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17.05.2024 à 10:06

Aadhaar. En Inde, un identifiant numérique omniprésent menace la démocratie

Matheo Malik

En Inde, « la base » agrège tout, note tout, trace tout : « une fois qu’Aadhaar sera devenu un outil d’identification à tout faire, la vie en Inde sera aussi transparente pour l’État qu’une lentille de contact. »

Du ciblage électoral à la suppression des listes, le WeChat indien pourrait faire basculer les élections. Nous publions une enquête sur le potentiel déstabilisateur d'un identifiant numérique au cœur du dispositif Modi.

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Texte intégral (7342 mots)

Jusqu’au 1er juin, la démocratie la plus peuplée au monde est appelée aux urnes. Comment le pouvoir autoritaire de Modi compte-t-il rester en place à la tête d’une puissance qui devient l’une des plus disputées au monde ? Pour suivre ce scrutin et ses implications, nous avons fait appel au spécialiste Christophe Jaffrelot pour nous aider à coordonner une série de publications ce printemps. Pour les suivre, pensez à vous abonner au Grand Continent

Depuis 2009, l’Inde enregistre biométriquement sa population à grands pas. Formellement, le programme est lancé cette année-là par la création de la Unique ID Authority of India (UIDAI), une autorité administrative dirigée par Nandan Nilekani, l’un des fondateurs d’Infosys, une entreprise indienne de conseil en informatique de taille mondiale. L’identifiant numérique est nommé Aadhaar, un mot qui « se traduit par ‘fondement’ ou ‘support’. Le mot est présent dans la plupart des langues de l’Inde et peut donc être utilisé comme une marque à des fins de communication dans l’ensemble du pays. »1 Environ 95  % des 1,53 milliard de personnes que compte la population indienne en 2023, soit 1,36 milliard, auraient depuis été enrôlées alors dans le dispositif, par ailleurs exporté dans de nombreux pays du Sud et frappant à la porte du Nord2.

Cet identifiant numérique est présenté par ses concepteurs comme un signe de modernité  :

Le voyage vient de commencer (…). Aadhaar mobilise les technologies biométriques à des fins de développement, d’inclusion et de lutte contre la pauvreté. Nous devons réussir. Beaucoup espèrent que cet usage de la technologie pour le développement va changer les règles du jeu, en particulier les perspectives d’avenir des plus défavorisés en Inde et, à vrai dire, la nation toute entière.3

Mais cet outil peut surtout s’avérer un danger pour la démocratie. Le rêve peut tourner au cauchemar. Dès les premières années, des militants et des membres de la société civile qui le découvrent avec effarement quand il percute leur domaine de compétence, mettent en garde contre le danger de surveillance que porte en lui ce nouvel outil numérique4. Plus tard, en 2017, l’un d’entre eux écrit encore  :

Le plus grand danger d’Aadhaar est son potentiel de surveillance globale. C’est peut-être beaucoup plus grave que la question de la confidentialité de la base de données. Une fois qu’Aadhaar sera devenu un outil d’identification à tout faire, la vie en Inde sera aussi transparente pour l’État qu’une lentille de contact. Le gouvernement pourra accéder au détail de vos réservations de train, de vos conversations téléphoniques, de vos opérations bancaires, etc. en quelques clics de souris, sans avoir besoin d’invoquer des pouvoirs exceptionnels.5

Dès les premières années, des militants et des membres de la société civile qui découvrent Aadhaar avec effarement quand il percute leur domaine de compétence, mettent en garde contre le danger de surveillance que porte en lui ce nouvel outil numérique.

Nicolas Belorgey

En cette période électorale, il ne semble pas inutile de revenir sur deux dangers qui découlent de cette surveillance de masse : le risque de profilage des électeurs afin d’influencer leur vote, et l’exclusion possible des listes électorales.

Le ministre des transports de Delhi, Kailash Gahlot, inspecte le nouveau centre de commande et de contrôle de la DTC à Kashmere Gate, New Delhi, Inde, le 24 février 2021. © Sonu Mehta/Hindustan Times/Shutterstock

Cambridge Analytica, version indienne

Le profilage des électeurs pour influencer la décision de vote a été rendu célèbre par l’affaire Cambrigde Analytica. 

Réutilisant les données de leurs comptes Facebook afin de construire des profils psychologiques d’électeurs et de les influencer lors du scrutin, la société dirigée par Alexander Nix avait ainsi considérablement pesé en 2016 sur deux élections déterminantes pour l’histoire mondiale  : les présidentielles américaines, qui avaient vu la victoire de Donald Trump, et le référendum sur le Brexit6

La firme londonienne n’en était à vrai dire pas à son coup d’essai, puisqu’elle avait déjà fait de même avec nombre d’élections dans les pays du Sud. Mais, dans ce contexte, confiait son CEO, l’opération avait été « difficile » car « la recherche devait se faire par le porte-à-porte »7. En effet, la proportion d’internautes y est nettement plus réduite. Au contraire, dans les pays du Nord, la présence d’identifiants numériques indexés sur quantités de données personnelles, typiquement les comptes Facebook, rendait l’opération beaucoup plus facile. Ce que permet l’identifiant indien, c’est précisément de remédier à ce manque d’identification numérique des personnes dans le Sud et notamment en Inde —  et donc d’y faciliter les opérations de type Cambridge Analytica.

Dans la description saisissante qu’il fait des méthodes électorales du Congrès et du BJP, Shivam Shankar Singh, un consultant politique qui a travaillé pour ces partis et qui est donc bien placé pour en parler, montre comment les mêmes méthodes ont été couramment utilisées en Inde dans les années suivantes8. Différentes bases de données, Facebook, Whatsapp et des enquêtes de terrain l’ont aidé à profiler les électeurs et à leur envoyer des messages ciblés, par exemple lors des élections de 2018 au Tripura. Dans cet État, le BJP a ciblé les nombreux jeunes qui n’avaient pas la mémoire de la paix ramenée depuis 2004 par le parti communiste alors au pouvoir et souffraient par ailleurs du chômage. Alors que la gestion communiste portait globalement un bilan sans tâche, il a monté en épingle un scandale isolé, diffusé aux tribus un message d’alliance avec elles — qu’il a dissimulé aux groupes hostiles à ces tribus — et, enfin, promis aux nombreux fonctionnaires des hausses de salaires — que les finances de l’État ne pouvaient en fait pas autoriser. Le BJP a remporté ces élections haut la main.

Les méthodes de type Cambridge Analytica ont été couramment utilisées en Inde dans les années suivantes.

Nicolas Belorgey

Par rapport à ces pratiques, le profilage permis par l’identifiant numérique ajoute une nouvelle couche d’information, ce qui facilite le travail. Ce profilage est développé particulièrement grâce aux bases de données des États fédérés (State Resident Data Hubs, SRDH)9. En effet, pour enregistrer les personnes, l’UIDAI a recours notamment à eux — ce sont officiellement des « recenseurs » ou registrars et ils peuvent ainsi au passage conserver une copie des données qu’ils envoient à l’agence centrale. Ainsi en possession du numéro Aadhaar des personnes, d’un embryon de leur d’état-civil et parfois de leurs informations biométriques — une photo, les dix empreintes digitales, des scans des rétines —, les États recenseurs peuvent en plus ajouter dans leurs bases toutes les informations qui leur semblent pertinentes, selon le principe dit du « KYR+ »10. Le Gujarat sous Narendra Modi11, ainsi que l’Andhra Pradesh — un État en pointe dans la numérisation du pays — sont parmi ceux qui font le plus usage et développent le plus cette fonctionnalité, afin d’obtenir une meilleure vision de leurs populations (cf. par exemple sur l’illustration ci-dessous les différentes sources de données avec lesquelles l’Andhra Pradesh envisage d’alimenter son SRDH). 

Ces entrepôts introduisent par ailleurs une fragilité dans la protection des données personnelles. En effet, si le profilage électoral n’est pas mené officiellement et si les SRDH sont généralement protégés des attaques extérieures, de telles opérations peuvent être menées officieusement, rendant le système très poreux aux d’attaques intérieures — par exemple par des sous-traitants — ainsi que le rappellent des spécialistes en sécurité informatique12.

Après sa création en 2014 à partir de la partie Nord-Ouest de l’Andhra Pradesh, le nouvel État du Telangana développe lui aussi des pratiques de profilage intrusives. 

Peut-être conscientes des limites d’Aadhaar pour identifier biométriquement les personnes, les autorités du Telangana mobilisent une autre technique — la reconnaissance faciale.

Nicolas Belorgey

Juste après la création de l’État, il décrète un jour de vacances générales le 19 août 2014 pendant lequel les citoyens doivent rester chez eux avec leurs documents d’identité afin de recevoir la visite des agents recenseurs, sous peine de sanctions. En 2016 et 2017, le Telangana lance une nouvelle base de données pour laquelle, peut-être conscientes des limites d’Aadhaar pour identifier biométriquement les personnes, les autorités mobilisent une autre technique — la reconnaissance faciale. La base agrège pour chaque personne ses informations d’état-civil, celles relatives aux biens qu’elle possède, à ses consommations d’énergie, à ses prestations sociales, à son éducation, à ses crimes et délits, ainsi qu’à ses relations familiales et à ses « autres associés connus »13.

Le ministre des transports de Delhi, Kailash Gahlot, inspecte le nouveau centre de commande et de contrôle de la DTC à Kashmere Gate, New Delhi, Inde, le 24 février 2021. © Sonu Mehta/Hindustan Times/Shutterstock

Des bases plus intrusives, directement gérées par la police

Le gouvernement du Telangana développe ainsi une base de données encore plus intrusive pour sa police. Il commence par la ville d’Hyderabad — qui demeure la capitale partagée entre les deux États, l’Andhra Pradesh et le Telangana nouvellement créé, pendant une période de transition — avec HydCOP, une application cumulant  l’identifiant numérique, des bases de données de la police et des données supplémentaires recueillies par celle-ci lors d’opérations de porte-à-porte, telles que les « empreintes digitales, numéros Aadhaar, numéros de téléphone, comptes sur les réseaux sociaux, carte électorale, passeport, ainsi que le nombre et les noms des membres de leur famille, de leurs associés, avocats, courtiers et concubines, le cas échéant »14. Les coordonnées GPS de la maison sont aussi enregistrées à cette occasion.

Officiellement, il s’agit d’établir les profils des criminels et de nourrir les dossiers judiciaires des affaires en cours. En pratique, on ne sait pas si les investigations ne touchent que ce type de personnes ou sont étendues à d’autres par une police peu soucieuse des limites de son action. HydCOP est ensuite étendu à l’ensemble de l’État sous le nom de TSCOP. Si la base légale de la démarche est initialement réduite, une loi nationale de 2022 autorise la police à prélever et à conserver pendant 75 ans les données biométriques — empreintes digitales, scans de rétine, et potentiellement les photos, prélèvements sanguins et ADN — des personnes simplement arrêtées, même si aucune charge n’est ensuite retenue contre elles15. Un flou juridique demeure quant à la possibilité d’enregistrer et de conserver d’autres types de données.

Une loi nationale de 2022 autorise la police à prélever et à conserver pendant 75 ans les données biométriques des personnes simplement arrêtées, même si aucune charge n’est ensuite retenue contre elles.

Nicolas Belorgey

En-dehors des SRDHs, le profilage peut aussi être fait à partir des données engendrées par chaque authentification faite avec l’identifiant numérique — « journaux » ou authentication logs dans le jargon informatique. Ces données contiennent en particulier l’identifiant de la personne, l’entité qui a réalisé l’opération, le but de celle-ci et sa localisation géographique. Compilées et regroupées, toutes ces données donnent une vision exceptionnelle de la vie d’une personne. C’est peut-être cette fonctionnalité qu’avait en tête en 2009 Ajit Doval, ancien directeur de la Sécurité Intérieure (Intelligence Bureau) et futur Conseiller National pour la Sécurité (National Security Advisor) à partir de l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014, quand il se réjouissait en ces termes :

L’identifiant numérique a pour but de se débarrasser des personnes indésirables (…). Avec lui, les personnes peuvent être localisées n’importe où, parce que toutes les bases seront connectées.16

De son côté, l’UIDAI a toujours nié conserver les journaux d’authentification. Cette affirmation est cependant difficile à vérifier. De leur côté, les entités qui réalisent ces opérations un peu partout dans le pays sont nettement plus difficiles à contrôler ne serait-ce qu’en raison de leur nombre. Peu de choses en pratique les empêchent de conserver ces journaux contenant l’identifiant numérique, ou de les communiquer17.

Ces journaux peuvent aussi être utilisés par les ministères centraux, qui ont également commencé à développer leurs propres bases. Trois d’entre eux sont particulièrement actifs à ce sujet  : le ministère de l’Intérieur, celui des Finances, enfin le ministère du Développement Rural (Ministry of Rural Development, MoRD). Ce dernier est particulièrement intéressant car il réalise le recensement économique et social (Socio-Economic Caste Census, SECC), une opération à l’origine anonymisée, qu’il transforme progressivement à partir de 2015 et avec l’aide de la Banque Mondiale et de l’UIDAI en une base de données nominative, pouvant être mise à jour « en temps réel » grâce aux journaux d’authentification18. Cette action devient particulièrement utile pour les partisans de l’identifiant après que la Cour Suprême (CS) en 2018 a limité l’usage de celui-ci essentiellement aux programmes sociaux. En effet, au moment où d’autres bases de données deviennent alors potentiellement inconstitutionnelles, le SECC, qui est indispensable aux programme sociaux, est protégé contre ce risque. Mais son spectre s’étend bien au-delà de son périmètre initial. En effet, si ces programmes sont « ciblés » sur les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté, ce critère est toujours difficile à déterminer et fait l’objet d’une analyse au cas par cas. Pour pouvoir appliquer ce critère, les programmes ont donc vocation à s’intéresser en amont, au titre de la détermination préalable de leurs bénéficiaires, à l’ensemble de la population — qui se retrouve ainsi toujours légitimement incluse dans la base.

De manière analogue aux acteurs publics, les acteurs privés construisent probablement leurs propres bases de données, alimentées de toutes les informations qu’ils peuvent réunir sur leurs clients directement ou en les achetant à l’extérieur.

Au total, l’identifiant numérique permet la construction de nombreuses bases, publiques comme privées, contenant une myriade d’informations personnelles et potentiellement utilisables pour le profilage des personnes à des fins électorales.

L’identifiant numérique permet la construction de nombreuses bases, publiques comme privées, contenant une myriade d’informations personnelles et potentiellement utilisables pour le profilage des personnes à des fins électorales.

Nicolas Belorgey

Les données personnelles de 78 millions d’électeurs accessibles par une application

L’Andhra Pradesh fournit à nouveau un exemple typique de l’utilisation politique de ces bases19. Dans le cadre de la préparation des élections de 2019, le YSR Congress, un des principaux partis d’opposition, accuse le gouvernement de cet État alors dirigé par son rival le Telugu Desam Party (TDP), d’utiliser les données de ses politiques sociales pour faire du profilage et cibler ainsi certains électeurs. Une enquête subséquente montre que les données personnelles de 78 millions de personnes, ressortissants d’Andhra Pradesh et du Telangana, se trouvent hébergées sur un serveur en ligne d’Amazon. Ces données sont gérées par une firme privée, ITGrids, qui a aussi créé une application — disponible sur Google Play — pour le TDP. Son nom : Seva Mitra. Seva Mitra interagit avec cette base de données. Elle permet d’afficher un embryon d’état-civil des personnes ainsi que leurs photographie, numéro de téléphone, situation familiale, caste, revenu tiré des politiques de l’État, etc., et leur préférences électorales. L’application est conçue comme un outil pour les militants de terrain du parti, qui peuvent ainsi mieux comprendre le comportement électoral des citoyens de leur circonscription et enrichir en retour la base de données à partir des informations qu’eux-mêmes glanent lors de leurs tournées. Cet ensemble permet donc bien de faire du profilage électoral. La base est structurée en grande partie comme le SRDH de l’État de l’AP, ce qui suggère que le gros de ses données provient de cette source. Ainsi les outils numériques développés par le gouvernement de l’État apparaissent-ils faciliter non seulement ses politiques économiques et sociales, mais aussi sa propre réélection.

Des partisans de la Grande Alliance (Mahagathbandhan) surveillent les images de vidéosurveillance diffusées dans une salle forte du collège A.N. avant les résultats des élections de l’assemblée, le 8 novembre 2020 à Patna, en Inde. © Santosh Kumar/Hindustan Times/Shutterstock

Au niveau national, une loi de protection des données personnelles a finalement été promulguée en 2023 — soit 14 ans après la création de l’UIDAI, c’est-à-dire le temps d’enregistrer l’essentiel de la population. Par comparaison en France un projet analogue, SAFARI, avait en 1974 suscité des protestations si importantes qu’il avait immédiatement été arrêté et remplacé par la création de la CNIL. Mais cette loi est si peu consistante et truffée d’exceptions qu’elle semble davantage destinée à rassurer les populations et les partenaires commerciaux sur l’existence d’un tel cadre légal qu’à limiter la prolifération des dossiers numériques.

Au niveau national, une loi de protection des données personnelles a finalement été promulguée en 2023 — soit 14 ans après la création de l’UIDAI, c’est-à-dire le temps d’enregistrer l’essentiel de la population.

Nicolas Belorgey

#WhereIsMyVote  : au Telangana, une joueuse de badminton et 2,2 millions de votes envolés

Au-delà du profilage des électeurs, le deuxième danger induit par l’identifiant est encore plus fort puisqu’il s’agit de l’exclusion pure et simple des listes électorales. 

Il se manifeste déjà — notamment au Telangana lors des élections de 201820. Sur les 28 millions d’électeurs que comptait cet État en 2015, 2,2 ne peuvent alors exercer leur droit de vote. Le phénomène acquiert une certaine notoriété car parmi eux se trouve la star de badminton Jwala Gutta, qui proteste sur Twitter sous le hashtag #WhereIsMyVote. 

Cette disparition des électeurs a partie liée avec l’identifiant numérique.

En 2014, le Telangana et l’Andhra Pradesh sont choisis par la Commission Électorale pour tester l’indexation des listes électorales — comme d’habitude, au motif d’éliminer les « faux » et « doublons ». Utilisant « un logiciel » sur lequel elle ne donne pas davantage d’informations mais qui ressemble furieusement à celui aimablement mis à disposition par l’UIDAI pour la dissémination de l’identifiant, la Commission supprime environ 3 millions de citoyens des listes électorales du Telangana. De 2015 à 2018, les listes électorales de l’Andhra Pradesh perdent aussi 2,1 millions de personnes, alors même que la population Indienne est en pleine croissance. De plus, alors que ces suppressions n’ont normalement lieu qu’après un processus où les intéressés peuvent réclamer leur droit, celui-ci est considérablement réduit en raison d’une soudaine dissolution, et de la réélection concomitante, de l’Assemblée du Telangana.

De 2015 à 2018, les listes électorales de l’Andhra Pradesh perdent 2,1 millions de personnes, alors même que la population Indienne est en pleine croissance.

Nicolas Belorgey

Le danger d’exclusion des listes électorales apparaît ensuite au niveau national. En réponse à une ordonnance de la CS de 2015 rappelant que l’identifiant ne saurait être obligatoire, la Commission électorale indique officiellement qu’il ne serait pas demandé aux électeurs. Mais, en pratique, les officiers d’état-civil refusent d’inscrire les personnes qui n’ont pas Aadhaar — à moins qu’elles ne fassent à leur tour une réclamation à la CS, une démarche assez rare dans les faits21. Ces refus s’inscrivent dans le cadre de la politique générale de dissémination de l’identifiant dans le pays, qui consiste à le rendre obligatoire pour de plus en plus de choses, y compris l’inscription sur les listes électorales. Aussi les personnes qui ne se sont pas enregistrées numériquement, ou dont les informations d’état-civil sur leur carte électorale diffèrent trop de celles de la base de l’UIDAI — par exemple du fait d’erreurs d’enregistrement — courent-elles le risque de se voir rayés des listes. De nombreuses personnes ont ainsi pu être exclues dans d’autres États, mais sans le bruit médiatique fait par la championne de badminton Jwala Gutta autour de son cas, de sorte que leur situation a pu être interprétée publiquement voire par elles-mêmes comme une succession de cas isolés résultant d’une incapacité personnelle ou de problèmes techniques ponctuels — en d’autres termes, ces cas n’ont pas été politisés.

En dépit des dégâts observés au Telangana, la Commission électorale poursuit sa politique, notamment après que le gouvernement y a nommé de nouveaux membres. 

À partir de 2020, elle prend de nouvelles dispositions pour relier l’identifiant numérique aux cartes électorales fraîchement émises comme aux anciennes22. En 2021, le gouvernement fait même amender les lois électorales de 1950 et 1951 pour faire de ce lien une règle, en dépit d’interrogations persistantes sur sa conformité à la grande décision de la Cour suprême sur Aadhaar en 201823. En pratique, comme pour d’autres dispositifs publics, nombre de personnes acceptent de faire le lien entre les deux par peur d’être effacées des listes — de celle des bénéficiaires des politiques sociales d’abord, puis des listes électorales. Officiellement inexistante du fait de l’interdiction énoncée par la Cour suprême, cette pratique demeure en effet mise en œuvre par les fonctionnaires de terrain afin d’obliger la population à s’enrôler dans Aadhaar.

Les suppressions de citoyens des listes électorales au Telangana – et probablement dans d’autres États – peuvent très bien avoir résulté de simples dysfonctionnements de l’opération d’indexation (seeding) des listes électorales sur l’identifiant numérique. Mais l’existence simultanée d’un profilage des électeurs et les conflits entre partis politiques à ce sujet font lourdement planer un soupçon supplémentaire sur ces suppressions.

L’existence de bases de données incluant les préférences politiques des électeurs rend même techniquement possible une exclusion automatisée des électeurs adverses par le ou les partis ayant accès à la fois à ces bases et à un processus de « nettoyage » (cleaning) des listes électorales comme celui lancé par la Commission électorale dès 2015 — interrompu la même année par la décision de la Cour suprême — et repris en 2020. Le même résultat peut aussi être atteint manuellement, quand la réconciliation entre l’identifiant numérique et l’identifiant électoral doit être faite par des enquêteurs en chair et en os, qui peuvent, eux aussi, obéir à des motivations politiques. Quel que soit le moyen d’y parvenir, cela aurait bien sûr pour conséquence de fausser le résultat des élections.

L’existence de bases de données incluant les préférences politiques des électeurs rend techniquement possible une exclusion automatisée des électeurs adverses par le ou les partis ayant accès à la fois à ces bases et à un processus de « nettoyage » (cleaning) des listes électorales.

Nicolas Belorgey

Aux États-Unis, dans les années 2000, les Républicains promulguèrent des lois électorales qui requéraient la présentation de certaines pièces d’identité plutôt que d’autres au moment du vote (voter ID laws), avec pour objectif de rendre celui-ci plus difficile pour les pauvres ou les membres des minorités et ainsi d’orienter l’opération électorale en faveur du GOP24. En Inde, l’exclusion de certains électeurs par défaut d’identifiant numérique ou d’indexation correcte des listes électorales sur celui-ci, ou encore par l’action ciblée d’agents de terrain agissant sur des motifs politiques, pourrait aboutir au même type de résultat.

L’identifiant numérique dessine donc une menace en deux temps sur la démocratie indienne  : tout d’abord, profiler les électeurs qui peuvent l’être — selon le modèle de Cambridge Analytica — en remplaçant les comptes Facebook dans ce pays du Sud où peu de gens en ont par des dossiers numériques construits à partir de leur inclusion dans les politiques sociales, de leurs échanges téléphoniques, etc.  ; ensuite, pour les électeurs qui ne peuvent être influencés, les exclure purement et simplement des listes électorales sous couvert de nettoyage des listes, d’élimination des « faux électeurs » ou des « doublons ». Au-delà, d’autres menaces se profilent encore, comme l’exclusion de la citoyenneté à travers la constitution d’un National Register of Citizens indexé lui aussi sur l’identifiant numérique et comportant le même type de biais.

Bien sûr, il ne s’agit là que d’un scénario pessimiste par rapport à l’éventail des possibles. Le simple fait que la presse se fasse le relais de telles informations et qu’elles suscitent l’indignation montre que la démocratie indienne n’a pas dit son dernier mot.

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17.05.2024 à 06:30

La tournée européenne de Taylor Swift : témoignage du déclassement de l’Europe ?

Ramona Bloj

Aujourd’hui, la pop star américaine se produit pour la première fois de sa carrière à Stockholm, en Suède. Lors de ses concerts à Paris, environ 20 % du public venait des États-Unis. Pourquoi ? Il revient désormais moins cher pour un Américain de faire l’aller-retour en avion tout en profitant du Vieux Continent plutôt que de payer pour voir l’artiste outre-Atlantique.

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Texte intégral (822 mots)

L’Eras Tour — la série de 152 concerts où Taylor Swift se produira entre mars 2023 et décembre 2024 — créé un raz-de-marée économique partout où il passe. L’engouement pour l’artiste américaine est tel que le prix moyen d’un billet pour aller la voir en concert aux États-Unis est trois fois supérieur à la deuxième artiste la plus demandée du pays, Beyoncé.

  • L’an dernier, il fallait débourser en moyenne 1 088,56 $ pour espérer avoir la chance d’écouter Taylor Swift en live — soit trois fois plus que pour un concert de Beyoncé, Coldplay ou Bruce Springsteen.
  • Seule la chanteuse britannique Adèle est encore plus chère à voir en concert, avec un ticket à 1 243,96 $ en moyenne. Celle-ci s’est néanmoins moins produite que Taylor Swift l’an dernier, avec 57 concerts contre 661.

Après une première phase américaine de sa tournée, Taylor Swift a commencé l’année 2024 en se produisant au Japon et en France la semaine dernière, avant de retourner aux États-Unis en octobre. Avec un peu plus de 60 dates, l’Eras Tour a rapporté un milliard de dollars de profits l’an dernier, soit la tournée la plus lucrative de l’histoire — détrônant par ailleurs le Farewell Yellow Brick Road d’Elton John, qui avait duré près de 5 ans2.

  • Au-delà de l’engouement suscité à l’échelle globale par la chanteuse, ce record s’explique par le prix auquel les tickets ont été vendus aux États-Unis : 2 600 $ en moyenne pour un concert, contre 340 $ en Europe — soit 87 % moins cher, grâce en partie à un environnement réglementaire beaucoup plus développé3.
  • À Paris, lors des quatre concerts qui ont chacun rassemblé environ 42 000 personnes la semaine dernière, 20 % du public venait d’Amérique (principalement des États-Unis) selon l’exploitant de la salle de concert4.
  • Au total, environ 33 600 Américains se sont déplacés pour venir écouter Taylor Swift à Paris plutôt qu’aux États-Unis. Pour cause, selon Google Flight, le prix moyen d’un billet d’avion Paris-New York se situe entre 400 et 1 000 € (en s’y prenant à la dernière minute).


Toutes dépenses comprises, il revient en moyenne moins cher pour un Américain de prendre l’avion, réserver plusieurs nuits d’hôtel et prendre quelques jours de vacances dans une capitale européenne plutôt que d’aller voir Taylor Swift en concert aux États-Unis. Selon l’agence de voyage américaine Embark Beyond, les concerts de l’artiste ont attiré à Paris 5 fois plus de touristes fortunés que les Jeux Olympiques5.

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16.05.2024 à 18:15

Sur les réseaux sociaux, des acteurs chinois arsenalisent la relation sino-russe

Marin Saillofest

Depuis plusieurs mois, des fausses vidéos montrant des jeunes femmes russes souhaitant épouser des hommes chinois se répandent sur les réseaux sociaux chinois. Ces contenus générés par l’intelligence artificielle s’inscrivent dans le cadre d’une pratique préexistante visant à vanter les mérites du modèle porté par Pékin.

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Texte intégral (941 mots)

Aujourd’hui, Vladimir Poutine est en Chine pour sa première visite à l’étranger depuis sa quatrième réélection. À Pékin puis à Harbin, les deux chefs d’État vont célébrer « la longue et forte tradition d’amitié et de coopération » que Xi et Poutine ainsi que « leur peuple » entretiennent1.

À bien des égards, le développement de la relation sino-russe est perçu positivement en Russie.

  • Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, le taux d’approbation du leadership chinois par la population russe a presque triplé, passant de 25 à 71 %.
  • De la même manière, 85 % des Russes ont une bonne opinion de la Chine contre 55 % fin 2013, selon le Levada Center.

Au-delà du rapprochement apparent entre les deux pays, la dynamique s’est inversée par rapport au XXe siècle : la Chine qui, autrefois, dépendait des financements et de l’aide soviétique durant la guerre froide, occupe désormais une position de force vis-à-vis d’une Russie fragilisée et isolée depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Cette nouvelle donne semble être en partie à l’origine d’une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux chinois.

Depuis quelques mois, des vidéos ont émergé sur Douyin, l’équivalent de TikTok, et Xiaohongshu notamment, montrant des jeunes femmes disant être Russes et vouloir épouser des hommes chinois — décrivant les hommes russes comme soulards et paresseux.

  • Toutes ces vidéos sont des deep fake réalisés à l’aide d’intelligences artificielles. Si les auteurs sont inconnus, il est probable que derrière ces comptes se cachent des nationalistes chinois souhaitant vanter l’attrait que représente la Chine aux yeux des étrangers2.
  • Plus perturbant encore, une des (vraies) femmes dont le visage à servi pour ces deep fake est une Ukrainienne de 21 ans étudiant aux États-Unis. Dans les vidéos, celle-ci se présente en mandarin comme une jeune Russe résidant en Chine depuis 10 ans.
  • On peut notamment la voir (ci-dessous) faire l’éloge de la relation sino-russe et présenter à une audience chinoise les avantages liés au fait d’épouser une femme russe (bonne ménagère et cuisinière notamment).
Capture d’écran de la vidéo publiée sur la chaîne YouTube d’Olga Loiek.

Bien qu’appliquée ici à la relation sino-russe, l’utilisation de visages de personnes réelles pour diffuser des messages vantant la liberté et les bienfaits de la vie en Chine — notamment en opposition à la vie aux États-Unis3 — n’est pas une pratique nouvelle.

Dans son rapport publié en avril, la branche d’experts en sécurité de Microsoft décrivait un perfectionnement des techniques utilisées par des acteurs chinois visant à « attiser les divisions au sein des États-Unis et exacerber les dissensions dans la région Asie-Pacifique, notamment à Taïwan, au Japon et en Corée du Sud » via des contenus générés ou modifiés par l’IA4.

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16.05.2024 à 15:41

Les « vrais » Pays-Bas contre l’islam et la « racaille » : la carrière politique de Geert Wilders en 10 points

Matheo Malik

Vainqueur des dernières élections, Geert Wilders vient d’annoncer un accord sur un gouvernement technique extra-parlementaire dont il ne sera pas Premier ministre. Mais comme leader du PVV, il aura une influence décisive sur le destin des Pays-Bas. Qui est-il ? Quel est son parcours ? Peut-il changer le pays de l’intérieur ? À partir de ses déclarations et de ses positionnements politiques, nous brossons un portrait en 10 points clefs.

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Lorsque son propre parti a remporté les élections législatives néerlandaises du 22 novembre dernier avec un nombre impressionnant de 37 sièges sur 150, même Geert Wilders a été surpris. Dans son discours de victoire, il s’est empressé de déclarer que plus personne ne pouvait ignorer son Partij voor de Vrijheid (PVV). Dans le message1 adressé à ses électeurs, le mot « espoir » résonne : « Les Néerlandais n’en peuvent plus et leur vote pour le PVV reflète l’espoir que ce parti fera les choses différemment. » Selon Wilders, les gens « veulent retrouver leur pays », ils veulent plus d’argent à dépenser, plus de sécurité et de meilleurs soins de santé. Par-dessus tout, l’immigration, ou selon ses termes, le « tsunami de réfugiés », doit cesser, afin que « les Pays-Bas soient à nouveau pour les Néerlandais ».

Geert Wilders est le chef du PVV depuis 2006, un parti généralement qualifié de populiste d’extrême droite, marqué par une forte rhétorique anti-islam et anti-Union. Ses idées ont souvent pu être comparées à celles d’autres leaders populistes comme Marine Le Pen, Giorgia Meloni ou Donald Trump. Dans son programme électoral pour les élections de 2023, visant à « rendre aux Néerlandais leur grandeur », Wilders propose de protéger la culture néerlandaise aux dépens des « Autres » — immigrés et musulmans. Il accuse les réfugiés et les immigrés d’être responsables des problèmes persistants du marché du logement, du système de santé, de l’État-providence et de l’éducation publique — raison pour laquelle il souhaite une interdiction totale des demandeurs d’asile.

Selon Wilders, les gens « veulent retrouver leur pays », ils veulent plus d’argent à dépenser, plus de sécurité et de meilleurs soins de santé. Par-dessus tout, le « tsunami de réfugiés » doit cesser, afin que « les Pays-Bas soient à nouveau pour les Néerlandais ».

Judith Jansma

Il affirme que la culture néerlandaise devrait être célébrée — y compris dans ses traditions racistes comme le « Zwart Piet » — et que les récentes excuses sur le passé colonial néerlandais devraient être retirées. La version de Wilders de la culture néerlandaise célèbre les valeurs traditionnelles et rejette ouvertement le progressisme et le cosmopolitisme.  Un bon exemple en est son « tweet boulettes »2 de 2021, qui a été beaucoup commenté. Il s’agit d’une publication Twitter dans laquelle il avait partagé une image de boulettes de viande hollandaises traditionnelles fraîchement cuites avec la légende suivante : « Couscous, pas question. Vive la boulette de viande ! » S’il peut paraître banal, ce tweet résume la stratégie et le positionnement politique de Wilders : il joue sur des clichés anti-élites en mettant en avant un repas soit disant typique de la classe ouvrière et en protestant silencieusement contre le mode de vie des élites urbaines qualifiées par lui de « woke », éduquées et adeptes du véganisme. En même temps, sa préférence pour les boulettes de viande traditionnelles par rapport au couscous « étranger » fait écho à l’idée que la culture néerlandaise serait tout simplement meilleure que les cultures étrangères. Si on ne sait pas, en l’occurrence, si ces boulettes de viande sont à base de bœuf ou de porc — les deux sont possibles dans la cuisine néerlandaise — il n’est pas impossible que le tweet joue également sur une dimension religieuse, mettant à l’écart de manière implicite les musulmans et les juifs. Ce simple tweet aurait pour fonction de révéler un fossé culturel entre une « vraie » culture néerlandaise et une culture « étrangère » qui menacerait la première. On retrouve un clivage culturel similaire dans les débats sur le racisme institutionnel, les droits des LGBTQI+, l’égalité des sexes, le passé colonial, l’écologie et l’agriculture — notamment lorsque le PVV est rejoint par d’autres forces d’extrême-droite et conservatrices3

Dans la vision de Wilders, l’islam est considéré comme incompatible avec la culture néerlandaise. C’est la raison pour laquelle il veut interdire l’éducation islamique, le Coran, les mosquées et le port du foulard dans les institutions publiques, y compris le parlement. Au-delà de « l’Autre », étranger, Wilders s’oppose également aux « politiques idéologiques libérales de gauche » : il propose à ce titre l’arrêt des subventions dans le domaine des arts et de la culture, ainsi que pour l’ensemble de la société de radiodiffusion publique. Dans son discours, la crise climatique est banalisée, et les fonds destinés à l’énergie durable et à la transition climatique sont censés être mieux dépensés pour le bien-être des citoyens néerlandais. Enfin,  Wilders entend mettre un terme au « gaspillage de milliards d’euros » au profit d’États étrangers, notamment en promettant — jusqu’à ce que cette mention soit récemment retirée de son programme — d’organiser un référendum contraignant sur un « Nexit » et en réduisant l’aide au développement ainsi que le soutien militaire à l’Ukraine. En bref, son programme va à l’encontre d’éléments cruciaux de la constitution néerlandaise  — notamment le principe d’égalité, la liberté de religion, la liberté de la presse — ainsi que d’accords internationaux — comme la Convention européenne des droits de l’homme ou l’Accord de Paris sur le climat — et met en avant une image nostalgique mais irréaliste, des Pays-Bas et de son peuple prétendument honnête et travailleur.

Dans la vision de Wilders, l’islam est considéré comme incompatible avec la culture néerlandaise.

Judith Jansma

Ce message n’est pas très différent des campagnes électorales précédentes du PVV. Comment le parti a-t-il donc pu soudainement devenir beaucoup plus populaire ? La réponse généralement donnée est que Wilders se serait présenté comme une alternative raisonnable aux partis traditionnels — une version plus modérée de lui-même. Mais est-ce vraiment le cas ? Pour répondre à cette question, nous analysons la carrière politique de Geert Wilders en dix moments clefs, qui permettent de mettre en lumière son évolution en tant qu’homme politique et le développement de ses idées, en passant par sa victoire électorale en novembre 2023 jusqu’à la déclaration d’un accord sur un prochain gouvernement — où il ne sera pas Premier ministre mais continuera à exercer une influence déterminante.

1 — L’entrée de Wilders dans la politique nationale : « rien contre l’islam »

Wilders est un visage familier à La Haye : il est député depuis 25 ans. Élu en 1998 en tant que membre du parti de droite libérale VVD, il émerge politiquement dans une période qui a vu la montée de l’homme politique d’extrême droite Pim Fortuyn et de son parti Lijst Pim Fortuyn (LPF), devenu populaire grâce à sa rhétorique anti-immigration et anti-islam. Interrogé sur son collègue, Wilders déclarait lors d’un entretien télévisé4 en 2001 qu’il n’avait « rien contre l’islam » et qu’il considérait que les déclarations de Fortuyn étaient trop généralistes. Il ajoutait alors qu’il n’y avait rien à reprocher à l’islam en tant que religion, ni à ses adeptes, mais soulignait le danger de l’extrémisme islamique. Au lendemain du 11 septembre, ce point de vue n’avait rien d’extraordinaire.

Wilders déclarait lors d’un entretien télévisé en 2001 qu’il n’avait « rien contre l’islam ».

Judith Jansma

En 2002, l’écrivaine Ayaan Hirsi Ali, d’origine somalienne, rejoint le VVD. Elle et Wilders deviennent d’étroits collaborateurs. Hirsi Ali est connue pour sa collaboration avec le cinéaste Theo van Gogh, avec qui elle a produit le court-métrage controversé Submission part I. L’attitude de Wilders à l’égard de l’islam change au cours de ces années ; dans un article5 paru dans le quotidien Het Parool en 2004, il affirme que l’islam est intrinsèquement antidémocratique et qu’il constitue donc un danger pour la société néerlandaise. Cette ligne de pensée s’inscrit dans la logique du « choc des civilisations » huntingtonien, selon laquelle le monde musulman serait en fin de compte irréconciliable avec la civilisation occidentale. À la même époque, les Pays-Bas sont sous le choc des assassinats tragiques de Fortuyn en 2002 — par un écologiste radical — et de Van Gogh en 2004 — par un extrémiste musulman. C’est depuis cette période que Wilders reçoit lui aussi des menaces de mort et qu’il vit sous la surveillance permanente de la police. Fortuyn et Van Gogh furent assassinés pour les propos qu’ils tenaient et leur mort eut un impact considérable sur les discussions contemporaines concernant la liberté d’expression. Récemment, l’hebdomadaire de droite EW prenait ce moment comme référence en publiant un article6 affirmant que la gauche créait actuellement un climat de haine à l’encontre de Wilders semblable à celui qui avait été fatal à Fortuyn. Les deux cas permettent de souligner le danger d’un « Autre » intolérant — qu’il s’agisse d’un radical de gauche ou d’un extrémiste musulman.

© AP Photo/Peter Dejong

2 — Indépendance et verticalité : la fondation du PVV

Après un conflit au sein de son parti, Wilders décide de quitter le VVD en 2004 pour continuer à travailler en tant que député indépendant sous le nom de « Groep Wilders ». Ses principales préoccupations politiques à cette époque sont l’entrée possible de la Turquie dans l’Union et le référendum de 2005. Wilders participe aux élections législatives de 2006 avec son nouveau parti, le PVV, et remporte 9 sièges. Dès ces débuts, le PVV n’est pas un parti comme les autres : il n’a pas de structure démocratique. Wilders en est le leader, le président et le seul membre. Wilders est le PVV, et le PVV est Wilders.

Dès ces débuts, le PVV n’est pas un parti comme les autres : il n’a pas de structure démocratique. Wilders en est le leader, le président et le seul membre. Wilders est le PVV, et le PVV est Wilders. 

Judith Jansma

Cette structure de parti remarquable est le résultat de l’effondrement du LPF de Fortuyn après les élections de 2002. Lors de ces élections — qui ont lieu 9 jours seulement après l’assassinat de celui-ci — le LPF obtient 26 sièges. La coalition formée avec le VVD et le parti chrétien-démocrate CDA s’effondre après seulement trois mois en raison de conflits internes au sein de la fraction LPF. Pour éviter que son nouveau parti ne connaisse le même sort, Wilders décide de procéder différemment : il n’y aura pas de congrès ni de sections locales du PVV, pas de bureau scientifique ni de division de la jeunesse. Un petit groupe de compagnons fidèles, comme Martin Bosma et Fleur Agema, façonne à lui seul l’organisation interne du Parti. Les 37 parlementaires élus du PVV sont majoritairement des hommes, plus de la moitié d’entre eux ont une expérience politique au niveau régional ou municipal, et on compte quelques nouveaux venus. Ils se distinguent des autres représentants des partis par le fait qu’ils ont le plus souvent suivi une formation pratique. Cela correspond également au profil de l’électorat PVV, qui attire7 principalement des personnes moins instruites et moins favorisées sur le plan socio-économique.

3 — Radicalisation et poursuites judiciaires : « Il n’y a pas de distinction entre un bon et un mauvais islam. Il y a l’islam, et c’est tout »

Après les élections de 2006, Wilders entre dans l’opposition. Sa stratégie peut se résumer à un deux mots : polémique permanente. Au nom de la liberté d’expression, il ne cesse de provoquer et d’insulter les musulmans, ce qui lui vaut d’être accusé à plusieurs reprises d’insulte à un groupe ethnique ou religieux et d’incitation à la haine et à la discrimination. En 2006, il publie les caricatures de Mahomet du Jyllands-Posten sur son propre site web, ce qui lui vaudra un grand nombre de menaces. En 2008, Wilders sort son court-métrage Fitna — un montage d’extrémisme islamique et de terrorisme, mêlé à des citations du Coran et à des allégations sur l’influence islamique aux Pays-Bas. Le film laisse entendre que l’islam serait une religion intrinsèquement violente, qui constituerait une menace réelle pour la société néerlandaise. L’annonce de la sortie du court-métrage suscite un grand émoi chez les musulmans du monde entier. Le projet de Wilders d’organiser un concours de caricatures de Mahomet en 2018 aurait sans nul doute suscité une réaction similaire s’il n’avait pas décidé de l’annuler. Son objectif est simple : provoquer les musulmans et utiliser leur réaction comme preuve de leur nature prétendument intolérante et violente.

Son objectif est simple : provoquer les musulmans et utiliser leur réaction comme preuve de leur nature prétendument intolérante et violente.

Judith Jansma

Les sociologues Evelien Tonkens et Jan Willem Duyvendak ont qualifié cette approche de « culturalisation de la citoyenneté »8. Cette conception culturelle de la citoyenneté considère le moi occidental comme moderne, séculier, émancipé et tolérant, par opposition à un Autre rétrograde et conservateur. Selon cette logique, la culture de l’Autre — en l’occurrence musulman — constituerait un danger existentiel pour la culture dominante ; elle menacerait les valeurs laïques progressistes telles que la liberté d’expression et mettrait en péril les droits des femmes et des communautés LGBTQI+. En d’autres termes, si la défense de ces valeurs progressistes n’est traditionnellement pas une priorité des partis d’extrême droite — bien au contraire — elle doit ici être interprétée comme un discours islamophobe implicite qui légitime l’exclusion des musulmans. Il s’agit d’une tendance plus large qu’on peut également observer en France avec la fixation de Marine Le Pen sur certaines valeurs séculières comme la laïcité et qu’Olivier Roy a étudiée dans ces pages.

C’est au cours de cette période que la rhétorique de Wilders sur l’islam se radicalise.

Alors qu’en 2001, il faisait encore la distinction entre la religion islamique et ses croyants d’une part, et une petite minorité d’extrémistes d’autre part, il abandonne cette distinction. Dans une lettre publiée9 en 2007 dans le quotidien Volkskrant, il décrit le Coran comme un « livre fasciste » qui devrait être interdit, car « le Coran est le Mein Kampf d’une religion qui vise à éliminer les autres [non-musulmans] ». Comme l’affirme le politologue Merijn Oudenampsen dans un article paru10 dans le Groene Amsterdammer, les références de Wilders à la transformation des Pays-Bas en « province du super-État islamique Eurabia » révèlent que la rhétorique antérieure du « choc des civilisations » s’est transformée en une adhésion à la théorie complotiste du « grand remplacement ». Développée par Renaud Camus dans Le grand remplacement (2010), l’idée principale des tenants de cette théorie conspirationniste est que l’Occident sera colonisé par les musulmans — grâce à leur taux de natalité plus élevé — avec le soutien et la complicité de l’establishment. Cette fantasmagorie a désormais trouvé un large écho dans le discours populiste, mais l’importance accordés aux taux de natalité se retrouve également dans les partis traditionnels de centre-droit.

Wilders décrit le Coran comme un « livre fasciste » qui devrait être interdit, car « le Coran est le Mein Kampf d’une religion qui vise à éliminer les non-musulmans ».

Judith Jansma

4 — L’arrivée de Wilders au pouvoir : un cabinet minoritaire avec le soutien du PVV

Après les élections de 2010, où le PVV arrive en deuxième position avec 24 sièges, un gouvernement minoritaire est formé avec le VVD et le CDA — Mark Rutte est son premier ministre. Un accord est conclu avec le PVV pour qu’il apporte son soutien parlementaire, de sorte que les trois partis disposent d’une majorité. Il s’agit d’un compromis, le CDA ne voulant pas former un gouvernement avec le PVV. 

Au cours de la campagne qui a conduit à la croissance explosive du PVV, Wilders invente les personnages fictifs Henk et Ingrid, un couple néerlandais archétypal qu’il considère comme des électeurs typiques du PVV. Grâce à cette stratégie, Wilders se positionne comme le défenseur des gens « normaux », qui luttent en période de récession économique et en ont assez d’alimenter « Ahmed et Fatima ». Wilders refuse de soutenir les plans d’austérité du gouvernement et quitte les négociations. Depuis, Rutte considère Wilders comme un partenaire indigne de confiance et refuse d’entrer à nouveau dans une coalition avec son parti. Lors des élections suivantes, le PVV perd 9 sièges et retourne dans l’opposition.

Wilders se positionne comme le défenseur des gens « normaux », qui luttent en période de récession économique et en ont assez d’alimenter « Ahmed et Fatima ».

Judith Jansma

5 — « Minder, minder ! » : la méthode Wilders

Lors d’un meeting de campagne11 après les élections municipales de 2014, Wilders pose une question au public : souhaitent-ils « plus » ou « moins » de Marocains aux Pays-Bas ? La réponse est claire, elle est scandée par toute la salle : « minder, minder ! » (« moins, moins ! »). Réaction de Wilders : « je vais m’en occuper ». 

À la suite de l’affaire dite du « minder Marokkanen », des milliers de citoyens néerlandais dénoncent Wilders pour propos discriminatoires. En 2016, le tribunal de La Haye le reconnaît coupable d’insulte contre des groupes ethniques ou religieux et d’incitation à la discrimination. La procédure s’est poursuivie jusqu’en 2021, après plusieurs appels, et la Cour suprême a finalement confirmé le verdict précédent. Compte tenu des dommages supposés causés à l’image publique de Wilders à la suite des poursuites pénales et de la surveillance policière intrusive à laquelle il doit se soumettre, considérée comme une punition suffisante, aucune amende ou peine ne lui a été imposée.

6 — Dans le creux de la vague populiste : comprendre le succès de Wilders

Pourtant, il n’est pas sûr que ce procès ait réellement affecté sa réputation de manière négative. 

À l’ère de ce que l’on a appelé la « vague populiste », après le vote du Brexit et l’élection de Trump, la nouvelle stratégie de Wilders consiste à simplement rejeter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui en les qualifiant de fake. Après le verdict de la Cour suprême, il déclare ainsi12 que cette décision ne fait que prouver que l’État de droit a failli. Auparavant, il avait suggéré que la procédure était motivée par des considérations politiques et avait accusé les juges d’être membres du parti progressiste-libéral D66. Ces propos s’inscrivent dans son récit : Wilders serait le seul et véritable porte-parole du peuple néerlandais ce qui, selon cette logique, réduirait ses opposants politiques à des opportunistes égoïstes et antidémocratiques. Lors d’un débat sur les réfugiés, il a ainsi pu parler13 d’un « faux parlement » dans lequel les intérêts du peuple ne seraient pas défendus. Des journalistes critiques ont également été traités de « racailles » dans un tweet posté14 en 2021.

Depuis 2016, la nouvelle stratégie de Wilders consiste à simplement rejeter ceux qui ne sont pas d’accord avec lui en les qualifiant de fake.

Judith Jansma

Wilders poursuit une stratégie populiste typique où le peuple est présenté comme menacé par deux figures antagonistes : l’establishment et « l’Autre » étranger. Dans le sillage de la pandémie de Covid-19, cette polarisation dans le paysage politique et dans la société néerlandaise s’accentue. En fonction de ses opinions politiques, chacun prend au sérieux ou non les recommandations du gouvernement en matière de santé, ou qualifie de « fake news » ou non les plateformes médiatiques mainstream. Au cours de cette période, Wilders est témoin de l’ascension fulgurante d’un autre parti populiste d’extrême droite, le Forum voor Democratie (FVD) de Thierry Baudet, ainsi que, plus tard, de JA21 et du BoerBurgerBeweging (BBB), un parti qui représente les agriculteurs et les citoyens désillusionnés. Ensemble, ces partis ont obtenu 48 sièges lors des dernières élections de novembre — près d’un tiers du parlement néerlandais. Le discours populiste occupe le terrain dans le paysage politique néerlandais.

Mais pourquoi Wilders a-t-il attiré plus de voix que les concurrents qui occupent le même créneau ?

Dans l’ensemble, la campagne de l’automne 2023 s’est concentrée sur l’immigration, un sujet clef dans l’identité du PVV, tandis que les questions agricoles, qui sont davantage du ressort du BBB, n’ont pas fait l’objet d’une grande attention. Le FVD a quant à lui souffert de quelques scandales au cours des dernières années et, en raison de l’implication de Baudet dans des théories du complot antisémites et de ses déclarations sur une « conspiration de reptiles maléfiques »15, il est devenu trop controversé pour être pris au sérieux par le grand public. Cette situation est également manifeste lorsqu’on examine le comportement des électeurs16 par rapport aux élections législatives de 2021. Parmi ceux qui ont voté pour le PVV en novembre, 39 % l’avaient déjà fait en 2021, tandis que 15 % avaient déjà voté pour le VVD, 7 % pour le FVD et 6 % pour JA21. 12 % des électeurs actuels du PVV s’étaient abstenus lors des élections précédentes.

La comparaison avec le BBB est difficile, car ce parti était encore en phase de démarrage en 2021, mais on estime qu’après leur large victoire aux élections provinciales de 2023, de nombreux électeurs du BBB sont passés au PVV ou au nouveau Nieuw Sociaal Contract (NSC) de Pieter Omtzigt, en raison de l’accent mis sur l’immigration et les moyens de subsistance.

La campagne de l’automne 2023 s’est concentrée sur l’immigration, un sujet clef dans l’identité du PVV, tandis que les questions agricoles, qui sont davantage du ressort du BBB, n’ont pas fait l’objet d’une grande attention.

Judith Jansma

7 — La « racaille » : Wilders et la presse

La relation de Wilders avec la presse néerlandaise est paradoxale. 

D’une part, les médias et Wilders ont besoin l’un de l’autre. Wilders pour bénéficier d’une exposition gratuite — la structure de son parti sans membres payants laisse peu de budget pour des vidéos de campagne élégantes — et les médias pour le contenu. 

D’autre part, Wilders se méfie des grands médias, qu’il considère comme faisant partie de l’élite. L’approche de Wilders vis-à-vis des médias ressemble à ce que la politologue Ruth Wodak17 a appelé le « perpetuum mobile de la droite populiste » : susciter l’attention des médias par la provocation ou le scandale d’abord, puis poursuivre des stratégies de déni, d’ambivalence, de dramatisation du statut de victime et de désignation de boucs émissaires. Grâce à cette stratégie, dont l’affaire « Minder Marokkanen » est un exemple éloquent, Wilders est en mesure de fixer lui-même l’ordre du jour et d’encadrer les débats. 

© Hollandse Hoogte/SIPA

Après avoir créé un scandale — la déclaration « Minder Marokkanen » — qui a fait la une des journaux et suscité une intense polémique, Wilders a précisé18 qu’il n’avait pas l’intention de s’excuser, car il « n’avait rien fait de mal ». Selon lui, il n’avait évidemment pas demandé l’expulsion immédiate de tous les Marocains, mais les médias avaient déformé ses propos en établissant des comparaisons historiques. Une fois l’affaire portée devant les tribunaux, Wilders a joué le rôle de victime, affirmant que la procédure était motivée par des considérations politiques. Il s’est présenté comme une sorte de martyr, le seul homme politique à avoir vraiment dit ce qu’il pensait, et a déclaré qu’on ne pouvait pas l’arrêter. Une tentative de substitution des juges — que Wilders considérait comme partisans — a échoué et la procédure n’a pris fin qu’en 2021. Lorsqu’il a finalement été reconnu coupable, Wilders a répondu dans les médias19 que les Pays-Bas étaient un « pays corrompu », car « les criminels marocains qui mettent le feu à des villes et à des quartiers s’en sortent généralement ». En d’autres termes, plutôt que de s’occuper de « vrais criminels », le tribunal « politiquement motivé » aurait choisi de consacrer son temps et son argent à la persécution d’un homme politique « innocent » et « honnête ».

Dans les médias, Wilders est en mesure de fixer lui-même l’ordre du jour et d’encadrer les débats.

Judith Jansma

Le processus montre également la position complexe des médias dans la couverture de l’affaire : une « situation sans issue » comme le dit Ruth Wodak20. En effet, si les médias choisissent d’ignorer Wilders, ils sont considérés comme non professionnels, alors que s’ils le font, ils offrent à Wilders de l’attention et l’occasion de donner sa version des faits. Au fil des années, Wilders est stratégiquement devenu plus sélectif dans ses prestations médiatiques, cette rareté créant un intérêt accru pour les entretiens avec lui. Cela lui permet de fixer les règles à chaque fois qu’il est interviewé, notamment sur les sujets qui doivent ou ne doivent pas être abordés.

8 — Des amis européens ?

Depuis la chute du gouvernement soutenu par le PVV et l’affaire « Minder Marokkanen », Wilders s’est discrédité en tant que partenaire de coalition digne de confiance aux Pays-Bas. 

Cela a éveillé son intérêt pour une collaboration au-delà des frontières nationales. En 2013, il a rencontré à plusieurs reprises Marine Le Pen pour discuter des possibilités d’unir leurs forces au niveau européen. Cela a abouti à la création de l’Europe des nations et des libertés en juin 2015 — un groupe politique au sein du Parlement européen qui comprenait le PVV de Wilders, le Front national de Le Pen (aujourd’hui Rassemblement national, RN), le FPÖ autrichien, la Lega Nord italienne (aujourd’hui Lega), le Vlaams Belang belge, la Nova Prawica polonaise et l’ancienne membre de l’UKIP Janice Atkinson. Après l’annonce officielle, Wilders a déclaré : « Aujourd’hui, c’est le jour J, le début de notre libération. Nous sommes la voix d’une résistance européenne ». Depuis 2019, le groupe continue sous le nom d’Identité et Démocratie et a été rejoint par l’AFD allemand, le SPD tchèque, l’EKRE estonien et le DF danois (Nova Prawica et Atkinson à gauche). 

Bien qu’une coalition internationale de forces nationalistes anti-Union, travaillant ensemble au Parlement européen, puisse sembler légèrement contradictoire, ces partis partagent une vision du monde populiste qui privilégie une tradition judéo-chrétienne commune au cosmopolitisme « élitiste » et à l’altérité non-occidentale. Le titre de la conférence de 2019 à Milan, organisée par Matteo Salvini, chef de file de la Lega, est assez révélateur à cet égard : Vers une Europe du sens commun. Les peuples se lèvent. Les citoyens sont présentés comme des experts exerçant leur bon sens, par opposition aux technocrates qui se seraient trop éloignés d’eux et du mythe fondateur de l’Europe. Récemment, Salvini a organisé une nouvelle réunion à Florence, à laquelle Wilders était censé se rendre, mais qu’il a dû annuler, embourbé dans le difficile processus de formation de gouvernement aux Pays-Bas.

Depuis la chute du gouvernement soutenu par le PVV et l’affaire « Minder Marokkanen », Wilders s’est discrédité en tant que partenaire de coalition digne de confiance aux Pays-Bas.

Judith Jansma

Il y a quelques semaines à peine, en avril 2024, Wilders s’est exprimé lors de la Conservative Political Action Conference (CPAC) à Budapest, mettant en garde le public contre l’immigration massive, le « wokisme » et le relativisme culturel.

9 — Wilders gagnant : « les Pays-Bas pour les Néerlandais »

Avec 37 sièges, le PVV est désormais la première force du Parlement et c’est à Wilders que revenait l’initiative de former une coalition. Dans un premier temps, contrairement aux années précédentes, plusieurs partis ont fait part de leur intérêt à travailler avec le PVV, ou du moins n’ont pas exclu cette option. Alors que sous Rutte, le VVD avait toujours refusé de collaborer avec Wilders depuis la crise gouvernementale de 2012, sa successeure Dilan Yeşilgöz s’est montrée ouverte à l’idée. Cette attitude a pu motiver les membres du VVD les plus à droite à voter stratégiquement pour le PVV afin de forcer une coalition VVD-PVV. Cette hypothèse est également étayée par les chiffres de report de voix mentionnés plus haut : 15 % des électeurs du VVD aux élections précédentes sont passés au PVV.

La victoire électorale de Wilders soulève un certain nombre de questions importantes et autant de chantiers. Tout d’abord, pourquoi le message central consistant à « rendre les Pays-Bas aux Néerlandais » a-t-il séduit autant d’électeurs ? Il est essentiel de comprendre les facteurs socio-économiques et culturels sous-jacents, et il convient d’étudier cette question d’un point de vue interculturel, en établissant des comparaisons avec la France, l’Italie et les États-Unis, par exemple. Deuxièmement, pourquoi la gauche ne semble-t-elle plus en mesure de s’exprimer sur ces questions ? De nombreuses régions où le PVV a obtenu la majorité des voix sont des régions traditionnellement « rouges », alors que les partis de gauche obtiennent de bons résultats dans les zones urbaines plus riches. Ce phénomène s’inscrit lui aussi dans une tendance internationale qu’il convient d’examiner. Enfin, quelles sont les stratégies les plus fructueuses pour faire face au populisme en politique, dans les médias et sur les réseaux sociaux ? Ces dernières années, la politique néerlandaise est devenue de plus en plus polarisée, non seulement en raison de la présence de partis populistes, mais aussi parce que la rhétorique populiste du « nous » contre « eux » a également été adoptée par les partis traditionnels. En conséquence, le centre de gravité se déplace : les populistes doivent devenir de plus en plus extrêmes pour se distinguer du courant dominant. Il est clair que cette stratégie n’a aidé Wilders que jusqu’à un certain point et que ce qui était considéré comme radical à l’époque de Fortuyn est aujourd’hui beaucoup plus courant.

Le centre de gravité se déplace : les populistes doivent devenir de plus en plus extrêmes pour se distinguer du courant dominant.

Judith Jansma

10 — L’avenir de Wilders après le prochain gouvernement

Après près de six mois de négociations entre le PVV, le VVD, le NSC et le BBB, un accord de coalition, intitulé « Espoir, Courage, Fierté », a été conclu le 15 mai 2024. 

Le document est moins détaillé qu’à l’accoutumée, puisqu’il ne compte que 26 pages, et se montre plus franc sur les mesures de subsistance et les restrictions à l’immigration. Sur ce dernier point, les partis annoncent une « loi sur la crise de l’asile » temporaire, limitant fortement l’afflux de migrants — une mesure qui entre très probablement en conflit avec le droit européen. En ce qui concerne le climat, le nouveau gouvernement met l’accent non plus sur les émissions de CO2 et d’azote, mais sur l’indépendance énergétique, tout en conservant l’essentiel de la politique actuellement en place. En ce qui concerne les soins de santé et le logement, ainsi que le soutien à l’Ukraine, aucun changement politique majeur n’est proposé.

La seule question qui subsiste pour l’instant est de savoir qui sera le premier ministre à la tête de ce gouvernement. Lors d’une phase antérieure des négociations, les quatre chefs de parti ont annoncé qu’aucun d’entre eux n’occuperait le poste de premier ministre et qu’ils conserveraient tous leur siège au parlement. Cette décision, ainsi que la sélection des ministres — dont 50 % viendraient de l’extérieur et ne seraient pas nécessairement affiliés à l’un des partis — sont les seules choses qui restent encore sur la table des négociations.

La campagne avait vu apparaître une version plus modérée de Wilders — les médias avaient parlé de Geert « Milders » — présenté comme un partenaire de coalition digne de confiance, prêt à mettre en veilleuse — « au frigo » selon son expression — certaines des parties les plus extrêmes de son programme électoral comme par exemple l’immigration zéro).

Mais si l’on examine son programme électoral et l’évolution de sa rhétorique anti-islam tout au long de sa carrière, il est clair que les idées de Wilders n’ont guère été édulcorées par le ton plus apaisé qu’il a adopté ces derniers mois. L’adoucissement de Wilders est un mythe — et une stratégie de campagne réussie. Au cours des vingt-cinq dernières années, Wilders est passé de « je n’ai rien contre l’islam » à la propagation de la théorie du complot selon laquelle les musulmans et d’autres immigrants non occidentaux remplaceront la population autochtone des Pays-Bas. Il n’y a aucune raison de croire que cela changera dans un avenir proche. Même si Wilders n’est pas Premier ministre, il est urgent de déboulonner l’image erronée d’un Geert « Milders ».

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16.05.2024 à 15:08

Une nouvelle Pax Mongolica ? 10 points sur les relations sino-russes

Marin Saillofest

Vladimir Poutine se rend aujourd'hui à Pékin.

À l'image du président chinois se rendant à Moscou en mars 2023, le président russe a choisi la Chine comme première destination de son nouveau mandat.

L'amitié entre Xi Jinping et Vladimir Poutine est « sans limites », la relation entre les deux États se creuse, avec un infléchissement décisif...

De la pax romana à la pax americana, est-il trop tôt pour parler d'une pax mongolica, une pax sinica ?

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Texte intégral (7654 mots)

Pour comprendre une alliance géopolitique complexe, il faut en exhumer les doctrines et en faire l’examen critique. Dans la revue, nous publions, traduisons et commentons celles de la Russie de Poutine et celles de la Chine de Xi. Si vous pensez que ce travail est important et mérite d’être soutenu, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

« En réplique à la thèse révisionniste de Poutine expliquant à Tucker Carlson le 8 février dernier que l’invasion russe de l’Ukraine ne faisait que rétablir la réalité d’un empire russe existant depuis le IXème siècle, l’ancien président de la Mongolie, le facétieux Tsakhia Elbegdorj, publia quatre jours plus tard d’anciennes cartes de l’empire mongol qui dessinaient, notamment dans celle de 1471, une Moscovie fort réduite et vassalisée, avec ce commentaire : « Ne t’inquiète pas, nous sommes une nation libre et pacifique ».

Il est vrai qu’il avait étudié le journalisme à Lviv et qu’il est très critique de l’agression russe. Un empire mongol étendu sur 36 millions de km² à son apogée, du Hebei à Budapest, doté d’une armée efficace, d’un code de loi unifié, et d’un réseau de relais de poste couvrant l’Eurasie. La sécurité ainsi établie, nommée en latin médiéval pax mongolica, permit une circulation commerciale intense et des échanges dans tous les domaines entre Orient et Occident, dont les routes de la soie furent l’armature et Marco Polo le grand témoin.

S’il est trop tôt pour parler de pax sinica, il est clair que Pékin ne tolérerait pas une agression militaire russe en Asie centrale.

Michel Foucher

De la pax romana à la pax americana, la sécurité est la condition première des échanges à très longue distance. Les stratèges chinois l’ont compris et c’est à Astana, au Kazakhstan, passage obligé presque à mi-parcours entre Pékin et Budapest, que le président Xi Jinping lança en 2013 sa version des Nouvelles routes de la soie. S’il est trop tôt pour parler de pax sinica, il est clair que Pékin ne tolérerait pas une agression militaire russe en Asie centrale. Qui contrôle l’Eurasie contrôle le monde : la maxime de Halford John Mackinder énoncée en 1904 a fait des émules à Pékin et l’enjeu central est bien — aujourd’hui comme hier — l’accès à l’Europe, nouveau terrain du grand jeu de la rivalité sino-américaine ». (Michel Foucher)

1 — La relation personnelle entre Xi et Poutine

Vladimir Poutine a choisi de se rendre en Chine pour sa première visite à l’étranger depuis sa quatrième réélection à la tête de la Fédération de Russie. Avec 88,48 % des suffrages exprimés — soit la marge de victoire la plus large dans l’histoire récente de la Russie —, le président russe jouit d’une figure de dirigeant incontesté. Ce choix n’est pas anodin ; pour ses quatre premiers mandats, Poutine s’était rendu à deux reprises au Belarus, en Ukraine puis en Autriche à la suite de son élection de mars 2018 pour ses premières visites à l’étranger.

Les résultats de l’élection de 2023 sont largement critiqués. Dans cette élection fabriquée, la quasi-disparition (ci-dessus) d’un noyau de bureaux de vote observable au cours des précédentes élections suggère que plusieurs dizaines de millions de votes ont été artificiellement attribués à Poutine : environ 22 millions pour l’analyste électoral Ivan Shukshin, jusqu’à 31,6 millions pour Novaïa Gazeta — ce qui en fait l’élection russe la plus truquée à ce jour.

Pour Xi, les conditions du vote ont peu d’importance. Comme de nombreux pays du Sud, le président chinois fait partie des dirigeants ayant félicité Poutine pour son écrasante réélection. Les deux chefs d’État entretiennent une relation très proche, et se fréquentent « comme des parents » depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013, selon les mots de Li Hui, l’artisan de la doctrine russe de Pékin. Leur première visite remonte quant à elle à 2010, lorsque Xi était vice-président de la RPC.

Le président chinois Xi Jinping, à droite, et le président russe Vladimir Poutine se serrent la main avant leur entretien à Pékin, en Chine, le jeudi 16 mai 2024. © Sergei Bobylev/AP/SIPA

Le président chinois avait lui aussi choisi la Russie comme première destination de visite à l’étranger en mars 2013, et s’y est rendu huit fois depuis 2018. La visite de Poutine en Chine qui débute aujourd’hui marque la 43ème rencontre entre les deux chefs d’État.

La visite de Poutine en Chine qui débute aujourd’hui marque la 43ème rencontre entre les deux chefs d’État.

Marin Saillofest

Le nouveau gouvernement russe entré en fonction cette semaine traduit lui aussi la proximité que Vladimir Poutine souhaite conserver entre les responsables russes et chinois. Le président du gouvernement russe, Mikhaïl Michoustine (qui a été reconduit dans ses fonctions), a effectué deux visites de travail en Chine l’an dernier aux côtés de plusieurs hauts responsables russes. Le nouveau ministre de la Défense russe, Andreï Belooussov, entretient quant à lui des liens étroits avec le leadership chinois. Selon le directeur du centre de recherche sur la Russie de la Carnegie Endowment for International Peace, Alexander Gabuev, ce dernier a reçu des « briefings approfondis » sur la Chine par des experts extérieurs lorsqu’il occupait le poste de premier vice-premier ministre — un fait assez rare au sein du cercle rapproché de Poutine1.

2 — Les relations commerciales sino-russes

L’an dernier, le montant du commerce sino-russe a atteint 240 milliards de dollars (+ 26 % en un an), soit plus du double des échanges de 2020 (108 milliards). Si la balance commerciale est toujours à l’avantage de la Russie (129 milliards de dollars d’importations de produits russes l’an dernier contre 110 milliards d’exportations), la dynamique observée depuis le lancement de l’invasion de l’Ukraine suggère que le rapport pourrait s’inverser au cours des prochaines années.

Bien que cette augmentation suggère un rapprochement entre les économies russe et chinoise — notamment lié à une réorientation d’une partie des exportations russes en raison de la guerre en Ukraine —, la comparaison avec d’autres pays suggère plus une forme de rééquilibrage qu’un réel approfondissement.

Pour Pékin, la Russie est un partenaire économique de premier plan et représente un marché important. Cependant, les données des douanes chinoises révèlent que le commerce chinois avec Moscou est en réalité similaire à celui avec d’autres pays : Australie (229 milliards de dollars en 2023), Allemagne (207 milliards), Taïwan (268 milliards)… et demeure loin derrière les États-Unis (664 milliards).

Les importations chinoises de produits russes ne représentent ainsi que 5 % du total de la valeur des importations du pays en 2023. À l’inverse, les entreprises russes deviennent quant à elles de plus en plus dépendantes du marché chinois pour vendre leurs productions, à mesure que de nombreux pays ferment leurs portes à certains types de produits russes. Récemment, Joe Biden a signé une nouvelle loi interdisant l’importation aux États-Unis d’uranium enrichi russe2. À terme, l’Union pourrait quant à elle mettre fin aux importations de gaz naturel liquéfié russe afin de limiter les capacités de Moscou à financer sa guerre contre l’Ukraine.

Les importations chinoises de produits russes ne représentent que 5 % du total de la valeur des importations du pays en 2023.

Marin Saillofest

Agathe Demarais estime que le commerce sino-russe pourrait bientôt atteindre un « plateau ». Plutôt qu’un essor des liens entre Moscou et Pékin marqué par une augmentation des flux, l’augmentation observée l’an dernier constituerait en réalité une forme de rattrapage par rapport à un niveau d’échange anormalement bas3.

3 — La Chine : nouveau marché pour le gaz russe ?

En décembre 2019, la Russie et la Chine célébraient le lancement du gazoduc « Force de Sibérie » (Power of Siberia), un ouvrage de près de 4 000 kilomètres de long reliant le gisement gazier russe de Tchaïandina, en Iakoutie, à la ville frontalière chinoise de Heihe. Ce gazoduc marquait alors l’aboutissement d’un contrat signé entre Gazprom et la China National Petroleum Corp (CNPC) visant à livrer à la Chine 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an pour une durée de 30 ans — soit le contrat le plus important de l’histoire du géant énergétique russe4.

Au-delà des volumes, la construction de Force de Sibérie relevait d’un basculement vers l’Orient de la stratégie énergétique russe construite au cours du XXe siècle, principalement conçue à destination du marché européen. Comme le montre la carte ci-dessous, le gisement de gaz exploité pour Force de Sibérie, situé à plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe, aurait été plus difficile à connecter à l’Europe qu’à la Chine. Avec le nouveau projet de gazoduc « Force de Sibérie 2 », Moscou souhaite relier les gisements autrefois massivement exploités pour le marché européen afin de les rediriger vers l’Est.

Malgré la signature d’un mémorandum d’entente entre la Russie et la Mongolie en 2019 — dont le territoire sera partiellement traversé par le gazoduc —, les travaux, dont la construction aurait dû débuter en début d’année, n’ont toujours pas commencé. Pour cause, si Moscou est impatient de pouvoir livrer à la Chine le gaz autrefois destiné à l’Europe, Pékin ne semble pas pressé d’y avoir accès en raison d’autres sources d’approvisionnement disponibles. En décembre, les Premiers ministres chinois Li Qiang et russe Mikhaïl Michoustine avaient conjointement « appelé à la conclusion d’accords sur la construction du gazoduc Power of Siberia 2 le plus rapidement possible »5. Toutefois, Xi a été particulièrement silencieux sur le sujet au cours des derniers mois, tandis que la construction du gazoduc devait débuter début 20246.

Avec le nouveau projet de gazoduc « Force de Sibérie 2 », Moscou souhaite relier les gisements autrefois massivement exploités pour le marché européen afin de les rediriger vers l’Est.

Marin Saillofest

4 — Les sanctions poussent les entreprises russes vers la Chine

Dans un entretien donné à l’agence de presse russe Interfax à la fin du mois d’avril, l’ancien premier vice-président du gouvernement russe et président du conseil d’administration de l’entreprise russe d’extraction et d’exploitation de métaux Nornickel, Vladimir Potanine, a annoncé son intention de délocaliser une partie de sa production de cuivre en Chine7. Partiellement paralysée par les sanctions occidentales, les recettes de la société ont baissé de 20 % par rapport à la période précédant l’invasion russe de l’Ukraine de février 2022.

Selon Potanine, Vladimir Poutine aurait d’ores et déjà donné son accord au transfert d’une partie de la production de l’usine métallurgique de Nadezhda, qui figure à l’agenda de la visite du président russe en Chine qui débute aujourd’hui8. Le cuivre russe actuellement fabriqué en Sibérie pourrait ainsi, à partir de 2027, être produit par une coentreprise sino-russe et étiqueté comme « produit chinois ». Ce stratagème devrait permettre, selon Potanine, de contourner les sanctions et de rapprocher la production de là où les produits seront consommés — en l’occurrence, en Chine, qui importe plus de 50 % du cuivre produit dans le monde.

La dépendance des producteurs russes vis-à-vis du marché chinois pour certains types de produits (notamment les matières premières) s’est renforcée depuis l’invasion de l’Ukraine, en voyant son accès aux marchés européens réduit. Si le transfert d’une partie de la production russe en Chine permettrait de contourner les sanctions et de conduire à un approfondissement des liens sino-russes dans le secteur industriel, cela renforcerait également de fait l’autosuffisance de Pékin, potentiellement au détriment d’autres entreprises russes du secteur.

D’une manière générale, le secteur privé russe souffre du nouveau climat économique suscité par l’invasion de février 2022. Au-delà de certains transferts de production hors de Russie, le nombre de nationalisations a lui aussi fortement augmenté en 2022 et 2023. L’an dernier, 27 procédures de nationalisation ont été engagées — contre 3 en 2021. Selon un rapport de Transparency International Russia et de Novaïa Gazeta, plus de 180 entreprises au total ont été concernées par ces procédures depuis le lancement de la guerre à grande échelle9.

Haie de motards chinois lors d’une cérémonie d’accueil du président russe Vladimir Poutine à l’aéroport de Pékin, le 15 mai 2024. © Alexander Ryumin/POOL/TASS/Sipa USA

Vladimir Poutine aurait d’ores et déjà donné son accord au transfert d’une partie de la production de l’usine métallurgique de Nadezhda, qui figure à l’agenda de la visite du président russe en Chine qui débute aujourd’hui.

Marin Saillofest

5 — Le retour des revendications territoriales chinoises

Ce n’est qu’en 2006 que la frontière sino-russe, qui s’étend sur plus de 4 000 kilomètres, a été entièrement délimitée, après plusieurs décennies de contestations. En mars 1969, les deux pays étaient allés jusqu’à l’affrontement en raison d’une différence d’interprétation de la convention de Pékin de 1860 concernant la frontière orientale entre la Chine et la Russie, à l’intersection des fleuves Amour et Oussouri et de la province chinoise du Heilongjiang et du kraï russe de Khabarovsk. Moscou avait alors agité la menace de frappes nucléaires sur des sites stratégiques chinois afin de contraindre Mao de s’asseoir à la table de négociations. Le président du Parti communiste chinois ainsi que la direction centrale du Parti, considérant la menace d’une frappe nucléaire comme suffisamment crédible, avaient fui la capitale10.

En août 2023, les revendications territoriales chinoises ont ressurgi — bien qu’elles ne furent alors pas nouvelles — lors de la publication par Pékin de la nouvelle édition de sa « carte standard ». Cette dernière ne traduit pas nécessairement une velléité chinoise d’annexer les territoires de ses voisins suite à sa publication, mais dessine les contours de ce que Pékin considère comme relevant de son territoire souverain.

En plus de l’ajout — qui n’est pas une nouveauté en soi — d’un dixième trait en mer des Philippines, Pékin a également marqué l’île Bolchoï Oussouriisk, située à la confluence de l’Amour et de l’Oussouri, comme relevant exclusivement du territoire chinois11. Depuis 2008, l’île est séparée en deux parties par la signature quatre ans auparavant à Pékin de l’Accord complémentaire sur la section orientale de la frontière entre la Chine et la Russie12.

Moscou n’a pas immédiatement réagi à la publication de cette carte. Quelques jours plus tard, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a finalement déclaré que « les parties russe et chinoise partagent la même position selon laquelle la question frontalière entre nos pays a été enfin résolue »13. De toute évidence, Pékin ne se satisfait plus de la « solution équilibrée et optimale, qui est devenue une victoire politique pour les deux parties » vantée en 2004 par Poutine et Hu Jintao lors de la signature de l’accord.

Au plan territorial, Pékin ne se satisfait plus de la « solution équilibrée et optimale, qui est devenue une victoire politique pour les deux parties » vantée en 2004 par Poutine et Hu Jintao lors de la signature de l’accord.

Marin Saillofest

6 — Moscou dépend des importations chinoises pour son industrie de défense

À ce jour, aucune information n’indique que la Chine fournit des armes ou du matériel militaire à la Russie utilisé pour sa guerre contre l’Ukraine. Les armées ukrainienne et russe se procurent cependant des drones civils construits par des fabricants chinois, parfois en passant par des acheteurs tiers. Malgré l’affirmation d’une « amitié sans limites » entre Pékin et la Russie en février 2022, la Chine souhaite conserver son rôle de potentiel médiateur en restant à l’écart d’une participation directe à l’effort de guerre russe.

Pékin continue cependant d’approvisionner l’industrie de la défense russe en biens à « double usage » : des produits et équipements destinés à des applications civiles qui sont susceptibles d’être utilisés pour produire des missiles, drones, pièces d’artillerie… Les États-Unis considèrent que 90 % des composants microélectroniques importés par la Russie en 2023 provenaient de Chine et 70 % des machines-outils — probablement utilisées pour la construction de missiles balistiques tirés sur les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Washington a déjà averti Pékin que les entreprises chinoises approvisionnant l’industrie de défense russe pourraient faire l’objet des sanctions secondaires.

Selon les données de l’Administration chinoise des douanes, la valeur des catégories de produits identifiés par les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Japon comme étant susceptibles de contenir des éléments de technologie avancée utilisés dans les systèmes militaires russes présents sur le champ de bataille en Ukraine ou essentiels au développement, à la production ou à l’utilisation de ces systèmes militaires, ont presque doublé entre 2020 et 2023 (+94 %)14.

Les États-Unis considèrent que 90 % des composants microélectroniques importés par la Russie en 2023 provenaient de Chine et 70 % des machines-outils.

Marin Saillofest

7 — Vers une dédollarisation sino-russe ? 

Le dollar américain est la principale devise utilisée pour réaliser des transactions commerciales à l’échelle mondiale. Sa stabilité par rapport aux autres monnaies ainsi que l’absence d’alternative viable à son utilisation en font la devise de référence pour l’échange de biens et les paiements. Entre 1999 et 2019, la Réserve fédérale américain estime que 74 % des facturations commerciales en Asie-Pacifique et 79 % dans le reste du monde (à l’exclusion de l’Europe et des Amériques) ont été réalisées en dollars américains.

L’utilisation du dollar pour ses échanges expose néanmoins les pays à des réactions américaines ; c’est ce qui s’est produit pour la Russie après l’annexion de la Crimée en 2014 par l’intermédiaire de sanctions et, dans une moindre mesure, pour la Chine en 2018 dans la cadre de la guerre commerciale sino-américaine après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump15. Depuis, Moscou et Pékin ont accru leurs efforts visant à remplacer le dollar par leurs devises nationales (rouble et renminbi) dans leurs réserves et échanges commerciaux.

Ainsi, l’an dernier, le renminbi est devenue la devise la plus échangée en Russie, supplantant le dollar américain pour la première fois suite à l’imposition de sanctions occidentales contre Moscou après l’invasion à grande échelle de février 202216. Mardi 14 mai, en amont de la visite, le conseiller de Poutine Iouri Ouchakov déclarait à Interfax que « la proportion des paiements entre la Russie et la Chine dans leurs monnaies nationales est déjà supérieure à 90 % »17.

Comme le note Brad Setser, l’équation est différente pour Pékin. Contrairement à la Russie, qui peut se tourner vers le renminbi, il n’existe pas d’économies autre que les États-Unis capable d’absorber ses 5 000 à 6 000 milliards de dollars d’actifs étrangers. Passer du dollar à l’euro ne protégerait pas Pékin de sanctions du G7 dans l’éventualité d’une invasion de Taïwan, et la Chine a déjà diversifié une partie de ses réserves dans le cadre des Nouvelles routes de la soie18. De sorte que si Moscou peut se tourner vers la Chine pour dédollariser ses réserves, Pékin manque, quant à elle, d’alternatives.

Dans le rapport annuel 2024 de la Banque centrale russe, l’institution décrit les possibilités de diversification à partir de monnaies et d’instruments financiers de pays qui ne sont « pas hostiles » à la Russie comme étant « limitées par les risques inhérents à ces monnaies et à ces économies. Les taux de change sont très volatils, les marchés sont illiquides et un certain nombre de ces pays appliquent des contrôles de capitaux qui empêchent leur utilisation. Ces facteurs déterminent le rôle clé du renminbi chinois dans la constitution des avoirs de réserve »19.

L’an dernier, le renminbi est devenue la devise la plus échangée en Russie, supplantant le dollar américain pour la première fois suite à l’imposition de sanctions occidentales contre Moscou après l’invasion à grande échelle de février 2022.

Marin Saillofest

8 — Le secteur financier chinois craint les sanctions occidentales

Par ailleurs, et malgré l’augmentation du montant des échanges sino-russes, les banques chinoises craignent les sanctions occidentales. À la suite de la signature d’un décret exécutif par Joe Biden en décembre 2023 autorisant le département du Trésor américain à sanctionner les banques étrangères qui entretiennent des liens avec l’industrie russe de défense, plusieurs banques chinoises ont renforcé leurs examens des transactions transfrontalières relatives à leurs activités en Russie20.

Concrètement, si une banque venait à être considérée comme réalisant des transactions pour le compte de l’industrie de défense russe, celle-ci pourrait être coupée du système financier global21. En conséquence, plusieurs banques chinoises ont commencé à la fin du mois de mars à bloquer les paiements d’entreprises russes en lien avec la vente de certains composants électroniques, processeurs, serveurs, systèmes de stockage de données… Plusieurs grandes banques chinoises dont la Ping An Bank, Bank of Ningbo ou la Guangdong Development Bank ont ainsi cessé d’accepter des paiements en yuans en provenance d’entreprises basées en Russie22. En février, trois des quatre plus grandes banques du pays — la Banque industrielle et commerciale de Chine, la China Construction Bank et la Bank of China — ont informé les banques russes sous sanctions qu’elles cesseraient d’accepter leurs paiements23.

Il est probable que la baisse en glissement annuel des exportations chinoises vers la Russie enregistrée en mars (-16 %) et en avril (-13 %) ait été au moins partiellement provoquée par la mise en place de sanctions secondaires par Washington ainsi que par la difficulté croissante des banques et entreprises russes sous sanctions à recevoir des paiements internationaux24. Comme pour les sanctions précédentes, il est toutefois à prévoir que les entreprises russes se tournent vers d’autres banques ou passent par des intermédiaires afin de les contourner.

Malgré l’augmentation du montant des échanges sino-russes, les banques chinoises craignent les sanctions occidentales.

Marin Saillofest

9 — La Chine aidera-t-elle davantage la Russie dans sa guerre ?

Il est impossible d’anticiper comment le soutien chinois à l’effort de guerre russe est susceptible d’évoluer au cours des prochains mois. En nommant un technocrate à la tête du ministère de la Défense, Vladimir Poutine signale qu’il souhaite prolonger la transformation de la Russie en économie de guerre. Les perspectives d’un arrêt des combats à la suite du sommet sur la paix en Ukraine qui se tiendra les 15 et 16 juin prochain en Suisse étant limitées, le président russe semble se préparer à la perspective d’une guerre longue. Pour gagner celle-ci, il aura besoin de s’assurer du soutien industriel et économique chinois.

La Chine et la Russie conservent une forte coopération alimentée non pas par un alignement idéologique total mais plutôt par le partage d’un diagnostic quant à l’équilibre des puissances dans le monde. Pékin et Moscou contestent tous deux l’hégémonie des États-Unis, mais à la différence de la Russie, la Chine ne souhaite cependant pas couper les ponts avec les pays occidentaux, dont les marchés lui sont essentiels pour une partie importante de sa production.

Pour gagner la longue guerre d’Ukraine, Poutine aura besoin de s’assurer du soutien industriel et économique chinois.

Marin Saillofest
Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping assistent à une cérémonie officielle de bienvenue devant le Grand Hall du Peuple sur la place Tiananmen, le 16 mai 2024. © Sergei Bobylev/POOL/TASS/Sipa USA

Sur ce point, aucun signe ne laisse penser que Xi serait prêt à franchir le Rubicon pour Poutine en fournissant un soutien militaire direct au régime russe. La visite du président russe en Chine pourrait néanmoins conduire à une certaine forme de rapprochement des industries de défense russse et chinoise, comme le suggère la visite prévue de Poutine à l’Institut de technologie de Harbin, dans la province du Heilongjiang25. Cette université, qui figure sur l’entity list du département du Commerce américain en raison de son « risque important de soutien à l’achat d’articles destinés à une utilisation finale militaire en Chine », est l’un des « sept fils de la défense nationale » chinoise (国防七子)26. Un campus universitaire sino-russe, résultant d’un partenariat entre l’Institut de technologie de Harbin et l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, devrait ouvrir ses portes cette année27.

10 — Que reste-t-il de « l’amitié sans limites » ?

Depuis l’invasion russe de la Crimée, de nombreux pays occidentaux considèrent que l’amitié sino-russe n’est qu’une alliance de circonstances destinée à présenter un front uni face à « l’ordre occidental » — dans les faits, surtout celui des États-Unis — avec l’appui d’autres acteurs, notamment les pays des BRICS. Si les contours de celle-ci sont toujours difficiles à délimiter, il semble que l’amitié sans limites entre Pékin et Moscou déclarée en février 2022 ait pour le moment résisté aux grandes crises géopolitiques, notamment l’invasion de l’Ukraine.

L’alignement sino-russe dans un grand nombre de domaines ne doit pas masquer les divergences qui existent entre Xi et Poutine concernant la manière de parvenir à renverser la domination américaine des affaires mondiales.

Marin Saillofest

Comme l’illustre la visite de Poutine en Chine, les deux dirigeants conservent toujours des liens de proximité, discutent toujours régulièrement et partagent une lecture sensiblement similaire des événements mondiaux : de l’appel à la désescalade après l’attaque du Hamas du 7 octobre à l’appel à la retenue lors de l’attaque iranienne sur le territoire israélien en avril, ou bien quelques mois auparavant lors de l’offensive de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh.

L’alignement sino-russe dans un grand nombre de domaines ne doit néanmoins pas masquer les divergences qui existent entre Xi et Poutine concernant la manière de parvenir à renverser la domination américaine des affaires mondiales. Le président russe a opté pour une confrontation directe qui traduit une vision court-termiste des impacts que celle-ci pourrait avoir à terme dans de nombreux pays du monde, au-delà de l’apparente indifférence suscitée jusqu’alors par l’agression de l’Ukraine dans de nombreux pays du Sud. Xi considère quant à lui que la Chine a encore besoin de l’Occident pour conserver un accès à ses marchés et à ses technologies. Sur ce point, la visite de Poutine en Chine ne suscitera probablement pas de renversement majeur dans la perception du dirigeant chinois.

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16.05.2024 à 06:00

À l’heure de la visite de Poutine en Chine, où en est le projet de gazoduc Power of Siberia 2 ?

Marin Saillofest

Aujourd’hui, Vladimir Poutine se rend en Chine pour une visite de deux jours. Un des points importants à l’ordre du jour sera la coopération dans le secteur de l'énergie ainsi que les grands projets, dont le gazoduc Power of Siberia 2. La construction de celui-ci, qui devait débuter début 2024, est pour le moment au point mort.

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Texte intégral (863 mots)

En décembre 2019, la Russie et la Chine célébraient le lancement du gazoduc « Force de Sibérie ». De près de 4 000 kilomètres de long, celui-ci relie le gisement gazier russe de Tchaïandina, en Iakoutie, à la ville frontalière chinoise de Heihe.

  • Ce gazoduc marquait alors l’aboutissement d’un contrat signé entre Gazprom et la China National Petroleum Corp (CNPC) visant à livrer à la Chine 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an pour une durée de 30 ans — soit le contrat le plus important de l’histoire du géant énergétique russe1.
  • Au-delà des volumes, la construction de Force de Sibérie relevait d’un basculement vers l’Orient de l’infrastructure énergétique russe construite au cours du XXe siècle à destination du marché européen.

Comme le montre la carte ci-dessous, le gisement de gaz exploité pour Force de Sibérie, situé à plusieurs milliers de kilomètres de l’Europe, aurait été plus difficile à connecter à au marché européen qu’à la Chine. 

  • Avec le nouveau projet de gazoduc « Force de Sibérie 2 », Moscou souhaite relier les gisements autrefois massivement exploités pour le marché européen afin de les rediriger vers l’Est.

Malgré la signature d’un mémorandum d’entente entre la Russie et la Mongolie — dont le territoire sera partiellement traversé par le gazoduc — en 2019, les travaux, dont la construction aurait dû débuter en début d’année, n’ont toujours pas commencé.

  • Pour cause, si Moscou est impatient de pouvoir livrer à la Chine le gaz autrefois destiné à l’Europe, Pékin ne semble pas pressé d’accéder à la volonté russe, et n’aurait pas non plus pour le moment besoin d’importations supplémentaires de gaz russe. 
  • En décembre, les Premiers ministres chinois Li Qiang et russe Mikhaïl Michoustine avaient conjointement « appelé à la conclusion d’accords sur la construction du gazoduc Power of Siberia 2 le plus rapidement possible »2.
  • Toutefois, Xi a été particulièrement silencieux sur le sujet au cours des derniers mois3.

Dans sa tribune publiée dans les pages de l’agence de presse officielle chinoise Xinhua, le président russe a signalé que les deux pays travailent « de manière systématique et cohérente » pour élaborer une coopération stratégique dans le secteur de l’énergie, en particulier sur de nouveaux projets à grande échelle4.

À Pékin, Poutine essaiera probablement de convaincre Xi de donner son accord au lancement de la construction. Contrairement au pétrole et au charbon, Moscou n’a pas pu réorienter ses exportations de gaz naturel vers la Chine en raison du manque d’infrastructures5. Ces dernières représentent cependant une manne financière importante pour l’économie de guerre que Poutine cherche à développer.

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