10.09.2025 à 10:00
La qualité du travail : entretien avec Christine Erhel
A l'occasion de la parution de l'ouvrage qu'elle a co-dirigé avec Bruno Palier ,Travailler mieux , aux Presses Universitaires de France, Christine Erhel a accepté de répondre à des questions.
L'ouvrage fait suite à Que sait-on du travail ? (Sciences Po/Le Monde, 2023), dont nous avions déjà rendu compte sur Nonfiction, et à la publication de propositions de ses auteurs sur le site laviedesidées.fr , qui publie ces jours-ci l' introduction de l'ouvrage .
Christine Erhel est Professeure au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), Titulaire de la chaire économie du travail et de l'emploi, Directrice du Centre d'Etudes de l'Emploi et du Travail.
Nonfiction : Le travail en France est mal en point. Non pas parce que les Français ne travaillent pas assez ou parce que le niveau de protection sociale fait peser sur celui-ci un coût démesuré, comme on nous le rabâche, mais plutôt parce que la qualité du travail en France est faible (au regard de notre niveau de richesse) et très inégale, mais aussi, ce qui n’est pas sans lien, parce que les salariés sont moins consultés que dans d’autres pays sur l’organisation du travail. Comment parvenez-vous à ce constat ?
Christine Erhel : Pour comparer la situation de la France à celle d’autres pays, nous nous appuyons sur des enquêtes menées dans différents pays sur la base des mêmes questionnaires. Une source importante est l’enquête européenne sur les conditions de travail de Eurofound , qui aborde toutes les dimensions des conditions de travail et d’emploi : rémunérations, type de contrat, horaires, conditions physiques de travail, environnement de travail et risques psycho-sociaux, relations de travail… Elle existe depuis 1990 et est menée dans plus de 30 pays. En ce qui concerne la satisfaction au travail et le rapport au travail, on peut également utiliser les International Social Survey Programme dédiées à la thématique du travail (Work Orientation) qui existent depuis 1989, la dernière remontant à 2015, avec 4 vagues disponibles au total. Ces enquêtes permettent de construire un ensemble large d’indicateurs sur la qualité de l’emploi et du travail, avec des questions comparables entre pays, même si leur interprétation peut parfois varier en fonction du contexte institutionnel ou culturel. Par exemple, les types de contrats de travail et la protection qu’ils assurent varient beaucoup entre pays. La limite principale de ces enquêtes est leur disponibilité temporelle, puisqu’elles ont lieu tous les 5 ou 10 ans. L’enquête européenne sur les forces de travail (LFS), réalisée par les instituts statistiques nationaux (l’Insee en France) est disponible tous les trimestres. Elle fournit de nombreuses informations sur les conditions d’emploi, mais très peu sur les conditions de travail, hormis les horaires. Elle peut néanmoins être utilisée pour le suivi plus régulier de certains indicateurs centrés sur l’emploi ou les horaires. Enfin, ces enquêtes quantitatives peuvent être complétées par des sources qualitatives qui réalisent des investigations dans des entreprises d’un même secteur ou pour un même métier, afin de comparer les modes d’organisation mis en œuvre dans différents pays et leurs conséquences sur les travailleurs.
C’est donc à partir de cet ensemble de sources que nous pouvons mettre en évidence certaines faiblesses françaises en matière de conditions de travail et d’emploi. Selon les analyses présentées dans Que sait-on du travail ? ( chapitre de Christine Erhel, Mathilde Guergoat-Larivière et Malo Mofakhami ), la France présente une situation moins bonne que la moyenne européenne selon des indicateurs de conditions de travail (exposition aux risques physiques, risques psycho-sociaux notamment intensité du travail et environnement social), les possibilités de conciliation et la qualité de l’articulation du temps de travail avec le temps personnel sont plus mauvaises, même si le travail atypique (longues heures de travail, travail de nuit, irrégularité des horaires) est moins fréquent.
Cette situation semble peu préoccuper les entreprises, sauf à rencontrer de fortes difficultés d’embauche, qui peuvent les rendre, un temps, plus réceptives à ce type de considérations, même si cela reste à la marge. Comment expliquer ce peu d’intérêt ? Le courant des entreprises libérées fait ici figure d’exception : dans leur grande majorité, les entreprises françaises s’intéressent peu au travail et à ces conditions concrètes d’exercice ? Comment l’expliquer ?
Le constat général est que les modes d’organisation privilégiés par les entreprises françaises restent peu favorables à la qualité de l’emploi et du travail, en comparaison des pays du Nord (Finlande, Suède et Danemark) ou de certains pays d’Europe continentale (Pays-Bas, Autriche, Allemagne et Belgique). Les analyses comparatives de l’organisation du travail en Europe montrent un recul de la part des organisations apprenantes en France depuis une dizaine d’années (voir la contribution de Salima Benhamou dans Que sait-on du travail ?), alors même qu’elles sont associées à une meilleure qualité de l’emploi et à des meilleures performances en termes d’innovation. En revanche, les organisations de type lean production , associées à une moindre autonomie des salariés et à des rythmes de travail contraints, progressent nettement, alors qu’elles entraînent une intensification du travail.
Par ailleurs, des travaux de sciences de gestion ont montré l’importance des coûts cachés liés au mauvais management dans nombre d’entreprises françaises, liés par exemple à l’absentéisme et plus largement à des pertes de productivité (voir la contribution de Laurent Cappelletti dans Que sait-on du travail ? ). Ces problèmes d’organisation et de management ont de multiples causes, mais on peut suspecter que la pression à la baisse du coût du travail, accentuée par les politiques publiques depuis les années 1990, joue un rôle important. On peut également s’interroger sur les faiblesses de la formation au management en France, qui met peu l’accent sur les liens entre conditions de travail et performances, et plus largement sur l’importance du facteur humain. Cette situation n’est pas irrémédiable, mais il faut convaincre les entreprises de l’importance de prendre en compte la qualité du travail et de l’emploi comme facteur de bien-être des salariés, mais aussi de productivité et de performance. C’est pour ce faire que nous publions l’ouvrage Travailler mieux qui fait de nombreuses propositions pour améliorer les situations au travail.
Cette situation ne semble pas préoccuper beaucoup non plus les pouvoirs publics. La qualité du travail a bien été inscrite dans les thèmes à propos desquels les entreprises ont été invitées à négocier et signer des accords, parfois comme une manière plus positive de traiter des risques psycho-sociaux, mais les évolutions de la réglementation du travail toutes ces dernières années ont affaibli la capacité des représentants du personnel et des salariés à faire entendre un point de vue différent et les dernières annonces du gouvernement montrent que l’on n’est pas à la veille d’une inflexion sur ce plan. Le travail semble un thème où la recherche et les politiques évoluent de manière totalement opposée. La manière dont l’économie mainstream conçoit le travail, d’une part, et la volonté de renvoyer sinon la question aux négociations d’entreprise, en limitant au maximum les contraintes, d’autre part, conjuguent leurs effets pour écarter toute prise en compte sérieuse des sciences du travail dans les politiques de l’emploi et du travail. Partagez-vous ce point de vue ? Pourriez-vous en dire un mot ?
Traditionnellement, l’économie s’intéresse peu au travail et à ses conditions d’exercice, mais plutôt à la détermination du niveau d’emploi et du niveau des salaires : un bon emploi est avant tout un emploi bien rémunéré. Cette orientation a évolué avec la prise en compte de critères de satisfaction au travail par le courant de l’ « économie du bonheur » (voir les ouvrages de Lucie Davoine et de Claudia Senik sur le sujet), qui élargit les sujets auxquels s’intéresse l’analyse économique dans le champ de l’emploi et du travail. Malgré tout, en France, le niveau élevé du chômage depuis le début des années 1980 a maintenu la question du niveau d’emploi et du niveau du chômage au centre du débat pour les économistes, qu’ils soient de tendance néoclassique, ou d’orientation plutôt keynésienne ou post-keynésienne.
Le débat porte avant tout sur les leviers pour diminuer le chômage, entre la baisse du coût du travail qui fait l’objet d’un quasi-consensus, la libéralisation du marché du travail supposée créatrice d’emplois par la baisse des contraintes subies par les entreprises et la question des politiques de régulation macroéconomique. La question de la qualité du travail est secondaire, même si des travaux (par exemple ceux de l’institut syndical européen ETUI ) ont montré ses liens avec les taux d’emploi : une meilleure qualité de l’emploi et du travail est aussi associée à des taux d’emploi plus élevés, y compris pour les seniors, ce qu’illustre notamment le cas des pays du Nord de l’Europe. D’autres sciences du travail jouent malgré tout un rôle à un échelon microéconomique, comme par exemple l’ergonomie qui propose des démarches de recherche-intervention en faveur de la santé au travail sur la base d’une approche centrée sur la soutenabilité, qui est à construire par les différents acteurs dans l’entreprise (voir la contribution de Catherine Delgoulet dans Que sait-on du travail ?).
Les centrales syndicales, qui ont pris la mesure de l’importance de la qualité de l’emploi et du travail et en ont fait un sujet de revendications, ne disposent ni des moyens, ni des leviers suffisants pour réussir à enregistrer de véritables avancées, même si elles font de gros efforts pour essayer de faire de celle-ci un thème de discussion et de négociations dans les entreprises. Là aussi, pourriez-vous en dire un mot ?
Les syndicats français ont repris à leur compte un objectif de qualité de l’emploi et du travail, présent à l’échelon européen au niveau de la Confédération Européenne des Syndicats (CES), mais aussi au niveau international autour de l’objectif de « travail décent » du Bureau International du Travail (qui est une organisation tripartite). La CFDT a réalisé une enquête visant à interroger les salariés sur leurs conditions de travail (« Parlons travail ? » en 2016) qui a été un succès, et les syndicats ont soutenu des démarches comme celles de la mission pour la reconnaissance des travailleurs de la seconde ligne (voir le rapport Erhel et Moreau-Follenfant en 2021), qui visait à identifier la situation de ces métiers en termes de qualité de l’emploi et à identifier des leviers d’amélioration dans les branches et dans les entreprises. Malgré tout, dans les négociations de branche et d’entreprise, il est difficile pour eux de mettre en avant cette thématique car la question du niveau d’emploi prime souvent dans un contexte économique peu favorable. En sortie de crise sanitaire, quelques fenêtres d’opportunité sont apparues dans un contexte de fortes tensions sur les recrutements, conduisant à des négociations pour améliorer les salaires et les conditions de travail de certains métiers, comme l’hôtellerie-restauration ou la santé. Mais la légère remontée du chômage observée cette année et le retour des plans sociaux ramènent l’attention sur la question du niveau d’emploi.
Les propositions détaillées que vous faites, et que vous reprenez dans ce livre, visant à améliorer la qualité de l’emploi et du travail, affermir le sens au travail, mais également pour accompagner le déploiement de l’IA dans les entreprises ou encore la transition écologique et leurs conséquences sur le travail, deux chapitres dont il faut recommander particulièment la lecture, ont l’intérêt de traduire dans des propositions très concrètes des recherches qui englobent de nombreux sujets, liés entre eux. Elles pourraient trouver place dans un programme politique que pourrait proposer la gauche. D’ici là, certaines pourraient être intégrées à des expérimentations. Avez-vous des pistes en la matière et sinon quels débouchés imaginez-vous leur donner ?
Il nous semble important aujourd’hui de sortir de la focalisation sur la logique de baisse du coût du travail et de flexibilisation du marché du travail qui prévaut depuis 30 ans. Un débat doit notamment s’engager sur les baisses de cotisations sociales et aides accordées aux entreprises, qu’il convient a minima de conditionner à des critères concernant l’emploi et le travail. A cette fin, une meilleure connaissance de la situation des entreprises en matière de qualité de l’emploi et du travail est importante et suppose de construire des indicateurs s’appuyant sur les enquêtes existantes. Mais les progrès doivent aussi venir de l’échelon de l’entreprise, sur la base d’une meilleure participation des salariés aux décisions concernant l’organisation du travail, comme le proposent Thomas Coutrot et Coralie Perez.
08.09.2025 à 10:00
Hajar Bali : la beauté de l’Algérie qui s’éveille
La rumeur des rues d’Alger est ordinaire ce jour-là. Adel et Wafa repèrent une vieille dame qui revient du marché, l’allure distinguée, soigneusement coiffée, ostensiblement embijoutée. Les deux lycéens hâtent le pas, suivent la femme, qui leur paraît très bourgeoise, à son domicile. Ambitieux, rêveurs, un peu trop romantiques, mais surtout fauchés, ils décident de passer à l’acte, sonnent à la porte : « Elle ouvre en maintenant la chaînette de sécurité. » Wafa prend alors sa plus belle voix : « Madame Souami ? C’est pour un sondage. Vous connaissez la lessive "Normal" ? Tenez, cadeau pour vous. » La dame semble vivre toute seule. Un appartement vaste, très ensoleillé. Le couloir est long, les fenêtres et le balcon donnent sur la mer. La vue est splendide.
Voulant réussir son coup en un temps record, et proprement, Adel brûle les étapes, ne laisse pas sa copine terminer son numéro de séduction : « Je trébuche », raconte Wafa, « sur ses chaussures qu’elle n’a pas eu le temps de ranger. Elle vient à peine de laisser tomber son panier et de récupérer ses chaussons. Adel nous pousse violemment et ferme la porte à clé. Elle n’a pas le temps de crier, il a la main sur sa bouche et la plaque tout entière contre lui, tout son dos contre lui. C’est un petit bout de femme, certes, mais elle se débat une longue minute avant de se figer. Elle est morte ? Mais non, t’es folle ? Elle est juste évanouie . » Les deux amoureux fouillent l’appartement, mais ne trouvent ni argent ni objets précieux. Ils entendent du bruit dans les escaliers. C’est le moment de déguerpir. Wafa, en sortant, emporte avec elle un pot de confiture. Madame Souami est toujours inconsciente.
Le soir, chacun des deux intrépides est chez ses parents. Adel et Wafa s’écrivent, expriment leur vive inquiétude sur l’état de la vieille femme qu’ils ont agressée dans la journée. Des images noires traversent leur discussion, ils pensent qu’elle est morte. Pour se rassurer, ils décident de retourner chez elle, dans les environs de Belcourt. Ils élaborent une stratégie pour ne pas se faire attraper, mais ils échouent. Ce jour-là, Slim, le fils de madame Souami, était à la maison. Ils sont maintenant entre ses mains, reconnaissent rapidement les faits et racontent l’histoire dans ses détails.
Ne leur tenant aucunement rancune, Slim décide de les orienter sur ce qu’il estime être « le bon chemin ». Idéaliste, il écrit dans ses carnets philosophiques : « Je suis reconnaissant à Dieu de m’avoir mis sur le chemin de ces créatures. C’est ça qu’ils ne savent pas encore. J’ai enfin une mission : les guider vers la lumière. Merci mon Dieu. Il y a à peine dix jours, j’errais dans la vie comme n’importe quel abruti, sans but. Aujourd’hui, je suis un autre homme. Je me repens chaque jour de mes péchés »…
Après la publication remarquée d’ Écorces (Belfond/Barzakh, 2020), l’écrivaine Hajar Bali continue son travail d’exploration romanesque de l’Algérie contemporaine dans son nouveau roman intitulé Partout le même ciel . Avec des points de vue complexes sur les désirs de révolte et d’émancipation qui traversent la société algérienne, sa jeunesse au premier chef, l’autrice dessine, dans une langue claire et un style méticuleusement travaillé, une fresque saisissante donnant à voir un pays en ébullition.
Dans la tête d’un ancien professeur de philosophie
« Wafa est sceptique. Elle ne croit pas aux bons sentiments de Slim. Elle pense qu’il veut nous piéger, que c’est un pervers ou quelque chose comme ça » : Adel, pris dans la nasse de ses tourments et de ses hésitations, veut croire pour sa part en son nouvel ami, qui leur propose de venir souvent et de l’aider dans les tâches du quotidien. Les premiers contacts de Wafa avec l’étrange fils de madame Souami, en revanche, sont marqués par la méfiance, peut-être même par une forme de dédain. Elle voit en lui un « bourgeois islamo-communiste » qui parle un langage obscur, un mélange entre la mystique des sages de l’islam et la philosophie transcendantale d’Emmanuel Kant…
Slim rémunère les premiers services de ses nouveaux amis. Mais après que la pension de sa mère est suspendue (dans l’attente du renouvellement de son certificat de vie), tout s’arrête. Pendant trois mois, Adel travaille gratuitement : « Après la peinture, je me suis improvisé menuisier, j’ai réparé tous les meubles. Ensuite je me suis mis à la plomberie. Y a de bons tutos sur Internet. Slim achète tout le matériel, je m’en sors plutôt bien. À part le jour où le robinet m’a pété dans la main. Ça ne s’arrêtait pas de couler, l’eau et le sang de mon index ». Orphelin de mère, le jeune lycéen vit en perpétuelle tension avec son père. Avec sa copine, il veut rejoindre le Canada pour fuir la précarité et le conformisme social.
Petit à petit, les choses évoluent, la confiance s’installe plus profondément entre Slim et les deux adolescents. Ces derniers trouvent de petits emplois, précaires certes, mais qui leur permettent de respirer financièrement. De temps à autre, ils se rendent chez leur ami, ancien professeur de philosophie, pour reprendre leur souffle, oublier le poids des jours, préparer les épreuves du baccalauréat, lire des livres. À la question : « pourquoi tu as laissé ton poste ? », il répond, catégoriquement : « Je ne trouvais plus aucun plaisir à donner mes cours à des imbéciles qui n’étaient préoccupés que par l’heure qu’il était et cherchaient à connaître, par avance, les sujets d’examen ». Il a quitté l’enseignement universitaire pour concrétiser sa propre philosophie, lui qui se voit « un peu comme le Ḥayy Ibn Yaqdhan, qui découvre la philosophie par la méditation ».
La démission de l’université lui a ouvert les yeux, lui a permis de lever le voile des abstractions. Il sonde son âme, pour mieux la connaître : « Aujourd’hui, je sais qu’il me faut affronter le réel, c’est-à-dire, entre autres, m’investir auprès des créatures perdues, comme ces deux enfants. Tout le monde accède à l’intuition métaphysique en observant la nature et le monde. Je suis le berger dans sa solitude. La tâche sera rude, je m’y prépare . »
La lecture et la révolte
La bibliothèque de Slim est un endroit pour se perdre. Le choix des lectures paralyse la curiosité : romans, essais, théorie littéraire, philosophie, mystique, etc. Sa mère, misanthrope et ancienne militante communiste, a rangé les livres d’une façon curieuse. Il y a « ceux d’ici », les classiques des lettres algériennes, et les autres. Entre Slim et Wafa, les discussions littéraires et philosophiques durent des heures.
La jeune fille se passionne pour les cours de son ami sur le déterminisme social que le sujet peut transformer, transcender. La précarité, la contrainte des codes familiaux, les rôles sociaux, l’assignation de genre, elle veut tout bouleverser. Le philosophe outsider est exigeant, il propose à Wafa de lire Le Gai Savoir de Nietzsche. Elle prépare son baccalauréat avec abnégation. Le livre l’absorbe, l’aide énormément dans ses révisions : « Je suis comme hypnotisée par le bouquin. Je ne sais pas pourquoi. Je lis comme ça, au hasard, quelques phrases à la fois biscornues et simples. Ça me plaît. »
Adel, quant à lui, pense aux millions qu’il doit épargner pour aller au Canada. Il tient à son amie, l’encourage dans ses révoltes, veut absolument vivre avec elle ; mais, privé de capital économique, il doit vivre chez son père, et partager l’appartement avec son frère Sami. Wafa est également tourmentée, hantée par une obsession, l’affirmation de ses choix face à sa famille : « Comment je vais le présenter à mes parents ? C’est mon copain. Il n’a pas de mère, il ne s’entend pas avec son père, il ne travaille pas vraiment, on veut émigrer au Canada. Rien qu’à ce qu’il m’en a dit, son père me dégo ûte. Son frère est dépressif, et pour ne rien gâter, nous deux, on ne veut pas entendre parler de mariage... Quel programme ! C’est inextricable. »
En attendant des jours meilleurs, ils font l’amour hors mariage, peinent à gagner leur vie, consolident leur amitié avec Slim. Ils passent énormément de temps chez lui. Leur lien est maintenant indéfectible. D’une soirée à l’autre, Wafa s’insurge toujours davantage : « Pourquoi toutes ces complications ? En quoi ça les regarde, ce que je vis ? Qu’est-ce qu’ils font, eux, pour moi, à part me gronder et lire mes bulletins en fin de trimestre ? »
Le jeune couple finit cependant par se marier après plusieurs années de labeur. La précarité demeure, la joie également. Ils pensent toujours à leur projet d’installation au Canada. Mais un vent de liberté s’empare soudainement du pays.
Soudain le pays se lève
L’événement est inédit, inimaginable. Quelques jours auparavant, il n’y avait encore que des rumeurs : « Tout le monde parle de ce mystérieux appel sur Facebook. C’est demain, ils disent. Ça commence demain. Ça devrait commencer juste après la prière du vendredi. Slim dit qu’il faut y aller. Il faut sortir. Tant que la révolution n’a pas eu lieu, on n’en parle pas. C’est comme la mort. Bruit de bottes ou révolution ? » La ville se met en mouvement. Les manifestants, toutes et tous souriants, envahissent les rues. Les policiers se positionnent partout. Ceux en civil aussi, reconnaissables à leur manière de se mouvoir, de regarder la foule se réapproprier l’espace public. Un seul mot d’ordre : démocratie et citoyenneté effectives.
« Slim dit : c’est l’occasion pour nous d’inventer un langage nouveau, et même, si vous le voulez, une haine nouvelle. Dans la rue. » Le vent commence à tourner. On annonce la démission forcée du président, qui voulait s’éterniser au pouvoir, « constitutionnellement ». La foule est immense, joyeuse, enfiévrée. Personne ne croit ce qu’il voit. Wafa et Adel pensent à annuler leur départ au Canada. Les gens se retrouvent dans la rue pour la première fois, se parlent par-delà les a priori et le mépris de classe. Slim est devant la Grande Poste d’Alger, en train de vulgariser ses cours de philosophie à la multitude des marcheurs.
Pour ce mystique, ce soulèvement est un événement qui exige un engagement inconditionnel : « Je suis dans la pureté de la révolution. Voilà. C’est ça. Je suis propre, sans tache. » Enchantés, les manifestants continuent d’habiter l’espace public. La joie s’affirme dans les chants sportifs des déshérités : « Sous les vrombissements des hélicoptères, on reprend en chœur les chants que quelqu’un, à l’aide d’un haut-parleur, entonne, s’improvisant chef d’orchestre. D’autres, plus loin, prennent le relais. Ça va de l’hymne national aux slogans révolutionnaires appris à l’école, en passant par la fameuse Casa del Mouradia , que les supporters de l’USMA [Union Sportive de la Médina d'Alger] ont composée et qui s’est immiscée clandestinement dans toutes les chaumières de la ville . »
« Interdiction de Sortie du Territoire National »
Le rêve finit par s’évanouir après plusieurs mois de mobilisation absolument inédite. Le langage de la matraque a repris ses « droits ». Arrestations massives. Emprisonnements arbitraires visant des étudiants, des militants, des journalistes, des acteurs de la vie politique. Personne n’est épargné. Après la ferveur, Slim sombre dans le désespoir. La révolte populaire est dans l’impasse : « Le mouvement s’essouffle. Il nous faut le reconnaître », constate-t-il avec aigreur. Peu de temps après, il décide de mettre fin à ses jours. Adel et Wafa tentent de l’en empêcher, en vain. Le jour du passage à l’acte, ils arrivent en retard.
Deux ans après la révolte et le martyre de Slim, le pays est sous l’anesthésie du bâton. Une partie importante des participants au soulèvement populaire, Adel et Wafa compris, vivent sous une mesure arbitraire : l’« Interdiction de Sortie du Territoire National » (ISTN).
Un agent administratif affilié aux services de sécurité veille à prémunir son pays contre les supposées menaces extérieures : « On va leur ôter l’envie de recommencer leurs balades du vendredi », se félicite-t-il. « C’est ce qu’a dit le commissaire. Ha ha. Il a dit, pliez-moi ça vite fait. Mais moi, j’irai aussi loin que possible. Je n’ai pas l’intention de bâcler le travail. J’en coincerai deux ou trois. Je les dénicherai, je les ferai trembler . » Il enquête sur la possibilité de l’implication d’un « réseau étranger » et rappelle dans chaque prise de parole que « le pays est toujours en danger ».
L’institution sécuritaire fait main basse sur la rue, la contre-révolution anti-citoyenne est en marche. D’aucuns appellerons cela le « dialogue national ». L’espoir agonise, et dans le clair-obscur de ce grand désenchantement, Adel et Wafa attendent impatiemment la levée de leurs ISTN pour rejoindre le Canada.
Loin d’être un roman qui explique l’Algérie à l’observateur étranger, comme c’est le cas d’une partie significative des productions littéraires en situation post-coloniale, Partout le même ciel est une murale romanesque décrivant au scalpel les évolutions des sensibilités algériennes dans la quotidienneté de leurs détails. Seule la littérature est capable de capter l’émergence de ces désirs d’ouverture et de renouveau, et de les projeter dans des vies imaginaires.
30.08.2025 à 10:00
Kaouther Adimi : de Baya à la « décennie noire » algérienne
D’aucuns ont vu dans ses œuvres un art naïf, enfantin, décoratif et même primitif ; d’autres ont considéré que son travail restait prisonnier du regard colonial et du patriarcat islamique. Accueillie par le galeriste Aimé Maeght à Paris, l’exposition des gouaches et des sculptures d’une jeune artiste « indigène » dénommée Baya (âgée de 16 ans à l’époque), dont le vernissage a lieu le 21 novembre 1947 (deux ans après les massacres de Sétif et Guelma), laisse peu de place à l’indifférence. Un esprit libre à l’imaginaire débordant. Une grande faculté d’invention. Un tracé puissant et robuste. Un sens aigu de la combinaison des couleurs et des formes. Un œil unique. Des visages à peine esquissés. Une audace éclatante qui fait vaciller le regard du visiteur. La charge symbolique de ses productions est un ravissement ; son silence imperturbable au milieu d’une foule parisienne à la curiosité agressive est impressionnant.
À rebours des jugements dépréciatifs et souvent racistes d’une partie de la presse – lesquels peuvent se résumer en une formule : « elle peint avec génie, mais ne sait aucunement ce qu’elle fait » –, l’architecte et urbaniste Jean de Maisonseul (il sera le premier conservateur du musée des Beaux-Arts d’Alger après l’indépendance en 1962) consacre le premier numéro la revue Révolution africaine (créée en 1963) à Baya. Il considère en effet que ses tableaux sont « des œuvres d’art, qui existent en elles-mêmes par leurs couleurs, leur plastique, par la sûreté de l’arabesque toujours renouvelée ». Dans l’océan obscur de la haine coloniale, le conservateur insiste : la jeune peintre donne à voir des « œuvres d’amour ».
Baya peint et sculpte l’oralité, les contes qu’elle invente, les savoirs artisanaux et la mémoire ancestrale que se transmettent les femmes algériennes depuis des siècles. L’art singulier de cette femme a marqué le XX e siècle par son inventivité mystérieuse qui continue de résister aux gloses et à des interprétations généalogiques quelque peu fautives. À propos de ce travail de création, Pablo Picasso parle d’un « jaillissement naturel » quand il rencontre Baya lors de l’été 1948 à la poterie Madoura, à Vallauris. Et c’est dans ce jaillissement que l’écrivaine Kaouther Adimi a eu envie de se replonger pour saisir et réordonner sa mémoire émiettée des années 1990 en Algérie. Sous l’aura des toiles de l’artiste, elle veut reconstituer son expérience de la « décennie noire », cette guerre contre les civils, et réorganiser son chaos intérieur.
Ce dialogue avec l’œuvre de Baya, l’autrice de Nos richesses (Seuil, 2017) l’a tenté en 2018, au musée Picasso, mais sans succès. La charge émotionnelle était trop forte, insupportable. Elle récidive cependant quelques années plus tard à l’Institut du monde arabe. Déterminée, elle y passe la nuit précédant l’ouverture de l’exposition « Baya, icône de la peinture algérienne. Femmes en leur Jardin » (du 8 novembre 2022 au 26 mars 2023). « Aujourd’hui , écrit-elle, je suis arrivée avec une ligne claire : m’en tenir d'abord à Baya. Je suis là pour cela. Je dois restituer des éléments biographiques. Il faut reprendre depuis le début, combler les nombreux trous, étirer le temps, vous emmener d’un pays à l’autre, ordonner la galerie de personnages qui vont m’accompagner toute la nuit ». La Joie ennemie est le récit de son retour au milieu des cendres d’une guerre fratricide, habillée des couleurs protectrices quoique troublantes du merveilleux jardin de Baya.
1994 : un retour périlleux en Algérie
« Dans le rétroviseur, mon père me sourit. Son nez se plisse légèrement, comme celui d’un lapin. Je fronce les sourcils, agacée par cette expression incongrue. Puis, tout s’accélère. Un crissement. Le frein à main est brutalement tiré. La voiture tangue sous le choc. Mon père ouvre sa portière en un éclair et bondit hors du véhicule. Il court. Il court vers eux. Sa silhouette se découpe dans la lumière crue. Ma mère hurle. Et puis… le chaos ». Les yeux écarquillés, le corps figé, le visage blanc, exsangue, le père de l’écrivaine lâche deux mots, incompréhensibles pour les enfants. Seule sa femme saisit leur sens. Le surgissement des images de ce chaos bouleverse la nuit de Kaouther Adimi au musée Picasso. Furtivement, elle revoit tout, son père sort de la voiture, se précipite vers les terroristes, le pistolet à la main. L’effroi s’accentue avec la chaleur accablante étouffant la Peugeot blanche. Tout le monde détourne les yeux. L’épaisseur de l’air redouble de lourdeur. Soudain, il revient, essoufflé : « Ce n’est rien, tout va bien, tout va bien. »
C’était en 1994, la famille venait de rentrer de Grenoble, et se dirigeait depuis Alger vers le village familial situé dans l’Est algérien. « Je sais aujourd’hui les mots qu’il a prononcés. Deux mots qui dans les années 90 auraient fait dresser les cheveux de n’importe quel Algérien : faux barrage. » C’est le premier choc contre le mur du réel : le terrorisme des groupes islamistes.
Sur le conseil de l’un des supérieurs « pas mécontent de se débarrasser de cet homme trop lettré qui contest [ait] tout, qui n’ [était] jamais d’accord sur rien », le père de l’autrice, cadre dans l’institution militaire, avait décidé de s’installer en France pour rédiger une thèse de doctorat sur « La montée de l’islamisme en Algérie vue à travers la presse périodique française » à l’université Stendhal : « En août 1990, quelques mois après la victoire du Front islamique du salut aux élections communales, nous nous installons à Saint-Martin-d'Hères. »
Quelques mois plus tard, le 11 janvier 1992, le président algérien démissionne, ce qui entraîne de facto l’annulation du premier tour des élections législatives remportées massivement par le FIS : le pays est à feu et à sang. « Mohamed Boudiaf, grande figure de la résistance algérienne, exilé au Maroc, est rappelé précipitamment pour prendre les rênes du pays », mais il sera assassiné à Annaba par son garde du corps. Les Algériennes et les Algériens assistent à la scène macabre sur leurs télévisions. Le pays bascule, sombre dans une violence aveugle et aveuglante. Or, c’est justement à quelques kilomètres du lieu du crime que l’écrivaine arrive avec sa famille pour se ressourcer sur la côte bônoise.
Le 15 septembre 2018, au musée Picasso, la résurgence de ces souvenirs traumatiques a donc empêché l’autrice d’écrire sur Baya : « Je ne cessais de déraper. Le passé m’avalait, m’éloignait du récit que je devais raconter. Je voulais écrire sur elle, et pourtant, je n’écrivais que sur moi. » Depuis l’événement du « faux barrage », elle a commencé à souffrir d’un étrange mal de ventre accompagné de vomissements. Mais sa deuxième nuit au musée de novembre 2022 s’avère propice à l’aboutissement d’un travail littéraire et mémoriel. Les gouaches et les sculptures de Baya stimulent, aident à poser des questions cruciales : « Comment sortir de la grande nuit ? » Kaouther Adimi creuse de nouveau, fouille, excave les histoires enfouies, consulte les archives, confronte les récits amputés et les silences. Doute de tout. La douleur et les vomissements persistent, les médecins, enchaînant les scanners et les prises de sang, s’entêtent : « Rien, elle n’a rien du tout. »
Les bouquets d’œillets dans l’œil de Baya
Née sous domination coloniale, en 1931, à Bordj El-Kiffan, dans la banlieue est d’Alger, Fatma Haddad perd son père à l’âge de 6 ans. Trois ans plus tard, sa mère, prénommée Baya, agonise. Indépendante d’esprit et dotée d’une impressionnante habileté manuelle, la jeune fille s’attribuera ce prénom maternel en guise de nom d’artiste. Elle observe attentivement les potières de Kabylie, commence très tôt à dessiner sur le sable et à modeler dans l’argile des petits sujets, s’approprie le mariage singulier du rose indien et du bleu turquoise et invente un pictogramme pour signer ses œuvres.
Pour subvenir aux besoins de sa famille, qui vit dans le dénuement, la fillette travaille avec sa « terrible grand-mère » dans les champs des grands expropriateurs coloniaux. La vieille femme est passée par plusieurs domaines, notamment la ferme horticole des Farges, propriété de Simone, la sœur de Marguerite Caminat, la « Française égarée en colonie » qui deviendra la mère adoptive de Baya. Si celle-ci a fasciné le Tout-Paris intellectuel, artistique et politique de l’après-guerre, c’est en grande partie grâce à cette femme et à son mari Mac Ewen, un peintre juif écossais. Le cénacle parisien la propulse très jeune déjà au sommet de la notoriété.
La ferme des Farges procure à l’orpheline un peu de joie dans un océan de misère. C’est là où son imaginaire bariolé va s’enrichir et trouver la voie de sa concrétisation. Elle observe avec pénétration ce qui l’environne, et tout lui est, dans les rares moments de repos, source d’émerveillement : « Les roses, d’un rouge profond, d’un rose pâle ou d’un jaune éclatant, forment des blocs intenses. Leur présence est massive, dominante, leurs têtes sont penchées sous le poids de leurs pétales. À côté, les œillets apportent une variété de nuances plus subtiles. Leurs couleurs varient du blanc au pourpre, s’étalant en vagues douces à travers le jardin. Les oiseaux de paradis, avec leurs formes singulières, tranchent dans ce paysage ».
Vers la fin de l’année 1943, Marguerite Caminat emmène Baya vivre chez elle. Négociant un pécule mensuel avec sa grand-mère, elle fait d’elle sa bonne. Mais, rapidement, leurs relations évoluent, et Marguerite devient la mère de cœur de Fatma. La jeune fille habite rue Élisée-Reclus (rue Omar-Amimour aujourd’hui), apprend à lire et à écrire, réalise ses premières peintures, se retrouve à circuler entre deux mondes – la semaine avec les colons, le week-end au milieu des colonisés :
« D’après les lettres, archives et notes de Marguerite, Baya se montre douce et navigue entre deux cultures, deux univers sans trop de mal, même si les débuts sont laborieux. Elle garde une forme de distance, ne se livre pas. En semaine, elle parle français, s’habille à l’européenne, écoute attentivement les conversations des artistes qui viennent dîner à la maison, car le couple aime recevoir. Le week-end, elle retourne dans sa famille, chez sa terrible grand-mère, retrouve son petit frère, parle arabe, suit les préceptes musulmans, fait le ramadan et la prière ».
Naturellement, tout cela implique de porter le masque du dominé, pour faire face à l’arbitraire colonial, préserver son être, survivre.
Tout au long de cette deuxième nuit au musée, Kaouther Adimi multiplie les adresses à l’une des figures tutélaires de l’art algérien. Sous son œil protecteur, qui évoque un parcours mémorable et une enfance coloniale semée de vexations et d’humiliations, l’écrivaine veut mettre les mots juste sur son Algérie en guerre. Relèvera-t-elle le défi ?
Les années 1990 au miroir des toiles de Baya
« Baya est mon point d’appui, la colonne vertébrale de ce texte. Sans elle, l’écriture vacille. Baya est ce qui me permet de tenir, de reprendre souffle lorsque les souvenirs me submergent », écrit Kaouther Adimi. Ce livre restitue une expérience humaine bouleversante : les attentats auxquels elle a assisté, de 1994 (celui du faux barrage) à 2007 (celui du bus universitaire d’Alger), l’angoisse et la peur qui continuent d’habiter son imaginaire, ses inquiétudes perpétuelles, son rapport complexe aux langues arabe et française, les souvenirs de ses disputes avec son père sur le retour forcé et « dé-fi-ni-tif » en Algérie.
Installée en France depuis treize ans, l’écrivaine ne peut que constater l’inquiétante présence du fardeau de ces ombres qui continue à surcharger ses écrits, et c’est avec le nuancier de Baya qu’elle essaye de défaire cette terreur. Mais, regrettablement, La Joie ennemie souffre du travers récurrent d’une partie significative des livres qui se publient sur la « décennie noire ». Le texte n’explicite aucunement le rôle de l’autoritarisme étatique et militaire dans l’essor et la cristallisation des mouvements islamistes et des groupes terroristes – notamment par le soutien actif du conservatisme religieux contre tout projet d’émancipation sociale et citoyenne. L’auteure, de fait, ne formule aucune réflexion critique sur la responsabilité de l’institution militaire dans les violences commises à l’encontre des civils, et l’on a le sentiment, en outre, que le lien entre les œuvres de l’artiste et les événements ensanglantés des années 1990 n’est pas établi de façon satisfaisante. Chapitre après chapitre, le livre juxtapose artificiellement les vies de deux femmes algériennes qui essayent de se parler par-delà les frontières du temps. On aurait aimé rentrer davantage dans des tableaux comme Femme aux oiseaux (1987), Femmes, bouquet et luth (1988), L’Oiseau et le palmier dattier (1989) ou Femme à la harpe (1997) pour découvrir sous un jour nouveau le conflit qui a dévasté le pays.
Cela n’en reste pas moins un livre important, auquel on ne saurait, au fond, reprocher vraiment de ne pas élucider les ressorts de cette guerre algérienne fratricide qui demeure insuffisamment documentée, étudiée, débattue et enseignée.
27.08.2025 à 10:00
Déconstruire le mythe du prof-héros : entretien avec Jérémie Fontanieu
Jérémie Fontanieu publie ces jours-ci Le mythe du prof héros aux éditions Les liens qui libèrent, où il détaille les origines et les manifestations toujours actuelles du mythe qui consiste à représenter le professeur, le maître ou la maîtresse comme un héros solitaire, dont le succès des élèves dépend entièrement.
Le livre s'inscrit dans la continuité de son ouvrage précédent, L'école de la réconciliation (Les liens qui libèrent, 2022) et du documentaire sorti l'an dernier au cinéma, qui présentaient la méthode qu'il a développée avec un collègue — fondée notamment sur une alliance forte des enseignants avec les familles des élèves — ainsi que ses résultats, qu'ils continuent de diffuser avec un engagement remarquable.
Le nombre d'enseignants qui l'ont adoptée est passé d’un peu moins d’une dizaine en 2021/2022, à une centaine en 2022/2023, 200 en 2023/2024, 350 l’an dernier et environ 500 pour l'année qui vient, représentant une grande diversité de personnalités, de contextes comme de niveaux enseignés, comme on peut le constater à partir du site internet du collectif .
La déconstruction de ce mythe s'accompagne ainsi de la promotion d'une représentation alternative des professeurs qui met fortement l'accent sur le collectif élargi aux parents d'élèves.
Nonfiction : On a des profs une vision héroïque, qui, parce que ceux-ci croient devoir s'y conformer, pèse très lourdement sur leur capacité à exercer ce métier. Son principal et plus grave défaut serait de les dissuader de chercher aucun appui. Seriez-vous d'accord avec cette formulation ?
Jérémie Fontanieu : Je pense que le mythe du prof-héros fait même quelque chose de plus grave que nous dissuader de chercher des appuis : il ancre en nous une vision auto-centrée du métier, de nos pratiques, qui rend parfaitement logiques nos pratiques pédagogiques solitaires et écarte donc le concept même « d’appuis ». Après avoir récupéré nos listes d’élèves, dans quelques jours, nous nous retrouverons tous face à plusieurs dizaines d’élèves dont l’implication est censée refléter la qualité de nos séances. Tout faire reposer sur nos seules épaules a quelque chose de sympathique, comme si les profs étaient potentiellement dotés de pouvoirs magiques et qu’un miracle en classe était possible, mais cela me semble surtout dangereux, comme j’essaie de le montrer dans le livre.
Sur l’origine de ce mythe, il me semble que les responsables sont politiques, puis culturels et sociaux. Pour Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès et les autres défenseurs de la IIIᵉ République, il s'agissait de faire des instituteurs de glorieux artisans du pays et de l'humanité, à une époque où le régime était menacé. Cela relevait à la fois d'un encouragement sincère envers ceux qu’on surnommera les « Hussards noirs » que d'une prophétie auto-réalisatrice. Dès la fin du XIX e siècle, la littérature puis la chanson et le cinéma se sont emparés de cette figure dont la dimension romantique (voir sa vie transformée par une personne exceptionnelle, a fortiori si elle est censée incarner le projet politique des Lumières, l’égalité des chances, etc.) me semble avoir assuré la pérennité.
À l’heure actuelle, peu de figures semblent aussi consensuelles que « ce prof qui change la vie » ou « cette maîtresse que l’on n’oubliera jamais ». Et pourtant, derrière ce mythe, que de difficultés et d’éléments toxiques pour les élèves, les familles et surtout nous, les professeurs ! Notre solitude, d’abord et avant tout : on nous met face aux élèves, comme si nos qualités de pédagogues ou la puissance intellectuelle de nos séances devaient susciter l’irrésistible envie de travailler chez les enfants ou adolescents qui ont pourtant toutes les raisons de ne pas faire ce qu’on leur demande (la flemme, le manque de confiance en eux, la peur du regard des autres, les difficultés cognitives, l’appréhension vis-à-vis d’une institution scolaire qui dysfonctionne ou encore le « prof bashing »). Sans bonne volonté des élèves, notre mission semble impossible et c’est l’une des raisons pour lesquelles tant de profs des écoles, de collège et de lycée s’épuisent.
Cette solitude pédagogique me semble le plus gros danger que pose le mythe de l’enseignant héroïque, mais j’en évoque quelques autres dans le livre : notre épuisement professionnel et moral, la disparition de frontières claires entre le travail et la vie privée, le traitement insultant de l’institution (hier privés de droit de grève ou de syndicats, aujourd’hui sous-rémunérés au nom de « la vocation ») ou encore, de façon improbable, la condescendance vis-à-vis des élèves (vouloir les « sauver », c’est les considérer comme des victimes).
La méthode que vous avez développée empiriquement procède exactement à l'inverse. Pourriez-vous rappeler en quoi elle consiste ?
La méthode « Réconciliations », développée depuis une dizaine d’années en lycée de quartier populaire et qui est maintenant utilisée par plusieurs centaines de professeurs partout en France, du cycle 1 au lycée général, technologique ou professionnel, repose sur un refus de cette conception héroïque des enseignants : dès les premiers jours de l’année scolaire, nous appelons tous les parents d’élèves de notre classe (dans le primaire) ou de chacune de nos classes (dans le secondaire) puis nous envoyons à chaque famille un SMS hebdomadaire personnalisé.
Les parents étant très positivement surpris par notre contact initial et cette proposition inattendue, ils nous assurent très tôt de leur soutien et parlent favorablement de nous à la maison. Aux yeux des élèves, nous changeons alors de statut : ils nous croient « proches » de leurs parents, presque membres de la famille (!), ce qui les pousse à s’impliquer bien davantage que d’habitude en classe. Tout change : les enfants et adolescents mettent beaucoup plus du leur dans les activités, ils tirent du plaisir de cet engagement et des progrès qu’ils méritent, ils se sentent encouragés par les adultes ayant fait alliance, ils gagnent en estime d’eux-mêmes, etc. Sur le site internet du collectif de nombreuses vidéos-témoignages des collègues l'illustrent : quel que soit le contexte sociogéographique ou l’âge des profs, la méthode provoque des changements qui sont au tout début surprenants pour les élèves et les familles, mais qui s’avèrent extrêmement positifs au bout de quelques semaines. Pour les professeurs surtout, le bilan est formidable : la méthode ajoute du travail en début d’année (aller chercher les familles, faire preuve d’une très grande précaution lors des premières semaines) mais elle fait gagner beaucoup de temps et d’énergie dès les semaines qui suivent. En poussant les parents à prendre leur part de responsabilité dans la réussite scolaire de leur enfant, nous refusons donc que tout repose sur nos épaules en classe : c'est en cela que nous refusons d'être héroïques.
Le partage d'expériences y tient une place importante. Pourriez-vous en dire un mot ?
« Réconciliations » a toujours comporté une forte dimension collective, la méthode se distinguant par son refus de la tradition pédagogique solitaire dont les résultats étaient pour nous frustrants voire culpabilisants. Or, depuis 2021, le fait que des centaines de collègues se soient lancés à leur tour en adaptant les choses à l’âge de leurs élèves, au contexte sociogéographique de leur établissement, aux particularités de leur territoire et surtout à leur personnalité (on enseigne comme on est, a fortiori avec notre méthode), n’a fait que renforcer ce caractère collégial en raison de l’entraide et du soutien moral au sein de cette jeune communauté d’enseignants. Que ce soit chaque jour sur notre groupe Facebook, dans nos visios hebdomadaires ou lors de la rencontre physique qui a lieu chaque année à Paris, nos partageons beaucoup nos petites réussites, nos difficultés, nos doutes et nos échecs : il s’y développe une forte intelligence collective, basée sur le tâtonnement de chacun dans la tentative de faire le deuil du mythe du prof-héros.
C’est en effet la principale difficulté de la méthode, qui n’est pas chronophage contrairement aux apparences (obtenir l’aide efficace des familles prend du temps en début d’année, mais nous en fait gagner au moins autant ensuite) : pour que les parents et les enfants soient beaucoup plus impliqués que d’habitude, il ne suffit pas d’envoyer des SMS chaque semaine aux familles car notre façon habituelle de s’adresser à elles est très marquée par la représentation auto-centrée du métier. Notre communication généralement ponctuelle, relative à des mauvaises nouvelles, le registre de langue soutenu et nos attentes implicites produisent une mise à distance involontaire des parents d’élèves. Les profs du collectif s’efforcent donc de perdre ces habitudes et d’en acquérir de nouvelles ; c'est compliqué, mais nous arrivons à le faire parce que nous traversons tous cette épreuve en même temps (choisir les bons mots, ne pas réagir maladroitement à des réponses parfois surprenantes des familles, etc.).
D'autres professions ont pu être logées à la même enseigne, et pour lesquelles, de la même manière, une sortie de l'isolement a pu constituer un progrès important. On gagne souvent à considérer les situations de travail comme des situations collaboratives. Le métier de prof pourrait à son tour connaître une révolution de ce type, ne croyez-vous pas ?
Le cœur de notre méthode conçoit en effet la pédagogie comme un acte fondamentalement collectif : non plus la maîtresse, le maître, le prof ou la prof seul face à des élèves qui sont souvent convaincus que leurs résultats dépendent de son génie pédagogique et adoptent une posture passive, mais une œuvre dont la réussite nécessite tout autant l’engagement des enfants ou adolescents et des familles. Depuis une dizaine d’années maintenant, l’expérience nous montre que cela fonctionne, même si le deuil du mythe du prof-héros et le changement dans nos conceptions des élèves et des parents sont difficiles à effectuer. Tous les enseignants qui nous rejoignent connaissent cette même forme de libération, vertigineuse et difficile à réaliser, mais si précieuse pour notre santé mentale — sans parler de celles des élèves et des familles, évidemment.
Ça marche, donc, et je n’ai aucun doute sur le fait que nous serons des milliers dans quelques années. Pour autant, je n’utiliserais pas le mot de « révolution », qui comporte quelque chose de normatif (nous ne prétendons pas avoir raison ou détenir la vérité — je ne suis pas sûr qu’elle existe en matière éducative d’ailleurs) et qui est très fort au regard de nos pratiques assez habituelles en classe (la liberté pédagogique restant la règle, chaque prof du collectif enseigne, évalue et gère sa classe de façon parfaitement subjective ; cela dit, parmi nous, personne n’a recours à des éléments foncièrement originaux ou atypiques).
06.08.2025 à 11:00
Avignon 2025 : « Les Incrédules », un opéra de notre temps
Un mur gris planté là isole l’avant-scène. Une jeune femme blonde aux cheveux mi-longs tirés vers l’arrière, loin de son grand front, s’avance. Elle est vêtue d’une chemise fushia parsemée de motifs floraux blancs, ouverte sur un T-shirt noir, et d’un pantalon de pierrot en satin. Elle adresse au public quelques phrases dont on va perdre le souvenir lorsque, juste après avoir dit qu’elle est une chercheuse scientifique, que son domaine est la biologie (et qu’on redouterait presque un théâtre-documentaire !), elle lance : « Quand ma mère est morte... », interrompt sa phrase, baisse la tête, rive ses yeux au sol, et ne bouge plus.
©Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
Un temps pour apprivoiser la composition des genres
Cependant une autre femme est venue près d’elle, vêtue à l’identique et parlant à l’unisson. Pour l’instant on ne sait pas que cette autre est le double chantant de cette actrice, une voix magnifique d’opéra.
Et puis il y a, côté jardin, ce « truc » étrange : un portant à roulettes où se trouvent suspendues une douzaine de tiges immobiles. Un grand type est venu s’accroupir derrière cette machine, s’est saisi d’une de ces tiges – un balancier. Au bas de la courbe décrite, ce tube à section carré vient heurter (« pincer », à la manière de la touche de clavecin ou du doigt de harpiste) une corde : on a là, manifestement, une sorte de guimbarde géante d'une douzaine de notes, dont les sons sériels et ponctués diminuent à mesure que ces pendules réduisent leur course.
Il y a aussi, à la base de cet instrument, une caisse en bois qui tient à la fois de la boîte à cadavre et de la caisse de résonance – fonctions qu’on n’avait pas su voisines à ce point. Il y a encore l’orchestre dans sa fosse (pour ainsi dire), qui produit son beau vacarme sonore. Et enfin il y a les protagonistes du spectacle, qui viennent se placer les uns tout près des autres, côté cour, la main posée sur leur front baissé, mimant ensemble des corps traversés de spasmes douloureux.
©Jean-Louis Fernandez
L’art lyrique recréé
Tout cela pour un prologue théâtral et musical qui ménage au spectateur le temps d’accueillir et apprivoiser, d’emblée, un mélange des genres : du théâtre et de l’opéra qui vont lui offrir un cocktails d’émotions esthétiques d’une richesse étonnante.
S’il y a donc là de beaux tambours et d’émouvantes trompettes, c’est sans les uns ni les autres que Samuel Achache et ses comédiens-musiciens-compositeurs-dramaturges-chanteurs ont bien l’air de suivre une piste fort intéressante : un renouvellement inouï du spectacle lyrique. À telle enseigne que, loin d’inviter les meilleurs artistes, comme par un parcours de carrière obligé, à monter chacun leur tour qui un Carmen , qui une Trilogie , on pourrait souhaiter que Les Incrédules les mettent au défi d’apprivoiser quelquefois, aussi bien que cette bande d’artistes (Samuel Achache, Sarah Le Picard, Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang), et dans des formes aussi libres, aussi inventives, le démon de la vie créatrice.
©Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon
Un peu profond ruisseau calomnié la mort (Mallarmé)
Notre héroïne reçoit chez elle, par téléphone, l’annonce du décès de sa mère. Le mur gris s’est retiré. C’est le premier d’une série de tableaux successifs. Dans son appartement, la jeune femme se tient dédoublée, mais aussi habitée, dans sa solitude, par la présence d’un quatuor timbré comme il faut : violon, violoncelle, saxophone et accordéon. Sans oublier, au fond de son trou, cet orchestre irruptif, sa forte présence illustrative, et même narrative quand il épouse les solos, duos, trios, chœurs des protagonistes. La Maman a donc été victime d’un arrêt cardiaque pendant qu’elle nageait, à la piscine de son quartier. Or, cette même Maman arrive dans l’appartement, dédoublée elle aussi, en parole et en voix.
Quiconque a vécu la mort de son plus proche parent (ou bien sait qu’il devra un jour faire face à cette échéance), pour peu qu’il lâche prise un moment (et n’est-ce pas pour lâcher prise qu’on vient au théâtre?), pourra être bouleversé par la reprise poétique de cet événement. Celle-ci se distribue sous les trois dimensions du dialogue (avec les gens, avec la défunte-revenante…), du chant (avec la détente du temps que la musique génère, avec ses boucles un moment répétées, avec ses couleurs qui répondent aux timbres variés, parfois improbables, de l’orchestre…), aussi dans la dimension de l’espace (la situation, le geste, les tons, les lumières, et puis l’incompréhension, l’inquiétude et d’autres sentiments indistincts mais idoines, dont l’expression est troublante, et encore le comique, ou l’absurde, qui se heurtent au caractère réel d’un impossible).
©Jean-Louis Fernandez
Les effets bouleversants d’un contrepoint éblouissant
Les tableaux (scéniques), les morceaux (de musique et de chant) et les moments (dramatiques) si bien tissés, commandent au spectateur, cloué sur son fauteuil au milieu du public, une véritable attention, et même mieux que cela : une « attentivité », pour ainsi dire, contemplative et singulière. La musique nous traverse, elle nous habite. Tempo et couleurs musicales relancent sans arrêt le ton métaphysique. L’agencement scénique signifie quelque énigme qu’on tourne dans tous les sens (par exemple le message que délivre un tapis troué). L’action dramatique nous étonne et cultive notre désir d’en apprendre davantage (par exemple l’autopsie burlesque du cadavre-vivant révèle qu’un osselet se trouvait dans son cœur). Les formes, toujours renouvelées, dans toutes leurs dimensions sensibles, ne nous laissent aucun répit.
De sens froid, tout cela paraît franchement insensé. Alors pourquoi, spectateurs, sommes-nous si captivés ? C’est que ce bouquet de formes esthétiques à géométrie variable parle, parle, parle, et qu’il parle pour nous : il parle du deuil. Quelqu'un (et même quelque chose) en parle enfin, et en parle bien : c'est une œuvre - événement rare. On serait fasciné à moins. Ces artistes jouent avec ce qui nous regarde et dont nous fuyons la question : notre condition. Et, comme l’héroïne, nous sommes là, devant l’immense énigme, nous autres, les incrédules . Gens de peu de foi. Désarmés ou mieux armés que les croyants ? Qui peut le dire ?
©Jean-Louis Fernandez
Un dénouement « incrédible », pour incrédules
Plus insensé encore, ce dernier et long tableau, qui, semble-t-il, va chercher loin dans le travail du deuil les réminiscences enchevêtrées de l’héroïne : le mariage de sa mère, l’église qui en formerait l’écrin, le mur de cette église où le salpêtre dessine le visage du Christ (mais comme les nuages dans le ciel dessinent des chevaux ailés, sans autre message), la grossesse, l’accouchement. On s’y perd et ce n’est pas grave. Il paraît que les auteurs ont travaillé, au début, le thème du miracle. Il surgit là, parmi les autres, comme un bout d’esquisse se laisse voir encore sur la toile, dans les réserves de l’œuvre achevée. Et la mère se couche enfin sur le sable. Le deuil est fini.
Reste ce spectacle tel quel, et ce public, tel que nous sommes, avec ces tableaux qui, à la manière de variations inépuisables, composent et entrelacent, encore et toujours, les traits dramaturgiques, la musique de chambre, la musique d’orchestre, la guimbarde à balanciers, les voix lyriques, une scénographie, pour tenter d’attraper au filet le sens toujours fuyant du destin commun : la maternité, la mort.
Les Incrédules, avec l'Orchestre de l'Opéra national de Nancy-Lorraine, Jeanne Mendoche, Majdouline Zerari, René Ramos Premier, Margot Alexandre, Sarah Le Picard, Marie Lambert, Pierre Fourcade, Antonin-Tri Hoang, Sébastien Innocenti, Thibault Perriard. Direction musicale : Nicolas Chesneau. Livret et dramaturgie : Samuel Achache et Sarah Le Picard, en collaboration avec Margot Alexandre, Thibault Pierrard et Julien Vella. Composition : Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang.