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13.05.2024 à 06:00

États-Unis. Les étudiants bousculent la complicité des universités avec Israël

Sylvain Cypel

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Du jamais-vu depuis les années 1970 : malgré les accusations d'antisémitisme et la répression, les étudiants américains se mobilisent en masse, y compris au sein de la communauté juive. Ils réclament notamment l'arrêt des financements de leurs universités par les marchands d'armes servant à massacrer les Palestiniens. Les manifestations sont si importantes que Joe Biden a dû menacer Tel-Aviv de suspendre certaines de ses livraisons d'armes. Shany Littman, journaliste israélienne, (…)

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Texte intégral (3583 mots)

Du jamais-vu depuis les années 1970 : malgré les accusations d'antisémitisme et la répression, les étudiants américains se mobilisent en masse, y compris au sein de la communauté juive. Ils réclament notamment l'arrêt des financements de leurs universités par les marchands d'armes servant à massacrer les Palestiniens. Les manifestations sont si importantes que Joe Biden a dû menacer Tel-Aviv de suspendre certaines de ses livraisons d'armes.

Shany Littman, journaliste israélienne, s'inquiète : « Où sont les étudiants protestataires israéliens contre la guerre à Gaza ? » Alors que les campus américains s'enflamment, dans les universités israéliennes, c'est le « calme plat »1. En période de préparation des examens, on ne quitte la bibliothèque que pour se sustenter à une terrasse au soleil. Les assassinats massifs de Gazaouis n'intéressent pas les étudiants. Enfin si, note-t-elle : depuis le 7 octobre, la seule manifestation sur un campus a été menée par Im Tirtzou (« si vous le voulez » en hébreu), un mouvement colonial venu exiger l'expulsion des universités de professeurs non conformes à ses vues, en particulier Nadera Shalhoub-Kevorkian, spécialiste des violences familiales et l'une des rares enseignantes palestiniennes de l'université de Jérusalem.

Constatant que les professeurs israéliens se soucient du risque croissant de boycott à leur encontre réclamé par les étudiants américains, Littman estime qu'ils feraient mieux de s'inquiéter de ce qui se passe à Gaza et de se mobiliser « comme à Columbia et à Yale ». Sinon, pourquoi l'académie « ne resterait-elle pas identifiée au gouvernement israélien et à ses politiques destructrices ? », s'interroge-t-elle.

Les grandes industries américaines

La mobilisation contre Israël sur les campus états-uniens est inédite depuis celle contre la guerre du Vietnam des années 1970 — à cette différence près qu'à l'époque, des jeunes américains étaient mobilisés et risquaient donc de rentrer morts ou blessés. Cette contestation surgit sur un fond strictement politique : comme l'écrivait il y a plus de vingt ans l'historien anglo-américain Tony Judt, Israël apparait aux manifestants étudiants comme « un anachronisme »2, un État d'un autre temps, à la fois ethniciste et colonial, l'un des derniers de la planète. C'est pour ce motif qu'ils s'insurgent contre ce qu'il advient à Gaza.

Ceux qui manifestent exigent une « gestion éthique » des avoirs des universités, en particularité des plus riches. Ainsi, la dotation dont disposait Columbia en 2023 atteignait 13,64 milliards de dollars (12,66 milliards d'euros). Or une partie non négligeable de cet argent est investi dans des portefeuilles d'actions incluant des sociétés de fabrication d'armes et d'autres fournitures qui participent à la colonisation israélienne. Un financement qui a souvent pour contrepartie la présence des dirigeants d'entreprise dans les conseils d'administration des universités privées. Larry Fink, PDG de BlackRock, le plus grand gestionnaire d'actifs au monde, siège à celui de l'Université de New York (NYU). Tout comme des dirigeants de sociétés d'armements dans de nombreuses universités.

Résultat : le 17 avril 2024, le comité consultatif de la responsabilité des investisseurs de Yale (ACIR) a annoncé qu'il ne recommanderait pas à ses administrateurs de se priver des fonds des fabricants d'armes américains parce que, selon lui, cette industrie n'a pas « atteint le seuil de ‘‘préjudice social grave”, condition préalable au désinvestissement ». À Gaza, a-t-il estimé, les armes fournies à Israël soutiennent « des utilisations socialement nécessaires, telles que l'application de la loi et la sécurité nationale »3. Un cas parmi d'autres.

Le mouvement engagé concerne donc autant les grandes industries américaines que les universités. En premier lieu parce que les groupes du « secteur militaro-industriel », comme Boeing, Raytheon, Northrop Grumann, Lockheed Martin ou General Dynamics figurent parmi les grands donateurs des universités et les fournisseurs d'emplois de leurs laboratoires. Ces institutions académiques se trouvent ainsi directement intéressées à la poursuite de la livraison gratuite d'armes au pouvoir israélien (pour 4,2 milliards de dollars annuels, soit 3,89 milliards d'euros). L'un des premiers rassemblements étudiants en appui à la cause palestinienne qui a eu lieu le 22 avril à NYU s'est focalisé sur deux exigences : la rupture du rapport financier de l'université avec les fabricants d'armes utilisées par Israël à Gaza, et la fermeture de son campus ouvert à Tel-Aviv, en raison des liens avec la colonisation des territoires palestiniens.

Être « Américains juifs » sans interférence d'Israël

Les références les plus souvent utilisées par les étudiants sont la ségrégation raciale aux États-Unis, abolie en 1965, la guerre du Vietnam, perdue en 1975, et l'apartheid sud-africain, aboli en 1990. Autant de situations où l'alliance du colonialisme et du suprémacisme racial a été vaincue. L'État d'Israël leur apparait comme une manifestation tardive, incongrue et inadmissible d'un suprémacisme ethnique là aussi ancré dans un colonialisme initial.

Ces manifestations s'insèrent dans un mouvement de distanciation de la jeunesse vis-à-vis de ce pays qui a commencé dès les années 2000, et dans lequel les jeunes juifs ont joué un rôle important. Cette distanciation n'a fait que croître, le long de deux grandes lignes de force. L'une, politique et minoritaire, est radicalement hostile au caractère colonial de l'État israélien. L'autre, plus communautaire, souligne la volonté de vivre en tant qu'« Américains juifs », sans interférence d'Israël ni soumission à son égard. Les deux apparaissaient aux dirigeants de Tel-Aviv comme une menace pour le sionisme, qui a toujours ambitionné d'être l'unique représentant de la totalité des juifs du monde.

Le phénomène le plus marquant chez les jeunes juifs américains est l'accroissement exponentiel du nombre des adhérents aux organisations antisionistes ou non sionistes qu'a suscité la guerre à Gaza. Une association comme Jewish Voice for Peace, fondée en 1966 et antisioniste assumée, n'avait que très peu d'adhérents et une audience très limitée. La moyenne d'âge de ses adhérents était élevée. Depuis quelques années, elle a vu poindre de jeunes adhérents, et des milliers depuis la guerre à Gaza.

Le cas de la revue Jewish Currents est encore plus spectaculaire. La lettre hebdomadaire de son journal en ligne dirigé par Peter Beinart, un universitaire issu du sionisme qui a publiquement rompu avec cette idéologie en juillet 2020, disposait de 34 000 abonnés à l'automne dernier. En sept mois, leur nombre est passé à 300 000.

Beinart a publié le 28 avril un article en défense des étudiants américains. Son titre dit tout de son contenu : « Les manifestations sur les campus ne sont pas parfaites, mais nous en avons désespérément besoin »4. Il y déplore l'ignorance ou l'outrance de certains manifestants qui s'aventurent sur des terrains fleurant l'antisémitisme, mais il dénonce la menace, beaucoup plus grave à ses yeux, des tentatives permanentes de réduire toute critique de la guerre menée par Israël à une résurgence de l'antisémitisme. Il note en particulier qu'elles émanent souvent de cercles juifs qui, par ailleurs, n'ont aucune réticence à s'acoquiner avec des suprémacistes blancs affichés. Ainsi Beinart écrit :

Le cœur du mouvement en cours est l'exigence de mettre fin à la complicité de l'université et du gouvernement américain avec le système d'oppression d'Israël, qui aujourd'hui culmine dans cet effroyable carnage de la population de Gaza. Cette complicité doit cesser.

Hier hostiles, les médias évoluent

Dans la phase qui a suivi le massacre du 7 octobre 2023, la quasi-totalité des grands médias américains a basculé dans une rhétorique très favorable à la guerre. Pourtant depuis, certes à des degrés divers, leur regard a évolué au fil des crimes bien plus effroyables encore commis par l'armée israélienne. Lorsque le mouvement en défense des Palestiniens a pris son essor sur les campus, la réaction de ces mêmes médias, là encore, a été globalement très hostile. L'idée systématiquement promue par les partisans de Tel-Aviv selon laquelle les mobilisations étudiantes incarnent une poussée violente d'antisémitisme a été amplement relayée. Le simple usage du mot « intifada » en est devenu une preuve, par exemple.

Avec le temps, cet argumentaire s'est lentement désagrégé. Le vénérable magazine The New Republic (fondé en 1914) dénonçait récemment « une couverture honteuse par les médias des manifestations contre la guerre dans les universités »5.

La répression de toute activité en solidarité avec les Palestiniens a commencé dès les lendemains des bombardements de Gaza, rappellent huit étudiants de la faculté de droit de l'université Yale6 dans l'hebdomadaire The Nation. Ils affirment que plusieurs grands cabinets d'avocats américains ont exclu de leurs offres d'emploi les candidats ayant exprimé des vues pro-palestiniennes. À Berkeley, le recteur de la faculté de droit a voulu interdire tout débat public sur la question palestinienne tant que la totalité de son université n'aurait pas accepté la légitimité du projet politique sioniste. Dans des établissements de premier plan tels que Yale, Columbia, Brandeis, Rutgers ou Harvard, des mesures interdisant l'expression du soutien aux Palestiniens ont été imposées. À Columbia, le 9 novembre 2023, la participation de Jewish Voices for Peace et de l'association Students for Justice in Palestine a mené à l'annulation d'un débat. Ces interdits se sont multipliés. Les étudiants écrivent :

Si la liberté d'expression doit avoir un sens sur les campus, elle doit inévitablement englober ce qui est controversé, inconfortable et dérangeant. Mais nous assistons à une micro gestion administrative de la liberté d'expression.

Le correspondant du quotidien britannique The Guardian a signalé le 10 mai que des chercheurs californiens ont constaté la présence parmi les agresseurs des étudiants manifestant en faveur du combat palestinien sur les campus de l'université de Californie, des militants notoirement connus comme des suprémacistes blancs.

Cependant, on assiste désormais à un net recul de la capacité des soutiens d'Israël à faire taire tout débat sur le sort de Gaza. L'argumentaire assimilant la défense de la cause palestinienne à une forme d'antisémitisme est de plus en plus inopérant, perçu comme une misérable feuille de vigne visant à masquer les crimes israéliens massifs en cours. D'ores et déjà, diverses universités ont passé des accords avec les manifestants afin d'autoriser leurs activités sur les campus.

Des « mesures légales en dehors de la loi »

Dans les années 2015-2019, Benyamin Nétanyahou avait créé un ministère des affaires stratégiques doté de moyens financiers conséquents, qui avait pour objectif quasi unique de combattre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) sur les campus américains. Avec l'aide d'associations locales (souvent liées aux milieux coloniaux israéliens en Cisjordanie), ce ministère a mené la bataille. Elle s'est achevée par une débâcle. Au lieu de disparaître, BDS n'a fait que se renforcer. Aujourd'hui, son poids et celui d'une flopée d'associations estudiantines anticolonialistes — dont celles des étudiants juifs se réclamant de l'antisionisme, du post-sionisme ou de l'a-sionisme — ont crû de manière spectaculaire, tant en nombre d'adhérents que de campus touchés, passant en dix ans de quelques dizaines à plusieurs centaines actuellement.

Cette guerre contribue à accroitre fortement la critique et la prise de distance des milieux universitaires, tant à l'égard de la politique que du type d'État qu'Israël représente. Dernier exemple en date : le campement des scientifiques contre le génocide au Massachussetts Institute of Technology (MIT), le plus important institut de recherche scientifique des États-Unis, a demandé à son université de mettre un terme à l'investissement du ministère israélien de la défense (11 millions de dollars, soit 10,21 millions d'euros) dans ses « recherches liées à la guerre », arguant que l'institut « ne reçoit de financement d'aucune autre armée étrangère ». Le groupe rappelle que le MIT avait mis fin à sa collaboration universitaire avec un institut technologique russe juste après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022.

Que fait Nétanyahou pour combattre ce qu'il considère comme des « manifestations d'antisémitisme » ? Il constitue une équipe de travail (task force) dirigée par le ministre des affaires étrangères Eli Cohen, elle aussi dotée de moyens conséquents, pour mener un « plan d'action » de « lutte contre l'antisémitisme » sur les campus américains. On y retrouve les mêmes partenaires locaux qu'il y a dix ans, notamment Israel on Campus Coalition, Amcha, Canary Mission, The David Project et d'autres.

Selon ynetnews, le site d'informations du quotidien Yedioth Ahronoth, le plus diffusé en Israël, il s'agit de mener des « opérations politiques et psychologiques » pour « infliger des conséquences économiques et professionnelles aux étudiants antisémites et obliger les universités à les éloigner des campus ». Par « étudiants antisémites », il faut évidemment entendre hostiles à la politique coloniale israélienne.

Un chapitre intitulé « L'axe économique » expose les pressions financières permettant d'amener les responsables universitaires à résipiscence et à briser la carrière des étudiants ou des enseignants récalcitrants. Ce « plan d'action » est très similaire à celui qui a échoué en 2015-2019. Son avenir n'apparait pas plus prometteur. D'après ynetnews, il serait spécifié qu'il « ne doit pas porter la signature d'Israël », et évoque la nécessité de « prendre des mesures légales en dehors de la loi contre les activités et les organisations qui représentent une menace pour les étudiants juifs et israéliens sur les campus ». Le sens de l'expression « mesures légales en dehors de la loi » n'est pas explicité.

Apparaissant de plus en plus comme une tentative d'éluder le débat sur l'avenir de la Palestine, la répression du mouvement estudiantin a causé plus de dégâts que de bénéfices aux soutiens israéliens. Un sondage de la chaîne CNN du 27 avril indiquait que 81 % des Américains de moins de 35 ans désapprouvent la manière dont Joe Biden a soutenu la guerre contre Gaza. L'image de l'État d'Israël se ternit un peu plus chaque jour, aux États-Unis comme ailleurs. Le 7 mai 2024, dans le quotidien El País, l'Espagnole Diana Morant déclarait : « En tant que ministre des universités, je ne peux qu'exprimer ma fierté de voir les étudiants manifester leur pensée critique, l'exercer et la transmettre à la société . »

La journaliste israélienne Dahlia Scheindlin pose la question suivante en titre de son article dans le quotidien Haaretz, le 2 mai : « Israël devient désormais un État paria international. Les Israéliens s'en préoccupent-ils ? ».


1Shany Littman, « Where are Israel's students protesters against the Gaza War ? », Haaretz, 2 mai 2024.

2Tony Judt, « Israel : The Alternative », The New York Review of Books, 23 octobre 2003.

3Columbia Law Students for Palestine, « From the Encampments : Student Reflections on protests for Palestine », LPE Project, 2 mai 2024.

4Peter Beinart, « The campus protests aren't perfect. And we need them desperately », Jewish Prospects, 28 avril 2024.

5Alex Shepard, « The Media's shameful coverage of the College antiwar protests », The New Republic, 30 avril 2024.

6Alaa Hajyahia, « The Student Crackdown didn't start last week. Months of repression got us here », The Nation, 1er mai 2024.

13.05.2024 à 06:00

Journée de mobilisation universitaire le 15 mai

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La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) appelle à une journée de mobilisation universitaire le 15 mai, jour de la commémoration de la Nakba. Stop à la complicité universitaire avec le génocide, stop à la criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien, boycott universitaire d'Israël. Le 15 mai marque la date anniversaire de la Nakba (catastrophe, en arabe) qui renvoie à l'exode forcé de plus de 700 000 Palestiniennes, chassées de (…)

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La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) appelle à une journée de mobilisation universitaire le 15 mai, jour de la commémoration de la Nakba. Stop à la complicité universitaire avec le génocide, stop à la criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien, boycott universitaire d'Israël.

Le 15 mai marque la date anniversaire de la Nakba (catastrophe, en arabe) qui renvoie à l'exode forcé de plus de 700 000 Palestiniennes, chassées de leurs terres en 1948 lors des massacres perpétrés par les milices paramilitaires sionistes puis par l'armée israélienne. Leurs descendants, 5,9 millions de réfugiés se voient encore refuser leur droit au retour par Israël, pourtant garanti par la résolution 194 de l'Assemblée générale des Nations unies.

Depuis le 7 octobre, 2 millions de Gazaouies ont été déplacées et chassées de leur domicile, soit le plus grand nombre de déplacements forcés de Palestiniens depuis 1948. Le génocide des Palestiniennes en cours1 apparaît donc comme le prolongement du nettoyage ethnique de la Nakba et de 76 ans d'occupation, de colonisation, d'apartheid2. C'est la volonté d'effacer l'identité, voire l'existence même, des Palestinien.nes qui est à l'œuvre. Car comme l'a tristement résumé Elias Khoury en 2011 : « La Nakba n'est pas un événement mais un processus. Les confiscations de terres n'ont jamais cessé. Nous vivons toujours dans l'ère de la Nakba ».

Réseau constitué de chercheures, enseignantes, biatss, personnel et étudiantes engagées contre la guerre génocidaire, la CUCCP3 appelle à amplifier et à poursuivre le mouvement de mobilisation universitaire historique qui se propage un peu partout dans le monde, en Europe, aux États-Unis, dans le monde arabe mais aussi en France, malgré une forte répression. Nous appelons donc, suite au succès de la journée européenne de mobilisation universitaire pour la Palestine du 12 mars 2024, à une nouvelle mobilisation à l'occasion de cette journée symbolique du 15 mai, afin que de nos universités mettent fin à leur silence, voire leur complicité active avec le génocide et le scholasticide en cours à Gaza, et la colonisation en Palestine. Nous exigeons :

1/ Une minute de silence institutionnelle qui reconnaisse sans ambiguïté ce dont sont victimes les Palestiniennes de Gaza : un plausible génocide, reconnu comme tel par la plus haute juridiction en la matière.

2/ Une condamnation sans équivoque de la part du ministère de l'enseignement supérieur, du CNRS et des présidents d'établissements universitaires de la destruction du système universitaire à Gaza, qui prend un caractère systémique d'éducide4, un engagement à développer des accords de coopération avec des universités palestiniennes et à participer à la reconstruction du système universitaire à Gaza.

3/ Mettre fin, à l'instar de nombreuses universités européennes depuis l'ordonnance de la CIJ, à leurs partenariats avec les universités israéliennes complices dans les violations du droit international et des droits humains perpétrés par Israël5. Nous attendons d'elles un désinvestissement des entreprises complices des crimes contre l'humanité et du génocide en cours.

4/ Mettre fin aux sanctions et à la criminalisation des mouvements de solidarité avec la Palestine et respecter la liberté d'expression et de rassemblement de ses étudiantes, enseignantes, chercheures et personnel administratif.

5/ Enfin, nous dénonçons avec fermeté les tentatives du gouvernement français, complice du génocide en cours à Gaza, de soumettre le milieu académique à son agenda politique. Nous attendons de nos universités qu'elles remplissent leur rôle : assurer la liberté académique et la protection de l'expression de la pensée critique. À ce titre, nous condamnons fermement la censure des conférences portant sur la Palestine et instrumentalisant le « risque de trouble à l'ordre public » pour faire taire toute tentative de briser le silence autour de la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza.

Comment agir ?

Ces revendications peuvent être adressées de différentes manières : rassemblements, tracts, lecture publique, proposition de motion en CA, pétitions internes ou lettre à la direction, réunion d'information sur le boycott universitaire, organisation d'une AG, etc. Différentes initiatives scientifiques ou culturelles peuvent également être organisées autour de la Nakba qu'il est impératif de mieux faire connaître : conférences, projections de films, expositions, discussions de lectures.

N'hésitez pas à donner de l'ampleur à vos initiatives quelles qu'elles soient, en les partageant sur les réseaux avec #StoptheNakba et #May15forPalestine en nous taguant sur Instagram (@c.u.c.c.p), X (@CPalestine30925) et Facebook (La coordination universitaire contre la colonisation en Palestine). Vous trouverez également des ressources (tracts, ebook sur le boycott universitaire, etc. sur linktr.ee/cuccp).


1Le 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) a reconnu un risque de génocide contre les Palestiniens de Gaza. Elle a prononcé des mesures conservatoires d'urgence qui n'ont depuis pas été appliquées par Israël.

2Voir notamment le rapport 2022 d'Amnesty International : « Israel's apartheid against Palestinians ».

3Voir notre pétition : « Appel du monde académique français pour la Palestine : arrêt immédiat de la guerre génocidaire ! », L'Humanité, 1er mars 2024.

4Voir notamment : « The Hidden War on Higher Education : Unmasking the 'Educide' in Gaza », Project on Middle East Political Science.

5Voir l'appel du PACBI, et voir notamment les travaux récemment parus sur ce sujet de Maya Wind

13.05.2024 à 06:00

« Partir, mais pour aller où ? »

Rami Abou Jamous

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié. Samedi 11 mai 2024. On (…)

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Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Samedi 11 mai 2024.

On est en mai 2024 et la ville de Rafah ressemble un peu à ce qui s'est passé en mai 1940 en France, surtout dans le nord et à Paris, où des centaines de milliers de personnes ont pris la fuite les sous les bombes et sous ce que l'on appelait à l'époque « les trompettes de Jéricho »1.

Rafah devient presque une ville fantôme, surtout à l'Est. Et la peur s'implante dans le cœur des gens, surtout chez les enfants et les femmes. Tout le monde est prêt à se déplacer, tout le monde est en train de partir, surtout les gens qui ont déjà été déplacés du nord de la bande de Gaza. Pour ma part, j'ai décidé de rester dans la pièce que nous occupons jusqu'à ce que les Israéliens lancent des tracts ordonnant aux habitants de ma zone de s'en aller. Les sacs et la tente sont prêts. Mais nous voulons repousser le plus longtemps possible cette nouvelle humiliation, d'avoir à vivre sous la tente.

Une zone humanitaire… constamment bombardée

Partir, mais pour aller où ? Tout le monde pose la question : où est-ce qu'on va s'installer ? Ils se demandent aussi quelle sera la prochaine étape. Au début de la guerre, l'armée a dit qu'il fallait évacuer le nord de la bande de Gaza pour aller à Gaza-ville. Les gens s'y sont donc déplacés. Ensuite, l'armée leur a demandé de quitter la ville de Gaza pour aller plus au Sud. Après, les Israéliens leur ont demandé d'aller à Khan Younès. Les gens se sont dirigés vers cette ville. Et quand l'armée leur a dit de partir vers Rafah, près de la frontière égyptienne, 1,5 million de personnes environ se sont réfugiées là.

Maintenant, les Israéliens disent à ces mêmes gens d'aller ailleurs. Et après ? je crains que cela ne finisse par un transfert de population. L'armée dit de partir vers « l'extension » de la zone d'Al-Mawassi. C'est une zone bordée par la mer qui commence à l'est de la route côtière, de Rafah jusqu'au nord de la ville de Khan Younès, jusqu'à Nusseirat. Sur l'axe horizontal, elle s'arrête un peu avant l'avenue Salaheddine, la route principale qui traverse la bande de Gaza du nord au sud.

Cette zone serait une « zone humanitaire » selon Israël, alors qu'elle n'est ni humanitaire ni sécurisée. Elle est constamment bombardée. Samedi, ils ont visé une tente qui se trouvait au milieu de centaines d'autres tentes faites de bâches. Il y a eu beaucoup de victimes. Ce n'est pas la première fois, et ce ne sera sûrement pas la dernière.

Si on ne meurt pas sous les bombes, on mourra de faim et de soif

Il n'y a plus d'endroit sûr. Et de toute façon, dans cette zone d'Al-Mawassi, il n'y a plus de place. Les gens s'entassent les uns sur les autres. Tous mes amis qui sont partis de Rafah n'ont pas d'endroit où se poser. Ceux qui ont la chance d'en trouver restent pour le moment dans leur voiture, en attendant de trouver un lieu où construire une tente avec des bâches. Mais pour construire ces tentes de fortune, il faut du bois et du plastique. Leur prix atteint vingt à trente fois le prix « normal », c'est-à-dire celui qui était déjà dix fois plus cher qu'avant la guerre, quand les déplacés étaient encore à Rafah. Et bien sûr, avec la fermeture des terminaux de Rafah et de Kerem Shalom, il n'y a plus de nourriture. Les gens demandent d'abord la sécurité, avant de penser à boire ou à manger. Mais si on ne meurt pas sous les bombes, on mourra de faim et de soif.

Reste la question « et après » ? Nétanyahou va entrer à Rafah pour « éradiquer le Hamas ». Bien sûr, il ne va jamais l'éradiquer, le Hamas est toujours là. J'ai toujours dit que la solution militaire ne réussira jamais à venir à bout du Hamas. Quant à nous, nous serons près de 1,2 million de personnes qui vont être parquées dans ce rectangle, encerclé au Nord par la route de Netzarim, l'ancienne route des colons reconstruite par les Israéliens, qui coupe Gaza en deux d'Est en Ouest. Au Sud, ça va être la même chose quand ils vont occuper toute la ville de Rafah. Pareil à l'Est, où ils se trouvent déjà, et ils occupent toute la route de Salaheddine.

Avant, on appelait Gaza « une prison à ciel ouvert ». Maintenant, on est dans une cage à ciel ouvert avec 1,5 million de personnes qui manquent de tout, d'espace, de nourriture et surtout d'eau. L'été est déjà là, il fait très chaud, les besoins en eau augmentent, pour boire ou d'autres besoins. Malheureusement, dans la zone d'Al-Mawassi, il n'y a pas d'eau, il n'y a pas d'infrastructures pour les besoins essentiels. Les Gazaouis sont emprisonnés à droite, à gauche, au Nord, au Sud et à l'Ouest, du côté de la mer, par la marine israélienne.

Les Israéliens ont-ils changé de stratégie parce qu'ils ont vu que l'Égypte s'opposait au transfert des Palestiniens dans le désert du Sinaï ? Est-ce qu'ils pensent plutôt maintenant à la mer, avec le nouveau port flottant qui est en train de se construire à la hauteur de la ville de Gaza ? Est-ce que le transfert par la mer va commencer, comme d'habitude pour des raisons « humanitaires » ? Parce qu'on va encore beaucoup l'entendre ce mot. La question palestinienne s'est transformée en « question humanitaire » alors que c'est une question politique, une question de territoire, une question des gens qui habitent ici depuis longtemps et dont un occupant continue à prendre la terre, que ce soit en Cisjordanie où à Gaza.

Les Israéliens veulent la terre

Tous les jours, des terres sont annexées en Cisjordanie, tous les jours on y construit des milliers d'unités d'habitations. Ce que veulent les Israéliens, c'est la terre. Au lieu de faire la paix et avoir deux États, ils vont tuer le plus grand nombre de gens possible à Gaza, et pousser dehors ceux qui resteront, dans une nouvelle version de la Nakba de 1948. Sauf qu'à l'époque c'était des milices, et qu'aujourd'hui c'est une armée officielle qui fait le travail.

Je le répète : on va où maintenant ? La population est étranglée, elle vit dans des conditions qui ne sont pas humaines. À la fin, les gens vont être bel et bien obligés de partir. Et comme d'habitude, on dira que ce seront des « départ volontaires », toujours « pour des raisons humanitaires ». On en tue le maximum, on détruit toutes les infrastructures, on élimine tous les piliers de la vie, l'industrie, le système sanitaire, le système de santé, l'eau, tout. Et après on dit : si vous voulez partir, c'est votre choix, on ne vous y force pas. Et les Occidentaux approuveront.

Les Israéliens ont pris toute la bande de Gaza et personne n'a dit mot. Les Américains ont commencé par dire « Israël a le droit de se défendre », mais quand il s'agit de Rafah, ils parlent de « crise humanitaire ». C'est clair que ça passe mieux que « génocide » ou « nettoyage ethnique ». Biden n'a commencé à bouger que quand les Israéliens ont annoncé leur intention d'entrer à Rafah, comme si la guerre avait commencé à Rafah, et la raison de ce changement d'attitude est uniquement électorale, à cause de la grande mobilisation de la jeunesse américaine. Il a annoncé la suspension de la livraison de certaines armes, mais pas de tout l'arsenal, comme un père qui punit en public un enfant gâté mais qui lui dit en privé : « Je suis fier de toi, vas-y, il faut continuer jusqu'au bout. »

Quant aux Européens, ils ne disent malheureusement rien du tout. Pour eux, il faut arrêter ce génocide, rouvrir les terminaux, laisser entrer le carburant, indispensable entre autres pour les rares hôpitaux qui fonctionnent encore et pour les stations de désalinisation et d'épuration d'eau, il faut parachuter les aides. Tout ça dans une petite cage. Et pour des raisons humanitaires. Peut-être aussi que « pour des raisons humanitaires », des pays européens vont accepter chacun 200 000 personnes, et comme ça les 2 millions de Gazaouis vont être « distribués » entre six ou sept pays. Pourtant, la solution est très simple. Il faut cesser l'occupation et il faut un État palestinien. Mais les Israéliens veulent achever ce qu'ils ont commencé en 1948. Maintenant ils veulent régler le problème, éliminer les Palestiniens ou les faire fuir ailleurs.

Le problème c'est que si ça marche à Gaza, ce sera beaucoup plus facile en Cisjordanie. Il y a une relation étroite entre la Cisjordanie et la Jordanie. La majorité des Cisjordaniens ont le passeport jordanien. Ils ont de la famille en Jordanie. Je sais qu'en ce moment beaucoup de gens en Cisjordanie se préparent pour partir s'installer en Jordanie, parce qu'ils savent que chez eux, le deuxième round a déjà commencé.

Gaza est invivable pour de bon

On parle peu de l'annexion des territoires, le terrorisme des colons contre les Palestiniens qui vivent à côté des colonies ou même plus loin, parce que tous les regards se portent sur Gaza depuis plusieurs mois. Je connais des gens qui se préparent, qui planifient pour transférer leur emploi ou leur business en Jordanie, ou y cherchent un appartement pour s'installer. Si la machine de guerre se met en marche en Cisjordanie, la majorité des gens vont partir. Le nettoyage ethnique que font les Israéliens, c'est pour prendre la terre par la force, tuer les habitants ou les faire fuir partout ailleurs.

Quand on parle de Rafah, les Israéliens parlent d'une « opération limitée », mais avec 400 chars et le transfert forcé des habitants, la fermeture des terminaux, peut-on dire qu'elle soit vraiment « limitée » ? On parle de 300 000 personnes qui sont parties, mais je pense que le nombre est beaucoup plus élevé. Quelle est donc la différence avec une « grande opération » ? Ils sont juste en train de faire les choses d'une manière soft. Et ça se passe sous les yeux du monde, sous les yeux de ceux qui peuvent faire quelque chose, qui peuvent arrêter Nétanyahou mais ne le font pas. Et à la fin ce seront les Palestiniens qui se feront avoir.

Revenons à cette cage où tout le monde va être entassé. Qu'est-ce qu'ils veulent, les Israéliens ? Ils vont dire, comme ils l'ont fait jusque-là, que les combattants du Hamas se sont réfugiés dans la cage en question, qu'ils y cachent leur arsenal et des otages dans les tunnels. Ce jeu du chat et de la souris va continuer, et à la fin nous allons tous être chassés de toute la bande de Gaza et la laisser aux Israéliens. Le problème c'est que non seulement les gens vivent dans la peur et l'angoisse, mais qu'ils en ont aussi assez. On lit la fatigue dans leurs yeux, fatigue de se déplacer sans cesse, de chercher des solutions pour mettre leur famille à l'abri, de toujours se demander où aller. Il n'y a pas d'avenir.

Est-ce qu'on va mourir ? Les gens n'ont plus peur de la mort, parce qu'ils considèrent que se déplacer encore et encore, c'est une forme de mort. Mais ils ont peur de l'avenir. Nétanyahou va occuper toute la bande de Gaza du Nord au Sud, mais il sait très bien que les otages ne seront pas libérés. Son véritable objectif c'est de ravager toute la bande de Gaza et de la rendre invivable. Et pour cela, il lui faut éliminer les otages. Parce qu'un otage vivant, ça coûte beaucoup plus cher qu'un otage mort. Et c'est pour ça que la population israélienne est en train de faire pression sur Nétanyahou. Mais ce dernier continue jusqu'au bout parce qu'il sait que la fin de cette guerre, c'est la fin de sa vie politique.

La reconstruction après la fin de la guerre ? C'est une carte dans le jeu des Israéliens. Mais elle prendrait des années. Il n'y a plus d'universités, plus d'écoles, plus d'infrastructures, plus d'eau, plus d'électricité. Nétanyahou a gagné cette guerre en laissant Gaza invivable pour de bon. Et dans cette cage, on attend ce port flottant construit par les États-Unis, pour « apporter l'aide humanitaire ». Désormais tout sera « humanitaire » ; la politique sera transformée en humanitaire, et l'injustice aussi.


1NDLR. On appelait ainsi des dispositifs implantés dans les bombardiers en piqué allemands, des sortes de sirènes fixées sur le train d'atterrissage fixe destinées à semer la panique chez la population.

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