
15.12.2025 à 22:38
Memorial publie un rapport détaillé intitulé « Ukraine : crimes de guerre des agresseurs russes ».
<p>Cet article « Et pourquoi donc avez-vous décidé que vous pouviez vivre mieux que nous ? » a été publié par desk russie.</p>
Cette année, pour la première fois depuis le début de l’invasion à grande échelle, des défenseurs des droits humains russes ont pu se rendre en Ukraine en mission de monitoring et documenter officiellement des témoignages sur les crimes commis par l’armée russe. La délégation – Oleg Orlov, Natalia Morozova et Vladimir Malykhine, du Centre Memorial – s’est rendue dans plusieurs régions pour recueillir des données sur les violations, rencontrer des victimes d’occupation, d’enlèvements, de tortures et de détention secrète, et interroger d’anciens prisonniers de guerre ukrainiens. À l’issue de cette mission, Memorial publie un rapport détaillé intitulé « Ukraine : crimes de guerre des agresseurs russes ». L’une de ses auteurs, Natalia Morozova, présente ce texte saisissant.
À l’heure où l’on discute de plans de paix, d’amnisties et de la levée de diverses sanctions, il est très important de savoir et de se rappeler ce que fait la Russie dans les territoires occupés.
Par exemple, les Russes ont crevé l’œil d’un homme parce qu’ils ont trouvé dans son portefeuille une carte de réduction bleu et jaune du supermarché « Ukraine » : cette carte est interprétée comme une marque de sympathie pour le nazisme.
D’autres Russes ont simulé de manière moqueuse l’exécution de plusieurs dizaines de personnes à la veille de leur retrait de Kherson.
D’autres Russes encore n’ont pas imité l’exécution, mais ont réellement fusillé trois frères, simplement parce que l’aîné avait autrefois participé à l’opération antiterroriste, nom donné à la tentative de l’Ukraine de défendre son intégrité territoriale entre 2014 et 2018. Le cadet des frères a miraculeusement survécu : la balle l’a touché à la mâchoire, il s’est extirpé de ce qui était littéralement une fosse commune, a regagné son village par des chemins de campagne et a tout raconté.
Les Russes se livrent également à des vols de voitures et à d’autres actes de pillage. Et à des tortures, encore et encore… autant que leur imagination le leur permet. Avec des slogans sur la « racaille fasciste et bandériste » et des phrases telles que : « Pourquoi avez-vous décidé que vous pouviez vivre mieux que nous ? » Exigeant de désigner des cachettes d’armes, même s’il n’y en a pas, d’avouer avoir collaboré avec le parti Pravy Sektor (Secteur droit) et de reconnaître « des liens avec Yaroch24 », même si la victime ne sait pas de quoi il s’agissait.
Tel est le terrorisme que la Russie pratique dans les territoires occupés.
Il est important que tous les prisonniers – militaires, civils, tous sans exception – soient rendus à l’Ukraine. Qu’ils soient échangés contre n’importe qui, pourvu qu’aucun Ukrainien ne reste en otage en Russie.
Car aucune convention de Genève ne s’applique aux prisonniers ukrainiens : ce n’est pas une guerre, mais une « opération militaire spéciale », ce qui signifie que les prisonniers ne sont pas des prisonniers, mais des terroristes. Les militaires ukraniens ont, selon les Russes, suivi une formation dans le but de mener des activités terroristes. Ils ont été faits prisonniers dans la région de Koursk : ils ont illégalement franchi la frontière.
Je vais m’éloigner un instant du sujet des prisonniers et vous raconter rapidement comment les membres des bataillons Azov et Aidar26 ont été condamnés à des peines pour participation à une « association terroriste », car ces pirouettes juridiques doivent être portées à la connaissance du public.
Ainsi, en 2015, Lioubov Selina, une femme de trente ans originaire de la région de Louhansk, a travaillé pendant cinq mois et demi comme secrétaire dans le bataillon Aidar. Plus précisément, dans l’ancien bataillon Aidar, car en 2015, il a été officiellement dissous et réorganisé en 24e bataillon d’assaut des forces terrestres de l’armée ukrainienne.
Mais huit (!) ans plus tard, pour cet « acte », le tribunal militaire de la région Sud a condamné Selina à cinq ans d’emprisonnement – près d’un an pour chaque mois – en vertu de l’article 205.4, partie 2, du Code pénal de la Fédération de Russie ( « Participation à une association terroriste »). Le verdict est entré en vigueur le 22 novembre 2023. Il n’a toujours pas été publié mais, sur cette base, le bataillon Aidar a été ajouté à la liste des organisations terroristes en décembre 2023.
Tout est clair, n’est-ce pas ? Ils ont trouvé une personne au hasard dont le lien avec Aidar pouvait être confirmé, et au cours du « procès », on ne sait comment, ils sont arrivés à la conclusion qu’Aidar était une organisation terroriste, ils ont condamné cette pauvre femme pour participation à une organisation terroriste sans raison apparente, puis cette condamnation a servi de base pour inscrire Aidar sur la liste des organisations terroristes. Et gardons à l’esprit qu’Aidar n’existe plus officiellement !
Mais il y a mieux encore – suivez bien ! Les 15 anciens membres d’Aidar ont récemment été condamnés à des peines allant de 15 à 21 ans pour participation à une organisation terroriste. Ces gens ont été faits prisonniers au printemps 2022, un an et demi avant l’ajout du bataillon Aidar, qui n’existait plus sur la liste des organisations terroristes !
Au moins, on sait où se trouvent ces gens d’Aidar, ils ont des avocats, reçoivent des colis, etc. Des centaines d’autres prisonniers ukrainiens sont détenus au secret – le ministère russe de la Défense répond qu’ils sont « détenus pour avoir opposé une résistance à une opération militaire spéciale », et c’est tout. On peut leur faire tout ce qu’on veut.
Imaginez que de six heures du matin à huit heures du soir, vous deviez rester immobile, sans changer de pied, sans vous appuyer sur quoi que ce soit. Si vous bougez, vous êtes battu. Et cela pendant des mois. Jusqu’à ce que vous ayez des varices, des ulcères et la gangrène. C’est ainsi que l’on torture dans le tristement célèbre Camp n° 10 en Mordovie, en plus de lâcher des chiens, de battre les détenus et de leur faire apprendre la Katioucha27 et l’hymne russe.
« Nos ancêtres nous ont transmis cette sagesse populaire29 », sans aucun doute.
Et d’ailleurs, ce sont vraiment les ancêtres, car le Camp n° 10 de Mordovie n’a pas été choisi au hasard : il a une longue histoire. Dans les années 1960, c’était l’un des rares endroits où étaient détenus les prisonniers politiques et les étrangers, puis, plus tard, les membres de la résistance armée du Caucase du Nord. Le village où se trouve ce camp porte le nom symbolique d’Oudarnoïe30. Et les centres de filtration ne sont pas apparus par hasard, mais à l’image de ceux qui avaient été créés pendant les guerres de Tchétchénie, et dont Memorial a parlé à plusieurs reprises.
Ainsi, nous pouvons nous permettre de dire : « On vous avait prévenus ! » Car, même s’il est inutile de rechercher une logique dans les agissements du régime, le système est indéniablement traçable, de la Tchétchénie à l’Ukraine en passant par la Géorgie et la Syrie.
Traduit du russe par Desk Russie
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15.12.2025 à 22:37
La « coalition des volontaires » offre un modèle d'action commune pour les gouvernements libéraux à travers le monde.
<p>Cet article L’Europe peut-elle faire cavalier seul ? a été publié par desk russie.</p>
Compte tenu de l’intensification du conflit international entre démocraties et autocraties, la « coalition des volontaires » (CdV) formée en 2025 autour de la question ukrainienne offre un modèle d’action commune plus générale pour les gouvernements libéraux à travers le monde. Selon le chercheur allemand, cette coalition fournit un plan directeur – et peut-être même un noyau – pour une future collaboration multilatérale entre pays démocratiques de différents continents et cultures divergentes.
Sous sa nouvelle administration, entrée en fonction en janvier 2025, les États-Unis ont manifestement tourné le dos à la promotion de la démocratie internationale, à la coordination euro-atlantique étroite et au soutien matériel direct à l’Ukraine. En conséquence, on discute de plus en plus du nouveau rôle de l’Europe, non seulement dans la défense de l’Ukraine, mais aussi dans la gestion des autocraties et d’autres défis internationaux. Les partenaires européens de l’OTAN doivent désormais non seulement assumer une plus grande responsabilité pour leur propre sécurité, mais aussi s’attaquer à d’autres questions mondiales fondamentales – de la protection de l’environnement et des droits de l’Homme au développement politique et socio-économique – avec peu ou pas de soutien des États-Unis.
Cependant, le concept d’ « Europe » est diffus lorsqu’il s’agit de politique étrangère, de sécurité et de défense. Malgré leurs liens étroits et leur proximité géographique, les nations européennes ont des cultures stratégiques et des perspectives géopolitiques différentes. Dans de nombreux pays européens, la montée des partis politiques radicaux de droite et de gauche a conduit à une polarisation extrême de l’opinion publique, non seulement sur les questions intérieures, mais aussi, en partie, sur les affaires étrangères.
Le pluralisme géostratégique du continent conduit à des formulations incohérentes des intérêts nationaux et à des points de vue divergents sur les questions transfrontalières et planétaires importantes dans les capitales européennes. Les divisions idéologiques ne séparent pas seulement l’UE des États européens illibéraux extérieurs à l’Union, tels que le Bélarus ou la Serbie. La diversité normative actuelle de l’Europe a également conduit à des désaccords internes sur les priorités et les objectifs de la politique étrangère de l’UE.
Parallèlement, les défis et les risques pour la démocratie et la liberté dans le monde ne font que s’accroître. Aujourd’hui plus que jamais, l’UE est nécessaire en tant qu’agrégateur, façonneur et exécutant d’une politique étrangère européenne commune, de la même manière qu’elle détermine les politiques commerciales européennes. Pour remplir cette mission, les États membres de l’UE devraient soit revenir à leur ancien consensus normatif relatif, soit adopter un nouveau traité sur l’Union européenne conférant des pouvoirs supranationaux plus importants à Bruxelles, soit, dans le meilleur des cas, faire les deux. Rien de tout cela n’est susceptible de se produire dans un avenir proche.
En l’absence d’accord géostratégique entre les États membres de l’UE et/ou d’un nouveau traité sur l’Union, d’autres solutions institutionnelles sont nécessaires. Une solution consisterait à créer des alliances ad hoc en matière de politique étrangère et de sécurité entre les États membres de l’UE partageant les mêmes idées, qui uniront leurs forces pour atteindre certains objectifs. Le traité de Lisbonne permet une coopération partielle au sein de l’Union et donc une action conjointe de groupes de gouvernements européens partageant les mêmes idées. Cependant, le principe du consensus et le droit de veto national sur les décisions fondamentales de l’UE limitent le rôle potentiel du Conseil, de la Commission et du Service d’action extérieure en tant que vecteurs institutionnels d’une politique étrangère consolidée des démocraties européennes engagées.
Quoi qu’il en soit, la coopération intra-européenne ne peut être efficace que dans une mesure limitée. À elles seules, les démocraties européennes sont trop faibles pour s’imposer dans les conflits géopolitiques, économiques ou militaires mondiaux. Pour la coopération mondiale, un modèle de planification et de coordination interdémocratique est actuellement en train de voir le jour avec la coalition des volontaires (CdV) liée à l’Ukraine, qui est en préparation depuis le printemps 2025.
Cette alliance informelle et souple de démocraties rassemble 33 pays dont les gouvernements s’accordent largement sur les valeurs générales, les intérêts nationaux et les objectifs de politique étrangère. L’OTAN et l’UE participent également aux réunions de la coalition. La CdV comprend également des pays européens qui ne sont pas membres de l’UE, tels que le Royaume-Uni et la Norvège, ainsi que des pays éloignés de l’Europe, tels que l’Australie et le Japon. Si la CdV ne s’occupe actuellement que de l’Ukraine, elle pourrait élargir son champ d’action à d’autres questions importantes pour l’avenir de la démocratie à travers le monde.
Selon le professeur Michael McFaul de Stanford, le conflit mondial actuel oppose davantage les autocraties aux démocraties qu’il ne s’agit d’un « choc des civilisations », comme l’avait formulé il y a plus de trente ans le professeur Samuel Huntington de Harvard. La célèbre thèse de Huntington n’explique pas la coopération actuelle entre la Russie chrétienne orthodoxe, l’Iran islamiste fondamentaliste et la Corée du Nord paléo-communiste dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine chrétienne orthodoxe. La composition de l’Organisation de coopération de Shanghai ou du groupe BRICS ne correspond pas au schéma de Huntington, qui repose sur des collaborations et des conflits internationaux déterminés par la culture. En revanche, le titre du livre que McFaul vient de publier, Autocrats vs Democrats: China, Russia, America, and the New Global Disorder (« Autocrates contre démocrates : la Chine, la Russie, l’Amérique et le nouveau désordre mondial »), rend mieux compte de la dimension clé de la coopération et de la confrontation interétatiques futures.
L’effort conjoint des États membres et non membres de l’UE pour aider l’Ukraine dans le cadre de la CdV n’est donc pas une coïncidence, mais un symptôme. Il s’inscrit dans un redécoupage mondial des lignes de conflit résultant de l’opposition croissante entre, d’une part, les ordres ouverts et, d’autre part, les ordres limités ou fermés. Cela devrait avoir des implications institutionnelles pour les relations entre les démocraties européennes et non européennes qui souhaitent défendre et promouvoir les valeurs et les règles libérales.
Aujourd’hui, les autocrates et leurs diplomates, ainsi que des idéologues tels que le fasciste russe Alexandre Douguine, s’emploient à établir et à étendre des réseaux et des alliances internationaux, étatiques et non étatiques. Les gouvernements, les partis et les intellectuels antilibéraux d’Asie, d’Europe, d’Amérique et d’Afrique se soutiennent et se coordonnent de plus en plus entre eux. Pour des raisons d’autoprotection, les États, partis et ONG pro-démocratiques européens et non européens devraient faire de même. Les gouvernements et les sociétés civiles des démocraties libérales doivent mettre en place des coalitions et des institutions mondiales plus efficaces et plus globales, au-delà des frontières géographiques et culturelles.
Le G7 et l’OTAN, en tant que pôles potentiels de coopération interdémocratique mondiale, sont actuellement entravés par des impulsions antilibérales, un amateurisme administratif et la confusion stratégique de la nouvelle administration américaine. L’UE reste en proie à des contradictions nationales entre ses États membres et à des complications structurelles dans son processus décisionnel. Dans ce contexte, la CdV, jusqu’ici informelle, pourrait offrir une solution. Aux côtés d’autres réseaux, la CdV peut servir d’exemple, voire de noyau, pour une future coopération internationale générale entre les gouvernements et les groupes libéraux-démocratiques.
Les responsables politiques, journalistes et intellectuels pro-démocratiques devraient reconnaître que la CdV n’a pas seulement le potentiel d’être pertinente pour fournir un soutien ad hoc à l’Ukraine dans sa défense contre la Russie. La CdV devrait également être considérée comme une vitrine innovante et/ou un cadre possible pour une large coopération inter-démocratique sur d’autres objectifs communs. La reconceptualisation de la CdV qui en résulterait s’inscrirait dans le contexte de la confrontation mondiale croissante entre démocraties et autocraties, ainsi que de la collaboration croissante entre les dirigeants autoritaires et leurs idéologues au-delà des frontières, des cultures et des continents. Une action conjointe purement européenne en faveur de la démocratie sera insuffisante, même dans le cas (souvent improbable) d’une participation totale de tous les États membres, candidats et associés de l’UE.
Les organes gouvernementaux, les partis politiques, les groupes de réflexion et autres organisations nationales et internationales des 33 pays participants à la CdV devraient :
Traduit de l’anglais par Desk Russie
<p>Cet article L’Europe peut-elle faire cavalier seul ? a été publié par desk russie.</p>
15.12.2025 à 22:37
Dans la deuxième ville du pays, proche du front et de la frontière russe, la municipalité développe des écoles souterraines pour protéger élèves et enseignants.
<p>Cet article Ukraine : À Kharkiv, on enterre aussi les écoles a été publié par desk russie.</p>
Après plus d’un an et demi de fermeture, les écoles de la deuxième plus grande ville du pays, située non loin du front et de la frontière septentrionale de l’Ukraine avec la Russie, rouvrent progressivement leurs portes. Afin de protéger élèves et enseignants, la municipalité a mis en place un programme d’aménagement et de construction d’écoles souterraines. Visite de l’une d’elles à Saltivka, le plus vaste arrondissement de la ville.
Du béton gris sous un ciel gris. En cette mi-décembre, l’arrondissement de Saltivka, au nord-est de Kharkiv, aligne ses longs immeubles soviétiques et larges avenues sous une fine couche de neige. Les entrées se succèdent, toutes semblables, propres mais souvent vétustes, à la différence de l’une d’entre elles. Linteau et jambages aux arrêtes affutées, béton clair, une porte immaculée de couleur vive… Tout indique une construction récente. Passé cette porte, un hall d’entrée bien chauffé, fraîchement peint de nuances où prédomine le vert, vous mène à une cage d’escaliers qui diffère de ses consœurs : volées et paliers s’enfoncent sous terre, loin sous terre.

Bienvenue dans l’une des écoles souterraines de Kharkiv, où 1 430 élèves suivent leurs cours à l’abri des bombardements aveugles qui, nuit et jour, s’abattent sur l’ancienne capitale du pays. « Cette école a ouvert le 1erseptembre », indique Natalia Vorobiova, chargée de la communication au sein du département de l’éducation de la mairie de Kharkiv. Calme, précise dans ses réponses, Natalia maîtrise parfaitement son sujet. C’est elle qui nous guidera dans cet établissement qui semble faire la fierté du conseil municipal.
Les chiffres, il est vrai, sont impressionnants. Ce complexe de 1 700 m² se situe « à plus de sept mètres sous terre et a été construit en seulement neuf mois », indique Natalia, au détour d’un long couloir orné des guirlandes et autres décorations de Noël. Ces murs protecteurs accueillent « des élèves de la 1ère à la 11e section [du CP à la terminale dans le système français, NDLR], dans 16 salles de classe », poursuit-t-elle, avant de pousser une porte.
À notre entrée, une vingtaine de gamins réagissent comme il se doit par un long « bonjooour » et, politesse oblige, se lèvent de leur siège avec un grand sourire aux lèvres. Leur regard interrogateur cherche à percer la raison de cette soudaine intrusion. « C’est une leçon de mathématiques », indique l’enseignante, en désignant le tableau interactif, flambant neuf, tout comme le reste du mobilier. On ne s’impose pas plus longtemps.
Pour garantir une parfaite autonomie de l’école souterraine, rien n’a été négligé. Porte après porte, on découvre une infirmerie, un système de pompage d’eau, des citernes… Un groupe électrogène et une communication Internet autonome complètent cette organisation méthodique aux airs de ligne Maginot.
La construction de l’école a été rigoureusement encadrée par les services de l’État. « Ils contrôlent les sorties de secours, les systèmes de ventilation, le niveau de protection… La régulation impose aussi un certain nombre de mètres carrés par élève », explique Natalia, qui précise par ailleurs qu’il est « interdit d’enseigner dans les écoles qui ne disposent que d’abris élémentaires. »
Afin de garantir l’accès à l’établissement à tous les élèves du quartier, poursuit Serhiy Makeïev, le directeur de l’école qui nous rejoint en cours de visite, « le fonctionnement des cours est organisé en deux sessions quotidiennes : une partie des élèves fréquente l’école de 8 h 30 à 13 heures ; une autre de 13 heures à 16 heures. » Grâce à ce roulement, les enfants du quartier ont pu reprendre une partie de leur éducation en présentiel. Les locaux ne sont pas suffisamment vastes pour assurer un accès permanent à l’école pour chaque enfant du quartier.

L’ouverture de l’école, indique Anna Yatsenko, professeure d’ukrainien que nous rencontrons dans le hall d’entrée, a été « bien accueillie » par les parents. De février 2022 à septembre 2023, rappelle sa collègue, Olga Skydan, professeure d’anglais et de français, l’enseignement se déroulait exclusivement en ligne. « Certains parents ne supportaient plus de voir leurs enfants passer leurs journées devant un écran », indique-t-elle, sur un ton compréhensif.
Pour cause, la pratique de l’enseignement en ligne, certes commode en cas de situation extrême, a montré ses limites ; en termes d’efficacité pédagogique mais aussi d’un point de vue social. « Certains élèves, à force de rester chez eux, ne savaient plus comment se comporter en société ; mais depuis la reprise des cours [en présentiel], nous voyons que la situation s’améliore », assure Olga, confiante dans ces progrès.
Le programme de la ville n’en est pas à son premier essai ; et la perspective d’envoyer ses enfants étudier sous terre serait désormais bien acceptée, à Saltivka comme ailleurs. Les premières écoles souterraines, rappelle Natalia, ont ouvert dès septembre 2023, dans des stations de métro fermées pour l’occasion. « Au cours des premiers jours, se souvient-elle, il a fallu rassurer les parents quant à la résistance de ces installations ; mais après une semaine, ils ont été convaincus. »
Interrogés sur les limites que pourrait imposer ce confinement souterrain, les deux enseignantes se montrent rassurantes. Ici, explique Anna, il est « possible de faire cours normalement ». Seul écueil, les activités de plein air demeurent impossibles. Comme l’explique le directeur, il est interdit aux instituteurs de se rendre à l’extérieur avec les élèves, sécurité oblige. Au bout du couloir, rires et petits pas.

La visite reprend. Natalia ouvre une autre porte. Quelques élèves d’une dizaine d’années se retournent ; les autres demeurent concentrés. « Ici, on propose aux élèves des séances de relaxation », indique-t-elle, en saluant la psychologue. À une vingtaine de kilomètres du front, un tel soutien s’avère précieux pour les enfants ; d’autant qu’en 2022, des combats ont eu lieu dans l’arrondissement même, avant que l’armée russe ne soit repoussée. « Kyïvsky [un arrondissement voisin, NDLR] et Saltivka ont été parmi les plus touchés au début de la guerre, souligne le directeur. Mais à présent, n’importe lequel des 9 arrondissements peut être bombardé. »
Ces mauvais souvenirs ne sont pas les seules causes de troubles psychologiques pour les élèves. Certains d’entre eux ont perdu des membres de leur famille ; d’autres ont dû fuir les combats ou les territoires occupés avec leur famille. « L’école compte plus de 200 élèves déplacés », poursuit le directeur. Selon lui, leur intégration se déroule sans encombre. Venus des oblasts de Kharkiv, Soumy, Donetsk, Louhansk et d’ailleurs, des milliers de réfugiés ont refait leur vie ici, à Kharkiv, malgré la proximité du front. Retour au hall d’entrée. La discussion se poursuit à la cafétéria.
En dehors de l’école que nous visitons, indique Natalia, six autres ont été construites sous terre. Les premières écoles souterraines, installées dans des stations de métro dès 2023, existent toujours et une nouvelle station a été convertie depuis. Enfants et adolescents sont également accueillis dans des locaux préexistants qui disposent d’abris en béton appropriés.
Sur les près de 105 000 élèves que comptent l’agglomération, « environ 18 000 » sont aujourd’hui en mesure de suivre « un programme de cours mixtes – en présentiel et à distance », précise notre interlocutrice. Bien d’autres structures protégées devront être construites pour permettre à chaque élève de suivre au moins une partie de ses cours en présentiel. « La construction de trois autres écoles souterraines est actuellement en cours et elles commenceront à fonctionner début 2026 », ajoute-t-elle avec assurance.
Le défi est de taille mais, souligne Natalia, « je n’ai pas l’impression que nous manquons de soutien ». La mairie, rappelle-t-elle, est assistée dans la conduite de son programme par différentes institutions. « En tant que région traversée par le front, poursuit-elle, nous recevons un soutien financier de la part de l’État qui permet de financer les repas des 5e – 11e sections [les classes allant de la 6e à la terminale, NDLR]. » En dehors des aides de l’État, poursuit-t-elle, de nombreuses ONG et organisations internationales soutiennent le programme de la commune.

Les marques de solidarité sont en effet nombreuses. L’association ukrainienne Initiative éclairée (Osvitchena Initsiatyva) et l’association allemande GIZ ont contribué à l’ameublement des classes, et l’Assistance de l’Église de Finlande (Finn Church Aid) au financement des sessions de soutien psychologique aux élèves ; le gouvernement japonais a financé l’acquisition de bus scolaires, tandis que la ville a signé un partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et reçoit l’aide du Programme alimentaire mondial pour financer des repas des élèves. Grâce à ce soutien, affirme Natalia, « toutes les conditions sont réunies pour fournir une éducation inclusive aux enfants ».
Par ailleurs, ajoute la communicante, la coopération entre les villes de Kharkiv et de Lille se poursuit, dans le cadre du jumelage qui unit les deux métropoles depuis 1978. C’est ainsi, précise-t-elle, que quatre groupes d’enfants ont été envoyés dans la capitale des Hauts-de-France entre avril 2024 et août 2025, pour participer à ce que la mairie de la métropole française qualifie de « séjours de répit ».
Selon Natalia, le projet des écoles souterraines de la mairie de Kharkiv fait aujourd’hui figure de modèle en Ukraine. « On construit des écoles de ce genre à Zaporijjia et à Mykolaïv. Les maires des villes situées à proximité du front sont venus nous rencontrer, car la première école souterraine [d’Ukraine] a été ouverte à Kharkiv à l’initiative du maire, Ihor Terekhov. Nous avons partagé notre expérience avec eux. » Au cours de l’année à venir, conclut-elle, la mairie de la ville souhaite relever un nouveau défi : ouvrir « la première école maternelle souterraine d’Ukraine. »
<p>Cet article Ukraine : À Kharkiv, on enterre aussi les écoles a été publié par desk russie.</p>
15.12.2025 à 22:37
La NSS-2025 ressemble à un manifeste MAGA, sans véritable contenu d’expertise stratégique et géopolitique. Elle n’en est pas moins significative et laisse redouter le pire.
<p>Cet article Sur la « Stratégie de sécurité nationale » des États-Unis a été publié par desk russie.</p>
La publication par l’administration américaine d’une Stratégie de sécurité nationale (NSS-2025) est une obligation légale qui implique un lourd exercice bureaucratique et l’établissement de compromis entre les différents « departments » (les ministères) et agences des États-Unis. Il s’agit d’un document important qui donne des indications sur la vision du monde de l’équipe dirigeante et ses priorités stratégiques. L’auteur s’interroge sur l’attitude des Européens et les réponses à apporter à la stratégie américaine.
Présentée le 4 décembre, la Stratégie de sécurité nationale de la seconde administration Trump marque une rupture avec les documents antérieurs publiés au cours de la guerre froide et dans les trois décennies qui suivirent. Passons sur les vingt-sept références nominatives à Donald Trump, sur vingt-neuf pages, dont la personne semble mise au-dessus des États-Unis ; le fait est sans précédent et il en dit long sur la ruine de l’esprit public. Nonobstant le constant rappel que les États-Unis sont une superpuissance, la NSS-2025 confirme la volonté de l’administration Trump de renoncer au rôle de gardien du système international et de stabilisateur hégémonique. Le monde peut bien aller en enfer, les doctrinaires de l’administration Trump, en disciples inavoués d’Ayn Rand (libertarienne et non pas national-conservatrice) n’en ont cure : « Atlas shrugged » [litt. « Atlas a haussé les épaules » ; c’est le titre du roman le plus influent d’Ayn Rand, traduit en français sous le titre La révolte d’Atlas, NDLR]. En dépit de multiples répétitions sur la force sans égale de l’Amérique, ils semblent faire leur l’illusion du « grand retranchement » et de la « Forteresse Amérique » qui prévalait dans l’entre-deux-guerres31, illusion qui s’évapora lors du bombardement japonais sur Pearl Harbor, le 7 décembre 1941.
Alors que la NSS publiée en 2017, lors du premier mandat de Donald Trump, qualifiait la Russie et la Chine de puissances révisionnistes qui faisaient vaciller la stabilité internationale, la première paraît n’être désormais qu’un problème européen, la seconde semblant constituer un rival géo-économique plus qu’une menace stratégique : adieu donc le grand théâtre Indo-Pacifique sur lequel il fallait pratiquer une version nouvelle et élargie de l’endiguement (le « containment ») ? Il est vrai que les références aux alliés européens sont nombreuses mais ils sont considérés comme des États-clients avec lesquels les relations seraient strictement bilatérales, monétarisées et réversibles à tout moment32. Sur le plan stratégique, l’importance de l’Europe vient, dans l’ordre, après celles de l’ « Hémisphère occidental » (ajout pompeux d’un « corollaire Trump » à la doctrine Monroe33) et de l’Asie-Pacifique, voire celle du Moyen-Orient !
Encore est-ce pour morigéner l’Europe, arguant à cette fin des rapports historiques et civilisationnels entre les deux rives de l’Atlantique Nord. Le continent européen, est-il écrit, sera « méconnaissable dans vingt ans ou moins », si les tendances actuelles se poursuivent. « [Son] déclin économique est éclipsé par la perspective réelle et plus abrupte d’un effacement civilisationnel. » Les symptômes mis en exergue par la NSS-2025 sont les suivants : la chute de la natalité, l’immigration et la perte des identités nationales, la répression des oppositions politiques, la censure de la liberté d’expression et « l’asphyxie réglementaire », celle-ci expliquant la part décroissante de l’Europe dans la production mondiale des richesses. « À long terme, il est plus que plausible qu’en quelques décennies au maximum, certains pays membres de l’OTAN seront à majorité non européenne », avance le document. Bref, l’Europe fait figure de « Wokistan » et d’annexe du Parti démocrate américain, considéré par Donald Trump comme un « ennemi du Peuple34 ».
En réponse aux maux de l’Europe, la NSS-2025 prône une sorte d’annexion idéologique, tout en expliquant que les États-Unis ne veulent plus s’engager dans la défense du Vieux Continent (les États-Unis sont posés en tiers et « honest broker » entre la Russie et l’OTAN, comme s’ils n’appartenaient déjà plus à cette dernière). À bien des égards, la NSS-2025 ressemble à un manifeste MAGA (Make America Great Again), sans véritable contenu en matière d’expertise stratégique et géopolitique, qui confirme plus qu’il ne révèle l’imago de la base trumpiste. Il n’en est pas moins significatif et laisse redouter le pire. Russes, Chinois, Iraniens et Nord-Coréens sont encouragés dans leurs ambitions géopolitiques, voire seront pressés de passer à l’acte avant que la « fenêtre de tir » ne se referme. L’histoire montre en effet que les Américains sont versatiles et peuvent entrer en guerre après avoir un certain temps laissé penser qu’ils étaient définitivement indifférents au sort du monde extérieur, mis en coupe par des tyrans et des despotes, d’où la nécessité de presser le pas.

S’il ne sert à rien de s’indigner et de polémiquer, l’attitude des puissances européennes doit être ferme, d’abord et avant tout à propos de l’Ukraine, première ligne de défense du Vieux Continent face à la Russie-Eurasie. Quatre ans après l’ultimatum de Poutine à l’Occident et le lancement de son « opération militaire spéciale », le maître du Kremlin n’a renoncé à rien, en Ukraine, et dans toute l’Europe, qu’il voit au prisme de l’idéologie eurasiste, soit un petit cap de l’Asie à dominer par une combinaison de méthodes directes et indirectes. Pour ne pas se laisser marginaliser par le duo Trump-Poutine, une « coalition des volontaires » a vu le jour. Fondée sur une initiative du président tchèque Petr Pavel, le 1er mars 2025, elle regroupe trente-cinq pays opposés à l’agression militaire russe, qui veulent compenser le risque d’un désengagement américain35.
Le 10 avril 2025, la coalition des volontaires est officiellement constituée au siège de l’OTAN (Bruxelles). À cette occasion est proposée la création d’une « Force de réassurance » dans le but de maintenir la paix en Ukraine en cas de cessez-le-feu. Concrètement, la coalition des volontaires a pour objectif de faciliter les négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie et d’obtenir de solides garanties de sécurité pour dissuader une nouvelle agression russe, après un hypothétique cessez-le-feu36. Ce dispositif, encore théorique, doit être repensé dans la perspective d’un lâchage de Kyïv par l’administration Trump et d’une nécessaire préservation de l’indépendance ukrainienne, au-delà du seul soutien financier, économique et militaro-industriel (la livraison d’armes et les coopérations entre industriels de l’armement). Si tel n’était pas le cas, les « volontaires » se révèleraient velléitaires et inconséquents.
Plus généralement, l’urgence de la situation exige que la réponse au désinvestissement américain de l’Europe soit préparée au plus vite. Il serait hasardeux de penser qu’un affaiblissement ou une éclipse de l’OTAN pourrait être compensés par l’ « Europe de la défense », c’est-à-dire la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne. De fait, la défense de l’Europe – de l’Atlantique au bassin du Don et de l’Arctique à la Méditerranée orientale –, excède les limites politico-institutionnelles et géographiques de l’Union européenne. Pour cette raison, le Royaume-Uni, la Norvège, l’Islande ainsi que la Turquie, sur le flanc sud-est et dans le bassin de la mer Noire, doivent être parties prenantes de la défense de l’Europe. Or, ces pays membres de l’OTAN ne le sont pas de l’Union européenne. Cette dernière a toute sa place pour mobiliser les financements nécessaires au réarmement des Européens, soutenir la modernisation des infrastructures essentielles et favoriser l’émergence d’un marché européen de l’armement, mais l’organisation de la défense de l’Europe et la coordination des efforts nationaux requièrent un cadre géostratégique élargi.
L’enjeu global réside dans l’européanisation de l’OTAN, dont les états-majors, les standards, l’interopérabilité et les savoir-faire constituent de précieux actifs géostratégiques37. Une telle entreprise nécessiterait une grande négociation transatlantique, qu’il faut tenter. Les États-Unis assureraient la fourniture des moyens faisant défaut aux États européens membres de l’OTAN, ces derniers comblant le retrait de forces et d’équipements américains aujourd’hui déployés sur le sol européen, notamment sur le front oriental de l’OTAN. Il faudra aussi qu’ils arment plus de postes de commandement dans la structure militaire de l’OTAN, avec à l’horizon la nomination d’un officier général européen comme SACEUR (Commandant suprême des forces alliées en Europe). À terme, les alliés européens devraient acquérir les moyens permettant d’accroître leur capacité à agir collectivement, ce qui rééquilibrerait les rapports entre les deux rives de l’Atlantique Nord38.

Nous avons vu enfin que la défense de l’Europe dépasse les capacités politico-institutionnelles de l’Union européenne : outre l’Ukraine, sa première ligne de défense, elle requiert des pays hors de l’UE, tels que le Royaume-Uni, la Norvège et la Turquie. Par ailleurs, l’organisation modulaire de cette défense et les multiples coopérations régionales renforcées (cf. supra) posent le défi de l’unité et de la cohérence de l’ensemble. La situation nécessite une sorte de directoire informel : un G-4 (ou E-4) réunissant Paris, Londres, Berlin, Varsovie, ou encore un G-5 (les mêmes plus Rome), qui donnerait l’impulsion, faciliterait la décision au sein de l’Union européenne et d’une OTAN européanisée, et assurerait l’interface avec Washington pour les questions diplomatico-stratégiques et militaires. Cette fonction serait cruciale : les États-Unis, qui ne se veulent plus une « puissance européenne » mais une « puissance en Europe », sont susceptibles de se comporter en « spoliateur » ( « spoiler »), rompant avec leur rôle historique de « stabilisateur hégémonique ». Si ce regroupement de puissances parvenait à établir une symmachie, c’est-à-dire une alliance politico-militaire permanente et stable, il pourrait se transformer en un Conseil de sécurité paneuropéen dont la composition évoluerait selon les questions stratégiques et les espaces géopolitiques (des membres provisoires en sus des membres permanents).
Enfin, la possibilité d’un retrait américain oblige à traiter de la dissuasion nucléaire élargie, toujours assurée à ce jour par les États-Unis39. En vérité, l’irrésolution de Donald Trump et son mépris proclamé pour l’Europe et l’OTAN ont entamé la crédibilité sur laquelle repose l’option nucléaire. Dans une telle perspective, la France et le Royaume-Uni devraient alors assurer une stratégie de dissuasion nucléaire élargie à l’échelle de l’Europe. D’ores et déjà, les dirigeants allemands, polonais, baltes et autres prennent très au sérieux cette question. Étroitement liés sur les plans militaire et nucléaire, Paris et Londres devraient penser et conceptualiser une doctrine de dissuasion d’envergure européenne, capable de contrecarrer les gesticulations nucléaires du Kremlin. Les deux capitales pourraient coordonner leurs patrouilles de SNLE (sous-marins nucléaires lance-engins), afin de renforcer le principe de permanence à la mer, gage d’invulnérabilité des moyens de la dissuasion. Le Royaume-Uni ne possédant plus de composante aérienne, il reviendrait à la France de déployer des avions Rafale, armés de missiles nucléaires aéroportés, sur le territoire de pays volontaires, cela dans le cadre d’accords bilatéraux40. Ces pays participeraient au « soutien logistique des opérations nucléaires » (ouverture de bases, défense aérienne et ravitaillement en vol). À terme, il devrait être envisagé une forme de « partage nucléaire », avec un système de double-clef. Bref, il faudrait répliquer les mécanismes de l’OTAN, mais sans les États-Unis, ce qui impliquerait la constitution d’un Groupe de planification nucléaire (GPN) européen41.
L’essentiel dans un premier temps est de réarmer, pour disposer des moyens militaires qui élargiront le champ des possibles. Ce point crucial ouvre sur la question de la puissance. Celle-ci ne réside pas dans le lyrisme des songe-creux, le volontarisme ou dans la capacité à séduire (le très galvaudé « soft power », curieusement mentionné par la NSS-2025). La puissance se définit comme la capacité à agir avec force pour imposer sa volonté, ce qui suppose déjà que l’on possède les moyens d’action requis. Il importe enfin que l’on saisisse l’esprit du temps, ce que veut exprimer le concept de « moment machiavélien » : « moment » au sens de point de compression temporel et d’accumulation des énergies ; « machiavélien » pointant l’Italie du XVIe siècle, lorsque la furia francese fit s’effondrer les équilibres entre les cités et les principautés de la Péninsule. En vérité, la situation est bien plus grave et la convergence des lignes dramaturgiques fait songer aux batailles titanesques de la mythologie. L’Europe vit un moment épochal.
<p>Cet article Sur la « Stratégie de sécurité nationale » des États-Unis a été publié par desk russie.</p>