partir des données personnelles détenues par France Travail11On pense assez naturellement à un algorithme du type « arbre de décision »..
Quant à la nature de ces critères, des pistes sont données par un document distribué aux équipes de contrôle de France Travail il y a quelques mois. Assumant pleinement un discours policier, la direction de France Travail y présente une « grille d’analyse » venant préciser le « niveau d’importance » de différents « indices » permettant de caractériser les « manquements » des personnes contrôlées.
Parmi ces éléments, notons notamment l’absence de périodes récentes de travail ou de formation, l’absence de mobilisation des outils numériques mis à disposition par France Travail (offres, CV ou carte de visite en ligne), l’absence de contact avec son ou sa conseiller·ère, les résultats des derniers contrôles de recherche d’emploi, l’absence de candidatures envoyées via le site de France Travail ou encore le non-respect des 15 « heures d’activité » prévue par la loi « Plein Emploi ».
Tout indique que ce travail de rationalisation du processus de contrôle aurait servi de base à la construction du « robot » lui-même. En effet, en plus du résultat du profilage, le « robot » fait remonter au contrôleur ou à la contrôleuse une liste d’éléments issus de cette grille. Ces remontées permettent alors à la personne en charge du contrôle d’apprécier la décision de classification du « robot », sans pour autant qu’il ou elle ait accès à ses règles de fonctionnement précises.
Le déploiement d’algorithmes de profilage à des fins de contrôle participe activement à la politique de répression et à la paupérisation des personnes sans-emplois. La massification des contrôles à laquelle contribue ce processus d’automatisation entraîne mécaniquement une hausse du nombre de sanctions et de pertes de droits associé·es.
Ainsi, d’après les documents de France Travail, 17% en moyenne des contrôles aboutissent à une radiation12Voir le tableau 1 du document Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, disponible ici. A noter que ce chiffre est passé à 20% dans les régions ayant expérimentées le CRE rénové avant sa généralisation. Voir la slide 15 de ce document présenté en Comité Social et Economique Central de France Travail le 9 octobre 2024.. Dans l’hypothèse où ce taux resterait constant, l’augmentation de 500 000 à 1,5 million de contrôles par an implique que le nombre de radiations associées passerait d’environ 85 000 aujourd’hui à 255 000 en 202713A noter ici que l’effet de la loi « plein emploi » sur le nombre total de radiations n’est pas clair. En effet, une partie de la « gestion de la liste » – situations entraînant auparavant une radiation automatique tel que l’absence à un rendez-vous ou l’absence à formation – est transférée au CRE. Pour des statistiques sur les radiations et les sorties des personnes inscrites à France Travail est disponible ici sur le site de la DARES.. Ajoutons que l’impact des contrôles n’est pas le même pour toutes et tous : d’après les chiffres disponibles, les personnes n’ayant pas le bac ou étant au RSA sont sur-représentées parmi les personnes radiées suite à un contrôle14Voir Le contrôle de la recherche d’emploi en 2023, France Travail, tableau 2, disponible ici. Voir aussi le tableau 1 de l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi: l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi », Pôle Emploi, 2018.. L’automatisation des contrôles est donc une manière d’écarter les plus précaires de France Travail.
Notons enfin, comme le rappellent cinq chercheurs et chercheuses dans le livre Chômeurs, vos papiers !15C. Vives, L. Sigalo Santos, J.-M Pillon, V. Dubois et H. Clouet, « Chômeurs, vos papiers ! », 2023. Cet essai revient sur les aspects historiques, politiques et sociologiques du contrôle dans les politiques publiques de l’emploi. Concernant l’impact des contrôles, notons l’étude « Le contrôle de la recherche d’emploi : l’impact sur le parcours des demandeurs d’emploi » publiée par Pôle Emploi en 2018, qui ne permet pas de conclure, tels que les résultats sont présentés, à un quelconque impact statistiquement significatif du contrôle., qu’aucun travail scientifique ne vient valider le récit mis en avant par nos dirigeant·es selon lequel les contrôles favoriseraient la reprise d’emploi. Cette hypocrisie politique n’a pour fondement qu’une vision stigmatisante et infantilisante des personnes sans-emplois, visant à nier toute responsabilité collective vis-à-vis du chômage de masse et à le réduire à une problématique individuelle.
À l’inverse, ajoutent les auteurs·ices, les effets négatifs des contrôles sont largement documentés. En plaçant les personnes contrôlées dans une situation humiliante – « où au stigmate de l’assisté s’ajoute celui du tricheur »16V. Dubois, « Contrôler les assistés », Chapitre 10. Voir aussi l’article de Lucie Inland disponible ici, cet article du Monde et le rapport du Défenseur des Droits « La lutte contre la fraude aux prestations sociales » disponible ici. La Fondation pour le logement des défavorisés, le Défenseur des droits et le collectif Changer de Cap ont par ailleurs collecté de nombreux témoignages décrivant la violence vécue par les allocataires lors des contrôles. Difficultés de recours, contrôles répétés, suspension automatique des prestations sociales, intrusion humiliante dans les moindres recoins de la vie privée. Nous vous invitons à lire l’ensemble de ces témoignages disponibles ici. – s’accompagnant de lourdes démarches de justification, ils induisent un effet dissuasif vis-à-vis de l’accès aux droits. En retour, ils contribuent à l’augmentation du non-recours, dont le taux est estimé à plus de 25% pour l’assurance chômage et à 30% pour le RSA17C. Hentzgen, C. Pariset, K. Savary, E.Limon, « Quantifier le non-recours à l’assurance chômage », Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques, 2022, disponible ici. Céline Marc, Mickaël Portela, Cyrine Hannafi, Rémi Le Gall , Antoine Rode et Stéphanie, Laguérodie « Quantifier le non-recours aux minima sociaux en Europe », 2022, disponible ici.. À ceci s’ajoute le fait qu’il plonge dans la précarité celles et ceux contraints·es à accepter des postes pénibles, sous-payés et précaires.
Tout ceci est d’autant plus inquiétant à l’heure où entre en vigueur la loi « Plein Emploi », qui vient renforcer l’impact et le champ des contrôles réalisés par France Travail.
En premier lieu via l’instauration d’une obligation de 15 « heures d’activité » pour toute personne sans-emploi18Le nombre « d’heures d’activités hebdomadaires » à réaliser peut être diminué en fonction des difficultés personnelles (handicap, parent isolé…). Voir l’article 2 de la loi pour le « Plein Emploi ».. À la violence qu’elle entraîne en termes de niveau de contrôle et d’intrusion dans la vie privée des personnes contrôlées, cette mesure conjugue une contrainte administrative extrêmement lourde de par la difficulté que chacun·e aura pour justifier ces heures. Elle vient ainsi considérablement renforcer l’arbitraire des contrôles et, de fait, les pouvoirs de répression de France Travail. Si la difficulté qu’il y aura à (faire) respecter cette mesure pourrait la faire paraître presque illusoire, notons cependant que France Travail développe déjà un agenda partagé entre personne sans-emploi et conseiller·ère, c’est-à-dire un outil numérique dédié au contrôle de ces « heures d’activité ».
En second lieu, parce que la loi « Plein Emploi » vient étendre les prérogatives de contrôle de France Travail sur les personnes au RSA19L’obligation d’inscription concerne aussi les personnes en situation de handicap suivies par Cap Emploi et les « jeunes » accompagnés par une mission locale ayant conclu un « Parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie » ou un « contrat d’engagement jeune ». Voir l’article 1 de la loi pour le « Plein Emploi ».. Jusqu’alors, les sanctions relatives au RSA relevaient de la compétence du département et le retrait de son bénéfice nécessitait le passage devant une commission pluridisciplinaire dédiée. Via les « suspensions-remobilisations »20L’article 3 de la loi pour le « Plein Emploi » prévoit notamment la possibilité pour un département de déléguer le « prononcé des mesures de suspension du versement du RSA » pour les personnes dont France Travail est l’organisme référent. L’article 2 de la même loi une coopération accrue entre France Travail. Il précise aussi que France Travail est en charge du contrôle du « Contrat d’Engagement » des personnes au RSA dont il est l’organisme référent et qu’il peut proposer au Conseil Départemental des sanctions (suspension/radiation) concernant le versement du RSA. Des précisions seront apportées par décret dont une version préliminaire a fuité dans la presse., la loi « Plein Emploi » a désormais introduit la possibilité pour les départements de déléguer à France Travail la compétence de suspension du RSA. Dans ce cas, France Travail pourra suspendre le RSA d’une personne à la suite d’un contrôle de manière unilatérale et sans que l’avis d’une commission de contrôle de la suspension soit nécessaire.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la contestation monte de toute part contre le renforcement des contrôles à France Travail.
Du Défenseur des Droits à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), en passant par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE), l’ensemble des institutions de lutte contre la pauvreté critiquent vertement la loi « Plein Emploi » et ses velléités autoritaires21Voir notamment la déclaration de la CNCDH, l’avis du CNLE et cette étude publiée par le Secours Catholique, Aequitaz et ATD Quart Monde..
De leur côté les associations de lutte contre la précarité se regroupent et dénoncent une réforme « inhumaine, injuste et inefficace », tandis que sur le terrain, les premier·ères concernées s’organisent. En Bretagne, le Conseil départemental du Finistère a ainsi été occupé par des personnes réunies en « Assemblée Générale contre la réforme du Rsa-france-travail »22Voir notamment cet appel et cet article sur leur action au conseil départemental du Finistère. Vous pouvez les contacter à l’adresse ag-rsa-francetravail-brest chez riseup.net..
Devant la multiplication des oppositions et la diversité des modes d’actions, nous appelons toutes celles et ceux qui refusent la destruction de notre système de protection sociale et la violence des politiques néo-libérales dont elle s’inspire à s’organiser et à rejoindre ces luttes de la manière qui leur convient le mieux.
De notre côté, nous tâcherons d’y contribuer à travers la documentation de cette infrastructure numérique de surveillance que les dirigeant·es de France Travail mettent en place dans le cadre de la loi « Plein Emploi ». Nous appelons par ailleurs les personnes ayant connaissance des critères utilisés par les robots de contrôle à nous contacter à algos@laquadrature.net ou à déposer des documents de manière anonyme sur notre SecureDrop (voir notre page d’aide ici). Si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.
References
Ce soir ou demain seront examinés les amendements à l’article 15 du projet de loi « simplification » de la vie économique. La Quadrature du Net, en lien avec le collectif Le Nuage était sous nos pieds et les membres de la coalition Hiatus, appelle à sa suppression, et avec beaucoup d’autres actrices et acteurs de la société civile ainsi que des représentant·es politiques, à l’instauration d’un moratoire sur les gros data centers. Participez à cette bataille en vous rendant sur notre page de campagne !
L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !
Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.
La loi « simplification » marque donc une étape fondamentale dans la dérégulation de l’IA, le tout au service de l’industrie de la tech et dans le contexte d’une bulle spéculative autour des data centers et d’une rivalité géopolitique croissante entre les puissances impérialistes de ce monde.
Lors du sommet relatif à l’IA organisé par la France en février dernier, la couleur était clairement affichée. Dans son allocution, Emmanuel Macron affirmait : « Si on régule avant d’innover, on se coupera de l’innovation ». Le vice-président étasunien techno-réactionnaire JD Vance, qui avait fait le déplacement à Paris, n’avait pas caché sa satisfaction : « Je suis content de voir qu’un parfum de dérégulation se fait sentir dans nombre de discussions », avait-il déclaré lors de son allocution.
En réalité, dès 2023, la France avait fait des pieds et des mains au niveau de l’Union européenne pour faire primer la sacro-sainte « innovation » sur les droits humains, dans le cadre des négociations sur le règlement IA. Aiguillée par l’ancien ministre Cédric O devenu lobbyiste en chef de la tech française, et à force de coups de pressions voulus par Emmanuel Macron, Paris était parvenu à convaincre ses partenaires européens de privilégier une approche moins-disante. Ces renoncements se sont particulièrement fait sentir sur le front des IA policières, avec la légalisation de la reconnaissance faciale en temps réel et un certain nombre d’exceptions réservées aux forces de police et autres services de renseignement.
Dans le même temps, toujours au nom de l’IA, on multipliait les dispositifs dérogatoires au droit, par exemple via des mécanismes de « bacs-à-sable réglementaires ». Et c’est désormais le RGPD que certains aimeraient détricoter pour « libérer » les IA censément « entravées » par les règles adoptées pour protéger le droit à la vie privée et les données personnelles. Loin de défendre les « valeurs » associées aux droits humains, sociaux et environnementaux, l’Union européenne s’enfonce dans un suivisme mortifère face à la Chine et les États-Unis, deux puissances engagées dans une course à l’IA.
Au nom de la « simplification », l’article 15 du projet de loi débattu par l’Assemblée nationale poursuit ce mouvement de dérégulation en rognant cette fois sur les législations environnementales et le droit à la participation des citoyens concernant les projets de gros centres de données.
Parmi ces derniers, se trouvent les immenses data centers soutenus par le gouvernement français. Dans la perspective de développer ces infrastructures, ossature du numérique dominant, et d’accélérer l’accaparement des terres, des ressources foncières, minières, hydriques et l’exploitation des travailleur·euses qu’elles impliquent, nous voyons aujourd’hui des entreprises comme RTE, normalement garantes du service public de l’énergie vanter leur collaboration avec les multinationales étasuniennes du secteur, comme Digital Realty. Le bilan prévisionnel de RTE prévoit ainsi un triplement de la consommation d’électricité des data centers d’ici à 2035, soit autour de 4% de la consommation nationale.
Du côté du gouvernement, on voit dans les milliards d’euros d’investissements privés annoncés dans les data centers construits en France la confirmation du bien-fondé de sa politique de relance du nucléaire, quitte à passer sous silence les dangers et les grandes inconnues qui entourent ces programmes. Quitte aussi à engager une relance débridée de l’extractivisme minier et des prédations qui y sont liées, comme y encourage l’article 19 de ce même projet de loi « simplification ». Quitte, enfin, à museler les contestations, à s’asseoir sur le droit à la consultation du public et à rogner encore un peu plus sur les compétences de la Commission nationale du débat public, qui depuis des années demande à être saisie lors de la construction des centres de données.
À la clé, c’est d’abord l’impossibilité d’une politique de sobriété collective pour faire face aux crises sociales, climatiques et écologiques. Avec l’augmentation de la demande liée aux data centers, c’est aussi la perspective d’une explosion des prix de l’électricité, la précarité énergétique qu’elle suppose et des risques décuplés de conflits d’usage. Car, à la mesure de leurs moyens financiers, l’appétit des géants de la tech en électricité est insatiable. Il y a quelques jours, Eric Schmidt, ancien PDG de Google et émissaire de la Silicon Valley à Washington, l’admettait sans détour devant une commission du Congrès étasunien au sujet du développement de l’IA :
« Ce que nous attendons de vous [le gouvernement], c’est que nous [la tech] ayons de l’énergie sous toutes ses formes, qu’elle soit renouvelable, non renouvelable, peu importe. Il faut qu’elle soit là, et qu’elle soit là rapidement. De nombreuses personnes prévoient que la demande pour notre industrie passera de 3 % à 99 % de la production totale [d’électricité au niveau mondial] (…) ».
Aux États-Unis, de nombreux producteurs d’électricité s’apprêtent ainsi à rallumer des centrales à gaz ou au charbon, ou à retarder leur fermeture face à la consommation croissante des data centers. Technofascisme et carbofascisme vont indéniablement de pair.
Contre cette fuite en avant, il faut voter contre l’article 15 du projet de loi, et soutenir un moratoire sur les gros data centers, le temps que les conditions d’une maîtrise collective des infrastructures numériques puissent être posées. La balle est désormais dans le camp des parlementaires. Retrouvez notre pour contacter vos représentant·es à l’Assemblée et peser sur leur vote !
Aujourd’hui à l’Assemblée nationale débute l’examen en séance du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Une loi d’apparence technique, aux enjeux obscurs, mais qui marque un nouveau coup de force au service de l’industrie, et au détriment des droits humains et de l’environnement. L’article 15 du projet de loi, dans la droite ligne des promesses faites par Emmanuel Macron aux investisseurs lors du sommet IA de février dernier, vise à accélérer la construction d’immenses data centers en permettant à l’État de les imposer aux collectivités locales et à la population. Contre ce coup de force visant à ériger ces infrastructures au bénéfice des géants de la tech et au prix d’un accaparement des ressources foncières, électriques et hydriques, un large front de la société civile appelle à la suppression de cet article et à la mise en place d’un moratoire sur la construction des gros data centers.
L’examen du projet de loi « simplification » commence aujourd’hui à l’Assemblée nationale, dans une certaine indifférence. Les enjeux sont pourtant majeurs. Comme le rappelle France Nature Environnement dans ce rapport tout juste sorti qui dresse le bilan de 20 ans de lois de « simplification », ces dernières apparaissent en fait comme « un cheval de Troie de la dérégulation, un processus insidieux et malhonnête qui affaiblit l’État de droit et la justice environnementale, et met en péril la protection des écosystèmes et la construction d’un monde vivable ».
L’article 15 du projet de loi, relatif aux centres de données, s’inscrit parfaitement dans cette sombre histoire : il autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers, extrêmement impactants sur le plan environnemental, un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce statut pourra être octroyé aux data centers d’une surface comprise entre 30 et 50 hectares (soit jusqu’à 71 terrains de foot) !
Avec ce statut PINM, les multinationales de la tech et les fonds d’investissements qui les soutiennent à coup de dizaines de milliards d’euros se verraient assistés par le gouvernement pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter aux projets concernés. Les procédures de consultation du public seraient encore allégées. Enfin, l’État pourrait accorder des dérogations aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées. En d’autres termes, l’État pourrait court-circuiter les règles existantes au nom de la « simplification » et « l’innovation » et imposer la construction de data centers polluants à des communes.
Depuis plusieurs semaines, le collectif Le Nuage était sous nos pieds, qui s’est organisé à Marseille pour résister à la flambée des centres de données dans la cité phocéenne, et La Quadrature du Net, en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus (lancée en février pour « résister à l’IA et son monde »), appellent à deux choses : d’une part, la suppression de l’article 15, et d’autre part l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepôts à serveurs.
Issus de contacts pris au niveau politique, plusieurs amendements visaient justement à relayer ces revendications. Des amendements de suppression de l’article 15 ont ainsi été déposés par le Parti socialiste, les député·es écologistes ou La France insoumise. C’est là notre revendication, urgente et minimale : pour la défendre, contacter vos député·es et les convaincre d’adopter ces amendements, rendez-vous sur cette page où vous trouverez un argumentaire en appui de ces positions.
Mais d’autres amendements, fondés sur , ont été déposés en vue d’un objectif plus ambitieux : instaurer un moratoire sur la construction de gros data centers, le temps qu’une convention citoyenne puisse poser les bases d’un débat sur l’encadrement adéquat du développement des infrastructures numériques. Or, alors que ces amendements de moratoire avaient été déposés et examinés en commission courant mars sans aucun problème, cette fois-ci pour l’examen en séance, les services de l’Assemblée les ont déclarés irrecevables car contraires à l’article 40 de la Constitution. Apparemment, un tel moratoire ou l’organisation d’une convention citoyenne contribuerait à « aggraver une charge » ou à « diminuer les ressources » publiques. Impossible donc pour le Parlement d’appeler à une convention citoyenne en dehors d’une loi de finances ? Le « parlementarisme rationalisé » a encore frappé !
C’est d’autant plus regrettable que le principe d’un moratoire — une manière de poser les bases d’une maîtrise démocratique des data centers, et de contrer les velléités du gouvernement d’accélérer toujours plus au mépris des droits et de la démocratie — fait consensus auprès d’une diversité d’acteurs.
Un large front de la société civile, incluant des chercheur·euses, des militant·es, ainsi que des représentant·es politiques, appellent ainsi, dans une tribune parue dans Libération, à la mise en place d’un tel moratoire. À Marseille, l’enquêteur public chargé d’instruire le dossier de l’entrepôt logistique SEGRO doublé d’un data center, vient d’appeler lui aussi, dans ses recommandations adressées aux instances régionales, à « effectuer une pause pour mettre les acteurs autour d’une table, en imposant un moratoire ». De même en Irlande, où les data centers représentent aujourd’hui plus de 20% de la consommation électrique du pays, la région de Dublin est soumise à un moratoire de fait jusqu’en 2028 au moins. Bref, cette option politique est non seulement possible, mais aussi réaliste et nécessaire pour commencer à remettre le numérique à sa place, à l’heure où l’essor de l’IA conduit à une fuite en avant spéculative dans le développement de ces infrastructures.
Alors ne lâchons rien ! Rendez-vous sur notre page de campagne pour pousser les député·es à voter la suppression de l’article 15 de la loi « simplification », et à exiger du gouvernement la mise en place d’un moratoire sur les centres de données ! Vous pouvez aussi nous soutenir dans ce combat en faisant un don à La Quadrature.
Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction de nouveaux «datacenters» ainsi que la mise en place de débats publics.
Cette tribune a d’abord été publiée sur Libération.fr.
Du 8 au 11 avril, l’Assemblée nationale débat du projet de loi de simplification de la vie économique (PLS). On y trouve de nombreuses mesures dérogatoires au droit commun, une perte de pouvoir de la Commission nationale du débat public, un retour en arrière sur la loi Zéro artificialisation nette, sur la protection des espèces menacées, une perte des compétences des collectivités territoriales. Il s’agit d’un démantèlement lent mais assuré des maigres législations écologiques et démocratiques qui encadraient encore les élans du capitalisme technologique.
Le PLS concerne aussi la facilitation des installations industrielles notamment minières, prétendument de transition énergétique et paradoxalement associées aux infrastructures du numérique, comme les data centers, dont il s’agirait de faciliter l’installation en France pour une supposée souveraineté numérique.
Les infrastructures du numérique, qui permettent à l’information numérique de circuler et aux services du cloud d’apparaître sur nos écrans, sont organisées en data centers interconnectés par les câbles de fibres optiques sous-marins. Et pour faire des data centers, des câbles et les usines de production énergétique pour les alimenter, il faut des mines, d’où sont extraits les minerais qui composeront les puces des serveurs et des cartes graphiques, nécessaires au fonctionnement desdites intelligences artificielles.
Le cloud était sous nos pieds : le déploiement des infrastructures du numérique est soutenu par une relance débridée de l’extractivisme et des prédations qui y sont liées. Elles sont les nouvelles infrastructures de la domination impérialiste : il faut en être pour continuer à faire partie des grandes puissances mondiales, quitte à ouvrir grand les portes à tous ces investisseurs privés pour faire de la France une «data center nation». Alors que les dépendances technologiques envers les multinationales étasuniennes alignées derrière le programme d’extrême droite de Donald Trump sont croissantes, le temps ne peut pas être à la dérégulation.
Le projet de loi Simplification propose de conférer aux data centers le statut de projet d’intérêt national majeur. Par là, il faut entendre le statut de raison impérative pour rester dans la course à l’IA. Tant pis si vous devez attendre dix ans de plus l’électrification d’activités polluantes ; tant pis si les massacres en République démocratique du Congo redoublent d’intensité ; tant pis pour les terres que les paysannes abandonnent, faute d’eau disponible, tant pis si on ne sait toujours pas réemployer les puces et si les décharges de déchets du numérique s’étendent à perte de vue ; tant pis si les data centers dans lesquels on stocke les données de l’Etat sont soumis aux lois états-uniennes ; tant pis si la vitalité des quartiers populaires est sacrifiée aux chaleurs produites des réfrigérateurs géants. Il n’y a pas de négociations à avoir. Au contraire, le gouvernement propose de graver dans la loi une fiscalité allégée et un accès prioritaire au réseau électrique public. Le numérique dominant s’impose, rendant obsolète nos machines, nos compétences et parfois même nos corps.
Nous pensons que le moment est venu de reprendre le contrôle collectivement sur les infrastructures du numérique. La souveraineté numérique, ça ne peut pas être de tenter désespérément d’arracher un segment d’une chaîne de valeur contrôlée par des multinationales étrangères en les attirant sur le territoire français avec une législation et une fiscalité aguicheuse.
Partout sur le territoire et à l’étranger, de nombreuses communautés s’organisent déjà pour résister à ce numérique dominant : collectifs en lutte contre les projets miniers, contre les fonderies de puces microélectroniques dédiées à l’armement et aux gourdes connectées, contre les implantations de data centers s’appropriant l’eau des rivières ou l’eau potable, ou les importations croissantes des minerais de sang ; riverain·e·s qui suffoquent déjà trop de la toxicité de ce monde industriel, qui voient des projets d’intérêt général rendus impossibles par la saturation des réseaux d’électricité ou qui cherchent à privilégier des lieux de vie où on privilégie l’humain ; comme les chercheur·euse·s qui documentent les impacts écologiques du numérique, les déchets produits, qui étudient la déchéance des utopies d’Internet ou encore les dimensions géopolitiques croissantes ; comme les artistes et designers qui cherchent à fabriquer d’autres récits et d’autres manières d’hériter de ce monde abîmé, ou qui inventent des réseaux sociaux qui tiennent avec un téléphone portable pour serveurs ; comme les communautés de logiciels libres et leshackerspacesqui fabriquent des serveurs low tech.
A l’opposé de cette loi, nous demandons collectivement un moratoire sur la construction de nouveaux data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, ainsi qu’un soutien aux projets de recherches actions ayant pour objectif de mettre au travail des alternatives réelles et de célébrer la joie qui circule quand on parvient à penser ensemble.
Contre la fuite en avant, ralentissons et osons faire monde commun.
Signataires : Julie Ferrua Codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires Raquel Radaut Porte-parole de la Quadrature du Net Ophélie Coelho Chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques(Iris), Centre Internet et Société, autrice Baptiste Hicse Membre du collectif StopMicro Annick Ordille Membre du collectif le Nuage était sous nos pieds Sébastien Barles Adjoint au maire de Marseille, en charge de la transition écologique Camille Etienne Autrice et militante écologiste David Cormand Député européen écologiste Clément Marquet Chargé de recherches en sciences techniques et société, Mines Paris-PSL David Maenda Kithoko Président deGénération Lumière Aurora Gómez Delgado Porte-parole du collectif TuNubeSecaMiRío Manuel Bompard Député des Bouches-du-Rhône (LFI), Adrien Montagut Codirigeant de la coopérativeCommownen charge des affaires publiques Lou Welgryn Secrétaire générale de Data for Good Jérôme Moly Président de l’association GreenIt…
La totalité des signataires est ici.
Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de réjouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’Assemblée nationale avait supprimé la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic ». Cette réaction des député·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures désastreuses avaient sauté en commission (on pense en particulier à la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures étaient malheureusement restées, et on s’attendait à ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’Hémicycle. Badaboum, ça n’a pas raté.
Le gouvernement, représenté par le ministre de l’Intérieur Retailleau et soutenu par quelques députés de la droite et de l’extrême-droite, a de nouveau défendu l’idée d’une « backdoor » pour la police et le renseignement dans les messageries chiffrées, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquées (un « utilisateur fantôme » qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les député·es ne se sont pas laissé avoir, pour le plus grand dépit des défenseurs de la mesure qui ont même dénoncé un « concours des geeks ». La compromission du chiffrement a été rejetée.
Mais il reste le reste. L’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards : adoptée. L’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects » : adoptée. La création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées : adoptée. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée » pourront donc être surveillées par tous les moyens et ne pourront plus contester la légalité de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisés », etc.). La main sur le cœur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants », les parlementaires ont validé des mesures qui pourront être utilisées contre des militants politiques, des activistes écologiques, des opposants à l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui préparent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont réduit les droits politiques de tout le monde.
Comme le texte voté par l’Assemblée nationale n’est pas identique à celui que le Sénat avait adopté, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres à la fin du mois. On suit ça de près et on vous tient au courant !
La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prêt à tout pour casser le droit au chiffrement
Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic », l’Assemblée nationale a voté la loi « Transports ». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numérique. Cette loi sur « la sécurité dans les transports » a donc été le véhicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui avait été mise en place à l’occasion de la loi «Jeux Olympiques ». Autorisée au départ jusqu’à mars 2025, cette expérimentation aux résultats pourtant très décevants est donc prolongée de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mépris du processus d’évaluation pourtant défini un an avant par la même Assemblée. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplémentaire du mépris de l’exécutif pour les institutions et tout ce qui le gêne. Un article sombre et énervé à lire sur notre site.
Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement
Quand on pense à l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bétonnières, les pylônes électriques et les rivières à sec. C’est pourtant un aspect non négligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de données géants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en février dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’électricité nucléaire française, moins chère et moins carbonée, et invité les opérateurs étrangers à venir en profiter, son « Plug, baby, plug » répondant au « Drill, baby, drill » lancé par Donal Trump en direction des compagnies pétrolières.
Après les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification économique », en discussion à l’Assemblée après son adoption par le Sénat, est justement là pour lever un certain nombre de contraintes réglementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne précisément la construction des centres de données géants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mépris des règles environnementales.
Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour résister à l’IA et son monde, nous appelons donc à la mobilisation contre cette loi et son article 15, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centres de données géants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course économique des poulets sans tête, exigeons un débat démocratique sur les besoins et les moyens de notre développement collectif.
Article du 21 mars : Loi « simplification » : un déni de démocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !
Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie en mai 2024 était illégal. On le disait déjà, et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa décision du 1er avril. Malheureusement, la décision est aussi très inquiétante. Car si le blocage est jugé disproportionné, le principe de couper un réseau est, en tant que tel, validé. Dans sa décision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dû faire pour justifier le blocage de l’application et donne par là un mode d’emploi très simple à tous les gouvernements, présents ou à venir, qui voudraient s’en prendre à la liberté d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la décision du CE ?
Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numériques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.
Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire
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TikTok
VSA et loi Transports
IA et data centers
Divers
On aurait préféré que ce soit un poisson d’avril : dans une décision rendue ce 1er avril 2025, le Conseil d’État a validé le principe de la censure arbitraire et opaque d’un réseau social. Derrière l’apparente annulation de la décision du Premier ministre de l’époque, Gabriel Attal, de bloquer Tiktok, la plus haute juridiction française offre en réalité le mode d’emploi de la « bonne censure ». Cette décision est inquiétante, tant cette affaire aura montré l’inefficacité du Conseil d’État à être un rempart efficace contre le fascisme montant.
Le 15 mai 2024, alors que la Nouvelle-Calédonie était le théâtre d’une très forte contestation sociale dans un contexte de passage en force d’une réforme du collège électoral calédonien, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait, en même temps que l’activation de l’état d’urgence, la censure de Tiktok sur tout le territoire de Nouvelle-Calédonie.
Comme La Ligue des droits de l’homme, ainsi que des habitant·es calédonien·nes, La Quadrature du Net avait attaqué en référé cette décision. Ce premier recours avait été rejeté dans les jours qui suivirent pour défaut d’urgence, mais nous n’avions pas voulu lâcher l’affaire et avions continué notre combat contre cette mesure de blocage en l’attaquant à nouveau, cette fois par la procédure classique -dite « au fond »- qui a conduit à la décision d’hier.
Formellement, le Conseil d’État a annulé le blocage de Tiktok. Mais derrière cette apparente victoire se cache une décision qui ouvre la voie à de futures censures de plateformes en ligne en dehors de tout contrôle démocratique.
Cette affaire aura été l’occasion de tous les arbitraires. Pour justifier factuellement son blocage, le gouvernement a toujours louvoyé (voir notre récapitulatif de l’affaire), laissant croire que ce serait d’abord pour lutter contre le terrorisme, puis contre des ingérences étrangères, pour enfin expliquer que de simples contenus violents l’autorisaient à procéder à un tel blocage (nous revenons sur ce point plus bas). Par la suite, il justifiait légalement ce blocage en sortant de son chapeau la « théorie des circonstances exceptionnelles ». Cette théorie est une invention du juge administratif datant de plus d’un siècle. Elle a été élaborée à l’occasion d’une guerre – c’est-à-dire dans un contexte de suspension du pouvoir civil – et n’avait jamais été utilisée jusqu’à présent pour justifier de porter atteinte à la liberté d’expression.
Dans sa décision, le Conseil d’État admet que cette « théorie des circonstances exceptionnelles » puisse être invoquée, pour justifier légalement le blocage d’une plateforme en ligne dans le cas d’une « période de troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ». Arrêtons-nous déjà sur cette première brèche à l’État de droit : cela signifie que lorsque cette condition de « trouble » est remplie, un gouvernement peut donc porter des atteintes à la liberté d’expression, alors qu’aucune loi existante ne l’y autorise et donc qu’aucune condition prévue par le législateur n’est à respecter. Cette « théorie des circonstances exceptionnelles » n’a jamais été reprise par le législateur : elle ne comporte aucune limite précise et n’est présente nulle part ailleurs que dans les quelques décisions du Conseil d’État. Ce dernier autorise donc un empiétement pur et simple du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif.
Et quels sont ces « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle » qui permettent de nier le principe de séparation des pouvoirs ? On peut légitimement se demander si les manifestations des gilets jaunes en 2018 et 2019, émaillées de violences souvent entretenues par une politique de maintien de l’ordre désastreuse, auraient pu être qualifiées de suffisamment graves. De même, les révoltes suite à la mort de Nahel Merzouk auraient-elles pu justifier le blocage des réseaux sociaux alors que la droite réactionnaire française voyait dans ces derniers le coupable idéal et que Emmanuel Macron s’était, à cette occasion, prononcé en faveur de leur censure ?
Ne soyons pas naïf·ves : tout est « exceptionnellement grave » pour l’exécutif et la police. Grâce à cette notion floue, la voie à tous les abus est ouverte. N’importe quoi servira de prétexte, demain, pour continuer dans la direction de la censure, de la réponse répressive facile au lieu d’une remise en cause profonde du système qui a conduit aux violences.
Et l’arbitraire d’État ne s’arrête pas là : le Conseil d’État a, d’une certaine manière, autorisé le gouvernement à ne pas respecter la loi lorsque celle-ci ne lui convient pas. En effet, au moment de la censure, la loi sur l’état d’urgence avait été déclenchée. Celle-ci autorisait bel et bien le blocage d’une plateforme, mais uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Or, dans le cas du blocage de Tiktok, il ne s’agissait justement pas de lutte contre le terrorisme. Alors qu’une telle possibilité de censure visant une plateforme en ligne, prévue par la loi sur l’état d’urgence, est déjà très contestable en soi1Nous avions initialement demandé à ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soit transmise au Conseil constitutionnel. Celle-ci a été rejetée par le Conseil d’État parce qu’il estimait que la loi sur l’état d’urgence n’était pas applicable au litige puisqu’il ne s’agissait pas de lutte contre le terrorisme., le Conseil d’État neutralise encore plus le législateur en permettant d’avoir recours à une théorie jurisprudentielle qui permet de contourner ces limites.
L’auditoire optimiste pourrait se dire que le juge administratif resterait présent pour empêcher les abus de ce recours à la censure en cas de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle . Et après tout, en ce qui concerne Tiktok, on pourrait être tenté de se rassurer par le fait que la décision de censurer le réseau social a finalement été annulée par le Conseil d’État. Pourtant, dans cette affaire, après avoir refusé d’agir au moment où sa décision aurait été utile, c’est-à-dire lorsqu’il était saisi en référé l’année dernière, le Conseil d’État a repris à son compte toutes les affirmations grossières du gouvernement pour justifier le besoin de bloquer la plateforme.
La question de l’existence de certains contenus qui seraient illégaux au point de couper tout le réseau social a été longuement débattue en mai 2024 à l’occasion de notre référé. Après avoir été mis en difficulté lors de l’audience de référé, le gouvernement s’était enfin décidé à produire des exemples de contenus prétendument illicites… qui étaient en fait totalement légaux. Nous publions ces contenus2Politico avait déjà publié certains de ces contenus l’année dernière. pour que chacun·e puisse constater que leur illégalité ne saute pas aux yeux : dénoncer des violences policières, la constitution de milices privées avec le soutien des forces de l’ordre, les agressions racistes sur des policiers kanaks, ou encore prendre des photos ou vidéos de lieux en flamme comme l’a fait la presse locale est donc, pour le gouvernement, susceptible de justifier une restriction à la liberté d’expression…
Depuis ces quelques exemples produits l’année dernière, le gouvernement n’a pas complété ses dires. On devine un certain embarras à travers ce silence sur ces fameux contenus censés être « violents » : cette décision de bloquer Tiktok ne semble en réalité pas avoir été prise en raison d’un besoin impératif pour restaurer l’ordre sur l’archipel, mais pour couvrir une décision politique du Haut-Commissaire (l’équivalent du préfet en Nouvelle-Calédonie). Fin mai 2024, La Lettre écrivait ainsi que « Très vite, cependant, le premier ministre a été averti de la fragilité juridique de cette décision, prise par le haut-commissaire Louis Le Franc, à la demande du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l’organe exécutif de la collectivité présidé par Louis Mapou. » Le média spécialisé précisait également que « l’exécutif a écarté l’hypothèse de désavouer publiquement le haut-commissaire et les élus locaux » et que le gouvernement n’avait « aucun grief contre TikTok ». Ce qu’a admis en creux le représentant de Tiktok quelques jours après devant le Sénat : il a indiqué, sous serment, que la plateforme n’a non seulement pas reçu de demande de retrait de contenus de la part de l’exécutif, mais n’a également pas détecté lui-même de contenus illicites une fois le blocage décidé par le gouvernement.
Tout cela n’a pourtant pas empêché le Conseil d’État de valider l’obsession gouvernementale. Pour les juges, il s’agit bien de « contenus incitant au recours à la violence »3Les juristes remarqueront probablement que le Conseil d’État ne parle plus de contenus « manifestement illicites », mais adopte une formulation beaucoup plus englobante.. Pour appuyer l’illégalité des contenus diffusés à l’époque sur Tiktok, le Conseil d’État explique que les « algorithmes » de ce réseau social favoriseraient leur diffusion très rapide. Il est vrai que des études, notamment d’Amnesty International, ont montré la grande toxicité des choix algorithmiques de Tiktok. Et nous ne nous cachons pas sur le fait que nous combattons en général ce modèle économique et technique de réseau social. Mais, pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement s’est contenté d’affirmations non-sourcées, sans rien démontrer. Dans son mémoire, le Premier ministre affirmait ainsi simplement que le choix de bloquer Tiktok était justifié par « les caractéristiques des algorithmes utilisés par “Tiktok”, qui amplifient l’effet de valorisation mimétique » sans fournir d’étude ni même de constatations par ses services. Autrement dit, le Conseil d’État se contente d’affirmations du gouvernement pour en faire une généralité, créant ainsi une forme de présomption de nécessité de bloquer Tiktok. Et, à supposer même qu’il y ait eu quelques contenus manifestement illicites sur Tiktok, cela ne devrait pourtant pas permettre de prendre une mesure aussi grave que limiter ou bloquer toute un réseau social. Ce qu’autorise pourtant le Conseil d’État.
En fin de compte, dans cette affaire, le seul point qui a permis au Conseil d’État d’affirmer que le blocage était illégal réside dans le fait que le gouvernement n’a pas cherché à d’abord limiter certaines fonctionnalités de la plateforme avant d’en ordonner le blocage complet. En d’autres mots, la décision de bloquer est jugée disproportionnée uniquement sur le fait que le gouvernement aurait d’abord dû prévenir Tiktok et lui demander de limiter les contenus, avant de pouvoir ordonner le blocage du réseau social. Le principe même de bloquer n’est pas remis en question.
Cet argument s’inscrit dans la continuité d’une idée exprimée par Emmanuel Macron, après les révoltes faisant suite à la mort de Nahel Merzouk, de limiter certaines fonctionnalités des réseaux sociaux, voire les bloquer lors de prochaines émeutes. Le Conseil d’État légitime le chantage auquel s’était déjà adonné le gouvernement en 2023 : fin juin 2023, les représentants de TikTok, Snapchat, Twitter et Meta étaient convoqués par le ministre de l’intérieur, dans le but de mettre une « pression maximale » sur les plateformes pour qu’elles coopèrent et qui a conduit à des demandes de retraits de contenus hors de tout cadre légal (voir notre analyse de l’époque). Désormais, le gouvernement a une nouvelle arme, la menace de censure, fraîchement inventée par le Conseil d’État, pour forcer les plateformes à collaborer, quitte à retirer des contenus légaux.
Il ne s’agit donc absolument pas d’une victoire. Le Conseil d’État valide quasiment toute la démarche du Premier ministre. Désormais, même pour sauver la face d’un préfet qui préfère censurer avant de réfléchir, un gouvernement peut bloquer une plateforme en ligne, à la condition de trouver sur cette plateforme quelques contenus vaguement violents et de justifier de « troubles à l’ordre public d’une gravité exceptionnelle ».
Pas besoin de justifier d’une habilitation par le législateur. Pas besoin de justifier de manière rigoureuse des contenus incriminés. Pas besoin de faire la moindre publicité autour de cette décision. Les associations se débrouilleront pour comprendre l’ampleur et les raisons du blocage, et le gouvernement pourra même changer de version si les premières justifications qu’il aura trouvées s’avèrent bancales.
Lors de l’audience publique, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme, elle aussi requérante dans cette affaire, avait prévenu que les futurs régimes illibéraux s’empareront du mode d’emploi ainsi apporté par le Conseil d’État. De notre côté, nous avions rappelé que les régimes qui se sont jusqu’alors aventurés dans la voie de la censure arbitraire d’Internet et qui se sont fait condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme sont tous des régimes autoritaires, Russie et Turquie en tête. Et peut-être, demain, la France.
Car cette décision doit être replacée dans son contexte : celui d’un autoritarisme qui fait la courte-échelle depuis des années à un fascisme désormais aux portes du pouvoirs ; celui de garde-fous qui s’avèrent inefficaces lorsque l’accompagnement de l’État dans ses délires sécuritaires prend la place de la protection des droits ; celui de proximités entre décideurs publics et lobbys sécuritaires qui interrogent ; celui d’un pouvoir politique qui préfère la réponse facile ou la désinformation plutôt que de revoir de fond en comble le système de violence qu’il renforce ; celui de la remise en question quotidienne d’un du principe fondateur de nos démocraties modernes qu’est l’État de droit, par un ministre de l’intérieur récidiviste, ou par une alliance inquiétante entre une extrême droite prise la main dans le pot de confiture, un Premier ministre qui sait qu’il sera peut-être le prochain, et une gauche qui a manqué une occasion de se taire.
Quand on voit avec quelle rapidité l’État de droit est en train de s’écrouler aux États-Unis, on ne peut que s’inquiéter. Car même si Tiktok est une plateforme intrinsèquement problématique, utilisée comme caisse de résonance pour la désinformation et autres contenus extrêmement toxiques, la fin ne peut pas tout justifier. L’État de droit se décompose et le fascisme est aux portes du pouvoir. Il est urgent de porter une voix hautement critique sur ces institutions incapables de protéger la démocratie alors qu’elles devraient être à l’avant-garde de la lutte contre l’extrême droite et l’autoritarisme. Alors si vous le pouvez, vous pouvez nous aider en nous faisant un don.
References
Du 8 au 11 avril, les député·es examineront en séance publique le projet de loi de « simplification de la vie économique ». Cette loi fourre-tout, conçue sur mesure pour répondre aux demandes des industriels, contient un article 15 qui permettrait à l’État d’imposer la construction d’immenses data centers aux collectivités locales et à la population. Face à la fuite en avant sous l’égide de l’industrie de la tech, nous appelons les député·es à rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification » et à soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des plus gros data centers en France, le temps qu’un débat public puisse se tenir sur la manière de les encadrer.
Alors que la construction des data centers est en plein boom pour accompagner la prolifération de l’IA dans tout les pans de la société, les multinationales de la tech s’allient à l’État pour imposer ces infrastructures à la population et éviter toute contestation citoyenne face à l’accaparement des ressources qu’elles supposent.
À son article 15, le projet de loi « simplification » – en fait une loi de dérégulation – autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers un statut issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). C’est une promesse d’Emmanuel Macron aux investisseurs internationaux. D’après le gouvernement, ce statut a vocation à être réservé aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot ! Avec ce statut de « projet d’intérêt national majeur », les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler main dans la main avec eux pour imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter à ces projets de data centers. Les procédures de consultation du public seront encore allégées. Et l’État pourra par la même occasion décider que ces infrastructures peuvent déroger aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées.
Pour ne pas laisser les multinationales de la tech s’allier au gouvernement français pour alimenter cette fuite en avant délétère et écocide, La Quadrature du Net et le collectif Le Nuage était sous nos pieds, en lien avec les membres de la coalition Hiatus, appellent à l’adoption d’un moratoire sur la construction des grands entrepôts à serveurs1. Nous appelons toutes les personnes et organisations inquiètes de cette dérégulation au bénéfice de la tech à dénoncer ce passage en force et à contacter les député·es pour obtenir la suppression de cet article 15 et l’adoption d’un moratoire sur la construction des gros data centers ! Vous trouverez sur cette page toutes les ressources pour contacter les député·es et les convaincre de voter en ce sens.
Voici quelques données à avoir en tête pour convaincre les député·es de rejeter l’article 15 et d’adopter un moratoire sur les gros data centers !
→ Des instances de maîtrise démocratique de l’impact écologique et foncier de l’industrie de la tech doivent d’urgence être établies pour lutter contre ces prédations croisées sur l’eau et l’électricité, et assurer une trajectoire de sobriété.
→ Il est nécessaire de mettre ce déploiement en pause, de construire une stratégie concertée sur des infrastructures du numériques qui répondent aux besoins de la société et non aux intérêts économiques de la tech et des fonds d’investissements qui la soutiennent.
→ Face à l’opacité systémique, il nous faut produire une connaissance précise qui prenne en compte les enjeux sociaux, écologiques et géopolitiques des infrastructures du numériques aussi bien que les alternatives aux technologies dominantes.
→ Les data centers sont des infrastructures dangereuses, et il est nécessaire de protéger les habitant.e.s et les écosystèmes des pollutions et des nuisances qu’ils engendrent.
→ Il faut reprendre la main sur les infrastructures du numériques et le monde qu’elles génèrent. Il ne s’agit jamais d’enjeux simplement techniques : derrière les data centers, de nombreux enjeux politiques doivent être soulevés et débattus.
L’Assemblée nationale a débuté l’examen du projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. À son article 15, ce projet de loi « simplification » (ou PLS) prévoit d’accélérer la construction d’immenses data centers sur le territoire français, en permettant à l’État de les imposer aux territoires concernés et en multipliant les dérogations au droit de l’urbanisme, de l’environnement ou au principe de participation du public. Contre cette fuite en avant, La Quadrature du Net et le collectif « Le Nuage était sous nos pieds », en lien avec les autres membres de la coalition Hiatus, demandent la suppression de l’article 15 et un moratoire de deux ans sur la construction de gros data centers, le temps de poser les conditions d’une maîtrise démocratique de ces infrastructures du numérique.
Début février, lors du sommet de Paris sur l’IA, Emmanuel Macron endossait de nouveau son costume de grand chef de la Startup Nation. À la clé, des annonces de financements tous azimuts : alors que le Parlement venait d’adopter le budget le plus austéritaire du XXIe siècle, les milliards pleuvaient, en particulier pour financer un boom des « centres de données » en France. Les data centers sont des usines de production industrielle, d’immenses entrepôts où sont entassés des milliers de serveurs appartenant en grande majorité aux multinationales de la tech, notamment étasuniennes. À l’ère de l’IA, on assiste à un véritable boom dans la construction de ces infrastructures de calcul et de stockage de données, amplifiant du même coup les méfaits de l’informatique, non seulement du point de vue écologique, mais aussi en terme de surveillance, d’exploitation du travail, de casse des services publics, comme le dénonce la coalition Hiatus dans son manifeste fondateur.
Parce que la France dispose d’une énergie nucléaire qui permet de faire baisser les « bilans carbone » des multinationales de la tech, et parce qu’elle est idéalement placée sur la carte internationale des câbles sous-marins, Macron le VRP la présente comme une terre promise aux investisseurs. Pour les attirer, le président français leur a d’ailleurs fait une promesse : simplifier et déréguler pour éviter les contestations et assurer une construction la plus rapide possible de ces infrastructures très consommatrices en ressources. La loi relative à la simplification de la vie économique, déjà votée au Sénat et actuellement examinée par l’Assemblée nationale, vise à traduire cette promesse en actes.
À son article 15, le projet de loi « simplification » – en fait une loi de dérégulation – autorise le gouvernement à octroyer aux projets de construction de très gros data centers un label issu de la loi de 2023 sur l’industrie verte : le label « projet d’intérêt national majeur » (PINM). D’après le gouvernement, ce label a vocation à être réservé aux data centers d’une surface d’au moins 40 hectares, soit plus de 50 terrains de foot !
Avec ce statut de « projet d’intérêt national majeur », les industriels de la tech verraient le gouvernement travailler avec eux à imposer les data centers aux communes : l’État prendrait alors la main sur les compétences des collectivités locales relatives à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire, en menant lui-même la réécriture des plans locaux d’urbanisme afin de les adapter à ces projets de data centers1. Les procédures de consultation du public seront encore allégées. Et l’État pourra par la même occasion décider que ces infrastructures peuvent déroger aux réglementations environnementales, notamment celles relatives aux espèces protégées ou à la non-artificialisation des sols2. Enfin, à son article 15 bis, le projet de loi simplification grave dans le marbre de la loi la réduction de 50% dont bénéficient les centres de données au-delà de 1 gigawatt consommés dans l’année – un dispositif aujourd’hui prévu par un arrêté conjoint du ministre chargé de l’énergie et du ministre chargé de l’industrie.
Ainsi, en encourageant l’explosion de data centers toujours plus gigantesques et voraces en ressources, la loi « simplification » accélère l’impact écocidaire de l’industrie informatique, le tout pour permettre à la France et à l’Europe de rester dans une illusoire « course à l’IA ».
Cette tentative d’« accélérer » est d’autant plus malvenue que la multiplication des data centers sur le territoire français fait d’ores et déjà l’objet de contestations citoyennes à travers le pays en raison des conflits d’usage qu’ils génèrent.
Comme le documente le collectif Le Nuage était sous nos pieds, auquel participe La Quadrature, leur implantation dans la zone du port de Marseille a par exemple conduit à l’accaparement du foncier en front de mer. Elle a conduit à remettre à plus tard l’électrification des quais où accostent les bateaux de croisières, comme en attestent les documents de RTE. Ces derniers continuent ainsi de recracher leurs fumées toxiques dans les quartiers Nord, occasionnant diverses maladies chez les habitant·es. Enfin, pour refroidir les serveurs qui tournent à plein régime, les data centers nécessitent également d’immenses quantité d’eau, accaparant une ressource essentielle aux écosystèmes et au maintien de l’agriculture. À cela s’ajoute le rejet régulier de gaz fluorés à fort effet de serre, et une pollution sonore quasiment constante.
Compte tenu de ces problèmes, le flou juridique et démocratique actuel autour des data centers est particulièrement choquant. Élu·es locaux et collectifs citoyens s’accordent sur la nécessité de repenser le cadre réglementaire autour des data centers. Quant à la Commission nationale du débat public (CNDP), elle demande à être saisie lors de la construction de ces infrastructures mais se heurte à la volonté de l’État d’exclure l’instance d’un nombre croissant de projets industriels, à travers un récent projet de décret.
À l’heure actuelle, la situation est donc éminemment problématique. Mais avec la loi « simplification », le gouvernement propose de déréguler encore davantage, en aggravant le déni de démocratie. Il s’agit de dérouler le tapis rouge aux industriels et autre spéculateurs de la tech, pour leur permettre de faire de la France une sorte de « colonie numérique » estampillée « bas carbone ».
Nous refusons que nos villes, nos villages, nos quartiers soient ainsi accaparés par les géants de la tech. Nous refusons de voir nos territoires et nos ressources naturelles vendues aux plus offrants, en sapant les quelques mécanismes de régulation et de maîtrise collective qui existent aujourd’hui. Nous ne voulons pas « accélérer » la fuite en avant écocidaire de la tech comme y invite Emmanuel Macron, nous voulons y mettre un terme !
C’est pourquoi nous appelons les député·es à rejeter l’article 15 du projet de loi « simplification » et à soutenir un moratoire de deux ans sur la construction des gros data centers en France, le temps qu’un débat public puisse se tenir sur la manière de les encadrer. Le moratoire de deux ans porterait sur les data centers de plus de 2 000 m2 ou de 2 mégawatts de puissance installée. Selon la typologie mise en place par Cécile Diguet et Fanny Lopez, dans leur rapport de recherche pour l’ADEME, un moratoire sur les installations de plus de 2 000m2 préserve la possibilité de data centers de taille moyenne, et n’entrave pas d’éventuels projets que l’État ou les collectivités voudraient conduire pour des usages publics.
Le débat public auquel nous appelons pourrait prendre la forme d’une convention citoyenne. Il devra porter à la fois sur la maîtrise démocratique des infrastructures numériques que sont les data centers et sur les systèmes d’intelligence artificielle aujourd’hui déployés dans tous les pans de la société. Il devra poser la question des usages des services numériques en tâchant de défaire les dépendances aux modèles toxiques des grandes multinationales du secteur. Contre la dérégulation industrielle consentie à la tech, contre la concentration des pouvoirs et l’amplification de l’injustice sociale que renforce l’intelligence artificielle, il est urgent de remettre le numérique à sa place et de penser un modèle de développement de ses infrastructures compatible avec les limites écologiques et les droits humains et sociaux.
Les membres de la commission spéciale chargée de l’examen du texte ont déjà déposé des amendements jeudi 20 mars. Plusieurs d’entre eux visent à supprimer l’article 15. Un amendement visant à demander un moratoire a également été déposé par les député·es écologistes Hendrik Davi et Lisa Belluco. Ces amendements seront examinés par la commission spéciale du lundi 24 au jeudi 27 mars. L’examen en séance publique se tiendra ensuite du 8 au 11 avril 2024.
Nous diffuserons bientôt une page de campagne visant à faciliter la participation de toutes et de tous ! En attendant, faites tourner l’info et préparez-vous pour la bataille contre cette énième loi de merde ! <3
Les discussions viennent de recommencer à l’Assemblée nationale concernant la loi « Narcotrafic ». Les mesures les plus dangereuses pourraient être réintroduites par voie d’amendement : obligation pour les services de communication chiffrée de donner accès au contenu des échanges (article 8 ter), logiciels-espions pour accéder à distance aux fonctionnalités d’un appareil numérique (articles 15 ter et 15 quater) et « dossier coffre » (article 16). Elles sont toutes soutenues par le gouvernement et en particulier Bruno Retailleau. Concernant le chiffrement, celui-ci n’hésite pas à aligner les mensonges pour justifier la disposition. Petite (re)mise au point.
Tel qu’introduit au Sénat, l’article 8 ter visait à créer une obligation pour les fournisseurs de services de messagerie chiffrée de donner à la police et au renseignement un accès au contenu des communications. Il s’agit d’une attaque frontale contre la technologie de chiffrement de bout-en-bout, aujourd’hui intégrée dans de nombreux services de communications tels que Signal, Whatsapp, Matrix ou encore la messagerie étatique Tchap, et qui permet d’empêcher quiconque autre que le destinataire d’accéder aux échanges. Avec d’autres organisations telles que la Global Encryption Coalition, nous avons fortement dénoncé l’absurdité et le danger d’une telle mesure qui mettrait fin à la confidentialité des correspondances en ligne. Cette disposition a été supprimée en commission dans une quasi-unanimité assez rare. Seuls le centre et la droite se sont abstenus.
Trois députés demandent pourtant son rétablissement : Paul Midy (EPR), Mathieu Lefevre (EPR) et Olivier Marleix (LR). Ces amendements sont soutenus par le gouvernement. Cela n’est guère étonnant puisqu’on a vu le ministre de l’intérieur défendre tant bien que mal cette mesure lors de son audition à l’Assemblée. Il a insisté de nouveau ce week-end dans une interview au journal Le Parisien, tout comme Céline Berthon, la directrice de la DGSI, dans l’hebdomadaire d’extrême droite Le JDD. Que ce soit en audition ou dans les journaux, ceux-ci expliquent que l’article 8 ter n’affaiblirait pas le chiffrement ni ne créerait de « porte dérobée » ou de « backdoor » (les termes sont d’ailleurs savamment évités dans ces interviews) car il s’agirait uniquement d’introduire un participant fantôme dans la conversation.
Par cela, ils tentent surtout de semer la confusion chez les député·es censé·es voter la loi. En effet, contourner le chiffrement de bout-en-bout en autorisant une personne tierce à connaître le contenu des messages constitue, par définition, une « porte dérobée ». Dans un article datant d’il y a quelques années déjà, l’Internet Society expliquait très bien le fonctionnement et l’impasse de ce type de mécanisme vis-à-vis des promesses de confidentialité des messageries chiffrées.
Il faut comprendre que le chiffrement repose sur un échange de clés qui garantit que seuls les destinataires de messages possédant les clés pourront déchiffrer les échanges. À l’inverse, le mécanisme du « fantôme » distribue en secret des clés à d’autres personnes non-autorisées, pour qu’elles aient accès au contenu des conversations. Ce dispositif oblige donc à modifier le code derrière les messageries ou les services d’hébergement chiffrés et la conséquence est la même que de modifier directement l’algorithme de chiffrement. N’en déplaise au gouvernement qui cherche à embrouiller les esprits en jouant avec les mots, ceci est bien une méthode, parmi d’autres, de création d’une porte dérobée. La « proposition du fantôme », revient purement et simplement à remettre en cause le principe même du chiffrement de bout-en-bout qui repose sur la garantie que seuls les destinataires d’un message sont en mesure de lire son contenu.
L’Internet Society est d’ailleurs très claire : « Bien que la proposition du fantôme ne modifierait pas les algorithmes utilisés par les applications de messagerie à chiffrement de bout en bout pour chiffrer et déchiffrer les messages, elle introduirait une vulnérabilité de sécurité systémique dans ces services, qui aurait des conséquences négatives pour tous les utilisateurs, y compris les utilisateurs commerciaux et gouvernementaux. Cette proposition nuit à la gestion des clés et à la fiabilité du système ; par conséquent, les communications supposées être confidentielles entre l’émetteur et le destinataire peuvent ne plus l’être, et sont moins sécurisées. »
Casser un protocole de chiffrement et le contourner posent, dans les deux cas, exactement les mêmes problèmes :
Non seulement le gouvernement tente de minimiser ces conséquences très graves, mais il ne s’arrête pas là. Il prétend désormais qu’une solution respectueuse de la vie privée pourrait exister pour mettre en œuvre cette obligation auprès des fournisseurs de messageries. Ainsi, dans les amendements soutenus par le gouvernement, il serait ajouté à l’article 8 ter un paragraphe précisant que « ces dispositifs techniques préservent le secret des correspondances et assurent la protection des données à caractère personnel au titre du respect de la vie privée », qu’ils doivent « exclure toute possibilité d’accès par une personne autre que les agents autorisés à mettre en œuvre les techniques de recueil de renseignement » et enfin qu’ils ne « peuvent porter atteinte à la prestation de cryptologie visant à assurer une fonction de confidentialité. »
De nouveau, affirmer avec assurance qu’un tel compromis serait possible est faux. Au regard du principe du chiffrement de bout-en-bout, il ne peut exister de possibilité d’accès au contenu des messages. Cette promesse constitue une escroquerie démocratique en ce qu’elle tend à faire adopter une mesure en pariant sur l’avenir, alors qu’une telle mise en œuvre est impossible techniquement. Cette manœuvre avait déjà été utilisée par le Royaume-Uni pour faire adopter le « UK Safety Bill », ou par la Commission européenne lors des discussions sur le règlement « Chat Control ». Dans les deux cas, il s’agissait de convaincre de voter une mesure attentatoire à la vie privée en affirmant qu’on trouverait bien demain comment faire. Faire croire cela est non seulement un mensonge, mais c’est aussi dangereux d’un point de vue démocratique : le gouvernement est en train d’essayer de tromper la représentation nationale en lui expliquant mal une technologie, en plus de l’avoir introduite sans prévenir au milieu des débats au Sénat.
Cette bataille n’a rien de nouveau. Il existe depuis toujours une tension politique autour du chiffrement des communications électroniques, et cela est bien logique puisque le chiffrement est politique par nature. Les outils de chiffrement ont été pensé pour se protéger des surveillances illégitimes et sont nécessaires pour garantir le secret des correspondances. Elles ont été déployées sur Internet pour protéger les communications de la surveillance d’acteurs dangereux et notamment des États qui voudraient surveiller leur population. C’est pourquoi ces mêmes États ont toujours opposé une résistance au développement et à la généralisation du chiffrement. À l’occasion du procès dit du « 8-Décembre », qui a remis ce sujet au cœur de l’actualité, nous revenions sur l’histoire des « crypto-wars » dans les années 1990 et des évènements ayant freiné la démocratisation du chiffrement.
En 2025, le gouvernement ne fait donc qu’essayer de nouvelles manœuvres pour mener à bien un projet politique ancien, visant à limiter le plus possible la confidentialité de nos vies numériques. Et il ne s’arrête pas là puisque deux autres mesures très problématiques font leur retour par des amendements, largement soutenus du Modem jusqu’au RN. Il s’agit de l’autorisation du piratage de nos appareils pour activer à distance le micro et la caméra, et du retour du « dossier coffre », qui permet à la police de s’affranchir des règles de procédure pénale en matière de surveillance intrusive et qui a suscité une forte fronde de la part des avocats.
Ces dispositions sont tout aussi dangereuses que l’attaque contre le chiffrement et il faut convaincre les député·es de rejeter les amendements visant à les réintroduire. Les débats reprendront l’après-midi du 18 mars. Si vous le pouvez, c’est maintenant qu’il faut contacter les parlementaires pour expliquer le danger de ces mesures et réfuter les mensonges du gouvernement.
Retrouvez nos arguments et les coordonnées des parlementaires sur notre page de campagne : www.laquadrature.net/narcotraficotage.
Un grand merci à vous pour votre aide dans cette lutte !
Pendant que le gouvernement fait adopter au pas de course les mesures de surveillance de la loi « Narcotrafic », un autre coup de force est en train de se jouer à l’Assemblée nationale. La vidéosurveillance algorithmique (VSA), cette technologie de surveillance de masse que nous dénonçons depuis des années et qui a été récemment déclarée illégale par le tribunal administratif de Grenoble, va être étendue au détour d’un tour de passe-passe législatif.
Nous vous en parlions il y a quelques semaines : le cadre « expérimental » d’utilisation de la VSA prévu par la loi sur les Jeux Olympiques devait prendre fin au 31 mars 2025. Alors que le rapport d’évaluation constatait l’immaturité et l’absence d’utilité opérationnelle de cette technologie, le ministre des transports Philippe Tabarot déposait un amendement opportuniste au dernier moment sur une loi qui n’avait rien à voir, relative aux transports, pour repousser ce délai jusqu’à la fin de l’année 2027. Ce texte comporte par ailleurs de nombreuses autres mesures de surveillance, comme l’expérimentation de micros dans les bus et les cars, la pérennisation des caméras piétons pour les agents de contrôle ainsi que le renforcement des pouvoirs coercitifs de ces agents (palpations, taser…). Malheureusement, le rythme soutenu de l’activité législative ne nous a pas permis de lutter efficacement au Parlement contre cette extension de la répression dans l’espace public et notre quotidien.
L’Assemblée nationale s’apprête à voter solennellement cette loi relative à la sûreté dans les transports demain, mardi 18 mars. Si la commission mixte paritaire a réduit de quelques mois le prolongement de l’expérimentation de VSA – ramenant son achèvement au mois de mars 2027 – cela ne change rien à la situation.
Car ce qui est révélé par cette séquence dépasse les enjeux de surveillance. Sur le fond, nous ne sommes pas surpris·es de cette volonté d’étendre la surveillance algorithmique de l’espace public, tant cela a été affiché par les promoteurs de la Technopolice année après année, rapport après rapport. En revanche, la manière dont l’opération est menée est aussi brutale qu’inquiétante. Elle révèle l’indifférence et le mépris croissant de la classe politique dominante vis-à-vis de l’État de droit. Les mécanismes juridiques de protection des droits humains sont ainsi perçus comme des « lourdeurs administratives », empêchant « l’efficacité » de l’action qu’il faudrait mener pour la « sécurité ».
Au nom de cette logique, nulle peine de s’expliquer ni de prendre en compte les décisions des tribunaux, les promesses que le gouvernement a lui-même faites à la représentation parlementaire ou encore les exigences posées par le Conseil constitutionnel. La fin — légaliser la VSA, structurer le marché et l’imposer dans les usages policiers — justifie les moyens — violer les promesses d’évaluation, mentir en assurant la représentation nationale que ces technologies ont donné entière satisfaction, prétendre que la VSA n’a rien à avoir avec la reconnaissance faciale alors que le ministère est évidemment dans l’attente de pouvoir légalement suivre des personnes et les identifier au travers de ces technologies.
Ce nouveau déni de démocratie n’est pas un cas isolé. Nous voyons ce phénomène s’étendre de plus en plus, et dans toutes nos luttes. Nous voyons ainsi l’État vouloir écarter le droit à se défendre et le principe du contradictoire dans la loi Narcotrafic, tout en supprimant les limites aux pouvoirs du renseignement, le tout pour toujours surveiller davantage. Nous suivons également ses intentions de modifier la réglementation environnementale afin de construire des data centers sans s’embêter avec la protection des territoires et des ressources, perçue comme une entrave. Nous documentons aussi la destruction organisée de la solidarité et de la protection sociale, à travers un système de surveillance et de flicage automatisé des administré·es de la CAF, de la CNAM ou de France Travail, sans que jamais ces institutions n’aient à expliquer ou à rendre des comptes sur le contrôle social qu’elles mettent en place. Nous assistons, enfin, à l’élargissement toujours plus important des pouvoirs des préfets, qui s’en servent pour limiter abusivement les libertés d’association, empêcher des manifestations ou fermer des établissements. S’ils se font parfois rattraper par les tribunaux, ils parient le plus souvent sur l’impossibilité d’agir des personnes réprimées, faisant de nouveau primer le coercitif sur la légalité.
L’extension de la VSA qui sera votée demain doit donc s’analyser dans ce contexte plus général de recul de l’État de droit. Dès lors que l’on se place dans le jeu légaliste et démocratique, ces méthodes brutales du gouvernement sont révélatrices de la dynamique autoritaire en cours. Et le silence médiatique et politique entourant cet épisode, alors que la VSA a pourtant suscité beaucoup d’oppositions et de critiques depuis le début de l’expérimentation, est particulièrement inquiétant. Le Conseil constitutionnel sera probablement saisi par les groupes parlementaires de gauche et il reste la possibilité qu’il censure cette prolongation. Nous ne sommes pas rassuré·es pour autant.
Ce processus de mise à l’écart des règles de droit ne fait que s’accélérer et nos alertes ne seront certainement pas suffisantes pour arrêter le gouvernement. Le sursaut doit venir des parlementaires encore attaché·es au respect des droits et des libertés en démocratie.
Pour nous aider dans nos combats, pensez si vous le pouvez à nous faire un don.