
22.12.2025 à 07:00
Masculinité, place des hommes dans le combat féministe, peur de la vasectomie sociétale : on parle des hommes, des vrais, avec Mathieu Palain.
Mathieu Palain est écrivain et journaliste, auteur de Nos pères, nos frères, nos amis (2023, Les Arènes)
Regards. On entend souvent parler des difficultés liées à la prise de conscience masculine vis-à-vis des questions de genre. Qu’est-ce qui, selon toi, freine cette évolution ?
Mathieu Palain. Il y a un décalage énorme entre des hommes qui refusent de s’interroger parce qu’ils se sentent agressés par ce débat et des femmes qui ont fait un travail colossal de prise de conscience. Beaucoup d’hommes se disent : « Pourquoi je devrais me remettre en question ? Je n’ai rien fait de mal ». Mais ils ignorent que ce travail n’est pas lié à avoir un casier judiciaire. Il s’agit de comprendre des comportements systémiques ancrés en nous.
L’un des freins majeurs est le sentiment d’attaque ressenti par certains hommes face aux revendications féministes. Beaucoup perçoivent cette remise en question comme une accusation généralisée, alors qu’il s’agit simplement de reconnaître un problème structurel. De plus, les normes patriarcales sont profondément enracinées dans l’éducation et la culture, ce qui rend difficile leur remise en cause.
Il faut aussi ajouter que la masculinité traditionnelle repose sur des valeurs profondément ancrées dans nos sociétés, comme la force, l’autorité et le contrôle. Remettre en question ces valeurs revient pour certains à remettre en cause leur propre identité. C’est pourquoi tant d’hommes résistent à ces évolutions. Pourtant, des études montrent que des sociétés plus égalitaires bénéficient à tous, y compris aux hommes, en réduisant les attentes oppressives liées aux rôles genrés.
Un autre élément important, c’est l’influence des réseaux sociaux et des discours réactionnaires qui se développent en réponse aux avancées du féminisme. On observe aujourd’hui des figures publiques et des influenceurs qui prônent une vision ultra-traditionnelle de la masculinité, allant jusqu’à promouvoir des comportements toxiques sous couvert de « virilité » retrouvée. Ces discours trouvent un écho chez de nombreux jeunes hommes en quête de repères et qui se sentent déstabilisés par les changements en cours.
Mais il y a aussi un vrai phénomène de rejet, non seulement des féministes, mais aussi de la remise en question de certains privilèges masculins. Beaucoup d’hommes ont grandi avec l’idée que leur place dans la société était naturelle et lorsqu’on leur dit que cette place est en réalité construite sur des inégalités, il y a un réflexe de défense. Certains se sentent attaqués dans leur identité et leur valeur, alors que le but du féminisme n’est pas d’accuser individuellement les hommes, mais bien de repenser des structures qui créent des déséquilibres.
Mais est-ce que tu vois cette déconstruction se mettre en place concrètement ?
Oui, je la vois. Je vois des hommes de mon âge qui prennent conscience de la différence avec leurs pères. Beaucoup réalisent qu’ils ne peuvent pas reproduire ce modèle car leur partenaire ne l’accepterait pas. Mais je vois aussi des jeunes garçons dans les collèges qui adoptent parfois des discours de masculinisme extrême. Face à eux, il y a des jeunes filles très politisées, prêtes à les confronter. Ce fossé entre les deux sexes est flagrant, mais il prouve que la conscience évolue, même si cela reste conflictuel.
J’observe également de plus en plus d’hommes qui prennent la parole pour dénoncer des comportements sexistes ou partager leurs propres remises en question. Il y a encore du chemin à parcourir, mais les discussions se multiplient, notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il est essentiel de continuer ces conversations, sans jugement, pour encourager davantage d’hommes à s’interroger sur leurs comportements.
Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises mettent en place des formations sur l’égalité homme-femme et le respect en milieu professionnel. Ce sont des petites avancées qui permettent de sensibiliser davantage d’hommes à ces problématiques. Ces formations, lorsqu’elles sont bien construites et participatives, peuvent être des outils très efficaces pour lutter contre les stéréotypes de genre et instaurer des relations professionnelles plus équilibrées.
« La masculinité traditionnelle repose sur des valeurs profondément ancrées dans nos sociétés, comme la force, l’autorité et le contrôle. Remettre en question ces valeurs revient pour certains à remettre en cause leur propre identité. C’est pourquoi tant d’hommes résistent à ces évolutions. »
On voit aussi des transformations dans le domaine de la parentalité. De plus en plus de pères revendiquent un rôle plus actif dans l’éducation de leurs enfants, remettant en cause l’idée selon laquelle l’homme devrait avant tout être un pourvoyeur économique. Ces évolutions montrent que la masculinité est en train de se redéfinir.
Mais cette redéfinition ne se fait pas sans heurts. Certaines résistances sont particulièrement visibles dans les sphères conservatrices, où le modèle du « chef de famille » reste prédominant. Dans ces milieux, tout changement est perçu comme une menace et non comme une opportunité de progresser vers plus d’égalité.
Ce décalage entre les jeunes filles politisées et les garçons peut-il réellement être comblé ?
Je pense que oui, mais cela prendra du temps. Le problème vient du conditionnement très précoce. On élève les filles et les garçons différemment, ce qui se traduit par cette séparation à l’adolescence. Pourtant, il y a des signes positifs : les jeunes générations sont baignées dans un discours féministe et de consentement bien plus que nous à l’époque. Cela donne de l’espoir. Il faut un véritable effort collectif pour changer les mentalités et ne pas laisser ces écarts se creuser davantage.
L’éducation joue un rôle central dans cette transformation. Il faudrait intégrer dès le plus jeune âge des cours sur l’égalité, le consentement et la gestion des émotions. De nombreux programmes scolaires commencent à inclure ces thématiques, mais ils restent minoritaires. Si l’on veut vraiment réduire cet écart, il faut que l’ensemble de la société s’engage dans cette direction.
L’accès à des modèles masculins plus diversifiés dans les médias et la culture populaire peut aussi jouer un rôle clé. Voir des hommes qui s’expriment librement sur leurs émotions ou qui adoptent des attitudes plus égalitaires dans des films ou des séries pourrait aider à transformer les représentations collectives. Il faudrait également que les parents jouent un rôle actif en encourageant leurs enfants, garçons comme filles, à remettre en question les normes de genre et à développer des comportements égalitaires.
« On devrait enseigner aux jeunes garçons qu’ils ont le droit d’exprimer leurs sentiments, d’être vulnérables sans que cela ne soit perçu comme une faiblesse. »
Il y a aussi la question de la charge mentale qui reste largement inégalement répartie dans de nombreux foyers. Tant que cette charge sera considérée comme une « affaire de femmes », la déconstruction de la masculinité restera incomplète. Les hommes doivent comprendre qu’un rôle actif dans la gestion du foyer n’est pas un « coup de main », mais bien une responsabilité partagée.
Selon toi, qu’est-ce qui définit un homme aujourd’hui ?
Ce n’est plus être fort ou dominateur. Un homme, pour moi, c’est quelqu’un qui assume ses responsabilités et ses émotions. Beaucoup d’hommes n’ont pas été éduqués pour cela. Par exemple, aller voir un psy est encore perçu comme une faiblesse. C’est ce qui doit changer : accepter qu’avoir des émotions ne fait pas de nous des êtres faibles. On devrait enseigner aux jeunes garçons qu’ils ont le droit d’exprimer leurs sentiments, d’être vulnérables sans que cela ne soit perçu comme une faiblesse.
Un homme, c’est aussi quelqu’un qui écoute, qui respecte et qui n’a pas peur de remettre en question ses certitudes. C’est une définition plus ouverte, qui permet à chacun de se sentir libre d’être soi, sans les carcans imposés par la société.
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Cet article est extrait du n°62 de la revue Regards, publié en avril 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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