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18.05.2024 à 09:29

« En Nouvelle-Calédonie, le destin commun a possiblement été détruit »

« Combien de flics, de soldats, pour tenir Nouméa ? », questionnait Renaud dans sa chanson Triviale poursuite en 1988. La question se repose en 2024, avec l’envoi de l’armée française, décidé par le pouvoir français en réponse à l’insurrection des Kanak, en écho au vote de l’Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie/ Kanaky. … Continued
Texte intégral (2565 mots)

« Combien de flics, de soldats, pour tenir Nouméa ? », questionnait Renaud dans sa chanson Triviale poursuite en 1988. La question se repose en 2024, avec l’envoi de l’armée française, décidé par le pouvoir français en réponse à l’insurrection des Kanak, en écho au vote de l’Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie/ Kanaky. Pour QG, Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie, revient sur les raisons de la colère du peuple kanak, la politique coloniale perpétuée par la France sous la présidence d’Emmanuel Macron, cherchant à faire plaisir aux loyalistes, balayant par là même les propositions faites par les indépendantistes et remettant en cause la paix trouvée à la fin des années 1980, ainsi que le processus de décolonisation pourtant inscrit dans des résolutions de l’ONU. Interview par Jonathan Baudoin

Mathias Chauchat est professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie. Il est notamment le coauteur de: « Le sens du Oui, la sortie de l’Accord de Nouméa » éditions Rakuten Kobo, 2020

QG : Pour quelles raisons la révision du corps électoral en Nouvelle-Calédonie suscite une telle colère chez le mouvement indépendantiste kanak ?

Mathias Chauchat : C’est une longue histoire. La Nouvelle-Calédonie comme l’Algérie est une colonie de peuplement. La tentation de la France a toujours été d’essayer de minoriser le peuple kanak. Parmi les éléments irrationnels de la crise, il y a la crainte de la noyade démographique kanak. Le droit international ouvre le droit de vote, pour la décolonisation, au seul peuple autochtone. Si les Kanak avaient voté, 95% de la population se serait prononcée pour l’indépendance.

Simplement, à partir de 1983, les Kanaks, tenant compte des réalités, avaient accepté ce qu’ils appelaient « les victimes de l’histoire »: les gens qui étaient arrivé par le bagne, le flux de la colonisation qui avait fait souche ici. L’idée était que le droit à l’autodétermination des Kanak ait comme contrepartie la proposition de « faire peuple », de « faire pays » à ces victimes de l’histoire. Cela n’a pas marché. Le Rassemblement n’a pas signé la déclaration de Nainville-les-Roches. Il y a eu les « Événements » et en 1988, les accords de Matignon reprennent largement cette déclaration de 1983. Mais il y a eu entretemps des morts dans une guerre coloniale.

Les accords de Matignon furent conclus à Paris en juin 1988 par une délégation emmenée par le député Jacques Lafleur et une délégation indépendantiste menée par Jean-Marie Tjibaou

L’accord de Nouméa, dix ans plus tard en 1998, est un accord de décolonisation. Ce que préconise l’ONU est qu’un pays qui décolonise arrête le peuplement colonial. Et si on veut conserver la libre circulation, la restriction doit porter sur l’équilibre politique. Le système adopté en 1998 est simple. Les gens présents jusqu’en 1998 peuvent avoir le droit de vote à partir du moment où ils ont 10 ans de résidence. Quelqu’un arrivant en 1997 aura le droit de vote en 2007. Par contre, passé le 8 novembre 1998, date de l’accord de Nouméa, les gens qui arrivent n’ont pas le droit de vote. Il est gelé. On en est toujours là, alors que les référendums se sont éternisés et qu’on est en 2024. Une partie de l’électorat est privée du droit de vote. Mais cela a été voulu.

Les exigences démocratiques ne sont pas les mêmes en France et dans un pays en voie de décolonisation. L’idée universelle « un homme = une voix » ne s’applique pas. La loi du nombre est très relative puisque la décolonisation est tournée vers les « populations intéressées » qu’il faut définir. Le gouvernement français et les loyalistes ont continué à exiger l’ouverture du corps électoral aux immigrants français.

La séquence des référendums s’est tenue et l’indépendance fait 47%. La France a contraint au troisième référendum durant la période du Covid, avec interdiction de se réunir. Il y a eu 96% de « non » et la participation a été de 46%. Cela veut dire que tout un peuple a refusé de participer. Ce référendum est contesté devant l’ONU. Malgré tout, l’État considère que c’est réglé et il s’est engagé dans une politique brutale exigeant l’ouverture du corps électoral. Au bout d’un certain temps, la résilience du peuple kanak a été atteinte. Arrive le moment du vote à l’Assemblée nationale et au Sénat et la cocotte-minute a explosé.

QG: Est-ce qu’un scénario de « quasi guerre civile » comme lors des « Événements » entre loyalistes et indépendantistes au milieu des années 1980 peut ressurgir ?

Attention aux mots ! « Guerre civile » laisse entendre qu’il y a un affrontement entre une population d’un même pays et que l’État s’interpose se portant garant de la paix. Or, ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas encore la guerre. Ça peut le devenir. Mais c’est un conflit colonial entre les Français de Nouvelle-Calédonie, un peuple exogène, et les Kanak, le peuple autochtone. C’est un conflit comme en Algérie.

Pour l’instant, il y a une insurrection kanake. Au début, la branche terrain du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), la CCAT (la Cellule de Coordination des Actions de Terrain), a décidé qu’il y aurait un soulèvement, mais avec des blocages pacifiques, avec l’idée de paralyser l’économie calédonienne. Une grosse différence avec les Événements de 1984, c’est que la cible est Nouméa. Entre 1984 et 1988, Nouméa était préservée et la brousse brûlait. Aujourd’hui, après 35 années de paix, les Kanak se sont installés dans la ville, représentant un quart de la population de l’agglomération. Il y en a dans tous les quartiers. À l’occasion de ce blocage de Nouméa, tous les jeunes des quartiers pauvres de Nouméa, mais aussi de la brousse, sont venus renforcer la CCAT. De manifestations monstres on est passée à l’insurrection. Ils s’en sont pris, en dehors de toute consigne politique, à tous les symboles de richesse dont ils sont exclus. Le nombre de commerces incendiés dans Nouméa est impressionnant.

Des milices citoyennes blanches se sont mises en place. À l’exception des deux gendarmes tués, tous les morts, trois officiellement, sont des Kanak tués par des loyalistes, c’est-à-dire des gens armés. Pour l’instant, les Kanak sont non-armés dans l’ensemble. Même si, avec la peur, les armes commencent à apparaître dans les barrages kanak. Tradition coloniale oblige, les gendarmes sont concentrés exclusivement sur la population autochtone.

QG: Est-ce que l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie/Kanaky par Emmanuel Macron et l’envoi de l’armée annoncé par Gabriel Attal peuvent envenimer les choses ?

L’armée est habituée à combattre contre un peuple ennemi, en l’occurrence le peuple autochtone kanak. L’idée était de faire un peuple calédonien uni entre Kanak et Calédoniens avec comme slogan « un destin commun dans un pays commun ». Aujourd’hui, c’est un retour de 35 ans en arrière. Les loyalistes se considèrent comme Français de Calédonie, comme il y avait les Français d’Algérie, et en face, le peuple Kanak.

Délégation kanak, 2016, photographe Ted Mac Grath

QG: Peut-on penser que sous la présidence de Macron, une logique coloniale s’exprime afin d’avoir le soutien des loyalistes calédoniens, quitte à être en rupture avec l’accord de Nouméa signé en 1998?

Alors que le colonialisme est fondé sur la domination des blancs sur les Kanaks, qui vivent une situation encore dégradée dans l’archipel, le langage des loyalistes calédoniens est un langage d’extrême-droite: « Je fais un combat pour la démocratie. Assez de la discrimination en fonction de ma couleur de peau car en Calédonie il y a un racisme anti-blanc car les blancs n’ont pas le droit de vote ». On est dans l’invention d’un monde. Le destin commun a été détruit parce que le Président de la République, dans ses deux mandats, les a suivis dans une politique sans issue.

Recoller les morceaux est extrêmement difficile parce que la peur s’est installée. Je crains que les quartiers ne se ferment les uns aux autres. Les Kanaks n’oseront plus aller dans les quartiers blancs et les blancs n’oseront plus sortir de Nouméa. Cela a des petits airs d’Afrique du Sud. Je pense que les Kanak ont obtenu, de fait, l’arrêt de la colonie de peuplement. Quel Français oserait venir ici à l’avenir ?

Néanmoins, en brousse, les choses se passent bien. C’est une lueur d’espoir. Les gens ne s’aiment pas mais se tolèrent. C’est impossible de vivre sans les Kanak et encore plus contre eux en brousse.

QG: Est-ce que les référendums d’autodétermination de 2018, 2020 et 2021, marqués par des victoires du « non » et un boycott des partis indépendantistes pour le dernier référendum cité, ont conduit à une impasse politique en Nouvelle-Calédonie/Kanaky ?

Entre le 2ème et le 3ème référendum, les indépendantistes demandent un référendum de projet qui rassemble autour du « partenariat », c’est-à-dire le statut de l’État associé encouragé par l’ONU. Il y aurait « une minute » d’indépendance puis le même jour le transfert de compétences régaliennes à la France, pour qu’elle les exerce au nom de la Calédonie, comme le font les Îles Cook, les Îles Niue avec la Nouvelle-Zélande. Cette solution a été catégoriquement refusée par la France.

Ces trois référendums ont conduit à une impasse politique. Les référendums ont cassé le vivre-ensemble. Il faut dire que la France a pris la tête du camp du « non », alors qu’elle est tenue, par l’ONU, de faire la décolonisation. Le discours de Macron en juillet 2023 à Nouméa, c’est mot pour mot le discours de 1958 de De Gaulle sur la place d’Alger. Aucun Kanak n’était présent lors de son discours à la place des cocotiers. Cela aurait dû lui mettre la puce à l’oreille !

QG: Quelles solutions politiques seraient à adopter pour sortir de cette situation ?

Les indépendantistes du FLNKS veulent l’accès à la pleine souveraineté. Les termes du compromis seraient les suivants : ils veulent que la France s’engage sur une date ferme d’accès à la pleine souveraineté dans un délai raisonnable. Et celle-ci se ferait en interdépendance avec la France. On aurait cette période intermédiaire pour que Calédoniens et Kanak ensemble préparent la convention d’interdépendance. La France consentirait, à ce moment-là, à une interdépendance équivalente au statut qu’ont obtenu les îles anglo-saxonnes du Pacifique Sud. Sans date pour l’interdépendance, ils ne repartiront pas sur un cycle de référendums.

Si une date d’indépendance est fixée, le FLNKS a proposé l’ouverture du corps électoral aux natifs du pays, même sans parents citoyens. Ils veulent bien reconsidérer le droit de vote des gens actuellement installés. Mais il faut comprendre qu’accepter un corps électoral glissant en permanence, c’est légitimer la colonie de peuplement française.

La France n’est légitime en Océanie qu’au travers des peuples qu’elle administre. Si les peuples du Pacifique se révoltent, parce que la France refuse l’évolution du statut politique de ces îles, elle deviendra illégitime dans le Pacifique. Les Australiens, les Néo-Zélandais, les Américains sont réalistes. Si un conflit colonial commence, ceux qui resteront sont les Kanak et les Polynésiens. Ils vont jouer ceux qui vont rester. Et la France perdra de son influence dans le Pacifique.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Mathias Chauchat est professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie. Il est l’auteur de : Le sens du « Oui », la sortie de l’Accord de Nouméa (avec Louise Chauchat, éditions Rakuten Kobo, 2020), Les institutions en Nouvelle-Calédonie (CDPNC, 2011), ou encore : Vers un développement citoyen – Perspectives d’émancipation pour la Nouvelle-Calédonie (Presses universitaires de Grenoble, 2006)

16.05.2024 à 21:20

« MBS: le vrai visage du maître du Golfe » avec Christian Chesnot

Retrouvez notre animatrice Bénédicte Martin en compagnie de Christian Chesnot, grand reporter, coauteur de « MBS confidentiel » avec Georges Malbrunot chez Michel Lafon. Entre férocité proverbiale, paranoïa sécuritaire, luxe hors de toute imagination, et modernisme à marche forcée, qui est vraiment le prince Mohamed Ben Salmane, devant qui tous les puissants se courbent ?
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Retrouvez notre animatrice Bénédicte Martin en compagnie de Christian Chesnot, grand reporter, coauteur de « MBS confidentiel » avec Georges Malbrunot chez Michel Lafon. Entre férocité proverbiale, paranoïa sécuritaire, luxe hors de toute imagination, et modernisme à marche forcée, qui est vraiment le prince Mohamed Ben Salmane, devant qui tous les puissants se courbent ?

16.05.2024 à 19:01

« L’austérité ne réduit pas le poids de la dette publique, bien au contraire »

« Et ça continue, encore et encore ! / C’est que le début, d’accord, d’accord !) ». Des paroles de Cabrel qui ne sont pas sans évoquer la rengaine gouvernementale consistant à masquer son incompétence en matière de gestion des finances françaises, en annonçant des coupes dans la dépense publique. Quand le gouvernement tente de réduire celle-ci, cela n’aboutit … Continued
Texte intégral (2320 mots)

« Et ça continue, encore et encore ! / C’est que le début, d’accord, d’accord !) ». Des paroles de Cabrel qui ne sont pas sans évoquer la rengaine gouvernementale consistant à masquer son incompétence en matière de gestion des finances françaises, en annonçant des coupes dans la dépense publique. Quand le gouvernement tente de réduire celle-ci, cela n’aboutit qu’à réduire les recettes fiscales et sociales, dès lors l’objectif s’éloigne. On joue ce jeu-là depuis plus de 20 ans : qui peut encore croire que cela finira par marcher ? Une politique contre-productive et mensongère, souligne l’économiste Bruno Tinel. Pour QG, il fustige l’austérité infligée à la santé et à l’assurance-chômage, qui ne sont pas les causes du déficit public, pointant plutôt les réformes fiscales épargnant les plus riches et dépouillant la puissance publique de ses recettes. Avec d’autres, Bruno Tinel appelle à une remise en place de la progressivité de l’impôt, en plus d’un renforcement de l’investissement public, permettant de stimuler l’investissement privé et in fine la croissance économique. Interview par Jonathan Baudoin

Bruno Tinel est économiste, professeur d’université à Johannesburg et auteur de « Vive la dépense publique » (avec Liêm Hoang-Ngoc, éditions H&O, 2021)

QG : Quelles sont les causes du déficit public établi à 5,5% du PIB en 2023 selon l’Insee, bien plus important que ce que prévoyait le gouvernement (4,9%) ?

Bruno Tinel : Dans un premier temps, il y a eu un ralentissement de l’inflation plus rapide que prévu. Le gouvernement aurait pu réviser ses plans en cours d’année. Mais il a été pris dans un effet ciseaux avec un ralentissement de l’inflation ayant généré un manque de recettes fiscales, qui ont moins augmenté que si l’inflation s’était maintenue au même rythme qu’auparavant. En plus, du côté des taux d’intérêt, il y a eu une tendance à la hausse, voire à une accélération de cette hausse fin 2023. Cela a un effet direct sur la dépense. Voici les principales explications de ce déficit record.

Néanmoins, le gouvernement avait toutes ces informations, de première main, avant nous tous. Je ne crois pas du tout à la surprise, qui relève plus d’une mise en scène. C’est une opération de com’, sur laquelle les médias devraient s’interroger. Je pense qu’il y a un effet politique derrière cela, afin de jouer, comme trop souvent, sur une forme de catastrophisme, et cela afin d’imposer moins de redistribution, des baisses de dépenses de l’État social. C’est un discours qu’on entend continuellement depuis les années 1990. Le ministre de l’Économie a repris le flambeau de François Fillon, à savoir une volonté de mettre à bas l’État social, d’en finir avec la Sécu notamment. Il euphémise, certes, mais c’est clairement un programme qui revient sur le devant de la scène, alors qu’il a pourtant été désavoué par les Français, dont une partie de l’électorat de droite, si on en juge par le score de M. Fillon. On voit néanmoins la chose resurgir sous la plume de M. Le Maire.

Tableau des ratios des finances publiques montrant un déficit public à 5,5% en 2023. Source : Insee

Je tiens à dire que la question du déficit ne s’explique pas par la dynamique des dépenses en 2023. Il n’y a pas eu d’explosion inconsidérés dans la dynamique de celles-ci. La question de fond qui se pose, c’est celle des tendances. On est dans une situation où, depuis les années 1980, on a un déficit public structurel qui tend à augmenter. On a une dette publique, rapportée au PIB, qui augmente, sans que la qualité des services publics ne s’améliore pour autant, sans que la qualité du système de soins s’améliore. On a bien vu, à travers tous les mouvements sociaux, depuis trois-quatre ans, que les personnes qui oeuvrent dans ces services peinent à travailler correctement. Ils ont notamment été soumis à rude épreuve durant la crise du Covid. On voit plutôt un contrôle de plus en plus étroit des finances publiques depuis 30 ans. Mais en parallèle, il y a eu des baisses d’impôts massives de la part des gouvernements successifs à partir de 1987. Sous le quinquennat Macron, les baisses sont finalement moins importantes, mais c’est tout de même 50 milliards d’euros de recettes en moins en cumulé, par divers biais, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, la baisse de la CVAE [Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, NDLR], la transformation de l’ISF en IFI [Impôt sur la fortune immobilière, NDLR], la mise en place de la flat tax, la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle. Ce qui conduit à une érosion de la capacité de l’État à prélever l’impôt, mais surtout à une érosion de la progressivité fiscale, qui a un impact très clair sur les finances publiques et sur la dynamique macroéconomique. Sur le fond, ce qu’il faut interroger, c’est l’efficacité économique des choix politiques faits par le gouvernement, et la capacité qu’elle induit à créer de la valeur, à amortir les chocs, à répondre aux besoins des Français. Le tableau n’est pas très reluisant. Après un rebond post-Covid, la croissance ne cesse de diminuer. On a un investissement de nouveau en berne. L’investissement privé ne peut pas être dynamique s’il n’y a pas d’investissement public dynamique ! Cela n’existe pas dans l’histoire de l’économie française. Je m’interroge, et je ne suis pas le seul, sur la capacité de l’économie française à faire face, à long terme, à l’ensemble des défis qui sont les siens, avec en supplément la question de la transition énergétique bien sûr.

Le gouvernement a annoncé des coupes budgétaires visant notamment l’assurance-chômage et la santé. Quels en seraient les effets économiques et sociaux ?

On voit le débat extrêmement biaisé idéologiquement parce que les comptes de la santé, comme ceux de l’assurance-chômage, sont des comptes équilibrés par construction. Si vous coupez dans les dépenses, c’est que vous voulez réduire les prélèvements de ces comptes-là. C’est une arnaque intellectuelle ! Je voudrais que les médias s’en saisissent car cela se voit comme le nez au milieu de la figure. Ce n’est pas vrai que la santé et l’assurance-chômage sont la cause du déficit public. Ce sont des dépenses quasiment équilibrées. C’est une orientation idéologique, sûrement pour faire plaisir à ce noyau dur de leur électorat, dont les macronistes sentent qu’il s’effrite. Ce qui est intéressant, c’est de voir les réactions dans la presse française, au sein même de la majorité présidentielle, où une bonne partie n’est pas d’accord sur ce sujet.

Audition du ministre de l’économie Bruno Le Maire par la commission des finances, concernant les coupes budgétaires, à l’Assemblée nationale, le 6 mars 2024

Je pense qu’heureusement, certaines personnes se rendent compte du problème. Cela ne répond absolument pas à la question et c’est grave car le système de santé français est dans une situation de tension, alors qu’il est fondamental pour le bien-être de nos concitoyens. En Afrique du Sud, où je vis actuellement, un tel système n’existe pas. Il y a une inégalité face aux soins qui est monstrueuse et inhumaine. Le système d’assurance santé en France est imparfait ; il doit être amélioré dans un souci d’efficacité. Mais vouloir purement et simplement en réduire la dépense pour raisons bureaucratiques, c’est une insulte à la dignité humaine: une logique de besoin doit prévaloir sur une logique comptable. La solidarité nationale doit être maintenue.

Quant à la question de l’assurance-chômage, j’invite simplement à regarder le nombre de fois où il y a eu des modifications de la législation en la matière au cours des dernières décennies : les droits des chômeurs ont constamment été revus à la baisse ! Est-ce vraiment nécessaire d’en remettre une couche aujourd’hui ?

Dans un contexte marqué par la transition écologique, est-il possible de rendre compatibles réduction du déficit public, réduction de la dette publique et stimulation de l’activité économique ? Si oui, quelles seraient les mesures économiques et budgétaires, les plus pertinentes à mettre en place ?

Même s’il n’y a pas de baguette magique, je pense qu’il est très important de réfléchir aux indicateurs. Par contre, l’obsession du déficit est extrêmement contraignante à court terme. Vouloir réduire le déficit public à tout prix, risque de conduire à une simple hausse du ratio de dette/PIB, car la baisse du déficit a un impact négatif sur l’activité. Il convient de penser les choses à plus long terme. Face à la transition écologique, le gouvernement aurait besoin de mobiliser des ressources qui sont très abondantes sur les marchés financiers. Ces ressources sont mobilisables par la dette ou par la voie de l’impôt. Il serait légitime, et de nombreuses voix se sont élevées en ce sens ces 15 dernières années, pour que les impôts augmentent sur les revenus les plus élevés. Après 30 ans d’érosion, il est plus que temps de restaurer la progressivité fiscale. Ceci redonnerait de la profondeur, en termes de financement, à l’action publique, tout particulièrement pour la transition écologique.

Pancarte affichant la fortune annuelle de Bernard Arnault lors d’une manifestation contre la réforme des retraites à Paris, janvier 2023

Si le gouvernement agissait de la sorte, l’investissement s’en trouverait amélioré, il en résulterait un surcroît de recettes fiscales. Il y aurait un déficit public qui, peut-être, demeurerait élevé, mais réorienté vers l’investissement public, ceci stimulerait la croissance économique. C’est ce que les Américains ont fait depuis l’arrivée de Joe Biden, avec un bilan remarquable. Il ne s’est pas privé de procéder à des dépenses massives d’investissement sur les infrastructures, pour assurer la capacité de long terme de l’économie américaine à croître. Cela a permis aux Américains de limiter les effets inflationnistes auxquels nous avons fait face ces dernières années parce qu’ils étaient moins contraints sur leur offre. La France, l’Europe en général, a choisi de ne rien faire, d’être une fois de plus attentiste, là où les Américains ont remis sur les rails leur économie tout de suite après le Covid. Il faut sortir de la passivité plutôt que de taper sur les chômeurs et le système de santé. Cela génère de la misère sociale et n’améliore pas les comptes publics. On le voit depuis 20 ans.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Bruno Tinel est économiste, professeur à l’université du Witwatersrand, à Johannesburg (Afrique du Sud). Il est l’auteur de : Vive la dépense publique (avec Liêm Hoang-Ngoc, éditions H&O, 2021) ; Dette publique : sortir du catastrophisme (éditions Raisons d’agir, 2016)

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