02.12.2025 à 15:59
L’activité physique à partir de 45 ans peut réduire le risque de démence, selon une nouvelle étude
Texte intégral (2047 mots)

Bouger, c’est bon pour le corps… et pour le cerveau. Une étude états-unienne de grande ampleur montre que l’activité physique régulière, même débutée à partir de 45 ans, peut réduire significativement le risque de démence, y compris chez les personnes génétiquement prédisposées. Preuve supplémentaire que l’exercice reste l’un des meilleurs remèdes pour garder l’esprit vif en vieillissant.
Depuis des années, les scientifiques savent que bouger notre corps peut affûter notre esprit. En effet, l’activité physique stimule le flux sanguin vers le cerveau, améliore la neuroplasticité et réduit l’inflammation chronique. Ces processus sont considérés comme protecteurs face au déclin cognitif, y compris en ce qui concerne le risque de démence.
Pourtant, malgré des décennies de recherche, d’importantes questions demeurent. L’activité physique réduit-elle le risque de démence lorsqu’elle est pratiquée à tout âge ? Ou seulement lorsqu’on est jeune ? Et si l’on présente un risque génétique plus élevé, l’exercice physique peut-il encore faire la différence ?
Une nouvelle étude, tout juste publiée dans la revue médicale Jama Network Open, fournit certaines des réponses parmi les plus claires disponibles à ce jour. Fondée sur les données issues de l’étude épidémiologique au long cours Framingham Heart Study, menée aux États-Unis, ses conclusions confirment ce que de nombreux cliniciens affirmaient déjà à leurs patients : faire de l’exercice est bénéfique.
Ces travaux apportent aussi un éclairage nouveau sur l’effet potentiellement protecteur que confère la pratique d’une activité physique régulière dès 45 ans, même chez les personnes présentant une certaine prédisposition génétique à la démence. Décryptage.
En quoi cette étude a-t-elle consisté ?
Cette nouvelle recherche s’appuie sur les données de 4 290 membres de la cohorte Framingham Heart Study Offspring. Débutée en 1948, cette étude avait pour objectif d’étudier, sur le long terme, les facteurs de risque cardiovasculaires. À son lancement, les chercheurs ont recruté plus de 5 000 adultes de plus de 30 ans résidant à Framingham, dans le Massachusetts, aux États-Unis.
En 1971, une deuxième génération de participants (plus de 5 000 enfants de la cohorte initiale - devenus adultes - et leurs conjoints) a été recrutée, pour former la cohorte « Offspring » (« descendance », en anglais). La santé de cette génération a été suivie grâce à des examens de santé réguliers, menés tous les quatre à huit ans.
Dans le cadre des travaux publiés dans Jama Network Open, les participants ont auto-déclaré leur activité physique. Il s’agissait de documenter aussi bien certaines activités quotidiennes basiques, telles que le fait de monter des escaliers, que des exercices physiques plus intenses.
Les volontaires ont une première fois répondu au questionnaire durant l’année 1971, puis l’opération a été renouvelée plusieurs décennies durant. Selon l’âge qu’ils avaient au moment de leur première évaluation, les participants ont été répartis en trois catégories :
jeunes adultes (26-44 ans) : évalués à la fin des années 1970 ;
personnes d’âge mûr (45-64 ans) : évaluées à la fin des années 1980 et dans les années 1990 ;
personnes âgées (65 ans et plus) : évaluées à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Afin d’évaluer l’influence de l’activité physique sur le risque de démence, les chercheurs ont observé, au sein de chaque groupe d’âge, le nombre de personnes ayant développé une démence, et à quel âge le diagnostic avait été posé.
Ils ont ensuite comparé les schémas d’activité physique (faible, modérée, élevée) dans chacun des groupes d’âge, afin de déterminer si un lien pouvait être établi entre la quantité d’exercice et la survenue d’une démence.
Les auteurs de l’étude ont également identifié les personnes possédant l’allèle APOE ε4, lequel est connu pour être un facteur génétique de risque pour la maladie d’Alzheimer.
Qu’ont découvert les scientifiques ?
Au cours de la période de suivi, 13,2 % (567) des 4 290 participants ont développé une démence. Les individus concernés appartenaient principalement au groupe de volontaires dont l’âge était le plus élevé.
Ce taux est relativement élevé au regard d’autres études longitudinales (autrement dit, de long terme) sur la démence ou des niveaux de risque de démence enregistrés en Australie (8,3 % des Australiens de plus de 65 ans sont actuellement atteints de démence, soit environ 1 personne sur 12).
En analysant les données, les chercheurs ont découvert une tendance frappante : les personnes qui déclaraient les niveaux d’activité les plus élevés à l’âge mûr et durant le grand âge avaient 41 à 45 % moins de risque de développer une démence que celles qui rapportaient les niveaux les plus faibles.
Cette association persistait même après prise en compte d’autres facteurs de risque, qu’ils soient démographiques (âge, éducation) ou médicaux (hypertension, diabète).
Il est intéressant de noter que le fait d’être physiquement actif au début de l’âge adulte n’avait aucune influence sur le risque de démence.
L’analyse de l’influence du facteur génétique APOE ε4, facteur de risque connu pour la maladie d’Alzheimer, constitue l’une des avancées majeures de cette étude. Elle a permis de mettre en évidence les points suivants :
à l’âge mûr, pratiquer une activité physique plus intense ne réduisait le risque de développer une démence que chez les personnes non porteuses de l’allèle ;
à un âge avancé, en revanche, le fait d’avoir une activité physique plus intense réduisait le risque aussi bien chez les porteurs de l’allèle que chez ceux qui ne le possédaient pas.
Autrement dit, pour les personnes génétiquement prédisposées à la démence, rester actives à un âge avancé pourrait continuer à offrir une protection significative.
Quelle est la portée de ces résultats ?
Ces conclusions viennent renforcer ce que les scientifiques savent déjà : l’exercice physique est bon pour le cerveau.
Cette étude se distingue non seulement par la taille importante de son échantillon, mais aussi par la durée exceptionnelle de son suivi ainsi que par le fait d’avoir mené une analyse génétique couvrant différentes périodes de la vie des participants.
Le fait d’avoir révélé que la pratique d’une activité physique à l’âge mûr peut avoir un effet différent selon le risque génétique, tandis que rester actif à un âge avancé profite à presque tout le monde, pourrait être utilisé pour enrichir les messages de santé publique.
Une étude qui présente quelques limites
Dans cette étude, le niveau estimé d’activité physique repose en grande partie sur une auto-déclaration. Il existe donc un risque de biais de rappel (les participants ont tendance à se souvenir de l’événement – ici leur pratique de l’activité physique – différemment de ce qu’il était en réalité, NDT). Par ailleurs, on ignore quels types d’exercice sont les plus bénéfiques.
Le nombre de cas de démence chez les plus jeunes participants étant bas, la portée des conclusions est plus limitée en ce qui concerne le début de l’âge adulte.
La cohorte choisie, constituée de participants qui descendent majoritairement de populations européennes et sont tous issus de la même ville, limite la généralisation des résultats à des populations plus diversifiées.
Ceci est particulièrement important, compte tenu du fait qu’il existe de fortes inégalités, au niveau mondial, face au risque de démence et au diagnostic de cette affection.
Quelle conclusion tirer de cette étude ?
À l’heure actuelle, les connaissances portant sur la démence et ses facteurs de risque restent encore faibles dans les groupes de composition ethnique diversifiée. Dans bon nombre d’endroits, elle est encore souvent perçue comme une « composante normale » du vieillissement.
La conclusion à tirer de cette étude tient, cependant, en deux phrases : bougez davantage, quel que soit votre âge. Les bénéfices que vous en retirerez surpassent clairement les risques.
Joyce Siette bénéficie d'un financement du Conseil national de la santé et de la recherche médicale.
02.12.2025 à 15:59
Islam : comment se fabrique l’inquiétude dans le débat public
Texte intégral (1708 mots)
Après la production d’un rapport gouvernemental sur l’« entrisme des Frères musulmans » dans la société française, une étude de l’institut Ifop met en avant une progression de la religiosité chez les musulmans de France et l’interprète comme un signe de l’influence islamiste. Or, les chiffres avancés renvoient surtout à des pratiques ordinaires du culte. Cette approche interroge sur la façon dont l’islam est problématisé dans le débat public.
L’institut Ifop a récemment enquêté sur l’évolution, en France, des pratiques des musulmans, et notamment des jeunes, mettant en avant une forte dynamique de « réislamisation » (87 % des 15–24 ans se disent religieux, 62 % prient quotidiennement, 83 % jeûnent tout le ramadan, 31 % portent le voile). Cette lecture s’inscrit dans la continuité du rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025. Alors que ce rapport situait l’enjeu de l’« entrisme islamiste » au niveau des organisations et des institutions, l’enquête de l’Ifop esquisse l’idée d’une base sociale de l’islamisme dans des comportements ordinaires.
Pour étayer sa thèse, l’Ifop mobilise un ensemble d’indicateurs allant de la prière au jeûne, des comportements interpersonnels (bise, mixité) au rapport à la science ou aux règles religieuses. Or plusieurs de ces mesures, présentées comme les signes d’une religiosité accrue, soulèvent des difficultés méthodologiques : un écart important apparaît entre ce que les indicateurs mesurent et l’interprétation qui en est faite. Cette approche interroge sur la façon dont l’islam est problématisé dans le débat public.
Intensification religieuse : une réalité qui ne dit pas ce qu’on croit
Les données relatives à la « fréquence de la prière » offrent une première illustration de ce décalage. En islam, la prière rituelle (ṣalāt) consiste en cinq actes quotidiens obligatoires, pouvant être regroupés lorsque les circonstances l’exigent ; elle ne se décline pas selon des fréquences variables. La question « À quelle fréquence vous arrive-t-il de prier ? » repose ainsi sur un modèle catégoriel inadapté, fondé sur des échelles – « une fois par semaine », « une à quatre fois par jour », etc. – qui ne correspondent à aucune réalité du rite musulman. De telles formulations conduisent moins à mesurer une pratique effective qu’à enregistrer l’effort des enquêtés pour ajuster un rituel strictement codifié à une grille de lecture inadéquate. L’opposition graphique entre « prient quotidiennement » et « ne prient pas quotidiennement » produit ainsi des profils distincts là où la véritable distinction se joue entre accomplissement – même regroupé – et omission répétée.
Le même mécanisme apparaît dans la mesure du jeûne. Affirmer que « 73 % des musulmans ont jeûné tout le ramadan » est présenté comme un signe de « rigidification », alors qu’il s’agit de l’accomplissement ordinaire d’un pilier défini précisément comme un mois complet d’observance. La gradation introduite – « tout le mois », « quelques jours », « pas jeûné » – est étrangère au rituel, transposant à l’islam un modèle séculier de pratique modulable. La stabilité des chiffres (73 % en 2025, 74 % en 2019) reflète des dynamiques démographiques davantage qu’un durcissement doctrinal.
Dans les deux cas, l’étude ne décrit pas une radicalisation, mais elle réinterprète des pratiques rituelles à travers des catégories inappropriées, produisant artificiellement des niveaux d’engagement et des seuils de rupture qui n’existent pas dans les données. La prière et le jeûne deviennent ainsi des signaux idéologiques supposés, alimentant l’idée d’une « réislamisation » problématique alors qu’ils relèvent d’abord d’une normativité religieuse ordinaire chez les musulmans pratiquants.
Au-delà des chiffres qu’elle présente, l’étude mobilise un ensemble de catégories – « réislamisation », « orthopraxie », « absolutisme religieux », « tension avec la République », « séparatisme du genre », « halo de l’islamisme » – qui orientent fortement la manière dont les attitudes musulmanes sont interprétées. Ces cadres produisent une lecture homogénéisante de comportements pourtant très divers, en réinscrivant des pratiques ordinaires dans des désignations alarmantes. Ce type de catégorisation s’inscrit dans un biais bien documenté en sociologie des religions : la tendance à privilégier les registres normatifs ou les intentions supposées au détriment de l’analyse des pratiques elles-mêmes.
De la religiosité vécue au soupçon idéologique : un glissement méthodologique
Les conclusions de l’étude reposent sur une confusion centrale : elle tend à associer mécaniquement une religiosité plus visible à un durcissement idéologique. Or l’intensité du croire et l’intransigeance normative constituent deux dimensions distinctes. On observe des pratiquants rigoureux ouverts à l’altérité, tout comme des individus très peu ou non pratiquants adoptant des positions rigides. Rien ne permet donc de déduire qu’un niveau élevé d’observance rituelle traduit, en soi, une orientation idéologique particulière.
C’est pourtant cette assimilation hâtive que prolonge l’enquête lorsqu’elle interprète des comportements situés – abstinence d’alcool, refus de la bise, distance à la mixité – comme des signes de « séparatisme » ou d’« islamisme ». Le raisonnement opère alors un glissement : des gestes de piété ou des habitudes culturelles – comme le fait de ne pas pratiquer la bise, peu usitée dans de nombreuses régions du monde arabe – sont déplacés vers le registre du soupçon idéologique, non en raison de leur sens propre, mais du cadre interprétatif dans lequel ils sont insérés.
Ce glissement apparaît également dans l’usage d’items censés mesurer des orientations idéologiques, alors qu’ils ne saisissent que des arbitrages intellectuels généraux. La question opposant « science » et « religion » pour expliquer l’origine du monde en est une illustration. En imposant une alternative binaire – soit la science, soit la religion –, elle ne peut en rien indiquer une inclination vers l’islamisme ; un tel choix concerne d’ailleurs des croyants de nombreuses traditions.
Surtout, cette formulation peut laisser entendre que répondre « religion » révélerait une moindre capacité à adhérer au savoir scientifique ou à réussir scolairement. Or les données disponibles montrent exactement l’inverse : les enfants d’immigrés réussissent souvent mieux à l’école que les autres, et le niveau d’éducation des familles immigrées progresse nettement sur trois générations. L’item « science vs religion » ne fournit pourtant aucune indication sur une orientation idéologique : il mesure seulement la préférence déclarée pour l’un des deux registres explicatifs lorsqu’ils sont présentés comme incompatibles. Autrement dit, l’opposition est imposée par la question et non révélée par les convictions des répondants.
Ces attitudes sont ensuite corrélées à des mesures de « sympathie » pour des courants présentés comme islamistes. Pourtant, l’usage d’un terme aussi indéterminé crée une confusion. Ce terme peut recouvrir une simple absence d’hostilité, une familiarité culturelle ou encore une adhésion doctrinale. L’ambiguïté est renforcée par le regroupement, sous une même catégorie, d’univers religieux sans lien entre eux : le Tabligh, le salafisme/wahhabisme, les Frères musulmans et le takfir. Sans clarification, cette « sympathie » agrégée suggère un continuum idéologique qui n’existe pas, produisant mécaniquement des taux élevés.
Ces chiffres contrastent fortement avec un résultat pourtant décisif du même rapport : 73 % des musulmans estiment qu’un musulman a le droit de rompre avec l’islam, contre 44 % en 1989. Un tel indicateur de libéralisation normative aurait dû structurer la lecture de l’enquête. Or il est resté largement inaperçu dans le débat public, éclipsé par des items plus compatibles avec le récit d’une « réislamisation ». L’évolution des trente dernières années montre pourtant une dynamique inverse, celui d’un élargissement de l’autonomie individuelle dans le rapport à la foi, difficilement compatible avec l’idée d’un raidissement idéologique généralisé.
Au terme de l’analyse, une conclusion s’impose : un sondage comme celui de l’Ifop contribue surtout à façonner une manière de regarder les musulmans. Par ses catégories, ses regroupements et ses oppositions binaires, il produit un récit d’inquiétude qui relève davantage du cadrage de l’enquête que des données elles-mêmes. Un tel dispositif oriente la perception publique, suggère des liens fragiles et peut influer sur des décisions politiques – au risque d’accentuer chez certains musulmans le sentiment d’être injustement visés.
Ali Mostfa est coordinateur scientifique du parcours de formation Mohammed Arkoun sur l'islamologie, en partenariat avec les établissements d’enseignement supérieur lyonnais, financé par le Bureau Central des Cultes du Ministère de l’Intérieur.
02.12.2025 à 15:58
Les deux grands enjeux derrière la demande de grâce de Benyamin Nétanyahou
Texte intégral (1632 mots)
Le président d’Israël Isaac Herzog a quelques semaines pour décider s’il gracie ou non le premier ministre Benyamin Nétanyahou, empêtré dans plusieurs affaires de corruption… pour lesquelles il n’a d’ailleurs pas encore été condamné, ce qui rend sa demande de grâce particulièrement exceptionnelle. Ce qui est en jeu ici, c’est à la fois l’avenir personnel et politique du chef du gouvernement, qui espère être reconduit à son poste aux élections de l’année prochaine, et l’indépendance du système judiciaire israélien.
Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, poursuivi pour corruption depuis plusieurs années, a adressé une demande de grâce au président du pays Isaac Herzog. Cette demande a alarmé ses détracteurs, qui y voient une tentative de contourner l’État de droit.
Dans un message vidéo, Nétanyahou affirme que, du fait de la situation « sécuritaire et politique » actuelle d’Israël, il est impossible pour lui de comparaître devant le tribunal plusieurs fois par semaine.
Sa demande de grâce n’est que le dernier rebondissement d’une affaire qui dure depuis des années. Elle pourrait avoir des implications importantes aussi bien pour le système judiciaire israélien que pour l’avenir politique de Nétanyahou, alors que des élections sont prévues l’année prochaine.
Quelles sont les accusations qui pèsent contre lui ?
Nétanyahou, 76 ans, est incontestablement la figure politique la plus importante de la politique israélienne moderne. Il a été élu premier ministre pour la première fois en 1996 et en est aujourd’hui à son sixième mandat.
Il est mis en examen pour « corruption, fraude et abus de confiance », dans le cadre d’une série d’enquêtes qui remontent à 2016. Il fait l’objet de poursuites dans trois affaires distinctes identifiées par des numéros : l’« affaire 1 000 », l’« affaire 2 000 » et l’« affaire 4 000 ». Le procès a débuté en 2020.
Dans l’« affaire 1 000 », le premier ministre est soupçonné d’avoir reçu l’équivalent d’environ 200 000 dollars américains (172 000 euros) de cadeaux, notamment des cigares et du champagne, de la part du producteur hollywoodien Arnon Milchan et du milliardaire australien James Packer.
L’« affaire 2 000 » concerne des rencontres présumées entre Nétanyahou et Arnon Mozes, le propriétaire du célèbre journal Yediot Ahronot. L’accusation affirme que Mozes a proposé au chef du gouvernement une couverture médiatique favorable en échange de restrictions imposées à l’un de ses journaux concurrents.
Enfin, l’« affaire4 000 » concerne un conglomérat de télécommunications Bezeq. La procureure générale allègue l’existence d’un autre accord réciproque : Nétanyahou serait présenté sous un jour favorable sur un site d’informations en ligne géré par Bezeq, en échange de son soutien à des modifications réglementaires qui profiteraient à l’actionnaire majoritaire du conglomérat.
Nétanyahou a toujours nié toute malversation dans ces affaires, affirmant être victime d’une « chasse aux sorcières ». En 2021, il a qualifié les accusations de « fabriquées et ridicules ». Lorsqu’il a témoigné à la barre en 2024, il a déclaré :
« Ces enquêtes sont nées du péché. Il n’y avait pas d’infraction, alors ils en ont trouvé une. »
Des experts en droit israélien ont souligné qu’une grâce ne peut être accordée qu’une fois qu’une personne a été condamnée pour un crime. Mais Nétanyahou ne propose pas de reconnaître sa responsabilité ou sa culpabilité dans ces affaires, et il ne le fera probablement jamais. Il demande simplement une grâce afin de pouvoir continuer à exercer ses fonctions.
L’indépendance du système judiciaire israélien
Depuis le début du procès en 2020, de nombreuses personnes ont témoigné devant la justice, notamment d’anciens collaborateurs de Nétanyahou qui ont conclu des accords avec l’accusation et ont été interrogés en tant que témoins à charge. Des éléments assez accablants ont donc été présentés contre le premier ministre.
Il a toutefois su se montrer extrêmement habile et politiquement intelligent en utilisant à chaque occasion d’autres sujets, en particulier la guerre à Gaza, pour tenter de reporter ou d’interrompre la procédure.
Après le 7 octobre 2023, le nombre de jours d’audience a été limité pour des raisons de sécurité. Selon les médias, Nétanyahou a fréquemment demandé l’annulation de ses audiences, justifiant ces demandes par le fait qu’il avait une guerre à gérer.
Les partisans du premier ministre soutiennent sa demande de grâce, mais celle-ci met en lumière des questions plus larges concernant l’indépendance du système judiciaire israélien.
Au début de l’année 2023, le gouvernement a présenté des plans visant à réformer le système judiciaire, ce qui, selon ses détracteurs, affaiblirait la Cour suprême et le système israélien de contrôle et d’équilibre des pouvoirs. Nétanyahou n’a pas participé à cette initiative, car la procureure générale a déclaré que son implication constituerait un conflit d’intérêts en raison de son procès pour corruption, mais plusieurs ministres de son cabinet s’y sont associés.
Des manifestations massives ont eu lieu partout en Israël en réponse à ce projet. Les contestataires y ont vu une attaque frontale contre les fondements mêmes du système juridique israélien.
La demande de grâce s’inscrit donc dans ce contexte plus large, même si les deux questions ne sont pas formellement liées. Les opposants à Nétanyahou affirment que sa requête représente une nouvelle preuve du fait que lui et sa coalition ont une conception fondamentalement différente de la leur de ce que doit être l’État de droit.
La survie politique de Nétanyahou
Quand le premier ministre a été réélu à la tête du parti Likoud le 7 novembre 2025, il a annoncé son intention de se présenter à nouveau aux élections l’année prochaine – et souligné qu’il s’attendait à être désigné premier ministre une fois de plus.
La loi fondamentale israélienne suggère que Nétanyahou ne pourrait pas se présenter s’il était condamné pour une infraction grave, mais il n’est pas certain qu’il serait effectivement empêché de se présenter à ce stade.
Selon l’agence de presse Anadolu, Nétanyahou souhaiterait avancer les élections de novembre à juin dans l’espoir de pouvoir conclure d’ici là des accords visant à normaliser les relations avec l’Arabie saoudite et l’Indonésie. Cela correspond à son habitude d’utiliser les succès en matière de politique étrangère pour compenser ses problèmes intérieurs.
À l’approche des élections, le premier ministre israélien tente désormais toutes les manœuvres possibles pour améliorer sa position, et la grâce présidentielle n’est que l’une d’elles. C’est probablement la seule option qu’il lui reste pour faire disparaître l’affaire, car le procès dure depuis si longtemps que, tôt ou tard, le tribunal devra prendre une décision.
Michelle Burgis-Kasthala ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.