
23.12.2025 à 11:48

L’affaire Epstein, du nom de ce prédateur sexuel américain, suicidé en prison en 2019, revient par vagues, par fracas successifs, charriant son lot de documents, de photos, de révélations partielles et de fantasmes totaux. Ces derniers jours, des milliers de pages ont été rendues publiques par l’administration américaine qui aura fini par y consentir sous une pression devenue intenable. On y voit Jeffrey Epstein poser avec des figures du pouvoir et de la célébrité : Bill Clinton, Mick Jagger, princes, milliardaires, stars mondialisées, intellectuels. La promesse était celle de la transparence. Le résultat est tout autre : les images sont caviardées, les visages floutés, les noms parfois masqués.
C’est là que la mécanique politique déraille. Pour les militants de la galaxie complotiste influente parmi les soutiens Maga de Trump, ces rectangles noirs apposés sur les photos sont une preuve en soi. La preuve que « l’État profond » continue de protéger les puissants. La preuve que la vérité existe, mais qu’on la leur vole. Peu importe que le caviardage réponde à des impératifs juridiques élémentaires, présomption d’innocence, protection de tiers non mis en cause. Peu importe que la présence sur une photo ne constitue pas une preuve de crime. Ce qui compte, c’est l’impression persistante d’un mensonge organisé.
Car au fond, ce que cherchent les MAGA n’est pas la vérité. Ils cherchent leur vérité. Une vérité dans laquelle les élites sont nécessairement coupables, pédocriminelles, corrompues jusqu’à l’os. Chaque document devient une pièce à conviction, même lorsqu’il ne dit rien. Chaque silence, chaque flou, chaque noir devient un aveu. La réalité n’est plus ce qui est établi, mais ce qui conforte une vision du monde déjà verrouillée.
Le drame est que cette dynamique ne relève plus de la simple marginalité politique. Elle ronge le cœur même de la démocratie américaine. La défiance envers les élites s’est muée en ressentiment, puis en haine. Une haine indistincte, paranoïaque, qui ne distingue plus le pouvoir économique du champ culturel, ni les crimes avérés des soupçons fabriqués. Comme au temps des sorcières de Salem, on traque des signes qui n’en sont pas. Comme au temps du maccarthysme, on désigne des ennemis de l’intérieur, accusés de conspirer contre la nation.
L’affaire Epstein agit ici comme un révélateur brutal. Oui, il y a eu des crimes massifs. Oui, il y a eu des complicités. Oui, la justice américaine manque toujours à l’appel. Mais cette vérité-là, documentée, complexe, incomplète, les Qanons n’en veulent pas. Ils lui préfèrent une mythologie totale, où tout est lié, où tout confirme tout, où l’ennemi est partout et donc nulle part.
Le danger est grand ; il est même déjà là. Quand une société cesse de chercher le vrai pour ne plus chercher que la confirmation de ses haines, elle bascule. Non vers plus de justice, mais vers la chasse. Non vers la démocratie, mais vers le soupçon permanent. Epstein n’est plus seulement un criminel mort. Il est devenu le gouffre où une Amérique y projette ses fantasmes les plus sordides… et s’y perd.
NAZIS DU JOUR
Ce week-end à Phoenix se tenait l’AmericaFest, grand rassemblement de la galaxie trumpiste MAGA. L’édition 2025 n’a pas été marquée par des discours ouvertement antisémites, mais par une fracture interne autour des théories complotistes et de la place accordée à des figures d’extrême droite radicale comme Nick Fuentes, influenceur suprémaciste et antisémite notoire. Sur scène, certains ont refusé de tracer des lignes rouges face à l’antisémitisme, au nom de l’unité du mouvement. D’autres ont dénoncé cette complaisance. Voilà où en est le débat du côté du camp républicain. Coincé entre ses ambitions et une base radicalisée, le vice-président J. D. Vance, présent pour conclure le raout, s’est situé du côté de ceux qui condamnait l’antisémitisme… mais il refuse de les mettre au ban du grand mouvement MAGA. À AmericaFest, ce n’est pas l’extrême droite antisémite qui a triomphé, mais son droit à exister au cœur du trumpisme.
L.L.C.

« La Fabrique du mensonge – Elon Musk : la conquête du pouvoir en 80 000 tweets », un documentaire de France 2. On suit la transformation de ce démocrate, écolo, technophile devenu soutien actif de Trump via son refus des syndicats puis son déni du covid. Sa méchanceté et sa mythomanie sont sans limite. Sa fortune stratosphérique (600 milliards) est désormais mise au service de son idéologie néonazie et transhumaniste. Depuis des années, il bénéficie des financements publics ; désormais, il compte sur l’appui de toute l’administration américaine. Ce documentaire donne la mesure du danger des oligarques.



Macron n’a jamais autant mouillé le maillot pour nous vendre l’armée
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23.12.2025 à 11:33
Sous couvert de dénoncer les puissants, la galaxie trumpiste transforme l’affaire Epstein en mythe total, dissolvant les faits dans le soupçon permanent.
L’affaire Epstein, du nom de ce prédateur sexuel américain, suicidé en prison en 2019, revient par vagues, par fracas successifs, charriant son lot de documents, de photos, de révélations partielles et de fantasmes totaux. Ces derniers jours, des milliers de pages ont été rendues publiques par l’administration américaine qui aura fini par y consentir sous une pression devenue intenable. On y voit Jeffrey Epstein poser avec des figures du pouvoir et de la célébrité : Bill Clinton, Mick Jagger, princes, milliardaires, stars mondialisées, intellectuels. La promesse était celle de la transparence. Le résultat est tout autre : les images sont caviardées, les visages floutés, les noms parfois masqués.
C’est là que la mécanique politique déraille. Pour les militants de la galaxie complotiste influente parmi les soutiens Maga de Trump, ces rectangles noirs apposés sur les photos sont une preuve en soi. La preuve que « l’État profond » continue de protéger les puissants. La preuve que la vérité existe, mais qu’on la leur vole. Peu importe que le caviardage réponde à des impératifs juridiques élémentaires, présomption d’innocence, protection de tiers non mis en cause. Peu importe que la présence sur une photo ne constitue pas une preuve de crime. Ce qui compte, c’est l’impression persistante d’un mensonge organisé.
Car au fond, ce que cherchent les MAGA n’est pas la vérité. Ils cherchent leur vérité. Une vérité dans laquelle les élites sont nécessairement coupables, pédocriminelles, corrompues jusqu’à l’os. Chaque document devient une pièce à conviction, même lorsqu’il ne dit rien. Chaque silence, chaque flou, chaque noir devient un aveu. La réalité n’est plus ce qui est établi, mais ce qui conforte une vision du monde déjà verrouillée.
Le drame est que cette dynamique ne relève plus de la simple marginalité politique. Elle ronge le cœur même de la démocratie américaine. La défiance envers les élites s’est muée en ressentiment, puis en haine. Une haine indistincte, paranoïaque, qui ne distingue plus le pouvoir économique du champ culturel, ni les crimes avérés des soupçons fabriqués. Comme au temps des sorcières de Salem, on traque des signes qui n’en sont pas. Comme au temps du maccarthysme, on désigne des ennemis de l’intérieur, accusés de conspirer contre la nation.
L’affaire Epstein agit ici comme un révélateur brutal. Oui, il y a eu des crimes massifs. Oui, il y a eu des complicités. Oui, la justice américaine manque toujours à l’appel. Mais cette vérité-là, documentée, complexe, incomplète, les Qanons n’en veulent pas. Ils lui préfèrent une mythologie totale, où tout est lié, où tout confirme tout, où l’ennemi est partout et donc nulle part.
Le danger est grand ; il est même déjà là. Quand une société cesse de chercher le vrai pour ne plus chercher que la confirmation de ses haines, elle bascule. Non vers plus de justice, mais vers la chasse. Non vers la démocratie, mais vers le soupçon permanent. Epstein n’est plus seulement un criminel mort. Il est devenu le gouffre où une Amérique y projette ses fantasmes les plus sordides… et s’y perd.
23.12.2025 à 09:01
SOMMAIRE
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MENSUEL – décembre 25 – 4 € en version numérique
23.12.2025 à 07:00
Dans le débat omniprésent de la sécurité, que dit la gauche ? Que faire des policiers, de leurs syndicats, de leurs dérives ? Quelle formation et quelles missions ? On en a causé avec le député insoumis Ugo Bernalicis.
D’un pas pressé, Ugo Bernalicis nous amène littéralement « Au Coin de la Rue », à côté de l’Assemblée, pour parler sécurité. C’est le thème de prédilection du député du Nord. Quelques jours plus tôt, lui et ses camarades parlementaires ont fait tomber le gouvernement Barnier. Entre l’excitation politique, un pad thaï et une pinte d’IPA, Ugo Bernalicis développe son programme.
Regards. Ma première question sera très ouverte et peut sembler étrange mais… c’est quoi, une politique de gauche en matière de sécurité ?
Ugo bernalicis. Une politique de gauche en matière de sécurité, c’est une politique qui vise à traiter les causes plutôt que les effets. Globalement, la gauche, dans tous les domaines, a pour objectif de s’attaquer aux causes profondes des problématiques, plutôt que de se focaliser uniquement sur leurs manifestations. Concernant les causes de la délinquance, il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, notamment les inégalités sociales, la misère, le manque d’éducation, etc. Dans les déterminants du passage à l’acte, tous ces facteurs pèsent. Il existe des exceptions, bien sûr, mais les études montrent qu’il existe une corrélation claire entre le taux de chômage et le taux d’incarcération. Une politique de sécurité efficace consisterait en une politique de reconnaissance des citoyens, de bien-être, de plein-emploi, d’investissement dans les services publics – remettre des profs dans chaque classe et pas plus de 20 élèves par classe !
À droite, on dit souvent que « la première des libertés, c’est la sécurité » et on accuse la gauche de laxisme, mais on pourrait retourner cet argument en disant que « la première des sécurités, c’est la liberté ». Une autre idée serait de dire que « la première des sécurités, c’est la Sécurité sociale ». D’ailleurs, dans le bloc de constitutionnalité, la seule notion de sécurité explicitement mentionnée est celle de la Sécurité sociale. Pour le reste, on parle de « sûreté ».
Une fois qu’on a ça en tête – et il ne faut pas lâcher ce discours-là –, il faut aussi inclure des mesures préventives. Une politique de gauche ne peut se limiter à une approche purement répressive, c’est un échec absolu qui n’est plus à démontrer. Chaque type de délinquance doit recevoir une réponse appropriée. Celui qui vole parce qu’il a faim ne peut être mis dans le même panier que le crime organisé. Après, ce n’est pas parce qu’on va régler la question sociale qu’on aura tout résolu. C’est peut-être vrai à la fin de l’histoire, mais pas au début !
La gauche répond souvent « police de proximité », comme une formule magique. C’est aussi la proposition de La France insoumise. En quoi est-ce que ça consiste concrètement ?
En effet, il est important de mettre en place une police nationale de proximité. Mais pas en tant qu’un groupement à part du reste de la police. Une police de proximité n’a aucun sens si l’on maintient les brigade anti-criminalité (BAC). Cette police de proximité doit, en fait, être la base de fonctionnement de la police. La « police de proximité », c’est « la police », nationale et municipale, composée de 50 ou 60 000 policiers et, à côté, il y a des polices spécialisées qui font leur travail en fonction de leurs domaines de compétence.
On a déjà un bon exemple de ce que devrait être la police de proximité, c’est la gendarmerie nationale. Elle est, par construction, de proximité. Les gendarmes travaillent pour une caserne et vivent à quelques kilomètres de celle-ci, ils s’occupent d’un territoire à taille humaine, leurs enfants vont dans l’école du coin, ils font leurs courses dans les mêmes supermarchés que tout le monde, etc. Résultat : les gendarmes connaissent les gens et vice versa. Du coup, il y a beaucoup moins de dérives en gendarmerie.
« Ce n’est pas le job de la police de proximité d’arrêter les grands bandits ou les individus les plus dangereux, c’est celui des polices spécialisées comme la police judiciaire. Un policier n’est ni la BRI, ni le RAID. »
Faire un travail de proximité, c’est assumer que le temps de répression n’est pas la principale activité du policier. C’est un temps de présence dans l’espace public et le quotidien, de discussion avec les gens. Être là, tout simplement. Ensuite, quand il y a des problèmes, la police est là pour essayer de les résoudre. Pour ça, il faut être en lien avec les mairies, les bailleurs, être inséré dans le tissu social. Néanmoins, la police de proximité doit rester dans son rôle de répression pour les premiers niveaux d’infraction : tapage, vol à la tire, etc. Car son rôle n’est pas non plus dans la prévention et l’assistance sociale. Pour se faire, il y a deux conditions : la première est que cette police ait peu ou pas d’armes à feu. Quant à l’argument comme quoi « c’est pas votre police de proximité qui va arrêter un mec avec une kalachnikov », je réponds : oui, exactement ! Ce n’est pas le job de la police de proximité d’arrêter les grands bandits ou les individus les plus dangereux, c’est celui des polices spécialisées comme la police judiciaire. Un policier n’est ni la BRI, ni le RAID, par contre, il est la première source de renseignements des enquêteurs.
La deuxième condition pour une véritable police de proximité, c’est de libérer les policiers des deux principales actions qui nuisent à sa mission : les contrôles d’identité – censés lutter contre l’immigration illégale mais qui ne produit que racisme et bavures – et la répression contre le cannabis – qui pèse pour 20% de l’activité policière et oblige les policiers à maintenir la stratégie du harcèlement des points de deal et des consommateurs sans que le trafic ne soit impacté. Ça redonnerait un temps de travail incroyable aux policiers. Et là, tout le problème réside dans les ordres qu’on donne aux policiers.
Côté police, il faut tout réformer, du sol au plafond. Du super-pouvoir des syndicats, à Beauvau comme dans chaque commissariat, jusqu’à la façon dont on recrute et forme les policiers… Mais par où commencer ?
Demain, on arrive au pouvoir, on a 240 000 policiers et gendarmes à diriger, on leur dit quoi ? Qu’on part des besoins de la population. On oblige que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance – auxquels on invite aussi les gens ! – se réunissent une fois par an afin que les habitants posent des questions, expriment leurs demandes et que les policiers rendent des comptes. Il faut qu’il y ait des aller-retours entre la police et les citoyens.
Concernant les effectifs, on ne va pas virer tous les policiers en fonction au prétexte qu’ils sont sous-formés, qu’ils ont une culture néfaste et que la majorité d’entre eux votent pour l’extrême droite. Les policiers sont conditionnés à une chose : obéir, qu’importe si les syndicats essaient de tout saboter – on n’a pas besoin d’eux, le rapport de force qu’on leur donne n’est que celui qu’on veut bien leur céder – ou si un certain nombre démissionne. On a l’exemple de Pierre Joxe : on ne va pas nous faire croire que quand il arrive au ministère de l’intérieur, les policiers sont tout-gentils et qu’ils n’ont pas été travaillés depuis des années par la droite. S’il faut virer des policiers, ce ne peut être pour leurs idées, mais pour leurs actes : racistes, sexistes, etc. Le cadre permet déjà de sanctionner, pour peu qu’il y ait une volonté politique. La gauche doit assumer que la police, en tant que service public, doit être plus contrôlée que d’autres. Parce qu’elle a des prérogatives qui ne sont pas celles de n’importe quel fonctionnaire : ils ont des armes et la capacité de faire un usage légal de la force.
« On ne gagne pas une présidentielle en parlant mieux que les autres de sécurité. Mais on peut perdre si on en parle moins bien. Ce sera la même chose quand on gouvernera le pays : on ne sera pas jugé sur notre bonne gestion de la police, mais on sera sanctionné si on la gère mal. »
Ensuite vient la question du recrutement et donc de la formation. Ça commence par ouvrir des écoles de police et par rallonger la formation initiale à deux ans, dans un premier temps, puis à trois ans. Il faut assumer de ne plus recruter n’importe qui avant de les lâcher dans la nature sans même connaître les bases des droits et des libertés publiques. Mais ce qui pèse le plus dans les pratiques professionnelles aujourd’hui, ce n’est pas la formation mais le mimétisme des pairs, dont le racisme, le sexisme, les violences, etc.
Début décembre, le site d’informations Basta a publié une enquête montrant que « la France présente les chiffres les plus élevés [d’Europe, ndlr] : entre 2020 et 2022, le pays a enregistré 107 décès en garde à vue ou lors d’interventions policières ». Comment s’extirpe-t-on de cette situation ?
On a aussi les chiffres les plus élevés en prison. On n’a pas le temps de changer la culture violente de la police. Donc, dans un premier temps, on va donner des ordres : fin des contrôles d’identité – autant d’outrages en moins – et fin des gardes-à-vue pour outrage – c’est ce que font les Allemands. Les gardes-à-vue pour flagrant délit, terminé aussi ! Aujourd’hui, il y a des indicateurs de performance au ministère de l’intérieur sur le nombre de garde à vues. La politique du chiffre n’a jamais été supprimée. Avant de mettre quelqu’un en garde à vue, je suis pour que le policier prévienne le parquet et attende son avis. Ça changerait beaucoup de choses ! Je suis aussi pour que le parquet vienne dans les commissariats plus souvent et, dans l’idéal, je suis même pour qu’il y ait un procureur dans chaque commissariat pour assumer son autre mission qui est celle du contrôle de la police, de la régularité, de la légalité de son action. Enfin, s’il faut mettre du pognon dans la police, ça ne doit pas être pour acheter des LBD mais pour avoir des locaux de garde à vue qui soient corrects, dignes. En Écosse, un modèle en la matière, les cellules ressemblent à des chambres, les détenus ont un repas chaud et pour quelle conséquence ? Quasiment pas de violence en garde à vue, ni de la part des policiers ni des détenus.
Et quid du « sentiment d’insécurité » ? Selon une étude Ifop de novembre 2024, « 8 français sur 10 déclarent avoir le sentiment que la délinquance a augmenté ». Fantasme ? Que répondre à ces gens-là ?
Éteignez la télé. Ce sondage ne montre que la puissance de feu médiatique. Plus sérieusement, on a les enquêtes de victimations qui sont faites par l’Insee et le ministère de l’intérieur, les seules enquêtes dont la valeur et la viabilité permettent de construire une politique publique. C’est insuffisant et il faut recréer ce qu’Édouard Philippe a supprimé : l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (qui avait été créé par Joxe). Il s’agit d’une structure scientifique, autonome, chargée d’évaluer l’action publique et de faire des propositions. Mais il faut aller encore plus loin et déployer ce modèle à l’échelle locale, par le biais des CLSPD évoqués plus avant. Ainsi, on partirait des besoins des habitants pour adapter la politique de sécurité selon les territoires. Un tel outil nous permettrait d’éviter les erreurs de Chevènement et de Jospin. Quand ils ont remis en place un peu de police de proximité, il y a eu une augmentation du nombre de plaintes. Ils ont été incapables d’expliquer le phénomène et la droite a gagné en dénonçant une augmentation de la délinquance dûe à leur politique !
Pourquoi la gauche est inaudible sur ces questions ?
La question de la sécurité est victime d’un clivage et ce n’est pas le clivage gauche-droite. C’est celui où, d’un côté, il y a les tenants d’un système – le capitalisme – et de l’autre les « irresponsables ». Il suffit d’agiter le foulard de la peur, à grands coups de reportages sur des faits divers, de dire que la police les protège et de discréditer immédiatement toute personne qui critique la police. Et ça fonctionne hyper bien électoralement, sans parler une seconde des questions sociales. On ne gagne pas une présidentielle en parlant mieux que les autres de sécurité. Mais on peut perdre si on en parle moins bien. Et je pense que ce sera la même chose quand on gouvernera le pays : on ne sera pas jugé sur notre bonne gestion de la police, mais on sera sanctionné si on la gère mal. Je crois que le fond est là, la gauche n’a rien à gagner à parler sécurité, mais elle a tout à perdre.
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Cet article est extrait du n°62 de la revue Regards, publié en avril 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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22.12.2025 à 13:14
Face à Marion Maréchal sur LCI, Marine Tondelier a vacillé. Pour la gauche, l’alerte se confirme.
LCI organise des grandes émissions politiques avec de possibles candidats à l’élection présidentielle. Déjà ! Marine Tondelier, désignée candidate des Ecologistes pour la primaire des gauches, était l’invitée ce vendredi de la chaîne d’infos. Elle était notamment opposée à Marion Maréchal. A écouter ce face-à-face, on peut être inquiet de la solidité de la gauche, surtout après le fiasco de Glucksmann face à Zemmour dans la même émission.
Marine Tondelier n’est pas la moins expérimentée ni la moins assurée dans les débats politiques. Mais cela n’a pas suffi. L’échec va au-delà de celui d’une personne.
Le thème proposé par Marion Maréchal, auquel Marine Tondelier avait consenti, était celui de l’immigration, de l’insécurité et de la laïcité. Chacune est venue préparée et bardée de chiffres. Marine Tondelier a tenté de corriger, rectifier et faire des mises au point sur les données mises en avant par son adversaire. Mais c’est Marion Maréchal qui a imposé les termes du débat et le cœur de son discours : les immigrés sont la cause première de l’insécurité ; ils compromettent la laïcité et l’égalité femmes-hommes, chères à notre nation.
Le problème central n’est pas que Marion Maréchal manipule la réalité, même si c’est bien sûr ce qu’elle fait. Le problème est qu’elle organise et impose un discours. Elle donne une cohérence idéologique à des données sélectionnées, exagérées ou sorties de leur contexte. Elle ne cherche pas seulement à avoir raison : elle structure son récit et le rend crédible.
On ne peut s’opposer à cette structure idéologique renforcée depuis des décennies en lui opposant d’autres chiffres. Rétablir des vérités partielles ne suffit pas à neutraliser l’efficacité d’une vision partout répétée. L’extrême droite ne gagne pas parce que ses chiffres sont exacts. Elle gagne parce qu’ils viennent confirmer une lecture du réel qui donne sens à des angoisses. Tant que cette lecture ne sera pas remplacée par une autre, elle continuera de prospérer.
Il faut prendre garde à la manière dont on répond aux logiques déployées par l’extrême droite. C’est le cas lorsque l’on répond que les immigrés délinquants ne le sont pas parce qu’ils sont immigrés mais parce qu’ils sont des pauvres. Ainsi, soutenir, comme trop souvent à gauche, qu’il y a davantage d’immigrés dans les prisons parce qu’ils sont les plus pauvres est un argument inflammable… quand bien même il ne serait pas neuf. Il est, en fait, catastrophique. Il vise sans le vouloir la masse des hommes jeunes des quartiers populaires, immigrés ou non, à la fois exclus et en révolte contre ce monde qui ne leur fait pas de place. Donc on admettrait que les pauvres étant potentiellement délinquants, il faut les contrôler, les reléguer et les réprimer ? Au lieu de s’en tenir à la logique policière de la suspicion et de la contrainte, il est plus juste d’user d’une autre logique.
Ce n’est pas en assimilant classes populaires et classes dangereuses qu’on a pu contenir la tentation désespérée du hors-la-loi et de la violence. C’est quand on cesse de reléguer, qu’on intègre, qu’on ouvre à la possibilité de progression sociale, qu’on rompt le cycle infernal de la mise à l’écart et de la violence. Désigner les immigrés comme des délinquants potentiels contribue à exacerber leur ressentiment, leur désespérance et à nourrir l’idée qu’il n’y a pas d’autre solution que l’écart à l’égard de la loi. La politique anti-immigrée n’écarte pas la violence : elle la nourrit, la légitime et ouvre la possibilité de son extension sans fin.
Face au projet d’extrême droite qu’il faut désigner comme tel, et qui se traduit en projet de tri, d’exclusion, de hiérarchisation des vies, la question pour la gauche est celui d’affirmer valeurs, principes, finalités. En l’occurrence, dire qu’il faut une politique d’accueil des migrants aujourd’hui abandonnée. Et exprimer que la gauche vise la construction d’une France, d’un monde où chacun peut prendre place et nourrir l’espoir d’une vie meilleure. C’est le fond de notre projet et de la lutte contre la criminalité.
S’en tenir à discuter et corriger les chiffres sans proposer un autre récit revient à perdre la bataille avant même qu’elle ne commence. Ce qu’il faut opposer à Marion Maréchal, ce n’est pas seulement une meilleure lecture des données, c’est un projet alternatif. Une autre explication globale de ce qui produit l’insécurité, les tensions sociales, la violence.
L’impréparation évidente de la cheffe des écologistes est aussi le symptôme que la force des punchlines ne suffit pas quand il faut combattre une extrême droite solide. On ne va pas à un débat de cette nature sans savoir précisément ce que l’on veut y défendre. Dans un débat politique, celui qui sait où il va a toujours un avantage sur celui qui improvise ses réponses en défense. Le passage sur la question du voile des petites filles était une caricature : il ne fut même pas opposé à Marion Maréchal qu’elle ne s’intéresse au sort des femmes qu’au seul sujet du voile et qu’elle défend une vision archaïque des rôles sexuels ; que la gauche entend défendre les libertés pour toutes face à leurs ennemis, fascistes de tout poils, islamistes compris et qu’elle défend une laïcité qui permet à chacun de vivre selon ses convictions.
Ce débat n’est pas un accident médiatique mais un symptôme. On ne peut affronter l’extrême droite sans un projet et une vision solide, alternative au monde qui va mal. Les chiffres ne viennent qu’éclairer cette proposition politique et les punchlines, l’ancrer dans les mémoires. Pas l’inverse.
22.12.2025 à 13:13

par Catherine Tricot
LCI organise des grandes émissions politiques avec de possibles candidats à l’élection présidentielle. Déjà ! Marine Tondelier, désignée candidate des Ecologistes pour la primaire des gauches, était l’invitée ce vendredi de la chaîne d’infos. Elle était notamment opposée à Marion Maréchal. A écouter ce face-à-face, on peut être inquiet de la solidité de la gauche, surtout après le fiasco de Glucksmann face à Zemmour dans la même émission.
Marine Tondelier n’est pas la moins expérimentée ni la moins assurée dans les débats politiques. Mais cela n’a pas suffi. L’échec va au-delà de celui d’une personne.
Le thème proposé par Marion Maréchal, auquel Marine Tondelier avait consenti, était celui de l’immigration, de l’insécurité et de la laïcité. Chacune est venue préparée et bardée de chiffres. Marine Tondelier a tenté de corriger, rectifier et faire des mises au point sur les données mises en avant par son adversaire. Mais c’est Marion Maréchal qui a imposé les termes du débat et le cœur de son discours : les immigrés sont la cause première de l’insécurité ; ils compromettent la laïcité et l’égalité femmes-hommes, chères à notre nation.
Le problème central n’est pas que Marion Maréchal manipule la réalité, même si c’est bien sûr ce qu’elle fait. Le problème est qu’elle organise et impose un discours. Elle donne une cohérence idéologique à des données sélectionnées, exagérées ou sorties de leur contexte. Elle ne cherche pas seulement à avoir raison : elle structure son récit et le rend crédible.
On ne peut s’opposer à cette structure idéologique renforcée depuis des décennies en lui opposant d’autres chiffres. Rétablir des vérités partielles ne suffit pas à neutraliser l’efficacité d’une vision partout répétée. L’extrême droite ne gagne pas parce que ses chiffres sont exacts. Elle gagne parce qu’ils viennent confirmer une lecture du réel qui donne sens à des angoisses. Tant que cette lecture ne sera pas remplacée par une autre, elle continuera de prospérer.
Il faut prendre garde à la manière dont on répond aux logiques déployées par l’extrême droite. C’est le cas lorsque l’on répond que les immigrés délinquants ne le sont pas parce qu’ils sont immigrés mais parce qu’ils sont des pauvres. Ainsi, soutenir, comme trop souvent à gauche, qu’il y a davantage d’immigrés dans les prisons parce qu’ils sont les plus pauvres est un argument inflammable… quand bien même il ne serait pas neuf. Il est, en fait, catastrophique. Il vise sans le vouloir la masse des hommes jeunes des quartiers populaires, immigrés ou non, à la fois exclus et en révolte contre ce monde qui ne leur fait pas de place. Donc on admettrait que les pauvres étant potentiellement délinquants, il faut les contrôler, les reléguer et les réprimer ? Au lieu de s’en tenir à la logique policière de la suspicion et de la contrainte, il est plus juste d’user d’une autre logique.
Ce n’est pas en assimilant classes populaires et classes dangereuses qu’on a pu contenir la tentation désespérée du hors-la-loi et de la violence. C’est quand on cesse de reléguer, qu’on intègre, qu’on ouvre à la possibilité de progression sociale, qu’on rompt le cycle infernal de la mise à l’écart et de la violence. Désigner les immigrés comme des délinquants potentiels contribue à exacerber leur ressentiment, leur désespérance et à nourrir l’idée qu’il n’y a pas d’autre solution que l’écart à l’égard de la loi. La politique anti-immigrée n’écarte pas la violence : elle la nourrit, la légitime et ouvre la possibilité de son extension sans fin.
Face au projet d’extrême droite qu’il faut désigner comme tel, et qui se traduit en projet de tri, d’exclusion, de hiérarchisation des vies, la question pour la gauche est celui d’affirmer valeurs, principes, finalités. En l’occurrence, dire qu’il faut une politique d’accueil des migrants aujourd’hui abandonnée. Et exprimer que la gauche vise la construction d’une France, d’un monde où chacun peut prendre place et nourrir l’espoir d’une vie meilleure. C’est le fond de notre projet et de la lutte contre la criminalité.
S’en tenir à discuter et corriger les chiffres sans proposer un autre récit revient à perdre la bataille avant même qu’elle ne commence. Ce qu’il faut opposer à Marion Maréchal, ce n’est pas seulement une meilleure lecture des données, c’est un projet alternatif. Une autre explication globale de ce qui produit l’insécurité, les tensions sociales, la violence.
L’impréparation évidente de la cheffe des écologistes est aussi le symptôme que la force des punchlines ne suffit pas quand il faut combattre une extrême droite solide. On ne va pas à un débat de cette nature sans savoir précisément ce que l’on veut y défendre. Dans un débat politique, celui qui sait où il va a toujours un avantage sur celui qui improvise ses réponses en défense. Le passage sur la question du voile des petites filles était une caricature : il ne fut même pas opposé à Marion Maréchal qu’elle ne s’intéresse au sort des femmes qu’au seul sujet du voile et qu’elle défend une vision archaïque des rôles sexuels ; que la gauche entend défendre les libertés pour toutes face à leurs ennemis, fascistes de tout poils, islamistes compris et qu’elle défend une laïcité qui permet à chacun de vivre selon ses convictions.
Ce débat n’est pas un accident médiatique mais un symptôme. On ne peut affronter l’extrême droite sans un projet et une vision solide, alternative au monde qui va mal. Les chiffres ne viennent qu’éclairer cette proposition politique et les punchlines, l’ancrer dans les mémoires. Pas l’inverse.
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La rédaction

100 ans d’évolution de l’habitat, sur Arte. Il y a un siècle survenait la révolution de l’architecture moderne. Elle ne fut pas seulement esthétique. Elle se produisit d’abord dans la conception des logements. Les architectes modernes rêvaient de bons logements pour tous en lieu et place des taudis étroits qui dominaient. Les Bruno Taut, Le Corbusier, Walter Gropius, Margarete Schütte-Lihotzky ou Ernst May ont imaginé des bâtiments, beaux par leur volumes, proposant des logements éclairés, avec salle de bains, chambres et séjour. C’est cette révolution que raconte ces trois épisodes de 30 minutes, centrés sur une pièce : le séjour, la cuisine, la salle de bain. Où l’on découvre l’origine des cuisines Ikea qui ont conquis le monde. Plaisant.



Une réflexion pertinente d’un député catalan après la débâcle du Parti socialiste espagnol dans les élections régionales en Estrémadure. On vous en traduit deux points :

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22.12.2025 à 07:00
Masculinité, place des hommes dans le combat féministe, peur de la vasectomie sociétale : on parle des hommes, des vrais, avec Mathieu Palain.
Mathieu Palain est écrivain et journaliste, auteur de Nos pères, nos frères, nos amis (2023, Les Arènes)
Regards. On entend souvent parler des difficultés liées à la prise de conscience masculine vis-à-vis des questions de genre. Qu’est-ce qui, selon toi, freine cette évolution ?
Mathieu Palain. Il y a un décalage énorme entre des hommes qui refusent de s’interroger parce qu’ils se sentent agressés par ce débat et des femmes qui ont fait un travail colossal de prise de conscience. Beaucoup d’hommes se disent : « Pourquoi je devrais me remettre en question ? Je n’ai rien fait de mal ». Mais ils ignorent que ce travail n’est pas lié à avoir un casier judiciaire. Il s’agit de comprendre des comportements systémiques ancrés en nous.
L’un des freins majeurs est le sentiment d’attaque ressenti par certains hommes face aux revendications féministes. Beaucoup perçoivent cette remise en question comme une accusation généralisée, alors qu’il s’agit simplement de reconnaître un problème structurel. De plus, les normes patriarcales sont profondément enracinées dans l’éducation et la culture, ce qui rend difficile leur remise en cause.
Il faut aussi ajouter que la masculinité traditionnelle repose sur des valeurs profondément ancrées dans nos sociétés, comme la force, l’autorité et le contrôle. Remettre en question ces valeurs revient pour certains à remettre en cause leur propre identité. C’est pourquoi tant d’hommes résistent à ces évolutions. Pourtant, des études montrent que des sociétés plus égalitaires bénéficient à tous, y compris aux hommes, en réduisant les attentes oppressives liées aux rôles genrés.
Un autre élément important, c’est l’influence des réseaux sociaux et des discours réactionnaires qui se développent en réponse aux avancées du féminisme. On observe aujourd’hui des figures publiques et des influenceurs qui prônent une vision ultra-traditionnelle de la masculinité, allant jusqu’à promouvoir des comportements toxiques sous couvert de « virilité » retrouvée. Ces discours trouvent un écho chez de nombreux jeunes hommes en quête de repères et qui se sentent déstabilisés par les changements en cours.
Mais il y a aussi un vrai phénomène de rejet, non seulement des féministes, mais aussi de la remise en question de certains privilèges masculins. Beaucoup d’hommes ont grandi avec l’idée que leur place dans la société était naturelle et lorsqu’on leur dit que cette place est en réalité construite sur des inégalités, il y a un réflexe de défense. Certains se sentent attaqués dans leur identité et leur valeur, alors que le but du féminisme n’est pas d’accuser individuellement les hommes, mais bien de repenser des structures qui créent des déséquilibres.
Mais est-ce que tu vois cette déconstruction se mettre en place concrètement ?
Oui, je la vois. Je vois des hommes de mon âge qui prennent conscience de la différence avec leurs pères. Beaucoup réalisent qu’ils ne peuvent pas reproduire ce modèle car leur partenaire ne l’accepterait pas. Mais je vois aussi des jeunes garçons dans les collèges qui adoptent parfois des discours de masculinisme extrême. Face à eux, il y a des jeunes filles très politisées, prêtes à les confronter. Ce fossé entre les deux sexes est flagrant, mais il prouve que la conscience évolue, même si cela reste conflictuel.
J’observe également de plus en plus d’hommes qui prennent la parole pour dénoncer des comportements sexistes ou partager leurs propres remises en question. Il y a encore du chemin à parcourir, mais les discussions se multiplient, notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il est essentiel de continuer ces conversations, sans jugement, pour encourager davantage d’hommes à s’interroger sur leurs comportements.
Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises mettent en place des formations sur l’égalité homme-femme et le respect en milieu professionnel. Ce sont des petites avancées qui permettent de sensibiliser davantage d’hommes à ces problématiques. Ces formations, lorsqu’elles sont bien construites et participatives, peuvent être des outils très efficaces pour lutter contre les stéréotypes de genre et instaurer des relations professionnelles plus équilibrées.
« La masculinité traditionnelle repose sur des valeurs profondément ancrées dans nos sociétés, comme la force, l’autorité et le contrôle. Remettre en question ces valeurs revient pour certains à remettre en cause leur propre identité. C’est pourquoi tant d’hommes résistent à ces évolutions. »
On voit aussi des transformations dans le domaine de la parentalité. De plus en plus de pères revendiquent un rôle plus actif dans l’éducation de leurs enfants, remettant en cause l’idée selon laquelle l’homme devrait avant tout être un pourvoyeur économique. Ces évolutions montrent que la masculinité est en train de se redéfinir.
Mais cette redéfinition ne se fait pas sans heurts. Certaines résistances sont particulièrement visibles dans les sphères conservatrices, où le modèle du « chef de famille » reste prédominant. Dans ces milieux, tout changement est perçu comme une menace et non comme une opportunité de progresser vers plus d’égalité.
Ce décalage entre les jeunes filles politisées et les garçons peut-il réellement être comblé ?
Je pense que oui, mais cela prendra du temps. Le problème vient du conditionnement très précoce. On élève les filles et les garçons différemment, ce qui se traduit par cette séparation à l’adolescence. Pourtant, il y a des signes positifs : les jeunes générations sont baignées dans un discours féministe et de consentement bien plus que nous à l’époque. Cela donne de l’espoir. Il faut un véritable effort collectif pour changer les mentalités et ne pas laisser ces écarts se creuser davantage.
L’éducation joue un rôle central dans cette transformation. Il faudrait intégrer dès le plus jeune âge des cours sur l’égalité, le consentement et la gestion des émotions. De nombreux programmes scolaires commencent à inclure ces thématiques, mais ils restent minoritaires. Si l’on veut vraiment réduire cet écart, il faut que l’ensemble de la société s’engage dans cette direction.
L’accès à des modèles masculins plus diversifiés dans les médias et la culture populaire peut aussi jouer un rôle clé. Voir des hommes qui s’expriment librement sur leurs émotions ou qui adoptent des attitudes plus égalitaires dans des films ou des séries pourrait aider à transformer les représentations collectives. Il faudrait également que les parents jouent un rôle actif en encourageant leurs enfants, garçons comme filles, à remettre en question les normes de genre et à développer des comportements égalitaires.
« On devrait enseigner aux jeunes garçons qu’ils ont le droit d’exprimer leurs sentiments, d’être vulnérables sans que cela ne soit perçu comme une faiblesse. »
Il y a aussi la question de la charge mentale qui reste largement inégalement répartie dans de nombreux foyers. Tant que cette charge sera considérée comme une « affaire de femmes », la déconstruction de la masculinité restera incomplète. Les hommes doivent comprendre qu’un rôle actif dans la gestion du foyer n’est pas un « coup de main », mais bien une responsabilité partagée.
Selon toi, qu’est-ce qui définit un homme aujourd’hui ?
Ce n’est plus être fort ou dominateur. Un homme, pour moi, c’est quelqu’un qui assume ses responsabilités et ses émotions. Beaucoup d’hommes n’ont pas été éduqués pour cela. Par exemple, aller voir un psy est encore perçu comme une faiblesse. C’est ce qui doit changer : accepter qu’avoir des émotions ne fait pas de nous des êtres faibles. On devrait enseigner aux jeunes garçons qu’ils ont le droit d’exprimer leurs sentiments, d’être vulnérables sans que cela ne soit perçu comme une faiblesse.
Un homme, c’est aussi quelqu’un qui écoute, qui respecte et qui n’a pas peur de remettre en question ses certitudes. C’est une définition plus ouverte, qui permet à chacun de se sentir libre d’être soi, sans les carcans imposés par la société.
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Cet article est extrait du n°62 de la revue Regards, publié en avril 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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