Marie Poulain et Pierre-Olivier Garcia
Résumé : Situé à La Grave dans les Hautes-Alpes françaises, le glacier de la Girose est un site à la fois récréatif et touristique. Pendant la saison hivernale, c’est un espace aménagé pour la pratique du ski freeride grâce à la construction d’un téléphérique en 1978 complété par des téléskis en 1989. En saison estivale, la Girose est un site de tourisme glaciaire, proposant des activités « sur » et « autour » du glacier. Depuis 2020, ce site se retrouve pris dans un conflit territorial lié au projet d’extension d’un troisième tronçon du téléphérique, avec l’objectif de déposer les usager·es au-delà du glacier, à 3600 m d’altitude. Toujours d’actualité en 2023, le conflit crée des tensions fortes dans le territoire. Il révèle une grande difficulté à l’émergence d’un débat public et politique sur la trajectoire du territoire, dans son rapport au téléphérique et au glacier.
Cet article, basé sur le champ émergent de la géologie politique et sur une enquête qualitative menée à la Grave entre janvier 2021 et juillet 2022, analyse le glacier de la Girose en tant que strate glaciaire. Alors que le projet de territoire se structure depuis plus de trente ans autour du téléphérique et du glacier, on observe à La Grave un processus de climatisation non-intentionnelle du territoire, du fait d’un aléa géomorphologique lié aux conséquences du changement climatique sur le glacier, du conflit territorial et d’institutions étatiques.
Si le territoire apparaît comme verrouillé dans son rapport au téléphérique et au glacier, le conflit ouvre la possibilité d’envisager différentes figures de réagencement face à une strate glaciaire qui n’est pas maîtrisable et qui se désagence. Nous décrivons quatre figures de réagencement énoncées par les enquêtés : le climatoscepticisme, l’anticipation de la mise en ressource d’une montagne sans glacier, la réouverture du projet de territoire et la vérité locale de l’aménageur. Finalement, la négociation avec les strates terrestres apparaît comme une stratégie de transition au regard de processus terrestres qui excèdent toujours les projets de territoire.
(texte intégral disponible en ligne)