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25.12.2025 à 07:00

David Guiraud insoumis à taille humaine

Pablo Pillaud-Vivien
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Les élections municipales seront-elles un tournant pour La France insoumise ?  Le parti de Jean-Luc Mélenchon avait délaissé les élections locales ; il espère désormais conquérir quelques villes – au risque de créer des « baronnies ». Roubaix est sur la liste des conquêtes possibles. Et c’est David Guiraud, le député du Nord, qui part à l’abordage. Dans le Grand…
Texte intégral (2810 mots)

Les élections municipales seront-elles un tournant pour La France insoumise ?  Le parti de Jean-Luc Mélenchon avait délaissé les élections locales ; il espère désormais conquérir quelques villes – au risque de créer des « baronnies ». Roubaix est sur la liste des conquêtes possibles. Et c’est David Guiraud, le député du Nord, qui part à l’abordage.

Dans le Grand Café, celui qui fait face à l’hôtel de ville de Roubaix, on vient autant s’abriter de la pluie que pour déjeuner. Tout le monde se salue, d’un air entendu et sympathique. Ce jour-là, le maire sortant, Guillaume Delbar, et son équipe déjeunent à une table à l’étage. Son challenger, David Guiraud, et moi sommes attablés au rez-de-chaussée, en vitrine. Quand l’édile de droite sort avec son aréopage, il ne manque pas de venir saluer l’insoumis : on se rend des civilités cordiales, presque joviales. Il y a dans ces échanges quelque chose qui existe davantage dans les réalités locales qu’à l’Assemblée nationale : la rivalité existe, la tension politique est là, mais la vie commune impose des formes de civilité. Cette proximité sans affrontement spectaculaire dit déjà beaucoup de celui qui l’accepte sans façon : la bataille sera rude, mais elle se jouera sur le terrain du quotidien et de la crédibilité réelle des projets plus que dans les postures et les post-assassins sur les réseaux sociaux.

David Guiraud a trente et un ans. On le connaît pour ses interventions à l’Assemblée et à la télévision, coupantes et efficaces, ses questions qui font mouche et ses emportements millimétrés qui deviennent des extraits viraux. Mais réduire son parcours à ces instants serait passer à côté de l’essentiel : sa campagne est d’abord une histoire d’installation et de filiation. Car le député LFI n’est pas né à Roubaix. Il est le fils de son père, maire socialiste des Lilas en Seine-Saint-Denis, qui lui a transmis très tôt une culture municipale, un sens de l’action locale, une familiarité avec le pouvoir, ses rouages et ses grandeurs modestes. Fils de socialiste, il a aussi grandi avec l’idée que la politique peut transformer concrètement une ville. Mais il connaît l’exigence qui a accaparé son père durant toute son enfance. Parachuté à Roubaix par La France insoumise, il a choisi, contrairement à d’autres, de s’installer tout de suite dans la ville, d’y vivre, d’y inscrire son quotidien. Ce choix a compté : au lieu de rester une silhouette de passage, il s’est fait un voisin, un interlocuteur, une présence.

Entre la mairie des Lilas que son père dirigea et l’Assemblée nationale – où il était collaborateur d’Éric Coqurel –, David Guiraud a construit une trajectoire singulière. Cette double filiation forme son profil composite : bagarreur et gestionnaire, orateur et organisateur, héritier et autonome.

En vérité, David Guiraud a une double paternité politique. D’un côté, son père biologique, de l’autre, un père d’adoption politique : Éric Coquerel, dont il a été le collaborateur parlementaire durant plusieurs années. À ses côtés, il a appris le travail d’amendement, la précision des dossiers, la confrontation parlementaire, l’art d’occuper la scène politique nationale. Entre la mairie des Lilas et l’Assemblée nationale, entre un socialisme municipal de terrain et une insoumission parlementaire offensive, David Guiraud a construit une trajectoire singulière. Cette double filiation forme son profil composite : bagarreur et gestionnaire, orateur et organisateur, héritier et autonome.

Architecture politique

On le retrouve dans son local de campagne, pensé comme un atelier-usine politique. Très vaste, il peut accueillir une centaine de personnes. Les murs portent des plans, les tables recouvertes de maquettes de la ville : il  montre, avec une baguette de maître d’école, les portions de la ville, les structures et les ambitions, les liaisons piétonnes existantes et à venir, les projets de reconversions de friches. Le directeur de campagne, architecte, tient une place centrale : il traduit volontiers des enjeux sociaux en dispositifs spatiaux. Ce n’est pas un simple argument de communication ; la question urbaine n’est pas accessoire mais constitutive du projet.

Elle structure l’édifice des propositions. David Guiraud et son équipe ne séparent pas l’écologie, le social et l’emploi. Nawri Khamallah explique la logique avec des mots d’architecte mais une visée sociale : « Si on repense les parcours entre les écoles et les transports, si on crée des espaces partagés qui favorisent la micro-économie, on fabrique aussi de la sécurité, de l’emploi, de la mixité ». Ce vocabulaire technique est pris comme un outil pour rendre le politique intelligible : les plans servent à mettre à plat des choix qui, sinon resteraient abstraits.

La mémoire de Roubaix traverse notre entretien. Ville ouvrière, productrice, organisée, elle fut longtemps un exemple pour la gauche municipale. Cette mémoire s’accroche aux pierres des usines, aux vieux commerces, aux syndicalismes encore vivaces. Elle explique l’attachement des habitants à leur ville et la colère que suscite le déclassement. La désindustrialisation a laissé des traces profondes : chômage, précarité, logements dégradés, équipements publics qui s’usent. Sur ces terrains, la parole de David Guiraud résonne : il évoque des parcours de rénovation, des fonds de solidarité, des coopératives pour relancer des activités locales. Il sait aussi que les retours électoraux sont marqués par l’abstention, que beaucoup ont cessé de croire dans les vertus du vote.

Dans la ville, les opinions sont multiples. Une boulangère du centre dit : « Il est jeune, on le voit, il écoute. Mais nous avons eu des élus qui disaient la même chose. Moi, j’attends de voir. » Un éducateur associatif qui sirote un café devant la gare note : « Ce qui change, c’est la volonté d’impliquer les jeunes. Guiraud, je me demande si c’est juste du spectacle ou si c’est une porte pour dialoguer. Mais franchement, j’ai envie d’y croire. » Un retraité, prudent, nuance : «  On a besoin que cela tienne sur la durée, que ce ne soit pas que de la com’. » David Guiraud entend ces voix et répète qu’il ne vend pas des illusions : sa communication est un moyen, pas une fin.

Insoumission à échelle locale

La campagne, dans sa mécanique, articule action culturelle, travail de proximité et technicité des politiques publiques. L’équipe a abattu un travail titanesque : ils ont produit un programme de plusieurs centaines de mesures… un peu à l’image du programme de La France insoumise, la fameuse bible intitulée L’avenir en commun, qui comprend le même nombre de mesures. Et d’ailleurs, David Guiraud explique comment il l’a élaboré : de la même façon que le mouvement au niveau national. L’équipe est allée voir les associations et les habitants et a noté doléances et propositions. Résultats : tout est là et chacun est censé y retrouver ce qu’il a raconté. Et, donc, de valider la proposition. On sait qu’à la fin, il n’émergera dans le fort de la campagne que quelques idées-forces mais cela permet, dans un premier temps, de rassembler tout le monde et de faire montre d’une envie de participation. Déjà des idées affleurent, plus fortes que d’autres : par exemple celles du directeur de campagne, qui met en garde contre la gentrification : « On ne veut pas transformer Roubaix pour ceux qui viendront après. Il faut des modèles qui permettent à ceux qui sont là de rester ». C’est sur ce fil que la campagne construit ses propositions de mixtes fonctionnelles et de préservation des loyers.

Les adversaires politiques sont bien présents : la droite municipale, portée par un maire habile à apparaître comme gestionnaire ; l’extrême droite qui prospère sur le ressentiment. David Guiraud ne minimise pas ces forces. Il identifie deux fronts : l’affrontement politique traditionnel – campagnes, débats, tractations – et la lutte contre la résignation. « Le vrai adversaire, me dit-il, c’est que les gens cessent de penser que la ville peut changer. » Pour lui, le remède est double : des résultats tangibles à court terme et une stratégie de long terme de transformation urbaine et socio-économique. Objectif : que les Roubaisiens ne se sentent plus abandonnés par tous, à commencer par leurs propres élus.

L’urbanisme n’est pas un simple volet esthétique ; il est au cœur de la justice sociale. David Guiraud imagine des parcours piétons qui relient écoles et équipements, des micro-ateliers d’économie circulaire sur des friches, des lieux culturels portés par des collectifs locaux. L’architecture, ici, est conçue comme une fabrique de communs. Son architecte de campagne parle volontiers d’« urbanisme d’usage » : des interventions modestes mais visibles pour transformer la manière dont la ville est vécue.

Faire mieux

« Je suis militant depuis dix ans. » Dans l’intervalle, David Guiraud est devenu une figure médiatique, pas une star mais une voix identifiée – « J’avais mon rond de serviette dans les médias », dit-il en souriant. Et pourtant il n’a pas voulu se présenter pendant ces années-là : il tenait à finir ses études, à vivre une première expérience « de collaboration » auprès d’Éric Coquerel. « J’étais à l’école de la politique, je ne suis pas un ovni. Mais je voulais bosser, pas forcément être devant. » 2022 arrive et l’idée s’impose : « Je me dis que ça peut être le moment ». Il décrit, sans dramatiser, ce moment banal et décisif de tant de trajectoires politiques : une maturation, des encouragements, puis une porte qui s’entrouvre.

Il précise tout de suite un nœud biographique : Les Lilas. « Je ne voulais pas me présenter là-bas. Je n’avais pas envie d’être dans l’ombre de mon père, ni d’être dans sa lumière. » Il cherche un territoire qui lui ressemble davantage et, à ce moment, des camarades l’appellent : à Roubaix, en 2017, la gauche avait été éliminée au premier tour, faute d’unité et de projet. « Pourtant, quand tu regardes la sociologie, c’est très populaire. » Il sent qu’il manque quelqu’un qui veut y aller pour gagner. Le comité électoral s’en mêle. Il arrive, observe, tranche une première chose : s’installer. « À partir du moment où je suis candidat là-bas, j’y habite. » Il en parle comme d’une condition éthique et d’une évidence pratique, surtout pour un trentenaire sans enfants : « Vivre dans sa ville, c’est la première condition si tu veux t’implanter vite. » Après la campagne, il achète un appart sur place et « s’enkyste ». Sa compagne accepte de bouger avec lui. « Je n’avais pas forcément l’objectif d’être maire. Mais j’ai tout de suite eu une pratique du mandat très locale. »

David Guiraud revendique une forme de loyauté disciplinée à LFI et, en même temps, une autonomie municipale : « Les municipales, c’est 30 000 communes. On ne peut pas avoir un seul discours pour tous. »

Il décrit ensuite la mécanique parlementaire « à petits bras » transposée à l’échelle d’une ville pauvre : « On répond à tout le monde. On traite tous les dossiers. On est deux salariés, parfois un de plus, c’est ridicule par rapport à une mairie, mais on s’y met. » À Wattrelos aussi, dit-il, mais surtout à Roubaix. Il cite des luttes, parfois gagnées, parfois perdues : des emplois francs arrachés, des fermetures administratives combattues, des commerces soutenus – « le Grand Café », glisse-t-il. Ce qui l’exalte : « Réussir à faire changer des trucs localement ». Ce qui le travaille : « Voir tout ce qu’on pourrait faire si la mairie faisait son taf ». C’est là que la question urbaine l’agrippe pour de bon. « Franchement, si les élus étaient à la hauteur, on pourrait faire énormément de choses. »

Sa critique des doctrines actuelles tient en une phrase : « On densifie et on vide les pauvres. » Le renouvellement urbain, pour lui, commence par réparer ce qui a été abandonné par les bailleurs, détruire ce qui est irrémédiable, rouvrir les espaces verts, les parkings, « rouvrir ce qui appartient aux gens ». Sa ligne : plus d’habitants, pas moins ; et surtout des logements adaptés à la vie réelle des Roubaisiens, « y compris la jeunesse non étudiante ». « On construit des logements étudiants sur les friches… et les jeunes de Roubaix, qui ne sont pas tous à la fac, ils vivent où ? »

La mixité sociale ? « Notre ville remplit une fonction politique : elle accueille. Oui, les autres villes doivent prendre leur part. » Il détaille la réalité économique : pas de « mono-employeur » massif, mais une mosaïque de services, d’activités, des logistiques qui ferment, des PME qui tiennent, des boîtes de l’immobilier au sud de la métropole. « C’est diffus. » Une jeunesse « en colère », parfois, mais « pas de grandes manifs ». « À Roubaix, les gens se débrouillent. »

La nouvelle France insoumise ?

Une question interroge quand on imagine un insoumis à la tête d’un exécutif municipal : comment vont-ils composer avec les entreprises, serrer les mains de ceux qu’ils dénoncent à longueurs de tribunes, « faire le tour des patrons » comme le font tant de maires. Il ne botte pas en touche : « Je ne serai pas là pour commander en chef de ma commune avec des patrons. Mais s’ils m’interpellent, je répondrai. La bonne gestion n’est pas un gros mot. »

Il revendique une forme de loyauté disciplinée à LFI et, en même temps, une autonomie municipale : « Les municipales, c’est 30 000 communes. On ne peut pas avoir un seul discours pour tous. » Il reconnaît des frottements, des désaccords de tempo, assume d’avoir parfois « pris la main » sur une annonce. « Ce n’est pas dictatorial. On a besoin de discipline, oui, mais aussi d’initiative. » Pourquoi LFI lui laisse-t-elle cette marge ? « Parce que je suis loyal. Je ne fais pas ça pour me pousser moi. Et parce qu’ils pensent peut-être que je peux y arriver : alors ça vaut le coup de soutenir. »

« Plus c’est local, plus c’est complexe. » Il décrit des espaces de discussion entre députés candidats, des allers-retours avec le comité électoral, la réalité triviale des lundis-mardis-mercredis à Paris où, entre deux votes, on parle de logements et d’éclairage public. Il n’idéalise pas. Il assume. On lui dit qu’on l’accusera de tout – parachutage (déjà fait), radicalité (bien sûr), incompétence gestionnaire (à démontrer). Il hausse les épaules : « On établira la vérité. » Et il reformule, une dernière fois, l’idée fixe qui traverse toute sa campagne : « Rendre Roubaix vivable pour ceux qui y vivent. Pas pour une vitrine. Pas pour demain au détriment d’aujourd’hui. »

Quand on se lève, la pluie a cessé. Il jette un dernier regard vers l’hôtel de ville. La scène s’emboîte : le local-atelier où l’on manie des maquettes comme des promesses tangibles ; la double filiation politique condensée dans un projet urbain. « On verra, dit-il, mais au moins, on fait. » Et, dans cette phrase, quelque chose de Roubaix répond.

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Cet article est extrait du n°63 de la revue Regards, publié en octobre 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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24.12.2025 à 12:40

Trump veut le pétrole vénézuélien

la Rédaction
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La newsletter du 24 décembre 📨
Texte intégral (1516 mots)

La newsletter du 24 décembre 📨

par Catherine Tricot

Donald Trump n’est pas en mode pause pour les fêtes. Il réactive son objectif d’annexer le Groenland et met en place un blocus naval militaire contre le Venezuela. Pour accéder aux réserves stratégiques, la guerre gronde.

« Drill baby, drill » fut le slogan de campagne de Donal Trump. Le président américain a une obsession : le pétrole. Celle pour le pétrole vénézuélien n’a rien de neuf. Il faut dire que ce pays détient la première réserve mondiale de pétrole conventionnel, près de 20%. Tandis que le Canada, autre pays convoité par Trump, se place au quatrième rang mondial. 

En juin 2023, il critiquait Joe Biden : « Quand je suis parti, le Venezuela était sur le point de s’effondrer. Nous l’aurions repris, nous aurions gardé tout ce pétrole qui est juste à côté ». Les États-Unis ne digèrent pas les nationalisations opérées par Hugo Chavez en 2007. Dans un discours typiquement colonial, Trump annonce qu’il va récupérer ces ressources – étant entendu que le bien des entreprises américaines se confond avec le sien et avec celui du pays. 

Le 17 décembre, il menace à nouveau : « Le Venezuela doit rendre aux États-Unis d’Amérique tout le pétrole, les terres et les autres actifs qu’ils nous ont précédemment volés… Le choc pour eux ne ressemblera à rien de ce qu’ils ont vu auparavant ». John Bolton, son ancien conseiller à la sécurité nationale, le cite et confirme : pour Trump, le Venezuela fait « vraiment partie des États-Unis » et une invasion serait « cool ».

Le contrôle du pétrole vénézuélien est l’un des axes de la stratégie de sécurité nationale américaine rendue publique le 5 décembre. Il répond à trois objectifs : assurer la sécurité énergétique des États-Unis ; provoquer un changement de régime à Caracas ; récupérer les investissements des compagnies pétrolières américaines (Chevron, Exxon Mobil, Conoco). A plusieurs reprises, Trump a déclaré avoir « des droits pétroliers » (sic) sur le Venezuela. 

Cette guerre est la continuation des actions américaines contre les nationalisations de 2007. Depuis 2015, des sanctions économiques et financières, unilatérales et illégales en droit international, frappent l’économie du pays. Trump les intensifie. Une stratégie déjà employée en particulier contre Allende au Chili. Trump reprend l’expression de Nixon ordonnant à la CIA de « faire souffrir l’économie » (« make the economy scream »).

C’est ce qui se produit : le Venezuela est dans une crise sociale et financière profonde qui fait souffrir la population. Les Vénézuéliens qui fuient le pays se comptent par millions, l’hyperinflation est galopante. 

Depuis cet été, l’administration Trump relate en boucle la fable de la lutte contre le narcoterrorisme et met en scène le spectacle des bateaux de trafiquants bombardés. On est désormais passé à l’étape suivante : le blocus naval militaire et la saisie de cargaisons de pétrole dans les eaux internationales… un acte de pure piraterie. 

Donald Trump s’appuie aussi sur une opposition déterminée à revenir aux affaires. Pour María Corina Machado, prix Nobel de la paix 2025, « nous avons besoin d’une menace réelle, crédible et sévère pour que le régime comprenne que le coût de rester est plus élevé que celui de partir ». Intervenant le 5 novembre dernier à l’American Business Forum (un des forums les plus influent du monde capitaliste), elle livre son programme : « Nous ouvrirons les marchés. Nous offrirons une sécurité totale pour l’investissement étranger et un programme de privatisation massive et transparent vous attend […] Nous transformerons le Venezuela : d’un centre criminel des Amériques, il deviendra le hub énergétique des Amériques. » 

Le Venezuela vient de porter ces menaces et actes de piraterie devant le conseil de sécurité de l’ONU. Il faut arrêter cette guerre qui vise l’annexion de richesses et la colonisation d’un pays. Trump doit être stoppé ou toute l’Amérique, Sud et Nord, est en danger imminent.

Catherine Tricot

🔴 POLÉMIQUE DU JOUR

La République survivra à « joyeux Noël »

En cette fin décembre, on a le droit à une polémique à la con. Au nom d’une vision de la laïcité absolument dérisoire, on se retrouve à débattre : ceux qui disent « joyeux Noël » et ceux qui leur opposent « joyeuses fêtes ». Comme si la neutralité de l’État ou la robustesse de la République se jouaient dans une formule de politesse. Cette fixation révèle surtout une paresse intellectuelle : on confond laïcité et police du langage, liberté de conscience et crispation identitaire. En traquant des mots inoffensifs, on s’empêche de se retrouver, de croire, de ne pas croire, et surtout de vivre ensemble sans polémique permanente. Bref, un débat parfaitement inutile, donc très médiatisé. Joyeux Noël et à l’année prochaine !

P.P.-V.

ON VOUS RECOMMANDE…

« Noël est-il devenu politiquement incorrect ? », une émission-débat sur France Culture. Marine Le Pen et les présentateurs de CNews qui souhaitent un joyeux Noël quand l’insoumis Eric Coquerel ou les présentateurs de BFMTV disent joyeuses fêtes… Tel est le débat de cette fin d’année : heureusement, les deux intervenants arrivent à prendre de la hauteur.

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24.12.2025 à 07:00

Le cercle des lecteurs disparus

Marion Rousset
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Moins d’un Français sur deux lit plus d’un livre par an en dehors de l’école et du travail… Un chiffre en chute libre. Le livre va-t-il, un jour, devenir un objet obsolète ? Le recul de la lecture a pris de telles proportions que le phénomène affole désormais certains neuroscientifiques. T ourner les pages d’un roman sans voir…
Texte intégral (3792 mots)

Moins d’un Français sur deux lit plus d’un livre par an en dehors de l’école et du travail… Un chiffre en chute libre. Le livre va-t-il, un jour, devenir un objet obsolète ? Le recul de la lecture a pris de telles proportions que le phénomène affole désormais certains neuroscientifiques.

T ourner les pages d’un roman sans voir les heures filer, la tête confortablement calée sur l’oreiller. Cette image appartiendra-t-elle bientôt au passé ? Et si les livres n’étaient pas condamnés à finir au bûcher comme dans Fahrenheit 451, mais entre les mains d’une élite très restreinte, avec les conséquences décrites par Ray Bradbury dans sa dystopie qui met en scène une société lobotomisée ? Le recul de la lecture a pris de telles proportions – tous âges confondus – que le phénomène affole désormais bien au-delà des cercles réactionnaires qui tiennent des discours aux accents déclinistes. À commencer par certains neuroscientifiques et chercheurs en psychologie cognitive, qui en viennent à échafauder des hypothèses n’ayant rien à envier aux récits d’anticipation des auteurs de science-fiction. « Depuis la révolution numérique, au tournant du 21èmesiècle, le temps que le cerveau des jeunes consacre aux livres a été très nettement réduit, supplanté par le temps consacré aux réseaux sociaux et aux jeux vidéo, soit à des textes très courts, peu soignés, et à des images sur écrans, pointe Olivier Houdé, professeur de psychologie, spécialiste du développement cognitif des enfants.

Depuis l’imprimerie, le réseau neuro-culturel impliqué dans la lecture s’est renforcé, puis il s’est massivement étendu avec l’avènement des lois Ferry qui ont institué l’école obligatoire. Une évolution qui pourrait arriver à un point de bascule

L’une des conséquences probables, pour les générations à venir, est une atrophie progressive du réseau neuronal de la lecture. Il restera, certes, toujours une sorte de « kit minimal de survie », telle une boîte aux lettres du cerveau humain, évitant l’illettrisme, qui permettra de décoder des consignes, messages et textes courts. Et concernant ce kit, rien n’exclut qu’une intelligence artificielle le remplace très vite ! » C’est dire combien pour lui, l’heure est grave. Et elle l’est d’autant plus quand cette désaffection pour la lecture touche des enfants et des adolescents en plein développement, selon Michel Desmurget, chercheur en neurosciences : « Des adultes ayant grandi avec des livres qui cesseraient de lire pendant cinq ans auraient toutes les chances de réussir à s’y remettre s’ils décidaient de revenir à cette activité. Car les bases sont acquises. Pour des enfants et des adolescents, ce n’est pas la même histoire », affirme cet auteur d’un ouvrage intituléFaites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital. « La construction cérébrale dépend de la nature des aliments donnés au cerveau dans les périodes critiques. Plus un enfant passe de temps sur les écrans, moins la structure anatomique de son cerveau va se mettre en place. »

Un phénomène qui date et s’accentue

Contemporaine des premières statistiques sur les pratiques culturelles des Français, au milieu des années 1950, l’inquiétude ne date pas d’hier. Mais longtemps, le camp progressiste a balayé ces lamentations se moquant du « C’était mieux avant », des attaques visant d’abord la jeunesse qui ne serait plus ce qu’elle était. Au milieu des années 2010, la sociologue Sylvie Octobre clamait ainsi dans les colonnes du Monde : « Les jeunes lisent toujours, mais pas des livres ». Même son de cloche du côté du cofondateur de Mediapart, Edwy Plenel, qui s’inscrivait en faux contre ce constat d’un effondrement de la lecture, dans une interview donnée à la revue des Cahiers pédagogiques : « On dit que les jeunes lisent moins : mais ils n’arrêtent pas de lire ! » En 2023, Carine Roucan, enseignante en littérature à l’université Le Havre Normandie, tentait encore d’apaiser les craintes dans un article intitulé « Oui, les jeunes lisent encore. Mais différemment ! », paru sur le site The Conversation. Et en un sens, ils ont raison : les jeunes continuent bien de lire… mais pas des romans, exception faite de la new romance – des histoires d’amour populaires abordant des sujets actuels – qui a le vent en poupe chez les adolescentes. À part les mangas et bandes dessinées qui n’ont pas disparu des bibliothèques, surtout de textes courts sur Internet, de posts sur les réseaux sociaux, de fils WhatsApp, etc. Entendons-nous bien, ce n’est pas la lecture en général qui est en perte de vitesse, mais bien celle des livres – imprimés ou numériques. 

Force est de constater que les Français lisent de moins en moins d’ouvrages, quelle que soit la classe d’âge. La soif de romans et d’essais se tarit, y compris chez les vieux. En 1988, 73% des Français de 15 ans et plus lisaient au moins un livre par an en dehors de l’école et du travail. En 2018, ils n’étaient plus que 62% et le pourcentage est même tombé à 48% aujourd’hui. À noter que la BD n’est pas épargnée par ce recul. À quoi s’ajoute la part de lecture quotidienne, qui a atteint son plus bas niveau depuis dix ans, selon la sixième édition du baromètre « Les Français et la lecture », réalisé par Ipsos pour le Centre national du livre (CNL), dont les résultats ont été rendus publics au printemps dernier. Sans oublier un renversement qui n’est pas rassurant : alors qu’il y a trente ans, les gros lecteurs étaient jeunes, aujourd’hui ils sont âgés. Bref, tous les clignotants sont au rouge. Et ça commence à se voir. 

La faute aux écrans ?

En cause ? De nombreuses études incriminent un usage intensif des écrans qui empiète sur la lecture de livres. « Sur leur temps libre, les Français consacrent ainsi presque une journée par semaine aux écrans (hors études/travail) et jusqu’à plus de 35 heures chez les moins de 25 ans, soit quasiment autant de temps aux écrans chaque jour qu’à lire des livres chaque semaine », révèle ainsi l’enquête menée pour le CNL. Nul doute que les notifications permanentes capturent l’attention au détriment d’activités qui demandent de la concentration. Cerise sur le gâteau, ces moments déjà réduits à portion congrue sont aussi parasités par l’envoi de messages ou la fréquentation des réseaux sociaux qui contribuent à hacher la lecture. Ainsi, 27% des lecteurs et plus de la moitié des 15-24 ans se laissent distraire par leur smartphone alors qu’ils tournent les pages. À ce propos, Bruno Patino établit une comparaison surprenante, dans La Civilisation du poisson rouge, entre le temps d’attention de ce vertébré aquatique et celui de la génération Y, dite « digital native » : « 8 secondes, c’est le temps d’attention d’un poisson rouge : au-delà, ce dernier remet à zéro son univers mental et découvre ainsi un monde nouveau à chaque tour de bocal […] 9 seconde, c’est le temps d’attention d’un Millenial : au-delà, son cerveau décroche et il lui faut un nouveau stimulus », affirme-t-il sur la foi de calculs réalisés par les ingénieurs de Google. Et d’en conclure : « Nous sommes tous sur le chemin de l’addiction : enfants, jeunes, adultes. » 

Nul doute que la surconsommation d’écrans en tout genre détourne enfants comme adultes des livres. Mais sur un plan plus philosophique, il se peut que la lecture pâtisse aussi, dans l’ombre, d’une accélération du temps inhérente à la modernité. C’est en tout cas l’hypothèse de l’historienne Mona Ozouf qui insiste, dans La Cause des livres, sur « la difficulté de se procurer, dans notre société, les biens qui [lui] sont indispensables : le silence, la solitude et même l’ennui ». Diagnostic conforté par la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, dans Télérama, il y a plusieurs années de cela : « J’entends déplorer fréquemment que les élèves ne lisent plus, ou, plus souvent encore, qu’ils ne savent plus lire un livre du début à la fin et se satisfont de fragments, soulignait-elle alors. Mais la lecture fragmentée n’est pas liée simplement à l’existence autour de nous des écrans qui nous sollicitent en permanence. Elle s’explique plus profondément par le rapport qu’entretient l’individu contemporain avec le temps – ce qu’on appelle le « présentisme », à savoir la prégnance de l’instant, de l’immédiateté, l’appréhension du temps comme une succession de moments au détriment de la prise en compte de la durée, de l’existence du passé et de l’avenir. Cette incapacité à envisager la longue durée affecte fatalement la pratique de la lecture, qui est à la fois de l’ordre de la mémoire et du projet. » Dans son ouvrage intitulé Accélération. Une critique sociale du temps, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa relève l’existence d’un paradoxe : alors que les outils techniques promettaient de nous faire gagner du temps, nous n’avons jamais eu autant l’impression de manquer de temps.

Les jeunes continuent bien de lire… mais pas des romans. À part les mangas et bandes dessinées qui n’ont pas disparu des bibliothèques, il s’agit surtout de textes courts sur Internet, de posts sur les réseaux sociaux, de fils WhatsApp, etc. Ce n’est pas la lecture en général qui est en perte de vitesse, mais bien celle des livres – imprimés ou numériques. 

Fast-food, speed-dating, haut débit… Le quotidien est pris dans une frénésie qui participe de la victoire du « format court dans tous les domaines », souligne le sociologue Bernard Lahire, auteur d’un manifeste intitulé Savoir ou périr paru à la rentrée. « Dans les années 90, le cinéma arrivait en tête des préférences des jeunes, devant la lecture, dans les enquêtes sur leurs préférences. Interrogés, ils disaient qu’en deux heures, ils avaient toute l’histoire », souligne Bernard Lahire. Cette tendance à l’accélération affecte jusqu’à l’école qui peine, du même coup, à fabriquer des lecteurs : « Depuis très longtemps, elle habitue les élèves à ne pas lire ! Les enseignants manquent de temps, on leur demande d’aller toujours plus vite, ce qui n’est pas compatible avec la lecture de textes longs. » Plus longtemps les élèves séjournent à l’école, moins ils lisent pour eux-mêmes, montraient déjà les sociologues Christian Baudelot, Marie Cartier et Christine Detrez en 1999, dans Et pourtant, ils lisent… Sauf qu’à l’époque, le décrochage avait lieu au lycée, à l’approche du bac. Aujourd’hui, la pression commence bien plus tôt. Selon Bernard Lahire, c’est toute la machine scolaire – soumise à une obsession de l’évaluation – qui tourne à l’envers : on la cadence pour terminer le programme et pouvoir noter les copies lors des examens et concours. Autrement dit, l’école ne permet plus de développer, en toute tranquillité, des apprentissages. Ce qui contribue, selon ce sociologue, à une « culture du découpage des œuvres en petits morceaux, en extraits de textes. Les semaines sont si surchargées, les programmes si denses que les élèves manquent de disponibilité pour lire des œuvres du début à la fin ».

La responsabilité de l’école

Mais le désamour pour les livres pourrait aussi être lié à une hiérarchie scolaire qui fait la part belle aux mathématiques, si l’on en croit la sociologue Sylvie Octobre, autrice de Deux pouces et des neurones. Les cultures juvéniles de l’ère médiatique à l’ère numérique. Interrogée dans Le Monde, elle invoquait il y a déjà dix ans le « glissement de notre société de ce qu’on appelait les humanités vers le technico-commercial. Auparavant, les filières les plus prestigieuses nécessitaient une pratique assidue de la lecture. Or la lecture, en tant que loisir tout du moins, n’est plus vraiment obligatoire pour devenir ingénieur. » Plutôt que des romans, expliquait-elle alors, « les 15-29 ans lisent des textos, Wikipédia, des blogs… Il y a bien des façons de lire. En réalité, on n’a jamais tant lu : des textes, des publicités, des articles, etc. ». Depuis, les faits lui ont largement donné raison. 

Reste une question : faut-il voir dans cette victoire de la lecture fragmentée une véritable rupture anthropologique, ou au contraire dédramatiser la désaffection grandissante pour les bouquins, sujette à déploration depuis des décennies ? Craindre que l’explosion des non-lecteurs n’ait des conséquences désastreuses, ou se rassurer sur la capacité des livres-audio et autres supports à prendre le relais ? « Les discours d’affolement, de déclin, me laissent circonspect. Même des collègues qui étaient assez prudents se lâchent plus aujourd’hui, on a l’impression qu’un seuil a été dépassé. Pourtant, les données montrent que les gens lisent moins de livres, mais la lecture ne se réduit pas à la lecture de livres », insiste Bernard Lahire qui refuse de céder à la panique morale. D’autant que cette baisse, qui peut interpeller lorsqu’elle touche les sciences humaines et sociales, n’a pas le même impact dans toutes les disciplines, selon lui : « Dans beaucoup de domaines scientifiques, les innovations ou les révolutions viennent de ceux qui ont su s’approprier des connaissances très étendues, ce qui se traduit par une pratique intensive de la lecture dans le cas des sciences humaines et sociales avec Marx, Durkheim, Freud, etc., et sans doute aussi de la biologie si l’on pense à Darwin. C’est pourquoi je plaide, en Sciences Humaines et Sociales, pour que les étudiants lisent des livres en entier, pas des bribes et des commentaires sur ces livres », reconnaît-il. Mais, pondère-t-il, « on peut être un ingénieur formidable sans lire énormément. Le mathématicien Alexandre Grothendieck n’aimait pas du tout lire les ouvrages de ses collègues, il préférait téléphoner aux gens pour leur demander de lui résumer le propos ! » 

Il n’empêche que l’organisation sociale que nous connaissons aujourd’hui et son rapport à la science se sont construits sur un savoir qui s’est sédimenté dans des textes, depuis l’invention de l’écriture. Une histoire qui a débuté en Mésopotamie et en Égypte il y a près de 6000 ans, et façonné les sociétés lettrées d’aujourd’hui. « On peut supposer que l’ensemble des mutations de la connaissance en Occident, depuis la Mésopotamie et la Grèce antique, doit être attribuée à une configuration historique très particulière. Celle-ci allie des techniques (l’écriture et la lecture) et des formes institutionnelles de transmission et d’accumulation des savoirs (l’école, la classe, la pédagogie et la culture scolaire) », analyse le chercheur Jean-Claude Ruano-Borbalan dans un article intitulé « Des sociétés orales aux sociétés scolaires », paru dans le magazine Sciences humaines. Ce lien au livre est d’ailleurs si central que l’on a pris l’habitude de « décrire […] le monde comme un texte ou un texte comme le monde », observe Alberto Manguel, essayiste canado-argentin, dans son Histoire de la lecture. Une métaphore qui traverse les sociétés juive, chrétienne et islamique, lesquelles font des livres sacrés le Verbe divin lui-même. « Pour la plupart des sociétés alphabétisées – pour l’islam, pour les sociétés juives et chrétiennes telles que la mienne, pour les anciens Mayas, pour les vastes cultures bouddhistes – la lecture se trouve au début du contrat social », insiste Alberto Manguel. De sorte que l’apprentissage de la lecture s’apparente à un rite initiatique, comme dans la société juive médiévale qui célébrait ce passage lors de la fête de Shavuot : on drapait alors le garçon qui allait être initié dans un châle de prière, puis son père le conduisait au maître qui prenait celui-ci sur ses genoux et lui montrait une ardoise où figuraient l’alphabet hébreu. Le maître lisait chaque mot à haute voix et l’enfant répétait. Ensuite on enduisait l’ardoise de miel et l’enfant la léchait, « assimilant ainsi physiquement les mots sacrés ». Il mangeait aussi des œufs durs épluchés et des gâteaux au miel sur lesquels étaient inscrits des versets bibliques, après les avoir lus à haute voix. « L’enfant qui apprend à lire est admis dans la mémoire commune par la voie des livres et découvre ainsi un passé partagé qu’il ou elle renouvelle, à un degré plus ou moins grand, à chaque lecture », résume Alberto Manguel. 

Cette dimension symbolique s’est accompagnée du développement de compétences cognitives spécifiques, rappelle Olivier Houdé : « Le réseau neuronal de la lecture n’existait pas biologiquement dans le cerveau de nos lointains ancêtres avant l’invention de l’écriture et de la lecture. Ce réseau a dû se construire par recyclage neuronal et une empreinte culturelle nouvelle dans des régions cérébrales antérieurement dédiées à la vision des objets qui, elle, existait depuis la nuit des temps. De la même façon, le réseau neuronal de la lecture doit se reconstruire, se façonner, telle une empreinte éducative singulière et nouvelle, dans le cerveau de chaque enfant au cours de son développement cognitif, en particulier à l’école en CP. C’est un formidable défi, tout à la fois biologique et culturel ! », explique-t-il. De la révolution de l’imprimerie – et la relative démocratisation du livre – à la Renaissance, le réseau neuro-culturel impliqué dans la lecture s’est renforcé, puis il s’est massivement étendu avec l’avènement des lois Ferry qui ont institué l’école obligatoire. Une évolution qui pourrait arriver à un point de bascule : « La richesse et la profondeur du réseau neuro-culturel de la lecture d’antan, jusqu’aux joies inégalables que procurent la littérature et la poésie et que connaissaient encore les générations de la fin du 20ème siècle, auront probablement bientôt disparu de la population générale. Resteront quelques exceptions, comme les érudits au Moyen Âge, gamberge Olivier Houdé. Par ce scénario encore hypothétique, les circuits courts du cerveau, de l’œil au pouce, auront peu à peu colonisé, puis remplacé les circuits longs : ceux de la pensée élaborée et du raisonnement. Ces circuits courts œil-pouce tourneront alors de plus en plus rapidement, mais in fine à vide. »

Le savoir est une arme

De quoi dessiner un scénario catastrophe : si cette hypothèse scientifique se vérifie, la désaffection pour les livres pourrait affecter nos capacités à décrypter les fake news qui empoisonnent la vie démocratique et même la manière de faire société. « Depuis l’émergence du langage, l’humanité n’a rien inventé de mieux que la lecture pour structurer la pensée, organiser le développement du cerveau et civiliser notre rapport au monde ; le livre construit littéralement l’enfant dans sa triple composante intellectuelle, émotionnelle et sociale », énumère Michel Demurget dans Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital. Loin d’être un simple loisir, la lecture forge des cerveaux à même de comprendre des réalités complexes, et contribue à cimenter la société : « J’ai épluché la littérature scientifique dans tous les sens et je n’ai pas trouvé de meilleur antidote à l’abêtissement des esprits que la lecture. Elle est une véritable machine à façonner l’intelligence dans sa dimension cognitive (celle qui permet de penser, de réfléchir et de raisonner), mais aussi, plus largement, socio-émotionnelle (celle qui permet de se comprendre et de comprendre autrui, au bénéfice des relations sociales) », défend ce chercheur en neurosciences. Des travaux ont notamment permis de montrer l’influence positive du volume de lecture – surtout s’il s’agit de fiction – accumulé tout au long de la vie sur le degré d’empathie. En donnant accès à la psyché des personnages, à leurs émotions et leurs pensées, la littérature offre, en effet, la possibilité au lecteur d’éprouver une myriade de vies. Autre intérêt – et non des moindres – de la lecture approfondie : elle favorise la capacité à distinguer le vrai du faux, à écarter les fausses informations amplifiées aujourd’hui par l’intelligence artificielle et les réseaux sociaux et à développer l’esprit critique. Autant de compétences indispensables, par les temps qui courent. Pour éviter que la réalité ne rattrape la fiction, relisons donc Ray Bradbury qui prophétisait dès 1953 : « Il n’y a pas besoin de brûler des livres pour détruire une culture. Juste de faire en sorte que les gens arrêtent de les lire. »

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Cet article est extrait du n°63 de la revue Regards, publié en octobre 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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