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06.12.2025 à 18:11

Statut de l’élu local : ce que change réellement la nouvelle loi

Arnaud Haquet, Professeur de droit public, Université de Rouen Normandie
La nouvelle loi crée un statut de l’élu local, censé répondre au malaise des maires et des conseillers. Que change-t-elle concrètement et pourquoi arrive-t-elle si tard ?
Texte intégral (2342 mots)

Promis depuis plus de quarante ans, le « statut de l’élu local » devrait enfin voir le jour, avec un vote en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le lundi 8 décembre. Très attendue par les élus, cette loi révèle pourtant un paradoxe : comment donner un statut à une fonction dont les contours restent flous et dont les conditions d’exercice sont profondément inégales ? À travers ce texte se révèle le profond malaise de l’engagement politique local.


Les élus locaux devraient prochainement disposer d’un « statut ». Une proposition de loi a été adoptée en ce sens en première lecture par le Sénat et l’Assemblée nationale. Elle a été approuvée à l’unanimité dans chacune d’elles. Un tel consensus, dépassant les clivages politiques, demeure suffisamment rare pour être souligné. En deuxième lecture, le texte adopté par le Sénat s’est rapproché de celui de l’Assemblée nationale. Il appartient donc à celle-ci de se prononcer sur les quelques dispositions restant en discussion, ce qu’elle fera le lundi 8 décembre 2025.

Une très longue attente

Les élus des collectivités territoriales (communes, départements et régions) réclament depuis longtemps ce statut, qui a leur a été promis par le législateur depuis le début des années 1980. Lors du lancement de la décentralisation, le législateur s’était engagé à créer ce « statut ». L’article 1er de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions prévoyait que des « lois détermineront […] le statut des élus ». Mais le législateur n’a jamais réalisé cet engagement.

Les élus locaux sont ainsi restés dans l’attente d’un statut qui s’est au fil du temps chargé d’une dimension idéalisée. Elle a nourri l’espoir que l’adoption de ce statut améliorerait leur situation.

L’adoption prochaine d’un statut de l’élu local pose néanmoins la question de sa définition. À vrai dire, cette question aurait dû être posée depuis longtemps. Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, les nombreux rapports qui ont été publiés sur le sujet n’ont jamais défini le statut de l’élu local. Ils ont exprimé le besoin d’un statut sans le définir.

Qu’est-ce qu’un statut ?

La définition courante d’un statut renvoie à un texte qui précise les droits et obligations des membres d’une communauté, souvent professionnelle, en fonction des missions qui leur sont confiées. Il fixe également les conditions d’accès à ces fonctions. Il existe ainsi un statut des fonctionnaires dans le code général de la fonction publique ou celui du salarié dans le Code du travail.

Dès lors, s’il n’existe pas de statut des élus locaux, l’on devrait supposer qu’aucun texte ne précise les droits et obligations des élus des collectivités territoriales. Mais est-ce le cas ?

Un statut déjà constitué

Curieusement, non. Les droits et obligations sont déjà fixés par le Code général des collectivités territoriales (CGCT).

  • Des droits

Le titre II du CGCT, consacré aux « garanties accordées aux élus locaux », énumère les droits dont ils bénéficient. Parmi eux figurent une indemnité de fonction, variable selon la taille de la collectivité et la nature des responsabilités ; une protection sociale et un dispositif de retraite ; des autorisations d’absence et des crédits d’heures permettant de quitter son entreprise pour l’exercice du mandat ; une possibilité de suspendre son contrat de travail avec droit à réintégration ; un droit à la formation, tant pour exercer son mandat que pour préparer son retour à l’emploi, etc. Tous ces droits ont été progressivement introduits dans le CGCT par le législateur.

  • Des devoirs

De même, des obligations des élus figurent dans plusieurs codes (et notamment dans le Code pénal). Depuis 2015, elles sont également résumées dans la « charte de l’élu local », inscrite à l’article L. 1111-1-1 du CGCT. Elle rappelle que l’élu doit exercer ses fonctions « avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité », poursuivre « le seul intérêt général », ou encore prévenir ou faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ». Cette charte doit être lue par le maire, ou le président de la collectivité, à l’intention de tous les élus lors de l’installation du nouveau conseil (municipal, départemental ou régional).

Les conditions d’accès aux mandats locaux sont, quant à elles, définies principalement par le code électoral.

Dès lors, si tous les éléments constitutifs d’un statut figurent déjà dans le CGCT, pourquoi le législateur s’apprête-t-il à instaurer formellement ce statut ? Et pourquoi les élus s’en félicitent-ils ?

Une réponse au malaise de l’élu local

Investi d’une portée symbolique, idéalisé et élevé au rang d’enjeu majeur, l’adoption du statut de l’élu local est perçue comme une réponse aux préoccupations des élus locaux.

Ils expriment très régulièrement leur lassitude face à des difficultés persistantes. Les collectivités doivent assumer des compétences insuffisamment financées. Les élus dénoncent par ailleurs l’accumulation de normes générant un sentiment d’insécurité juridique. S’y ajoutent, pour les maires et présidents, des inquiétudes liées à leur responsabilité financière ou pénale, ainsi qu’aux violences dont certains se disent victimes.

Ces facteurs pèsent lourdement sur leur moral et contribuent à l’augmentation du nombre de démissions en cours de mandat. Selon un rapport du Sénat, près de 1 500 maires ont démissionné depuis le dernier renouvellement de 2020 (chiffre de février 2024).

Les gouvernements se sont inquiétés de ce malaise. C’est pourquoi la proposition de loi créant un statut de l’élu local a été soutenue dès son dépôt par les Premiers ministres qui se sont succédé durant la procédure législative (Michel Barnier, François Bayrou et Sébastien Lecornu, qui a salué l’adoption prochaine du texte lors du Congrès des maires le 20 novembre 2025).

Pourquoi ce nouveau texte est-il qualifié de statut de l’élu local ?

Un argument fréquemment avancé – très discutable – consiste à dire que la reconnaissance de droits et obligations dispersés dans la législation ne suffit pas. Un statut suppose un texte spécifique définissant la nature du mandat et regroupant les droits et les devoirs.

La proposition de loi vient combler cette absence. Elle formalise en effet le statut de l’élu local dans une nouvelle section du CGCT, énumérant de manière générale les principaux droits et obligations des élus locaux (en reprenant la « charte de l’élu local »).

Le texte comporte, par ailleurs, une disposition qui peut sembler relever de l’évidence. Elle précise que « tout mandat local se distingue d’une activité professionnelle et s’exerce dans des conditions qui lui sont propres ». Cette précision n’est pourtant pas anodine parce qu’elle a longtemps été mise en avant pour justifier la difficulté à concevoir un statut de l’élu local.

Une précision révélatrice d’un modèle de statut

La question de savoir si le « métier d’élu » ne pouvait pas être assimilé à une profession a constitué un obstacle à l’adoption d’un statut de l’élu local. Ainsi, la loi no 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux n’a pas utilisé le terme de « statut », mais de « garanties », « pour ne pas accréditer l’idée d’une professionnalisation de l’exercice des mandats locaux » (selon le sénateur Jean-Pierre Sueur).

Le débat sur la professionnalisation concerne surtout les exécutifs locaux (maires et adjoints, présidents et vice-présidents), qui sont de véritables administrateurs de leur collectivité, et sont soumis à ce titre à des régimes de responsabilité pénale et financière exigeants. On peut, en effet, les considérer comme des « managers » qui perçoivent en contrepartie de leur action des indemnités de fonction assimilées à une rémunération (soumises à l’impôt, ainsi qu’à la CSG et à la CRDS). Il peut donc paraître réducteur d’affirmer qu’ils n’exercent pas une forme d’activité professionnelle.

À l’inverse, le terme est peu adapté pour les conseillers sans délégation, dont la participation se limite aux séances du conseil et qui, pour la plupart, ne perçoivent aucune indemnité.

En réaffirmant que le mandat local se distingue d’une activité professionnelle, la proposition de loi renforce l’idée selon laquelle il s’agit d’une activité d’intérêt général exercée, en principe, à titre bénévole, conformément au principe selon lequel « le mandat de maire, d’adjoint ou de conseiller municipal est exercé à titre gratuit » (art. L. 2123-17 CGCT).

Cette affirmation ignore la très grande diversité des situations des élus locaux et des niveaux d’indemnisation. Si le conseiller municipal d’une petite commune ne perçoit rien, le conseiller départemental ou régional a droit à une indemnité mensuelle brute qui varie entre 1 500 euros à 2 700 euros brut selon la taille de la collectivité (CGCT, art. 3123-16 et art. 4135-16). De même, si le maire d’une petite commune ne peut recevoir plus de 1 000 € brut, les maires d’une ville, d’un président de département ou de région peuvent recevoir 5 600 € brut (CGCT, art. L. 2123-23 ; art. 3123-17 ; art. L. 4135-17) avec des possibilités de majoration de l’indemnité.

Il existe donc une forte disparité entre, d’une part, les élus qui ne peuvent assumer leur mandat qu’en exerçant une activité professionnelle ou en étant à la retraite et, d’autre part, ceux qui peuvent s’y consacrer pleinement.

La loi créant un statut de l’élu local est-elle symbolique ?

Cette loi est largement symbolique, parce que, tout bien considéré, elle officialise un statut qui existait déjà.

Elle apporte certes quelques ajustements. Pour les droits, elle augmente légèrement les indemnités des maires des petites communes. Elle étend aussi la protection fonctionnelle à tous les élus locaux et elle clarifie la notion de conflit d’intérêts en la limitant à la recherche d’un « intérêt privé » (et non à celui d’un « intérêt public »).

Pour les devoirs, elle prévoit l’obligation pour l’élu local de s’engager « à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité ainsi que les lois et les symboles de la République ». Cette disposition peut surprendre en ce qu’elle traduit une forme de défiance à l’égard de certains élus, que le législateur semble juger insuffisamment attachés aux principes républicains. Une telle obligation n’est en effet prévue pour aucune autre catégorie d’élus, qu’il s’agisse des députés, des sénateurs, ou même du président de la République.

Est-ce là le statut tant attendu par les élus locaux ? Leur offrira-t-il la protection et la reconnaissance qu’ils espéraient ? On peut en douter.

The Conversation

Arnaud Haquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

06.12.2025 à 08:52

Noël, la nostalgie et le marketing

Sasha Séjaï, Doctorante en marketing durable et comportement du consommateur, Université de Caen Normandie
Catherine Allix-Desfautaux, Maître de conférences en marketing, Université de Caen Normandie
Olivier Badot, Professeur titulaire de la chaire "Retailing 4.0", ESCP Business School
Quand le marketing se mue en machine à remonter le temps… il joue sur du velours, mais c’est peut-être notre avenir qu’il hypothèque.
Texte intégral (1288 mots)

Vous aimez Noël ? Les marques aussi ! Pendant cette période de l’année, elles peuvent mobiliser un puissant levier du marketing : la nostalgie et le cortège des émotions qui lui sont associées. De quoi faire plaisir à tout le monde ? Pas si sûr, car, tandis qu’on se tourne ému vers le passé toujours recommencé, on finit par en oublier le futur bien incertain.


Alors que vous finalisez l’achat des bonbons et des costumes pour le soir d’Halloween, au détour d’un rayon, c’est bien Mariah Carey que vous entendez et son infatigable tube de Noël ! La fête ne se limite plus à la semaine du 24 décembre, mais colonise désormais plus de deux mois dans l’année. Si elle plaît autant aux consommateurs, c’est qu’elle active chez nous une émotion particulièrement agréable, que, de surcroît, les marques savent parfaitement exploiter : la nostalgie !

Madeleine de Proust

La nostalgie, une émotion antinomique, à la fois agréable et douloureuse, qui invoque un passé idéalisé, presque parfait, qui tend, parfois, à ternir le présent. Historiquement, le terme remonte à 1688 lorsque le médecin alsacien Johannes Hofer introduit le concept de Heimweh en référence aux mercenaires helvétiques qui servent en France et en Italie. Selon Hofer, la nostalgie est une pathologie traumatique.

En psychologie, le concept de nostalgie se réfère à la mémoire autobiographique des individus ; une odeur, une chanson ou un plat, peuvent réactiver des souvenirs de l’enfance. Il s’agit de l’« effet madeleine de Proust». Les marques savent l’exploiter dans leurs boutiques en multipliant les stimulations olfactives et gustatives (chocolat chaud, biscuits de Noël, sapin), même quand elles ne vendent pas ces produits, créant ainsi une atmosphère familiale et nostalgique.

Dans cette perspective, Noël est une véritable bombe de nostalgie : musiques, décorations et plats, tous agissent comme des catalyseurs de souvenirs et d’émotions rassurants.

L’effervescence collective

D’un point de vue sociologique, la nostalgie est une expérience collective. Elle s’illustre au travers de rituels partagés qui consolident les liens sociaux entre les individus. Comme l’a souligné le sociologue Émile Durkheim, les rituels produisent une « effervescence collective ».


À lire aussi : La nostalgie, un puissant levier du marketing


De ce fait, la nostalgie est un levier émotionnel puissant qui réactive les souvenirs d’antan et rassure les consommateurs. Les marques l’ont bien compris et proposent lors des fêtes de fin d’année, non plus des produits mais de véritables capsules temporelles. Des marques ont réussi le pari de transformer des produits saisonniers en rituels attendus par les consommateurs.

Chaque année, le Caramel Brulée Latte ou le Peppermint Mocha de Starbucks déclenchent les mêmes réactions enthousiastes : les clients savent qu’ils retrouveront le goût, l’odeur et le packaging, autant de repères sensoriels puissants. Ces marques ont réussi à introduire de véritables repères temporels, transformant ce qui appartenait autrefois aux traditions familiales – odeurs, recettes et rituels familiaux – en rituels partagés avec la marque, que les consommateurs attendent tous les ans.

Un saut arrière dans le temps

Autre marqueur avec lequel les marques aiment jouer : le design des produits. Le reste de l’année, elles s’efforcent d’être originales et de se démarquer, lors de Noël, la tendance s’inverse. Le style vintage – les typographies anciennes, illustrations d’antan ou papiers cadeaux d’époque – font un saut dans le temps et transforment l’achat en une expérience mémorielle.

Cette appropriation temporelle s’illustre avec les calendriers de l’Avent et de l’après, qui constituent une pure invention du marketing. Dans nos souvenirs, ces calendriers se ressemblaient tous : un petit chocolat quotidien pour accompagner notre impatience jusqu’au soir de Noël. Aujourd’hui, ils se déclinent sous toutes les formes et s’adressent principalement aux adultes : cosmétiques, figurines, bières, accessoires de luxe… Les marques ont réussi le pari de s’approprier une fête familiale et d’imposer de nouveaux codes.

Noël commence désormais dès le mois d’octobre et s’étend jusqu’au mois de janvier. Cette extension temporelle transforme Noël en outil idéal pour alimenter la surconsommation légitimée par l’atmosphère festive et nostalgique. Ainsi, les marques ne construisent plus leurs campagnes pour un consommateur rationnel mais davantage pour l’enfant que nous étions. Comme l’explique la chercheuse Krystine Batcho, dont les travaux portent sur la nostalgie, les éléments de notre enfance apportent un réconfort émotionnel et répondent à notre besoin cognitif de se dire que, quoiqu’il arrive, tout finira par s’arranger.

Dilemme et stratégies de rationalisation

Si cette nostalgie procure réconfort et douceur, elle agit toutefois comme un frein à la transition écologique. Les décorations, la montagne de cadeaux et les repas gargantuesques en famille sont unanimement rattachés à nos souvenirs d’enfance. Renoncer à ces rituels peut donner l’impression de trahir l’enfant que nous étions.

France Culture 2020.

Ce dilemme illustre parfaitement l’état de dissonance cognitive. Nous savons tous que la surconsommation au moment des fêtes de fin d’année représente un coût écologique : surproduction et surconsommation de biens, énergie nécessaire pour les décorations, achats impulsifs… Pourtant, nous réduisons cet inconfort psychologique avec des stratégies de rationalisation « C’est juste une fois dans l’année » ou encore de neutralisation « Les vrais responsables ce sont les marques, pas moi ».

Comment concilier la dimension nostalgique du Noël de notre enfance sans sacrifier l’avenir ? Plusieurs pistes existent : fabriquer ses propres décorations en transformant l’activité en rituel familial, privilégier des cadeaux durables et locaux, ou préférer les moments partagés plutôt que les objets accumulés.

L’enjeu central est de préserver l’esprit de Noël tout en pensant au futur, pour que la nostalgie reste une douceur et ne devienne pas une amertume.

The Conversation

Sasha Séjaï est membre du laboratoire de recherche NIMEC. Elle a reçu des financements de l'Université de Caen Normandie.

Catherine Allix-Desfautaux et Olivier Badot ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

05.12.2025 à 17:13

Un guide Michelin des vins : une vraie fausse bonne idée ?

Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Professeur affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux
Le guide Michelin va lancer un guide des domaines viticoles. Rien ne dit que le succès sera au rendez-vous.
Texte intégral (1458 mots)

Le célébrissime guide Michelin va proposer un guide des domaines viticoles. La diversification peut sembler logique. Après les mets, les vins… Toutefois, l’environnement concurrentiel est tel que rien ne dit que le nouveau guide connaîtra le même succès que son glorieux aîné. À l’ère des réseaux sociaux et des influenceurs, quelle place peut espérer occuper un enième guide professionnel ?


Dans un secteur déjà saturé de guides, d’experts, de revues spécialisées et de prescripteurs en tout genre, le guide Michelin annonce son entrée sur le marché de la notation des domaines viticoles. Erreur stratégique en perspective ou poursuite d’une diversification réussie ? Si la question reste ouverte pour le moment, on peut se demander si le guide Michelin ne se trompe pas (légèrement) de cible. Car la notation de la dimension œnotouristique des domaines semblerait a priori bien plus pertinente pour ce guide, né en 1900, qui évalue le secteur de l’hospitalité depuis 1926 (pour les restaurants et depuis 2024 pour les hôtels).

Un marché des experts déjà très concurrentiel

Le segment de l’expertise viticole est dominé depuis plusieurs décennies par une série d’acteurs spécialisés. Parmi les plus connus, on trouve le Wine Advocate (fondé par le célèbre Robert Parker), le Wine Spectator (la revue américaine spécialisée sur le vin qui touche 3,5 millions de lecteurs), la célèbre experte anglaise Jancis Robinson et la revue britannique Decanter (qui organise un concours international des vins bien connu), ou pour la France, La Revue du Vin de France et le Guide Hachette.

Chacun d’entre eux possède des méthodologies stabilisées et une légitimité historique auprès des particuliers mais aussi auprès des professionnels (détaillants, négociants, importateurs). Ce monde de l’expertise dans le vin et tous ses enjeux sont décrits de façon détaillée dans un article académique. Il souligne notamment le rôle central que ces acteurs jouent dans la formation des prix, en particulier pour les vins fins. L’entrée d’un nouvel évaluateur généraliste, en l’occurrence un guide gastronomique, même prestigieux, se positionnerait face à des experts techniques dont le cœur de métier est déjà parfaitement installé. La voie est donc étroite pour Michelin.


À lire aussi : Comment le Guide Michelin rebat les cartes des restaurants qu’il récompense


Un déplacement vers les communautés de consommateurs

Plus grave, le guide Michelin se positionne en tant qu’expert traditionnel dans un monde où les consommateurs privilégient désormais l’information issue de leurs pairs plus que de celle émanant des experts. La littérature académique démontre cette prédominance nouvelle des consumers geeks qui alimentent par dizaines de millions les notes agrégées de sites comme Vivino ou CellarTracker.

À l’instar de l’hôtellerie et de la restauration, ces notes et commentaires de consommateurs tendent à supplanter l’influence des experts traditionnels. Ce sont ces notes qui font les prix du vin à présent, plus que celles des experts, y compris dans le haut de gamme. Cette tendance de fond réduit considérablement l’espace de marché potentiel pour le guide Michelin. Son entrée sur le marché de l’expertise du vin se fait donc à contretemps de l’évolution du marché.

Des critères de notation encore flous

Dans ce contexte, la capacité du guide Michelin à imposer une nouvelle grille d’évaluation reste incertaine, d’autant que les cinq critères annoncés demeurent flous : la qualité de l’agronomie, la maîtrise technique, l’identité, l’équilibre, la constance. Le vocabulaire est imprécis, trop général, sans métrique ni méthode avancée pour saisir des critères souvent qualitatifs et éminemment subjectifs.

Cela nuit à la lisibilité et à l’objectivité de la démarche. Au final, qu’apporte cette nouvelle grille de lecture ? Que mesure-t-on exactement ? La qualité du vin, les processus menant à la réalisation du vin ? Le guide Michelin navigue entre le monde de l’expertise de processus (agronomique) et de produit (œnologique). Ce positionnement ambigu pourrait ne pas être compris par les utilisateurs potentiels.

Un atout : le capital de marque international

Pour autant, la stratégie du guide Michelin n’est pas sans fondement. Elle s’appuie sur une notoriété mondiale et une audience internationale à fort pouvoir d’achat. Le guide espère donc capter dans un premier temps sa propre clientèle. La force de la marque est ainsi son argument majeur, et l’on sait l’importance de la marque dans le monde du luxe. Cette reconnaissance constitue notamment un levier puissant pour attirer des consommateurs étrangers en quête de repères simples, particulièrement dans des régions viticoles complexes comme la Bourgogne ou Bordeaux où le guide débutera son activité de notation viticole.

Le capital réputationnel du guide Michelin comprend aussi son savoir-faire en matière d’évaluation. Avec ses étoiles, le guide manie depuis 1926 un système d’évaluation multicritères opaque mais néanmoins reconnu et respecté. Notons d’ailleurs que tous les experts du vin développent un système qui leur est propre et dont la transparence n’est pas la première qualité.

Dès lors, d’un point de vue économique, la notation des domaines viticoles peut être interprétée comme un mouvement logique de diversification horizontale. Michelin capitalise sur sa compétence centrale – la construction de standards de qualité – pour pénétrer un secteur adjacent à celui de la gastronomie.

En attendant l’évaluation œnotouristique

Cette stratégie de diversification peut toutefois être interrogée. Le guide Michelin possède un savoir-faire et une réputation dans l’hospitalité. L’œnotourisme apparait alors comme le secteur lié au vin le plus pertinent. Le guide Michelin, fort de son expertise en matière de destinations, d’expériences et de services, aurait pu s’imposer de manière naturelle sur ce terrain en évaluant des critères, tels que la qualité de l’accueil, le parcours/la visite du domaine, la cohérence de l’offre touristique, la gastronomie locale associée, l’expérience globale du visiteur, etc. Autant de critères sur lesquels la compétence est déjà présente et l’avantage concurrentiel incontestable.

Legend 2025.

En outre, l’industrie œnotouristique représente aujourd’hui un marché en expansion rapide : 18 % de croissance moyenne annuelle en Europe, selon le Global Wine Tourism Report (2025) de la Commission européenne. L’œnotourisme (et le tourisme gastronomique, très souvent liés) sont totalement alignés avec l’histoire du guide Michelin et avec les attentes de la clientèle internationale premium qu’il capte déjà en partie.

A minima, une stratégie tournée vers l’œnotourisme aurait dû constituer une étape vers l’évaluation des vins et des vignerons. Le risque d’aller directement sur l’évaluation du vin est double. C’est d’abord le risque de dilution de crédibilité lié à un manque de légitimité. Mais aussi le risque d’arriver bien trop tard, à contre-courant des tendances, dans un marché du vin en plein essoufflement. La force de la marque suffira-t-elle ? L’avenir nous le dira.

The Conversation

Jean-Marie Cardebat est Président de la European Association of Wine Economists

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