15.06.2024 à 14:50
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Le Vietnam se trouve confronté à d’importants défis environnementaux liés à son développement économique rapide
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Le Vietnam se trouve confronté à d’importants défis environnementaux liés à son développement économique rapide et sa dépendance au charbon. Cependant, le pays s’est engagé depuis plusieurs années dans la promotion d’une diplomatie environnementale et climatique ambitieuse. Le plan de développement socio-économique pour 2021-2025 met ainsi l’accent sur des priorités telles que l’adaptation au changement climatique, la protection de l’environnement, la transition vers une économie circulaire et le développement de la finance verte.
Lors de la COP26 en 2021, le Premier ministre Pham Minh Chinh a fait part de l’engagement du Vietnam d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En outre, en 2022, le pays a lancé la mise en œuvre du Programme national de développement durable, qui avait été approuvé en 2017. À cela, s’ajoutent la signature, en décembre 2022, d’un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) en collaboration avec le G7, la Norvège et le Danemark.
Lors du Sommet mondial sur l’action pour le climat lors de la 28e Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP28) à Dubaï, aux Émirats arabes unis, Chinh a également exprimé son inquiétude quant aux impacts de plus en plus graves du changement climatique au milieu du grand écart entre les engagements et les actions climatiques, et la dispersion des ressources pour la riposte au changement climatique en raison de la concurrence, de la séparation, de la guerre et des conflits.
Le Vietnam se fixe donc de nombreux objectifs, avec en-tête l’accélération de sa transition énergétique. Pour ce faire, le pays ambitionne de limiter la construction de nouvelles centrales à charbon afin d’atteindre un pic de capacités installées de 30,2 GW d’ici 2030, même s’il demeure fortement tributaire du charbon (représentant 50 % de sa production énergétique).
Cette réduction s’opère par le biais du développement des énergies renouvelables favorisé par la géographie du pays qui permet l’installation d’éoliennes à grande échelle. La capacité installée de production d’électricité a ainsi connu une croissance vigoureuse après 2019, grâce à l’intégration de l’énergie solaire et éolienne jusqu’alors sous-exploitée, contribuant à diversifier le bouquet énergétique vietnamien. Malgré cette dynamique, le Plan de développement énergétique VIII (2023) du Vietnam prévoit que 19 % de sa capacité de production électrique proviendra toujours de centrales au charbon en 2030. Par ailleurs, malgré les inquiétudes environnementales entourant ces installations, le pays envisage toujours la construction de nouvelles centrales jusqu’en 2030, tout en comptant sur un soutien international pour rénover et progressivement éliminer l’ensemble de son parc de centrales au charbon.
L’abandon total du charbon par le Vietnam est conditionné à plusieurs éléments, notamment la nécessité de reconfigurer son infrastructure réseau, actuellement insuffisantes pour établir une transition vers les énergies renouvelables. De plus, les risques élevés d’investissements liés à un monopole du marché de l’électricité, mais aussi aux nombreuses subventions au charbon, ralentissent la transition énergétique du pays. Enfin, le charbon demeure un gage de sécurité énergétique et financière pour l’Etat vietnamien.
Cependant, en raison de mesures internationales prises ces dernières années à l’encontre du charbon, le Vietnam pourrait être contraint d’orienter rapidement ses investissements vers le développement des énergies renouvelables. En effet, un nombre croissant d’institutions financières refusent désormais de financer les projets de centrales électriques au charbon en raison des risques climatiques. Par exemple, la Chine a annoncé en 2021 qu’elle cesserait de financer la construction de tels projets dans le cadre de l’initiative Ceinture et Route (BRI) entraînant des répercussions sur le Vietnam. Ce dernier a supprimé le plus grand nombre de projets de charbon soutenus par la Chine parmi les pays de la BRI, alors même que les banques chinoises sont impliquées dans le financement de près de 20 centrales au charbon dans le pays, la Chine étant l’un des principaux bailleurs de fonds pour l’énergie au charbon au Vietnam.
Ainsi, il apparaît que la Chine et le Vietnam partagent des intérêts en commun : alors que le Vietnam recherche des financement étrangers pour développer ses infrastructures dans le domaine des énergies renouvelables, la Chine, dans le cadre de la BRI cherche à investir de plus en plus dans de tels projets afin de « verdir les routes de la soie ».
Pourtant, encore aujourd’hui le Vietnam n’a accueilli aucun projet phare de la BRI, bien que le pays ait initialement exprimé un accueil favorable envers l’initiative. Récemment encore, le Premier ministre vietnamien a souligné l’importance d’une coopération sino-vietnamienne, tandis que le ministre de la Planification et de l’Investissement a qualifié la BRI de catalyseur pour le développement régional.
En résumé, le Vietnam s’est fixé des objectifs ambitieux de décarbonisation de son économie, mettant l’accent sur l’adaptation au changement climatique, la protection de l’environnement et le développement des énergies renouvelables. Cependant, la réalisation de ces ambitions fait face à des défis de mise en œuvre. Il est crucial pour le Vietnam de clarifier son cadre juridique afin de faciliter la transition énergétique, d’introduire des réglementations et des politiques visant à minimiser les risques d’investissements et à attirer des capitaux vers les énergies renouvelables, et surtout de conclure des partenariats pour obtenir des financements et une expertise indispensable pour le Vietnam.
La Chine, en tant qu’acteur majeur des investissements dans les énergies renouvelables, dispose d’une expertise considérable dans la conception de projets, de recherche et de développement axés sur la réduction des émissions de carbone. Cette expérience pourrait être partagée avec le Vietnam dans le cadre d’une coopération visant à promouvoir l’expansion des énergies renouvelables.
De plus, à l’image du JETP signé en 2022, la Chine pourrait considérer la mise en place d’arrangements similaires afin de supporter le Vietnam et d’autres pays de la BRI afin de combler le déficit financier pour les infrastructures.
Par Dounia Dif, Chargée de Veille Route de la Soie verte auprès de l’OFNRS
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09.06.2024 à 10:00
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Les relations entre l’Europe et l’Afrique, très anciennes et intriquées, ont, au fil de l’histoire,
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Les relations entre l’Europe et l’Afrique, très anciennes et intriquées, ont, au fil de l’histoire, revêtu des formes – et endossé des sens – très différents. D’abord coopération bilatérale CEE-États africains essentiellement axée sur le commerce et le développement (1963-2000), les relations entre les deux rives de la Méditerranée se sont progressivement « multilatéralisées » avec l’avènement de l’Union européenne et de sa corolaire africaine (2000-2022), engendrant, de facto une politisation de la coopération euro-africaine. Mais malgré la diversification des rapports entre les deux organisations, un axe, en particulier, demeure structurant : celui du développement des infrastructures. C’est là tout l’enjeu du Sommet de Bruxelles (2022) et du New Deal, qui, en reprenant à son compte l’initiative du Global Gateway dévoilée en 2021, entend « restaurer » le statut de global player de l’UE en la matière sur le continent africain.
Afin de saisir dans quel contexte prend place le New Deal, et plus particulièrement le Global Gateway, un détour historico-technique mettant en lumière les similitudes entre les deux institutions (ou leurs formes antérieures) porteuses du projet – l’Union européenne et l’Union africaine – s’impose.
L’Union européenne, née des efforts de six États d’Europe de l’Ouest, a vu le jour en 1951 avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Progressivement construite dans la deuxième partie du XXe siècle – le Traité de Rome (1957) instituant la Communauté Économique européenne (CEE) sera suivi 20 ans plus tard du Traité de Maastricht (1992) fondant l’Union européenne – elle n’est ni une fédération, ni une confédération d’États, ni une organisation internationale au sens strict du terme. Regroupant initialement six États – la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg, et les Pays-Bas –, elle a régulièrement fait l’objet de procédures d’élargissement jusqu’en 2020 où, pour la première fois de son histoire, un État-membre – le Royaume-Uni – a officiellement actionné le mécanisme de sortie de l’UE.
Véritable curiosité juridique en tant qu’entité sui generis, elle est dotée par le Traité de Fonctionnement de l’UE (2007) d’une personnalité juridique qui lui permet de signer des traités et d’adhérer à des conventions, et dispose, selon le Traité de l’UE (1992), d’institutions fortes auxquelles les États-Membres ont dévolu une partie de leurs compétences régaliennes. Elle est notamment composée de sept institutions : le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, la Cour de justice de l’Union européenne, la Banque centrale européenne et la Cour des comptes. Parmi celles-ci, seuls le Conseil européen et de l’UE, la Commission et le Parlement sont parties prenantes du processus décisionnel – dans le cadre du trilogue en procédure ordinaire, ou au niveau du Conseil en procédure extraordinaire – et jouissent de compétences qui leur sont propres.
L’Union africaine, quant à elle, est l’héritière de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Fondée en 1963 par 32 Chefs d’États africains nouvellement indépendants à Addis-Abeba, sa Charte érige les principes de liberté, d’unité et de solidarité – au fondement du panafricanisme – comme colonne vertébrale de l’organisation internationale. Mais devant faire face à de nombreux obstacles, cristallisés autour du principe de non-ingérence et de la sacralisation des frontières héritées de la colonisation, l’OUA devient rapidement une institution obsolète et demeure ineffective jusqu’en 1999. C’est donc au tout début du deuxième millénaire, à la suite de l’initiative de Mouammar Kadhafi, que le principe de transformation de l’OUA en Union Africaine est acté au Sommet de Lomé (2000), puis concrétisé au Sommet de Durban (2002). Regroupant initialement 32 États, elle va progressivement s’élargir à l’ensemble du continent, pour accueillir depuis 2017 – grâce à l’adhésion du Maroc – l’ensemble des 55 États africains.
Le Traité constituant actant le passage de l’OUA à l’UA (2000), a, tout comme le Traité de Lisbonne pour l’UE, conféré une personnalité juridique permettant à l’organisation de négocier et signer des traités internationaux. Par ailleurs, il a, tout comme le Traité de Maastricht pour l’UE, également prévu une refonte de l’architecture institutionnelle de l’UA. L’organisation s’articule dès lors autour de six institutions : la Conférence des chefs d’États et de gouvernements, le Conseil exécutif, le Comité des représentants permanents, le Conseil de paix et de sécurité, les Comités techniques spécialisés et la Commission de l’UA. À cela s’ajoutent encore les huit Communautés économiques régionales (CER) en vigueur depuis le Traité d’Abuja (1991), et les organes judiciaires et législatifs – dont le Parlement panafricain – crées ultérieurement. Parmi celles-ci, seules la Conférence des Chefs d’États et de gouvernements et le Conseil exécutif sont habilités à prendre des décisions – le Parlement panafricain n’ayant, a contrario du Parlement européen, qu’une fonction consultative.
Mais outre les similitudes de forme susmentionnées – présence d’un acte constitutif précisant le but et les modalités de la coopération, d’une structure permanente, indépendante et autonome et d’une personnalité juridique – l’UE et l’UA se sont, depuis leurs créations, toujours considérées comme des partenaires « naturels ».
En effet, elles sont des organisations : à vocation régionale, regroupant un nombre restreint d’États selon des affinités objectives, à savoir la proximité géographique – dans le cas européen, des affinités subjectives comme les critères de convergences économiques, politiques et communautaires rentrent également en compte ; à finalités générales, dont les activités ne sont pas cantonnées à un domaine particulier mais abordent selon les besoins l’ensemble du spectre de la coopération ; à vocation d’intégration ou d’unification, régies par des transferts de compétences plus ou moins prononcés des États-membres vers les organes supranationaux, eux-mêmes habilités à prendre des décisions lorsqu’ils sont composés de représentants de gouvernement. Cela s’explique par le fait que lors de la fondation de l’UA, le modèle européen, alors gage de stabilité depuis 50 ans, a été en partie reproduit.
Deuxièmement, la proximité géographique entre l’UE et l’UA appuie également le caractère « naturel » des relations UE-UA. Celle-ci est double : physique d’abord, puisque les deux continents sont proches de 12 kilomètres au point le plus étroit du détroit de Gibraltar ; symbolique ensuite, puisque le marché commun européen s’étend même sur le continent africain au niveau des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, réduisant la distance qui sépare les deux ensembles à 500 mètres.
Troisièmement, les liens historiques et culturels font également des deux ensembles des partenaires au destin lié. En effet, en raison des premiers contacts (XVIe siècle) puis de la colonisation (XIXe-XXe), les liens historiques euro-africains sont particulièrement denses et inextricables. Mais si l’histoire récente est hautement polémique au regard du fait colonial, les contacts répétés entre les deux ensembles ont malgré tout permis d’établir des liens culturels forts et durables, ne serait-ce que par la présence d’une diaspora de 8 millions d’individus en Europe. C’est pourquoi Mohamed Bazoum – Président déchu du Niger – affirmait en mars dernier que « l’Afrique est au cœur de l’Europe, et l’Europe est d’autant plus au cœur de l’Afrique en raison de la colonisation[1] ».
Apparaissant ainsi comme des partenaires « naturels », l’UE et l’UA ont été amenées à coopérer depuis les indépendances des États africains jusqu’à nos jours. Leurs relations, tantôt bilatérales – UE/CEE-États africains – tantôt multilatérales – UE-UA – ont pris corps à travers une multitude de textes internationaux. Leur contenu, a, ces 60 dernières années, progressivement évolué : d’accords de développement à accords de coopération politique, les relations entre les deux parties prenantes se sont progressivement structurées et formalisées.
Des années 1963 aux années 2000, les relations entre les deux pôles de la Méditerranée se sont principalement articulées autour d’accords de commerce et de développement, via une succession d’accords : les conventions de Yaoundé (1963, 1969), les conventions de Lomé (1975, 1979, 1984, 1990), et l’accord de Cotonou (2000).
Le 20 juillet 1963, un premier texte contraignant régissant les relations euro-africaines est signé par les États fondateurs de l’UE et 18 États africains – principalement francophones – nouvellement indépendants : la convention de Yaoundé. La CEE, souhaitant éviter que les États africains ne tombent dans le giron de l’Union Soviétique et pour maintenir au beau fixe le niveau des échanges entre les anciennes puissances coloniales et les anciennes colonies, décide d’initier un cadre de coopération avec les anciennes colonies belges et françaises.
Dès lors, deux dispositifs visant à faciliter le commerce et le développement vont voir le jour : il s’agit des « préférences commerciales » – qui reposent sur l’élimination progressive des droits de douanes et des quotas à l’importation des produits originaires des États signataires – et du financement privilégié du développement infrastructurel des « pays et territoires d’Outre-Mer ».
Ce cadre, repris peu ou prou dans la deuxième convention de Yaoundé (1969) – dont la seule nouveauté réside dans l’intégration de l’Île Maurice au sein du dispositif – va rapidement faire l’objet de critiques. En effet, nombre d’experts et de diplomates accusent les conventions de Yaoundé d’empêcher les États nouvellement indépendants de diversifier leurs économies en prolongeant les préférences coloniales. En enfermant les États africains dans une économie spécialisée, ce dispositif contribuerait à maintenir les dépendances des anciennes colonies aux exportations de biens manufacturés des anciennes métropoles coloniales, tout en permettant à ces dernières de sécuriser leurs approvisionnements en s’affranchissant des fluctuations de prix sur le marché.
La révision du cadre de coopération économique entre les deux rives de la Méditerranée s’imposant comme une nécessité, neuf États de la CEE, 19 États africains, ainsi que 27 États des Caraïbes et du Pacifique vont se réunir en Guyane afin de se pencher sur la question. De ces discussions émergera un nouvel élément posant les jalons de la coopération économique euro-africaine contemporaine : le groupe ACP, avec lequel sera signé la première convention de Lomé (1975).
La première convention de Lomé va, de fait, tenter de corriger deux biais : celui de la « préférence coloniale » et celui de la spécialisation forcée, induits par les deux premières conventions de Yaoundé. De fait, la réciprocité des « préférences commerciales » sera abandonnée – les États ACP ne seront dès lors plus tenus d’ouvrir leurs marchés aux exportations européennes – et le champ de la coopération euro-africaine sera élargi au secteur industriel, favorisant ainsi une diversification des économies des pays ACP.
Mais loin de se distancer complètement du cadre de coopération qui la précédait, la première convention de Lomé va poursuivre l’un des objectifs phares des conventions de Yaoundé : le financement du développement des infrastructures. Un doublement de l’aide au développement – réinvestie dans les secteurs du tourisme, de l’industrie, de l’énergie et de l’agriculture – va en particulier être décidée.
Cette convention – rectifiée en 1979, 1984, et 1990 au gré des élargissements de la CEE et du groupe ACP – va cependant être retoqué dans les années 1990 par l’OMC, suite à sa dénonciation par un groupe de pays latino-américains exportateurs de bananes considérant les « préférences commerciales » comme une atteinte au droit à la concurrence.
Dès lors, afin d’établir un cadre de coopération économique qui soit conforme aux règles de l’OMC, de nouvelles concertations entre l’UE et le groupe ACP vont être organisées au Bénin. Celles-ci débouchent, le 23 juin 2000, sur l’entrée en vigueur l’accord de Cotonou pour une durée de 20 ans.
Conformément à la décision de l’OMC, l’accord de Cotonou va mettre un terme aux « préférences commerciales ». À la place, est prévue la négociation d’Accords de Partenariats Économique avec les pays ACP – dont cinq avec le groupe « Afrique » – visant, inter alia, à libéraliser les échanges entre les pays signataires des APE et l’UE. En outre, la politique de développement indifférenciée conduite par Bruxelles va également toucher à sa fin. En effet, contrairement aux conventions de Yaoundé et de Lomé, l’aide au développement ne sera plus distribuée automatiquement : elle va dorénavant être conditionnée aux performances de chaque pays du groupe ACP en matière de transparence, de bonne gouvernance et de respect des principes démocratiques.
Toutefois cet accord, comme ceux l’ayant précédé, n’est également pas exempt de critiques. Certains, par exemple, considèrent que les APE sont des accords de paupérisation puisqu’ils menaceraient l’industrialisation des États africains. C’est notamment la position qu’a exprimé Muhammadu Buhari – alors Président du Nigeria – devant le Parlement européen en 2016, au sujet de l’APE-Ouest africain, qu’il n’a toujours pas ratifié. D’autres, encore, fustigent la politique de développement de l’UE à la fois en raison de l’existence de conditionnalités – qui constituent une forme de coercition pour les diplomates africains – et en raison de son manque de résultats.
Ainsi, de Yaoundé à Cotonou en passant par Lomé, la coopération euro-africaine s’est, dès le lendemain des indépendances, articulée autour du commerce et du développement. Cette coopération regroupe deux nécessités : maintenir un niveau des échanges élevés entre les anciennes métropoles coloniales et les anciennes colonies ; et permettre aux nouveaux États de développer et diversifier leurs économies. Mais les différents textes ont rapidement cristallisé les tensions. Tantôt taxée de néocoloniale, tantôt accusée de favoritisme, la relation UE-ACP a dû traverser de nombreuses zones de turbulences. Afin de sortir de ce schéma, l’UE va, lors du premier Sommet UE-Afrique au Caire (2000), poser les jalons d’une nouvelle phase des relations euro-africaines : celle de la coopération politique.
Le tournant multilatéral UE-UA : vers une politisation et une institutionnalisation des relations euro-africaines (2007-2022)
À partir des années 2000, les relations euro-africaines tendent à se politiser. Ce mouvement, initié lors du premier Sommet UE-Afrique au Caire (2000), va progressivement atteindre son acmé lors des sommets de Lisbonne (2007) et de Bruxelles (2022). C’est en particulier au cours de ce dernier sommet que le New Deal, et par extension le Global Gateway va être formulé.
Le texte adopté à Lisbonne (2007) constitue un véritable tournant dans les relations euro- africaines : c’est le premier cadre de coopération politique de l’UE dédié à l’ensemble du continent africain. Ce dernier, qui promet de considérer l’Afrique dans son unicité – à rebours de l’approche parcellaire UE-ACP qui prévalait jusqu’alors –, cherche à poser les bases d’un partenariat durable « continent-à-continent » en formulant une stratégie conjointe.
Pour ce faire, la stratégie cadre va d’abord établir une nouvelle architecture institutionnelle centrée sur l’UA. En effet, suite à l’ouverture d’une représentation permanente de l’UE auprès de son siège à Addis-Abeba, deux niveaux d’échanges ont été mis en place afin d’améliorer le dialogue inter-organisationnel. Le premier niveau est celui du Sommet UE-UA, qui réunit tous les trois ans les chefs d’États et de gouvernements des deux parties afin d’orienter et d’élaborer l’action conjointe des deux continents. Ces Sommets sont notamment préparés par des réunions ministérielles annuelles, tenues dans l’optique de cerner au mieux les intérêts des parties et d’établir l’agenda des discussions. Le second niveau de dialogue s’articule autour des troïkas de l’UE et de l’UA, à savoir le Conseil de l’UE et de l’UA, le Parlement européen et panafricain, ainsi que la Commission européenne et africaine. Une fois par semestre, des rencontres entre les représentants des institutions européennes et africaines ont lieu. Au cours de celles-ci, sont assurés l’examen, et le suivi de la mise en œuvre de la stratégie commune UE-UA et l’allocation des fonds qui lui sont nécessaires.
La stratégie cadre va ensuite fixer des axes de coopération qui viendront délimiter le champ d’action des partenariats ultérieurs. En effet, quatre piliers vont être érigés comme base de la coopération euro-africaine : la paix et sécurité (lutte contre le crime organisé et le terrorisme) ; la bonne gouvernance et les droits humains (promotion des valeurs de la Charte de l’ONU) ; le commerce et l’intégration régionale (accroissement du potentiel économique) ; et le développement (réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU). Ces quatre piliers, en définissant les grandes lignes de la coopération euro-africaine, vont dès lors poser le cadre légal des partenariats à venir.
C’est notamment le cas du New Deal – qui ne constitue ni un accord, ni une politique publique, mais bien un « partenariat », soit une déclaration non-contraignante – a été élaboré dans le cadre du 6e Sommet UE-UA, tenu à Bruxelles les 17 et 18 février 2022.
Organisé dans un contexte de crise polymorphe – tant sanitaire que géopolitique et géostratégique –, le Sommet de Bruxelles va tenter de répondre à un objectif phare de l’UE : « restaurer » son statut de global player en Afrique. En effet, dès sa prise de fonction en septembre 2019, Ursula Von Der Leyen a déclaré qu’elle dirigerait une Commission géopolitique. S’inspirant ainsi de la volonté de la partie européenne de retrouver son rang à l’échelle internationale, le nouveau partenariat mis sur pied au 6e Sommet UE-UA va, dès lors, constituer une réponse aux défis posés par la présence des concurrents de l’UE en Afrique – notamment la Chine, via ses Nouvelles Routes de la Soie.
Si le New Deal mis sur pied à l’issu du Sommet s’inscrit dans la logique du Sommet de Lisbonne en se voulant relativement transversal – l’on parle alors du triptyque « prospérité-sécurité-mobilité », qui englobe des initiatives tant en matière sanitaire (distribution de vaccins contre la Covid-19), migratoire (lutte contre les causes des migrations) que commerciale (soutien à la Zone africaine de libre-échange) –, une mesure de la déclaration finale, en particulier, s’inscrit dans une perspective géostratégique : le Global Gateway.
Cette initiative, évoquée dès 2021 lors de la rencontre à Dakar entre la Présidente de la Commission européenne et le Président de l’UA de l’époque – Macky Sall –, a été officiellement adoptée par les deux organisations lors de leur rencontre à Bruxelles. Présenté comme un « paquet d’investissements Afrique-Europe d’au moins 150 milliards d’euros au service de notre ambition commune pour 2030 et de l’agenda 2063 de l’UA[2] », le Global Gateway est composé de trois volets : les infrastructures, la santé et l’éducation. En stimulant les partenariats publics-privés, l’UE entend notamment contribuer à « la mise en place d’économies plus diversifiées, inclusives, durables et résilientes[3] » en Afrique. L’allocation des fonds, quant à elle, sera la compétence principale de la Commission européenne – après évaluation de la conformité des projets à l’Horizon 2030 de l’UE et à l’Agenda 2063 de l’UA. Pour l’heure, ce sont près de 41 projets qui ont été déclarés éligibles par l’exécutif européen.
Ainsi, liées par des similitudes structurelles, une proximité géographique et des liens culturels et historiques forts, l’Europe et l’Afrique entretiennent des relations complexes qui ont, tant d’un point de vue bilatéral que multilatéral, connu beaucoup d’évolutions sur les 60 dernières années. Mais malgré une diversification des champs de coopération des deux rives de la Méditerranée, certains axes demeurent structurants eu égard la configuration géopolitique mondiale : c’est notamment le cas du développement.
À lire en lien avec la montée en puissance de la Chine comme partenaire n°1 du continent africain, la promulgation du Global Gateway ne laisse rien au hasard, puisqu’elle intervient à un moment où la Commission européenne entend explicitement amorcer un « retour » de l’UE sur la scène internationale.
Par Gaëlle Welsch, Analyste Global Gateway Afrique à l’OFNRS
« Conférence. (re)fonder la relation Europe-Afrique », Continent premier et Le Monde diplomatique, 07/04/2023. ↑
« Déclaration finale. Sixième sommet Union européenne ‐ Union africaine : une vision commune pour 2030 », Conseil européen et Conseil de l’Union européenne, 18/02/2022, https://www.consilium.europa.eu/media/54411/final-declaration-fr.pdf, p. 4. ↑
Opus cit, p. 4. ↑
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05.06.2024 à 22:09
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Au fil des décennies, les relations entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine ont été marquées
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Au fil des décennies, les relations entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine ont été marquées par une histoire complexe de coopération, de rivalité et d’évolution politique. Alors que l’Union Européenne a traditionnellement concentré son attention sur ses partenaires atlantiques et méditerranéens, l’Amérique Latine a parfois été reléguée au second plan dans les politiques externes de l’UE. Cependant, ces dernières années ont vu un renouveau de l’intérêt de l’Union Européenne pour la région, exprimé à travers la reprise du dialogue diplomatique, ainsi qu’une myriade d’investissements prévus dans le cadre du Global Gateway. Cette « redécouverte » de l’Amérique Latine se fait par ailleurs dans le contexte d’un renforcement des liens économiques, politiques et culturels latino-américains avec la Chine.
Dans ce contexte particulier, l’Union Européenne tente de capitaliser sur ce renouveau d’intérêt pour l’Amérique Latine et de saisir les opportunités de collaboration mutuelle. Toutefois, la présence des Etats-Unis dans leur « arrière-cour », couplée avec la concurrence croissante d’acteurs tels que la Chine souligne l’importance d’une approche équilibrée et stratégique dans le développement des relations euro-latino-américaines. En naviguant avec prudence et en promouvant la coopération durable, les deux parties peuvent essayer de façonner un avenir prometteur pour leur partenariat.
État des lieux sur les relations entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine
L’Union Européenne et l’Amérique Latine possèdent des liens historiques, culturels et économiques établis. Le dialogue politique euro-latino-américain a débuté en 1974 pour faire face aux dictatures militaires et aux violations des droits de l’homme. L’UE est aujourd’hui le troisième partenaire commercial de l’Amérique Latine et des Caraïbes (ALC), représentant 9,8 % des exportations et 13,3 % des importations de la région. Les investissements de l’UE en ALC, concentrés dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme les énergies renouvelables et l’automobile, contribuent à renforcer les capacités de production et les normes de qualité dans la région.
Pourtant, les relations UE/ALC ont vu l’engouement européen des années 1970/80 diminuer, voire se désolidariser ces dernières années, en raison d’un sentiment croissant d’indifférence et de pessimisme, qui découle d’une succession d’événements et de circonstances politico-économiques. Tout d’abord, les accords bi-régionaux ont souffert d’une perte d’efficacité. Souvent ambitieux, ils ont rencontré des difficultés à se concrétiser en raison de la diversité des intérêts et des priorités des pays impliqués. Il se trouve que les priorités politiques et économiques de l’UE ont évolué, notamment avec des préoccupations internes comme le Brexit, la crise migratoire et la pandémie de Covid-19, réduisant ainsi l’attention portée à l’ALC. Ensuite, l’UE pointe du doigt l’absence de vision à long terme des pays latino-américains en matière de politique étrangère. De nombreux pays d’ALC ont connu, ou connaissent encore, des périodes d’instabilité politique et de changements de gouvernements, ce qui entraîne des politiques étrangères incohérentes et fluctuantes. Les crises économiques, sociales et sécuritaires ont souvent poussé les pays d’ALC à concentrer leurs efforts sur des problèmes internes plutôt que sur des stratégies de politique étrangère à long terme. L’absence d’intégration régionale solide en ALC a ainsi empêché la formulation de positions communes vis-à-vis de l’UE, affaiblissant la capacité de la région à négocier et à maintenir des relations stables et stratégiques. Enfin, persiste un manque d’intégration de la dimension latino-américaine dans la politique étrangère des pays européens. Ceux-ci, confrontés à des défis immédiats en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe de l’Est, ont souvent relégué les relations avec l’ALC au second plan. Les politiques étrangères des pays européens envers l’ALC manquent ainsi souvent de coordination et de cohérence, chaque nation ayant ses propres priorités et stratégies. Par ailleurs, il y a un manque de sensibilisation et d’engagement envers l’ALC au sein des populations et des décideurs européens, qui se traduit par un soutien politique et financier limité pour des initiatives de coopération avec cette région.
Cela n’empêche pas l’UE de développer divers accords et partenariats avec des membres de l’Amérique Latine, bien qu’a une échelle plus restreinte. Avec la communauté andine, par exemple, des accords de dialogue politique, de coopération et d’association sont en place, mettant l’accent sur la libéralisation du commerce tout en accordant une attention particulière aux droits de l’homme et à la protection de l’environnement. De même, dans les Caraïbes, des accords de coopération et de partenariat économique ont été établis, avec une focalisation sur le développement durable et le commerce. Des négociations sont également en cours avec Cuba, qui est toujours sous l’embargo des Etats-Unis, témoignant de l’engagement de l’UE à étendre sa portée dans la région, au risque de contredire les politiques de Washington. En Amérique Centrale, un accord d’association vise à renforcer la coopération politique et économique, en mettant l’accent sur des aspects cruciaux tels que les droits de l’homme, la réduction de la pauvreté et le développement durable. Cependant, les négociations avec le Mercosur ont été plus complexes, débutant en 1999 mais confrontées à des obstacles, notamment des préoccupations environnementales portées par la France. En ce qui concerne les relations bilatérales, l’UE entretient des partenariats stratégiques solides avec des pays clés tels que le Brésil, le Chili et le Mexique entre autres, couvrant un large éventail de domaines d’intérêt mutuel. Ces partenariats témoignent de l’engagement de l’UE à essayer de renforcer ses liens avec des partenaires clés en Amérique Latine, dans le but de promouvoir la paix, la prospérité et le développement durable dans la région, tout en portant ses intérêts stratégiques.
Néanmoins, les relations UE/ALC ont montré des signes concrets d’un début de réconciliation. En 2023, à Bruxelles, après 8 ans de hiatus, a eu lieu le sommet UE-CELAC (CELAC: Communauté d’États Latino-Américains et Caraïbes). Ce sommet, organisé sous la présidence espagnole, a certes représenté un pas vers la réouverture du dialogue entre les deux blocs, mais a toutefois aussi souligné les différences qui demeurent entre les deux régions et les difficultés à surmonter afin de reconstruire des relations harmonieuses.
Le sommet a marqué un tournant politique majeur : la CELAC cherche à établir une relation d’égal à égal avec l’UE. Les pays de l’ALC ont exprimé leurs inquiétudes concernant diverses questions, telles que les réparations pour l’esclavage, le soutien à la paix en Ukraine et la levée du blocus économique contre Cuba. Ces positions reflètent une volonté de promouvoir un non-alignement géopolitique et de rechercher des solutions pacifiques aux conflits régionaux.
Plusieurs sujets ont été abordés, certains étant plus délicats que d’autres. En mentionnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’UE désirait une ferme condamnation de la guerre, tandis que des pays tels que Cuba, le Venezuela et le Nicaragua s’y sont opposés. Ainsi, à la fin du sommet, le Nicaragua refusa de soutenir la déclaration commune, en raison du paragraphe sur l’Ukraine.
D’autres questions ont été discutées, telles que la volonté de l’Union Européenne de limiter l’influence croissante de la Chine en Amérique du Sud et de garantir un accès aux matières premières, indispensables à sa transition numérique et écologique. Cela démontre que la reprise de contact répond à des motivations européennes stratégiques. Les dirigeants ont également convenu d’un paragraphe reconnaissant les souffrances infligées par l’esclavage, mais sans mentionner d’éventuelles réparations. Parallèlement, des accords ont été conclus afin d’améliorer la collaboration énergétique avec l’Argentine, l’Uruguay et le Chili, en particulier dans les domaines des énergies renouvelables et des chaînes de valeur durables des matières premières.
En somme, le sommet UE-CELAC de 2023 a marqué une étape importante vers la réouverture du dialogue entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine. Malgré les divergences persistantes, ce sommet a permis de mettre en lumière les aspirations communes et les domaines de coopération potentiels, tout en soulignant la nécessité de surmonter certains obstacles pour construire des relations plus harmonieuses et équilibrées entre les deux régions. Les sommets auront à présent lieu tous les deux ans, le prochain étant prévu pour 2025 en Colombie.
Présence européenne renouvelée dans la région : le Global Gateway
L’engagement de l’UE en Amérique Latine et dans les Caraïbes se traduit par une série d’initiatives dans le cadre du Global Gateway, visant à renforcer la coopération et le développement dans des secteurs clés tels que le numérique, le climat et l’énergie, les transports, la santé, l’éducation et la recherche. Des 300 milliards d’euros prévus pour le Global Gateway jusqu’à 2027, au moins 45 sont destinés à la région ALC.
Dans le domaine numérique, l’UE participe à des projets tels que l’extension du câble BELLA vers les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, visant à améliorer la connectivité Internet dans la région. De plus, des dialogues politiques régionaux sur la cybersécurité, la connectivité et la gouvernance électronique sont encouragés, notamment au Brésil, pour renforcer les capacités numériques. L’UE soutient également la création de centres régionaux Copernicus au Panama et au Chili pour promouvoir l’utilisation de données satellitaires dans des domaines tels que la gestion des ressources naturelles et la prévention des catastrophes. L’engagement de l’UE dans le secteur numérique démontre une stratégie proactive pour combler le fossé numérique en Amérique Latine, améliorant ainsi l’accès à Internet et aux infrastructures technologiques. Ces initiatives renforcent également la souveraineté numérique des pays partenaires et leur capacité à gérer les cybermenaces, tout en facilitant la croissance économique par une meilleure intégration dans l’économie numérique mondiale. Cependant, il s’agit aussi de contrer l’influence croissante de la Chine dans la région. En améliorant la connectivité et la cybersécurité, l’UE vise à positionner ses technologies et normes comme standards, favorisant ainsi ses entreprises et ses intérêts géopolitiques. Cette stratégie pourrait également créer des dépendances technologiques envers l’UE, consolidant ainsi son influence économique et politique en Amérique Latine.
Dans le domaine de l’énergie et du climat, l’UE s’engage à promouvoir la durabilité environnementale en soutenant le développement et l’utilisation de carburants d’aviation durables, ainsi que des projets d’énergies renouvelables comme des centrales solaires et éoliennes à Cuba, Barbade, Trinité-et-Tobago, Guyane, Bolivie, etc. De plus, l’UE participe à des initiatives visant à renforcer la résilience climatique et sanitaire, en soutenant des partenariats pour l’accès équitable aux produits de santé, notamment des vaccins au Costa Rica et au Mexique, et en encourageant des pratiques agricoles durables en Argentine pour lutter contre les impacts du changement climatique. Les efforts de l’UE dans le domaine de l’énergie et du climat montrent une approche holistique et proactive pour répondre aux défis environnementaux en Amérique Latine. En promouvant les énergies renouvelables et les carburants durables, l’UE contribue à la transition énergétique de la région, réduisant ainsi sa dépendance aux combustibles fossiles. Ces efforts sont stratégiques, visant à diversifier les sources européennes d’approvisionnement en matières premières cruciales pour la transition énergétique, comme le lithium et d’autres minéraux critiques. En promouvant les énergies renouvelables et en soutenant des pratiques durables, l’UE cherche également à projeter une image de leader mondial en matière de développement durable, tout en sécurisant ses propres besoins énergétiques. Cette démarche contribue à réduire la dépendance européenne vis-à-vis des énergies fossiles importées, tout en ouvrant de nouveaux marchés pour les technologies et entreprises européenne.
Dans d’autres secteurs clés tels que les transports, la santé, l’éducation et la recherche, l’UE collabore avec les pays de la région pour soutenir le développement d’infrastructures et de services essentiels. Cela inclut des projets tels que la modernisation des infrastructures de transport urbain en République Dominicaine, l’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en Equateur, Guatemala, Pérou ou encore Uruguay, ainsi que des initiatives visant à promouvoir l’innovation et l’inclusion sociale à travers des partenariats entre le monde universitaire, la recherche et les entreprises. L’engagement de l’UE dans ces secteurs diversifiés démontre une approche intégrée du développement, visant à améliorer les infrastructures et les services essentiels en Amérique Latine. En soutenant des projets de transport urbain et d’accès à l’eau potable, l’UE contribue à l’amélioration de la qualité de vie et à la réduction des inégalités. Les initiatives en matière d’innovation et d’inclusion sociale montrent l’engagement de l’UE à favoriser une croissance inclusive et durable, en renforçant les liens entre l’éducation, la recherche et le secteur privé pour stimuler l’innovation et la compétitivité. Néanmoins, l’implication de l’UE dans ces secteurs est également guidée par des intérêts stratégiques. En modernisant les infrastructures de transport et en améliorant l’accès à l’eau potable, l’UE cherche à stabiliser la région, ce qui est crucial pour les investissements. De plus, en favorisant l’innovation et l’inclusion sociale, l’UE vise à créer un environnement propice à ses propres entreprises, facilitant ainsi l’accès à de nouveaux marchés et renforçant son influence économique. Cette stratégie contribue également à construire une image positive de l’UE en tant que partenaire de développement responsable, tout en consolidant ses intérêts économiques et politiques.
Le Global Gateway a pour ambition de concurrencer à la Chine et à la BRI. En effet, Pékin, avec ses importants investissements dans les infrastructures, reste tout de même un acteur clé dans la région. Cependant, les critiques concernant le manque de transparence et les implications de la dette des projets chinois limitent son influence, et pourraient offrir à l’UE une opportunité de se positionner comme une alternative plus fiable et durable.
Quels sont les obstacles à surmonter ?
Nonobstant les progrès réalisés et les objectifs ambitieux du Global Gateway, des difficultés persistent, notamment en raison de divers facteurs structurels et conjoncturels qui entravent la pleine réalisation des objectifs de coopération et de développement entre l’Union Européenne et l’Amérique Latine.
L’année 2024 est marquée par une série d’élections présidentielles importantes dans plusieurs pays d’Amérique Latine, notamment au Salvador (4 février 2024), au Mexique (2 juin 2024) et au Venezuela (28 juillet 2024). Ces élections, ajoutées aux élections européennes (6-9 juin 2024), pourraient entraîner des répercussions majeures sur les relations entre l’UE et ces pays, en fonction des orientations politiques qui en découleront.
Par exemple, le Venezuela est confronté à d’importants obstacles démocratiques sous la présidence de Nicolás Maduro. Malgré l’accord de la Barbade visant à organiser des élections libres en 2024, des doutes persistent quant à l’équité de ces futures élections. Les mesures autoritaires de Maduro, telles que l’interdiction des personnalités de l’opposition de se présenter, ont suscité de vives critiques internationales. Maduro ayant approfondi ses liens diplomatiques, militaires et économiques avec d’autres régimes soumis à des sanctions, notamment l’Iran, la Turquie et la Russie, démontre que les relations euro-latino-américaines sont confrontés à des défis politiques profondément ancrés. L’Union Européenne, tout en maintenant des sanctions ciblées, continue de soutenir les efforts pour la restauration démocratique. Elle a condamné fermement les actions répressives du régime et insiste sur la nécessité d’un processus électoral transparent et équitable pour garantir des progrès démocratiques réels au Venezuela.
En outre, des défis de sécurité persistants se font sentir dans la région andine, en particulier en Équateur, où l’escalade de la violence liée au crime organisé a conduit le président à déclarer l’état d’urgence et à mobiliser les forces armées pour faire face à la situation. Cette instabilité a également entraîné des répercussions sur les pays voisins, comme en témoigne l’extension des mesures de sécurité au Pérou. L’UE, qui prône la stabilité et la sécurité dans la région, pourrait envisager de soutenir des initiatives de renforcement des capacités sécuritaires et de coopération régionale pour aider à contenir la violence et à promouvoir un environnement sûr pour le développement économique et social. En parallèle, les pourparlers de paix avec l’ELN (groupe rebelle colombien ; Armée de Libération Nationale) en Colombie ont repris, offrant ainsi une lueur d’espoir pour une résolution durable des conflits internes dans ce pays, qui serait bénéfique non seulement pour le pays mais aussi pour la stabilité de la région andine. Enfin, la situation en Argentine reste sous les projecteurs, alors que le pays traverse une période de transition politique marquée par des réformes économiques radicales et une incertitude économique, qui pourrait entraîner des répercussions régionales. Malgré les défis et les incertitudes, l’UE reste déterminée à renforcer ses liens avec l’Amérique Latine afin de relever les défis communs et de promouvoir la stabilité et le développement dans la région.
Au-delà du désintérêt européen et du manque de coordination des dernières années, plusieurs facteurs participent à rendre les relations entre l’UE et l’Amérique Latine « conjoncturelles » (c’est-à-dire influencées par des conditions temporaires plutôt que par des facteurs structurels permanents).
Premièrement, les relations entre les deux régions sont asymétriques, avec l’UE ayant plus de pouvoir dans nombre de domaines. L’UE utilise souvent son pouvoir pour promouvoir des standards élevés en matière de droits de l’homme, de gouvernance et de durabilité environnementale, ce qui peut parfois être perçu comme une forme de néo-colonialisme ou de paternalisme par les pays latino-américains. Cette dynamique crée un déséquilibre qui peut compliquer la formation de partenariats véritablement égalitaires et mutuellement bénéfiques, d’où l’insistance de la CELAC pour l’établissement de relations d’égal à égal lors du sommet.
Deuxièmement, les relations sont assez instables étant donné l’absence d’un cadre relationnel solide. Cette situation engendre une incertitude quant à l’orientation future des relations bilatérales et peut entraver la mise en œuvre de projets de coopération à long terme. Les crises politiques, économiques ou sociales en Amérique Latine peuvent également perturber les relations bilatérales, tout comme les changements de gouvernements et de priorités politiques dans les deux régions. L’absence de continuité et de prévisibilité dans les relations rend difficile la construction de partenariats stables et durables.
Enfin, les Européens et les Latino-américains divergent dans leur conception du multilatéralisme : pour les premiers, il s’agit d’une délégation de souveraineté, tandis que pour les seconds, il représente une convergence vers la réalisation de leurs intérêts nationaux. Cette différence de perspective peut entraîner des frictions et des malentendus dans les négociations internationales et entraver la coopération effective sur des enjeux globaux comme le commerce, le climat et les droits de l’homme.
Une illustration des limites dans la coopération euro-latino-américaine est l’échec de l’accord commercial avec le Mercosur. Les négociations pour un accord d’association entre l’UE et le Mercosur ont débuté en 1999, mais n’ont toujours pas abouti. L’accord prévoit une levée graduelle des droits de douane, surtout sur les produits alimentaires et agricoles. Les présidences actuelles du Mercosur (Brésil) et du Conseil de l’Union Européenne (Espagne) ont cherché à relancer les négociations lors du récent sommet UE/CELAC à Bruxelles. Cependant, des obstacles persistent, notamment en ce qui concerne les normes environnementales européennes. La France, par exemple, s’oppose à la ratification de l’accord tant que celui-ci ne respecte pas les normes environnementales européennes, en raison des préoccupations quant à l’effet sur le marché européen, notamment en ce qui concerne la concurrence avec des produits issus de régions où les normes environnementales sont moins rigoureuses. Trois priorités ont particulièrement été identifiées par le gouvernement français : la déforestation, le respect des accords de Paris et le respect mutuel des normes environnementales et sanitaires. Les pays en développement tels que le Brésil ont refusé de se plier aux exigences de l’UE en matière d’engagements environnementaux rigoureux, privilégiant plutôt les négociations au sein de l’ONU. Les négociations informelles se poursuivent, mais une déclaration commune semble peu probable pour le moment. L’UE a proposé une déclaration additionnelle sur le changement climatique, mais le Mercosur l’a jugée insuffisamment précise. Les prochaines étapes pourraient impliquer des discussions approfondies pour résoudre les divergences, ainsi que des efforts pour obtenir le soutien de tous les États membres de l’UE et des pays du Mercosur. L’Union Européenne se trouve donc face à un dilemme délicat : doit-elle favoriser une politique étrangère ambitieuse en concluant cet accord commercial stratégiques avec le Mercosur, ou prioriser ses normes environnementales et sanitaires domestiques, en répondant aux préoccupations de ses États membres, telles que celles exprimées par la France?
L’influence des États-Unis en Amérique Latine a connu un déclin progressif au cours des dernières décennies, en partie en raison de l’ascension économique et diplomatique de la Chine. L’Amérique Latine, historiquement considérée comme l’ « arrière-cour » des États-Unis, explore désormais de nouvelles alliances économiques et politiques pour diversifier ses partenariats et réduire sa dépendance à l’égard de Washington. Cette dynamique est renforcée par la situation économique chinoise qui, bien que marquée par des défis récents tels que le ralentissement de la croissance et les tensions commerciales avec les États-Unis, continue d’offrir des opportunités significatives pour les pays latino-américains en quête d’investissements et de débouchés commerciaux. Politiquement, la montée de régimes critiques envers l’hégémonie américaine, comme ceux du Nicaragua et du Venezuela, favorise un alignement plus étroit avec Pékin, perçu comme un contrepoids à l’influence américaine. La montée en puissance chinoise a eu un impact profond sur les exportations des pays développés et en développement, y compris en Europe, où l’augmentation des exportations chinoises a suscité des inquiétudes quant à la concurrence sur les marchés tiers. L’Union Européenne se trouve désormais en concurrence directe avec les États-Unis et la Chine, sans pour autant garantir un rôle prééminent. La lutte pour l’influence en ALC met en évidence les défis auxquels l’UE doit faire face pour se positionner comme un acteur majeur dans la région. Tandis que les États-Unis et la Chine ont des stratégies bien établies et des relations de longue date, l’UE doit encore prouver son efficacité et sa pertinence dans ce paysage géopolitique complexe.
Le point de bascule a eu lieu en 2007, lorsque la Chine a commencé à exporter des produits de meilleure qualité, rivalisant directement avec ceux de l’UE. Au fur et à mesure que la Chine progressait dans la chaîne de valeur, la compétition s’est accentuée, notamment dans les produits à haute valeur ajoutée comme les machines électriques et les véhicules routiers. Par ailleurs, les signatures d’accords bilatéraux avec les pays latino-américains par la Chine et l’UE ont intensifié cette compétition. Ces tendances soulignent l’importance pour l’Europe de préserver sa compétitivité à l’échelle internationale, puisque la Chine a déjà une longueur d’avance dans la région.
Par exemple, le port de Chancay au Pérou, développé avec une importante participation chinoise, symbolise l’avenir des relations économiques entre la Chine et l’Amérique Latine. Ce projet stratégique devrait favoriser un rapprochement économique entre les États membres de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), en facilitant le commerce et les investissements dans la région. En investissant dans des infrastructures critiques, la Chine non seulement accroît son influence économique, mais contribue également à la transformation des capacités logistiques de l’Amérique Latine, renforçant ainsi les liens commerciaux transpacifiques.
Récemment, la stratégie chinoise de la BRI a évolué, avec moins d’Investissements Directs Etrangers (IDE) globaux et plus de projets à petite échelle dans des secteurs comme les minéraux critiques, les technologies financières, les véhicules électriques et l’énergie verte. Les entreprises chinoises, telles que Huawei, étendent leur présence dans les centres de données, le cloud computing et la cybersécurité, surpassant leurs concurrents dans certains domaines.
De plus, la Chine renforce son soft power à travers des échanges culturels, des programmes universitaires et une présence médiatique significative. Son influence diplomatique se manifeste également par l’adhésion à la politique « d’une seule Chine » ; seuls le Guatemala et le Paraguay entretiennent aujourd’hui des relations diplomatiques avec Taïwan.
L’influence économique et diplomatique de la Chine en Amérique Latine a un impact significatif sur les tendances politiques de la région. Le populisme de gauche, prônant une intervention importante de l’État dans l’économie, trouve un écho dans le modèle de développement chinois. Cela est particulièrement visible dans la campagne électorale de figures politiques comme Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil, dont les politiques de redistribution et de renforcement des entreprises publiques rappellent les stratégies de développement économique de la Chine. Ce phénomène reflète une tendance plus large dans la région où les pays, confrontés aux pressions économiques et sociales internes, se tournent vers des modèles de gouvernance qui semblent offrir stabilité et croissance.
La Chine adapte ainsi soigneusement son approche à chaque pays d’Amérique Latine, tenant compte de l’idéologie et de l’alignement stratégique de ses gouvernements. Par exemple, le Costa Rica entretient des relations principalement commerciales avec la Chine, cherchant à profiter des opportunités économiques sans nécessairement s’engager dans une alliance politique étroite. En revanche, des pays comme le Nicaragua s’alignent avec Pékin sous des bannières anti-impérialistes, utilisant cette relation pour renforcer leur position contre l’influence américaine. Cette flexibilité permet à la Chine de maximiser son influence dans la région, en établissant des partenariats stratégiques adaptés aux besoins et aux ambitions de chaque pays.
La coopération militaire entre la Chine et les pays d’Amérique Latine se développe également, incluant des ventes d’armes, des échanges militaires et des programmes de formation conjoints. Cette dimension de la relation sino-latino-américaine est souvent moins visible mais tout aussi significative, car elle indique une profondeur stratégique dans les engagements bilatéraux. Ces interactions militaires permettent aux pays d’Amérique Latine d’accéder à des technologies et des formations qui diversifient leurs capacités militaires, tout en consolidant la présence chinoise dans une région traditionnellement dominée par l’influence militaire américaine.
L’UE fait donc face à des défis considérables pour maintenir sa compétitivité, notamment dans les marchés des véhicules électriques, de l’extraction du lithium, mais aussi de l’influence politique. Bien que l’UE ait sécurisé l’accès au lithium par le biais d’accords commerciaux, cela pourrait ne pas suffire pour répondre à la demande future de production de batteries en raison de la forte compétition. Les États-Unis et l’UE risquent de perdre des parts de marché et leur compétitivité face à la Chine et éventuellement la Russie (qui a signé un accord pour l’extraction du lithium avec la Bolivie) dans des industries latino-américaines cruciales pour les transitions verte et numérique. En réponse, l’UE doit adapter ses stratégies économiques et diplomatiques pour maintenir et renforcer son influence, en équilibrant ses intérêts économiques avec ses préoccupations stratégiques concernant l’influence croissante de Beijing, notamment en réduisant sa dépendance à l’égard de la Chine dans des secteurs critiques comme la transition énergétique.
Pour l’Union Européenne, cette situation représente à la fois un défi et une opportunité. L’UE peut redéfinir son rôle en Amérique Latine en capitalisant sur son engagement envers une culture similaire et des valeurs partagées, telles que la durabilité environnementale et les droits de l’homme. En renforçant les échanges universitaires, en offrant des bourses d’études et en promouvant des programmes culturels, l’UE peut accroître son soft power et établir des relations durables et influentes. Toutefois, l’UE doit également adopter une approche pragmatique en engageant un large éventail d’acteurs politiques en Amérique Latine, y compris des gouvernements aux tendances idéologiques diverses. Cela permettra d’élargir les opportunités de coopération et de réduire l’influence d’autres puissances mondiales dans la région.
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En conclusion, la redécouverte de l’Amérique Latine par l’Union Européenne représente une étape significative dans l’évolution des relations entre ces deux régions. Malgré des défis historiques et contemporains, l’UE cherche à revitaliser ses liens avec l’Amérique Latine à travers des initiatives stratégiques et des investissements ciblés. Le Global Gateway symbolise cet effort renouvelé, visant à concurrencer l’influence croissante de la Chine et à renforcer les partenariats dans des domaines clés tels que le numérique, l’énergie et la durabilité environnementale.
Pour réussir, l’UE devra naviguer avec prudence, en tenant compte des dynamiques politiques et économiques complexes de la région, ainsi que des attentes d’une relation égalitaire et mutuellement bénéfique. L’engagement de l’UE envers des valeurs partagées et des initiatives de coopération intégrées peut aider à surmonter les obstacles et à créer un partenariat durable avec l’Amérique Latine. En équilibrant les intérêts économiques et les préoccupations stratégiques, l’UE a l’opportunité de se positionner comme un partenaire fiable et responsable, capable de contribuer au développement et à la stabilité de la région tout en consolidant ses propres intérêts géopolitiques.
Par Marie-Solveig MAGNIER, Analyste Océan Indien et Global Gateway
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