Rédaction
Pourquoi venir aux (f)estives ?
Comme d’habitude, nous proposerons des emplacements de tente ou de dormir dans le bâtiment, et pour la confection des repas, nous serons en autogestion culinaire (arrivée possible dès le lundi 18 dans l’après-midi et départ jusqu’au dimanche 24, après le repas).
Il est important de rappeler que ces 5 journées seront pleinement consacrées à la réflexion et à la discussion. Pendant les (f)estives,il n’y a pas d’atelier « marmite norvégienne » ou « dentifrice DIY »… mais il y a des conférences (dont une sera « gesticulée »), des arpentages, des analyses de textes, des disputations, des partages de savoir…
Tout aussi important, les soirées ne sont pas studieuses mais festives : on joue, au théâtre, aux cartes, on dessine, on chante…
Rédaction
Si on reprend l’image classique de l’iceberg, l’économie constitue la partie émergée de la croissance. Mais Serge Latouche a eu raison de nous avertir : quand, dans une société, l’économie devient une économie de croissance, alors nous ne vivons pas dans une société avec la croissance comme boussole économique, nous vivons dans une société de croissance. La partie immergée de la croissance, c’est ce monde, qui est aussi celui de l’aéroport, du portable, de la voiture, du tourisme, du nucléaire, des métropoles, de la publicité…
Mais alors, suffirait-il de changer d’indicateurs économiques ou de produire de nouveaux récits ou de nouveaux imaginaires pour rompre avec l’emprise de la croissance ? Pour le croire il faudrait réduire l’hégémonie de la croissance au seul encastrement de nos sociétés modernes dans l’économie. Mais dans ce cas-là, comment expliquer pourquoi la croissance a réussi à imposer son hégémonie ?
Si on revient à l’image de l’iceberg, ne faut-il pas chercher cette explication en se demandant dans quel milieu flotte l’iceberg de la croissance ?
L’hypothèse posée par Onofrio Romano d’un régime de croissance fournit-elle cette explication ? Ce régime politique de croissance est-il le milieu dans lequel nous fait baigner la croissance ?
A manquer de (ce) cran politique dans la critique de la croissance, et donc à en rester à réduire la décroissance à une décrue (économique) et une décolonisation (de nos imaginaires), les décroissant.e.s ne s’enferment-ils pas à chérir les causes dont ils déplorent les effets ?
C’est à partir de ce faisceau d’interrogations que ces deux jours de rencontre seront consacrés à échanger et discuter avec Onofrio Romano.
Une présentation du livre d’Onofrio Romano, Towards a Society of Degrowth (Routledge, 2020, la traduction française, Critique du régime de croissance, est parue en 2024 chez Liber) : https://decroissances.ouvaton.org/2024/02/24/jai-lu-towards-a-society-of-degrowth-donofrio-romano/
Une interview d’Onofrio Romano parue dans le n°3 de la revue Mondes en décroissance : http://revues-msh.uca.fr/revue-opcd/index.php?id=412
Une conférence de Michel Lepesant aux rencontres « Décroissance, le Festival », en juillet 2024 : Pourquoi faut-il renverser le régime de croissance ?
Onofrio Romano se revendique de la pensée de George Bataille. Une présentation de La part maudite (1949) : https://decroissances.ouvaton.org/2017/08/12/jai-relu-la-part-maudite-de-georges-bataille/
Rédaction
Dans Adieux au capitalisme (2014, La Découverte), Jérôme Baschet énumère 4 sources de « l’imaginaire utopique » (p.86-87). 1/ Le « refus autant viscéral que raisonné » du capitalisme. 2/ Les alternatives concrètes et minoritaires. 3/ La « connaissance des sociétés traditionnelles ». 4/ « L’évaluation aussi lucide que possible des expériences historiques nées du désir d’émancipation »1.
Chacune voit bien alors que, pendant nos 6 demi-journées où le focus de nos (f)estives va se diriger sur la question de la propriété, il sera impossible d’espérer boucler les discussions. Il ne s’agit pas pour autant d’en déduire qu’il faudra se contenter d’enregistrer chaque élément des interventions comme d’une énième variation, pour se satisfaire au final d’avoir su s’ouvrir à la multiplicité des cas particuliers2.
Il va donc falloir appréhender la diversité des approches (les 5 premières demi-journées) et tenter ensuite de les ordonner (le samedi après-midi).
Voici un aperçu de la diversité de ces approches.
→ Repérer et dégager le plus clairement possible la doctrine dominante actuelle de la propriété, et plus particulièrement de la propriété privée.
→ S’apercevoir que la notion de propriété privée est une invention spécifique dans l’histoire de l’humanité.
*
De quoi lire, avant d’en discuter
→ Pour chacune des références inventoriées ci-dessous, il y a un lien vers l’article ou le podcast mais aussi un résumé qui donne déjà un aperçu du contenu.
→ https://laviedesidees.fr/spip.php?page=recherche&recherche=propri%C3%A9t%C3%A9+priv%C3%A9e
Lu dans l’article « propriété privée » de Wikipedia : Selon David Graeber et David Wengrow, les recherches ethnologique et archéologique ont mis en évidence que la notion de « propriété privée » est récente dans l’histoire de l’humanité. Si le terme de « propriété privée » et plus précisément celui de « propriété foncière » s’attache à des choses matérielles (la terre, les pierres, l’herbe, les clôtures, les bâtiments de ferme, les greniers à grain), en revanche, ces mots ne désignent rien d’autre que la prétention d’un individu à jouir d’un accès exclusif à toutes ces choses sur un territoire donné. Il revendique en conséquence un pouvoir de contrôle sur elles. Dans la pratique, cela revient autant à lui reconnaître juridiquement le droit d’interdire à quiconque d’y pénétrer que de les détruire s’il en a envie. Cela revient à entendre qu’un territoire « appartient » réellement à un individu que si personne ne le lui dispute, ou s’il a la possibilité d’utiliser les armes pour intimider ou attaquer ceux qui protestent ou qui entrent sans permission et refusent de partir. « Cette attitude n’apparaît légitime que si le reste de la société veuille bien admettre que vous êtes dans votre bon droit pour le faire. Autrement dit, la « propriété foncière », ce n’est pas la terre, les pierres ou l’herbe ; c’est une notion juridique entretenue au moyen d’un subtil mélange d’impératif moral et de menace d’emploi de la force. La logique est similaire à celle qui sous-tend la définition de l’État par Rudolf von Jhering (le monopole de l’usage légitime de la violence sur un territoire donné), sauf que le territoire considéré est beaucoup plus restreint que celui d’un État-nation. »
Comment est apparue la notion de propriété privée ? Faut-il un temps où elle nʹexistait pas? Est-ce que les inégalités sont les filles de la propriété privée ? Tribu en parle avec Christophe Darmangeat, économiste. Podcast du 8 septembre 2021 : https://www.rts.ch/audio-podcast/2021/audio/aux-origines-de-la-propriete-privee-25222713.html.
Alain Testart, « Propriété et non-propriété de la Terre », Études rurales [En ligne], 165-166 | 2003, URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8009.
Cet article critique la conception classique des droits relatifs à la terre dans les sociétés traditionnelles, l’exemple de référence étant l’Afrique précoloniale. Selon cette conception, il n’y aurait pas eu de véritable droit de propriété mais seulement une sorte d’usufruit, ce droit serait essentiellement collectif, et son titulaire serait la Terre elle-même, en tant que divinité. L’auteur soutient au contraire qu’il existait un véritable droit de propriété en Afrique, mais qu’il ne portait pas sur la même chose qu’en Occident : en Afrique, seule la terre cultivée était susceptible d’appropriation.
Alain Testart, « Propriété et non-propriété de la terre », Études rurales [En ligne], 169-170 | 2004, URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8060.
Tandis que la première partie de cet article examinait la question de la propriété de la terre indépendamment de la royauté, cette deuxième partie envisage les conséquences de l’institution royale sur la propriété, l’Afrique précoloniale restant toujours l’exemple de référence. La première est l’apparition de domaines royaux qui, bien que constitués sur la base de la conception traditionnelle de la propriété africaine, en modifie considérablement la teneur du régime foncier. La seconde est la superposition sur la même terre de droits fonciers et de droits fiscaux. La confusion entre les uns et les autres a conduit à une interprétation aberrante en termes de « féodalité », dont la critique constitue le cœur de l’article. Celui-ci se termine en évoquant les causes possibles de transformation du régime de propriété foncière.
→ Entretien avec Sandrine Clavel, Propos recueillis par écrit en avril 2020 par Maduraud, A.-L. (2020). Le Sens de la Propriété. L’exemple des Peuples Autochtones. Délibérée, 10(2), 43-49. https://doi.org/10.3917/delib.010.0043.
L’intérêt croissant de la communauté internationale pour la préservation de l’environnement s’est accompagné d’une reconnaissance de droits aux peuples autochtones, victimes immédiates des catastrophes écologiques et porteurs d’un rapport à la terre qui ne peut être entièrement saisi par les catégories juridiques dominantes. Interroger les droits fonciers de ces peuples et leur effectivité, c’est observer les conflits d’intérêts – environnementaux, éthiques, culturels, économiques – en présence dans ce domaine. Et mesurer les impasses d’une société organisée autour d’un droit de propriété conçu comme exclusif, absolu et individuel.
→ Sandrine Clavel. Les droits fonciers des peuples autochtones. Le droit entre ciels et terres. Mélanges en l’honneur du professeur Laurence Ravillon., Pedone, pp.373-391, 2022, 9782233010063. https://hal.science/hal-03115010/document
I- La consistance des droits fonciers des peuples autochtones. A- Droit de propriété foncière. B- Droit d’usage. C- Droits immatériels. II- La protection des droits fonciers des peuples autochtones. A- La revendication des droits fonciers des peuples autochtones. B- L’inaliénabilité des terres ancestrales des peuples autochtones.
Pierre Crétois, « La propriété foncière, une fiction occidentale », À propos de : Danouta Liberski-Bagnoud, La souveraineté de la terre. Une leçon africaine sur l’habiter, Seuil. La Vie des idées , 21 juin 2023. URL : https://laviedesidees.fr/Liberski-Bagnoud-souverainete-terre
Dans la région de la Volta, la propriété du sol n’existe pas, la terre n’est pas l’objet de transactions marchandes mais de partages. D’où vient alors que, dans nos sociétés, nous considérions comme parfaitement légitime ce droit à s’approprier une partie du territoire ?
Jean-Fabien Spitz, « Les apories de la propriété », À propos de : Rafe Blaufarb, L’invention de la propriété privée. Une autre histoire de la révolution, Champ Vallon. La Vie des idées , 4 octobre 2019. URL : https://laviedesidees.fr/Rafe-Blaufarb-L-invention-de-la-propriete-privee
La propriété privée est aujourd’hui sacrée ; et sa définition très stricte interdit que l’on puisse remédier aux inégalités et aux défis environnementaux. Mais elle n’a pas toujours été conçue de cette manière : c’est la Révolution française qui l’a inventée.
Pierre Crétois, « Éloge de l’impropriétaire », À propos de : Catherine Malabou, Il n’y a pas eu de Révolution, Payot & Rivages . La Vie des idées , 12 mars 2025. ISSN : 2105-3030. URL : https://laviedesidees.fr/Catherine-Malabou-Il-n-y-a-pas-eu-de-Revolution
Proudhon affirme qu’il n’y a pas eu de révolution. Cela s’explique, Catherine Malabou le montre éloquemment, parce qu’un trait essentiel du pouvoir féodal s’est maintenu : le « droit d’aubaine ». L’expression « droit d’aubaine », Catherine Malabou y insiste de façon originale et éclairante, est empruntée au droit féodal. Il s’agit du droit que se réserve le seigneur de confisquer les biens des étrangers morts sans héritiers. C’est donc un droit de dépossession. C’est à ce point notamment que se joue la continuité entre Ancien Régime et période postrévolutionnaire, car le droit de dépossession des dominants n’a pas disparu. La bipartition entre exploiteur et exploité, entre dominants et dominés ne s’est pas abolie mais, bien que transformée, s’est maintenue.
Entretien avec Sarah Vanuxem, Propos recueillis par écrit par Vincent Sizaire. (2020). Protéger la Diversité Juridique Pour Préserver le Projet Politique Des communs. Délibérée, 10(2), 12-18. https://doi.org/10.3917/delib.010.0012.
La notion de « communs », de plus en plus plébiscitée dans le discours politique de gauche, serait porteuse d’un projet à même de dépasser le capitalisme et vient bousculer une certaine conception de la propriété. Il n’est cependant pas aisé de la définir ni de l’articuler avec celle de propriété. Pire, selon certaines critiques , elle pourrait bien être mobilisée dans une optique néolibérale. Dans cet entretien, Sarah Vanuxem* nous alerte sur la nécessité de promouvoir la pluralité de modèles de propriété à même de servir un projet politique émancipateur.
Pierre Crétois, (2024). La Tragédie des Communs Comme Justification Idéologique de L’accaparement Privatif. Dans T. Boccon-Gibod et T. Perroud Les communs sans tragédie Écologie, démocratie, sphère publique (p. 107-124). Hermann. https://doi.org/10.3917/herm.bocco.2024.01.0107.
Il existe deux façons de justifier le droit de propriété qui sont tout à fait distinctes sur le plan conceptuel. Selon la première ligne de justification, le droit de propriété ferait partie des droits naturels, en quoi il serait moralement justifié en lui-même avant même l’instauration des gouvernements. Selon la seconde, la propriété serait une institution introduite dans un contexte donné pour ses effets avantageux. Elle ne serait donc pas justifiée en elle-même, mais relativement à ses conséquences favorables. Dans son célèbre cours sur la biopolitique, Foucault faisait la différence entre l’approche juridico-déductive, prêtée à Rousseau, qui pose des droits fondamentaux pour en déduire un système normatif et l’approche par la pratique gouvernementale des radicaux anglais pour qui la question centrale est celle de l’utilité. Sans que l’on puisse ramener à Rousseau ou aux radicaux anglais ces deux tendances dont la présence théorique est plus mêlée et partagée aux XVIIe et XVIIIe siècles, il faut admettre qu’elle permet d’éclairer la structure conceptuelle des justifications de la propriété.
Si la pensée de Locke doit plutôt être classée du côté de la méthode juridico-déductive dans la mesure où elle pose, au fondement du droit, l’existence de droits naturels dont la propriété privée, celle de Hobbes, en revanche, offre une justification conséquentialiste et presque utilitariste du droit de propriété. Ce dernier en justifie l’introduction pour éviter une situation de guerre de tous contre tous…
Fabienne Orsi, (2014). Réhabiliter la Propriété Comme Bundle of Rights : Des Origines à Elinor Ostrom, Et Au-Delà ? Revue internationale de droit économique, t. XXVIII(3), 371-385. https://droit.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2014-3-page-371?lang=fr.
La définition de la propriété en termes de bundle of rights, ou faisceau de droits, constitue le cœur d’une puissante doctrine juridique américaine dont le développement au cours du XXe siècle a conduit à une véritable révolution dans la conception même de la propriété aux États-Unis. Bien qu’objet d’âpres controverses, cette conception de la propriété est progressivement devenue une nouvelle « orthodoxie ». Toutefois, l’usage de cette notion a évolué dans un sens bien précis, où le droit d’exclure s’est imposé comme le critère déterminant de la propriété. Ce faisant, ce sont les fondements mêmes de la notion de propriété, comme faisceau de droits, qui se trouvent annihilés, neutralisant de fait sa portée en tant que définition alternative de la propriété. Celle-ci mérite d’être réhabilitée. C’est la tâche que s’assigne cet article. Pour cela, nous revenons sur ses origines en mettant l’accent sur le rôle des fondateurs du réalisme juridique et de l’économie institutionnaliste. Nous mettons ensuite en perspective l’usage des bundle of rights par la théoricienne des communs et « prix Nobel » d’économie, Elinor Ostrom. Notre objectif est ainsi de montrer en quoi la contribution majeure d’Ostrom constitue un renouveau de la conception originelle de la propriété comme faisceau de droits et lui restitue toute son ampleur.
Sandra Lavroff-Detrie, De l’indisponibilité à la non-patrimonialité du corps humain, Thèse de droit privé soutenue en 1997, https://theses.fr/1997PA010251.
Résumé : Le statut juridique du corps humain est ambigu. Le corps se confond avec la personne humaine dont il est le support et l’expression, mais il en est distinct avant la naissance et après la mort. Les progrès de la biologie et de la médecine conduisent à utiliser le corps comme une chose. La question de la réification du corps humain a été largement renouvelée par l’adoption des lois du 1er et 29 juillet 1994 sur la bioéthique. Le corps humain est absent du code civil, mais l’interprétation doctrinale et jurisprudentielle de l’article 1128 du code civil a permis de mettre en évidence un principe d’indisponibilité du corps humain. Cette règle fut largement admise durant le XIXème et le début du XXème siècle. Le principe d’indisponibilité du corps humain a permis de sanctionner les atteintes les plus nettes a l’intégrité du corps humain. Les progrès en matière biomédicale ont multiplié les cas dans lesquels le corps humain était un objet d’échange à titre gratuit et parfois à titre onéreux. Une partie de la doctrine en vint à contester l’existence du principe d’indisponibilité, alors que le juge suprême l’affirma solennellement. Les lois sur la bioéthique marquent une étape décisive dans la détermination de la nature juridique du corps humain. Le principe d’indisponibilité du corps humain a été remplacé par la règle légale de la non-patrimonialité. Le corps de la personne humaine est défini comme dénue de valeur patrimoniale et ne pouvant pas être l’objet d’acte à titre onéreux. La loi établit des règles protectrices contre les risques de réification, tout en faisant la part de l’intérêt légitime des personnes qui peuvent bénéficier de dons d’organes, d’éléments ou produits humains. La libre volonté est fondamentale et le juge intervient afin d’interdire les atteintes a la non-patrimonialité du corps humain. Cet ensemble législatif comporte des insuffisances, mais constitue un progrès.
Les juristes anarchistes : https://youtu.be/euMwL2nZX3M?si=93QsBdZQ6xPGHrt4 (à partir de 17 :30 sur la propriété privée).
« On n’abolit pas la propriété sans abolir le désir de propriété »! C’est Mathieu Burnel, de l’équipe de lundi matin, qui nous le rappelle dans un podcast (lien en commentaire) consacré à l’ouvrage collectif « Les juristes anarchistes », sorti en ce début d’année. Trois contributions stimulantes de ce livre y abordent la question de la propriété sous l’angle (1°) des communs, (2°) de la propriété d’usage et (3°) de la liberté d’habiter.
Cette question du désir de propriété est essentielle. Aujourd’hui, l’idéologie propriétaire bénéficie en effet d’un verrou propriétariste fermé à triple tour. Premièrement, la promotion, par les pouvoirs publics, de la propriété privée, suscite un désir de propriété au sein de la population, l’accession à la propriété étant vue comme un signe de réussite sociale et d’accomplissement individuel. Deuxièmement, des politiques publiques encouragent et facilitent l’accès à la propriété d’une partie de la population (politiques incitatives, prêts à taux réduits, etc.). Troisièmement, cette majorité de propriétaires (58% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale), fait obstacle à toute remise en cause (fiscale ou juridique) de la propriété privée individuelle et lucrative.
Marc Goetzmann, « L’idéologie propriétaire », À propos de : Pierre Crétois (2020), La part commune. Critique de la propriété privée, Éditions Amsterdam. La Vie des idées , 1er janvier 2021. URL : https://laviedesidees.fr/L-ideologie-proprietaire
L’individu possède-t-il un droit absolu sur les choses dans lesquelles il met son travail ? La proposition paraît aller de soi, mais elle est pourtant contestable. Pour délimiter la propriété individuelle, il faut un accord entre nous, donc des valeurs communes.
Pierre Crétois, (2023). La Copossession du Monde. Revue du MAUSS, 61(1), 53-64. https://doi.org/10.3917/rdm1.061.0053.
Dans cet article, nous interrogeons la possibilité d’une critique libérale du droit de propriété. En effet, le libéralisme économique nous a plutôt invité à voir dans le droit de propriété le fondement ultime de l’ordre social mutuellement bénéfique permis par le marché. Pourtant, cette thèse interprétative fait peu de cas d’autres façons libérales de relativiser la propriété exclusive notamment parce qu’elle met en danger le droit que les démunis ont d’accéder aux ressources nécessaires à une vie véritablement libre. L’approche que nous proposons dans cet article consiste à penser l’entrelacement du propre et du commun ou à penser le propre sur la base de ce que nous appellerons la copossession du monde. Une telle copossession du monde n’est pas conçue comme un renversement du libéralisme politique classique mais comme un renouvellement de celui-ci dans une perspective qui soit compatible avec les défis sociaux et environnementaux de notre époque.
→ Aurélien Berlan (2017), « Anatomie du chez-soi, De l’usage commun à la spéculation immobilière, analyse de la propriété foncière », paru dans la Revue itinérante d’enquête et de critique sociale Z n°11 – Automne 2017.
La propriété telle que nous la connaissons aujourd’hui n’a pas toujours existé. La bête noire de la critique sociale du XIXe siècle – le « vol » dénoncé par le théoricien anarchiste Proudhon – n’en est qu’un type bien particulier : la propriété bourgeoise, ou purement marchande. Mais la notion de propriété foncière est composée de plusieurs strates, sédimentées par l’histoire, qu’il s’agit ici de déplier pour penser la garantie d’un « chez-soi » à l’heure où la majorité est dépossédée de tout, contrainte de se vendre pour habiter quelque part.
Comme la plupart des idées que nous employons tous les jours, celle de propriété est constituée de plusieurs couches. On peut au moins en repérer trois : elle présente une dimension existentielle, une dimension juridique et une dimension marchande. Si l’on veut comprendre ce qui caractérise notre conception de la propriété, et ce en quoi elle est critiquable, il me semble indispensable de commencer par bien distinguer ces diverses significations, même si elles sont intimement liées dans nos esprits.
→ Lire la contribution d’Aurélien Berlan au livre collectif Habiter sans posséder de la foncière Antidote dans lequel il distingue trois niveaux du concept de propriété (existentiel, juridique et économique), qu’il croise avec les trois groupes de droits de la propriété (l’usus, l’usage, le fructus, le fruit et l’abusus, la cession ou l’abus). https://www.revuesilence.net/numeros/517-Lieux-collectifs-reinventer-la-propriete/la-propriete-c-est-l-abus
Chloé Rébillard, (2023). La Foncière Antidote. Socialter, hors-série(HS15), 102-103. https://shs.cairn.info/magazine-socialter-2023-HS15-page-102?lang=fr.
Défier le tout-puissant droit de propriété et pérenniser les luttes en recourant à un fonds de dotation : voilà l’idée ingénieuse de la foncière Antidote, qui soude peu à peu des lieux collectifs autogérés dans toute la France.
Si la propriété d’une collectivité « reste toujours privée à l’égard de tous ceux qui ne font pas partie de cette collectivité », peut-on se débarrasser du carcan de la propriété ? Oui, pour Benoît Borrits, à condition de privilégier deux leviers de changement : la socialisation des revenus (déjà entamée par l’essor des cotisations sociales) et l’institution d’un secteur bancaire socialisé (en phase avec le déclin de l’investissement sur fonds propres).
Il s’agirait donc de refuser toute idée de « propriété collective des moyens de production », au profit de la socialisation des revenus ? Au travers d’une synthèse historique, l’auteur revient sur les dérives du mouvement coopératif et les raisons de l’échec de diverses expériences socialistes (le soviétisme, l’anarchisme espagnol, l’autogestion yougoslave…). Inspiré notamment par le régime de sécurité sociale tel qu’il avait été envisagé à la Libération, il propose ensuite une « économie des communs », où les travailleurs et/ou les usagers gèrent une production socialement et écologiquement utile. Des mécanismes de mutualisation de revenus et un financement d’investissement socialisé permettraient de se passer définitivement des fonds propres, et donc, in fine, de la propriété.
On peut lire aussi : Louise Roblin, (2019). A propos de Benoît Borrits (2018), Au-Delà de la Propriété, la Découverte. Revue Projet, 368(1), 90-92. https://doi.org/10.3917/pro.368.0090.
Margot Verdier, (2022). Une Nature Ingouvernable la Polémique Sur les Ressources Inappropriables Dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Revue Française de Socio-Économie, 29(2), 71-89. https://doi.org/10.3917/rfse.029.0071.
L’expérience de l’occupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est souvent présentée comme un exemple emblématique d’« autogouvernement des communs ». De nombreux conflits opposent pourtant les occupant·e·s qui promeuvent la gestion collective des ressources naturelles à celles et ceux qui défendent le caractère inappropriable des non-humains. Cet article interroge le rôle de cette polémique dans l’évolution de l’organisation économique et politique du mouvement d’occupation.
Les occupant·e·s se sont en effet rassemblé·e·s autour de l’idéal d’une émancipation radicale de tous les rapports d’obligation économique susceptibles de restreindre la liberté politique des individus. Il ne s’agissait donc pas d’instaurer une gestion collective des ressources mais de garantir l’indépendance d’individus et de groupes qui ne partagent pas les mêmes modes de subsistance. L’une des grandes controverses qui a animé l’histoire de l’occupation de la ZAD porte en effet sur les formes d’appropriation de la nature : la plupart des occupant·e·s promeuvent le développement de pratiques agricoles qu’ils/elles considèrent indispensables à la construction d’une indépendance matérielle vis-à-vis du marché capitaliste ; une partie du mouvement appelle au contraire à réduire l’intervention de l’homme sur le territoire en limitant les remises en culture et en favorisant la croissance des forêts.
Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences en philosophie sociale et politique à l’université de Côte d’Azur, ressuscite, dans L’Injustice en héritage. Repenser la transmission du patrimoine (La Découverte, 368 pages, 23 euros), les réflexions oubliées et souvent surprenantes des penseurs de la fin du XVIIIe et du XIXe siècles sur la transmission héréditaire des biens. Autrice d’un ouvrage passionnant, cette spécialiste de philosophie sociale et politique, explore, dans un entretien au « Monde », la diversité et la radicalité des pensées du XIXᵉ siècle qui remettent en cause le principe de la transmission familiale.
Le XIXe siècle est, écrivez-vous, le « siècle des pensées de l’héritage ». Comment les philosophes de l’époque abordent-ils la question ? Cet immense corpus est traversé par une idée qui nous est devenue étrangère : aux yeux de Robespierre, des saint-simoniens ou de Durkheim, la propriété individuelle doit s’éteindre avec la mort du propriétaire. Ces auteurs ne nient pas tout droit de propriété individuelle mais ils le restreignent à la durée de vie de son détenteur. Ce faisant, ils inventent une théorie de la propriété hybride : individuelle durant la vie, sociale après la mort. Cette conception n’est pas sans intérêt pour aujourd’hui : elle permet en effet de concilier notre attachement moderne à la propriété individuelle avec une destination plus élevée que le seul intérêt individuel ou familial. Si ce que je possède de manière privée, je le possède par concession sociale pour mon seul temps de vie, je ne peux pas en user de manière absolue. Dans un monde frappé par le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité, ce bouleversement théorique pourrait en particulier conduire à remettre en question les usages privatifs qui engendrent des dégradations pour tous.
Coopriétaires3 est un projet de société coopérative visant à constituer un vaste parc de logements coopératifs, en habitat diffus, dans un premier temps au sein de l’agglomération lyonnaise.
Avec Coopriétaires, nous voulons contribuer à faire sauter le verrou propriétariste. Parce qu’un logement c’est fait pour habiter, pas pour spéculer, et parce qu’effectivement nous n’abolirons pas la propriété sans abolir le désir de propriété, nous proposons un nouveau statut, celui de « coopriétaire ». Dans la droite ligne des coopératives d’habitant.e.s, nous misons sur une propriété immobilière coopérative, c’est-à-dire collective et non-lucrative, bref, sur une propriété d’usage non-marchande. Mais à la différence des coopératives d’habitant.e.s (et en complément de leur approche), nous ne voulons pas construire en marge du marché, mais racheter, pour la dernière fois, les biens existants afin de les sortir définitivement de la sphère marchande et constituer progressivement un vaste pot commun de logements.
Cela permettrait de concrétiser un véritable droit d’habiter, combinant droit au logement (accès à un logement décent et abordable), droit à la ville (lutte contre les mécanismes de relégation socio-spatiale) et droit de cité (pouvoir politique sur son cadre de vie).
En Patagonie, un éleveur a été reconnu coupable de « dommage aggravé » sur l’environnement après avoir écrasé des manchots adultes, des poussins et des œufs en procédant à l’excavation d’une partie de son terrain. Dans son verdict, le tribunal de Chubut élabore un argument sans précédent : l’éleveur « ne peut être considéré comme propriétaire de la flore autochtone et en particulier des nids des animaux sauvages, d’autant plus s’ils sont, eux et leur habitat, protégés par des lois locales et internationales ». Cet argument pourrait faire jurisprudence ailleurs en Argentine, notamment dans les dossiers de déforestation dans le Gran Chaco (nord) ou dans ceux de construction de projets immobiliers ou d’élevage dans le delta du Parana (80 km au nord de Buenos Aires).
---------------Rédaction
Il ne s’agit pour le moment que d’une pré-programmation, qui sera mise à jour au fur et à mesure des confirmations des un.e.s et des autr.e.s.
Rédaction
C’était il y a 5 ans, nous avions proposé cette tribune qui avait ensuite été largement enrichie par les un.e.s et les autr.e.s. Cinq années plus tard, nous acceptons de passer l’épreuve de la relecture. Et bien, pas sûr que nous devions changer grand chose. Un vrai pincement : que 5 ans après, certain.e.s de nos ami.e.s décroissant.e.s n’aient pas réussi à rester sur la crête ; et dans ce cas, ils dégringolent.
Tribune publiée dans Libération le 28 avril 2020. Dans ce journal elle peut être mise en perspective entre une tribune provocatrice de Laurent Joffrin, « Joies de la décroissance », et la tribune de Paul Ariès, « La décroissance n’est pas le confinement ». Pour l’un comme pour l’autre, être ou ne pas être le confinement, serait la question pour la décroissance. Les signataires de cette tribune pensent que la réalité politique de la décroissance est plus « sur la crête » que cela, entre des vécus très différents et des idéaux comportant des nuances.
C’était un mardi, à midi, et nul ne l’avait prédit. Sans guère de résistance, nous avons accepté le bouleversement. Une autolimitation collective puis individuelle, ou l’inverse. Ce n’est pas « le pas de côté » que nous autres décroissants espérions. N’est-il pas évident que les mesures du confinement telles que nous les subissons révèlent en amont de la pandémie la faillite des politiques publiques qui en aval se traduit par une gestion autoritaire et techno-scientiste. Ce sont-là les deux faces d’une même biopolitique de croissance, gestionnaire, élitaire, indécente et insensible. Néanmoins, il y a dans le confinement comme un pas suspendu de la cigogne. Et ce n’est pas à dédaigner ! Après le confinement, il y aura encore la récession, des rebonds et des répliques ; mais pendant la période du confinement, conjoncturellement, il y a une espèce de décroissance ; oui, mais alors laquelle ?
Il s’agit d’un moment historique, parce que subitement c’est l’impératif économique de l’accélération et de la démesure qui est suspendu, mis entre parenthèses. Une parenthèse ouverte le 17 mars 2020 en France. Parenthèse qui se refermera peut-être en mai, ou juin, mais ouverte, maintenant, en plein cœur de la mondialisation et dans le monde entier. Plus de la moitié de la population mondiale est confinée ! Parenthèse partout ouverte sur moins de production, moins de consommation, et par conséquent moins d’extraction, moins de déchets, moins de pollutions, moins de déplacements, moins de bruit, moins de travail et donc moins de revenus, mais aussi plus du tout de vacances, plus du tout de musée ou de concert, plus du tout de rencontres sportives ni de « matchs » : plus rien qu’un « essentiel » qui reste à redéfinir…
Que nous vivions à la campagne ou en ville, une qualité de vie est maintenue, avec des degrés très inégaux de « résilience » (jardin ou balcon ou fenêtre ?) et de souffrance qu’il ne faut pas écarter : décroissance à demi-subie, décroissance à demi-choisie. Dans des conditions encore plus difficiles de vie pour les plus vulnérabl-e-s – en particulier dans le cas des violences familiales –, la sobriété se fait néanmoins plus présente, nos relations sociales, familiales, amicales sont nos précieux remèdes. Nous entendons parler relocalisation, circuits-courts, ralentissement, renoncement. Nous participons ou assistons à des manifestations de solidarité, de créativité, nous contemplons l’éveil du printemps. Bref une joie simple d’exister se manifeste, et cela grâce à… notre organisation sociale commune, fruit d’un minimum de vie démocratique depuis 1945, qui garantit encore l’essentiel : une certaine paix sociale. Certes le Président Macron a déclaré « Nous sommes en guerre. ». Mais ce n’est pas une guerre parce qu’il n’y a aucun ennemi à vaincre ni aucun humain à tuer, à moins de tordre le sens des mots, à des fins biopolitiques. Certes il y a des morts : c’est donc peut-être une demi-guerre, mais nul ennemi à l’horizon. demi-guerre, et donc demi-paix très largement assurée par les personnels des services publics et du soin à la personne qui limitent la pandémie en permettant l’accès des malades aux soins. Services publics mais aussi tous ces emplois – cette « France d’en bas » dont beaucoup hier étaient sur les ronds-points – qui sont aujourd’hui mis « en première ligne de corvée » : sans effondrement général. Même pas un effondrement de l’État, pourtant comme abasourdi par son audace d’avoir pris la décision politique d’un coup de frein économique ; malheureusement il se rassure en poussant le plus qu’il peut son autorité policière et ses expérimentations juridiques d’exception.
Demi-guerre avec la mort qui rôde, demi-paix parce qu’il est devenu interdit de rôder. La mort – qui est la limite de toute vie – fait peur. Surtout en régime politique de croissance prétendument infinie, croissance qui peut être interprétée comme l’organisation sociale du déni de la mort. La mort peut faire peur, et une mauvaise peur est toujours bonne à prendre pour tout pouvoir qui veut se conserver : d’où la demi-guerre.
Leçon pour la décroissance : si elle touche en quoi que ce soit avec une mauvaise peur, alors elle s’effondre. La décroissance, c’est une parenthèse mais dans la paix.
Confinés, accordons-nous quand même un temps de réflexion sur ce constat : « l’imprévisible est advenu ». Prenons-en pleine conscience : par le confinement, les gouvernants ont choisi d’épargner des vies plutôt que l’économie. Le pas suspendu de la vergogne ? Quelle que soit la diversité de nos conditions sociales de vie, et elles sont évidemment loin d’être aussi faciles pour tou-te-s, osons goûter finement ces moments : l’allègement de l’empreinte écologique, la texture des liens qui nous unissent, l’épaisseur des silences, l’air qui s’allège, la couleur de nos vies, le bruissement du vivant. Carpe diem ! Gardons cette saveur en mémoire, celle du sel, du sens à notre vie commune. Carpe dies relegationis !
Bref, ce confinement est une demi-décroissance : osons affirmer que rien n’a jamais ressemblé plus à la décroissance que ce moment consenti de confinement ; d’autant qu’il y a aussi une part de rationnement pour (presque) tous.
Notre empreinte écologique décroit globalement et pacifiquement pour le moment. « Par le fait », ce moment est écologiquement un peu plus soutenable par l’humanité. Le bilan écologique de cette parenthèse décroissante sera irréfutable : « c’était un temps de répit, un temps de repos. » Mais après le confinement, à quoi s’attendre ?
Économiquement, il est évident que ce sera une autre histoire. Pire, socialement, notre attention à l’autre et notre souci de l’autre nous obligent à dénoncer sans concession le côté obscur de ce confinement. Force est de constater que la pandémie va surtout atteindre les démunis, les appauvris par le système économique. Et surtout l’indécence des ultra-riches, certes confinée, n’a pas disparu. Aucun miracle de la part des gouvernements. Pas (encore ?) question de siphonner les richesses des enrichis (par des prélèvements exceptionnels sur les patrimoines et les revenus comme en temps d’après-guerre) pour assurer le partage et le bien-vivre de toutes et tous dans une société socialement décente. La décroissance des inégalités ce n’est pas encore maintenant.
Pour le moment, c’est plutôt changement d’heure… et d’année au programme : 1984 te voilà ! Big Brother est vraiment là, il nous regarde, nous envoie des SMS, nous surveille, nous enregistre, nous parle du haut de son drone, nous traque via notre ordiphone, nous dissocie, nous individualise. Le sens de la technique est bien politique… Télétravail, télémédecine, télé-enseignement, skype-apéro, etc. Les écrans étriquent nos mondes sensibles. Accélération des réseaux sociaux qui ne peuvent relier que celles et ceux qui sont préalablement séparé-e-s. Là non plus, petit détail politique, nul miracle en ce qui concerne le partage des pouvoirs : les gouvernements continuent de décider seuls, sans nous, donc contre nous. Partout la démocratie est placée en quarantaine. La potion de cheval est là : ordonnances à tout va ! Ce n’est pas la joie démocratiquement parlant. Surtout quand nous nous rappelons qu’on nous a déjà fait le coup de l’état d’urgence qui s’infiltre dans la loi ordinaire.
Ce sont, là, pour le moment, des leçons du confinement. a/ Ce confinement a ouvert une parenthèse. Chères décroissantes, chers décroissants, ayons-le bien présent à l’esprit. Nous ne sommes pas en train de rêver : notre rêve de décroissance est donc possible. En ce sens, la décroissance serait une période particulière entre parenthèses, un trajet auto-organisé vers des sociétés écologiquement soutenables, socialement décentes et démocratiquement organisées, passant par les baisses de l’extraction, de la production, de la consommation, de la circulation et des déchets. b/ Quand la parenthèse du confinement va officiellement se refermer, nous savons bien que nous n’arriverons pas miraculeusement dans un monde décolonisé par l’imaginaire de la croissance, que l’économie aura beau jeu de réimposer ses narratifs, ses dettes, ses réajustements, qu’elle instrumentalisera une relocalisation cosmétique au service d’une souveraineté biaisée… Mais même à l’heure de leur revanche, nous disposerons d’un nouvel argument : oui, le politique peut prendre la décision de donner un coup de frein à l’économie. Nous en aurons vécu l’expérience dans notre chair.
La décroissance, c’est le bon sens pour (re)pauser le monde à l’endroit.
Olivier Zimmermann (Suisse), Élodie Vieille-Blanchard, Jacques Testart, Mathilde Szuba, Christian Sunt, Agnès Sinaï, Michel Simonin, Luc Semal, Onofrio Romano (Italie), Olivier Rey, Christine Poilly, Irène Pereira, Jean-Luc Pasquinet, Baptiste Mylondo, Karine Mauvilly, Vincent Liegey, Michel Lepesant, Bernard Legros (Belgique), Francis Leboutte (Belgique), Stéphane Lavignotte, Antony Laurent, François Jarrige, Mathilde Girault, Maële Giard, Loriane Ferreira, Guillaume Faburel, Robin Delobel (Belgique), Alice Canabate, Thierry Brulavoine, Thierry Brugvin, Geneviève Azam, Alain Adriaens (Belgique).
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Crédit photo. Avec l’aimable autorisation de Philippe Verspeek : Dans le cadre du Collectif Cov’Art initié par http://cn2r.fr/covart/
Michel Lepesant
L’argument principal s’appuie sur l’hypothèse que tout logiciel impérialiste repose sur la conception d’un humain tronqué, parce que dépourvu de rationalité morale, celle qui exige de respecter les accords conclus, le droit international, celle qui se fonde sur le partage d’un certain nombre de valeurs. Mais attention, je ne prétends pas pour autant qu’il suffirait d’imposer nos valeurs pour que la paix revienne ; pourquoi ? Parce que le conflit géopolitique que nous subissons aujourd’hui est beaucoup plus profond qu’un conflit des valeurs. Parce qu’aujourd’hui, il serait même plus réaliste d’affirmer qu’il n’y a pas de conflit des valeurs ; pourquoi ? Parce que le régime politique sur lequel s’appuie la croissance économique repose sur un « régime de croissance » dont l’objectif et l’effet premier sont la neutralisation de tout conflit des valeurs.
Pourquoi est-il plus facile pour la Russie de Poutine de coloniser le narratif de Trump que de réussir sa guerre d’agression contre l’Ukraine ? Et inversement : en quoi la reprise par Trump et son administration du narratif russe n’est-elle qu’un nouvel épisode d’une économisation du monde qui accompagne depuis quelques siècles l’emprise que la croissance exerce sur nos vies ?
Commençons par reconnaître que même le comportement le plus irrationnel peut toujours être interprété a posteriori comme une logique ; car interpréter n’est ni prédire ni expliquer. C’est pourquoi une interprétation repose très souvent sur une analogie.
Reconnaissons aussi que si nous cherchons une analogie pour interpréter le comportement de « Trump et son monde », alors il y a pléthore :
Mais il ne faudrait surtout pas croire que l’ami Donald n’est qu’un enfant gâté au milieu d’un monde d’adultes, qui ne tarderont pas à lui rappeler quelques principes de bonne civilité.
Parce qu’aujourd’hui, et plus exactement depuis près de 4 siècles, le monde des adultes a glissé lentement mais sûrement au bas de la pente de l’économisation généralisée de toute vie humaine : et si le logiciel trumpiste est aujourd’hui si facilement colonisé par le logiciel poutiniste, c’est d’abord parce que tous ces logiciels partagent une même vision tronquée de ce qu’est un être humain.
Cette vision tronquée est partagée aussi bien par les régimes totalitaires que par l’économie libérale de marché. Cela peut sembler une incongruité, sinon une absurdité, mais pourtant c’était déjà la thèse soutenue par Karl Polanyi dans La Grande Transformation (1944) quand il cherchait à expliquer comment l’échec du marché autorégulateur (qui reposait sur des fictions, celles qui marchandisaient le travail, la nature et la monnaie) avait abouti à la montée des fascismes tant en Italie qu’en Allemagne.
« C’est la réalité d’une société de marché que l’on perçoit dans le totalitarisme. »
Karl Polanyi, Écrits, p.386
Pas de société encastrée dans l’économie sans la fiction d’un individu réduit à ne plus agir qu’en vue du « gain », que pour son intérêt personnel. A partir d’une telle fiction anthropologique, qui est celle de l’homo œconomicus, il faut remarquer que la priorité accordée à la rationalité utilitaire, technique, permet d’envisager le marché comme ce dispositif économique où toutes les actions humaines peuvent être rendues équivalentes et ramenées à un calcul. Du coup, l’emprise de l’économie devient une emprise politique.
C’est ainsi que Karl Polanyi faisait le lien entre la victoire des fascismes dans l’entre-deux guerres et l’effondrement de l’économie de marché : en quelque sorte, le fascisme est toujours une tentative de réponse politique à la désocialisation générale provoquée par le marché autorégulateur mais cette réponse n’est envisageable que parce que le marché et le fascisme reposent sur un même réductionnisme anthropologique, celui qui ne voit dans l’humain qu’un automate insensible et calculateur dont les actions sont seulement déterminées par l’appât du gain, sans plus guère d’usage de la rationalité dans sa dimension morale c’est-à-dire raisonnable au sens premier de capable d’être raisonné par des arguments raisonnables.
C’est le constat de cette incapacité à être raisonné par le raisonnable – dans le spectacle délirant d’une inversion et du rapport au réel et du rapport au droit international – qui nous saisit quand nous ne pouvons que juger que les narratifs trumpistes et poutiniens se rejoignent, dans une négation commune et affichée de ce que peut vraiment dire la « paix ».
Du coup, il n’y a plus de raison de s’étonner de ne pas réussir à faire beaucoup de différences entre :
Car ce qu’ils partagent tous, c’est le même imaginaire colonisé, celui d’un être humain dénué de sens moral et qui réduit la réalité aux seuls rapports de force. Quand le juste devrait toujours être la défense du faible contre le fort, quand la démocratie devrait toujours être le respect des minorités, quand la paix ne devrait être conceptualisée que par des anciens dominés (suivant l’intuition géniale d’Hannah Arendt), on voit à quel point aujourd’hui la perte de la capacité de « se mettre à la place de tout autre être humain » (Kant) est une catastrophe anthropologique, parce qu’elle devrait être la faculté humaine la plus respectée et la plus défendue.
Au lieu de cela, fleurissent partout les discours identitaires, qui alimentent une xénophobie généralisée (parmi les mesures proclamées aux USA, il faut ajouter : il n’y a plus qu’une seule langue officielle, il n’y a plus officiellement que 2 genres), qui défendent les inégalités de fait, qui tissent une internationale des individus tronqués, mobilisés par la peur et le ressentiment.
Cela promet de beaux jours !
Une pensée pour les pacifistes prorusses qui depuis 3 ans nous expliquent que l’Ukraine n’est que la marionnette de l’impérialisme américain et de l’agressivité de l’Otan. Ces trois années de guerre pendant lesquelles l’Otan a été aux abonnés absents ont juste prouvé qu’il y a bien un marionnettiste…
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