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19.09.2025 à 15:00

Trump et l’accord TikTok : qu’est-ce que la stratégie « America against America » de Pékin ?

Matheo Malik

Trump vient-il vraiment de conclure un « deal » avec la Chine ?

Dans la guerre des capitalismes politiques, TikTok n'est pas seulement une bataille clef — c'est un test interne pour l’administration américaine.

En opposant la faction pragmatique à celle qui souhaite un affrontement total, Pékin s'inspire de la doctrine de Wang Huning : jouer l'Amérique contre l'Amérique.

L'analyse d'Alessandro Aresu.

L’article Trump et l’accord TikTok : qu’est-ce que la stratégie « America against America » de Pékin ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.

Texte intégral (2325 mots)

L’histoire de TikTok semble sans fin. Alors que nous avions retracé les différentes étapes de cette saga industrielle et politique dans ces pages, après l’annonce en grande pompe d’un accord entre l’administration Trump et la Chine de Xi Jinping sur le rachat des opérations américaines de la plateforme, elle connaît aujourd’hui un nouveau rebondissement.

Mais pour en comprendre la nature, il n’est pas si utile de partir de l’annonce retentissante d’un montage qui devrait prévoir pour la reprise de TikTok aux États-Unis un consortium d’investisseurs américains dont l’omniprésent Oracle de Larry Ellison — qui était déjà un partenaire essentiel du projet — et les fonds Silver Lake et Andreessen Horowitz. 

Une archive de la Maison-Blanche livre une clef de lecture bien plus heuristique.

Sur le site Internet de la Présidence américaine, on trouve encore un document de référence — une « doctrine » programmatique intitulée « Trump on China. Putting America First ».

Il a été publié en novembre 2020 par Robert O’Brien, alors conseiller à la sécurité nationale, et peut être consulté librement sur Internet 97.

Dans un style grandiloquent, la dernière page affirme que les écrits qu’il compile — un ensemble assez hétérogène de discours du président Trump, du vice-président de l’époque Mike Pence, de O’Brien lui-même, du directeur du FBI de l’époque Christopher Wray, du secrétaire d’État de l’époque Mike Pompeo, du procureur général de l’époque William Barr et de l’ex-conseiller adjoint à la sécurité nationale Matt Pottinger — représentent pour notre époque et sur la Chine ce que fut le « Long Télégramme » de George Kennan en 1946 pour la doctrine d’endiguement de l’Union soviétique.

Qu’en est-il vraiment ?

D’une part, la Chine de Xi Jinping est un adversaire bien plus redoutable pour Washington que l’Union soviétique pour les États-Unis. 

D’autre part, George Kennan — grand connaisseur de la Russie — a vécu 101 ans.

Où se trouvent aujourd’hui les auteurs de ces discours, les bâtisseurs d’un « consensus » sur la Chine ? 

La rupture de Mike Pence avec Trump après l’assaut du Capitole est désormais consommée. Wray a démissionné du FBI après les attaques de nombreuses factions trumpiennes — dès 2020, à l’époque où « Trump on China » était publié, Steve Bannon suggérait sa « décapitation » — et a été remplacé par Kash Patel. Pompeo et Barr ne sont plus là. Surtout, le principal rédacteur du document, Robert O’Brien, dans le cadre de ses activités de consultant, peu après avoir soutenu en 2024 que le commerce de semi-conducteurs avancés avec la Chine par des entreprises telles qu’Intel et NVIDIA 98 présentait des risques majeurs, a travaillé en 2025 avec NVIDIA pour encourager de tels échanges — soutenant la thèse de Jensen Huang sur l’importance de l’accès au marché chinois 99.  

Force est de le constater : le leadership américain n’a pas construit de consensus sur la Chine.

On perçoit certes vaguement l’émergence aux États-Unis d’une dynamique étonnante qui consiste à « faire comme la Chine » : investir avec des fonds publics dans l’industrie minière ; imiter le « maximalisme industriel » chinois soutenu par le théoricien Lu Feng ; en finir avec les rapports trimestriels — une déclaration choc amplifiée, sans surprise, par les médias chinois 100 — ; licencier ceux qui établissent des statistiques jugées non convaincantes 101

Les exemples pourraient être bien plus nombreux pour pousser la comparaison et montrer que se déploie aujourd’hui à Washington une tentative de faire basculer le système de capitalisme politique des États-Unis — fondé sur l’élargissement de la notion de sécurité nationale — vers une version plus homogène à celle de la Chine. 

L’impossible deal

Outre la longue histoire d’interdictions, de contre-interdictions, de coups et de contre-coups déjà évoquée dans ces pages, c’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce sur le rachat américain de TikTok cette semaine.

Les deux adversaires se sont engagés dans un processus qui ressemble à long un photo-op inachevé : une grande poignée de main qui a surtout pour finalité de ne pas trop faire de mal à son adversaire.

Car cette recherche d’un grand accord se poursuit selon une modalité particulière : le report incessant.

TikTok ne peut pas vraiment être interdit — on reporte

La partie chinoise du canal de Panama ne peut pas vraiment être vendue — on reporte.

Chacun a ses « cartes », pour reprendre un terme de Trump — mais dans cette partie de poker, on peut aussi choisir de passer son tour. 

Chacun renforce ainsi ses instruments de guerre économique — du pouvoir politique de l’antitrust chinois aux contrôles des exportations  — afin de se nuire mutuellement — mais sans trop se faire de mal. Et jamais de manière totalement définitive. Pendant ce temps, les marchandises doivent arriver à destination, même par des voies détournées.  

Quels sont alors les éléments structurels qui ressortent de l’annonce d’un deal sur TikTok ?

D’une part — et en particulier dans le cas de TikTok — il ne sera pas facile d’éliminer la tension qui règne aux États-Unis entre les incitations économiques et la sécurité nationale. 

C’est même de plus en plus difficile.

Si ByteDance, maison-mère de la plateforme, a des actionnaires et des administrateurs américains et si ces actionnaires peuvent financer la politique des États-Unis, ils auront toujours une incitation à défendre leurs intérêts — et à faire défendre leurs intérêts. Et si la concurrence entre Washington et la Chine n’est pas un sprint, mais un marathon — pour reprendre une image de Jensen Huang —, il faut regarder le temps long.

Pour ByteDance, la part des opérations américaines dans ces comptes annuels n’est finalement pas le facteur qui compte le plus.

Pour comprendre l’avenir de cette entreprise, il faut plutôt s’intéresser aux activités de sa structure de recherche ByteDance Seed : au nombre de chercheurs qu’elle sera en mesure d’attirer, au nombre d’articles qu’elle pourra présenter lors de conférences telles que NeurIPS, à l’évolution des investissements dans la robotique ou encore aux perspectives de conception de puces par des unités internes… 102

La domination future part de TikTok — mais elle se gagne ailleurs.

D’autre part, l’annonce d’un deal aux contours imprécis met en évidence la tension profonde entre deux courants de pensée quant à l’attitude à avoir envers la Chine à Washington : les partisans de la confrontation des modèles et les tenants d’un pragmatisme pro-business 103. Selon ces derniers, il faudrait ainsi abandonner les stéréotypes de supériorité envers la Chine — à tout le moins dans une série de domaines — et envisager également le partage éventuel de la technologie chinoise, par exemple dans les filières industrielles des énergies propres. Pour filer la métaphore trumpiste : si les joueurs ont tous deux de bonnes cartes en main, alors une carte peut être échangée contre une autre pour tenter de se renforcer mutuellement — et évacuer les faiblesses de la mise initiale.

L’Amérique contre l’Amérique

Dès 1991, l’intellectuel chinois le plus influent du premier quart du XXIe siècle, Wang Huning, avait émis une hypothèse : le clivage profond de la société américaine était là pour durer. Du même coup, la tension à l’œuvre au sein de l’administration serait permanente. Les termes pourraient muter ; les mots pourraient changer ; mais une ambivalence profondément ancrée quant à la position à tenir vis-à-vis de Pékin donnerait toujours l’avantage à la Chine.

Le titre de son livre était évocateur : America against America.

Il y a quelques mois seulement, des personnalités comme le Secrétaire d’État Marco Rubio considéraient l’interdiction de TikTok comme un objectif vital pour les États-Unis dans leur lutte existentielle contre le Parti communiste chinois. Bloomberg avait d’ailleurs interprété le choix des « faucons de TikTok » 104 comme une clef de lecture pour comprendre la politique étrangère de Donald Trump.

Ce que pensent ces personnes semble n’avoir que peu d’importance : elles sont devenues les rouages d’un système dans lequel il n’y a clairement rien d’idéologique : par rapport à Pékin, il s’agit essentiellement de faire de la politique de manière à ce que la situation continue à être profitable pour tout le monde. On peut bien sûr enjoliver les choses, mais la réalité est là : savamment dosée, la formule magique de Wang Huning permettra toujours de trouver une manière de tirer son épingle du jeu face à Washington. 

Le Vietnam, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et d’autres — pour qui le non-alignement est devenu une matrice stratégique — ne s’y trompent pas.

À Pékin, ce mantra paraît puissant — et si entêtant qu’il pourrait finir par recouvrir les problèmes internes de la Chine.

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