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06.09.2025 à 10:31

Les marchés financiers ne servent pas l’intérêt général

Pablo Pillaud-Vivien
On les présente comme des arbitres incontournables, parfois comme une menace permanente planant au-dessus des États. Les marchés financiers seraient le juge suprême de nos politiques publiques, conditionnant notre capacité à investir, à emprunter, à assurer des retraites décentes. Mais derrière ce mythe, il y a une réalité beaucoup plus triviale : les marchés financiers ne financent rien d’utile à la collectivité.
Texte intégral (815 mots)

On les présente comme des arbitres incontournables, parfois comme une menace permanente planant au-dessus des États. Les marchés financiers seraient le juge suprême de nos politiques publiques, conditionnant notre capacité à investir, à emprunter, à assurer des retraites décentes. Mais derrière ce mythe, il y a une réalité beaucoup plus triviale : les marchés financiers ne financent rien d’utile à la collectivité.

Les bourses et autres institutions financières ne sont pas là pour alimenter l’investissement productif. Elles échangent des titres déjà émis, spéculent sur des actifs, gonflent artificiellement la valeur des actions par le biais de rachats massifs. Leurs gigantesques transactions quotidiennes n’apportent pas un centime d’investissement nouveau. Elles alimentent surtout la concentration du capital et la logique de fusions-acquisitions qui structure depuis quarante ans le capitalisme financier.

Comme le souligne l’économiste Jean-Marie Harribey (nous ne pouvons que trop vous recommander la lecture de son blog : https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey), « pour la production et la satisfaction des besoins collectifs, les marchés financiers ne servent strictement à rien ». Au contraire, ils organisent la destruction de richesses et fragilisent les institutions sociales, comme on le voit avec les fonds de pension qui minent l’esprit solidaire des retraites par répartition.

En France, le discours officiel répète à l’envi que la dette nous rend dépendants des marchés : si nous ne sommes pas « sérieux », alors les investisseurs se détourneront de nous et les taux grimperont. François Bayrou, commissaire au Plan, en a encore fait son refrain, alignant les chiffres pour mieux dramatiser la situation. Emmanuel Macron, lui, en a fait une arme politique, justifiant la réforme des retraites, la casse de l’assurance chômage ou la réduction des budgets publics au nom de la « responsabilité ».

Mais ce récit oublie une donnée essentielle : c’est parce que les traités européens interdisent aux États d’emprunter directement auprès de leur banque centrale qu’ils sont contraints de passer par les marchés. Ce n’est pas une fatalité économique, c’est une construction politique.

L’État n’est pas un ménage. Contrairement à une famille, il ne rembourse jamais l’intégralité de sa dette : chaque emprunt arrivé à échéance est renouvelé par un autre. Surtout, il lègue aux générations futures non pas seulement des dettes, mais un patrimoine (hôpitaux, écoles, infrastructures) qui pèse plus lourd que l’endettement lui-même. Pourtant, ce qu’on martèle, c’est l’image d’une France « en faillite » à cause de sa dette publique.

Ce discours n’est pas neutre. Il justifie, en France, des politiques d’austérité qui affaiblissent les services publics, désarment la puissance publique et nourrissent un sentiment de dépossession. Ce sentiment, l’extrême droite s’en empare en prétendant offrir des solutions « souverainistes », alors qu’elle ne fait que recycler la logique néolibérale sous un vernis nationaliste.

Le gouvernement Macron porte une lourde responsabilité dans cette dépossession. En agitant l’épouvantail de la dette, il fabrique du consentement à des politiques injustes, antisociales et profondément impopulaires. François Bayrou joue les prophètes de malheur, mais la mise en scène de la peur n’est qu’un outil de plus pour imposer une austérité qui n’a rien d’inévitable.

Pourtant, les solutions existent. La crise du Covid l’a montré : quand la survie du système était en jeu, la Banque centrale européenne a massivement soutenu les États, brisant en quelques mois des dogmes présentés comme infranchissables. De la même manière, la création d’un pôle public bancaire, longtemps écartée comme une utopie gauchiste, apparaît désormais comme une nécessité pour reprendre la main sur l’argent collectif.

Comme le rappelle Harribey : « Ce n’est pas l’épargne qui finance les investissements, mais la décision collective de les réaliser. » Autrement dit, la clé est politique, pas comptable.

La question est donc moins économique que politique : qui décide de l’usage de notre argent ? Les marchés financiers, au service de la rentabilité des grands groupes ? Ou bien les citoyens, par l’intermédiaire d’institutions publiques capables de financer les investissements nécessaires à la transition écologique et sociale ?

En France, la gauche ne pourra retrouver de crédibilité qu’en affrontant ce cœur du pouvoir. Car il ne s’agit pas seulement de répondre aux marchés : il s’agit de redonner à la société le sentiment qu’elle décide à nouveau de son destin.

05.09.2025 à 15:16

La lettre de Regards et Politis du 5 septembre 📨

la Rédaction
Les marchés financiers ne servent pas l’intérêt général
Texte intégral (1566 mots)

Tous les vendredis, les rédactions web de Regards et Politis unissent leurs forces pour vous donner à lire, à écouter et à penser. Des éditos, des articles et des vidéos pour comprendre une actualité de la semaine.

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Les marchés financiers ne servent pas l’intérêt général

par Pablo Pillaud-Vivien

On les présente comme des arbitres incontournables, parfois comme une menace permanente planant au-dessus des États. Les marchés financiers seraient le juge suprême de nos politiques publiques, conditionnant notre capacité à investir, à emprunter, à assurer des retraites décentes. Mais derrière ce mythe, il y a une réalité beaucoup plus triviale : les marchés financiers ne financent rien d’utile à la collectivité.

Les bourses et autres institutions financières ne sont pas là pour alimenter l’investissement productif. Elles échangent des titres déjà émis, spéculent sur des actifs, gonflent artificiellement la valeur des actions par le biais de rachats massifs. Leurs gigantesques transactions quotidiennes n’apportent pas un centime d’investissement nouveau. Elles alimentent surtout la concentration du capital et la logique de fusions-acquisitions qui structure depuis quarante ans le capitalisme financier.

Comme le souligne l’économiste Jean-Marie Harribey (nous ne pouvons que trop vous recommander la lecture de son blog : https://blogs.alternatives-economiques.fr/harribey), « pour la production et la satisfaction des besoins collectifs, les marchés financiers ne servent strictement à rien ». Au contraire, ils organisent la destruction de richesses et fragilisent les institutions sociales, comme on le voit avec les fonds de pension qui minent l’esprit solidaire des retraites par répartition.

En France, le discours officiel répète à l’envi que la dette nous rend dépendants des marchés : si nous ne sommes pas « sérieux », alors les investisseurs se détourneront de nous et les taux grimperont. François Bayrou, commissaire au Plan, en a encore fait son refrain, alignant les chiffres pour mieux dramatiser la situation. Emmanuel Macron, lui, en a fait une arme politique, justifiant la réforme des retraites, la casse de l’assurance chômage ou la réduction des budgets publics au nom de la « responsabilité ».

Mais ce récit oublie une donnée essentielle : c’est parce que les traités européens interdisent aux États d’emprunter directement auprès de leur banque centrale qu’ils sont contraints de passer par les marchés. Ce n’est pas une fatalité économique, c’est une construction politique.

L’État n’est pas un ménage. Contrairement à une famille, il ne rembourse jamais l’intégralité de sa dette : chaque emprunt arrivé à échéance est renouvelé par un autre. Surtout, il lègue aux générations futures non pas seulement des dettes, mais un patrimoine (hôpitaux, écoles, infrastructures) qui pèse plus lourd que l’endettement lui-même. Pourtant, ce qu’on martèle, c’est l’image d’une France « en faillite » à cause de sa dette publique.

Ce discours n’est pas neutre. Il justifie, en France, des politiques d’austérité qui affaiblissent les services publics, désarment la puissance publique et nourrissent un sentiment de dépossession. Ce sentiment, l’extrême droite s’en empare en prétendant offrir des solutions « souverainistes », alors qu’elle ne fait que recycler la logique néolibérale sous un vernis nationaliste.

Le gouvernement Macron porte une lourde responsabilité dans cette dépossession. En agitant l’épouvantail de la dette, il fabrique du consentement à des politiques injustes, antisociales et profondément impopulaires. François Bayrou joue les prophètes de malheur, mais la mise en scène de la peur n’est qu’un outil de plus pour imposer une austérité qui n’a rien d’inévitable.

Pourtant, les solutions existent. La crise du Covid l’a montré : quand la survie du système était en jeu, la Banque centrale européenne a massivement soutenu les États, brisant en quelques mois des dogmes présentés comme infranchissables. De la même manière, la création d’un pôle public bancaire, longtemps écartée comme une utopie gauchiste, apparaît désormais comme une nécessité pour reprendre la main sur l’argent collectif.

Comme le rappelle Harribey : « Ce n’est pas l’épargne qui finance les investissements, mais la décision collective de les réaliser. » Autrement dit, la clé est politique, pas comptable.

La question est donc moins économique que politique : qui décide de l’usage de notre argent ? Les marchés financiers, au service de la rentabilité des grands groupes ? Ou bien les citoyens, par l’intermédiaire d’institutions publiques capables de financer les investissements nécessaires à la transition écologique et sociale ?

En France, la gauche ne pourra retrouver de crédibilité qu’en affrontant ce cœur du pouvoir. Car il ne s’agit pas seulement de répondre aux marchés : il s’agit de redonner à la société le sentiment qu’elle décide à nouveau de son destin.

Pablo Pillaud-Vivien

Comment la macronie joue avec les marchés pour mieux s’imposer

par Pierre Jequier-Zalc

En tenant un discours catastrophiste, puis en annonçant un vote de confiance à quatre jours du rendu de la note de la France par l’agence Fitch, l’actuel premier ministre joue avec les citoyens en créant le risque que les marchés financiers s’affolent. Décryptage d’une stratégie inflammable et dangereuse.

Un article à lire juste 👉 ici

Trump contre la Fed : comment l’histoire impose la question d’une politique démocratique de la banque centrale — par Adam Tooze

par Adam Tooze

Adam Tooze, historien britannique, spécialiste de l’histoire économique du XXème siècle, critique la pertinence de l’opposition « libérale » à Donald Trump et interroge la défense de l’indépendance de la Fed et des banques centrales.

Un article à lire juste 👉 ici

« Il faut instaurer un rapport de force citoyen avec les marchés financiers »

A l’heure où l’on parle de budget matin, midi et soir, Anne-Laure Delatte, économiste, est l’invitée de #LaMidinale.

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05.09.2025 à 15:15

Comment la macronie joue avec les marchés pour mieux s’imposer

Pierre Jequier-Zalc
En tenant un discours catastrophiste, puis en annonçant un vote de confiance à quatre jours du rendu de la note de la France par l’agence Fitch, l’actuel premier ministre joue avec les citoyens en créant le risque que les marchés financiers s’affolent. Décryptage d’une stratégie inflammable et dangereuse.
Texte intégral (1678 mots)

En tenant un discours catastrophiste, puis en annonçant un vote de confiance à quatre jours du rendu de la note de la France par l’agence Fitch, l’actuel premier ministre joue avec les citoyens en créant le risque que les marchés financiers s’affolent. Décryptage d’une stratégie inflammable et dangereuse.

Au crépuscule de l’été, la prise de parole de François Bayrou a fait l’effet d’un électrochoc. Le premier ministre annonce, sur un ton sacrificiel, qu’il mettra son poste – et, avec, son gouvernement – en jeu lors d’un vote de confiance devant les parlementaires le 8 septembre. Une échéance particulièrement rapide alors qu’on imaginait les débats budgétaires s’enliser tout au long de l’automne. Vite, le choix du 8 septembre est analysé comme un moyen de couper l’herbe sous le pied du mouvement, né sur les réseaux sociaux, qui menace de « tout bloquer » le 10 septembre.

Mais personne, ou presque, ne remarque que deux jours plus tard, le 12 septembre, l’agence de notation Fitch doit rendre de nouveau son verdict sur la note souveraine de la France. Et que tout porte à croire qu’elle va, encore, la dégrader. Un camouflet pour Emmanuel Macron et ses gouvernements. Mais surtout une opportunité de poursuivre sa politique encore plus austéritaire. Un paradoxe invisible mais bien réel.

Pour le comprendre, il faut déjà se pencher sur ce que représentent les agences de notation. Aujourd’hui, il en existe une pelletée mais trois d’entre elles détiennent la quasi-totalité du marché. Leur nom est assez connu, pour revenir régulièrement dans le débat public à chaque nouvelle attribution de la note française : Standard & Poor’s, Moody’s, et Fitch. On les surnomme le « Big Three ». Leur activité est assez simple à comprendre : elles attribuent des notes aux émetteurs de dette. Plus la note est élevée, plus l’émetteur est réputé solvable et fiable. Et inversement. Elles représentent ainsi une boussole pour les investisseurs.

Après la Seconde Guerre mondiale, celles-ci notent essentiellement des émetteurs de dettes privés et des collectivités territoriales américaines. « Jusqu’aux années quatre-vingt, il n’y avait que peu d’États qui étaient notés, car ceux-ci n’émettaient que peu d’obligations [les titres de dette, N.D.L.R.] », explique Norbert Gaillard, économiste et auteur du Repères Les agences de notation (La Découverte, 2022). Suite à la crise pétrolière des années soixante-dix, les États décident de s’endetter pour continuer à se financer. Et donc d’émettre massivement des obligations. Les agences de notation se mettent alors à noter la solvabilité des pays.

Le mécanisme est alors le même que pour de la dette privée. Les agences attribuent une « note souveraine » à chaque État et les investisseurs en font un de leurs indicateurs phares pour juger du risque – et donc du taux d’intérêt notamment – de prêter au pays en question. Historiquement, la France possède une excellente note. En 2010, celle-ci était notée AAA, soit la meilleure possible, par les trois agences du « Big three ». Quinze ans plus tard, celle-ci a été abaissée de trois crans.

Or, tout semble indiquer qu’elle devrait encore baisser dans les prochains jours. En effet, Fitch doit rendre son verdict le 12 septembre. En mars dernier, lorsque l’agence avait décidé de maintenir sa note, elle avait donné une « perspective négative », expliquant ce qui pourrait l’amener à passer de AA- à A. Et notamment, « [l’]incapacité à mettre en œuvre un plan crédible d’assainissement budgétaire à moyen terme, par exemple en raison de l’opposition politique ou de pressions sociales ». En annonçant un plan budgétaire d’une austérité rare, François Bayrou s’est garanti que ces deux derniers éléments seraient regroupés : une colère sociale, et une forte opposition politique.

Pis, en mettant en jeu son gouvernement le 8 septembre et en tenant un discours particulièrement catastrophiste sur l’état des finances publiques, le premier ministre crée de la tension sur les marchés financiers. Ainsi, depuis son annonce le 25 août, le taux d’intérêt de la dette française à échéance 30 ans a dépassé les 4,5 %. Un record depuis 2011 et la crise des dettes souveraines. « Je suis atterré par le comportement du gouvernement et notamment du premier ministre, souffle Dominique Plihon, professeur émérite à l’université Sorbonne Paris Nord, et membre du conseil scientifique d’Attac, « en dramatisant la question de la dette, il fait tout pour créer un affolement des marchés et donc une hausse des taux ».

Outre l’instabilité politique, c’est aussi, et surtout, l’éventualité que la France sorte de l’orthodoxie budgétaire qui inquiète les agences de notation et les marchés financiers. « Ce qui pourrait véritablement provoquer un décrochage de la France sur les marchés, ce n’est pas tant l’instabilité parlementaire qu’une subversion sociale accompagnée d’une décision politique explicite de rompre avec « l’ordre de la dette » et ses injonctions », souligne Benjamin Lemoine, sociologue, chercheur au CNRS et auteur de La Démocratie disciplinée par la dette (La Découverte, 2022). « Les agences de notation restent attachées à l’orthodoxie budgétaire, abonde Norbert Gaillard, elles considèrent qu’un État peut s’endetter, dès lors qu’il existe des perspectives de croissance forte et saine. Or, on pêche à convaincre des perspectives en termes de croissance comme en notre capacité à réduire notre déficit. »

Cette vision économique a, évidemment, des conséquences sur les politiques menées. « On a laissé des agences de notation privées avoir le pouvoir de décider ce qui est acceptable ou non pour les marchés financiers. On leur laisse faire la pluie et le beau temps alors que leur notation n’est absolument pas en fonction d’objectifs sociaux, climatiques et environnementaux, par exemple », dénonce Maxime Combes, économiste et membre d’Attac.

En ce sens, le comportement, ces derniers jours, de François Bayrou présente un double intérêt pour un pouvoir qui assume de protéger, quoi qu’il en coûte, les intérêts du capital : créer un stress sur la solvabilité française mais, également, préparer le terrain à un chantage à la dette encore plus important. Expliquons-nous : si le premier ministre tombe le 8 septembre, Fitch dégradera, très certainement, la note de la France. Pas uniquement du fait de l’instabilité politique, mais aussi par peur de voir une politique contraire au néolibéralisme actuel advenir. L’enchaînement de ces deux évènements risque, forcément, d’avoir des effets sur les marchés financiers et, donc, sur les taux d’intérêt à 10 comme à 30 ans. Ce qui permettra à la Macronie d’augmenter la pression sur le chantage à la dette. « La dette est un moyen d’appliquer des politiques néolibérales encore plus dures », souligne Dominique Plihon.

La réaction des marchés financiers est donc, sans doute, la variable la plus importante à suivre dans les prochains jours. À quel point ceux-ci s’affoleront ? Après l’annonce de la dissolution, en juin 2024, les taux avaient déjà bondi, sans pour autant s’envoler. Demeurant, donc, soutenable pour une économie comme la France. Certains prédisent un scénario à la grecque, où la dégradation importante de la note du pays avait plongé le pays dans la faillite. Celui-ci reste toutefois, à ce jour, assez improbable : « Je n’y crois pas mais je peux me tromper. Nous avons une économie beaucoup plus saine à tout point de vue, sur le plan financier qu’il soit privé et public », souligne Dominique Plihon, prenant en exemple la capacité de l’État français à lever l’impôt. « Nous ne sommes pas la Grèce, loin de là. Il reste de l’épargne, d’importantes niches fiscales, etc. », abonde Norbert Gaillard.

Ces derniers jours, la France a ainsi réussi à lever sans aucun problème 11 milliards d’euros sur les marchés. Si le taux d’intérêt est élevé, cela démontre toutefois la confiance que continuent d’avoir les prêteurs en la solvabilité du pays. Et donc le caractère assez peu probable d’un « défaut brutal » selon les termes de Benjamin Lemoine. « La probabilité la plus forte n’est pas celle d’un défaut brutal mais d’une démocratie durablement placée sous la tutelle exercée par des créanciers hybrides – banques centrales et marchés de capitaux qui avancent de concert comme deux mâchoires d’un même étau. »

Une démocratie qui, au fil des élections, s’oppose toujours plus largement à la politique d’Emmanuel Macron et de ses gouvernements. Pour continuer à l’appliquer, il faut donc essayer de la rendre inéluctable. En criant à la faillite, François Bayrou – avec l’aval du chef de l’État – crée les conditions de possibilités d’une prophétie autoréalisatrice. Au point que si son gouvernement s’abouse, lundi, cela ne pourrait être qu’une étape vers un budget encore plus austéritaire que celui annoncé le 15 juillet. Car la Macronie et les marchés partagent le même néolibéralisme idéologisé : pour réduire le déficit, cela ne peut passer que par une baisse des dépenses publiques. Une alliance en marche, au détriment de la démocratie.

04.09.2025 à 13:57

Trump contre la Fed : comment l’histoire impose la question d’une politique démocratique de la banque centrale — par Adam Tooze

Adam Tooze
L'historien Adam Tooze critique la pertinence de l'opposition "libérale" à Donald Trump et interroge la défense de l'indépendance de la Fed et des banques centrales.
Texte intégral (5758 mots)

Adam Tooze, historien britannique, est professeur à la Columbia University de New-York. Face à la volonté de Trump de prendre le contrôle de la banque centrale étasunienne, la Fed, il interroge la pertinence de l’opposition « libérale » et démocrate et celle de la défense de « l’indépendance » de la Fed vis-à-vis du pouvoir politique. Il plaide pour une alternative plus démocratique de la conduite de la politique monétaire. Une réflexion à poursuivre sur l’indépendance des banques centrales.

***
Ce texte est la traduction d’une newsletter de Adam Tooze, du 26 août 2025, publiée avec l’autorisation de son auteur.

Les intertitres sont de la rédaction de Regards
***

La longue guerre de Trump contre la Fed1.

La décision de Donald Trump de licencier le gouverneur de la Fed, Lisa Cook2, « pour un motif valable », intensifie sa longue bataille avec la banque centrale américaine.

La nouvelle a suscité l’indignation. Dans les pages du Financial Times3, David Wessel, directeur du « Hutchins Center for Fiscal and Monetary Policy » à la Brookings Institution, a mis en garde : « Le président Trump semble déterminé à contrôler la Fed – et utilisera tous les leviers dont il dispose pour obtenir une majorité au sein du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale ». Il ajoute : « C’est une façon de plus pour le président de saper les fondements de notre démocratie ».

Si l’expression « notre démocratie » de M. Wessel a fait mouche, Paul Krugman4 a fait encore mieux, titrant son post : « We are all Lisa Cook ». Et, comme il n’est pas du genre à se retenir, Krugman a conclu son cri de ralliement par : « Je suis Spartacus ! »


Aujourd’hui, les mesures prises par M. Trump sortent de l’ordinaire. Elles intensifient ses attaques de longue date non seulement avec la Fed, mais aussi avec l’ensemble des institutions fédérales.

En mai, lorsqu’elle s’est prononcée sur le licenciement par M. Trump de fonctionnaires du National Labor Relations Board, la Cour suprême a pris soin d’insister5 sur le fait que « la Réserve fédérale est une entité quasi-privée, à la structure unique, héritière de la tradition historique spécifique des première et seconde Banque des États-Unis ». Le président ne peut donc pas renvoyer le président ou les gouverneurs sans motif. Il existe toutefois dans la loi sur la Réserve fédérale de 1913, une clause jamais utilisée ni discutée en justice, qui permet de licencier le président ou les gouverneurs pour « motif valable »6. Et depuis le mois de mai, le camp Trump semble s’être mis en chasse de « motifs ». Il y a d’abord eu les coûts de construction de la rénovation de la Fed. Maintenant, il y a la demande de prêts immobiliers de Cook.

Il est intéressant de se demander pourquoi le camp Trump intensifie l’escalade à ce point et aussi rapidement. Après tout, la Fed s’apprête à réduire ses taux. Il va obtenir ce qu’il veut. Pourquoi accélère-t-il la cadence ?

Est-ce de l’opportunisme ? Ils ont trouvé un sujet de bagarre et ils vont l’exploiter. S’agit-il d’une question d’orgueil démesuré des MAGAS et d’obsession du contrôle ? Ils sont déterminés à briser la Fed en tant qu’institution indépendante. S’agit-il d’un plan de longue haleine concernant la réglementation bancaire ? Ou sont-ils réellement préoccupés par l’état de l’économie américaine et donc déterminés à prendre le contrôle de la politique de la Fed, afin de pouvoir lancer un plan de relance majeur en 2026, avant les élections de mi-mandat ?

La réaction des libéraux et démocrates

Mais arrêtons-nous un instant sur la réaction des libéraux. Elle aussi est révélatrice. Considérez l’identification personnelle qui est invoquée ici. « NOTRE démocratie ». « Je suis Spartacus ! »

À un certain niveau, c’est idiot. À un autre niveau, c’est douloureusement vrai.

C’est idiot parce que la Fed est une institution très peu démocratique. L’une des raisons pour lesquelles l’équilibre au sein du Conseil d’administration de la Fed est si important est que l’année prochaine, les présidents régionaux de la Fed doivent être nommés (avec approbation par le Conseil d’administration de la Fed). En choisissant les présidents régionaux, la Fed à Washington à un œil sur ce qui est sans cela une affaire opaque et sans responsabilité, dominée par des comités locaux d’intérêts commerciaux. La Fed est l’une des branches du gouvernement américain où les entreprises sont directement représentées au pouvoir. Réfléchissez un instant : « Je suis Spartacus ! »

Les personnes à l’intérieur de ce système ont du pouvoir. Lisa Cook n’est pas une personne comme vous et moi, dont les opinions divergent de celles de Trump. Elle est gouverneur de la Réserve fédérale. Elle dispose d’un droit de vote au sein de l’un des comités décisionnels les plus importants au monde. Paul Krugman n’a pas ce pouvoir. Je ne l’ai pas. Nous ne l’avons pas. Nous ne sommes PAS tous des Lisa Cook.

Mais si l’on met de côté l’aspect indigné et outrancié de ces déclarations ( « Nous sommes tous Lisa Cook »; « Je suis Spartacus » ), on découvre soudain quelque chose de douloureusement vrai.

Lisa Cook est un exemple classique de gestionnaire professionnel compétent et performant, du moins c’est ainsi qu’elle m’a semblé lorsque j’ai eu le privilège de siéger avec elle dans un comité. Elle est « l’une des nôtres ». Dans ce sens restreint, Krugman n’a pas tort. Toute personne qui exerce un certain degré d’autorité et de contrôle dans le style propre à la classe managériale-professionnelle et cela inclut probablement une bonne partie des personnes qui lisent cette lettre d’information ou celle de Krugman – apparait ainsi plus ou moins vulnérable au type d’attaque et de harcèlement dont elle fait l’objet. Et nous devrions le savoir. Après tout, l’éthique, l’information et la divulgation sont au cœur de nos métiers.

En ce qui concerne ce « nous » plus restrictif, Wessel n’a pas tort non plus. Si par « notre démocratie », nous entendons la démocratie du type de celle du Brookings Institution7 , alors oui : les piliers de « notre démocratie » ainsi comprise sont très menacés.

MAGA 2.0 veut clairement contester « notre » autorité et redéfinir le fonctionnement de « notre » démocratie américaine. Ils veulent aussi faire un tas de choses beaucoup plus flagrantes comme le redécoupage des districts électoraux, la manipulation des votes, etc. mais c’est une autre histoire.

Mais plutôt que de simplement nous faire réagir avec horreur, cela devrait nous faire réfléchir. C’est aussi un autre de ces moments qui rappellent la réaction de Barack Obama, indignée mais tellement révélatrice : « Imaginez si j’avais fait *N’IMPORTE QUELLE* de ces choses ».

Eh bien oui ! Imaginez …

Pourquoi les administrations démocrates n’ont-elles pas été aussi ambitieuses, déterminées, impitoyables, agressives, preneuses de risques, pour ne pas dire courageuses, dans la poursuite de notre agenda que les MAGA le sont dans la poursuite du leur ? Les MAGA sont peut-être fous et téméraires. Mais ils sont prêts à prendre des risques comme « nous » ne l’avons pas fait. « Notre démocratie » était peut-être compétente, mais elle était aussi conformiste.

La commission à laquelle je participais avec Lisa Cook était consacrée à la question « Finance et transition aux énergies vertes ». Elle comprenait également Sarah Bloom Raskin, ancien membre du Conseil des gouverneurs de la Fed. En 2022, elle a été nommée à un poste de régulateur de haut niveau à la Fed. Elle a du se retirer à la suite d’un scandale monté de toutes pièces par les républicains et face à l’opposition du sénateur Manchin de Virginie-Occidentale. Cet incident est très révélateur de la manière dont les contraintes fonctionnent de manière asymétrique dans la démocratie américaine. Les Républicains ont été totalement impitoyables et Manchin, un républicain pur jus8, a fermement tenu le fouet. Bien entendu, les démocrates n’étaient pas des innocents. Ils menaient un combat juridique sur d’autres fronts, mais pas sur celui de la finance. Or c’est là que résident les choses sérieuses. Des justifications extrêmement élaborées avaient été formulées pour soutenir qu’il était approprié pour les banquiers centraux de s’engager dans la transition vers l’énergie verte. Aux États-Unis, il a toujours été clair qu’aucune de ces justifications n’avait de chance d’aboutir. Manchin a planté le dernier clou dans le cercueil. Et il n’y avait pas de trucs moches à sortir contre Manchin ? Vraiment, rien du tout ? Rien pour faire bouger le barrage qu’il a dressé à un moment critique ?

L’indépendance de la Banque centrale en question

Et puis il y a les arguments économiques. Pour la Fed, la MMT – Modern Monetary Theory9 – est un anathème et mettre de la politique dans les enjeux monétaires est une erreur car « l’économie nous a montré que les banques centrales indépendantes sont meilleures ». Et ces arguments sont à nouveau mobilisés aujourd’hui. Bloomberg, de manière révélatrice, a cité un document d’orientation du CEA (Concil of Economic Advisors) de Biden publié en mai 2024 sur l’importance d’une Fed indépendante10. En voici un extrait :

L’administration Biden-Harris a toujours souligné l’importance d’une banque centrale indépendante. Étant donné que cette question a été soulevée dans divers contextes, le CEA a pensé que le moment était bien choisi pour expliquer ce qu’est l’indépendance de la banque centrale (CBI) et pourquoi elle est si importante. Une banque centrale indépendante est une banque qui peut mener une politique monétaire sans ingérence politique. … La figure ci-dessous montre que l’indépendance des banques centrales est devenue beaucoup plus fréquente dans les économies avancées.

Les données empiriques montrent que l’évolution vers l’indépendance des banques centrales a coïncidé avec un déclin à long terme de l’inflation dans les économies avancées et correspond à des attentes à long terme bien ancrées. En raison de ces avantages macroéconomiques, les gouvernements du monde entier continuent d’accroître l’indépendance des banques centrales : une étude portant sur 370 réformes de banques centrales entre 1923 et 2023 révèle un engagement mondial renouvelé en faveur de l’indépendance des banques centrales depuis 2016. Au sein de l’administration Biden, nous sommes très motivés par cette histoire et nous continuerons à soutenir sans faille l’indépendance de la Banque centrale ( la FED). L’histoire ne pourrait être plus claire quant aux conséquences inflationnistes durables et dommageables d’ignorer cette leçon ou d’inverser les progrès durement acquis au cours du dernier demi-siècle.

L’argument MAGA et la (non)réaction des marchés financiers

Ne vous attendez pas à ce que de tels arguments fassent mouche auprès des MAGA.

Encore une fois, on peut dire que les MAGA sont fous et téméraires. Mais on pourrait aussi dire qu’ils ont un argument qui mérite d’être discuté. Les conclusions sur les avantages généraux de l’indépendance des banques centrales sont tirées de panels de pays qui pèsent beaucoup moins sur l’économie mondiale et qui ont moins de capacité à poser leurs conditions. Les États-Unis sont la baleine dans la baignoire. Ils fixent les conditions pour tous les autres, et nulle part ailleurs autant que dans la finance. Ils jouissent de « privilèges exorbitants ».

Vous pouvez dire que saper l’indépendance de la Fed risque de compromettre la position des États-Unis au cœur du système monétaire mondial. C’est peut-être vrai. Mais où les grands investisseurs peuvent-ils aller exactement ? Voici une image de l’univers de la dette publique disponible pour l’investissement dans le monde entier11.

Source: UNCTAD World of Debt 2025

Si vous avez des milliers de milliards à investir, vous avez le choix, à part les États-Unis, entre la Chine ou le Japon, ou un petit nombre de petits emprunteurs européens. Ce n’est pas un hasard si l’Euro a le vent en poupe en ce moment. Mais l’Euro est loin d’être en mesure de remplacer le puissant marché des obligations du Trésor américain (Treasury bonds).

Jusqu’à présent, les marchés ont réagi calmement. À l’heure où nous écrivons ces lignes, mardi matin (26 août 2025), heure européenne : « Le rendement des obligations du Trésor à 30 ans – où probablement l’essentiel des effets douloureux se fera sentir si Trump réussit à prendre le contrôle de la Fed – a grimpé à 4,94 % ce matin. C’est une hausse par rapport aux 4,75 % du début du mois, mais toujours en dessous de la barre des 5 % que nous avons franchie pour la dernière fois en mai et en octobre 2023. »

Cela peut-il durer ?

Le brillant Robin Wigglesworth du FT Alphaville 12 commence son article de ce matin par ces mots : « Partant du principe qu’une guerre commerciale chaotique et incohérente était inévitable, FT Alphaville pariait depuis longtemps que la principale calamité financière et économique d’un Trump 2.0 viendrait d’une attaque en règle contre la Fed.. Eh bien, c’est maintenant chose faite. »

L’article est intitulé « Priez pour le marché du Trésor américain ». Mais en faveur de quoi exactement Wigglesworth nous demande-t-il de prier ?

Prions-nous pour que le marché des bons du Trésor américain traverse cet épisode sans s’effondrer ? Ou bien prions-nous pour que les gendarmes du marché obligataire (qui punissent les gouvernements dépensiers) surgissent à la rescousse pour discipliner Trump ? Auquel cas, c’est bien pour une crise que nous prions. Ou alors prions-nous pour sauver l’âme même du marché des bonds du Trésor ? Prions-nous qu’il n’ait pas basculé dans la folie MAGA ? Jusqu’ici, le souci semble plutôt que les marchés n’ont quasiment pas réagi.

Comme le remarque Wigglesworth :

… la réaction initiale du marché semble absurdement optimiste, étant donné que ce mouvement ne peut être considéré isolément. Il y a quelques semaines à peine, le président Trump a limogé la directrice du Bureau des statistiques du travail après la publication d’un rapport peu flatteur sur l’emploi. Nos attentes bien ancrées en matière de normes et d’intégrité institutionnelle sont désormais réduites à néant. De nombreux investisseurs ont trouvé du réconfort dans l’argument selon lequel toute tentative vigoureuse de prendre le contrôle et de remodeler la Fed déclencherait une crise du marché obligataire d’une ampleur qui ferait peur même à l’administration Trump. Cependant, l’attaque ouvertement politique contre Cook montre qu’elle est loin d’être aussi préoccupée par les retombées sur le marché que les investisseurs l’ont supposé. Même si Cook devait finalement obtenir gain de cause devant les tribunaux, l’acharnement à son encontre montre à tous les autres membres du Conseil d’administration de la Fed que l’administration Trump est joyeusement prête à se déchainer sur tous ceux qui lui déplaisent. Cela pourrait facilement avoir un impact pernicieux sur les décideurs politiques de la banque centrale. Ils ne seraient pas humains s’ils ne s’inquiétaient pas de voir un gouvernement américain aussi durement instrumentalisé utiliser tous les outils dont il dispose pour les harceler.

Il est temps pour une politique de banque centrale et de dette publique plus démocratique

Je suis depuis longtemps d’avis qu’une politique de banque centrale et de dette publique plus démocratique est la meilleure alternative.

Compte tenu de la toxicité de la vie politique américaine en général, cette position a toujours été risquée. L’autre camp est dangereux. Si vous vous lancez dans ce type de jeu politique, vous feriez mieux d’être sûr de pouvoir le gagner. Le rejet de la candidature d’une personne comme Sarah Bloom Raskin montre à quel point la marge de manœuvre est limitée.

Dans la situation actuelle, l’agressivité des partisans du MAGA ne nous laisse certainement pas d’autre choix. L’histoire nous force la main.

Wigglesworth conclut son article par une belle citation de la Rabobank.

Comme l’a dit Rabobank : La politisation sans complexe du processus soi-disant indépendant et technocratique de fixation du prix de l’argent (par la Fed) confirme une fois de plus que nous ne sommes plus dans les années 1990 et que les vieilles idées sur la transmission optimale de la politique, la crédibilité de la banque centrale et la nécessité d’isoler les décisions importantes de l’influence de la volonté populaire offrent peu de protection contre le nouveau paradigme de la politique de la force brute. Tout comme l’interprétation de la loi est intrinsèquement politique, le prix de l’argent est intrinsèquement politique, et tous les aspects de la politique nationale sont mobilisés pour soutenir la vision MAGA des États-Unis et de leur place dans le monde.

Si la démocratie à la sauce Brookings13 appartient au passé ; si l’offensive permanente contre « nous », la classe professionnelle-managériale, ne doit plus être subie comme un choc à répétition, mais doit être considérée comme un donné de départ, alors la question est : notre réaction sera-t-elle défensive ? Est-ce que le mieux que nous puissions espérer est une intervention de la Cour suprême ou une panique sur le marché obligataire ? Allons-nous nous replier – au nom de Spartacus ! – sur la défense de l’indépendance de la banque centrale ?

N’est-il pas temps de redéfinir réellement en quoi consiste l’attrait de « notre démocratie » ? N’est-il pas temps de définir ce à quoi pourrait ressembler une politique démocratique de la banque centrale ?


Publié en anglais le 26 août 2025 sur Chartbook, la newsletter de Adam Tooze. Trump v. the Fed: or how history is forcing the question of a democratic politics of central banking.


  1. La Fed (diminutif de Federal Reserve) est la banque centrale des Etats-Unis. Cette institution chapeaute et domine le secteur bancaire du pays. Elle est notamment chargée de la politique monétaire. Elle fixe ainsi le taux d’intérêt auquel se refinancent les banques américaines. Ce « taux directeur de la Fed », le coût de l’argent, se répercute dans l’ensemble de l’économie. La rédaction. ↩
  2. Lisa Cook ( Démocrate) est l’un des sept membres du Conseil des Gouverneurs, qui est le conseil d’administration de la Fed. Ses membres sont nommés pour 14 ans. Le mandat de Lisa Cook, le plus récent, devrait s’achever en janvier 2038. Le président de la Fed est Jerome Powell. ↩
  3. https://www.ft.com/content/dd3e505d-9093-4bed-8bfb-f241f7a2a3ea (article payant) ↩
  4. Paul Krugman est un célèbre économiste américain, prix Nobel d’économie. Il se situe à gauche dans le contexte des Etats-Unis. Longtemps chroniqueur du New-York Times, il participe activement aux débats économiques publics. La rédaction. ↩
  5. Can Donald Trump fire the chair of the US Federal Reserve? (article du Financial Times, payant) ↩
  6. « Motif valable » est la traduction usuelle du terme juridique américain « a cause » qui a des implications spécifiques. La rédaction. ↩
  7. La Brookings Institution est un think tank considéré comme centriste / centre-gauche, technocratique et très influent dans les milieux économiques et politiques. La rédaction. ↩
  8. Joe Manchin est en fait un élu Démocrate qui a très souvent soutenu les lois et projets de Donald trump lors de son premier mandat. Il a été un allié de poids des Républicains contre Sarah Bloom Raskin, très engagée pour une politique de lutte contre le dérèglement climatique. La rédaction. ↩
  9. Selon la MMT, un État souverain en monnaie nationale peut toujours financer ses politiques publiques par création monétaire. La contrainte réelle est l’inflation, pas la dette. La rédaction. ↩
  10. The Importance of Central Bank Independence. Archives de Biden White House ↩
  11. C’est un point imortant : on oublie souvent que la dette à une contrepartie, un marché financier immense et lucratif. Il y aurait beaucoup plus à dire à partir de ce constat. La rédaction. ↩
  12. Pray for the US Treasury market article du blog FT Alphaville, du Financial Times (payant) ↩
  13. C’est-à-dire technocratique, centriste et fondée sur l’expertise. Selon notre interprétation, la Rédaction. ↩

04.09.2025 à 11:52

Une révolution copernicienne venue des Suds

Pablo Pillaud-Vivien
À Pékin, ce 3 septembre, ce n’est pas seulement la mémoire de la victoire de 1945 qui a été convoquée. En invitant Vladimir Poutine, Kim Jong-un et d’autres dirigeants à assister au plus grand défilé militaire de l’histoire chinoise, Xi Jinping a envoyé un message politique clair : le centre de gravité du monde se déplace. Ou plutôt, il s’éclate – et il ne sera plus en Occident.
Texte intégral (909 mots)

À Pékin, ce 3 septembre, ce n’est pas seulement la mémoire de la victoire de 1945 qui a été convoquée. En invitant Vladimir Poutine, Kim Jong-un et d’autres dirigeants à assister au plus grand défilé militaire de l’histoire chinoise, Xi Jinping a envoyé un message politique clair : le centre de gravité du monde se déplace. Ou plutôt, il s’éclate – et il ne sera plus en Occident.

Quelques jours plus tôt, à Tianjin (la quatrième ville chinoise), la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai avait déjà réuni un aréopage inédit depuis l’élection de Donald Trump : Poutine et Xi, mais aussi le président iranien Massoud Pezeshkian, le Turc Recep Tayyip Erdogan, le Biélorusse Alexandre Loukachenko, l’Indien Narendra Modi et le Pakistanais Shehbaz Sharif. Cette assemblée eurasiatique, hétéroclite mais significative, dit quelque chose d’un monde en recomposition accélérée. Elle coexiste avec les BRICS auxquels participent aussi l’Afrique du Sud et le Brésil.


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Il ne s’agit pas de proclamer une unité artificielle du Sud global : chacun de ces pays suit sa propre logique, ses propres intérêts, parfois antagonistes. Mais tous partagent une même volonté : reprendre leur place dans le concert des nations, après des décennies, voire des siècles de mise sous tutelle, parfois d’humiliation. Ils refusent l’universel occidental, imposé comme unique horizon depuis la colonisation, et entendent réaffirmer que leur histoire longue fonde une autre légitimité.

La banderole choisie pour illustrer cet événement (et que nous avons choisie pour illustrer l’article) est révélatrice. Contrairement aux années précédentes, les inscriptions y sont en sanskrit, en russe, en chinois. Aucune lettre romane, aucun mot en anglais. Pour un Occidental, illisible. C’est exactement ce que des milliards d’êtres humains vivent face à la domination de l’anglais : l’impossibilité de lire, de comprendre, d’accéder. Or voici que ce renversement symbolique marque un recul, même provisoire, de l’alphabet latin qui structure depuis des siècles une partie des échanges mondiaux. Pour combien de temps encore ?

Ce basculement en accompagne d’autres : la Chine est aujourd’hui l’une des plus grandes puissances scientifiques et techniques de la planète, déposant chaque année plus de brevets que les États-Unis ou l’Europe. La remise en cause de la domination du dollar se discute entre pays qui ne parlent pas anglais. Cela se fait sans l’Occident. Ce n’est pas seulement le recul de la France ou de l’Europe qui est en jeu, c’est la déstabilisation de l’architecture mondiale née de 1945. Autrement dit, c’est l’hégémonie américaine elle-même qui vacille. Hégémonie à la remorque de laquelle l’Europe s’était placée. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir a joué le rôle de catalyseur, en même temps que d’en être le symptôme, précipitant dans les Suds l’affirmation d’un autre ordre possible.

Ce mouvement n’est pas d’abord un dessaisissement de l’Occident : c’est l’affirmation de peuples longtemps méprisés dans le grand concert des nations et du monde et qui, aujourd’hui, reprennent le pouvoir.

Faut-il adhérer aux projets chinois, russe, turc ou iranien ? Non. Tous ces pays sont contestables dans leur considération des droits humains et ne sont pas dépourvus d’ambitions impérialistes. Mais il ne faut pas les considérer comme nos ennemis inéluctables. Car il n’y aura pas de solution sans ces pays, sans leurs peuples. L’idée de faire rendre gorge à la Russie ou de maintenir la Chine à l’écart relève d’une illusion délétère qui ne mène qu’à la violence.

Le danger, pour nous, Européens, serait de réagir en nous crispant, en nous repliant, en pensant que tout cela nous vole quelque chose. C’est une des causes profondes de la montée de l’extrême droite dans tous les pays occidentaux. Pourtant, ce mouvement n’est pas d’abord un dessaisissement de l’Occident : c’est l’affirmation de peuples longtemps méprisés dans le grand concert des nations et du monde et qui, aujourd’hui, reprennent le pouvoir.

Il faut l’accepter comme une révolution copernicienne. Comme les femmes ont arraché l’égalité face aux hommes, les peuples du Sud rappellent que les Occidentaux ne sont pas supérieurs aux autres. Ils en sont les égaux. Tout l’enjeu est désormais de se comprendre – et surtout d’avoir envie de se comprendre.

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