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20.12.2025 à 14:10

Les soulèvements de la génération Z

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Le 25 juin 2025 au Kenya, un an jour pour jour après une manifestation dont la répression par la police du président William Ruto avait fait seize morts, des milliers de jeunes marchent à nouveau, en mémoire de ces victimes et pour réclamer plus de justice sociale. Le 25 août 2025, c’est dans une vingtaine … Continuer la lecture de Les soulèvements de la génération Z

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Texte intégral (2763 mots)

Le 25 juin 2025 au Kenya, un an jour pour jour après une manifestation dont la répression par la police du président William Ruto avait fait seize morts, des milliers de jeunes marchent à nouveau, en mémoire de ces victimes et pour réclamer plus de justice sociale.

Le 25 août 2025, c’est dans une vingtaine de villes d’Indonésie que la jeunesse se soulève, pour une troisième vague de révoltes suscitant là aussi une réplique mortelle du pouvoir.

Entre le 8 et le 13 septembre 2025, le Népal s’enflamme après l’interdiction des réseaux sociaux par le Gouvernement, avec là encore des étudiants et de jeunes citoyens en première ligne.

Peu après, entre le 25 septembre et le 14 octobre 2025, se succèdent les manifestations à Madagascar, contre la corruption et les trop fréquentes coupures d’eau et d’électricité.

À partir du 30 septembre et pendant le mois d’octobre dernier, c’est au Maroc qu’un mouvement baptisé GenZ-212 (le 212 étant l’indicatif téléphonique du pays), s’étend dans plusieurs villes pour protester contre les investissements pharaoniques pour les stades de football1, la pauvreté galopante, l’état déplorable des hôpitaux et plus largement des services publics.

Et le 16 octobre au Pérou, sur le continent américain cette fois, le soulèvement naît d’une même jeunesse qui transmet un même message de ras-le-bol social et d’exigences démocratiques… Avec, en réponse, une même violence du pouvoir, marquée par le décès très symbolique d’un rappeur de 32 ans, mais aussi, une promesse dont la portée dépasse les frontières des nations : « La jeunesse unie ne sera jamais vaincue. »

Le Kenya, l’Indonésie, le Népal, le Maroc, Madagascar, le Pérou, mais aussi, depuis plus d’un an, le Bangladesh, les Philippines ou encore, la Serbie : partout sur la planète semble se révolter ce que d’aucuns appellent la génération Z, c’est-à-dire, des jeunes âgés de 13 à 28 ans.

À chaque fois, les manifestants se lèvent contre la corruption du pouvoir, pour plus de justice sociale et des actions tangibles pour la santé, l’éducation ou l’emploi. La répression est systématique, mais les conséquences varient évidemment en fonction des situations et contextes politiques de chaque pays.

Des mouvements aux horizons disparates d’un pays à un autre

À l’instar de la loi de finance que prévoyait d’imposer le président du Kenya à fin 2024 et dont la mise en place a été annulée, les gouvernements reculent ici et là, histoire de rester en place malgré la colère des populations.

En Serbie, par exemple, trois mois après la mort de quatorze personnes suite à l’effondrement d’un auvent de la gare de la ville de Novi Sad le 1er novembre 2024, le premier ministre démissionne suite aux manifestations, tandis que s’accroche à son fauteuil doré le président de droite nationaliste, Aleksandar Vucic.

Parfois, ce sont des militaires qui prennent le relais. C’est ce qui s’est passé à Madagascar le samedi 11 octobre 2025 à 5 heures du matin, lorsque les soldats du Corps d’armée des personnels et services administratifs ont ouvertement pris le parti des protestataires de la génération Z  contre le président Andry Rajoelina…

Au Maroc, le mouvement populaire est parti de la mort de jeunes femmes lors de complications suite à leurs accouchements. La jeunesse exprime dans les cortèges sa colère au travers d’un message intergénérationnel : « Nous défendons nos mères ». Ce slogan, à la fois spontané et réfléchi, s’ancre dans l’évolution récente du paysage médical au Maroc, marqué par un fort processus de privatisation. Focalisée sur les « services publics », cette mobilisation raccourcit dès lors la distance entre les enjeux du Maghreb, voire de l’Afrique, et le contexte social des démocraties européennes.

Cas de figure tout autre au Bangladesh : motivés par le refus d’une loi réservant 30 % des postes de fonctionnaires aux descendants des combattants indépendantistes, les soulèvements de juillet 2024 ont provoqué la création du Parti national des citoyens (le NCP) par les étudiants… Mais la suite pose question. En effet, en novembre 2025, les élections ne sont plus à l’ordre du jour et le Jamaat-i-islami, Parti islamiste historique, courtise ce nouveau parti pourtant issu d’un élan protestataire. De fait, le Bangladesh poursuit son évolution vers toujours plus de réislamisation, au détriment du droit des femmes, depuis la fin en 2024 du règne corrompu et violent de Sheikh Hasina, qui s’était elle-même alliée aux islamistes…

Contre la corruption, culture pop et vigilance démocratique

Les soulèvements de ladite génération Z seraient-ils « destituants », mais jamais réellement « constituants » d’alternatives politiques solides sur le long terme ? Sans doute faut-il se méfier de conclusions trop hâtives.

Peut-être convient-il aussi, avant toute analyse forcément partielle et partiale, en particulier depuis quelque salon parisien, de se féliciter d’une tendance planétaire pouvant être interprétée comme une réponse salutaire à l’incurie de pouvoirs bunkérisés, violents et corrompus partout dans le monde, mais également comme un contrepoint bienvenu à la montée des populismes d’extrême-droite.

La politique se construit par des flux et des reflux de moments de régression et d’élans émancipateurs, des allers et retours le plus souvent imprévisibles entre soumissions et protestations, réactions et rébellions, vagues conservatrices et courants libérateurs. Sous ce regard, les soulèvements pluriels de ladite jeunesse, d’évidence toujours accompagnée d’acteurs plus âgés et d’origines diverses, sont des indéniables signes d’espoir démocratique. Ils méritent d’être analysés en tant que tels, dans leurs différences comme dans leurs points de convergence.

L’une de leurs spécificités communes est l’absence de leaders autoproclamés ou reconnus auprès des médias ou décideurs, ainsi que la volonté de préserver la dimension collégiale de leur gouvernance – pour peu que celle-ci existe ouvertement. Ces mouvements se revendiquent « autonomes ». C’est pourquoi les jeunes, lorsqu’ils se mobilisent, cultivent dès les premières manifestations une méfiance vis-à-vis des syndicats et des partis institués – que cette mise à distance perdure comme en Serbie ou s’effiloche peu à peu comme au Bangladesh.

Cette défiance vis-à-vis des institutions et cette rébellion contre les élites de leur pays pourrait avoir comme symbole l’utilisation, par les révoltés, de Tananarive à Madagascar à Lima au Pérou, du pavillon des pirates au chapeau de paille de Monkey D. Luffy, figure majeure de la série d’animation japonaise One Piece. Cet emblème hybride la tête de mort sur fond noir, étendard hors-la-loi des pirates des mers, et clin d’œil aux hackers, au couvre-chef modeste des travailleurs de la terre, héritier d’une mémoire collective des paysans en lutte contre leur exploitation. Il incarne l’histoire d’un personnage qui, s’envolant sur son navire pour une chasse au trésor, en vient à fédérer un collectif de soutien aux laissés-pour-compte. À militer et à agir pour un changement de société. De fait, ce drapeau noir détourné du manga One Piece est la plus signifiante des références à une culture populaire mondialisée que mobilisent les jeunes dans les rues. Il est le symptôme d’une tentative de revitalisation des codes de la protestation – et d’une volonté de dialogue à l’échelle internationale qui semble plus manifeste encore qu’au début des années 2010.

Dernier détail d’importance : non seulement les imaginaires, mais aussi les outils du numérique sont très « naturellement » utilisés par les jeunes récalcitrants en quête de démocratie. C’est l’un des points communs avec les « printemps arabes » de 2011. Sauf que cette fois, Facebook est, pour de multiples raisons, de surveillance notamment, moins prisé : le principal outil est la plateforme de messagerie Discord, très largement adoptée par le monde du jeu vidéo, et qui compte tout de même plus de 600 millions d’utilisateurs dans le monde.

Des perspectives sociales et politiques en devenir

Qui sait si de tels mouvements de la « Gen Z » ne pourraient contaminer demain d’autres pays, de l’Afrique aux Amériques en passant par l’Europe ? Pourquoi pas la France, le Canada, le Brésil, etc. ?

Les soulèvements récents, du Kenya au Pérou en passant par Madagascar, n’ont aucun rapport direct avec les mobilisations des jeunes lycéens et étudiants – de cette même génération Z donc – en Europe et aux États-Unis, d’une part contre le réchauffement climatique au travers de grandes manifestations, d’autre part contre le « génocide » de tout un peuple à Gaza, en particulier par l’occupation de campus. Ils s’engagent moins sur des enjeux écologiques et politiques globaux que, plus prosaïquement, sur des problèmes sociaux, contre la précarité et contre la corruption qui bloquent toute amélioration de leurs conditions de vie au quotidien. Mais au-delà de causes et de modalités d’engagement différentes, ces deux types de mouvement partagent, outre le jeune âge de leurs acteurs majeurs, une façon vive et résolue de s’opposer au silence, voire au mépris des élites et des gouvernements.

Rien n’interdit donc d’envisager la potentialité de convergences futures entre les problématiques sociales, écologiques et politiques des uns et des autres.

L’enjeu n’est pas d’idéaliser la jeunesse, qui, bien sûr, ne peut intégralement se retrouver dans de tels soulèvements, et ce d’autant qu’elle doit composer avec des régimes politiques le plus souvent aussi délétères dans leur propagande et leur dispositif répressif que peu disposés à laisser quelque place pour plus de démocratie.

Force est néanmoins de reconnaître la lucidité des mouvements qui se développent grâce à la jeunesse de la Serbie au Maroc et du Népal au Pérou, tant sur le fond que sur la forme horizontale de leur démarche. L’exemple des longues marches des jeunes Serbes, de villes comme Novi Sad aux villages qu’ils souhaitent également toucher, est à ce titre très instructif. Si les principes qu’ils revendiquent semblent bien éloignés du populisme xénophobe qui semble faire florès dans les pays de l’ex-Europe de l’Est, ils ne répondent pas aux provocations d’un pouvoir les accusant d’être pilotés par l’étranger : le 1er novembre 2025, même si l’envie ne manquait pas, il n’y avait pas de drapeau européen dans la manifestation en hommage aux victimes d’il y un an…

Ces soulèvements ne vont pas changer le monde du jour au lendemain. Leurs revendications sont moins révolutionnaires que pragmatiques, dans l’ici et le maintenant des lieux où ils naissent. Ils vont encore et toujours se heurter à la violence de la répression – comme hier en Iran et ailleurs. Les désillusions ne manqueront pas, à l’instar de la façon dont la réaction islamiste semble avoir récupéré la vague rebelle au Bangladesh. Mais ces soulèvements, qui s’étendent et perdurent sans perdre leur sens dans la majorité des pays concernés, ont la capacité à se constituer demain en de véritables contre-pouvoir, en particulier s’ils trouvent des alliés qu’ils réussissent à maintenir à bonne distance. Parier sur eux n’est pas vain. Car ils sèment aujourd’hui des graines pour des lendemains plus lumineux.

1Coupe d’Afrique des nations au Maroc du 21 décembre 2025 au 18 janvier 2026, mais aussi Coupe du monde de football de 2030 coorganisée par le Maroc, le Portugal et l’Espagne.

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20.12.2025 à 14:02

Sortir l’IA des nuages Vers une utilisation locale des IA LLM

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Comment lutter contre la destruction de l’environnement par le numérique alors que les géants de la tech envisagent de construire des data centers de la taille de Manhattan ? Que faire face au péril écologique et politique de l’IA ? Le désespoir ne manque pas. Légion sont ceux qui s’enveniment l’esprit de passions tristes, et dont le … Continuer la lecture de Sortir l’IA des nuages
Vers une utilisation locale des IA LLM

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Texte intégral (3171 mots)

Comment lutter contre la destruction de l’environnement par le numérique alors que les géants de la tech envisagent de construire des data centers de la taille de Manhattan ? Que faire face au péril écologique et politique de l’IA ? Le désespoir ne manque pas. Légion sont ceux qui s’enveniment l’esprit de passions tristes, et dont le sommeil dogmatique paralyse l’action. Réveillez-vous ! Ni enfer ni paradis ne vous attendent. Les générations futures attendent de vous un sursaut d’intelligence collective vers un monde durable. Il est temps de s’engager ensemble dans la dynamique de réappropriation de nos données, de nos immatériels et de nos IA.

De quelle manière ? Peut-être pourrait-on commencer par changer nos usages en utilisant les IA en local sur nos ordinateurs. De fait, on peut par exemple utiliser des plateformes comme Docker Model Runner1 pour faire tourner sa propre IA sur son ordinateur et ainsi contrôler son impact environnemental tout en préservant la confidentialité de ses données personnelles. C’est dans cette visée que cet « À chaud » se propose d’introduire le lecteur à une utilisation de l’IA en local en montrant avant tout le bénéfice écologique et politique que cela apporterait.

Pourquoi est-il urgent de changer nos usages de l’IA ?

Le numérique, dont le greenwashing ne fait plus illusion, est aujourd’hui rattrapé par le poids de sa matérialité. Loin d’alléger sa part dans la crise climatique, il représente aujourd’hui environ 3,9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (ce qui est équivalent au transport aérien) et suit une trajectoire de croissance que les estimations jugent deux fois plus rapide que la moyenne mondiale des autres secteurs2.

La frénésie de l’IA s’inscrit précisément dans cette dynamique d’emballement, où chaque avancée technologique est immédiatement absorbée par une infrastructure toujours plus énergivore et carbonée3. Aussi, malgré d’impressionnants gains d’efficacité, la consommation énergétique des data centers n’a été que marginalement contenue (+6 % entre 2010 et 2020), alors que leur capacité de calcul a explosé de 550 %. On est aujourd’hui face à un effet rebond directement lié à la course au développement de l’IA dont l’usage se généralise et dont les perspectives de progrès reposent sur l’extension des jeux de données et l’augmentation de la taille des paramètres.

Le marché spécule sur des modèles toujours plus « larges ». Seulement, à mesure que les jeux de données s’élargissent, les corrélations fallacieuses augmentent dans le paramétrage. On en arrive à produire des « IA dégénératives » accumulant du bruit dans leur système dont le progrès vers « l’IA générale » rêvée est en l’état inconcevable. La loi d’échelle appliquée à l’amélioration des IA LLM4, c’est-à-dire, à la diminution du taux d’erreur, représente un coût astronomique en taille, données et énergie des modèles5. Chaque division par dix du taux d’erreur requiert une multiplication des ressources d’apprentissage (paramètres et données) par 1010 (dix puissance 10). Cette même division par dix du taux d’erreur implique une augmentation par 10²⁰ (dix puissance vingt) de la consommation énergétique. L’IA générale à l’abri de l’erreur est inconcevable du point de vue énergétique et pourtant, elle fait spéculer le marché qui s’endette jusqu’à 3 000 milliards de dollars pour la faire naître6. En attendant, l’entraînement d’un seul modèle d’IA générative, type ChatGPT, peut émettre jusqu’à 284 000 kg de CO₂, soit cinq fois l’empreinte carbone d’une voiture sur toute sa durée de vie7. Entre 2012 et 2018, la puissance de calcul nécessaire pour ces entraînements a été multipliée par 300 000.

Au-delà du carbone, l’impact se mesure en eau. Pour fonctionner, les data centers consomment des quantités astronomiques d’eau, prélevée directement sur des territoires parfois déjà en stress hydrique8. Google a ainsi consommé près de 25 milliards de litres d’eau en 2023. L’entraînement d’un seul modèle comme GPT-3 a requis 700 000 litres d’eau, tandis que chaque requête individuelle vers une IA hébergée sur le cloud consomme environ un demi-litre d’eau. Ces chiffres, loin d’être anecdotiques, déclenchent déjà des conflits d’usage qui demandent d’attaquer les géants de la tech compte tenu des externalités négatives générées, comme aux Pays-Bas où un data center de Microsoft a consommé 84 millions de litres d’eau en un an, contre les 12 à 20 millions de litres initialement prévus par la compagnie9.

Vers une écologie politique de l’IA

Une chose est sûre, l’utilisation de l’IA en local constitue un levier puissant pour réduire l’impact environnemental du numérique. Une exécution locale de l’IA plutôt que dans le cloud permettrait, à tâche équivalente, une réduction approximative de 25 à 40 % de la consommation électrique, de 60 à 90 % de la consommation d’eau, et de 50 à plus de 90 % de l’empreinte carbone10. De plus, le local soustrait le calcul énergétique à l’opacité des géants de la tech et évite les surcoûts matériels des data centers et des serveurs, comme ceux d’Azure Microsoft, qui tournent à plein temps pour alimenter une IA comme ChatGPT. Ces infrastructures imposent ainsi une consommation structurelle massive en continu (refroidissement, conversion d’énergie, redondance), une forte pression sur des ressources critiques comme l’eau, et des coûts invisibles pour l’utilisateur.

Alors, comment faire ? Pour reprendre la main sur notre consommation énergétique liée à l’IA, il faut avant tout se doter d’un ordinateur ayant une puce M1, M2, M3, ou M4 Apple ou installer un processeur graphique (GPU, graphics processing unit) Nvidia sur un ordinateur PC. Le coût n’est pas marginal (pas moins de 500€) et la production des puces participe de l’extractivisme des mines (cuivre, silicium etc.) notamment au Congo. Il convient donc d’associer cette pratique à celle de l’extension de la durée de vie de son ordinateur, notamment à partir du reconditionnement des GPU.

Une fois l’ordinateur en état de faire fonctionner une IA, vous devez télécharger une plateforme comme Docker Model Runner.

Étape 1 : Ouvrez Docker Desktop.

Allez dans Settings > Features in Development > Beta.

Cochez la case « Enable Docker Model Runner ».

Cliquez sur « Apply and restart » pour que les changements prennent effet.

Étape 2 : Téléchargez le Modèle d’IA Llama 3.2. et/ou Gemma 3.

Ouvrez votre terminal et tapez « docker model pull ai/llama3.2:1B-Q8_0 » ou « docker model pull ai/gemma3 ».

Une fois le téléchargement terminé, vous pouvez voir le modèle dans le tableau de bord de Docker Desktop, dans la section « Models ».

Étape 3 : Lancez l’application complète.

Lancez la commande suivante : « docker compose up -d –build ».

Attendez quelques instants que tous les contenus démarrent. Vous pouvez vérifier leur statut dans Docker Desktop.

Étape 4 : Utilisez le Chatbot et explorez l’observabilité du modèle. Une fois que tout est lancé, vous pouvez interagir avec l’application et ses outils de monitoring.
Pour accéder au Chatbot, ouvrez votre navigateur et allez à l’adresse : http://localhost:3000.

Vous verrez une interface de chat type ChatGPT où vous pourrez commencer à envoyer des messages au modèle Llama 3.2. ou Gemma 311.

L’IA est maintenant installée sur votre ordinateur. Pour ensuite améliorer ses performances, il faudra la nourrir en data à partir d’un modèle d’embedding (intégration) disponible sur Hugging Face (compatible Llama ou Gemma) permettant de traduire vos données dans le langage de l’IA. Vous pourrez également insérer des tokens à partir de la fonction expand de la plateforme Docker et modifier les codes de votre IA en les générant, par exemple, avec une IA !

Voilà donc, en quelques clics, une IA qui tourne sur votre ordinateur en local sans besoin de se connecter au réseau wifi, avec vos données qui restent sur votre ordinateur et en prime, une lisibilité de votre consommation énergétique. Cette approche locale permet, grâce à des outils logiciels de mesure fine, de quantifier précisément l’énergie consommée par chaque composant (GPU, CPU, RAM). L’utilisateur reprend ainsi le contrôle : il peut choisir des plages horaires à faible émission, optimiser ses algorithmes, et surtout, prolonger la durée de vie de son matériel, limitant ainsi l’empreinte carbone « embarquée » liée à la fabrication et au renouvellement incessant des serveurs des géants de la tech. En somme, l’IA locale permet de réinstaurer un lien direct et mesurable entre l’usage numérique et ses conséquences écologiques, transformant ainsi une consommation opaque en pratique durable.

2C. Freitag, M. Berners-Lee, K. Widdicks, et al., « The real climate and transformative impact of ICT: A critique of estimates, trends, and regulations », Patterns, volume 2, issue 9, 2021.

3L. F. Wolff Anthony, B. Kanding, R. Selvan, « Carbontracker: Tracking and Predicting the Carbon Footprint of Training Deep Learning Models », 2020, arXiv preprint, arXiv:2007.03051.

4Large language model ou « large » modèle linguistique : technologie avancée de lIA capable de saisir la complexité du langage naturel.

5Coveney, P.V. & Succi, S., « The wall confronting large language models », (2025), arXiv preprint, arXiv:2507.19703.

7E. Strubell, A. Ganesh, A. McCallum, « Energy and policy considerations for deep learning in NLP » (2019), arXiv preprint, arXiv:1906.02243.

8S. Bouveret, A. Bugeau, A.-C. Orgerie, S. Quinton, « De l’eau dans les nuages », Annales des Mines – Enjeux numériques, 27(3), 2024, p. 41-48.

9DATA CENTER DYNAMICS (DCD) (2022), « Drought-stricken Holland discovers Microsoft data center slurped 84m liters of drinking water last year », www.datacen-terdynamics.com/en/news/drought-stricken-holland-discovers-microsoft-data-center- slurped-84m-liters-of-drinking-water-last-year

10Pourcentage obtenu à l’aide de l’IA à partir des éléments des articles cités dans l’article.

11Tous les éléments indiqués ont été traduits à partir de la page www.docker.com/blog/how-to-make-ai-chatbot-from-scratch. On y trouve également des captures d’écran permettant d’aider l’utilisateur à installer son IA.

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20.12.2025 à 13:57

« Il n’y a pas de race blanche »

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« Il n’y a pas de race blanche »
À partir du livre le plus récent d’Hervé Le Bras, cet entretien porte sur l’histoire des catégorisations raciales, depuis l’époque de l’esclavage jusqu’à aujourd’hui, ainsi que sur les complexités des phénomènes d’identification.

“Il n’y a pas de race blanche”
Based on Hervé Le Bras’s most recent book, this interview focuses on the history of racial categorization, from the era of slavery to the present day, as well as the complexities of identification phenomena.

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Texte intégral (5848 mots)

Yann Moulier Boutang : Dans votre dernier livre, Il ny pas de race blanche (Grasset, 2025), vous faites un long détour (chapitres 1 à 11), soit pas loin des quatre cinquièmes du livre, pour illustrer la constante tentative depuis les Lumières et la constitution des sciences de lHomme, de classer les différents type dhumains entre eux, de chercher une ou des origines, détablir des hiérarchies. Ceci débouche sur les « théories » des races et de la supériorité de la « race blanche ». Au passage, vous citez deffarants passages de Kant, quil est urgent de faire connaître à tous les élèves en philosophie. Vous déconstruisez brillamment la vanité de ces constructions qui se veulent « scientifiques » et qui vont pourtant déboucher sur linvention de la race blanche avec quelques conséquences catastrophiques.

Jai une première question. Je nai pas vu de référence dans votre analyse (peut-être ny en a-t-il pas du tout car la question ne sest pas posée) à la catégorie des « castes » et des « hors-caste » au plus bas de léchelle en Inde (toujours en vigueur y compris au Japon avec les Burakumins). Les castes à lintérieur de populations de même « couleur » (blanches ou dravidiennes ou asiatiques) créent des hiérarchies sociales et des barrières aux mariages intercastes et a fortiori avec les hors castes. Est-ce que le tamis analytique et le discriminant de la catégorie de caste ne constitue pas le lien entre le niveau social (rapports de domination, dexclusion) et le niveau anthropologique ou ethnique (les règles des rapports de parenté et dappariement) ?

Hervé Le Bras : Le point que vous soulevez caractérise la transformation de la notion de race au XVIIIe siècle européen. Jusqu’alors fondée sur l’ascendance et la descendance comme l’écrit Jaucourt dans la grande Encyclopédie, la race devient définie par l’apparence physique. Les exclusions du type des hors-castes en Inde ou des Burakumins au Japon sont refoulées au début des théorisations modernes de la race. On considère parfois que l’opposition entre Gaulois et Francs, plaquée sur celle entre nobles et tiers-état dans les écrits de Boulainvilliers, s’apparentait à celle de castes (les ordres, en fait). Mais il s’agissait d’une opposition politique, Boulainvilliers voulant restaurer les prérogatives supposées de la noblesse à l’époque mérovingienne et reprochant au roi d’avoir fait alliance avec le peuple, mettant à l’écart la noblesse. Sieyès s’en est saisi dans un célèbre passage où il propose qu’on renvoie « dans les forêts de Franconie » les nobles, mais précise ensuite que seuls sont visés ceux qui veulent conserver leurs privilèges.

Le rapprochement du racial et du social est amorcé beaucoup plus tard lorsque la prétendue race blanche est divisée en sous-races autres que nationales, donc après Gobineau. Plusieurs membres de la société d’anthropologie dont Broca commencent à comparer les mensurations de squelettes appartenant à différentes classes sociales pour émettre des jugements sur leurs capacités mentales, puis les anthropo-sociologues dont Vacher de Lapouge, s’en saisissent en continuité avec les données des conseils de révision qu’ils utilisent : dolichocéphales et brachycéphales, homo alpinus et homo europaeus sont mis en rapport avec les classes sociales. Le rapprochement devient complet chez Carrel quand il écrit : « Il est indispensable que les classes sociales soient des classes biologiques ».

L’attribution de races à des continents (Linné, Kant), puis à des nations a donc retardé leur rapprochement avec les classes sociales. Les basses castes indiennes et les Burakumins japonais, divisions fondées sur la notion de métiers impurs, n’ont donc pas d’équivalents dans l’anthropologie raciale européenne dont le principe est physique et non généalogique, même si ce dernier en découle ultimement.

Y. M. B. : Vous commencez votre long détour par un fait divers en novembre 2023 : la rixe de deux bandes de jeunes au village de Crépol près de Romans-sur-Isère, dont lune composée de seconde, voire de troisième génération de migrants. Le retentissement de cet incident violent pourtant assez classique avait été national. Un terme nouveau était apparu quelques années auparavant, celui de « racisme anti-blanc » qui menacerait la France de « submersion », de « grand remplacement » des Blancs et de lOccident par les immigrés, les autres, les inassimilables, pour des raisons de couleur, de religion, de préférence sexuelle. Ces élucubrations auraient pu être dédaignées comme des borborygmes ultra-minoritaires, mais quand Donald Trump et les populistes victorieux du MAGA ont réinvesti le vieux concept de « racisme inversé » (mobilisé dès les années 1950 par les réactionnaires opposés aux droits civiques des africains-américains), lidée dun « racisme contre les Blancs » sest déployée à une échelle immédiatement opérationnelle, aussi opérationnelle que les lynchages perpétrés autrefois à lencontre les Noirs par le Klu Klux klan dans les États sudistes des États-Unis. Bagatelles en Europe ? Les scores électoraux de lextrême-droite que vous avez bien décortiqués dans un précédent livre (Serons-nous submergés ? Epidémies, migrations, remplacement, Éditions de lAube, 2020) nincitent pas à loptimisme.

Vous établissez par A + B que la race blanche nexiste pas. On vous suit. On veut vous suivre. Mais que se passe-t-il quand les Blancs sautodéfinissent comme « blancs » et comble du comble, renversent le combat anti-raciste des personnes racisées (ce que vous abordez dans les derniers chapitres de votre livre) en sestimant attaqués par un racisme anti-blanc ? Un patron qui déclare quil est exploité par ses ouvriers et qui se met en grève, cela fait sesclaffer, tout au plus. Un Blanc qui se dit attaqué, menacé, nié existentiellement par les différentes gammes de différents (y compris les femmes), cela nest plus drôle du tout. Comme disait lautre, que faire à votre avis, en dehors de la vox clamans in deserto ?

H. L. B. : J’ai donné de l’importance à l’affaire de Crépol pour souligner le rôle du vocabulaire dans l’endoctrinement de l’opinion en matière de race. Le livre est mis à l’intérieur d’une double parenthèse. La première s’ouvre et se clôt sur des citations de Viktor Klemperer, tirées de LTI, ouvrage montrant comment la langue nazie s’est imposée et ce qu’elle était, cela pour souligner l’importance, non des concepts mais de simples mots. À l’intérieur, une seconde parenthèse s’ouvre et se ferme sur les termes employés par les médias et les politiques pour décrire le crime survenu à Crépol. Au sein de cette seconde parenthèse, le reste de l’ouvrage tente de montrer que ces termes ont été élaborés à un moment ou à un autre de l’histoire des théories raciales à prétention scientifique.

Ma thèse principale porte sur le changement brutal de sens du terme de « race » au XVIIIe siècle (Linné, Kant, Blumenbach notamment), qui comme je l’ai dit plus haut, passe de la conception généalogique à la conception physique. Mais il y a une seconde thèse pour répondre à votre question. Elle porte sur le langage ou plutôt sur sa rémanence. Les théories des races se sont succédé à la manière des théories scientifiques, par changements de paradigme. Les scories après chaque changement se sont accumulées dans la langue alors qu’elles étaient écartées du dernier état de la théorie. Une comparaison avec l’histoire des sciences peut illustrer l’idée ou le mécanisme : Ptolémée a consacré un livre à l’astronomie, l’Almageste et un autre à l’astrologie, le Tetrabiblos. À l’époque, astrologie et astronomie faisaient bloc. Après Copernic, Galilée, Newton, la partie astrologique a été rejetée de la science, mais elle a continué d’exister et sert encore de guide à l’astrologie actuelle avec son zodiaque et ses sept astres. Il ne s’agit pas d’antiscience, mais de pseudo-science pour reprendre le titre d’une revue actuelle. Science et pseudo-science sont confondues au départ. Puis la science s’en dégage. Le résidu, s’il disparaît de la science, continue cependant d’exister et de s’accumuler dans une pseudo-science au fur et à mesure que les théories se succèdent. Je pense que le même phénomène s’est produit avec les théories raciales, même s’il serait plus juste de parler en la circonstance de pseudo-science et pseudo-pseudo-science. J’ai conscience que des démonstrations sur l’inexistence des races ou l’ineptie du grand remplacement ou encore, l’examen raisonné de statistiques n’ont aucun impact sur ceux qui continuent de croire en l’existence de races. Faut-il alors baisser les bras ? Certes, on peut suivre la devise kantienne du « il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre », mais il m’a semblé que porter l’attaque sur le langage pouvait être tenté, le mettre à nu, montrer le détournement des termes en restituant leur sens et leur histoire, en reconstituant comment s’est formé l’amoncellement de scories laissées par les théories raciales successives.

Y. M. B. : Cest aussi historiquement que vous procédez pour introduire le terme de racisme anti-blanc.

H. L. B. : Dans un de mes précédents livres sur le grand remplacement, une grande partie du travail consistait à rechercher comment le terme de « grand remplacement » avait été fabriqué. Je m’étais inspiré (à petite échelle) du livre de Jean-Pierre Faye sur le langage totalitaire où le philosophe montrait comment s’était construite l’expression national-socialisme. Une sorte d’oxymore, qu’est d’ailleurs aussi l’expression de racisme anti-blanc, puisque l’on s’y sert d’un nom de race pour le qualifier. On parle rarement de racisme anti-noir, mais généralement de racisme tout court.

Cette façon de combattre les formes du racisme est-elle autant vouée à l’échec que la production de statistiques, de connaissances biologiques et de modèles ? Je sais qu’il est impossible de convaincre les racistes, enfermés dans leur langage-scorie, mais j’espère pouvoir peut-être toucher ce qu’on peut appeler le halo du racisme comme on parle du halo du chômage.

Y. M. B. : De lesclavage moderne de plantation à la colonisation de lAfrique, la barrière de couleur sest avérée, dans des sociétés de classe mais sans castes, un instrument terriblement efficace pour que tout bouge sans que rien ne bouge. Autrement dit, le vocable « race » bien que terriblement discrédité par les fantasmes scientifiques de Linné à Alexis Carrel et linguistiquement mis hors-jeu après le nazisme, est réapparu dans le combat anti-discrimination des Noirs aux États-Unis puis sest propagé dans les luttes anti-coloniales pour désigner le phénotype de « couleur ». Le degré de coloration par rapport à la blancheur est devenu un résumé des diverses formes dinégalité dans toute société, et les politiques « de quota » sont une façon de chercher à résorber ces inégalités. Comment résumeriez-vous le sac de nœuds auxquels se heurtent les partisans résolus de la conquête dune égalité réelle promise par lespérance démocratique, face à toute forme de gel ou dhypostase identitaire de la racialisation, ou colorisation de la lutte de classes ? Et, question dans la question : la réponse « française » à ces questions de « couleur », mais aussi de « genre » invoquant luniversalisme, vous paraît-elle suffisante et effective ?

H. L. B. : Il me semble qu’il ne faut pas confondre le cas américain et le cas européen. En Europe, les théories raciales ont précédé la colonisation. Le suédois Linné n’en avait pas la moindre idée et le prussien Kant guère plus, à moins qu’il n’ait apprécié les ordres teutoniques dans les pays baltes. En Amérique, au contraire, l’esclavage a précédé les théories raciales importées d’Europe par Morton qui y avait fait ses études, et Agassiz qui en venait. Les premiers penseurs noirs à avoir pu laisser des textes ont aussi adopté les théories européennes, quitte à les retourner. W.E.B. Dubois, Blyden, Garvey en offrent quelques exemples importants. Les théories raciales sont venues fournir après coup ou contester « une relation de domination qui se présente comme naturelle » pour citer Colette Guillaumin. Au contraire, en Europe, les colonisateurs disposaient de la théorie avant même de mettre le premier pied sur leurs bateaux.

La question des statistiques ethno-raciales doit être examinée sous cet angle. Aux États-Unis, la race s’est inscrite directement dans la question de l’esclavage, dès le premier recensement après l’Indépendance qui utilise déjà la catégorie White. Paul Schorr et tout récemment Denis Lacorne ont exposé avec un grand détail cette histoire.

En Europe, la plupart des auteurs et des premiers anthropologues faisaient profession d’anti-esclavagisme et s’ils en parlaient, comme dans l’un des livres de lEsprit des lois, ils le traitaient depuis les débuts de l’histoire sans spécification particulière sur le nouveau monde. On cherchera en vain chez Montesquieu, Voltaire ou Rousseau une mention du Code noir. Bordeaux et Nantes étaient des ports négriers, mais les esclaves ne transitaient pas massivement par eux. L’universalisme, non pas seulement français, mais européen, professé par les Lumières a été définitivement imprimé en Europe par la Révolution. D’un côté, l’esclavage, de l’autre l’universalisme.

Mais on peut remonter plus haut, à la situation religieuse des deux côtés de l’Atlantique au XVIIe siècle. À l’issue de la guerre de trente ans, le principe cujus regio ejus religio s’impose presque partout en Europe, une religion unique patronnée par l’État hobbesien. L’Amérique du nord devient au contraire le refuge des sectes persécutées en Europe. La liberté qui y est affirmée n’est pas premièrement celle des individus, mais celle des sectes protestantes. Les deux terrains sont donc préparés, l’un à l’universalisme, l’autre à ce qu’on qualifiera plus tard de multiculturalisme.

Y. M. B. : Parfois des termes nés pour stigmatiser sont retournés par ceux qui en sont victimes pour être revendiqués et devenir constitutifs dune identité de combat. Ainsi, le terme de « gauchisme » dénoncé par Lénine est devenu un étendard pour les « conseillistes » critiques de gauche du léninisme comme du stalinisme (Gorter, Pannekoek) puis, cinquante ans plus tard, la revendication de la génération de Mai-68. Vous montrez que le terme de « Noir », terme péjoratif et raciste des planteurs esclavagistes a fini par être reconnu et retourné comme laffirmation de soi et de sa véritable « classe » sous la forme dun groupe spécifiquement discriminé, comme on le retrouve chez les féministes et les minorités sexuelles. Il y a donc une part dautodésignation, « historiquement déterminée » bien entendu, par une hétéro désignation : tout Noir ou Blanc ne se voit pas naturellement comme tel (en particulier les enfants). Vous montrez dans votre avant dernier chapitre que le repérage et le décompte statistique des « minorités » ethniques, étrangères voire nationales deviennent très vite « complexes » (euphémisme). Faut-il, à lexemple des quotas, concevoir les statistiques ethniques dans les recensements comme provisoires une fois lobjectif dégalité atteint dans des domaines jugés les plus fondamentaux (éducation, accès à la santé, non-discrimination dans lemploi, revenu, patrimoine etc.) ? Faut-il demander au recensement français, par exemple, lorigine des parents (naissance, nationalité) ?

H. L. B. : Dans mon dernier chapitre, je discute l’utilité d’acclimater en France des statistiques ethno-raciales de type états-unien. Au départ, aux États-Unis, les anti-
abolitionnistes se sont servis de ces statistiques pour gérer la ségrégation. Puis, les droits civiques en ont inversé l’usage dans le but de réduire les discriminations qui demeurent cependant à un niveau élevé. Ces statistiques ont simultanément solidifié l’appartenance à une race. Blancs, Noirs, Indiens existent sur les bulletins du recensement et sur les actes d’état civil au même titre que l’âge et le nom.

En France la question qui se pose est : le bénéfice attendu de la lutte contre les discriminations compenserait-t-il l’identification de chacun à un groupe ethno-racial ? Je pense que non, d’autant que beaucoup d’informations sont déjà disponibles pour lutter contre les discriminations, notamment grâce à l’échantillon démographique permanent de l’INSEE qui a, entre autres, servi aux études sur le chômage de la seconde génération de l’immigration.

L’idée qu’une simple assignation à un groupe ethno-racial permet de traiter n’importe quel type de discrimination est en outre contestable. Pour les contrôles policiers, seul le faciès compte, pour les CV d’embauche, le nom et le domicile discriminent plus que la photo. Les enquêtes de Lévy et Jobard sur les contrôles au faciès ne recourent donc pas aux mêmes catégories que les enquêtes par CV fictifs.

Plus généralement, je pense que les catégories ethno-raciales ont servi à alimenter la crainte d’une « submersion » de la population d’origine, qualifiée de blanche, par celle venue d’autres continents. J’en donne plusieurs exemples, mais l’un d’entre eux mérite d’être rappelé. Celui du New York Times mettant en une de son édition du 17 mai 2012 le titre « Les naissances blanches sont devenues minoritaires aux États Unis ». D’après le Bureau of Census, elles ne constituaient plus que 49 % du total. Mais qu’est-ce qu’une « naissance blanche » ? Le tableau publié par le Census la définit comme « white only non-hispanic ». Les naissances hispaniques ne sont pas considérées comme blanches. Or, les hispaniques doivent répondre comme les autres à la question de la race. Un tableau indique que 95 % d’entre eux se rangent dans la race blanche. D’autre part, « only » signifie que ceux qui ont coché plusieurs cases à la question de la race, même si l’une des cases est la blanche, ne sont pas considérés comme blancs. Enfin, pour les naissances, il s’agit de la mère, mais le père peut n’être pas white only non-hispanic, étant donné une certaine mixité des unions. Si l’on restreint le terme de blanc aux parents n’ayant coché aucune case autre que white, seules 45 % des naissances sont blanches. Si l’on considère inversement comme blancs tous ceux qui ont coché au moins une case white, le pourcentage s’élève à 83 %. Le choix des 49 % n’est donc pas anodin. Il est utilisé pour faire peur à la prétendue race dominante d’être submergée. La vieille raison profonde des théories raciales se maintient, mais au lieu de justifier la domination, elle est utilisée pour faire craindre de la perdre.

Dernier point que vous soulevez : ne pourrait-on pas introduire à titre temporaire les statistiques ethno-raciales, puis les retirer quand la discrimination aurait été réduite ou aurait disparu ? Tous les exemples connus prouvent que l’on ne peut pas revenir en arrière, mais au contraire, que l’on complexifie pour pallier les inévitables dysfonctionnements, tout comme les théories raciales l’ont fait. Un ancien directeur du Bureau of census, Kenneth Prewitt, paradoxalement hostile à la pratique de son administration, l’a étudiée dans son ouvrage What is « your race » (Princeton U.P., 2013). L’Afrique du sud, qui avait supprimé les statistiques raciales à la chute de l’apartheid, les a rétablies dix ans plus tard avec les mêmes intitulés car les Sud-africains continuaient de se percevoir en fonction de leur ancienne catégorie raciale.

En résumé, les statistiques ethno-raciales s’inscrivent en continuité avec les théories raciales du passé, d’où la succession des chapitres de mon livre.

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