23.12.2025 à 16:52
Et si, pour Noël, on troquait l’achat de jouets contre la location ? Moins coûteuse, plus écologique, cette solution remise au goût du jour par plusieurs marques s’inspire des ludothèques. Reste une question : tous les jouets sont-ils adaptés à ce modèle ?
Et si pour Noël, vous offriez au petit dernier des jouets de location plutôt que des objets coûteux qui finissent souvent au fond d’un placard ? L’intérêt est à la fois d’ordre économique mais aussi écologique : la durée de vie des jouets est courte. Les enfants eux-mêmes expriment une préoccupation environnementale grandissante.
Dans ce contexte, les marques de jouets commencent à proposer de nouveaux services, comme la location. Mais ces entreprises très médiatisées à la faveur de cette pratique sont-elles vraiment des pionnières ?
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La location de jouets existe en réalité en France depuis 1968, où a ouvert la toute première ludothèque à Dijon. Une ludothèque, mot formé à partir du latin ludus « jeu » et du grec θήκη/thḗkē « lieu de dépôt », c’est un lieu qui met à la disposition de ses membres des jouets et des jeux de société en prêt. On peut aussi jouer sur place, dans des espaces dédiés, ce qui favorise les rencontres et les liens sociaux.
Des entreprises ont ainsi eu l’idée de remettre au goût du jour ce concept. Par exemple Lib&Lou, la première plateforme de location de jouets et jeux éducatifs, créée en 2019. Elle dispose d’un partenariat avec le leader du marché de location de jeux et de matériels éducatifs écoresponsable, Juratoys, entreprise jurassienne qui propose des jouets en bois de haute qualité.
Autre acteur sur le marché, Les Jouets voyageurs proposent trois formules d’abonnements, qui permettent de choisir des jouets de seconde main dans un catalogue en ligne, puis de changer tous les mois de jouets. La marque a également développé un service de rénovation des jouets usagés, autre tendance de fond depuis la loi de janvier 2023 qui impose aux magasins spécialisés dans la vente de jouets de proposer, sans condition d’achat, un service de reprise des jouets usagés
Miljo.fr, nouvel entrant sur le marché, offre également des formules d’abonnement pour ses jouets de seconde main. La marque propose des services aux structures d’accueil de la petite enfance et aux professionnels du jouet.
La location de jouets présente de nombreux avantages. D’un point de vue économique, elle coûte souvent moins cher que l’achat. D’un point de vue écologique, elle permet de réduire le gaspillage et les déchets car les jouets sont réutilisés. Enfin, d’un point de vue pratique, elle évite de devoir stocker des jouets encombrants lorsque les enfants grandissent. En somme, la location de jouets est une solution gagnante pour les parents, les enfants et l’environnement.
Quelques questions restent cependant en suspens : toutes les marques peuvent-elles adhérer à ce concept, par exemple pour des questions d’hygiène ? Par exemple, une poupée Corolle en location peut-elle survivre au passage des désinfectants nécessaire pour garantir une propreté irréprochable aux futurs utilisateurs ?
Service Environnement ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
23.12.2025 à 16:51
Contraint à la démission par une décision de justice, Milorad Dodik, dirigeant de longue date de la République serbe (l’une des deux entités composant la Bosnie-Herzégovine), proche de Belgrade, de Budapest et de Moscou, n’a pas tout perdu : la présidentielle a été remportée de justesse par un de ses proches, Siniša Karan. Pour autant, l’opposition, malgré un candidat peu connu, a failli l’emporter, et le taux de participation a été très bas. Le parti de Dodik parviendra-t-il à conserver la haute main sur ce territoire miné bien plus par la corruption et le clientélisme que par les tensions ethnonationales ?
Le 23 novembre 2025, l’entité serbe de la Bosnie-Herzégovine, communément appelée République serbe de Bosnie (Republika Srpska, RS), a tenu une élection présidentielle anticipée qui a vu la victoire étriquée de Siniša Karan avec 50,8 % des suffrages. Le candidat issu du Parti social-démocrate indépendant (Savez nezavisnih socijaldemokrata, SNSD) de l’ancien président Milorad Dodik s’est imposé face à Branko Blanuša, du Parti démocrate serbe (Srpska demokratska stranka, SDS), qui a remporté 48,8 % des voix.
Le scrutin est intervenu après une période d’importantes turbulences politiques en Bosnie-Herzégovine suite à la condamnation de Milorad Dodik, le 26 février 2025, par la Cour constitutionnelle du pays pour avoir défié l’autorité du Haut Représentant (Office of the High Representative, OHR). Cette condamnation a abouti à la mise à l’écart de Milorad Dodik de la scène politique et à la convocation d’élections anticipées.
L’issue serrée de la présidentielle illustre, d’une part, la capacité du SNSD à maintenir son emprise sur l’appareil politique local, mais aussi, d’autre part, la fragilisation progressive du parti et du leadership de Dodik et un début de recomposition du paysage politique de la RS.
La Bosnie-Herzégovine fonctionne depuis les accords de paix de Dayton (qui ont marqué la fin du conflit armé en 1995 et dont l’Annexe 4 constitue la Constitution) sur un modèle de consociationalisme ethnique et de fédéralisme complexe.
L’État est composé de deux entités territoriales : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, elle-même divisée en dix cantons majoritairement bosniaques et croates ; et la Republika Srpska, qui est davantage centralisée. À ces entités s’ajoutent les municipalités ainsi que le district autonome de Brčko. Le niveau étatique comporte deux assemblées parlementaires (la Chambre des représentants et la Chambre des peuples), dont la composition reflète le partage du pouvoir entre les peuples constituants du pays : les Bosniaques, les Croates et les Serbes (selon le dernier recensement, effectué en 2013, le pays est composé de 50,1 % de Bosniaques, 30,8 % de Serbes, 15,4 % de Croates et 3,7 % d’« Autres »). Le système est supervisé par le Bureau du Haut Représentant (OHR), une institution internationale chargée de veiller à l’application civile de Dayton et dotée de larges « pouvoirs de Bonn » lui permettant d’imposer des lois ou de démettre des responsables.
L’Allemand Christian Schmidt, l’actuel Haut Représentant, nommé en 2021 par les pays du Conseil de la mise en œuvre de la paix (Peace Implementation Council, PIC), est contesté par la Republika Srpska et par la Russie, qui refusent de reconnaître sa légitimité en raison de l’absence d’aval du Conseil de sécurité de l’ONU pour sa nomination. Ce refus de soutenir Christian Schmidt s’inscrit dans le projet russe et chinois de suppression du Bureau du Haut Représentant afin d’élargir leur sphère d’influence dans le pays et de déstabiliser cette région située aux frontières de l’Union européenne.
La figure politique dominante de la RS, Milorad Dodik, 66 ans aujourd’hui, président de la RS de 2010 à 2018 et de 2022 à 2025, a commencé sa carrière en 1996 comme acteur politique modéré soutenu par les États occidentaux, avant d’opérer un tournant nationaliste en 2006. Il s’est alors progressivement imposé comme le principal leader politique serbe du pays, en développant une rhétorique nationaliste serbe radicale, un discours de haine et un système de pouvoir fondé sur la corruption et le clientélisme qui lui a valu plusieurs sanctions internationales. Son style politique s’est ensuite centré essentiellement sur une rhétorique sécessionniste prônant l’indépendance de l’entité serbe.
Malgré ses déclarations répétées selon lesquelles il ne se soumettrait pas aux institutions de Bosnie-Herzégovine, Dodik a finalement accepté la décision de justice en convertissant sa peine d’un an de prison en une amende de 18 000 euros, reconnaissant ainsi implicitement l’autorité de la Cour de Bosnie-Herzégovine.
Après sa condamnation par la justice bosnienne, Dodik s’est empressé de désigner une membre de son entourage proche, Ana Trišić Babić, comme présidente par intérim malgré l’absence de base légale pour cette nomination. Dodik et l’élite politique se tenant derrière lui se sont d’abord opposés à l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle en RS, et l’ancien président de la RS a à nouveau menacé d’organiser un référendum à ce sujet, avant de revenir sur cette idée. La nomination d’Ana Trišić Babić illustre cette stratégie d’« occupation » institutionnelle du SNSD qui vise à conserver le levier exécutif quelles que soient les décisions judiciaires ou internationales. L’épisode a renforcé l’image d’un exécutif de la RS prêt à contourner les normes formelles pour prolonger son influence.
La campagne électorale a reproduit les traits récurrents du style politique de Dodik et de son environnement. En mobilisant son registre habituel basé sur un nationalisme serbe agressif et un narratif sécessionniste, Dodik a saturé l’espace médiatique par des discours clivants. Karan, pour sa part, s’est présenté comme le garant de la continuité, fort de son profil technocratique et de son ancrage dans l’appareil sécuritaire en tant qu’ancien ministre de l’intérieur. Face à Karan, le SDS a présenté Branko Blanuša, un universitaire peu connu et sans ancrage politique large, une stratégie de l’opposition qui n’a pas réussi à incarner une alternative crédible face au SNSD.
Sur le plan procédural, l’élection a été entachée d’allégations d’irrégularités dans plusieurs bureaux, notamment dans les villes de Doboj et Zvornik, où l’opposition et la Commission électorale centrale (Centralna Izborna Komisija, CIK), chargée de l’organisation et la supervision de l’ensemble des élections dans le pays, ont dénoncé des pratiques d’abus de fonds publics durant la campagne, de pression sur les électeurs et d’anomalies dans les listes de vote.
Ces incidents s’inscrivent dans des tendances structurelles de clientélisme, de capture des administrations locales et de fragilité des garanties électorales. Les réseaux de dépendance économique et administrative (emplois publics, marchés, transferts) restent des instruments puissants de mobilisation et de contrôle politique en RS.
La manœuvre diplomatique et financière en coulisses a aussi joué. Le desserrement partiel et contesté des pressions internationales a été exploité par les pro-Dodik. En octobre 2025, les sanctions américaines imposées à son réseau proche depuis 2017 ont été levées et ont permis au camp pro-Dodik d’affirmer avoir obtenu une forme de « réhabilitation » internationale et d’afficher un argument électoral de légitimation.
La levée de ces sanctions s’inscrit dans une longue campagne de lobbying probablement financée par l’argent public de la RS. Parallèlement, la Russie et la Hongrie ont maintenu un appui politique visible, marqué par des messages de félicitations et des rencontres bilatérales, renforçant le narratif selon lequel la RS disposerait de parrains internationaux face à l’Occident.
Toutefois, ces élections indiquent une mutation importante dans la carrière politique de Milorad Dodik et la popularité du SNSD, qui semble s’essoufler. En effet, la mise à l’écart de Dodik de toute fonction publique pendant six ans ouvre une période d’incertitude pour le SNSD, déjà marqué par l’usure du pouvoir, et pourrait encourager certains de ses cadres et membres à prendre leurs distances pour préserver leur propre carrière politique.
L’élection de Karan assure pour le moment la continuité d’un modèle politique centré sur le contrôle partisan des institutions, la politisation des forces de sécurité et la circulation de ressources vers des réseaux clientélistes.
L’opposition, fragilisée par le choix d’un candidat peu visible et par l’absence d’une stratégie unifiée, sort affaiblie et risque de ne pas pouvoir jouer efficacement son rôle de contre-pouvoir.
Toutefois, la victoire étroite du candidat du SNSD et le taux de participation très faible soulignent un désenchantement croissant. L’élite politique semble éloignée des besoins concrets des citoyens de la RS au profit d’une rhétorique axée sur les prétendues tensions ethnonationales. Les derniers résultats électoraux du SNSD, en recul par rapport aux cycles précédents, confirment une érosion du soutien populaire. De plus, la non-participation à la présidentielle d’un des partis les plus populaires en RS, le Parti du progrès démocratique (Partija Demokratskog Progresa, PDP), aurait dû assurer une victoire aisée pour Karan face au SDS, dont le soutien populaire a également été ébranlé ces dernières années. Le succès de Karan s’explique ainsi par la faiblesse de la stratégie de l’opposition et non pas par la popularité du SNSD.
Au plan international, la victoire de Karan maintient les liens géopolitiques de Dodik avec Moscou et Budapest, tandis que les partenaires occidentaux, malgré certaines sanctions et interventions à l’encontre de la personne de Dodik comme celles de l’Allemagne et de l’Autriche, peinent à imposer des corrections structurelles durables.
De plus, cette période électorale a vu émerger une période de tension avec Aleksandar Vučić, le président serbe, dont Milorad Dodik est très proche. Belgrade a notamment exprimé son mécontentement face à la nomination d’Ana Trišić Babić et au retrait soudain de certaines lois déclarées inconstitutionnelles, notamment celles en vertu desquelles Dodik a été condamné par la justice. Le malaise de Belgrade tient probablement au fait que, en obtempérant aux décisions de la justice bosnienne et en retirant les lois inconstitutionnelles, Dodik a implicitement reconnu l’autorité des institutions centrales de Bosnie-Herzégovine. Toutefois, cette séquence allait à l’encontre de la stratégie de Vučić, qui a historiquement tiré parti de la contestation institutionnelle menée par la RS pour maintenir une influence discrète et une instabilité politique maîtrisée au sein de la Bosnie-Herzégovine.
En conclusion, la récente présidentielle a confirmé que la problématique bosnienne ne relève pas de rivalités ethnonationales. Le clientélisme, la faiblesse des institutions et la capture des médias publics créent un terrain propice à une gouvernance de plus en plus autoritaire, personnalisée et centralisée autour du clan Dodik. Sans réformes institutionnelles fortes et sans restauration de mécanismes indépendants de contrôle, la RS se retrouve dans un cycle de normalisation d’un pouvoir personnalisé avec le SNSD à sa tête, malgré la volonté des partis de l’opposition, même si ceux-ci s’inscrivent pour la plupart dans un courant idéologique nationaliste serbe, de collaborer avec les institutions centrales et apaiser les tensions cycliques initiées par Milorad Dodik.
Neira Sabanovic bénéificie d'une bourse de recherche Aspirant du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS - Belgique) pour mener sa recherche doctorale.
22.12.2025 à 17:48
La dermatose nodulaire, rarement mortelle mais très contagieuse, flambe depuis quelques semaines dans les élevages bovins français. Face à sa diffusion rapide, les autorités ont recours à l’abattage et à la vaccination. La contestation de l’abattage systématique par les éleveurs révèle des tensions profondes dans un monde agricole déjà en crise.
La dermatose nodulaire contagieuse (DNC), maladie infectieuse qui touche les bovins, a beaucoup fait parler d’elle au cours des dernières semaines. Le virus qui la cause, Capripoxvirus lumpyskinpox, se diffuse dans le sang des animaux et provoque de fortes fièvres et des nodules douloureux pour les animaux. La mortalité est faible, de 1 à 5 % environ des animaux infectés, mais le problème principal tient à sa contagiosité. Les insectes piqueurs (mouches stomoxes, moustiques, taons…) et les tiques transmettent ce virus d’un troupeau à un autre. Le virus peut également survivre plusieurs mois dans les croûtes des animaux, qui se conservent dans les environnements peu éclairés.
Historiquement présente en Afrique, la DNC a été observée en Afrique du Nord dès juin 2024, puis s’est propagée en Europe. La DNC a été détectée en France pour la première fois le 29 juin 2025 en Savoie. Pour contrôler la propagation de la maladie, les autorités se sont à la fois appuyées* sur une politique d’abattage (environ 1 000 bovins) et de vaccination (environ 300 000 doses).
Mais la colère gronde chez les agriculteurs, qui s’opposent désormais aux abattages massifs. Le 10 décembre 2025, des éleveurs dans l’Ariège se sont opposés à l’abattage de 200 bovins touchés par la DNC et ont lancé un mouvement social d’occupation des autoroutes qui a gagné une large part du sud-ouest de la France. Pour limiter ce mouvement, la ministre de l’agriculture Annie Genevard a engagé le financement de la vaccination d’un million de bovins.
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Pour comprendre cette mobilisation, il faut d’abord rappeler la distinction entre les zoonoses et les épizooties.
Les zoonoses, tout d’abord, sont des maladies infectieuses qui se transmettent des animaux sauvages aux animaux domestiques, puis aux humains, et vice-versa. Elles font l’objet de mesures sanitaires sévères pour éviter la transmission aux humains de pathogènes dont les conséquences immunitaires sont inconnues.
La grippe aviaire, hautement pathogène, et le Covid-19 sont deux exemples de zoonoses. La première a été transmise par les oiseaux sauvages aux volailles domestiques, avec une mortalité de 60 % lorsqu’elle se transmet aux humains. Le second l’aurait été par l’intermédiaire des chauves-souris et notamment les chiens viverrins, avec une mortalité de 0,5 % lorsqu’elle se transmet aux humains.
Dans ce contexte, l’abattage préventif peut faire partie de l’arsenal déployé par les autorités sanitaires :
En 2022, 50 millions de volailles avaient été abattues dans l’ouest de la France pour contenir la grippe aviaire.
En 2020, 12 millions de visons avaient été abattus au Danemark pour éviter l’apparition d’une nouvelle forme de Covid-19, au moment où les premiers vaccins humains étaient disponibles.
On peut noter que ces deux virus zoonotiques (H5N1 et SARS-CoV-2) sont venus de Chine, dont les fortes populations animale et humaine connectées par les marchés aux animaux vivants sont favorables à l’émergence de nouveaux virus depuis une trentaine d’années.
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De l’autre côté, les épizooties sont des maladies infectieuses transmises par les animaux sauvages à un grand nombre d’animaux domestiques, mais sans se transmettre aux humains.
Par exemple, la peste porcine africaine est transmise aux cochons par les phacochères et des sangliers, avec une mortalité d’environ 80 % – on estime qu’elle a causé la mort de la moitié du cheptel de porcs en Chine en 2019.
La dermatose nodulaire contagieuse, qui se transmet des buffles aux vaches, est un autre exemple d’épizootie.
Ces deux maladies infectieuses ont été découvertes dans les années 1930 en Afrique de l’Est. En effet, les colonisateurs anglais ont implanté dans cette partie du continent les techniques d’élevage industriel qui avaient été développées en Europe au cours du siècle précédent. Or, pour des petits élevages pastoraux de cochons ou de vaches, les épizooties ont peu de conséquences. Mais dans les élevages industriels, elles causent des ravages.
Ainsi, la première grande épizootie dans l’histoire de la médecine vétérinaire est la peste bovine, qui a ravagé l’Europe au XIXᵉ siècle du fait du commerce international du bétail, en commençant par l’Angleterre puis l’Afrique de l’Est au début du XXᵉ siècle. Elle est aujourd’hui considérée comme la maladie du bétail la plus meurtrière de l’histoire.
C’est pour contrôler la peste bovine qu’a été crée l’Office international des épizooties (OIE) à Paris en 1920. La maladie a été maîtrisée grâce à des politiques d’abattage et de vaccination qui ont conduit à son éradication en 2001. En 2003, l’organisation intergouvernementale a été renommée Organisation mondiale de la santé animale.
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Les virus ignorent la distinction faite par les humains entre épizootie et zoonose. Un virus comme celui de la grippe peut devenir épizootique ou zoonotique selon les circonstances, en fonction de ses mutations. Or, une épizootie est gérée comme un problème économique, par le ministère de l’agriculture, alors qu’une zoonose est gérée comme un problème sanitaire par le ministère de la santé.
Le contrôle des épizooties est essentiel pour garantir les prix sur le marché international de la viande. En effet, un État indemne d’une épizootie qui circule dans d’autres pays peut vendre ses animaux (vivants ou morts) à un prix plus élevé que ses concurrents s’ils sont infectés.
Mais reste la question de fond : pourquoi cette politique, qui a fonctionné pour d’autres épizooties passées, ne semble-t-elle plus acceptable aujourd’hui ? La mobilisation des éleveurs du sud-ouest de la France s’inscrit dans un triple contexte politique.
D’une part, les négociations entre l’Union européenne et le Mercosur concernant les produits agricoles sont perçues par les éleveurs français comme préjudiciables à leurs intérêts. Autrement dit, la DNC survient dans un contexte déjà tendu et a, en quelque sorte, constitué « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».
D’autre part, les dernières élections syndicales dans le milieu agricole ont été favorables à la Confédération paysanne et à la Coordination rurale et défavorables au syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Or, le protocole sanitaire actuel a été négocié par le gouvernement avec ce syndicat majoritaire, ce qui a conduit à une alliance inédite entre les deux syndicats minoritaires, situés respectivement à la gauche et à la droite de l’échiquier politique.
Enfin, la période des vacances de Noël est favorable à une démonstration de force de la part du monde agricole afin d’obtenir rapidement la fin des abattages et la vaccination de tous les bovins de la part d’un gouvernement fragilisé par l’absence de budget national.
Depuis début décembre 2025, les médias français se sont emparés de ce sujet en diffusant des images spectaculaires d’occupations d’espaces publics et de blocages de routes et de voies ferrées notamment par des agriculteurs venus avec leurs tracteurs et leurs vaches.
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Résultat : le débat politique sur les modes d’élevage des animaux, entre un modèle industriel tourné vers l’exportation et un modèle de plus petite taille tourné vers la consommation locale, se tient désormais dans l’urgence. Il aurait pourtant pu avoir lieu lors des Assises du sanitaire animal qui se sont tenues au niveau national en septembre 2025.
Le nœud du problème ? Le gouvernement demande aux éleveurs de respecter « la science » sans établir les conditions pour une démocratie sanitaire et technique des maladies animales. Il s’agirait de mettre tous les acteurs de l’élevage autour de la table pour évaluer les différentes méthodes scientifiques garantissant la santé de leurs élevages.
Les maladies animales, qu’elles soient épizootiques (comme la DNC) ou zoonotiques, montrent que les animaux ne sont pas seulement des marchandises que les humains peuvent détruire lorsqu’elles ne satisfont plus aux conditions du marché. Ce sont des êtres vivants avec lesquels se sont constitués des savoirs (notamment génétiques) et des affects.
Cet écart entre l’animal-marchandise et l’animal-être vivant s’exprime de diverses façons :
Pour les zoonoses, les consommateurs ont peur d’être tués par la viande qu’ils mangent : on a pu parler ainsi de « vache folle » dans les années 1990 ou de « poulets terroristes ».
En cas d’épizootie, lorsqu’un éleveur doit faire abattre pour des raisons sanitaires un troupeau qui n’a pas atteint la maturité : on parle alors de « dépeuplement », comme si le « repeuplement » n’était qu’une mesure technique.
Le traitement médiatique de la crise de la « vache folle » a ainsi donné lieu à des images bien plus spectaculaires que lors de la crise de la fièvre aphteuse, médiatisée au début des années 2000. La différence tient au fait que l’encéphalopathie spongiforme bovine passe aux humains en causant la maladie de Creutzfeldt-Jakob, alors que la fièvre aphteuse ne se transmet pas aux humains. Les abattages massifs réalisés pour contenir la fièvre aphteuse, elle aussi très contagieuse mais peu létale, semblent inacceptables aujourd’hui.
Les gouvernements savent s’appuyer sur des savoirs virologiques et épidémiologiques pour anticiper les déplacements des populations d’humains, d’animaux et de vecteurs qui vont causer les maladies infectieuses actuelles et à venir. Le réchauffement climatique favorise ainsi la persistance en décembre des mouches porteuses de la DNC.
Mais les autorités ne peuvent pas prédire les réactions des éleveurs et de ceux qui les regardent sur les réseaux sociaux pleurer la mort de leurs vaches. C’est bien ce rapport à l’animal qui se joue dans la crise agricole déclenchée par la dermatose nodulaire contagieuse.
Frédéric Keck ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.