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Bookmakers

Richard Gaitet

mis en ligne le 26.03.2025 à 12:10

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1 - Daniel Pennac (3/3)

Vercors à corps

Pennac, on l’a vu dans le Vercors. En train de tirer à l’arc ou de s’enfermer pour écrire dans sa cabane de moyenne montagne. « Seul avec moi-même dans le travail, à l’intérieur de la langue, c’est une bataille. Quand ça ne sort pas, c’est désespérant, de l’ordre de la constipation mentale. » Ce troisième et dernier épisode montre comment, après plus de cinquante livres, la flèche qui pointe au bout de ses « doutes proliférants » – les couacs de Pennac – finit toujours par atteindre le centre de la cible. En s’attardant sur « Journal d’un corps », publié en 2012 et vendu à 340 000 exemplaires, roman inouï dans lequel un homme toute sa vie « cultive l’art de regarder » les évolutions de sa chair, de sa santé, de ses tripes. En se faufilant dans le trou de souris du scénario d’« Ernest & Célestine », ce film d’animation sublime réalisé la même année par Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar d’après les albums illustrés de Gabrielle Vincent, récompensé à Cannes et aux Césars, qui enchanta 800 000 spectateurs en salles. Ou en parcourant ce drôle d’objet sorti en octobre 2024, « Mon assassin », sur l’origine de ses personnages, qui a déjà séduit soixante mille fans. Sans peine et sans trac !

L'auteur du mois : Daniel Pennac
Né à Casablanca en 1944, Daniel Pennac a choisi le roman « pour ne pas avoir à trop se fréquenter ». Il est l’auteur adoré de la saga « Malaussène », comédies policières cosmopolites sur une famille tapageuse de Belleville, vendue à 6,7 millions d’exemplaires rien qu’en France (huit tomes, 1985-2022, Gallimard). On lui doit également des romans pour enfants drôlement chouettes (« Cabot-Caboche », « L’œil du loup », 1982-1984), un bref essai sur la lecture intitulé « Comme un roman » (1,1 million d’exemplaires, 1992) ou des scénarios de bande dessinée pour Tardi, Florence Cestac ou la série Lucky Luke. Sacré par l’Académie Française en 2023 pour l’ensemble de son œuvre lumineuse, il vit et travaille à Paris, ainsi que dans son Vercors chéri.

Remerciements
Blandine Rinkel, Vincent Schneegans, Maxime Su Ribera.

Enregistrements janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin & Mathilde Guermonprez Lecture Samuel Hirsch Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Piano Maison Pierō Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 26.03.2025 à 12:05

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2 - Daniel Pennac (2/3)

Le grand marchand de prose

C’est l’histoire pétaradante d’une famille de Belleville aux parents absents, d’une tribu débraillée de sapajous qui crèche dans une ancienne quincaillerie riche en dingueries rue de la Folie-Regnault. Au cœur battant de ce bazar : Benjamin Malaussène, qui veille sur six frères et sœurs (Louna, Thérèse, Clara, Jérémy, Verdun et « Le Petit », né·e·s d’une mère voyageuse et d’un père inconnu à chaque fois différent), sur le chien Julius à l’odeur insupportable, sur son neveu et sa nièce (Maracuja et « C’est Un Ange »), avant d’être père lui-même – grâce à la jolie Julie – d’un bambin tout simplement baptisé « Monsieur Malaussène ».

Malicieuse et sans gêne mais jamais malsaine, la bienheureuse smala Malaussène, née du cerveau-hamac de Daniel Pennac, fête cette année ses 40 piges, depuis la sortie en 1985 d’un premier tome affamé, « Au bonheur des ogres », dans la légendaire Série Noire de Gallimard, qu’il quittera pour la collection « Blanche » suite au succès de « La petite marchande de prose », sacré du prix du Livre Inter 1990. Dans ce deuxième épisode, « Bookmakers » vous ouvre les coulisses d’une commedia dell’arte authentiquement populaire de deux mille pages, « vraisemblablement » terminée en 2022 avec « Terminus Malaussène », pour savoir ce que ce grand marchand de prose avait « dans le cigare » au moment d’enfanter de tels zouaves. En scène, les Malaussène !

L’auteur du mois : Daniel Pennac
Né à Casablanca en 1944, Daniel Pennac a choisi le roman « pour ne pas avoir à trop se fréquenter ». Il est l’auteur adoré de la saga « Malaussène », comédies policières cosmopolites sur une famille tapageuse de Belleville, vendue à 6,7 millions d’exemplaires rien qu’en France (huit tomes, 1985-2022, Gallimard). On lui doit également des romans pour enfants drôlement chouettes (« Cabot-Caboche », « L’œil du loup », 1982-1984), un bref essai sur la lecture intitulé « Comme un roman » (1,1 million d’exemplaires, 1992) ou des scénarios de bande dessinée pour Tardi, Florence Cestac ou la série Lucky Luke. Sacré par l’Académie Française en 2023 pour l’ensemble de son œuvre lumineuse, il vit et travaille à Paris, ainsi que dans son Vercors chéri.

Remerciements
Blandine Rinkel, Vincent Schneegans, Maxime Su Ribera.

Enregistrements janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin & Mathilde Guermonprez Lecture Samuel Hirsch Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Piano Maison Pierō Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 26.03.2025 à 12:00

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3 - Daniel Pennac (1/3)

Passé carabiné

Élève Pennac, au tableau ! Montez sur l’estrade et récitez-nous la leçon de votre vie : celle du cancre absolu à la mémoire de gruyère, du dernier de la classe nul en calcul comme en orthographe, qui fut « sauvé » par une poignée de professeurs autant que par son talent pour « l’affabulation », le mythe du petit menteur provençal qui devint – vingt-cinq ans durant – un prof de français à l’écoute des « ados en péril » doublé d’un écrivain prolifique parmi les plus lus de son pays. Contez-nous en vrac, comme à la fin de votre essai « Chagrin d’école » (prix Renaudot 2007, vendu à 1,2 million d’exemplaires), comment « une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer ».

Dans ce premier épisode, l’auteur de « La fée carabine » revient sur le « salopard » qui lui inspira l’enseignant si sévère des aventures collégiennes de « Kamo » (1991-1992), sur le braquage d’un coffre-fort qui l’envoya en pension, sur le livre qui lui fut providentiellement « commandé » en classe de troisième, sur son premier ouvrage publié à 29 ans, en 1973 (une attaque contre le « virilisme débile » du service militaire) ou sur ses deux romans jamais réédités de « politique burlesque » imaginés avec le Roumain Tudor Eliad. Sortez les cahiers : place à la masterclass du jeune octogénaire aux « lunettes de Geppetto », à l’heure de ChatGPT.

L’auteur du mois : Daniel Pennac
Né à Casablanca en 1944, Daniel Pennac a choisi le roman « pour ne pas avoir à trop se fréquenter ». Il est l’auteur adoré de la saga « Malaussène », comédies policières cosmopolites sur une famille tapageuse de Belleville, vendue à 6,7 millions d’exemplaires rien qu’en France (huit tomes, 1985-2022, Gallimard). On lui doit également des romans pour enfants drôlement chouettes (« Cabot-Caboche », « L’œil du loup », 1982-1984), un bref essai sur la lecture intitulé « Comme un roman » (1,1 million d’exemplaires, 1992) ou des scénarios de bande dessinée pour Tardi, Florence Cestac ou la série Lucky Luke. Sacré par l’Académie Française en 2023 pour l’ensemble de son œuvre lumineuse, il vit et travaille à Paris, ainsi que dans son Vercors chéri.

Remerciements
Blandine Rinkel, Vincent Schneegans, Maxime Su Ribera.

Enregistrements janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin & Mathilde Guermonprez Lecture Samuel Hirsch Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Piano Maison Pierō Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 29.01.2025 à 02:23

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4 - Justine Niogret (3/3)

Viser juste

Sa parole est tranchante et son regard, lucide. À la sortie en 2018 aux éditions du Seuil du « Syndrome du varan », son premier livre de littérature « générale », Justine Niogret disait : « C'est que dalle de tuer un dragon avec une épée. Ça l'est beaucoup moins d'essayer d'être heureuse. Tuer un berserker, ces guerriers fauves et surpuissants que l’on trouve dans les grands manuscrits de la mythologie nordique, ce n'est souvent que la première épreuve ; la véritable histoire commence après. Tuer une partie de soi pour avancer, c'est bien pireJe les ai tués, mes dragons. »

Dans cet inoubliable roman « post-traumatique » de 180 pages, l’autrice raconte le cauchemar quotidien d’une fille qui subit, de la part de ses parents et jusqu’à ses 17 ans, négligences et maltraitances, famine et humiliations, violences physiques, sexuelles et psychologiques. « L’angoisse et la méfiance » deviennent alors ses « états naturels » ; « J’ai fait ma guerre, et elle a été longue. » En résulte cette pierre de colère froide, semblable aux grands lézards indonésiens, à propos de laquelle l’écrivaine Chloé Delaume affirma : « Récit d’une enfance saccagée, où la puissance de l’écriture fait acte de résilience. »

 

Justine Niogret pense presque toujours que les mots, quand ils sont dits, sont « lourds et maladroits – comme des dindons, face aux rapaces et aux aigrettes que sont les mots écrits. Ce silence de réflexion, elle le trouve « totalement dénué d’agressivité, d’ego, de masques et de preuves à apporter » ; tout ce qu’elle reproche à l’oral.

Quand elle était petite, elle voulait être « exploratrice » mais à l’époque, elle a eu « un immense chagrin en comprenant que tout était déjà cartographié ». Dans ce troisième et dernier épisode, nous sentirons pourtant combien ses mondes semblent infinis. En parcourant les mangroves de « Bayuk », ce roman d’aventures pour ados publié en 2022 aux éditions 404, en traversant l’éprouvante banquise de « Quand on eut mangé le dernier chien », sorti en 2023 aux éditions Au Diable Vauvert et vendu à 4000 exemplaires, ou en attendant sa version de l’histoire de Calamity Jane, focalisée sur la femme oubliée derrière la légende héroïque. De jour comme de nuit, Justine vise juste.

L’autrice du mois : Justine Niogret

Née à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.

Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 29.01.2025 à 02:22

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5 - Justine Niogret (2/3)

Chien de la castagne

C’est une mercenaire redoutable de 24 ans, incorruptible et loyale, « au museau aussi noir que celui des bêtes », qui pour ses faits d’armes « se fait payer en lits d’auberge, en nourriture, en contes aussi ». La première héroïne inoubliable de Justine Niogret se fait appeler « Chien du heaume » et donne son titre à son premier roman publié, sorti aux éditions Mnémos en 2009. Une mercenaire en quête d’identité, dont la hache de guerre est logée dans le creux de ses reins, qui loue son bras au plus offrant et choisit ses missions au gré de routes dans un XIIe siècle français de boue, de sang et de pluie drue. Dans un monde idéal, ce bouquin lyrique et brutal aurait déjà été adapté en série télévisée pour devenir notre « Game of Thrones » hexagonal, cependant dénué de magie.

Comme son alter-go, Niogret confesse avoir « une grande rage intérieure – et beaucoup d'espoir aussi ». Elle ne croit pas « aux dragons, aux boules de feu et aux méchants sorciers. Plutôt : « au désir, à la foi, aux morts au combat qui retrouveront leur famille au paradis. » Cette fable initiatique moyenâgeuse se vendit tous formats confondus à 13 000 exemplaires et eut une suite en 2011, intitulée « Mordre le bouclier ». Un troisième roman de fer et de fracas, « Mordred », sur l’assassin du roi Arthur, publié en 2013 et vendu à 2500 exemplaires, boucla la boucle de sa ceinture de cuir.

 

Dans ce deuxième épisode consacré à l’art « cru » de Justine Niogret, il sera aussi question de son écriture « de premier jet, sans plan, jamais relue », d’un ignoble cheval-araignée tiré de son roman « Gueule de truie » (Critic, 2013), de la joie des jeux de rôle qu’elle fut l’une des rares femmes en France à pratiquer dès les années 90, de sa pratique de la forge, de sa cotte de mailles ou d’un insupportable casque de gladiateur romain. Avé Justine !

L’autrice du mois : Justine Niogret

Née à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.

Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 29.01.2025 à 02:21

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6 - Justine Niogret (1/3)

Fuir les loups sous l’orage

Frappez tambours et sonnez trompettes, damoiselles et damoiseaux ! En l’an de grâce 2025, il n’est point trop tôt pour ériger, de son vivant, dans quelque forêt de Bretagne, une statue à l’effigie de Justine Niogret. Dans le castelet de ses 45 ans, déjà neuf romans, une cinquantaine de nouvelles, des scénarios de jeux de rôles, des traductions de jeux de plateau ou une biographie de son fantastique maître horrifique Stephen King. « J’écris beaucoup de choses hostiles, souvent champêtres, avec des menaces, de l’effort et des personnages fiers de leurs cicatrices », dit celle qui se décrit parfois comme « une horrible geek de la plus belle eau ». Mais comment cette grande myope obsédée par les Vikings façonne-t-elle ses univers de cauchemar ?

Dans ce premier épisode consacré aux origines du « petit ogre » du Finistère, arpentons les couloirs hantés de sa tour sombre, où errent à grand bruit les cavaliers du « Seigneur des Anneaux », où bave un saint-bernard enragé, où résonnent ses sonnets enfantins sur les guerres napoléoniennes ou les déboires sentimentaux de la série « Madame est servie » qui lui inspira une pièce de théâtre. Comment naquirent les inquiétantes nouvelles d’« Et toujours le bruit de l’orage » (2008), rééditées sous le titre « Vers le pays rouge » (éditions Rivière Blanche) ? Gagner sa vie dans sa jeunesse à coudre des vêtements du Moyen-Âge est-il un atout pour, ensuite, tricoter des récits de chevalerie ? Place au paladin Justine Niogret, revigorant archer verbal que nul·le, désormais, ne saurait ignorer.

L’autrice du mois : Justine Niogret 

Née à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.

Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot

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mis en ligne le 27.11.2024 à 08:03

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7 - Mona Chollet (3/3)

Une workaholic plus très anonyme

Cheffe d’édition au « Monde Diplomatique » de 2007 à 2022, Mona Chollet se décrit – avec euphémisme – comme « plutôt consciencieuse ». Interrogée par « Femme Actuelle », la journaliste explique : « L’aspect robotique du salariat me convenait très bien. Tout comme cette logique rassurante de l’effort récompensé : je me savais le droit de profiter de mes week-ends. » Or, quand le succès de ses livres lui permet de se libérer de cet emploi quotidien, c’est la panique à bord, sur laquelle s’ouvre son dernier essai, « Résister à la culpabilisation » (La Découverte, 2024). Ce « bulldozer » cérébral ajoute : « J’avais oublié l’autonomie. Je m’étais habituée à ce qu’on me dise tous les matins où aller, quoi faire et jusqu’à quelle heure. Organiser soi-même ses journées provoque un grand désarroi. Je me forçais à travailler huit heures par jour et le week-end, pour ne pas me laisser aller (…) Se tuer au travail, faire totalement abstraction de son bien-être, se révèle bien vu. »

Bien vu, son propos l’est aussi. Avec un premier tirage de 70 000 exemplaires, « le nouveau Mona Chollet », pour lequel elle refuse les invitations à parler en public, figure déjà parmi les dix meilleures ventes de l’automne. Son livre n’aborde pas seulement la question du sacrifice en entreprise ; parmi ce qu’elle recense comme des « empêchements d’exister », Chollet dissèque les discours misogynes, la mise en accusation des victimes de violences sexuelles, les injonctions éducatives, ou encore « le flicage des mots et des pensées » au sein des sphères militantes.
Suivie par 92 000 abonné·e·s sur X, Mona Chollet définit parfois son rapport à l’écriture comme « une drogue en soi, une porte dérobée dans l’horreur de l’époque ». Pour ce troisième et dernier épisode, ouvrons celle du petit bureau – monastique – de la Mona, qui continue de rêver d’une pièce plus grande « dont la fenêtre resterait éclairée jusqu’à une heure avancée de la nuit, pour y faire naître des livres ».
 

L’autrice du mois : Mona Chollet

Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.

Enregistrements septembre 2024 Réalisation Charlie Marcelet Mixage Charlie Marcelet Illustration Sylvain Cabot Chant, beatmaking Élodie Milo Musiques originales Samuel Hirsch Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Delphine Saltel Production ARTE Radio

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mis en ligne le 27.11.2024 à 08:02

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8 - Mona Chollet (2/3)

Notre sorcière bien-aimée

En 2017, dans le secret nocturne de son laboratoire, Mona Chollet jette dans son chaudron mental les ingrédients de la réhabilitation d’une figure populaire : la sorcière. Publié l’année suivante aux éditions La Découverte, son ouvrage « Sorcières : la puissance invaincue des femmes » se souvient de ces dizaines de milliers de féminicides perpétrés du XVe au XVIIe siècle, en Europe, qui visèrent principalement les célibataires sans enfant. Chollet interroge en profondeur ce « coup porté à toutes les velléités d’indépendance féminine », la « haine » des cheveux blancs, la criminalisation de la contraception et de l’avortement, en s’appuyant autant sur les romans de Toni Morrison que sur le film « Liaison fatale ». Elle y affine son geste : « J’écris pour faire émerger des sujets qui n’étaient parfois même pas identifiés, en affirmant leur pertinence, leur dignité. Je suis une aimable bourgeoise bien élevée et cela m’embarrasse de me faire remarquer. Je sors du rang quand je ne peux pas faire autrement, quand mes convictions et aspirations m’y obligent. J’écris pour me donner du courage. » 

Abracadabra ! Le livre devient un grimoire de référence traduit en quinze langues et vendu à 380 000 exemplaires. Son nom se mue en incantation. D’où la nécessité d’interroger ses sortilèges, la structure de ses best-sellers qu’elle situe « entre le développement personnel et la politique », son usage des citations ou sa réticence au « terrain », en naviguant des podiums de « Beauté fatale » (sur les clichés véhiculés par l’industrie de la mode et la presse féminine, sorti en 2012 et vendu à 120 000 exemplaires) jusqu’à « Réinventer l’amour » (sur les impasses et les violences des relations hétérosexuelles, sorti en 2021 et vendu à 200 000 exemplaires), en passant par son petit préféré, « Chez soi » (sur « la sagesse des casaniers », sorti en 2015 et vendu à 65 000 exemplaires). Turlututu, chapeau pointu, n’attendons plus : envolons-nous sur le balai de cette sorcière bien-aimée, qui nettoie de nombreuses pensées poussiéreuses !

 

L’autrice du mois : Mona Chollet

Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
 

Enregistrements septembre 2024 Réalisation Charlie Marcelet Mixage Charlie Marcelet Illustration Sylvain Cabot Chant, beatmaking Élodie Milo Musiques originales Samuel Hirsch Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Delphine Saltel Production ARTE Radio

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mis en ligne le 27.11.2024 à 08:01

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9 - Mona Chollet (1/3)

Le sourire de Mona, lisant

 « J’écris pour y voir plus clair. Et, en fonction, changer mes comportements, ma perception, ma vie. » D’où proviennent les intuitions de Mona Chollet ? Comment « décantent » ses idées, comment « vagabonde » son imagination ? Quelle est sa dette envers l’écrivaine canadienne Nancy Huston ou l’essayiste française Annie Le Brun ? De quelle façon cette grande timide a-t-elle été « sauvée par internet » ? 
Dans ce premier épisode du premier numéro de « Bookmakers » consacré aux essais, remontons aux origines de la prodige genevoise : son premier journal autoproduit, sa passion inattendue pour « Star Wars », son ennui à l’école du journalisme de Lille, son année à « Charlie Hebdo », la création décisive du site « Périphéries » ou son arrivée au « Monde Diplo ». Avant d’évoquer ses deux premiers ouvrages : « Marchands et citoyens », sur « les usages créatifs et désintéressés » du web (L’Atalante, 2001), et « La tyrannie de la réalité », sur notre besoin physiologique de rêve (Calmann-Lévy, 2004). Des essais qui restaient à transformer, déjà ornés du sourire de Mona, lisant.

 

L’autrice du mois : Mona Chollet

Née à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
 

Enregistrements septembre 2024 Réalisation Charlie Marcelet Mixage Charlie Marcelet Illustration Sylvain Cabot Chant, beatmaking Élodie Milo Musiques originales Samuel Hirsch Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Delphine Saltel Production ARTE Radio

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mis en ligne le 17.09.2024 à 09:23

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10 - Pierre Michon (3/3)

Pierrot le ouf

En 2023, ses fans ont vu leurs joues rougir. Après quatorze ans de quasi-silence bibliographique, Pierre Michon a « scandaleusement dégainé » un nouveau livre, intitulé « La Petite Beune ». Un texte « érotomane » de 74 pages, suite directe d’un roman pas plus gros de 1995, « La Grande Beune ». Si vous avez manqué le début : en 1961, près de la grotte de Lascaux, un instituteur de 20 ans prénommé Pierre nourrit un désir terrible pour une buraliste de quinze ans son aînée, Yvonne, qui ressemble à Ava Gardner dans « La Comtesse aux pieds nus ». Publiées chez Verdier, « Les deux Beune » ainsi rassemblées se sont vendues à 25 000 exemplaires et firent, comme à l’époque de « Vies minuscules », la Une du « Monde des livres » qui parla de « miracle ».

Pour Michon, « construire une phrase est un dispositif de désir ». Pour nourrir le feu de ce troisième épisode, l’ami Pierrot évoque aussi bien « les chocolats métaphysiques » de Pessoa que ses relations avec ses éditeurs, tout en répondant à trois questions de sa jeune consœur Maria Pourchet. Et nous invite à méditer ce mantra fourré à la dynamite : « Pour écrire, il faut vouloir percer quelque mur, croire que prodigieusement les mots vont y entamer une brèche. » Hier comme aujourd’hui, le Mich’ allume la mèche.

Bookmakers #31 - L’auteur du mois : Pierre Michon
Né en 1945 dans un hameau de la Creuse, Pierre Michon se voit parfois comme « le dernier écrivain du XIXe siècle ». En 1984, il publie ses fameuses « Vies minuscules » aujourd’hui considéré comme un classique, départ d’une œuvre exigeante constituée d’une douzaine de livres brefs portés par son goût des histoires en costumes, où sont peints les malheurs de Van Gogh (« Vie de Joseph Roulin ») ou les « infimes effets » du génie de Rimbaud (« Rimbaud le fils »). Détail : parmi ses protagonistes, il y a toujours un Pierre, un Pierrot, un Piero, un Piotr – ou un Robes/Pierre, comme dans « Les Onze » (2009), récompensé du grand prix de l’Académie française. 

Enregistrements juin 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prises de son Mathilde Guermonprez Montage Timothée Lerolle Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Timothée Lerolle Musiques originales Samuel Hirsch Batterie, synthétiseurs Ricky Hollywood Illustration Sylvain Cabot Remerciements Yann Potin

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mis en ligne le 17.09.2024 à 09:22

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11 - Pierre Michon (2/3)

L'opuscule majuscule

Bookmakers #31 - L’auteur du mois : Pierre Michon
Né en 1945 dans un hameau de la Creuse, Pierre Michon se voit parfois comme « le dernier écrivain du XIXe siècle ». En 1984, il publie ses fameuses « Vies minuscules » aujourd’hui considéré comme un classique, départ d’une œuvre exigeante constituée d’une douzaine de livres brefs portés par son goût des histoires en costumes, où sont peints les malheurs de Van Gogh (« Vie de Joseph Roulin ») ou les « infimes effets » du génie de Rimbaud (« Rimbaud le fils »). Détail : parmi ses protagonistes, il y a toujours un Pierre, un Pierrot, un Piero, un Piotr – ou un Robes/Pierre, comme dans « Les Onze » (2009), récompensé du grand prix de l’Académie française. 

C’est son « premier soleil ». Un livre vénéré, cent fois commenté, étudié à l’université, qui fête cette rentrée ses quarante étés. Un premier roman devenu classique, à la croisée de Faulkner et de Flaubert, publié par Gallimard en 1984 après deux ans de querelles internes, où un abbé meurt de ses excès, où des paysans s’échinent « près un rameau décharné de glycine » en rêvant d’Afrique ou d’Amérique. « Vies minuscules » de Pierre Michon, c’est l’entrée en littérature du fils de l’institutrice d’un village rural, le « salut » tant espéré d’un lettré tapageur jadis porté sur la bouteille, qui de son propre aveu « se traîna jusqu’à 40 ans à ne rien foutre de ses dix doigts ».

Michon se retroussa pourtant les manches pour accoucher de huit petites biographies sur de merveilleux modestes. Un coup de maître selon la critique, longtemps boudé par le public, sans doute refroidi par ces longues phrases pleines de points-virgules et d’imparfait du subjonctif, qui souvent touchent au sublime.

Pour ce deuxième épisode, Pierre Michon retourne dans les coulisses de son chef-d’œuvre inaugural, vendus tous formats confondus à 185 000 exemplaires. S’est-il piégé lui-même en démarrant trop fort ? A-t-il été muséifié de son vivant par trop de colloques dithyrambiques consacrés à son œuvre ? Est-il encore hanté par cette phrase de Balzac placée en ouverture d’un de ses livres : « Tu pourras être un grand écrivain, mais tu ne seras jamais qu’un petit farceur » ? Pour le savoir, soulevons l’opercule de cet opuscule majuscule.

Enregistrements juin 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prises de son Mathilde Guermonprez Montage Timothée Lerolle Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Timothée Lerolle Musiques originales Samuel Hirsch Batterie, synthétiseurs Ricky Hollywood Illustration Sylvain Cabot Remerciements Yann Potin

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mis en ligne le 17.09.2024 à 09:21

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12 - Pierre Michon (1/3)

Le roi du bois

Bookmakers #31 - L’auteur du mois : Pierre Michon
Né en 1945 dans un hameau de la Creuse, Pierre Michon se voit parfois comme « le dernier écrivain du XIXe siècle ». En 1984, il publie ses fameuses « Vies minuscules » aujourd’hui considéré comme un classique, départ d’une œuvre exigeante constituée d’une douzaine de livres brefs portés par son goût des histoires en costumes, où sont peints les malheurs de Van Gogh (« Vie de Joseph Roulin ») ou les « infimes effets » du génie de Rimbaud (« Rimbaud le fils »). Détail : parmi ses protagonistes, il y a toujours un Pierre, un Pierrot, un Piero, un Piotr – ou un Robes/Pierre, comme dans « Les Onze » (2009), récompensé du grand prix de l’Académie française. 

Pierre Michon a longtemps cru aux muses qui, depuis l’Antiquité, soufflent aux artistes le vent de l’inspiration. Mais ces divinités furent capricieuses avec ce natif de la Creuse. Écrire l’a longtemps « épuisé ». À chaque fois, il a eu le sentiment de « jouer sa peau », terrorisé que son « don » puisse disparaître. « Le roi vient quand il veut », dit-il : c’est l’image-titre de son brillant recueil d’entretiens sur la littérature (Albin Michel, 2007), le roi personnifiant ici le talent ou plutôt « la Grâce ». Pour lui, l’écrivain⸱e qui bataille tous les jours avec ses personnages, qui s’arrache les cheveux à faire tenir un dialogue, « désacralise la relation à l’écriture », réduite à devenir « aussi ordinaire et triviale que dormir, se nourrir ou pisser ».

C’est contre cette idée que s’est construit ce podcast, pour lequel écrire est un artisanat discipliné, qu’il faut documenter, creuser. Il est donc savoureux de commencer cette cinquième saison de « Bookmakers » par une visite au cœur du Limousin, au domicile du maître, à une heure de Châteauroux. Une maladie respiratoire a bouleversé son rythme de travail, désormais plus serein. Du haut de ses 79 ans, le maître nous attend dans sa mansarde, espiègle sous ses atours de « dieu fatigué », un carnet noir à portée de main, son ordinateur cuivré sur les cuisses, bossant sur un mystérieux livre « d’amour ». Nos micros posés au pied de son lit parfumé à la menthe, il sera question, dans ce premier épisode, de la chaînette de Salammbô, d’un arbre qui pousse d’un ventre biblique ou d’un premier roman inachevé en forme de « space opéra mâtiné d’ethnologie » intitulé « Les Grands Dieux ». Dans le ciel et sur la terre, les muses s’amusent.

 

Enregistrements juin 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prises de son Mathilde Guermonprez Montage Timothée Lerolle Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Timothée Lerolle Musiques originales Samuel Hirsch Batterie, synthétiseurs Ricky Hollywood Illustration Sylvain Cabot Remerciements Yann Potin

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mis en ligne le 19.06.2024 à 10:23

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13 - Laura Vazquez (3/3)

En long, en large et en chemins de traverse

Bookmakers #30 - L'autrice du mois : Laura Vazquez.
Née en 1986 à Perpignan, Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone, traduits en chinois, anglais, espagnol, portugais, norvégien, néerlandais ou arabe. Son premier roman, « La Semaine perpétuelle », sorti en 2021 aux éditions du sous-sol, est distingué d’une mention spéciale du prix Wepler et vendu à dix mille exemplaires. En 2023, elle obtient – à 36 ans – le Goncourt de la poésie pour « Le Livre du Large et du Long », une « épopée versifiée » de 400 pages, en cinq actes, écoulée à cinq mille exemplaires. Elle vit et travaille à Marseille.

Laura Vazquez (3/3)
Pour résumer « La Semaine perpétuelle », son premier roman, Laura Vazquez écrit : « On y trouve des fantômes, des insectes, des téléphones, beaucoup de pourriture, le corps mort d’un oiseau, des éponges, des personnes qui n’ont plus beaucoup de dents, de la crème, un veau qui pleure et qui s'endort, des rires du Moyen-âge, des enfants contre des murs, des chiens jumeaux, la douleur en personne, des moines dans la neige, des émojis qui rient aux larmes, des robots, des chansons, des pilules calmantes, parfois dieu, un peu de lumière, une fontaine, des croutes. »

Dédiée à son chat, cette « Semaine » dure effectivement une semaine – dans la vie de Salim, un adolescent cloitré dans sa chambre, qui poste des poèmes et disserte sur le monde en direct de sa chaîne YouTube, jusqu’au jour où son inquiétude pour sa grand-mère adorée le force à réintégrer la réalité. Sous ses vidéos, les commentaires s’enchaînent, comme les histoires de cette corne d’abondance de bizarrerie, où les images peuvent blesser, où toute chose possède un esprit.

Dans ce troisième et dernier épisode, nous évoquerons aussi l’énigme du « Livre du large et du long », où l’héroïne se coupe un doigt « pour parler à un ami » et pour lequel Laura n’a « pas été loin de perdre la boule » ; sa première pièce de théâtre, « Zéro », une « tragédie lesbienne » à paraître en novembre toujours aux éditions du sous-sol ; ou un autre ouvrage à venir aux éditions sun/sun, inspiré d’une photo du musée Albert-Kahn de Boulogne-Billancourt. Vaste est la Vazquez.

Enregistrement avril-mai 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez et Marine Vlahovic Montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Samuel Hirsch, Timothée Lerolle, Claire Richard Musiques originales Samuel Hirsch Guitare Raphaël Morel-Novak Illustration Sylvain Cabot Remerciements Jean-Baptiste Imbert, Samuel Leroy-Vergnes Production ARTE Radio

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mis en ligne le 19.06.2024 à 10:22

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14 - Laura Vazquez (2/3)

De plus en plus réelle

Bookmakers #30 - L'autrice du mois : Laura Vazquez
Née en 1986 à Perpignan, Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone, traduits en chinois, anglais, espagnol, portugais, norvégien, néerlandais ou arabe. Son premier roman, « La Semaine perpétuelle », sorti en 2021 aux éditions du sous-sol, est distingué d’une mention spéciale du prix Wepler et vendu à dix mille exemplaires. En 2023, elle obtient – à 36 ans – le Goncourt de la poésie pour « Le Livre du Large et du Long », une « épopée versifiée » de 400 pages, en cinq actes, écoulée à cinq mille exemplaires. Elle vit et travaille à Marseille.

Laura Vazquez (2/3)
Entre 2014 et 2021, Laura Vazquez publie ses poèmes surréalistes dans de nombreuses revues, ou sous la forme de plaquettes aux titres étranges : « Défense et illustration de rien », « La vérité n’est pas un problème » ou encore « La compréhension du langage de toutes les créatures y compris les virus ». La plupart figure aujourd’hui dans l’anthologie intitulée « Vous êtes de moins en réels » (Points, 2021), vendue à cinq mille exemplaires, qui ne contient – a priori – pas un gramme d’autobiographie.

L’autrice confie : « Quand j’écris, ce n’est pas la personne limitée habituelle, avec mes goûts, mes envies, mes répulsions. Je tente de me débarrasser de toute forme de volonté. Je ne pense pas. Je suis une impression qui dépasse mes pensées. Il y a une vibration. Comme le cœur d’un nourrisson. Je me relis et je me dis : tiens, qui a écrit ça ? Quand je disparais, la réjouissance est extraordinaire. C’est ce que doit ressentir une araignée qui fait bien son travail. »

Dans ce deuxième épisode, examinons comment la tarentule qui n’abuse pas des virgules réussit à tisser, sur sa page, l’équilibre entre le sens et la sensation, la logique du rêve, sa pratique de la métrique, les leçons de l’Argentine Alejandra Pizarnik, la revue « Muscle » qu’elle coanime tous les deux mois depuis dix ans, ou ces ateliers d’écriture hebdomadaires qu’elle a lancés sur Facebook, en 2020, avec succès.

Enregistrement avril-mai 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez et Marine Vlahovic Montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Samuel Hirsch, Timothée Lerolle, Claire Richard Musiques originales Samuel Hirsch Guitare Raphaël Morel-Novak Illustration Sylvain Cabot Remerciements Jean-Baptiste Imbert, Samuel Leroy-Vergnes Production ARTE Radio

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mis en ligne le 19.06.2024 à 10:21

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15 - Laura Vazquez (1/3)

La main heureuse

Bookmakers #30 - L'autrice du mois : Laura Vazquez.
Née en 1986 à Perpignan, Laura Vazquez écrit des poèmes, parfois peuplés d’êtres minuscules et de corps endommagés, publiés en revues, qu’elle lit depuis le début des années 2010 sur la plupart des scènes poétiques de l’Hexagone, traduits en chinois, anglais, espagnol, portugais, norvégien, néerlandais ou arabe. Son premier roman, « La Semaine perpétuelle », sorti en 2021 aux éditions du sous-sol, est distingué d’une mention spéciale du prix Wepler et vendu à dix mille exemplaires. En 2023, elle obtient – à 36 ans – le Goncourt de la poésie pour « Le Livre du Large et du Long », une « épopée versifiée » de 400 pages, en cinq actes, écoulée à cinq mille exemplaires. Elle vit et travaille à Marseille.

Laura Vazquez (1/3)
Ses poèmes sans rimes parlent de médecins fétichistes, d’un chien cassé, du ciel « taré » ou du poids de la voix dans l’air. Depuis dix ans, Laura Vazquez travaille six jours sur sept en « pliant sa langue » pour atteindre quelque chose « qui la dépasse ». Dans « Le Livre du Large et du Long », elle prête les mots suivants à sa narratrice : « Parfois je me dis, lorsque j’écris je pèle. Pèle une grande forme circulaire transparente, c’est une goutte sans limite, elle flotte dans mon esprit et j’en pèle des couches. Elles tombent comme des épluchures. »

Comment expliquer l’aura de Laura Vazquez, qui épluche ses intuitions « en avançant dans la brume » ? Quel a été le parcours de cette fille d’employé·e·s de supermarché, qui a « souvent eu l’impression d’avoir du retard, de devoir lire énormément », et qui cite les grands anciens de la Grèce Antique, Homère, Lucrèce ou Démocrite ? Dans ce premier épisode, l’autrice évoque ses premiers textes (des prières, pour sauver sa grand-mère), sa scolarité hasardeuse, deux années en Espagne où elle gagne sa vie en chantant dans la rue France Gall ou Barbara, ou la sortie en 2014 de son premier livre, « La main de la main » aux éditions Cheyne, auréolé du prix de la Vocation.

 

Enregistrement avril-mai 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez et Marine Vlahovic Montage Mathilde Guermonprez Réalisation, mixage Charlie Marcelet Lectures Samuel Hirsch, Timothée Lerolle, Claire Richard Musiques originales Samuel Hirsch Guitare Raphaël Morel-Novak Illustration Sylvain Cabot Remerciements Jean-Baptiste Imbert, Samuel Leroy-Vergnes Production ARTE Radio

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mis en ligne le 17.04.2024 à 15:23

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16 - Nancy Huston (3/3)

Branchée sur 100 000 virevoltes

Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy Huston
Née en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.

Nancy Huston (3/3)
Pendant vingt ans, Nancy Huston a écrit tous ses textes en français, sa langue d’adoption. Puis – à partir de « Cantique des plaines » (1993), l’intrépide Canadienne s’est remise à écrire directement dans sa langue maternelle, l’anglais, avant… de traduire elle-même en français le roman du moment, avec de très nombreux allers-retours entre les deux versions. Au final, seule la version française parvient à ses éditeurs et éditrices. C’est « deux fois plus de boulot », mais les problèmes rencontrés dans une langue solutionnent ceux rencontrés dans l’autre. « Être dedans-dehors, dit-elle, c'est la position idéale. Si on se confond trop avec sa culture, on ne peut pas se mettre à distance pour l'analyser. »

Une tournure d’esprit qu’elle partage avec l’Irlandais Samuel Beckett, désigné comme son « frère » et son « pied » dans un curieux livre hommage, « Limbes / Limbo ». Il sera aussi question d’un autre exilé grandiose, l’auteur de « La Promesse de l’aube », à propos duquel Nancy imagina le très précis « Tombeau de Romain Gary », qui lui montra qu’il fallait « non pas laisser derrière soi deux ou trois livres, mais toute une étagère ».

Dans ce troisième et dernier épisode, l’autrice de « La Virevolte » raconte également sa routine quotidienne. « Être seule du matin au soir, ne vivre qu’avec des personnes imaginaires, vous trouvez cela normal ? Les gens normaux vivent dans un monde à trois dimensions. Moi, j’en ai une quatrième. Avec une autre circulation des significations. Si je n’ai pas ma dose de solitude dans la journée, je deviens très malheureuse et méchante. »

 

Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio

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mis en ligne le 17.04.2024 à 15:22

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17 - Nancy Huston (2/3)

Pleine de cantiques

Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy Huston
Née en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.

Nancy Huston (2/3)
D’après Nancy Huston, « le roman naît de la rencontre de l’autre, qui apporte l’ironie et l’incertitude ». Pour devenir écrivain·e, elle conseille de développer les qualités suivantes : « L’écoute, l’observation, la suspension du jugement. Et puis : une alternance savamment orchestrée entre mégalomanie et modestie. » Elle se compare littérairement à un « serpent » : affamée « des souvenirs des autres », « addict aux êtres humains », cette conteuse hypersensible adore se glisser sous de nouvelles peaux pour « explorer les joies du déguisement », poussée par son « empathie désespérée ».

Ce deuxième épisode déambule dans les collines de l’impressionnant corpus hustonien. Sont évoqués son premier roman, « Les Variations Goldberg » (1981), qui permet de revenir sur sa pratique du piano et du clavecin ; la terrible « Histoire d’Omaya » (1985), sur le viol d’une jeune femme ; « Cantique des plaines » (1993), à propos des souffrances amérindiennes dans sa région natale de l’Alberta, vendu à 80 000 exemplaires ; « Une Adoration » (2003), polyphonie judiciaire autour de l’assassinat d’un comédien et dont l’écriture a survécu à un faux-départ ; ou « Francia », roman documenté d’une journée dans la vie d’une prostituée transsexuelle colombienne du bois de Boulogne, 2024). Three, two, one : let’s go to Huston.

 

Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio

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mis en ligne le 17.04.2024 à 15:21

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18 - Nancy Huston (1/3)

Failles alignées

Bookmakers #29 - L'autrice du mois : Nancy Huston.
Née en 1953 à Calgary (Canada), Nancy Huston est l’autrice de plus de 70 livres depuis 1979, publiés pour la plupart aux éditions Actes Sud. Parmi son flot de romans, essais, poèmes, pièces de théâtre, scénarios, chansons et traductions, citons « Journal de la création » (1990, captivante étude de couples d’écrivain·e·s), « Instruments des ténèbres » (1996, Goncourt des lycéens et du prix du Livre Inter, vendu à 130 000 exemplaires), « Lignes de faille » (2006, prix Femina, écoulé à 400 000 exemplaires rien qu’en France et traduit en quarante-cinq langues) ou « Bad Girl » (2014, formidable « autobiographie intra-utérine » qui éclaire toute son œuvre). Depuis 1973, elle vit et travaille à Paris.

Nancy Huston (1/3)
C’est une Calamity Jane du Canada qui s’installe presque sans un sou à Paris, à 20 ans, avec le besoin « de comprendre, de réparer, de lever l’interdit de la discrétion et de la politesse », en faisant « l’éloge de tout ce qui déstabilise ». Pour ce trentième numéro de « Bookmakers », place à Nancy Huston, cowgirl bilingue « sauvagement honnête » venue des plaines de l’Alberta, « à l’aise dans ses santiags » et pourtant allergique aux chevaux. Féministe historique, elle a « toujours vécu frénétiquement, avec son carnet à la main, des horaires de travail extrêmement stricts et un patron intérieur incroyablement sévère ».

Dans ce premier épisode, elle revient sur l’événement de son enfance qui l’a « ébréchée » au point d’écrire si souvent des histoires de familles déboussolées, meurtries, recomposées. Sur son personnage-totem : Alice au pays des merveilles. Sur les leçons du redouté Roland Barthes, sous la direction duquel elle écrivit un mémoire sur les insultes. Ou sur les revues « Sorcières » et « Histoires d’elles », dans lesquelles elle publia ses premiers textes, qui « fourmillaient de calembours ».


 

Enregistrement mars 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clavecin Thomas Loupias Illustration Sylvain Cabot Remerciements Emma Bouvier, Victoire Tuaillon Production ARTE Radio

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mis en ligne le 21.02.2024 à 10:55

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19 - Wajdi Mouawad (3/3)

Là-haut sur La Colline

Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi Mouawad
Né en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.
Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.

Wajdi Mouawad (3/3)
Outre ses propres textes, Wajdi Mouawad adapta sur scène, ces trente dernières années, « Macbeth » sur un parking de nuit, les épopées galactiques de la saga « Fondation » d’Isaac Asimov, les dépendances toxiques du roman « Trainspotting » d’Irvine Welsh ou l’intégrale des tragédies de Sophocle. Parallèlement, l’auteur de « Tous des oiseaux » arpenta en solitaire les territoires du roman. D’abord avec « Visage retrouvé » (2002), sur son enfance libanaise, vendu à 13 000 exemplaires. Puis avec « Anima » (2012), enquête américaine sur un meurtre raconté durant 500 pages du point de vue de dizaines d’animaux (canari, mouche, fourmi, cheval), écoulé à 82 000 exemplaires et sacré du grand prix de la Société des Gens De Lettres.

Mais quelles différences fait-il avec son écriture théâtrale ? Changer de forme, de support, est-ce la façon la plus simple de se renouveler ? Car le sujet le hante. En 2002, dans sa pièce intitulée « Rêves », le héros se faisait reprocher par le fantôme de Lautréamont de « toujours réécrire ce qu’il sait déjà écrire ». En 2005, en interview, Wajdi se demandait : « Comment ne pas être le touriste de sa propre création ? » En 2010, dans son livre « Le poisson-soi », il notait : « Je voudrais tellement ne plus avoir à dire Je. Ne plus m’occuper de rien. Que quelqu’un dise Il pour moi. Qu’on me débarrasse. » Comment renaître, artistiquement, sans se tuer ? C’est la question finale, ou presque, de ce troisième et dernier acte, dans lequel le directeur de La Colline évoque en détails la vie économique d’un auteur de théâtre, c’est-à-dire : la monnaie de ses pièces.

Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio

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mis en ligne le 21.02.2024 à 10:53

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20 - Wajdi Mouawad (2/3)

Inflammation du verbe dire

Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi Mouawad
Né en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.
Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.

Wajdi Mouawad (2/3)
Rideau sur le chagrin. Les pièces de Wajdi Mouawad démarrent souvent par la mort. Celle de sa mère, que l’auteur perdit à 19 ans, dans « Mère » (2021). Celle de la grand-mère dans « Pacamambo », troublant spectacle pour enfants (2000). Celles des victimes de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, qui ouvrait – en vidéo – les six heures de « Racine carrée du verbe être » (2022). Ou encore celle de l’inoubliable Nawal dans « Incendies », dont l’édition papier se vendit à plus de 100 000 exemplaires et dont Wajdi Mouawad raconte, ici, le brasier originel.

Comment écrire pour la scène ? Qu’apporte la troupe aux personnages ? À quoi sert une didascalie ? À quoi correspond l’état « d’hypnose » dans lequel il se met pour accoucher de ses monologues finaux ? C’est l’enjeu de notre acte deux, en compagnie d’un graphomane à lunettes qui déclara un jour : « La mise en scène, ça me gonfle. C’est compliqué, il faut gérer une chaise qui doit sortir et une chaise qui doit rentrer. C’est lourd, pénible. Si je trouvais un metteur en scène qui pouvait entrer dans ma tête pour monter mes pièces, je ne ferais plus de mise en scène. Mais je n’ai pas trouvé encore. Alors, à défaut, je les monte moi-même, mes pièces. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires. »

Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio

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mis en ligne le 21.02.2024 à 10:51

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21 - Wajdi Mouawad (1/3)

Un obus dans le cœur

Bookmakers #28 - L'auteur du mois : Wajdi Mouawad
Né en 1968 près de Beyrouth, Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges les plus joués du théâtre francophone, avec près de vingt-cinq pièces écrites et mises en scène par ses soins depuis le début des années 90, dont l’incontournable « Incendies » (2003), adaptée au cinéma par Denis Villeneuve. Traduits en vingt langues, co-édités par Actes Sud et la maison québécoise Léméac, ses drames familiaux, riches en apparitions surnaturelles autant qu’en engueulades réparatrices, sont montés au Japon, au Brésil, en Espagne, au Maroc, aux États-Unis, en Corée du Sud, en Argentine ou en Australie.
Récompensé par les plus hautes instances au Québec ou en Allemagne, il refuse poliment un Molière en 2005 pour souligner l’indifférence des grands théâtres à l’égard de la création contemporaine, tandis que l’Académie française lui remet en 2009 un prix pour l’ensemble de son œuvre. Depuis 2016, il dirige le théâtre national de La Colline, à Paris.

Wajdi Mouawad (1/3)
C’est un oiseau rare, au plumage marqué par l’exil. Un fougueux pour qui le théâtre demeure une « boussole », qui écrit guidé par « le désir ardent de colmater les déchirures, les peines et l’ennui profond ». Forcée de fuir le Liban en raison des bombardements de la guerre civile, la famille de Wajdi Mouawad s’installe en 1978 à Paris, puis quelques années plus tard à Montréal, où l’École nationale de théâtre sauve de la dépression le futur auteur de « Littoral » ou de « Seuls », en lui offrant à la fois « le chemin » et son seul diplôme. D’abord comédien, il se met à l’écriture pour « partager un hurlement, exorciser des peurs, commettre des attentats de façon symbolique, déposer des bombes dans la tête des gens. Que ça cogne. »

Ses cris ont été entendus. Mais comment la lecture de Kafka, adolescent, l’a-t-elle métamorphosé jusqu’à l’obsession ? Que doit-il à son grand frère, Naji ? Aux chansons de Brel ou de Renaud ? Peut-on fleurir quand on a été plusieurs fois déraciné ? Ce sont certaines des scènes du premier acte de cette conversation, qui revient sur ces années de formation où Wajdi Mouawad n’était « qu’un verre qui attendait d’être rempli ».

Enregistrement janvier 2024 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Juliette Cordemans Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Clarinette Paul Laurent Lectures Sabine Zovighian Illustration Sylvain Cabot Remerciements Alice Zeniter, Joseph Hirsch Production ARTE Radio

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