Le blog de Olivier Ertzscheid
Maître de conférences en sciences de l'information, O. Ertzscheid suit les évolutions du web en temps réel
Publié le 16.05.2024 à 10:04
5 (mauvaises) raisons d’interdire TikTok en Nouvelle-Calédonie
Publié le 03.05.2024 à 12:50
De la bande de Gaza à celle de Charline : l’espace d’un prépuce
Publié le 23.04.2024 à 18:44
Coercition de l’intime. De Viry-Châtillon à Gaza. Sans retour.
Publié le 18.04.2024 à 11:40
La Tiktokeuse et la Tesla. Jonas et la baleine Reloaded.
Publié le 26.03.2024 à 08:52
Publié le 19.03.2024 à 22:32
Trois gigas par semaine. Oh Najat, y’a pas moyen Najat.
Publié le 16.05.2024 à 10:04
5 (mauvaises) raisons d’interdire TikTok en Nouvelle-Calédonie
A l’occasion de l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, on a donc appris que s’appliquerait, pour la première fois, l’interdiction de TikTok.
Pourquoi ? Pour au moins 5 raisons possibles (à mon avis toutes mauvaises mais c’est un autre sujet …)
1ère raison : le risque d’ingérence étrangère sur des événéments qui touchent à la sécurité d’un territoire français. Les plateformes sociales sont des outils géopolitiques. Et particulièrement dans le cas de TikTok et de la Chine. Ces ingérences peuvent prendre la forme de campagnes de dénigrement ou de désinformation. [Mise à jour] Voir l’article de Numérama qui confirme que c’est en tout cas l’un des arguments avancés par le gouvernement.
2ème raison : le risque de propagation virale. Il peut s’agir de ne pas souffler sur les braises. De ne pas permettre de “viraliser” des contenus qui pourraient possiblement amener des continuités dans la contestation alors que le pouvoir cherche à stopper toute possibilité d’extension ou de propagation du conflit.
3ème raison : la visibilité globale du conflit. Indépendamment de la possibilité (toujours non démontrée) que le simple visionnage de vidéos d’émeutes puissent conduire à s’engager dans une forme de participation à ces émeutes (en lien avec le 2ème raison), l’inquiétude du pouvoir réside dans le fait que des images de la crise en cours ne bénéficient d’une visibilité à coût nul et ne soient alors reprises massivement à la fois par des individus et par des médias (français ou étrangers). Il s’agit donc de mettre “sous l’étouffoir” le maximum d’images de cette crise pour garder (un peu) la main sur ce qui peut en être vu, et donc en être dit.
4ème raison : la jeunesse. La sociologie de la plateforme étant ce qu’elle est (très jeune donc), et la capacité d’indignation et d’action de la jeunesse étant aussi ce qu’elle est, le pouvoir s’inquiète de laisser à sa disposition un outil de mobilisation disposant d’un tel impact viral et d’un tel maillage social.
5ème raison : le ballon d’essai. Et la fenêtre d’Overton. Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron s’attaque aux écrans et/ou aux réseaux sociaux comme cause de tous les maux. Son entrisme dans les champs familiaux du privé et de l’intime (qu’il s’agisse de natalité ou de temps d’écran) ne cesse d’ailleurs d’étonner et d’inquiéter. Interdire TikTok en Nouvelle-Calédonie est donc une manière d’acter que ce serait possible (la réalité technique est beaucoup plus complexe et l’interdiction assez simple à contourner mais c’est un autre sujet). En créant un précédent, et indépendamment même de toute forme d’évaluation de son succès ou de son insuccès, le pouvoir acte dans l’opinion le fait que ce qui semblait simplement délirant hier devient possible aujourd’hui.
Sans oublier, comme le rappelle utilement Thibault Prévost qu’il s’agit aussi d’une :
Implémentation expérimentale de mesures liberticides dans cadres dérogatoires sur groupes sociaux et territoires soigneusement marginalisés – hier les “banlieues”, aujourd’hui Kanaky. L’espace racisé, éternel laboratoire de R&D du (bio)pouvoir.
A titre personnel mais aussi en tant que chercheur qui travaille ces questions depuis plus de 20 ans, aucune de ces raisons n’est valable et je peux vous annoncer qu’elles ne seront d’aucune efficacité.
Si je devais jouer l’avocat du diable et choisir de défendre une seule de ces mesures stupides et liberticides, ce serait à la rigueur la première, et je dis bien à la rigueur, car les enjeux d’ingérence étrangère peuvent aussi s’observer, se mesurer et se contrer. Ils peuvent même être utiles, lorsqu’ils sont établis et documentés, dans une stratégie diplomatique entre états.
Les trois suivantes (risque de propagation virale, visibilité du conflit et ciblage de la jeunesse) sont toutes plus stupides les unes que les autres. D’abord parce que la visibilité globale du conflit est avant tout assurée et garantie par les médias d’opinion (dont certains se font les alliés objectifs du pouvoir, et d’autres se contentent d’un journalisme de préfecture). Quant à la complexité du sujet de la propagation virale, elle n’est solvable que pas un black-out total de l’ensemble des moyens de communication ; mais prétendre la résoudre en ciblant une seule plateforme, quelle que soit son audience et sa dynamique virale intrinsèque, revient à essayer de résoudre une inondation en distribuant des bouteilles vides aux habitants qui en sont victimes.
Et la jeunesse ? Sans accès à TikTok, la jeunesse réellement mobilisée et active se trouvera et s’est déjà probablement trouvée d’autres canaux de mobilisation et d’organisation, le premier d’entre eux étant WhatsApp. Et pour “l’autre jeunesse”, celle qui se contente d’être jeune mais n’est ni particulièrement mobilisée ou politisée, elle vivra cette interdiction comme une censure et une privation aussi injustifiée qu’injustifiable, et là peut-être y verra les raisons de se mobiliser ou d’entrer dans le conflit.
Vous l’aurez compris, la seule, l’unique, la vraie raison de cette interdiction de TikTok, c’est de réaffirmer “l’espace racisé comme (…) laboratoire R&D du (bio)pouvoir” et de servir de ballon d’essai à un horizon de politiques répressives déjà “en marche.”
La mise sur le même plan sémantique du “déploiement de l’armée” et de “l’interdiction de TikTok” est à la fois surréaliste et programmatique. Surréaliste car on croirait un cadavre exquis, et programmatique car elle désigne la plateforme comme disposant des attributs d’une puissance militaire qu’il convient d’abattre. C’est donc à la fois se tromper de sujet et se tromper de cible.
Publié le 03.05.2024 à 12:50
De la bande de Gaza à celle de Charline : l’espace d’un prépuce
C’est une expérience étrange de de commencer à regarder la série “La fièvre” et l’après-midi même de se fracasser sur le réel qu’elle décrit. Je parle ici de la meute de racistes décérébrés à laquelle doit faire face la journaliste Nassira El Moaddem après qu’elle a été désignée par un député du RN, dans le cadre d’une émission diffusée sur une chaîne d’extrême-droite, et que la séquence a été reprise et instrumentalisée par l’ensemble des groupuscules idéologiques qui jouissent, dans les médias télévisuels ou en ligne, d’une visibilité tenue sous pavillon Bolloréen.
La violence extrême de ces raids numériques doit être sans relâche rappelée, documentée, dénoncée. Elle ne doit rien au fantasme d’un “anonymat sur les réseaux sociaux” qui la rendrait possible, elle doit tout à l’orchestration d’une désinhibition des pulsions les plus viles derrière laquelle le couple formé par les partis politiques et les médias d’extrême-droite se sont répartis les rôles en inversant ce qui était jusqu’ici leur logique : désormais c’est aux politiques d’extrême-droite que revient le rôle de la normalisation, de la banalisation, de la dédiabolisation, et c’est aux médias d’extrême-droite que revient celui de la polarisation, de l’outrance, de la monstrueuse monstration du vil, du veule et du servile, de l’abêtissement concerté, et de l’élargissement constant de la fenêtre d’Overton. Avec en franc-tireurs des groupuscules crépusculaires trop heureux de se saisir de ces espaces d’expression de leur haine, espaces dans lesquels ils savent pouvoir se vautrer avec la certitude que leurs écarts seront ignorés par les partis dont ils sont la ligne de front, et seront négociés, défendus et illustrés par les médias qui leur donnent vie et légitimité.
Et puis donc il y a ce qui fut, là aussi un temps, le barrage, le rempart, la digue. Qué lo appelorio le service public. Et qui a cessé d’être, sauf en quelques espaces dont nous reparlerons, ce barrage, ce rempart, cette digue. Face à harcèlement subi par Nassira El Moaddem, et au milieu d’appels au meurtre, au viol, à la “remigration”, à lui faire une “charlie”, on trouve aussi celui de la virer d’un service public (qui n’est pas son employeur et avec lequel elle n’a que très ponctuellement travaillé), un appel face auquel la médiatrice de Radio-France va produire ce communiqué lunaire, “Chers auditeurs, nous avons bien reçu vos messages et comprenons votre réaction (sic)“. Communiqué ensuite modifié en loucedé par deux fois. Rarement on aura vu un tel naufrage politique, moral et formel.
Et puis alors même que le harcèlement de Nassira El Moaddem se poursuivait pour atteindre des sommets d’appels à la violence, alors que je venais de visionner le deuxième épisode de la série La Fièvre, c’est cette fois l’humoriste Guillaume Meurice qui publiait un message sur ses médias sociaux indiquant qu’il était convoqué par sa direction à un entretien probablement préalable à son licenciement.
La faute grave c’est la blague de Netanyahou en “nazi sans prépuce”. Pour laquelle déjà toute l’émission s’était mise en retrait pendant une semaine (ou 15 jours je ne sais plus) tant le déferlement de menaces et de haine avait atteint là aussi un climax. Blague pour laquelle il avait été convoqué et auditionné par la police judiciaire. Blague pour laquelle les plaintes pour “provocation à la violence et à la haine antisémite” et “injures publiques à caractère antisémite” avaient été classées sans suite par le parquet de Nanterre. Guillaume Meurice a donc fait ce que tout humoriste en pareille situation aurait fait : il en a remis une petite couche sur sa “1ère blague autorisée par la loi française”.
Et comme le résume magnifiquement Allan Barte :
Le même jour la direction de la radio publique, c’est à dire Sibylle Veil pour Radio France et camarade de promotion d’Emmanuel Macron, et Adèle Van Reeth pour France Inter et qui partage la vie de Raphaël Enthoven qui tient de son côté une ligne idéologique claire sur le sujet du soutien inconditionnel à Israël notamment au travers de son média “Franc-Tireur”, le même jour donc, la direction de la radio publique laisse passer un communiqué immonde qui valide en creux les appels au meurtre et au viol à l’encontre d’une journaliste avec qui la station a collaboré (“chers auditeurs nous comprenons votre réaction“) et interdit d’antenne (en vue d’un probable licenciement) l’un des humoristes phare d’une des rares émissions capable encore capable de se moquer explicitement du pouvoir, émission que la radio publique cherche à faire disparaître de sa grille (d’abord en supprimant la quotidienne pour la placer en hebdomadaire sur un créneau qui était, pensait-elle, condamné à l’oubli, sauf que … c’est l’inverse qui se produisit
Par-delà les procédures internes, par-delà le donc très probable licenciement de Guillaume Meurice, par-delà le procès aux prudhommes qui s’ensuivra tout aussi probablement, par-delà surtout ce qui sera la réaction de la bande de Charline Vanhoenacker et de Charline Vanhoenacker elle-même, Adèle Ven Reeth et Sybille Veil, par cette seule convocation et interdiction d’antenne se rendent à la fois coupables et complices d’un jeu extrêmement dangereux. Voici pourquoi.
L’émission où Guillaume Meurice a mentionné rapidement sa 1ère blague autorisée par la loi française a eu lieu dimanche dernier. Avant sa convocation rendue publique ce jeudi, donc trois jours après, rien. Rien chez Hanouna, rien chez Pascal Praud, rien chez Morandini, rien ou si peu dans l’ensemble des médias au service asservi de la désignation de cibles pour rendre compte d’un agenda idéologique oublieux de toute forme de décence et de respect des droits humains. Et cela aurait pu en rester là. Cela aurait du en rester là.
Mais la mise au pas de cette forme d’humour politique est au centre d’un agenda partagé par la Macronie et par l’extrême-droite. Alors Adèle Van Reeth et Sibylle Veil interdisent d’antenne un humoriste pour une blague autorisée par la loi française, alors elles le convoquent à un entretien probablement préalable à son licenciement. Alors tout va se mettre en marche. Tout comme le harcèlement subi par Nassira El Moaddem, c’est maintenant Guillaume Meurice et à travers lui toute l’émission du “Grand Dimanche soir” qui va se retrouver dans les rêts éructants de Praud, d’Hanouna, de Morandini et de tous les autres. Cette blague sur laquelle chacun y compris les précédents avait déjà eu l’occasion de déverser soit son avis soit son idéologie soit les deux, cette blague va redevenir le centre de l’agenda. Et la fièvre va monter. Très haut. Parce que cette nouvelle mise à l’agenda coïncide avec l’extermination, réelle, de toute forme de possibilité de vie palestienne dans la bande de Gaza, parce que ce qui se passe à Gaza infuse dans un jeunesse – pas uniquement – française qui y voit un nouveau Vietnam, parce qu’il s’agit d’empêcher de nommer le réel pour ce qu’il est et de désigner la barbarie pour ce qu’elle montre.
En s’acharnant ainsi sur Guillaume Meurice, Adèle Van Reeth et Sibylle Veil agissent de manière performative. Elles tirent, et tirent encore pour faire en sorte que certaines caricatures deviennent impossible alors même que tout le cadre interprétatif, que tout le dispositif qui permet d’entendre la caricature pour ce qu’elle est est pourtant posée, démontrée, établie : c’est une émission d’humour, satirique, dans laquelle c’est un humoriste, satirique qui s’exprime, avec une orientation à gauche marquée, montrée, démontrée, assumée, transparente, explicite.
La dernière fois qu’une caricature est devenue impossible parce qu’elle avait été délibérément déplacée hors du cadre et du dispositif initial qui la rend possible et nécessaire en démocratie, nous avons perdu Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat et Bernard Maris (ainsi que Mustapha Ourrad, Franck Brinsolaro, Michel Renaud et Ahmed Merabet).
Onze personnes tuées par un dessin. Pour un dessin.
Je forme le voeu que la blague de Guillaume Meurice ne soit pas la blague qui tue. A ce titre je trouve l’attitude de toute sa troupe et sa bande exemplaire, à commencer par celle de Charline Vanhoenacker qui ne cède jamais ni à la panique ni à la politisation facile vers laquelle pourtant, tout le monde la tire.
“Je prends acte de la décision de Radio France. Cette situation est très inquiétante, mais la troupe reste mobilisée au service de la rigolade. Soutien à mon camarade @GMeurice” écrit-elle.
Ferdinand de Saussure dans son cours de linguistique générale écrivait que “chien désignera le loup tant que le mot loup n’existera pas.” Et il ajoute “Le mot donc
dépend du système ; il n’y a pas de signe isolé.” Il n’y a pas de signe isolé. Le point commun d’une journaliste comme Nassira El Moaddem et d’un humoriste comme Guillaume Meurice est d’exercer deux métiers qui permettent de distinguer les loups et les chiens en nous aidant à les nommer pour ce qu’ils sont.
Voilà pourquoi, pour Guillaume Meurice comme pour Nassira El Moaddem, il nous revient dans chaque espace à notre disposition, public ou privé, de leur apporter notre soutien constant, et d’user de notre voix si insignifiante ou inaudible soit-elle. Ce qu’il et elle vivent et traversent nous engage toutes et tous.
Du massacre de Gaza à une émission de satire politique sur le service public, il devrait y avoir bien autre chose que le seul espace d’un prépuce qui dissimule mal un nombre incommensurable de têtes de glands.
Publié le 23.04.2024 à 18:44
Coercition de l’intime. De Viry-Châtillon à Gaza. Sans retour.
C’est un régime de dissymétrie. Qui assomme.
D’un côté la volonté de constater en le regrettant la régulation impossible de la parole intime par le politique (et heureusement) à l’échelle des “réseaux sociaux” (au mieux) ou “des écrans” (au pire).
De l’autre la volonté d’acter la régulation possible (mais ô combien dangereuse) de la parole politique par l’intime : faire convoquer par la police judiciaire, des syndicalistes, des militants, puis des représentant.e.s élu.e.s de la nation pour apologie du terrorisme là où il n’y a que l’expression d’une ligne politique (discutable au même titre que d’autres).
De fait divers sordides en dérives autoritaires hallucinantes, c’est une même tentative d’une coercition de l’intime, soit pour exonérer le politique de ses responsabilités, soit pour qu’il s’octroie un régime d’arbitraire visant à faire taire toute opposition.
Je parle ici des discours que l’on entend et des mises en scènes que l’on nous impose : le discours de Sabrina Agresti-Roubache expliquant que les enfants (certains en tout cas …) n’auraient pas de vie privée et donc fouillons dans leurs téléphones, la mise en scène pathétique d’Attal dans son internat pour élèves difficiles et ses déclarations sur l’inscription dans Parcoursup des “fauteurs de troubles” ou encore le collège comme punition de 8h à 18h, surveiller et punir, et bien avant cela depuis longtemps déjà les déclarations d’Emmanuel Macron sur la responsabilité des réseaux sociaux dans les émeutes urbaines ou dans la violence des jeunes.
A chaque fait divers dramatique, le rôle donc “des écrans” ou “des réseaux” est convoqué non pour ce qu’il est (c’est à dire un facteur parmi d’autres mais jamais une causalité simple) mais pour ce qu’il permet de taire (l’effondrement des politiques publiques de l’accompagnement des mineurs en général, à commencer par celles et ceux qui traversent les situations les plus difficiles). Si l’on parvient à faire oublier la carence coupable et délibérée de l’Etat, il ne restera alors que la faute “des familles” en général, “des familles dysfonctionnelles” en particulier (comprendre pour un certain électorat, des familles dysfonctionnelles parce qu’issues de l’immigration), et puis donc faute de mieux, la faute “des réseaux” et “des écrans“. Au motif de quoi il faudrait donc réguler cet intime. Au point d’affirmer sans fard que les enfants n’ont pas de vie privée et qu’ils sont avant tout des mineurs et que “s’en occuper” c’est s’arroger le droit, le devoir même, d’aller fouiller dans leurs téléphones portables. Et qu’allez donc, une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne. Discours d’une classe politique qui ne s’embarrasse même plus de la capacité de discernement qui lui permettrait pourtant de voir qu’elle ne parle que d’elle-même, pour elle-même, en elle-même.
Et puis en miroir, la même classe politique gouvernante qui n’affronte plus ses oppositions sur le terrain de l’argumentation mais sur celui de la convocation (policière).
Et l’alignement d’une chambre d’écho médiatique qui se délite un peu plus à chaque fois qu’elle se délecte. Trop heureuse de taper sur “les écrans” et “les réseaux sociaux” parce qu’elle a l’assurance qu’elle bénéficiera d’un retour sur dénigrement comme d’un mirifique retour sur investissement. Trop heureuse aussi d’articuler le débat public et politique sur une ligne d’affrontement où l’on convoque des élu.e.s (ou des humoristes hier encore) pour les faire taire tout en jouissant pleinement de l’audience facile de clivages artificiels et délétères et de leurs commentaires, et des commentaires de leurs commentaires. Ad Nauseam. C’est à dire en mobilisant exactement les mêmes biais, les mêmes errances et les mêmes hypocrisies sordides que celles de ces “réseaux sociaux” qu’ils sont pourtant si prompts à condamner.
Je pense, oui, que derrière le spectacle médiatique qui se donne à lire aujourd’hui, de Viry-Châtillon à Gaza, de la convocation de Guillaume Meurice à celle de Mathilde Panot, de Rima Hassan ou d’Olivier Cuzon, c’est une dérive inquiétante parce que tout sauf inédite, qui se donne à lire dans la tentative du pouvoir politique d’agir et d’interférer sur l’intime de la parole d’une part, et sur l’intime de la conviction d’autre part. Stratégie du Lawfare certes, mais pas uniquement.
Il ne s’agit pas bien sûr d’un équivalence stricte. Affirmer que la vie privée des mineurs est accessoire et que les parents doivent fouiller dans les téléphones portables de leurs enfants, n’est pas à mettre sur le même plan que le fait de convoquer des élu.e.s de la nation pour apologie du terrorisme parce qu’elles critiquent la politique criminelle du gouvernement Israélien et du Nazi sans prépuce (on a le droit).
Mais cela dessine un horizon. Et chaque fois que le politique s’attaque à l’intime, de la parole ou des convictions, chaque fois qu’il projette de légiférer sur la sphère privée (qu’il s’agisse de priver d’écrans les adolescents ou d’allocations les familles), chaque fois qu’il s’invite d’autorité pour prétendre imposer les temporalités (d’écran ou d’autre chose) à appliquer dans chaque foyer, chaque fois que le commissariat se substitue à l’espace des débats aux assemblées élues, chaque fois qu’un pouvoir politique prétend condamner non pas le fait d’avoir dit telle ou telle chose mais le fait de ne pas avoir dit (ce qu’il aurait voulu entendre), chaque fois cela finit mal. Et c’est très exactement le point où nous en sommes. Avec “en prime” si l’on peut dire, la particularité de s’attaquer simultanément à la jeunesse, aux humoristes et aux élu.e.s et militants syndicaux, c’est à dire à l’ensemble des espaces de contestation légitimes en démocratie. Hat Trick, à coups de trique.