19.11.2025 à 21:00
L’entreprise Duralex sauvée ! Duralex, dur dure
« Il fallait retourner son verre pour connaître son âge. Vous avez peut-être, comme moi, ce souvenir d’écolier à la table de la cantine. Ces gobelets marrants et incassables étaient signés “Made in Duralex”. La mémoire m’est revenue alors que l’entreprise vient de réussir une levée de fonds, après sa reprise sous forme de coopérative l’an dernier.
[CTA1]
Dur à cuire, Duralex ?
Dura lex sed lex. “La loi est dure mais c’est la loi.” La locution latine aurait inspiré le nom de l’entreprise lors du rachat de la Société des verreries de La Chapelle-Saint-Mesmin par Saint-Gobain (qui a inventé le verre trempé) en 1934. Le nom est déposé en 1945 quand l’usine se destine à la production de gobelets, dont deux modèles sont entrés dans l’imaginaire collectif : le Gigogne (celui de la cantine), plutôt rond, et le Picardie. Celui-ci s’exporte et apparaît même en mission spéciale, au cinéma, chez James Bond : l’agent secret qui, lui aussi, résiste à tout, s’enfile deux whiskys dans Quantum of Solace puis Skyfall.
➤ Vous lisez actuellement la Lettre de la rédaction de Philosophie magazine. Pour la recevoir directement dans votre boîte mail, abonnez-vous ! Cette newsletter est quotidienne et gratuite.
19,8 millions en 48 heures : mission accomplie ! La somme a été cumulée en moins de temps qu’il n’en faut pour vider son verre lors de la levée de fonds lancée par Duralex, lundi 3 novembre dernier. 22 000 citoyens auraient ainsi pris le risque d’investir, là où l’État via la Banque publique d’investissement s’était montré plus frileux, rechignant à accorder un prêt. Cet engouement s’est noué autour de la volonté de soutenir le tissu industriel dans l’Hexagone, mais aussi d’une belle histoire : celle d’une entreprise reprise en 2024 sous la forme d’une société coopérative et participative (Scop), après avoir failli disparaître, sauvée de la liquidation judiciaire par ses salariés. Bref, la verrerie a réveillé le sentiment national… et ravivé une tradition philosophique, le “socialisme utopique”.
Le socialisme à la rescousse
Cette utopie débute avec Saint-Simon. Penseur de la société industrielle dans la période qui succède à l’Ancien Régime, croyant à l’élévation matérielle et morale des classes populaires, dans un esprit positiviste, Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon (1760-1825) fait école. Sa doctrine sociale, économique et politique mise sur l’établissement d’une société gouvernée par les savants et les industriels, ainsi que sur l’émancipation par le travail – à l’orée de l’ère industrielle. En 1880, Friedrich Engels reconnaît en lui un précurseur du “socialisme utopique” (par opposition à son socialisme “scientifique”) :
“Si nous trouvons chez Saint-Simon une largeur de vues géniale qui fait que presque toutes les idées non strictement économiques des socialistes postérieurs sont contenues en germe chez lui, nous trouvons chez Fourier une critique des conditions sociales existantes qui, pour être faite avec une verve toute française, n’en est pas moins pénétrante”
Friedrich Engels, Socialisme utopique et Socialisme scientifique (1880)
Dans ce panthéon du socialisme, aux côtés de Saint-Simon et de Charles Fourier (concepteur du célèbre phalanstère) prend également place le Britannique Robert Owen. Il est l’inventeur du mouvement coopératif en Angleterre, fondateur d’une manufacture à New Lanark : “Tous les mouvements sociaux, tous les progrès réels qui furent menés à bien en Angleterre dans l’intérêt des travailleurs se rattachent au nom d’Owen”, écrit Engels dans Socialisme utopique et Socialisme scientifique. Il “introduisit, comme mesure de transition menant à une organisation entièrement communiste de la société […] les sociétés coopératives (coopératives de consommation et de production) qui, depuis, ont au moins fourni la preuve pratique que le marchand ainsi que le fabricant sont des personnages dont on peut très bien se passer”.
Dans cette tradition, faisant confiance au progrès de l’homme et de la technique, croyant à la transformation de la société par l’initiative des communautés des travailleurs, davantage que par la révolution politique ou la réforme étatique, s’inscrit une lignée de penseurs et d’industriels, dont Jean-Baptiste André Godin (1817-1888). Lui fonde le familistère de Guise (Aisne), un lieu de vie coopératif inspiré du phalanstère de Fourier, porté par une devise : “Capital, Travail, Talent”. N’est-ce pas tout ce qui rend l’entreprise Duralex (toujours aussi) incassable ? »
19.11.2025 à 17:00
50 ans après la mort de Franco : quelle fut l’attitude des intellectuels face au régime ?
Il y a cinquante ans mourrait Francisco Franco. Avec lui disparaissait la dictature instaurée à la suite de la guerre civile espagnole qui opposa, de 1936 à 1939, les républicains aux putschistes nationalistes menés par le Caudillo. Son souvenir hante toujours l’Espagne, qui annonçait récemment établir une liste de symboles franquistes à retirer de l’espace public. Retour sur le positionnement des intellectuels face au régime du général.
[CTA2]
Les soutiens
Le franquisme eut son petit cercle de penseurs – on peut notamment citer le poète et essayiste Dionisio Ridruejo, cofondateur de l’organisation fasciste la Phalange aux côtés de José Antonio Primo de Rivera et Ernesto Giménez Caballero, l’un des introducteurs du fascisme en Espagne. Il eut également ses intellectuels martyrs comme José Calvo Sotelo, essayiste monarchiste dont l’assassinat par un socialiste poussa Franco à se joindre au coup d’État en préparation contre la République, ou l’essayiste, écrivain et ambassadeur Ramiro de Maeztu qui, capturé par les républicains, fut fusillé 29 octobre 1936.
En ce qui concerne spécifiquement les philosophes qui soutinrent sans ambiguïtés le régime de Franco, on peut citer Eugenio d’Ors, initiateur du noucentisme catalan, un courant de pensée anti-moderne, qui intégra la Phalange espagnole et fut nommé chef de la Jefatura Nacional de Bellas Artes (ministre des Beaux-Arts). Pedro Laín Entralgo fut également l’un des intellectuels importants de la Phalange. Pendant la guerre civile espagnole, il collabora à Arriba, un journal franquiste. Après la guerre, il fut nommé à la première chaire d’histoire de la médecine du pays, à l’université de Madrid. De son côté, Manuel García Morente, philosophe néo-kantien influencé par Bergson et Le Déclin de l’Occident de Spengler, ne soutint jamais explicitement le régime franquiste, ni n’en fut un intellectuel « organique ». Mais, destitué de ses fonctions à l’université de Madrid après l’éclatement de la guerre civile et exilé à Paris, il rejoint l’Espagne en 1938 pour entrer au séminaire. Sa conversion religieuse le pousse à adopter des positions hostiles au marxisme et au rationalisme républicain.
Les opposants
Les intellectuels opposés au franquisme furent nombreux. De grands noms de la pensée signèrent notamment un texte commun en faveur de la République en 1936, comme le raconte Paul Aubert dans « Les intellectuels espagnols face à la guerre civile (1936-1939) » : « Les soussignés déclarons que, face à l’affrontement qui a lieu en Espagne, nous sommes aux côtés du Gouvernement de la République et du peuple, qui avec un héroïsme exemplaire lutte pour ses libertés. » On peut citer l’érudit et philologue Ramón Menéndez Pidal, le poète Antonio Machado, l’écrivain Ramón Pérez de Ayala, le poète platonicien Juan Ramón Jiménez, etc. L’universitaire, médecin et penseur Gregorio Marañón fut également des signataires, mais il s’exila dès 1936 et fut le concepteur de « théories sur la sexualité et sur le genre que les intellectuels organiques du régime franquiste s’empressèrent d’instrumentaliser pour cautionner une politique nataliste drastique et légitimer la relégation des femmes espagnoles dans le domaine privé du foyer », souligne Marie-Aline Barrachina dans « Le Docteur Gregorio Marañón, ou la plume militante de l’endocrinologue ». Comme le note cependant Hugh Thomas dans The Spanish Civil War, « les atrocités et l’influence croissante des communistes ont poussé tous ces hommes à saisir la moindre occasion qui se présentait pour fuir à l’étranger. Là-bas, ils renièrent leur soutien à la République » le plus souvent.
“Vous vaincrez, mais ne convaincrez pas”
Il en va tout autrement pour le philosophe Miguel de Unamuno, recteur de l’université de Salamanque l’un des plus influents penseurs espagnols de l’époque. « La République l’avait déçu, il avait admiré certains jeunes phalangistes et avait financé le soulèvement. » Bref, il fut d’abord un soutien du camp nationaliste. Mais tout change rapidement. Alors que le régime célèbre, le 12 octobre 1936, le Jour de la Race à l’université de Salamanque, Unamuno prend la parole et attaque les franquistes réunis :
“Cette université est le temple de l’intelligence et je suis son grand prêtre. Vous profanez son enceinte sacrée. [...] Vous vaincrez mais vous ne convaincrez pas. Vous vaincrez parce que vous possédez une surabondance de force brutale, vous ne convaincrez pas parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader, il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat. Il me semble inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne”
Exfiltré de la cérémonie, le philosophe fut révoqué du rectorat et assigné à résidence.
Si certains des exilés changèrent de position sur la situation en Espagne, d’autres demeurèrent fidèle aux idées républicaines. María Zambrano, notamment, qui avait soutenu la création de la IIe République en 1931 et se rangea du côté des républicains en 1936. Après la victoire des nationalistes, elle quitta l’Espagne pour ne rentrer à Madrid qu’en 1984, neuf ans après la mort de Franco. Si elle garda, pour l’essentiel, le silence sur le franquisme pendant ses années d’exil, ses textes portent la marque allusive d’une dénonciation de la dictature. Elle écrira : « La démocratie n’est pas seulement un système politique, mais un mode de vie qui respecte la dignité de chaque personne. » Autre grand intellectuel critique, Rafael Altamira fut arrêté par les carlistes [mouvement monarchiste catholique] peu après le début de la guerre civile alors qu’il s’apprêtait à fuir le pays. Tandis qu’il devait être fusillé, le général Miguel Cabanellas le sauve. Altamira prend la route de l’exil et atterrit au Mexique. Il refusera toujours les invitations du régime franquiste à regagner l’Espagne.
“La démocratie n’est pas seulement un système politique, mais un mode de vie qui respecte la dignité de chaque personne”
Parmi les penseurs pro-républicains, il faut encore mentionner le socialiste et ancien ministre Fernando de los Ríos, Claudio Sánchez-Albornoz, licencié de philosophie et également ancien ministre, les poètes du groupe « Génération de 27 » Luis Cernuda et Manuel Altolaguirre, l’écrivain José Moreno Villa, ou encore le philosophe et sociologue Julián Marías qui, lorsqu’éclata la guerre civile, s’engagea aux côtés des républicains et écrivit dans la presse antifranquiste. Après la victoire de Franco, il fut emprisonné pendant trois mois. Libéré, son parcours universitaire sera semé d’embûches. En 1942, sa thèse doctorale est suspendue, lors de la présentation, par le directeur de l’université à cause de divergences idéologiques. Marías est finalement autorisé à soutenir sa thèse en 1949 et obtient son doctorat, mais il est interdit d’enseignement dans les universités. Xavier Zubiri, philosophe très influencé par la phénoménologie, s’exila quant à lui en France au moment où éclate le conflit mais rejoignit finalement son pays en 1939 et accepta la chaire de philosophie à l’université de Barcelone. Il est cependant contraint par le régime à renoncer à ses fonctions académiques en 1942.
Les ambigus
C’est sans doute le plus important philosophe espagnol qui fut, en ce qui concerne le franquisme, le plus ambigu. Pendant la guerre civile, José Ortega y Gasset prend discrètement parti pour les nationalistes. Dans « Un philosophe en exil : José Ortega y Gasset entre la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale (1936-1945) », Eve Giustiniani résume :
“Le désenchantement républicain, associé à un anticommunisme viscéral […] sont les principaux facteurs expliquant le choix du camp franquiste pendant la guerre civile. Même s’il s’agit vraisemblablement davantage d’un choix par défaut que du résultat d’une véritable conviction”
Le franquisme ne correspond pas franchement à l’idéal politique d’Ortega y Gasset, hostile au nationalisme. Sa devise, note Giustiniani, pourrait être « “liberté, pluralisme, continuité” : liberté de l’individu, pluralisme de la société, continuité des institutions. Trois fondements qui se trouvent à l’opposé de l’étatisme oppressant et destructeur caractéristique de toute entreprise révolutionnaire, qu’elle soit de droite ou de gauche ». Face aux socialistes, le franquisme apparaît cependant comme un moindre mal. Un part du philosophe espérait peut-être, en un sens, que la victoire de Franco soit ce moindre mal, et qu’il permette la renaissance de l’idée libérale qu’il défendait : « Le “totalitarisme” sauvera le “libéralisme”, en déteignant sur lui, en l’épurant, grâce à quoi nous verrons bientôt un nouveau libéralisme tempérer les régimes autoritaires. »
“Le ‘totalitarisme’ sauvera le ‘libéralisme’, en déteignant sur lui, en l’épurant”
Quoiqu’il en soit, quand la guerre civile éclate, Ortega y Gasset fait le choix de l’exil, et « sa position politique reste privée ». Il « accepte de participer discrètement à la propagande franquiste », en écrivant quelques articles à destination du public étranger, mais il « rectifie vite sa position en critiquant, d’un point de vue philosophique, les régimes dictatoriaux », dont il condamne la violence. Si l’on peut dire, « Ortega [donnait] au camp national quelques preuves de “bonne volonté” (afin d’éviter la persécution), tout en ne prenant jamais explicitement parti pour le franquisme (pour sauver son honneur de libéral) ». De retour en Espagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Ortega y Gasset ne retrouve pas sa position de philosophe « majeur » : il est marginalisé, et surveillé par le régime.
Les étrangers
Des intellectuels non espagnols s’engagèrent lors de la guerre d’Espagne. Plusieurs rejoignirent spontanément les rangs républicains comme André Malraux ou George Orwell, qui écrit dans son Hommage à la Catalogne (1938) :
“Il s’agissait essentiellement d’une guerre des classes. Si elle avait été gagnée, la cause des gens ordinaires partout dans le monde aurait été renforcée. Elle a été perdue, et les bénéficiaires de dividendes du monde entier se sont frotté les mains. C’était là le véritable enjeu ; tout le reste n’était que mousse à la surface”
Quoique pacifiste, Simone Weil elle aussi se joignit aux anarchistes de la colonne Durruti : « Je n’aime pas la guerre ; mais ce qui m’a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c’est la situation de ceux qui se trouvent à l’arrière et bavardent de ce qu’ils ignorent. » Le cynisme barbare qu’elle observe y compris dans le camp républicain la glace. « Je n’ai jamais vu personne même dans l’intimité exprimer de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé. » La philosophe sort profondément marquée par cette expérience : « Le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme. »
“Ce qui m’a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c’est ceux qui se trouvent à l’arrière et bavardent de ce qu’ils ignorent”
Enfin, de nombreux philosophes soutinrent à distance les républicains. Citons ainsi le célèbre « trio » français constitué par Camus (« Toute sa vie, Albert Camus est resté fidèle à la République espagnole pour être fidèle à lui-même », écrit Jean-Yves Guérin dans « Camus et la guerre d’Espagne »), Beauvoir (« Nous plongeâmes dans le drame qui pendant deux ans et demi domina toute notre vie : la guerre d’Espagne ») et Sartre, qui écrira un texte sur le franquisme en guise de préface à La Fin de l’espoir, un texte signé Juan Hermanos – pseudonyme de Marc Saporta – partiellement publié dans la revue Les Temps modernes.
19.11.2025 à 13:29
Fin de la COP30 : le “principe habitabilité” va-t-il sauver la planète ?
Au niveau international, le droit de l’environnement est bardé de traités et de chartes en tout genre. Ce qui de toute évidence ne suffit pas : sur le plan écologique, notre planète continue de sombrer. Un super-principe juridique pourrait-il sauver le monde de l’effondrement environnemental ? C’est l’idée derrière le « principe habitabilité ».
[CTA2]
Pallier un droit impuissant
Près de 500 traités internationaux, des lois et des chartes à tous les échelons... Sur le papier, le droit de l’environnement forme un arsenal robuste, presque surabondant. Pourtant, au vu de la crise climatique et de la destruction des écosystèmes, il semble impuissant à protéger durablement la planète et ses habitants. Comment expliquer cette déficience ? Peut-on lui redonner un nouvel élan et garantir son efficacité sur le long terme ? Le philosophe Baptiste Morizot et le juriste Laurent Neyret en sont convaincus. Dans un article paru dans la revue en ligne du Groupe d’études géopolitiques, l’auteur de Manières d’être vivant (Actes Sud, 2020), maître de conférences à l’université Aix-Marseille, et le professeur des universités à Sciences Po défendent l’idée d’un « principe habitabilité ». Ce concept devrait permettre de refonder le droit environnemental : non pas en surajoutant, en aval, une énième clause aux textes existants, mais en posant ce principe en amont de l’édifice juridictionnel. Leur approche vise ainsi à redynamiser la lutte contre le dérèglement climatique après l’échec relatif de la COP30 et la sortie programmée des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat en 2026.
De la dignité à l’habitabilité
Les deux auteurs s’inspirent du droit issu de la Seconde Guerre mondiale, qui a créé la notion de crime contre l’humanité. À l’origine, il y avait « une valeur cardinale partagée » : la dignité. « La découverte de la dignité a été une réponse à un choc qui dépassait l’entendement », notent les chercheurs, citant le procès de Nuremberg. Pour lutter contre « l’atteinte absolue » que représenterait, de même, la crise écologique, une méthode similaire devrait être adoptée :
“L’humanité doit se doter d’une valeur bouclier permettant de raviver la légitimité et l’efficacité du droit qui permettra de faire face aux menaces existentielles des risques climatiques et écologiques. C’est la promesse du ‘principe habitabilité’”
Baptiste Morizot, Laurent Neyret, « Le principe habitabilité », in : Groupe d’études géopolitiques (2025)
Qu’est-ce que l’« habitabilité » ? Morizot et Neyret la définissent « comme la propriété de tout milieu à toute échelle spatio-temporelle dans lequel les conditions de santé et de prospérité de chacune des formes de vie sont produites par l’activité interdépendante de la diversité des formes de vie ». L’habitabilité est une valeur foncièrement « relationnelle », puisqu’elle inclut autant l’espèce humaine que le reste du vivant, sans qui l’humanité ne peut survivre : plantes, animaux, organismes multiples, qui créent la vie et les conditions de sa « sécurité » et de sa « prospérité » sur Terre.
Un principe à respecter pour toute future décision
Le principe habitabilité est-il suffisant pour donner de la force au droit ? Les auteurs sont conscients des difficultés posées, au vu du contexte idéologique mondial. Ils précisent :
“Le droit fonctionne aussi dans une temporalité longue où les principes fondamentaux opèrent comme contraintes structurelles continues, modifiant les coûts politiques des violations et créant les bases de futures sanctions, même sans intervention immédiate”
Baptiste Morizot, Laurent Neyret, ibid.
Le droit suppose de penser le temps long sans céder à la peur contemporaine du populisme climatosceptique. Plus délicate, en revanche, s’avère leur mise en avant déterminante des relations entre vivants. Car ce terme semble oblitérer les conflits inhérents aux espèces pour adhérer à une vision harmonieuse des modes d’expression du vivant. Jusqu’où l’humanité doit-elle rogner sur ses propres droits pour permettre aux autres formes de vie de prospérer ? Même judicieusement reformulée, la question reste ouverte.
