31.10.2025 à 14:54
Romain Leclaire

Le monde de l’innovation repose sur le brevet, une pierre angulaire souvent sous-estimée. C’est le Graal pour tout inventeur, la protection juridique d’une idée, le document qui transforme une étincelle de génie en un actif tangible. Mais avant de pouvoir célébrer une nouvelle invention, il existe une étape redoutée, un véritable parcours du combattant que tous les ingénieurs, chercheurs et entrepreneurs connaissent bien. Il s’agit de la recherche d’antériorité. Savoir si une idée est réellement nouvelle, si quelqu’un d’autre n’a pas déjà eu la même illumination il y a cinq ou dix ans, est un art obscur.
Traditionnellement, ce processus est, pour le dire poliment, notoirement difficile. Il s’agit d’un labyrinthe de bases de données gouvernementales, de codes de classification complexes et d’un jargon juridique qui découragerait même les esprits les plus motivés. C’est un monde où un simple oubli, un mot-clé manquant dans une requête de recherche, peut coûter des millions en frais de justice ou anéantir un projet. Mais cette époque de friction et d’incertitude pourrait bien être en train de changer. L’intelligence artificielle, qui transforme déjà notre façon d’écrire, de coder et de créer, frappe désormais à la porte des offices de brevets. Perplexity, l’un des noms les plus en vue dans le domaine de l’IA conversationnelle, vient de lancer un outil qui promet de dynamiter cette ancienne forteresse et de rendre la recherche de brevets enfin accessible.

Pour saisir la portée de cette annonce, il faut d’abord comprendre la complexité de la recherche de brevets « à l’ancienne ». Cela ne se fait pas comme pour une recette de cuisine sur internet. Les avocats en propriété intellectuelle et les chercheurs spécialisés passent des jours, voire des semaines, à naviguer dans des bases de données massives comme celles de l’OEB (l’office européen). Le succès dépend de la maîtrise d’opérateurs booléens complexes, ces fameux « ET », « OU », « SAUF ». Il faut jongler avec des chaînes de mots-clés précises, anticiper tous les synonymes possibles et imaginables qu’un inventeur aurait pu utiliser.
Par exemple, une invention pour un « dispositif de suivi d’activité » pourrait être classée sous « podomètre électronique », « moniteur de fréquence cardiaque portable » ou « accéléromètre de poignet ». Oubliez l’un de ces termes, et vous manquez une partie importante de l’information. À cela s’ajoutent les classifications internationales (IPC ou CPC), des codes abscons qui catégorisent chaque invention. Si vous ne connaissez pas les bons codes, vous passez à côté de pans entiers de la connaissance technique. C’est un travail fastidieux, extrêmement coûteux lorsque sous-traité et à très haut risque. L’échec à trouver un « art antérieur » pertinent peut invalider un brevet des années après son octroi.
C’est précisément sur ce mur de complexité que Perplexity concentre sa puissance de feu. L’entreprise vient de déployer un nouvel agent de recherche de brevets alimenté par l’IA. La promesse est simple, remplacer la complexité des requêtes par l’intuition du langage naturel. Fini les chaînes de mots-clés cryptiques et les opérateurs booléens. L’outil est conçu pour comprendre ce que vous voulez dire, pas seulement ce que vous tapez.
Perplexity donne des exemples concrets. Au lieu de construire une requête syntaxiquement parfaite, vous pouvez simplement demander: « Existe-t-il des brevets sur l’apprentissage des langues par l’IA ? » ou « Quels sont les brevets clés en informatique quantique depuis 2024 ?« . C’est un changement de paradigme fondamental. L’IA ne se contente pas de chercher les mots « quantique » et « 2024 », elle s’efforce à comprendre l’intention derrière la question et le concept technologique sous-jacent.
La véritable magie de l’outil réside dans sa capacité à voir au-delà des correspondances exactes de mots-clés. C’est ce qu’on appelle la recherche sémantique. Si un utilisateur recherche « trackers de fitness », l’IA de Perplexity ne se limitera pas à ce terme précis. Elle comprendra le concept et étendra intelligemment la recherche pour inclure des termes connexes tels que « bandes d’activité », « montres compteuses de pas » ou « montres de surveillance de la santé ». C’est la fin de l’angoisse du synonyme manquant. L’IA ratisse plus large et plus intelligemment, en se basant sur le sens plutôt que sur la terminologie.
Mais trouver le bon brevet n’est que la moitié du combat. L’autre moitié, souvent tout aussi ardue, est de le comprendre. Le langage des brevets est un dialecte à part entière, conçu pour être blindé juridiquement, souvent au détriment de la clarté la plus élémentaire. Perplexity s’attaque aussi à ce problème. Pour chaque résultat pertinent, l’outil fournit un résumé clair et concis généré par l’IA. Cela permet à un entrepreneur, un ingénieur ou un journaliste de saisir l’essence d’un brevet en quelques secondes, au lieu de devoir déchiffrer des dizaines de pages de descriptions techniques et de revendications juridiques alambiquées.

L’innovation ne s’arrête pas aux portes des bases de données de brevets. La validité d’une invention ne se mesure pas seulement par rapport à d’autres brevets, mais par rapport à l’ensemble de « l’art antérieur ». Cela inclut tout ce qui a été rendu public avant la date de dépôt. Une idée décrite dans un article académique, un projet sur un dépôt de logiciels public comme GitHub, ou même une présentation lors d’une conférence peut suffire à invalider un brevet. Historiquement, rechercher cet art antérieur « non-brevet » était encore plus complexe, car il est dispersé aux quatre coins du web. Perplexity affirme que son outil peut également fouiller ces sources critiques. En intégrant les articles académiques et les référentiels de code, l’IA offre une vue à 360 degrés de l’état de l’art, réduisant considérablement le risque de réinventer la roue.
Pour encourager l’adoption et tester son outil à grande échelle, l’entreprise rend cet agent de recherche gratuit pour tous pendant sa phase bêta. Vous pouvez simplement vous rendre sur le site de Perplexity et taper votre requête en langage naturel pour l’essayer. Elle précise que les abonnés à ses formules payantes, Pro et Max, bénéficieront de quotas d’utilisation supplémentaires et de davantage d’options de configuration, ce qui sera sans doute nécessaire pour les utilisateurs intensifs comme les cabinets d’avocats ou les départements de R&D des grandes entreprises.
En s’attaquant au bastion notoirement complexe de la recherche de brevets, Perplexity propose une nouvelle philosophie: l’intelligence artificielle comme traducteur universel, capable de rendre les connaissances les plus denses et les plus techniques accessibles à tous. Si la promesse est tenue, ce ne sont pas seulement les avocats en brevets qui verront leur travail quotidien transformé, mais potentiellement tout l’écosystème de l’innovation, qui pourrait devenir plus rapide, plus informé et, finalement, plus ouvert.