SALLE 5
Groupe d'observation et de critique des comparutions immédiates à Grenoble
Publié le 22.05.2024 à 19:34
‘Mercredi 15 mai 2024, nous avons organisé une sortie collective avec le CAR38 dans le cadre de la quinzaine anti-répression à Grenoble, qui a eu lieu du 6 au 19 mai.
Nous avons assisté à une affaire lors d’une audience correctionnelle qui concernait des VSS (violences sexistes et sexuelles), avec un discours particulièrement choquant du procureur Eric Vaillant et des juges. Une éducation au consentement à refaire !
Quelques citations :
juge : « le tribunal a du mal à comprendre… Vous étiez sur ce site de rencontre qui suit une logique, d’aller jusqu’à avoir des relations sexuelles ; vous souhaitez avoir une vie de jeune fille épanouie sexuellement, mais en même temps vous êtes méfiante? C’est un message dur à recevoir pour Monsieur, il ne comprend pas! »
proc : « vous avez à juger aujourd’hui une de ces affaires d’agression sexuelle, ces femmes qui expriment ne pas vouloir de relation sexuelle, une affaire comme on commence à en voir de plus en plus au tribunal. Ce qui ne se faisait pas il y a quelques années ! C’est un phénomène nouveau de société ! »
« Alors bien sûr je suis un farouche défenseur du consentement dans les relations sexuelles ! Mais, il y a un contexte! vous avez dit non une première fois, bon il tente sa chance ! mais vous avez continué de dire non. Alors il a mis un peu de temps à comprendre ce garçon. »
Voici cette affaire, illustrée et commentée par Ana pich, dessinatrice et autrice de la BD « Chroniques de l’injustice ordinaire. »
Le prévenu ne prend pas la peine de se présenter à l’audience. Absence, qui contrairement à l’habitude, est à peine soulevée par les magistrats, qui dans un incroyable inversement des rôles, placent la victime au centre des interrogations… Alors même que les faits ont été explicitement reconnus par le prévenu au moment de son interpellation, confirmé par un témoin, les propos et le comportement préalable de la victime se trouvent mis en accusation. La victime est longuement interrogée, amenée à s’expliquer sur ses relations antérieures, ses intentions, son attirance… La culpabilité s’inverse presque allant jusqu’à amener la victime à présenter ses regrets au tribunal pour avoir utilisé un site de rencontre et invité un homme chez elle. Aberration la plus totale!« Ce qui est très curieux c’est… comment vous expliquez que lui dit que vous avez déjà eu des relations sexuelles ?! » Propos hors sol du proc! Le procès s’eternise, la juge insiste aussi lourdement sur les « ambivalences » de la victime… malaise général dans la salle. « Je voudrais saluer le courage de madame d’être venue aujourd’hui, en dépit de ce qu’elle craignait : ce fond de culpabilité qui pèse sur les victimes! On va chercher les ambivalence… mais il n’y a pas d’ambiguïté à chercher du côté de la victime !» rappelle l’avocate de la partie civile. Elle recadre enfin le débat lors de sa plaidoirie : « le fait d’etre sur un site de rencontre, le fait d’inviter quelqu’un chez elle… CE N’EST PAS CONSENTIR! Rien ne peut être reproché à la victime! » C’est au tour des réquisitions indécentes du proc, qui se substitue à l’avocat de la defense, allant même jusqu’à demander la dispense d’inscription du prévenu au fichier des auteurs de violences sexuelles (FIJAIS). « Je suis un farouche défenseur du consentement mais… le consentement s’explique pas que par des mots… Vous avez dit non une première fois… bon. IL TENTE SA CHANCE AU CAS OÙ VOUS CHANGIEZ D’AVIS » assume le proc! Démonstration de la culture du viol! Après 14 minutes de délibéré, les juges suivent à la lettre les réquisitions du parquet et condamne le prévenu à deux mois de sursis simple, le dispense d’inscription au fichier des auteurs de violences sexuelles et 800€ de DI à la victime contre les 2000 qu’elle demandait.
Publié le 06.07.2023 à 17:41
Comparution immédiate suite aux nuits d’émeute du 30juin au 1er juillet 2023, exceptionnellement un dimanche
M, marocain, avec un interprète (qui ne traduit pas tout)
La juge ne demande pas si l’accusé veut un délai…
Il est accusé d’avoir volé le 30 juin à 22h, 3 paires de baskets dans un magasin, lors des pillages, ou plutôt « dans des circonstances de casse généralisée à Grenoble », M a été trouvé dans le sous-sol du magasin, avec une deuxième personne, F.
L’avocat demande des nullités pour plusieurs raisons :
- il n’y a pas de PV d’interpellation. Pour faire office de PV, il y a eu seulement une « fiche de mise à disposition » suite à un PV général de toutes les interpellations, rien de spécifique à M.
- il y a plusieurs erreurs dans cette fiche : date du « 30 juillet 2022 » ; erreur dans le nom (erreurs qui selon lui peuvent cependant s’expliquer à cause de l’urgence)
- aucun constat dans ce PV.
- il n’y a pas de noms des fonctionnaires de police qui l’ont interpellé.
- un nouveau nom du prévenu apparaît, encore une erreur, dans un 3e pv rédigé à l’hôtel de police.
Il précise que la notion de « circonstances insurmontables » appelée comme ça par le tribunal ne tient pas.
« Un autre problème, on voit qu’ici au tribunal M a besoin d’un interprète, alors qu’apparemment à l’hôtel de police on dit qu’il lit et comprend très bien le français. C’est encore une irrégularité de ne pas lui avoir proposé d’interprète à l’hôtel de police. »
A cause de toutes ces erreurs et irrégularités de procédures, l’avocat demande d’annuler tous les PV.
Le procureur dit qu’il ne peut pas accepter ces nullités et que les PV sont compréhensibles. Il ajoute :
« M fait exprès de ne plus parler français, c’est écrit dans le PV à l’hôtel de police qu’il comprenait très bien. Moi aussi je peux le faire, je peux arrêter de parler français! »
L’avocat rétorque en amenant des précisions et se fait couper de façon virulente par le procureur :
« on se répète, je ne vois pas pourquoi on reprend la parole sur mes réquisitions! »
La présidente du tribunal se rend compte après 15 minutes d’audience d’un léger oubli :
« j’ai omis de demander si vous vouliez un délai… »
La juge dit ensuite ne pas avoir de communication sur le casier judiciaire car on est dimanche. Elle enchaîne les questions sur sa situation en France :
« Vous êtes venu en france pour travailler sur les marchés pour 50 euros par jour. Vous êtes en france depuis 2021. En deux ans vous n’avez pas amélioré votre niveau de français? Vous êtes en situation irrégulière? Monsieur le préfet de l’isère a demandé une OQTF, vous avez refusé de signer. Que pensez-vous faire de cette OQTF? »
– Je vais peut être partir en allemagne…
Le procureur prend la parole, il estime que M était parmi les premiers à « participer au pillage », à 22h. Il demande 7 mois ferme avec mandat de dépôt, ainsi qu’une interdiction du territoire de l’isère car « ce n’est pas possible pour cette peine de demander une interdiction du territoire national. »
L’avocat entame sa défense, il rappelle l’importance d’être vigilant sur la forme de la procédure. « Si M a un interprète ce n’est pas pour rien. »
« Dans les PV qui le concernent, on ne parle pas de quelqu’un interpellé au sous-sol mais devant le magasin. Je me questionne sur la façon dont ce sont passés ces entretiens. C’est insuffisant pour le condamner, les réquisitions sont trop sévères. On lui reproche un vol aggravé de 3 baskets… «
Il se moque ensuite du procureur :
-Monsieur. le procureur, félicitations si vous savez que M est rentré dans les premiers !…
le juge le coupe, énervée : – non ce n’est pas ce qu’il a dit!
le proc, énervé aussi : – merci madame le juge!
l’avocat tente de reprendre : – je demande de rétablir un peu de justice contre ces réquisitions.
Finalement le tribunal considère qu’il y a des « éléments suffisants » et rejette les exceptions de nullité soulevées par l’avocat. Les juges estiment aussi qu’il n’y a pas de difficulté de compréhension de français.
Il prend 3 mois aménageable et mandat de dépôt, et pourra sortir de prison s’il accepte l’OQTF…
Publié le 06.07.2023 à 02:50
Article écrit avec Salle5 et Car38 suite aux comparutions immédiates de dimanche et lundi 2 et 3 juillet à Grenoble. – publié sur CRIC par le totomédia
Solidarité avec les interpellé.es, justice pour Nahel !
Le 30 juin, un appel à rassemblement a été lancé, en réaction à la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre. A Grenoble comme partout en France, le rassemblement a été interdit par la préfecture. S’en est suivi une nuit d’émeutes populaires, réunissant jeunes de quartiers, militant.es antiracistes, et tout simplement des personnes révoltées par ce meurtre de plus, symptôme d’une violence raciste systémique. Solidarité avec les interpellé.es !
Des « mesures exceptionnelles pour une situation exceptionnelle » avait annoncé un journaliste du daubé et proche du procureur de Grenoble. Suite à la nuit d’émeutes du 30 juin au 1er juillet, qui a vu près de 40 magasins du centre-ville être attaqués et pillés, ainsi que des feux d’artifice tirés vers les policiers, le procureur a décidé d’ouvrir des séances de comparution immédiates au tribunal de Grenoble ce dimanche. Un grand nombre de personnes était venu en soutien aux interpellé.es devant le tribunal, avec des boissons et un repas. On a l’habitude de voir des comparutions immédiates les lundis, mercredis et vendredis après-midis, en salle 5 ; pour l’occasion, la salle 4 a été ouverte aussi. Le procureur général et le procureur adjoint, l’un aussi abject que l’autre, sont présents pour enchaîner les dossiers.
D’ailleurs on apprend que le dimanche matin, le parquet s’est réuni en amont pour décider de fixer des « peines exemplaires et fermes ». Le procureur adjoint révèle les ficelles lors d’une audience en annonçant qu’il a pour consigne de requérir 6 mois ferme avec mandat de dépôt pour toute personne avec casier judiciaire vierge, alors que selon ses convictions personnelles il aurait demandé moins que ça. Il dira même en salle 4 : « vous savez les consignes du parquet, je pourrais partir de la salle, mais ça ne serait pas bien vu par la défense ». Quid de l’individualisation des peines?
Dès le début de la journée, le ton est donné, avec des juges qui s’embrouillent dans les dossiers, se trompent de noms, confondent les faits. C’est dire le peu d’importance accordé aux prévenus qui vont défiler (et attendre) de 10h à plus de minuit au tribunal. Les juges ont déclaré que dans ce même contexte « d’exception », certains prévenus ont poursuivi leur garde à vue au dépôt du tribunal. Ils étaient là depuis minuit, dormant par terre sans matelas ni couverture…
Des audiences de 20 minutes à peine par personne pour : évoquer les faits, faire une défense express par l’avocat qui a eu le dossier le jour même, et entendre la réquisition du procureur. On se fiche de savoir si les personnes comprennent (l’interprète ne traduit pas tout), on les traite ouvertement de menteurs. La plupart des avocat.es décrivent des dossiers d’interpellation vides, des absences de PV (le PV d’interpellation est obligatoire), des enquêtes bâclées, parfois des « fiches de mise à disposition » faisant office de PV, pas signées ou illisibles… Il semblerait que les flics, frustrés d’avoir été débordé.es lors de cette soirée, aient cueilli de façon aléatoire quelques personnes trouvées dans les magasins ou à proximité. Ce sont donc ces prévenu.es qui vont prendre une lourde peine, pour l’exemple.
Des frustrations qui transparaissent aussi dans les violences policières infligées. Une personne sort du tribunal avec un oeil au beurre noir : « ils m’ont tabassé en me chopant », évoquant son interpellation près d’un magasin ce soir là. En GAV (garde à vue), comme tou.te.s les autres blessé.es, il n’a pu voir un médecin qu’au bout de 24h alors que certaines blessures nécessitaient d’aller à l’hôpital. « trop tard pour recoudre, je dois faire des radios ». Une autre personne avait le crâne en sang après avoir reçu un coup de matraque d’un flic, et malgré la préconisation du médecin elle a été empêchée de recevoir des soins. D’autres ont des douleurs ou des fractures.
Quelques défenses, trop peu, tiennent un discours politique, évoquant la mort de Nahel comme déclencheur pour avoir commis certains faits reprochés. La justice dépolitise les affaires et pousse plutôt les gens à s’excuser et à parler d’erreur individuelle. Elle instrumentalise le contexte des émeutes alors que l’ambiance en ville était à la solidarité et à une expression de colère commune, cherchant à réprimer les gens et les rendre coupables d’avoir simplement été là. Les avocat.es incitent à accepter les procès, sans prendre le temps de réfléchir à une défense collective : « Non y a pas le choix, ce sera jugé aujourd’hui ».
Quelques plaidoiries d’avocates assez véhémentes cependant contre l’instance judiciaire
«La fin ne justifie pas les moyens. L’état d’urgence permet tout et n’importe quoi. On met le code aux oubliettes, on peut dire ‘c’est bien on a répondu aux émeutes’ alors qu’on requiert des condamnations sur du vent! Le centre de la justice, c’est de respecter le droit. Comment voulez-vous qu’une société marche si on s’en absout ?»
«La parole des policiers n’est pas très à la mode en ce moment. Je ne dis pas que l’agent a menti, je dis qu’il a pu se tromper. On n’a que cette simple parole d’un policier qui dit « monsieur pille ». Il faut plus de précisions pour condamner quelqu’un à huit mois de prison. Plein de vérifications étaient possibles dans ce dossier, rien n’a été fait !»
A la fin de la journée, alors qu’il n’y avait plus de journalistes sur place et une fois passé l’effet d’annonce retentissant dans les médias « d’exemplarité et de fermeté » par des peines de prison ferme, le tribunal décide de calmer le jeu et de revenir un peu à la raison en plaidant des relaxes pour cause de nullités (ce qui était demandé dans plusieurs défenses), des peines avec sursis ou quelques TIG. Les nullités prononcées prouvent bien aussi la faiblesse des dossiers, les erreurs ou les mensonges des policiers.
De cette journée on ressort avec le sentiment que la justice joue à la loterie avec les gens pour cette grande opération de communication. Quand soulagée, une femme dans le public commence à applaudir en entendant la peine de sursis de son compagnon, la juge la fustige : « ah non, on est dans un tribunal, contrairement aux apparences et à tout ce qu’on peut en dire, on n’est pas dans une salle de spectacle, c’est la vie des gens qui se joue ici ! ». On n’est pas tellement convaincu par cette phrase, bien au contraire, le tribunal est un spectacle continu qui fait perdurer les oppressions de classe et de race, et déshumanise les gens jugés pour un vol d’une paire de baskets. On se rend bien compte aussi que ce n’est pas un simple vol qui est jugé concernant cette nuit du 30 juin mais une action éminemment politique en soi, même si elle n’est pas toujours revendiquée, une rébellion contre l’ordre policier et contre la violence raciste de l’état.
Bilan pour ces 30 comparutions qui ont duré jusque 00h20 : 8 relaxes, 7 DDSE (bracelet électronique), 5 prison ferme avec mandat de dépôt, 2 TIG, 4 prison avec sursis, 2 prison ferme (sans mandat) et 2 renvois pour expertise psy.
Reste donc une vingtaine d’interpellations qui mèneront au pire à des convocations ultérieures, au mieux à des sorties sans suite.
Le lundi, c’est deux affaires de personnes interpellées les nuits suivantes (plus calmes à Grenoble) qui passaient en comparution immédiate. On entendait encore les mots « contexte, nuits de violence et d’émeutes », utilisés de ci et de là pour aggraver la peine des prévenus ou au contraire jouer la dissociation entre émeutiers et personnes opportunistes.
Dans la première affaire, un homme a été trouvé dans un bar-tabac ouvert avec des paquets de cigarettes sur lui. Il dit avoir été tabassé par les flics, il a une fracture. La caméra-surveillance du magasin filmant l’intérieur de la boutique et pas l’arrière boutique ou il se trouve, il sera traité de menteur. La substitut du procureur se sert du « contexte particulier », évoque la « nuit particulière de violence à Grenoble qui a fait la une des médias », où on voit « des gens qui se baladent avec des sacs vides pour faire leurs emplettes. » L’avocate rappellera que les 30 personnes passées la veille en comparution immédiates ont toutes pris des peines pour vol ou tentative de vol, et pas de dégradation. « Y a ceux qui sont malins, forts, et il y a les autres ». Elle défend qu’il était là « par opportunité » (l’argument qui reviendra dans plusieurs défenses) et qu’il n’est pas à l’initiative de toutes les émeutes qui ont lieu depuis des jours. Il va prendre 4 mois avec mandat de dépôt.
L’autre affaire, c’est 4 jeunes à peine majeurs qui se sont retrouvés à proximité d’un magasin à côté de Grenoble. Le motif de l’interpellation : ils étaient habillés en noir, le soir, avec des capuches et des sacs à dos… Un peu léger pour leur mettre une inculpation de tentative de vol? Pas de problème, on leur colle une « association de malfaiteurs » ! Après cette fameuse « nuit de violences », il semble que le simple fait d’être présent le soir dans la rue soit devenu passible de prison.
La défense des 4 avocat.es se rejoint. « une infraction c’est un élément matériel et un élément moral. Or on a aucun des deux! » Le tribunal jugera les 4 jeunes coupables et les condamne à 4 mois de sursis.
Partout en France, la même répression a lieu, la même dépolitisation, les mêmes condamnations. L’état frappe comme il peut. A Lyon, une scène improbable a eu lieu : une personne venue assister aux procès, sur laquelle se sont jetés des flics, pour avoir porté un tshirt « Nike – la police ». De nombreux soutiens qui criaient pour le libérer, une salle évacuée, la personne qui finit en GAV…
Le nom de Nahel est oublié, on ne parle pas de révolte, de rage contre les violences policières, même si on sait bien que c’est de ça dont il s’agit.
Florilège de remarques racistes et classistes
*un flic dans la salle vu avec un tatouage de fleur de lys dans le cou
* «pourquoi vous ne rentrez pas dans votre pays ?»
* «En deux ans vous n’avez pas amélioré votre niveau de français? »
* à une personne sdf addicte à plusieurs substances dont l’alcool (la personnes se décrit elle même comme « zonard et poivrot » :
– ce genre d’affaire… on va pas dire le nom ici…
l’avocat avec complaisance :
– oui madame la juge, j’utilise le même nom pour ce genre d’affaire mais on ne va dire ça ici (rires)
* -pourquoi vous avez arrêté de travaillé?
-je touchais que 1200e alors qu’avec ma qualification je pouvais avoir 1700euros
– quand même 1200e c’est bien!
– je préfère être au chômage et savoir pourquoi je touche pas grand chose que de travailler pour rien
* -vous avez arrêté les stupéfiants?
-oui
-vous habitez à st bruno et vous ne consommez plus de stupéfiants? (rires)
*le proc : «Monsieur fait exprès de ne plus parler français, c’est écrit dans le PV à l’hotel de police qu’il comprenait très bien. Moi aussi je peux le faire, je peux arrêter de parler français là maintenant !»
Publié le 20.04.2022 à 16:04
G est né en Roumanie, il a la quarantaine et réside en France depuis 1993.
Il comparait pour conduite sans permis et usage d’un permis européen sans l’avoir échangé contre un permis français à points. Il devait comparaitre 2 jours plus tard pour conduite en état d’ivresse en état de récidive, mais les juges décident en début d’audience de faire la « jonction » de ces deux procédures.
Avant de commencer la lecture des faits, la juge questionne G. sur sa capacité à parler et à comprendre le français.
Dans les faits, G a été arrêté au volant d’un véhicule, en état d’ivresse et sans permis (celui-ci lui a été retiré pour 1 an). La juge rappelle qu’il a plusieurs mentions à son casier concernant le même type de faits, ainsi qu’un homicide involontaire du fait d’un accident de la route provoqué par G.
G est marié et père de 2 enfants. Il travaille dans le BTP mais son CDI est suspendu depuis qu’il n’a plus le droit de conduire.
la juge : – Vous aviez déclaré aux gendarmes que vous n’étiez pas détenteur de votre permis.
G : – J’avais pas….
la juge qui s’énerve et le coupe : – laissez-moi parler et puis ensuite vous pourrez vous expliquer monsieur s’il vous plait! Vous aviez expliqué que vous alliez sur un chantier dans le cadre de votre activité professionnelle et que nous n’avez pas osé dire à votre employeur que vous n’aviez plus le permis.
G explique : Comme j’ai un permis roumain, on n’avait pas de points. (le système de permis à points a été mis en place en 2009 en Roumanie).
Les juges comprennent de travers : « Il peut plus conduire parce qu’il n’a plus de points! » dit le greffier
G : – Nan, il n’y a pas de points sur notre permis !
greffier – Vous, vous n’avez pas de point sur votre permis?!
G : – Non c’est pas ça!
On lui reproche l’infraction de ne pas avoir échangé son permis roumain contre un permis français.
la juge : – vous saviez que vous deviez échanger votre permis contre un permis français à points?
G : – Oui, j’avais commencé les démarches 3 semaines avant.
Il détaille les complications qu’il a rencontré à la préfecture.
la juge : – oui mais ça n’a pas abouti. Tant que vous n’avez pas le document officiel vous ne pouvez pas conduire.
Une assesseure intervient alors pour insister sur la leçon de morale : – j’ai une question Monsieur G, qu’est-ce qu’il faut faire en terme de peine pour qu’on ne vous retrouve plus sur les routes en état d’ivresse? Y a eu des comparutions, du ferme, du sursis…
Elle poursuit : – Le jour où votre fille se fait renverser par un chauffard qui a consommé de l’alcool et qu’elle décède vous en pensez quoi monsieur ? Si vous apprenez qu’il est récidiviste vous en pensez quoi?
Après un long silence dans la salle : « vous pouvez vous asseoir«
Le procureur, Eric Vaillant se lance : – G cherche à nous embrouiller avec son histoire de permis roumain. Vous êtes roumain, vous etes membre de l’UE, aucun souci, votre permis roumain est valide en france, néanmoins il doit etre changé car vous habitez en france et qu’en plus vous avez commis des infractions en france!
Vous avez cette obligation de changer votre permis et vous ne l’avez pas fait. Vous nous dites y a des problemes à la préfecture, que ci que ça ! On se dit : quand est-ce qu’il va tuer une seconde fois ? C’est la question qu’on se pose tous !
Le procureur poursuit, d’un ton agressif et haussant la voix : Que faire de monsieur G ? Une certitude, tant que vous êtes en prison, vous ne conduisez pas, tant que vous etes en prison, les gens dans la salle et les gens sur la route sont en sécurité, et la société est tranquille!
Il requiert 16 mois de prison dont 4 mois avec sursis pendant 3 ans. « Je demande aussi une obligation de soins et d’indemniser…. ah non il n’y a pas de victime !… de payer l’amende de 300 euros et son maintien en détention«
L’avocate de G. rappelle son addiction à l’alcool mais ses tentatives pour s’en sortir. Elle démontre que depuis sa sortie de prison, G a respecté les obligations de soins, il a été testé négatif à l’alcool tous les mois. « Depuis sa dernière condamnation, il s’est repris en main«
Elle met en doute les « bienfaits » de l’incarcération : « Il a conscience de la dangerosité d’une consommation d’alcool au volant mais je ne pense pas que la solution soit de le maintenir encore des mois en prison car certes pendant ce temps il ne pourra pas causer d’accident mais que se passera t-il quand il sortira?«
Elle rappelle qu’il a besoin d’une prise en charge pour mettre un terme à cette consommation de manière définitive. « Je vous demanderai de faire preuve de clémence. »
G. prend 16 mois de prison dont 8 avec sursis.
Publié le 14.04.2022 à 02:33
K. a 18 ans.
Il comparait pour « faits de rébellion, violences et dégradations par incendies », commis lors de la peine qu’il purge en prison depuis un an, prononcée par le juge des enfants. Il était mineur à son entrée en détention.
Dans les faits, K. est jugé pour avoir poussé une porte sur un surveillant puis pour lui avoir donné un coup de poing et pour avoir mis le feu deux fois dans la cellule disciplinaire * dans laquelle il était enfermé.
Le 31 décembre, K. est déplacé dans un nouveau quartier de la prison où les détenus ont en moyenne 50-60 ans. K. aurait tenté de s’opposer à ce changement.
K: J’ai exprimé mon mécontentement d’être déplacé avec des gens de 50, 60 ans. J’ai juste résisté.
La juge explique que les gardiens ont décidé de le punir en l’enfermant au mitard. Ils l’ont plaqué au sol, lui ont fait une fouille et l’ont emmené dans le quartier disciplinaire, situé au sous-sol de la prison.
K. aurait alors tenté d’empêcher la fermeture de la porte de la cellule du mitard. Le surveillant se serait alors précipité vers la porte. K explique : J’ai poussé la porte, ils ont foncé dessus. C’est pour ça qu’il a pris la porte.
K. aurait donné alors un coup de poing au gardien. Une fois la porte du mitard fermée, il met le feu à du journal. Les surveillants l’emmènent à l’infirmerie. Une demi heure plus tard, de retour au mitard, il tente de nouveau de mettre le feu dans la cellule, qui n’est pas endommagée.
K. : « Je ne voulais pas être au mitard le 31 décembre, c’est tout. La pièce elle fait même pas 2m². »
Et en parlant des surveillants : « Eux aussi ont leurs torts. Dès que quelqu’un exprime son mécontentement, il va au mitard. Je ne voulais pas aller au 1er étage, j’ai le droit ! Ils m’ont menotté, mes poignets étaient dans un état… ils m’ont mis au sol. »
La juge l’interrompt : « Monsieur ! Enlevez les mains de vos poches monsieur !«
Après une longue interruption (plus de 30 minutes) suite à un exercice de sécurité incendie dans le tribunal, l’audience reprend. On sent l’impatience de K.
La juge lit ensuite les éléments de personnalité. K. a vécu dans plusieurs foyers, il a arrêté sa scolarité avant le collège. Il a quelques mentions à son casier, pour trafics de stups et violences. L’avocate intervient pour préciser qu’il veut préparer un CAP, qu’il a été bénévole dans une association.
L’avocat de la partie civile reconnait que le coup dans la porte ne peut pas être considéré comme une violence volontaire, mais s’émeut du sort des matons : « les surveillants ne sont pas des punching-ball, il ne faut pas rejeter sur eux les conséquences de vos comportements, vos choix de vie ». Il estime que K affabule lorsqu’il dit que les surveillants ont volontairement rallongé sa peine pour gâcher son nouvel-an, et ont menti pour se soutenir entre eux.
Le procureur en personne, Eric Vaillant, lui, demande que le coup dans la porte soit retenu dans les accusations comme fait de violence.
D’un ton paternaliste, il lui dit qu’il parle très bien français (K. est pourtant français) : « Vous avez des capacités. C’est le moment de saisir la perche que le tribunal vous tend. Soit vous continuez votre délinquance et nous on sera là. Soit vous vous réorientez. »
Il précise avoir hésité entre requérir une peine ferme qui se rajouterait à celle déjà en cours ou une « peine de préparation à la sortie », choisissant alors dans sa grande mansuétude cette deuxième option en raison du jeune âge de K, et pour « mieux accompagner sa sortie ». Il demande 3 mois avec sursis, l’obligation d’indemniser les gardiens et de travailler ou de suivre une formation.
L’avocate de K rappelle que c’est « uniquement en allant en quartier disciplinaire qu’il s’est rebellé », et qu’il a avant tout besoin d’être accompagné : « Il a déjà passé beaucoup trop de temps en détention ». Elle est d’accord avec la réquisition du procureur qui demande une peine de sursis probatoire.
Après une longue délibération, les juges prononcent finalement la jonction de 2 dossiers, en lui mettant une peine de 16 mois dont 8 mois avec sursis et 8 mois ferme ainsi qu’une amende pour l’autre affaire qui concerne une conduite sans permis : « vous aurez droit à une réduction de 20% si vous payez dans le mois ».
K : « comment je paye l’amende, parce que je suis en prison? »
juge : « l’amende c’est dès lors que vous avez pas changé votre permis de conduire, ce sera chaque fois une nouvelle amende c’est comme ça »
greffier : « nan c’est pas ça, c’est payer l’amende qu’il veut »
juge « ah j’avais pas compris pardon »
Pendant le reste de l’après-midi, on entendra des bruits provenant du sous-sol du tribunal où sont enfermés les prévenus avant de retourner en prison, notamment des cris et des coups de K. qui supporte mal d’être attaché et enfermé. Les juges feront comme si de rien n’était malgré les bruits, et de temps en temps feront une remarque à l’escorte de flics : « Merci à votre collègue d’aller calmer les choses en bas »
NOTE
* quartier disciplinaire : pour rappel, le quartier disciplinaire (QD), dit aussi « mitard », est la sanction la plus prononcée en prison (plus de 7 fois sur 10).
Le taux de suicide y est 7 fois plus élevé qu’en cellule normale, selon l’OIP. “le quartier disciplinaire est ainsi l’endroit de la prison où il y a le plus d’automutilations, de morts et de dérapages d’agents”. L’association Génépi Lyon explique que “les conditions au mitard peuvent être une vraie épreuve de torture de 30 jours d’affilés, alors même que la Cour européenne des droits de l’homme estime que cette sanction ne devrait pas excéder 14 jours.”
Rappelons aussi la mort d’Idir, 22 ans, retrouvé pendu en septembre 2020 dans une cellule de QD à Corbas (Lyon). Sa famille se bat depuis, en créant l’association Idir espoir et solidarité, pour prouver qu’il a été tué par les matons :
» On en est à 84 « suicides » en prison depuis le début de l’année. On est en septembre. Il faut savoir que c’est des crimes qui sont maquillés. Mais même s’il y a vraiment autant de suicides, la question c’est pourquoi il y a autant de suicides ? Qu’est ce qu’on leur fait à nos petits jeunes pour qu’ils arrêtent de croire en la vie, en leur religion, en leur famille ? Qu’est ce qu’on leur fait subir pour leur faire croire qu’ils ont pas de dignité et qu’ils sont seuls au monde ? Et voilà vous êtes pas seuls, on est là, pour tous les détenus de France. «