21.12.2025 à 11:36
À l’heure où la Banque mondiale dresse un état des lieux 2025 de la tarification du carbone, une évaluation a posteriori du secteur électrique sur les trois périodes réglementaires du système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne livre des résultats éclairants. S’il n’a pas eu d’effet net au démarrage, il a engendré ensuite des baisses d’émissions significatives et croissantes.
Depuis 2005, le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne (SEQE-UE) fait payer les émissions de gaz à effet de serre pour inciter à les réduire. C’est le premier grand marché du carbone multipays et un modèle que l’on observe désormais dans le monde entier.
Selon le rapport « État et tendances de la tarification du carbone 2025 » de la Banque mondiale, la tarification du carbone couvre aujourd’hui environ 28 % des émissions mondiales, avec 80 instruments en vigueur (taxes et marchés du carbone), générant depuis deux ans plus de 100 milliards de dollars de recettes publiques annuelles. À l’échelle mondiale, le secteur de l’électricité reste celui où la couverture par la tarification du carbone est la plus élevée : plus de la moitié de ses émissions sont déjà soumises à un prix du carbone.
Le rapport souligne également les tendances actuelles, comme l’extension des systèmes existants, mais également la montée en puissance des systèmes d’échange d’émissions (ETS) dans les grandes économies émergentes (Brésil, Inde, Turquie). En Europe, la création d’un « ETS 2 » couvrira dès 2027 les carburants, les bâtiments et le transport routier.
D’où une question simple mais décisive pour les décideurs : que nous apprend une analyse ex post rigoureuse du SEQE-UE sur sa capacité réelle à réduire les émissions, au moins là où il compte le plus : la production d’électricité ?
Notre étude, parue récemment dans la revue Ecological Economics, évalue l’efficacité du SEQE-UE sur les émissions du secteur électrique au cours de ses trois premières périodes réglementaires complètes (2005–2020), à l’échelle des 24 États membres.
L’enjeu méthodologique est simple à formuler mais difficile à résoudre. En effet, nous n’avons accès qu’aux données historiques des émissions avec le SEQE en place, alors que pour mesurer son effet, il aurait fallu ce qu’elles auraient été sans celui-ci. Or, dans le secteur de l’électricité, beaucoup d’éléments évoluent en même temps : les politiques (soutien aux renouvelables, normes, etc.), la météo, la demande, les prix des énergies, etc.
Pour éviter une comparaison avec un « groupe témoin » arbitraire, nous avons construit un scénario de référence crédible. Il s’agit en pratique d’un « jumeau statistique interne » du secteur électrique européen, qui s’appuie uniquement sur des facteurs observables et non influencés par le SEQE. Par exemple : la température, le niveau de demande, la production éolienne/solaire, les indices internationaux des prix du pétrole, du gaz et du charbon.
Nous avons ensuite comparé les émissions historiques à celles prévues par ce scénario. L’écart entre les deux séries de données révèle l’effet du SEQE mois par mois et phase par phase.
Sur les trois phrases étudiées, nous observons des effets distincts.
La première, de 2005 à 2007, ne laisse pas voir d’effet statistiquement significatif sur les émissions du secteur électrique. Ce résultat s’explique notamment par une offre de quotas trop généreuse au démarrage, qui a affaibli le signal-prix.
Sur la deuxième phase, de 2008 à 2012, nous observons une réduction moyenne d’environ 12 % des émissions par rapport au scénario sans SEQE.
Enfin sur la phase de 2013 à 2020, la diminution constatée atteint environ 19 %. L’efficacité accrue coïncide avec des réformes de conception, en particulier l’abandon des allocations gratuites pour la production d’électricité et le resserrement du plafond.
En agrégeant la période 2005–2020 comme un seul et unique « choc politique », nous observons sur celle-ci une baisse significative (~15 %), cohérente avec l’analyse par phases.
Ces résultats tiennent compte des cycles économiques, contrôlent l’influence d’autres facteurs (comme les politiques nationales qui se superposent), et mettent ainsi en évidence qu’une fois ces éléments pris en considération, le marché du carbone a bien adhéré au système, et davantage au fur et à mesure qu’il est devenu plus exigeant.
L’électricité concentre à la fois des volumes d’émissions de gaz à effet de serre élevés et des interactions politiques qui compliquent l’évaluation de l’efficacité du marché carbone. Et cela, d’autant plus que la décarbonation de l’électricité démultiplie les effets en aval (industrie, mobilité) à mesure que l’économie s’électrifie – une dynamique soulignée par la Banque mondiale. C’est précisément pour cela que la robustesse de la méthodologie importe.
Ces enseignements dépassent largement l’Europe : alors que les grandes économies mettent en place ou renforcent leurs marchés carbone, la crédibilité du signal-prix et la qualité du cadre (plafond réellement contraignant, mécanismes anti-surallocation, mise aux enchères) apparaissent comme des conditions clés de réussite.
Notre lecture phase par phase souligne d’ailleurs que des réformes bien ciblées peuvent transformer un système initialement trop large en instrument efficace. À mesure que de nouveaux marchés émergent et s’interconnectent via des politiques comme les ajustements carbone aux frontières, ces repères peuvent guider les choix réglementaires.
Dans ce contexte d’extension rapide de la tarification du carbone – qui finance massivement la transition – de telles évaluations restent indispensables pour ancrer les prochaines étapes dans des preuves plutôt que des intentions.
L’Union européenne s’apprête en effet à étendre le principe du SEQE aux carburants des bâtiments et du transport routier à partir de 2027, dans une logique « amont » – c’est-à-dire en faisant porter l’obligation sur les fournisseurs de carburants, avant la consommation finale – déjà appliquée par certains systèmes d’échange de quotas carbone (Californie, Nouvelle-Zélande).
Notre étude complète les travaux réalisés sur d’autres secteurs et apporte une base empirique utile : évaluer après coup, secteur par secteur, ce qui fonctionne et pourquoi, reste la meilleure garantie d’un élargissement efficace et socialement acceptable des marchés du carbone.
Ethan Eslahi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.12.2025 à 11:35
Jouer aux échecs favorise-t-il les apprentissages scolaires ? Si cette question remonte au XIXᵉ siècle, c’est dans les années 2000 que des dispositifs visant la pratique des échecs se développent véritablement dans les établissements scolaires. Quels sont les intérêts réels de cette démarche ? Qu’en disent les enseignants ?
Les échecs, qui ont longtemps souffert d’une image poussiéreuse dans la société, sont aujourd’hui en vogue dans la jeunesse à la suite des séries, comme The Queen’s Gambit (2020), du développement du e-sport ou encore des initiatives de la star française de la NBA Victor Wembanyama. Ce dernier proposait ainsi en juillet dernier de mêler basket-ball et échecs dans une même compétition en soulignant : « On a besoin d’une variété de choses pour pouvoir grandir. »
Ainsi, depuis les années 1970, les initiatives, d’abord isolées, se multiplient pour faire entrer les échecs dans les classes, avec la conviction que la pratique de ce jeu développerait chez les élèves de nombreuses compétences et favoriserait les apprentissages scolaires.
Les premiers retours de terrain le confirment-ils ? Quelle approche des savoirs le recours au jeu d’échecs permet-il ?
L’intérêt des échecs pour les apprentissages scolaires ne date pas d’hier. Dès le XIXe siècle, on en retrouve des traces, comme ce courrier d’un lecteur à une revue spécialisée proposant d’occuper les élèves pendant les temps de récréation avec une « distraction noble ». Mais il faut attendre les années 1970-1980 pour que des initiatives concrètes voient le jour, souvent sous la forme de clubs scolaires.
Dans quelques « établissements pilotes », les échecs sont parfois intégrés dans l’emploi du temps des élèves avec des heures obligatoires. Ceci dit, une thèse soutenue en 1988 montre que les échecs restent encore souvent une activité périscolaire ou extrascolaire.
Lorsque les enseignants s’en emparent dans la classe, avec l’accord de leur hiérarchie, certains soulignent qu’ils ont le sentiment que les échecs développent des compétences comme l’intuition et le raisonnement spatial, mais qu’ils n’ont pas la certitude que les progrès des élèves dans ces domaines soient attribuables uniquement à l’apprentissage des échecs.
En 2007, alors qu’une étude américaine a montré les bénéfice des échecs pour les élèves en difficulté en mathématiques et en résolution de problèmes complexes, la Fédération française des échecs, qui est devenue une fédération sportive, signe une convention-cadre avec l’éducation nationale pour encadrer et autoriser officiellement la pratique des échecs en classe.
Ces projets restent cependant l’apanage d’enseignants férus d’échecs, souvent des joueurs de club, qui convertissent pédagogiquement en classe leur expérience échiquéenne.
Tout au long des années 2000, sur le plan international, de nombreuses études montrent les bienfaits de la pratique du jeu d’échecs pour les élèves. Certains pays en intègrent la pratique dans les programmes scolaires ou mettent en place d’importants dispositifs.
En France, en 2022, la Fédération française des échecs (FFE) a lancé le programme Class’Échecs et signé un avenant à la convention pour promouvoir son développement dans les écoles primaires. Quatre principes ont ainsi été mis en avant :
le programme s’adresse à tous les enseignants, quel que soit leur niveau aux échecs ;
le jeu d’échecs devient un moyen de développer des compétences scolaires et n’est pas une fin en soi ;
le programme est coopératif, pour favoriser le développement de compétences sociales et relationnelles ;
les contenus sont pensés sous un angle didactique, pour la classe, et tous les supports sont gratuitement mis à disposition des enseignants. La FFE propose aussi une vente de kits de jeux à prix réduits afin que les écoles s’équipent à moindre coût.
Le succès de l’opération est rapide, environ 2 000 enseignants participent dès la première année et ils sont désormais, en 2025, plus de 8 000, ce qui représente 160 000 élèves initiés aux échecs chaque année.
L’enquête menée en 2022-2023 auprès d’enseignants qui proposent Class’Échecs permet de mieux comprendre leur intérêt pour le projet. Ils y voient un moyen de travailler les mathématiques différemment. Ils constatent une forte implication et un grand intérêt des élèves et considèrent aussi que ces séances développent des compétences en enseignement moral et civique. Or 87 % de ces enseignants connaissent très peu les échecs voire pas du tout et proposent donc cet enseignement sans en maîtriser le contenu, alors que les échecs sont souvent considérés comme un jeu compliqué.
Pourquoi des professeurs des écoles non formés à l’enseignement des échecs et n’en maîtrisant pas les fondements se lancent-ils dans cette aventure ? Quelques pistes de réponse sont évoquées dans l’enquête de 2022-2023 et renvoient à une forme d’éducation intégrale dont les racines remontent au XIXᵉ siècle.
Tout d’abord, la démarche de projet dépasse le cloisonnement des disciplines scolaires ce qui résonne d’autant plus dans le premier degré où les enseignants sont polyvalents. Elle présente pour les enseignants un intérêt indéniable parce qu’elle donne du sens aux apprentissages, apportant un engagement plus fort des élèves qui associent davantage l’école au plaisir d’apprendre.
C’est une vision plus globale de l’élève qui est prônée où différentes compétences reliant le corps et l’esprit sont travaillées sur un même temps pédagogique. Le jeu d’échecs en tant qu’outil pédagogique apparaît particulièrement bien adapté : la dimension ludique stimule l’intérêt et l’engagement et la manipulation des pièces facilite le passage de l’expérimentation à l’abstraction.
Les connaissances langagières ne sont pas un prérequis pour la réussite, car le caractère visuo-spatial des situations s’adresse directement aux fonctions cognitives, sans nécessiter la maîtrise du code linguistique, réel obstacle pour certains élèves. La possibilité de créer des problèmes ouverts permet par ailleurs aux échecs de s’ancrer dans les mathématiques, véritable nécessité institutionnelle, tout en interrogeant la conscience disciplinaire des élèves.
Enfin, à l’heure où IA et Internet rendent les connaissances accessibles à tous, le projet invite les enseignants à changer de posture pour favoriser les échanges et l’argumentation, incitant les élèves à construire collectivement les apprentissages.
Yves Léal a été membre de la commission scolaire de la FFE jusqu'en 2021 et a effectué des formations sur le programme Class'échecs qui ont été financées par la FFE.
Fabien Groeninger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
21.12.2025 à 11:35
Les jeux de société rencontrent un succès croissant comme en témoigne la bonne santé de son leader : Asmodee, une vraie pépite cachée d’origine française. Focus sur ce marché et sur cette entreprise qui a contribué à développer dans son sillage tout un écosystème.
Les jeux de société constituent un secteur en pleine croissance. La France est un acteur important tant dans la production que dans la vente. Les chiffres en notre possession estiment un volume de vente, constamment en croissance, de 14 milliards de dollars (11,9 milliards d’euros) au niveau mondial et de 600 millions d’euros pour la France où 34 millions de boîtes de jeux sont vendues par an ce qui en fait le premier pays européen. Ce sont 150 éditeurs de jeux de société et plus de 800 boutiques spécialisées qui existent dans l’hexagone sans compter les ludothèques ou les bars à jeux.
Preuve du dynamisme, plus de 1 200 jeux sont lancés chaque année. Avec cette croissance, un écosystème s’est structuré depuis les années 2000. Le leader est une entreprise d’origine française : Asmodee.
Il est possible de distinguer les jeux « classiques » des jeux « modernes ». D’un côté, nous avons les biens connus Monopoly, Cluedo ou Risk qui correspondent à des blockbusters intemporels. Le Monopoly a été lancé en 1935, le Cluedo en 1949, le Risk, une invention française, en 1957. Ces classiques appartiennent aux Américains Mattel ou Hasbro et font l’objet de mises à jour régulières de forme. Ils demeurent des incontournables familiaux.
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De l’autre côté, Les Colons de Catane, Les Aventuriers du rail, Jungle speed, Dobble ou encore Les Loups-Garous de Thiercelieux ont émergé sur la scène européenne, initialement en Allemagne au milieu des années 1990. Par exemple, Les Colons de Catane y ont été lancés en 1995.
Une particularité des jeux modernes réside dans la durée des parties, plus réduites, mais aussi dans le fait qu’ils minimisent la part de la chance et favorisent l’interactivité plutôt que l’attente de son tour. Ces jeux mobilisent de nouvelles mécaniques (pose de tuiles, négociation, observation, coopération…). Ils se vendent dans des boutiques spécialisées. Les studios français se sont insérés avec réussite dans le paysage ludique et l’on parle d’une French touch qui associe la précision de la mécanique de jeu avec la présence d’un thème fort tout en s’appuyant sur des graphismes de qualité.
Les jeux modernes permettent de vivre de nouvelles expériences de jeu et de conquérir un nouveau public notamment après la période de confinement. Ils touchent de jeunes adultes en quête de moments de convivialité avec leurs amis. Le public familial est toujours présent, mais va s’intéresser à des nouveautés ludiques.
Les achats sont plus fréquents au gré des innovations, des thèmes voire des productions de certains auteurs ou de studios reconnus. Le besoin de se retrouver, de communiquer avec d’autres, notamment dans un cercle familial intergénérationnel (perturbé par la place du smartphone chez les jeunes) sont les raisons qui expliquent le succès des jeux de société devenus vecteurs de lien social.
Cette croissance des usages est à lier aux évolutions des attentes mais aussi aux pratiques du secteur. D’ailleurs, la multiplicité des acteurs à prendre en compte (éditeurs, distributeurs, auteurs, illustrateurs, clients, ludothèques, bars à jeux, festivals, sites Internet, boutiques spécialisées…) nous conduit à parler d’écosystème d’affaires plutôt que de secteur.
Un écosystème d’affaires correspond à un environnement économique complexe au sein duquel des acteurs hétérogènes vont interagir les uns avec les autres afin de créer ensemble de la valeur sous l’égide d’un leader. La littérature sur le sujet fait une distinction entre :
un leadership de type « keystone » (création et partage de valeur) ;
et un autre de type « dominator » (captation de la valeur et contrôle des acteurs externes).
Notre analyse nous entraîne à penser que l’entreprise Asmodee se trouve en situation de leadership de type dominator, mais avec un rôle peut-être plus positif que prévu.
Asmodee est une aventure entrepreneuriale commencée en 1995 en tant qu’éditeur de jeux. Pressentant les évolutions à venir, l’entreprise a rapidement adossé une activité de distributeur à celui de studio.
En d’autres termes, la société Asmodee a commencé à distribuer les jeux de la concurrence. C’est ce qu’on appelle une stratégie de coopétition, que l’entreprise continue de suivre aujourd’hui. Différentes opérations de capital investissement (Montefiore Investment puis Eurazeo puis PAI Partners) lui ont permis de se développer notamment en faisant l’acquisition de studios détenant des marques fortes ou de distributeurs stratégiquement implantés dans différents pays cibles.
En 2021, le groupe suédois Embracer group fait l’acquisition d’Asmodee pour 3 milliards d’euros, puis l’introduit à la bourse de Stockholm en 2025.
Aujourd’hui, Asmodee est considéré comme le leader mondial spécialisé dans l’édition et la distribution de jeux de société. Son chiffre d’affaires est de 1,4 milliard d’euros en mars 2025. Ce montant se constitue pour 60 % des ventes issues de la distribution des produits de « partenaires ». Bien que présente dans 27 pays, l’activité demeure centrée sur l’Europe avec 75 % des ventes malgré une présence significative aux États-Unis.
Le succès d’Asmodee s’explique par une stratégie de croissance externe qui a permis la modification de son business model. Tout d’abord, l’activité de distribution apparaît comme essentielle comme nous l’avons dit. Cela permet une meilleure connaissance des marchés et des circuits de distribution alors que le nombre de nouveaux jeux ne cesse d’augmenter.
Tout en maintenant la créativité de ses studios, et donc en investissant dans sa croissance interne, Asmodee a racheté différents éditeurs détenant des jeux connus. Par exemple, en 2014, en faisant l’acquisition de Days of Wonder elle met la main sur Les Aventuriers du rail ; en 2019, avec les éditions Lui-même, les Loups-Garous de Thiercelieux tombent dans son giron.
Une quarantaine d’acquisitions permet d’accroître son portefeuille de propriété intellectuelle (les jeux) et de s’étendre géographiquement. Asmodee rachète des éditeurs qu’elle distribuait et des distributeurs étrangers qui vendaient ses jeux…
Ce renforcement dans la propriété intellectuelle (détention de jeux connus) lui permet de transposer ses jeux les plus célèbres vers de nouveaux contenus de divertissement. En 2024, Les Loups-Garous de Thiercelieux ont fait l’objet d’une adaptation en film sur Netflix et en jeu télévisé sur Canal+. En 2025, Netflix fait l’acquisition des droits des Colons de Catane pour les adapter au long métrage.
Les évolutions numériques sont également considérées comme cruciales. En rachetant AD2G Studio, Asmodee met la main sur la plateforme en ligne Board Game Arena qui permet de jouer à des versions digitales des jeux de société provenant de tout type d’éditeurs. Les autres initiatives sont nombreuses (romans graphiques, intégration du digital dans les jeux physiques, jeux inclusifs…).
La stratégie d’intégration poursuivie fait qu’Asmodee tend vers un leadership de type dominator. En effet, elle se développe notamment en rachetant des studios concurrents et en se renforçant dans la distribution ou dans les « complémenteurs » (plateformes en ligne) mais, selon nous, dans la perspective d’un écosystème en croissance, ce leadership permet une proposition de valeur à partager plus large. En effet, par ses investissements, Asmodee contribue à une plus large diffusion des jeux de société sous des formes les plus diverses. Nous pouvons donc penser qu’en conséquence, les ventes des acteurs de l’écosystème se trouvent augmentées.
Ainsi, l’expansion vers de nouveaux univers narratifs permet de proposer de nouvelles façons de monétiser ou de faire connaître les jeux. Asmodee repousse les frontières de l’écosystème et contribue à diffuser une nouvelle façon de consommer les jeux destinés à un public plus large. L’évolution de son business model permet de contribuer à l’expansion de l’ensemble de l’écosystème et ceci peut être profitable à plus d’acteurs.
Bien évidemment, ce point de vue est à nuancer : la stratégie d’Asmodee est régulièrement critiquée (moins de créativité, rationalisation des coûts, risque de standardisation, fermeture de studios…), car transformant profondément la culture ludique dans un versant commercial. Néanmoins, nous émettons l’hypothèse qu’Asmodee peut aussi jouer un rôle moteur en structurant et en internationalisant l’écosystème tout en préservant une diversité qui se nourrit de la croissance.
Gaël Gueguen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.