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22.05.2025 à 10:29

Philippe Vion-Dury

Texte intégral (5720 mots)

Montée de l’extrême droite, percée de l’abstention, négation des résultats de référendums… Depuis près de deux décennies, la démocratie serait « en crise ». Avec la récente accélération de la décomposition politique, en France et en Occident, c’est tout l’édifice institutionnel bâti depuis le XVIIᵉ siècle qui chancelle. Pour la politologue et constitutionnaliste Eugénie Mérieau, la convergence des régimes libéraux et autoritaires dans une même zone grise nous commande d’imaginer d’autres formes démocratiques.

Biographie : Eugénie Mérieau est maître de conférence en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et spécialiste du constitutionnalisme autoritaire. Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages, parmi lesquels La dictature, une antithèse de la démocratie ? (Le Cavalier bleu, 2019, revu et augmenté en 2024) et Géopolitique de l’état d’exception : les mondialisations de l’état d’urgence (Le Cavalier bleu, 2024), où elle analyse de manière critique les contentieux constitutionnels et la mondialisation de l’état d’urgence.

Cet entretien est issu du numéro 3 de Fracas. Photos : Marie Rouge.



Crise politique, crise de régime, crise de la démocratie… Comment distinguer ces termes, et lequel est pertinent pour décrire la situation présente ?

Lorsqu’on emploie l’expression « crise de la démocratie libérale », on désigne avant tout la crise du caractère libéral de la démocratie. L’idéal de la démocratie se porte plutôt bien au niveau global : le monde entier s’en réclame, y compris la Corée du Nord ou la Chine. C’est la façon de traduire cet idéal dans un gouvernement représentatif et libéral qui est aujourd’hui en crise. Elle est remise en cause à la fois par les idéologies libertariennes aux États-Unis et en Amérique du Sud, et par les mouvements nationalistes en Europe. Elle l’est également par les mouvements citoyens, qui découvrent subitement que la démocratie libérale est une vaste supercherie. À droite, on va considérer la démocratie libérale comme un obstacle à la liberté, et à gauche, à l’égalité. La fiction sur laquelle était fondée la démocratie libérale, c’est-à-dire le mariage entre Locke et Rousseau, entre l’égalité constituante du peuple et la liberté protégée par le constitutionnalisme, s’écroule sous nos yeux, et cela entraîne une vaste convergence entre régimes autoritaires et régimes libéraux.

Ce phénomène est-il réellement neuf ?

Cela fait longtemps que la crise de la démocratie représentative est identifiée. Ce qui est nouveau, c’est que la critique se radicalise de part et d’autre. Après un moment de relatif consensus sur ce modèle, à partir de la période où les partis communistes et d’extrême droite se sont effondrés après les « Trente Glorieuses », on assiste de nouveau à un bouillonnement et à une demande de changement radical. En cela, pour la gauche, même si la situation est dangereuse, la crise est une opportunité pour tout repenser, qu’il s’agisse de la forme représentative qu’a pris la démocratie ou de l’État lui-même. L’impératif pour les citoyens comme pour les intellectuels est aujourd’hui de proposer de nouveaux imaginaires, de nouvelles formes institutionnelles, et d’ouvrir des espaces pour les expérimenter. L’avancée de l’extrême droite sur le même terrain nous y contraint.

Ce qu’on appelle l’illibéralisme est-il vraiment quelque chose d’inédit ? Ou bien est-ce un « retour aux sources » des régimes libéraux ?

Si l’on en croit Samuel Huntington, la démocratie libérale a progressé dans le monde par vagues, avec des flux et des reflux. La première vague a lieu à la fin du XVIIIᵉ siècle, avec les révolutions française et américaine. Le monde connaît ensuite un long reflux qui nous amène jusqu’aux années 1930. Une seconde vague débute ensuite, après la Seconde Guerre mondiale, avant de marquer le pas et de connaître un nouveau reflux dans les années 1960. La troisième et dernière vague prend sa source dans les années 1970, avec la Révolution des œillets au Portugal pour point de départ.

Aujourd’hui, nous sommes clairement dans le reflux de cette troisième vague, après qu’elle a connu un « pic » démocratique en 2006. Cela se traduit par des démocraties qui basculent dans la dictature au gré de coups d’État militaires, mais avant tout par un reflux des droits et libertés généralisé et mondial, auquel l’Occident n’échappe pas. En témoigne la situation aux États-Unis, où l’on voit la Cour suprême remettre en question des acquis tels que l’avortement, ou étendre de manière quasi-absolue l’immunité du Président.


La France non plus n’y échappe pas. Nous sommes en train de revenir très nettement sur tous les acquis de la IIIᵉ République : la liberté d’association, la laïcité, la liberté de la presse… la liste est longue. Aujourd’hui, on revient sur les grandes libertés, mais cette restriction concernait jusqu’ici essentiellement les musulmans, toujours suspects de terrorisme. Cela n’est pas sans rappeler la période du code de l’indigénat sous la  IIIᵉ République. Mais la catégorie est en train de s’élargir pour y ajouter de nouvelles franges de la population : les « écoterroristes », les Gilets jaunes, etc.

« Le niveau de violence et de répression d’un État ne dépend pas de sa nature libérale ou autoritaire : ce qui définit le niveau de violence, c’est le degré de menace que fait peser sur le régime une contestation »

À quoi est dû ce reflux ?

La thèse que je développe dans mon dernier livre, Géopolitique de l’état d’exception, est que ce reflux a toujours partie liée à la mondialisation de l’état d’urgence. Les trois grandes vagues que j’ai décrites correspondent également à l’invention de nouveaux droits : droits civils et politiques pour la première, droits sociaux et économiques pour la seconde, droits environnementaux pour la dernière. Après chaque vague de mondialisation des libertés, une vague d’états d’urgence leur a succédé et est venue les suspendre. Et lorsque ces états d’urgence ont fini par se mondialiser, on a assisté au reflux généralisé de la démocratie.

Comment cela s’est-il passé ?

Au XVIIIᵉ siècle, alors qu’on proclame l’universalisme des droits humains, on invente l’état d’urgence pour suspendre cette protection dans l’empire colonial sans fragiliser la fiction de leur universalité. Pendant la Première Guerre mondiale puis dans les années 1930, cette suspension des droits a connu un mouvement de retour de la « périphérie » coloniale vers le « centre ». Et on a fini, partout en Europe, par retirer au Parlement sa capacité à légiférer en gouvernant massivement par décrets. On ne parle pas encore alors d’état d’urgence en France – pas avant 1955 – mais de « circonstances exceptionnelles » qui justifient que l’administration s’affranchisse de l’État de droit. C’est ce qui va préparer le terrain au régime de Vichy.

En Allemagne, la situation est tout à fait similaire. On y légifère presque uniquement par décrets-lois sur la base de l’article 48 de la Constitution de Weimar – Constitution sur laquelle est d’ailleurs décalquée celle de la Vᵉ République. Lorsque le régime d’état d’urgence est décrété en 1933, il s’inscrit dans la continuité de l’utilisation à répétition de l’article 48, et c’est ce qui finit par plonger l’Allemagne dans le nazisme. Le même phénomène est observable en Italie et ailleurs en Europe.


Lors de la seconde vague, la même chose se reproduit. Les communistes sont alors très puissants et les idées socialistes ont fait leur chemin, de même que le désir d’indépendance des colonies. La loi d’état d’urgence de 1955 va venir suspendre les droits des Algériens pendant la guerre et permettre de se soustraire au droit international de la guerre. Certes, la France n’a pas connu le grand plongeon dans la dictature qui s’est produit dans le reste du monde à cette période, particulièrement en Amérique latine, mais on observe néanmoins des choses qui s’en approchent. De Gaulle, en 1961, déclare l’état d’urgence et se sert de l’article 16 de la Constitution pour le prolonger indéfiniment, ce qui est, en temps normal, la définition d’un coup d’État. Lorsqu’on change de régime pour passer à l’élection du Président au suffrage universel en 1962, on est encore sous état d’urgence, sans validation du Parlement. Si cela s’était passé ailleurs dans le monde, on aurait affirmé que ces élections n’étaient pas libres. L’article 16 a également été employé pour mettre en place des tribunaux d’exception avec peine de mort, sans possibilité de faire appel devant une juridiction, ce qui est contraire au principe de jus cogens, c’est-à-dire une norme impérative du droit international à laquelle il est interdit de déroger même sous état d’urgence…

Qu’en est-il de la troisième vague ?

Le reflux actuel se caractérise également par une succession d’états d’urgence et par leur mondialisation. Je précise que Donald Trump, le jour de son investiture, a déclaré la loi martiale, à la frontière avec le Mexique, alors qu’il ne se passait absolument rien d’exceptionnel. J’ai écrit Géopolitique de l’état d’exception il y a deux ans et, à vrai dire, je n’aurais jamais cru qu’on en serait déjà là en 2025… Il devient de plus en plus manifeste que le libéralisme, que l’on voit ici sous sa forme radicale dans l’imaginaire libertarien aux États-Unis, porte en lui l’état d’urgence et la dictature.

Trois dates me semblent parlantes pour identifier les moments de bascule de ce troisième reflux. En 2001, les attentats du 11 septembre ont été l’occasion de mondialiser l’état d’urgence antiterroriste ; ce qui a montré à tous que la démocratie libérale n’était ni la paix ou la sécurité, ni le respect du droit international. En 2008, la crise des subprimes a permis la mise en place d’un état d’urgence économique, c’est-à-dire l’austérité, montrant par la même occasion que la démocratie libérale, ce n’est ni la prospérité, ni le respect de la démocratie – les Grecs en savent quelque chose. Enfin, en 2020, le Covid a justifié la mondialisation d’un état d’urgence sanitaire, montrant que la démocratie libérale n’est même plus la liberté d’aller et venir. Ces trois moments ont fendillé la fiction libérale et accéléré sa décomposition.

L’effarement d’une partie de la population devant la tournure que prennent nos systèmes vient-il du fait que ce ne sont plus seulement des groupes minoritaires ou marginalisés qui sont pris pour cible ?

En France, les Gilets jaunes ont marqué le moment où des techniques coloniales ont été utilisées sur des Blancs. Historiquement, l’état d’urgence avait été utilisé essentiellement sur le sol algérien, calédonien… En 2018, les LBD sont braqués sur des Français blancs, métropolitains, et l’on voit même l’impensable se produire lorsque des blindés font irruption sur les Champs Élysées. La prise de conscience de la dimension coloniale du pouvoir et du fait que la police est au service d’intérêts de classes a été brutale, effritant la croyance en un État neutre, au service de l’intérêt général. Pendant toute cette période, par ailleurs, l’Union européenne a vraiment incarné le libéralisme autoritaire, c’est-à-dire la suppression de mécanismes démocratiques au service du néolibéralisme, au service du marché.

Si la fiction s’est effondrée, si le masque démocratique est tombé, que reste-t-il ?

Les intérêts économiques, les propriétaires, l’oligarchie. Les droits socio-économiques ou environnementaux (dits de deuxième et de troisième génération) resteront toujours inféodés au droit de propriété, ils n’ont aucune espèce d’effectivité, comme en témoignent les jurisprudences des pays occidentaux. Ils ne sont qu’un alibi pour légitimer les droits civils et politiques des propriétaires (les droits de première génération), c’est-à-dire le droit de jouir égoïstement de ses propriétés. Depuis John Locke, les libertés et les droits de l’homme sont conçus à partir du droit de propriété, des droits subjectifs attachés à des individus supposés autonomes et rationnels. On oppose à l’État notre liberté quand celui-ci vient nous la retirer, et les libertés sont pensées comme des relations du propriétaire sur sa chose, sa liberté. C’est la critique marxiste classique.

D’ailleurs, on assiste ces temps-ci à un vrai retour de la critique marxiste du droit, et en particulier des droits subjectifs, qui a pendant un temps été quelque peu évincée par d’autres lectures plus « réformistes » en termes de genre, de race. Mais il faut réussir à mobiliser l’ensemble de ces critiques pour comprendre ce qui se joue au cœur de l’idéologie libérale depuis sa genèse. La liberté telle que définie et protégée par le contrat social-libéral n’est autre que l’intérêt individuel et ne peut s’exercer que via la domination d’une classe sur une autre.

 

Dans ce cas, avons-nous affaire non pas à une « dérive autoritaire » des régimes démocratiques, mais à la fin d’une « dérive démocratique » des régimes libéraux ?

Je le pense. Je me rappelle qu’il y a 20 ans, pendant mes études à Sciences Po, on interprétait déjà l’abstention comme un signe de la crise de la démocratie représentative. Or, on peut considérer que l’abstention est le socle même de la démocratie représentative. Si le vrai objectif de la démocratie représentative est de confisquer une part du pouvoir et le remettre aux mains d’une élite, alors l’abstention remplit bien sa fonction.

Au départ, la démocratie représentative se fonde sur un suffrage censitaire, réservé au seul propriétaire, qui s’est peu à peu universalisé. Et on y revient, de facto, puisque aujourd’hui, plus on est propriétaire, plus on vote. L’abstention ne doit pas être interprétée comme le symptôme d’une crise, mais plutôt comme le signe que le système fonctionne bien et parvient à exclure les intérêts des plus défavorisés de la représentation nationale ! C’était déjà l’objectif de Sieyès, à la fin du XVIIIᵉ siècle. C’est lui qui invente l’idée d’un « pouvoir constituant » supposément illimité, et en même temps, il affirme aussi que la France ne doit en aucun cas devenir une démocratie, mais bien un régime représentatif, à rebours des idées de Rousseau qui critiquait le principe électif comme une dénaturation de l’idée de démocratie, qui ne pouvait être que directe, avec non pas des représentants mais des commissaires. Sieyès insiste bien sur le fait que le mandat ne doit surtout pas être impératif pour que les représentants ne rendent pas de comptes au peuple qui les a élus. Aujourd’hui, c’est inscrit à l’article 27 de notre Constitution : « tout mandat impératif est nul »

Certains historiens influents comme François Furet feront ensuite des démocrates de la Révolution française comme Robespierre, voire pour certains Rousseau, les précurseurs du totalitarisme. La Révolution française, associée à la « Terreur », est devenue la « preuve » que le gouvernement représentatif est le seul système possible. L’Histoire et l’histoire des idées telles qu’on nous les enseigne sont une fable visant à nous empêcher de penser des alternatives à cette forme de gouvernement qu’est le gouvernement représentatif.

Le Conseil constitutionnel ou l’État de droit nous étaient présentés comme des « garde-fous » du caractère démocratique de nos systèmes. Or, ceux-ci sont maintenant attaqués par un pouvoir exécutif, qui ne fait même plus semblant de les respecter. Mais ce faisant, il affaiblit d’autant plus la fiction de la démocratie libérale… N’est-ce pas paradoxal ?

Effectivement, les attaques viennent de tous les côtés. La droite dénonce le « gouvernement des juges », la gauche voit en eux des « leurres » démocratiques et des fictions, et même l’extrême centre s’y met en n’essayant même plus de cacher qu’elle ne les respecte pas. Mais difficile de savoir si c’est une démonstration de force ou une preuve de faiblesse… ou les deux ! En tous cas, le parallèle avec les années 1930 se justifie pleinement. Plus personne ne respectait la république de Weimar et le parlementarisme, ni la droite qui la jugeait faible et stérile, ni la gauche qui la jugeait anti-démocratique, ni dans ce qu’on appellerait aujourd’hui l’extrême centre qui la jugeait un peu trop sociale et pas assez ordonnée. On a vu alors comment les libéraux ont jeté la république de Weimar en pâture aux nazis, par pures manœuvres électorales court-termistes et par intérêt de classe. 

La France est-elle devenue une démocratie illibérale ? 

On peut comparer la trajectoire d’Emmanuel Macron à celle de Viktor Orbán. On a, dans les deux cas, un parcours qui commence à « gauche » dans la jeunesse et qui dérive vers la droite, jusqu’à doubler la droite sur sa droite. On se souvient de Gérald Darmanin accusant Marine Le Pen d’être trop « molle ». Le parti d’extrême droite hongrois historique Jobbik est aujourd’hui davantage au centre de l’échiquier politique que le parti d’Orbán. Les derniers mois ont été, en France, marqués par plusieurs violations – qu’on appelle poliment « détournements » ou « interprétations contestées » de la Constitution. On a tout de même gouverné par gouvernement démissionnaire pendant 51 jours ! Les constitutionnalistes n’osent pas dire qu’on est dans un pays où il est devenu banal de violer la Constitution, car cela fait s’écrouler la fiction : la Constitution en sortirait désacralisée, et il deviendrait encore plus facile de la violer. On a donc tendance à toujours vouloir interpréter les actes politiques comme étant en accord avec une « certaine lecture » de la Constitution. C’est à peine si la proposition de Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel (1) provoque quelques tribunes…

« Notre problème, c’est que nous n’avons pas de contre-modèle aujourd’hui. Si la France et la Russie sont gouvernées sur le même modèle, où aller en chercher un autre ? »

Qu’est-ce qui nous sépare, en définitive, des régimes que l’on considère comme dictatoriaux ou autoritaires ?

J’essaie de montrer dans mes travaux que la manière dont on pense la Vᵉ République, à l’image de la manière dont on pense la démocratie libérale, est construite par une autre fiction, son miroir inverse : la dictature. Or, la Vᵉ République est un copier-coller de Weimar avec encore moins de contreseings, et des pouvoirs propres pour le Président, chose qu’on ne retrouve aujourd’hui qu’en Russie et dans quelques autres pays. L’architecture de notre régime est plus proche de celle de la Russie que de n’importe quel système parlementaire dans le monde. Nous vivons dans le déni de ce fait – ce qu’on me fait généralement remarquer dans les colloques internationaux. 

Pour ce qui est de la dictature, on a inventé une image de celle-ci qui nous permet de nous figurer que nous sommes l’exact contraire. Or, comme dans les démocraties, on y retrouve des constitutions, des élections et des manipulations électorales, des suspensions de droits et libertés par états d’urgence, etc. Une différence marquée entre les deux se situe généralement au niveau de la liberté d’expression : mais ce mythe est en train de voler en éclats en France, alors que la critique se fait de plus en plus radicale. Comme le disait Rosa Luxemburg : « Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes. » Depuis qu’on commence à bouger et à remettre en question le consensus libéral, on découvre qu’il y a des chaînes… La liberté d’expression est bien un marqueur de distinction, qui m’intéresse en tant qu’anthropologue du droit ou « comparatiste », mais non pas pour discriminer entre bons et mauvais régimes, mais en ce qu’il montre que, d’une société à l’autre, les « chaînes » ne sont simplement pas au même endroit. 

Par exemple ?

En Thaïlande, un pays sur lequel j’ai beaucoup travaillé, vous ne pouvez pas critiquer le roi, mais vous pouvez insulter le gouvernement sans problème. Vous pouvez aussi dire que le Hamas est un mouvement de résistance, soutenir la Palestine sans être inquiété pour apologie du terrorisme… il n’y a aucune loi mémorielle. En Europe, on a interdit Russia Today ou Spoutnik sur la base d’une décision de la Commission européenne sans aucun fondement juridique – protéger de la « désinformation » ? Dans le même temps, l’infraction d’apologie du terrorisme est utilisée pour interdire de façon préventive les manifestations et criminaliser tout soutien à la Palestine. 

En réalité, le niveau de violence et de répression d’un État ne dépend pas de sa nature libérale ou autoritaire : ce qui définit le niveau de violence, c’est le degré de menace que fait peser sur le régime une contestation. Le niveau de violence physique peut être très faible dans des États autoritaires qui rencontrent peu de contestation interne, et très fort dans des régimes libéraux qui prennent peur face à la rue. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a été réprimée sévèrement pour cela : elle ouvrait un imaginaire hors de l’État, et a provoqué une réponse étatique complètement disproportionnée. 

Si le couple dictature-démocratie libérale s’apparente davantage à un spectre tout en nuances, en degrés, plutôt qu’à une opposition franche, de nature, il y a quand même eu des régimes totalitaires…

Il ne s’agit pas de minimiser la violence des régimes staliniens ou nazis. Hannah Arendt a créé cette catégorie de totalitarisme pour définir un régime fondé sur la terreur, ce qui paraît essentialisant et forcément réducteur. Elle est assez ambivalente, mais elle fait partie, dans une certaine mesure, de ceux qui établissent une filiation entre la « Terreur » de la Révolution française et les totalitarismes. Ce qui me gêne dans son approche – et peu de gens travaillent encore avec ses outils aujourd’hui –, c’est qu’elle ôte deux régimes de la matrice du comparatisme. C’est le même procédé que pour démocratie-dictature : cela permet de ne pas les comparer. Ils deviennent des impensables, des parenthèses inexplicables. Pourtant, comme l’écrivait Aimé Césaire, le caractère exceptionnel du crime des nazis n’a pas été l’invention du génocide, mais la mise en pratique du génocide contre des Blancs.

Y a-t-il une voie de sortie de ce dualisme libéral-autoritaire ?

C’est à nous d’inventer quelque chose de radicalement différent. Quand Montesquieu, dans L’Esprit des lois, décrit la Chine comme « un État despotique, dont le principe est la crainte », une monarchie sans légalité où « un seul gouverne, mais sans règles préétablies, donc par ses caprices et sa propre volonté », il tend en réalité un miroir à la monarchie absolue en France. C’est le même procédé que celui qu’il avait utilisé auparavant dans les Lettres Persanes. Son modèle à lui, c’est le Royaume-Uni, et c’est ce qu’il propose en contre-modèle de la Chine. Notre problème, c’est que nous n’avons pas de contre-modèle aujourd’hui. Si la France et la Russie sont gouvernées sur le même modèle, où aller en chercher un autre ?

En France, l’analyse répandue, y compris à gauche et même à la France insoumise, est qu’on a plutôt affaire à une crise de régime, la crise de la Vᵉ République, c’est-à-dire d’un régime libéral semi-présidentiel… Et on peut avoir l’impression que du point de vue institutionnel, les partis de gauche ne désirent pas autre chose qu’un système parlementaire « à l’allemande », pourtant lui aussi en crise (2)

Le parti-pris de la France insoumise est de simplement demander une assemblée constituante, composée par des élus ou issue du tirage au sort, et que c’est à elle de décider. Mais il est vrai qu’on perçoit plutôt un désir de régime parlementaire, et c’est dommage.

Sans s’en référer à un modèle clé en main, y a-t-il des pistes auxquelles on devrait prêter davantage attention ?

Il y a la question du référendum. Nous n’avons pas en France de vocabulaire à ce propos. On a qu’un seul mot qui recouvre le référendum d’approbation, d’initiative, de révocation, de plébiscite, etc. La gauche a fait une erreur en laissant ce sujet à la droite qui, du RN à Emmanuel Macron, a commencé à l’investir.

La proposition de la France insoumise de lancer un processus constituant via l’article 11 est intéressante bien que problématique, car s’inscrivant dans les traces de la violation historique de la Constitution par le général de Gaulle en 1962, lorsqu’il fait adopter l’élection du Président au suffrage universel direct. Le pari est que, sans connaître exactement la destination, il s’agit déjà d’ouvrir un chemin, c’est-à-dire un espace d’expérimentation et de discussion collective. Comme l’écrit René Char dans Feuillets d’Hypnos, « l’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer » ! Mais ce n’est pas gage de réussite : le processus constituant chilien (3), qui était très ouvert, a pourtant échoué.

On peut aussi se demander s’il ne faut pas laisser tomber l’option de la Constituante et passer plutôt par des zones d’expérimentation, par le principe fédératif cher aux anarchistes, qui part d’en bas, à l’opposé d’un processus constituant, qui partirait d’en haut. L’Islande est parvenue à produire une Constitution au terme d’une écriture collective. Car le risque serait de voir le processus constituant confisqué par Macron, par le Rassemblement national, ou même par la France insoumise, où l’on se retrouverait avec un recommencement.

Qu’est-ce que l’écologie peut apporter dans tout ça ?

La nouvelle donne, par rapport au reflux des années 1960-1970, c’est l’écologie. Elle est venue mettre en cause tous les grands récits : le progrès, la science, la technique, l’État… Tous les fondements même de notre modernité. Et toutes les formes politiques qui vont avec. Mais il y a une contradiction entre les échéances : il faut à la fois ouvrir des imaginaires lointains, mais aussi réfléchir à ce qu’il va se passer demain.

Je mettrais aussi en garde les écologistes contre le désir de constitutionnalisation, c’est-à-dire de gagner des procès et inscrire dans la Constitution de nouvelles dispositions environnementales. Il ne faut pas oublier que ce que l’on confie au juge, on le retire de la délibération populaire. Lorsque l’on inscrit une chose dans la Constitution, on la confie au juge, qui va mettre en balance différents principes. Veut-on vraiment que le juge ait le dernier mot dans la conciliation entre le droit de propriété et le droit de l’environnement ? Aujourd’hui, il tranchera toujours en faveur du premier. Dès lors, les victoires ne sont plus que symboliques. Tout cela n’est-il pas, en définitive, de la diversion ? Une canalisation de l’énergie vers des fausses victoires pour empêcher un vrai combat écologique ?


Notes :

(1) En février 2025, l’ancien Président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, réputé proche d’Emmanuel Macron, a été nommé à la tête du Conseil constitutionnel, malgré une modeste compétence juridique et une mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. 

(2) Lors des législatives de février 2025, le parti d’extrême droite allemand Alternative für Deutschland (AfD) a recueilli 20,8 % des suffrages et s’est imposé comme la deuxième force du pays. Le paysage politique allemand, à l’instar de la France, connaît une recomposition tripartite entre gauche, centre droit et extrême droite.

(3) Le Chili a connu un processus constituant de 2021 à 2023 qui s’est clôt par le rejet de la nouvelle Constitution soumise au référendum. Si les raisons de cet échec sont multiples, le processus constituant a fait l’objet d’une offensive politique massive dans un paysage médiatique largement détenu par la droite conservatrice.


    L’article Eugénie Mérieau : « Le libéralisme porte en lui l’état d’urgence et la dictature » est apparu en premier sur Fracas.

    21.05.2025 à 18:23

    Philippe Vion-Dury

    Texte intégral (1240 mots)

    Dans l’ombre du massacre des Gazaouis, que l’Élysée se refuse toujours à qualifier de génocide, un écocide méthodiquement opéré par le Tsahal pourrait avoir raison de toute vie sur le territoire palestinien. À un tel niveau de destruction, ce crime n’est pas seulement un crime contre l’humanité, mais contre l’avenir : l’écocide n’est plus seulement une arme dans le répertoire colonial mais un futuricide. Qui nous concerne tous, pour les temps présents et pour ce qu’ils augurent.


    Emmanuel Macron vient de rejoindre une coalition de pays occidentaux pour forcer Israël à mettre fin à ce qui ne sera toujours pas qualifié de génocide par l’Élysée, mais d’« actions scandaleuses ». Il aura fallu les images de famine, que redoutait le gouvernement Netanyahu, et 53 000 victimes civiles palestiniennes – en réalité plusieurs centaines de milliers si l’on comptabilise les morts indirectes, selon les projections d’une étude parue dans la revue scientifique The Lancet – pour obtenir cette timide réponse. Trop peu, trop tard ?

    Si les mâchoires du piège à loup tendu aux Palestiniens  – partir ou mourir – par le gouvernement Netanyahu sont presque refermées, une lueur d’espoir vient peut-être de s’allumer pour empêcher l’extermination totale de la population gazaouie ou sa déportation massive. Cependant, les survivants auront-ils encore un avenir si les opérations militaires israéliennes s’arrêtent – ce qui est encore loin d’être assuré ? Dans l’ombre des massacres, l’écocide méthodique opéré par Tsahal pourrait avoir raison de toute vie sur le territoire palestinien.

    Un écocide inédit

    Dans un entretien donné à Reporterre, l’historienne et politiste Stéphanie Latte Abdallah, qui a dirigé l’ouvrage collectif Gaza, une guerre coloniale (Actes Sud, mai 2025), rappelle quelques données essentielles.

    – Des bombes de deux tonnes ont été employées, ainsi que des bombes au phosphore, et ces tirs qui ont pénétré en profondeur ont généré une pollution durable ;

    – Les bombardement ont généré cinquante millions de tonnes de gravats ;

    – 70 % des zones agricoles ont été rasées (sans oublier les inondations des galeries souterraines à l’eau de mer qui nuiront à l’approvisionnement en eau et à la fertilité future des sols) ;

    – entre 70 et 80 % des terres cultivables ont été détruites, de même que les fermes, les puits, les serres, les systèmes d’irrigation (certaines infrastructures ont été rasées méthodiquement, à l’aide de bulldozer) ;

    – les infrastructures industrielles endommagées relâchent et continueront de relâcher des produits toxiques dans l’environnement ;

    – Les usines de traitement de l’eau ne sont plus totalement fonctionnelles ;

    – 83 % des végétaux ont été détruits ;

    – L’intégralité du bétail a été décimée…

    En résumé : les sols, les eaux et l’air sont pollués à des niveaux effarants, et continueront de l’être pour longtemps. La capacité à assurer une production vivrière a été quant à elle anéantie, notamment les plantations d’oliviers, symbole communautaire autant que pourvoyeuses de nourriture et de revenus pour les populations palestiniennes, condamnée à la déportation au risque de devoir errer sur des terres transformées en cauchemar, y survivre et plus certainement, y mourir. 

    La destruction des futurs

    À un tel niveau de destruction, ce crime n’est pas seulement un crime contre l’humanité mais contre l’avenir, l’écocide n’est plus seulement une arme dans le répertoire colonial mais un futuricide. Dans cette perspective, l’écocide devient un outil au service de l’impérialisme : en déchirant le tissu vivant, en sapant les possibilités même de subsistance d’une population, il la prive de son autonomie, c’est-à-dire de sa capacité à écrire son propre avenir.

    En cela, Andreas Malm a raison de dire que « la Palestine apparaît comme un signe des temps présents, mais aussi de l’avenir qui nous attend », et de tracer un parallèle entre la destruction de ce territoire et la destruction de la planète. Le capitalisme écocidaire n’est-il pas finalement une vaste entreprise de spoliation de l’avenir de l’espèce en sapant l’autonomie des sociétés, jusqu’à détruire complètement leur lien organique avec les écosystèmes vivants ?

    Le président colombien Gustavo Petro n’a pas hésité à déclarer que ce qu’il se passe à Gaza est ce à quoi les pays du Sud seraient confrontés dans un futur très proche. On pourrait ajouter que les pays du Nord, dans une moindre mesure, partagent ce destin, chaque année plus artificialisés, aridifiés, stérilisés, transformés en hinterlands pour servir l’économie-monde. 

    Pour la Palestine comme pour la Terre

    De la même manière que le colonialisme de peuplement emploie l’écocide pour détruire avant de reconstruire selon les objectifs qu’il s’est fixés, le capitalisme, organiquement et historiquement colonial, emploie l’écocide pour redessiner les terres, la Terre, selon ses besoins. La projet de Trump de transformer la Palestine en « Riviera » prend ici tout son sens : la création de toute pièce d’un territoire spécialisé, mort, sans histoire, sans vie, animé seulement du mouvement des capitaux.La lutte écologique n’est pas seulement une lutte contre le capitalisme, elle est un combat à mort entre nos futurs et le Futur qui voudrait nous être imposé. Entre l’infatigable recherche du « comment nous pourrions vivre » et l’injonction impitoyable « comment nous devons vivre », si tant est qu’il nous est encore autorisé de vivre. Alors que la bourgeoisie verte se rêve déjà en arme contre les ennemis qu’elle se choisit opportunément, elle ferait bien de tourner son regard vers la Palestine et d’en soutenir la vue, car elle est bien un signe de l’avenir qui nous attend, le Capitalocène parachevé.

    L’article La Palestine, stade terminal du Capitalocène est apparu en premier sur Fracas.

    06.05.2025 à 16:26

    Isma Le Dantec

    Texte intégral (3285 mots)

    Un an et demi après le début du génocide à Gaza, le capitalisme fossile est plus que jamais mêlé à la logique impérialiste occidentale, dont Israël apparaît comme le pivot au Moyen-Orient. Pour l’essayiste et militant écolo Andreas Malm, la destruction de la Palestine n’est pas le « vestige d’une ère coloniale ». Il s’agit plutôt, au contraire, d’un sombre présage pour les populations considérées comme sacrifiables ; au nom d’un ordre pétrolier qu’il faudrait préserver coûte que coûte. Entretien.

    Cet entretien est issu du numéro 3 de Fracas. Photo : Dorian Prost.


    Dans Pour la Palestine comme pour la Terre, l’année 1840 et la victoire de la Royal Navy britannique sur les troupes ottomanes à Acre (actuelle ville israélienne), apparaissent comme un moment clé. S’agit-il d’un point de départ de l’impérialisme fossile (1) ?

    Il peut être tentant de chercher « le » moment précis où tout a commencé. Mais il se passait évidemment des choses avant 1840, et beaucoup d’autres événements ont suivi. L’intérêt de cette période, c’est que l’Empire britannique a été le premier à déployer des bateaux à vapeur lors d’un conflit armé, dans lequel des armes à feu basées sur la combustion du charbon ont joué un rôle stratégique décisif. C’est aussi à ce moment qu’a germé l’idée que les pays occidentaux auraient intérêt à implanter une colonie en Palestine, et qu’elle devrait être peuplée de Juifs. Le rôle de cette colonie serait alors de projeter la puissance impériale britannique au Moyen-Orient. 

    Pourquoi pensez-vous qu’il est pertinent de dresser des parallèles entre la destruction de la Palestine et celle de la planète ? 

    On peut aborder ce lien depuis la Palestine. L’idée selon laquelle elle était une anomalie, un vestige de l’ère coloniale, a longtemps persisté. Cette vision de la Palestine comme une sorte d’anachronisme s’est estompée ces derniers temps, et de plus en plus de gens en sont venus à considérer ce conflit avec Israël comme un symptôme, une cristallisation des temps actuels. Le président colombien Gustavo Petro, qui est peut-être le seul bon dirigeant dans le monde aujourd’hui, a par exemple déclaré que ce qu’il se passait à Gaza était ce à quoi les pays du Sud seraient confrontés dans un futur très proche en raison du changement climatique. 

    Les endroits détruits par des événements météorologiques extrêmes ont tendance à ressembler à la Palestine : les quartiers de Los Angeles, totalement brûlés par les incendies de forêt, rappellent étrangement les camps de réfugiés de Gaza. La destruction crée une scénographie similaire. La Palestine apparaît comme un signe des temps présents, mais aussi de l’avenir qui nous attend. C’est pourquoi, depuis le début du génocide, de nombreux activistes climatiques se sont tournés vers l’activisme pro-palestinien. Et je pense qu’il y a aussi, au sein de l’activisme pro-palestinien, un certain degré d’ouverture à l’idée qu’il y a un lien entre ce qui se passe en Palestine et le climat.

    Cet entretien est extrait du numéro 3 de Fracas.

    Ce lien, c’est aussi les puissances impérialistes, qui sont impliquées dans l’une comme dans l’autre de ces catastrophes ?

    Oui. C’est très concret : l’État d’Israël s’appuie sur les combustibles fossiles qu’il détient et sur leur capacité de destruction, puisque la destruction de Gaza est exécutée en grande partie par des avions de chasse qui fonctionnent avec du carburant livré par les États-Unis. Il y a donc ce pipeline métaphorique de kérosène qui va des raffineries du Texas jusqu’aux ports de l’État d’Israël, et qui est ensuite utilisé pour bombarder Gaza. On peut aussi parler des émissions des armées du monde entier, qui représentent 5 % du total des émissions mondiales rien qu’en temps de paix, soit plus que l’aviation civile (3 %). 

    Mais l’alliance entre les États-Unis et Israël ne peut être comprise sans tenir compte du rôle du Moyen-Orient, principal fournisseur de pétrole du système mondial… Nous devons éviter les raccourcis qui nous amèneraient à penser que tout ce qu’il se passe est dû au fait que les États-Unis veulent contrôler le pétrole au Moyen-Orient. Mais il n’est pas non plus possible de comprendre la situation au Moyen-Orient sans analyser en profondeur le rôle du pétrole dans ce conflit, un rôle qui charrie tout un tas de contradictions. L’État d’Israël est le principal allié des États-Unis dans la région, certes. Cependant, l’autre pilier principal de la puissance américaine dans la région, ce sont les pays du Golfe, comme l’Arabie saoudite. Ces dernières années, l’empire américain a tenté d’harmoniser ces deux piliers à travers un processus de normalisation des rapports entre ses alliés. Et l’un des principaux objectifs du 7-Octobre et de l’opération Al-Aqsa était justement d’enrayer ce processus. Malgré cela, l’impérialisme américain, au service duquel Donald Trump semble particulièrement investi, ne démord pas de son objectif. C’est là que la question palestinienne, épineuse, entre en scène. Il est très difficile d’envisager ce rapprochement tout en continuant à détruire le peuple palestinien, puisque cela met le Royaume saoudien dans une position délicate. Ce régime est profondément réactionnaire et ne se soucie pas du tout des Palestiniens, et il n’a aucune légitimité démocratique ou populaire. Mais il y a une contradiction idéologique, car il tire sa légitimité du rôle qu’il s’est attribué de gardien des lieux saints et de créateur de l’Islam. Abandonner les Palestiniens à leur sort et les laisser se faire annihiler tout en faisant la paix avec leurs assassins est en conséquence un peu difficile à avaler. Nous nous trouvons donc dans une situation absurde où l’Arabie saoudite, aussi réactionnaire soit-elle, exerce une influence modératrice sur les États-Unis. C’est au nom de l’impérialisme fossile que les États-Unis interviennent dans la colonisation et dans la destruction de la Palestine, mais c’est aussi au nom d’une alliance avec un État fossile, l’Arabie saoudite, que certains remparts persistent. 

    « La pauvreté qui prépare les descendants des peuples colonisés à succomber aux coups du changement climatique est une continuation de cette histoire génocidaire. »

    Le pétrole suffit-il à expliquer l’implication des États-Unis dans la région ?

    Les Etats-Unis pourraient survivre sans le pétrole de l’Arabie saoudite, puisqu’ils en sont le premier producteur mondial. Mais on oublie souvent un autre aspect de la puissance de l’empire américain : celle-ci repose en grande partie sur l’utilisation du dollar comme monnaie mondiale. Si le dollar américain reste la monnaie mondiale, c’est parce qu’il est utilisé dans les échanges commerciaux. Or le pétrole est le produit le plus important du commerce mondial : les États-Unis ont donc tout intérêt à maintenir l’infrastructure fossile coûte que coûte. 

    Cela signifie également que si nous parvenions à décarboner l’économie mondiale, que nous cessions d’utiliser du pétrole et que nous l’éliminions du commerce mondial, alors toute cette infrastructure s’effondrerait. Une atténuation sérieuse du changement climatique serait donc extrêmement dangereuse pour l’empire américain. C’est une raison structurelle profonde pour l’empire américain de continuer à pomper les combustibles fossiles et à alimenter le commerce du pétrole et du gaz dans le monde. 

    Pour certaines catastrophes climatiques, comme la tempête Daniel qui a fait plus de 300 morts en une nuit en Libye, vous parlez de « paupéricide », de tuerie de masse causée par le changement climatique. S’il n’y a pas intention directe de tuer, la perpétuation d’un impérialisme fossile mortifère et dont les conséquences sont connues ne finit-elle pas par traduire une forme de volonté ? 

    Il y a effectivement une zone grise lorsqu’il s’agit de déterminer l’intentionnalité. Pour la Palestine, il est de plus en plus consensuel parmi les juristes qu’il s’agit bien d’un génocide. Lorsqu’on laisse mourir des gens sans s’en soucier, il peut s’agir de quelque chose de légèrement différent, mais c’est une nuance mais il n’y a pas de différence fondamentale, qualitative. Prenons un exemple. L’année dernière, nous avons connu la pire sécheresse jamais enregistrée en Afrique australe. Des millions de personnes sont mortes de faim au Mozambique, en Zambie et ailleurs. Ce n’est pas quelque chose que les investisseurs dans les énergies fossiles ont activement cherché. Ils ne considèrent pas ces agriculteurs du Mozambique comme des gens vils ou des terroristes, et ne tirent certainement aucun plaisir de ces drames. C’est juste qu’ils s’en fichent complètement. Peut-être que cela les touche, je n’en sais rien, mais ils continuent à investir dans les combustibles fossiles, et même de plus en plus. En 2024, les investissements dans la production de pétrole et de gaz ont augmenté de 7 % dans le monde entier. De plus en plus de capitaux sont  déversés chaque année dans la production de pétrole et de gaz, malgré toutes ces informations sur les populations du Sud qui meurent des conséquences de cette combustion. S’agit-il donc d’un génocide ? Pas dans sa définition standard. C’est pour cela que j’utilise ce terme de paupéricide : c’est une tentative de désignation de ce meurtre systémique des pauvres – même s’ils ne sont pas ciblés intentionnellement – perpétré par ceux qui investissent dans les énergies fossiles.

    Il y a aussi une dimension coloniale…

    Tout cela est enraciné dans une structure originellement génocidaire : le colonialisme. Un article récemment publié dans le Journal of Genocide Research (2) affirme que nous devrions élargir la notion de génocide. C’est ce qu’a fait Raphael Lemkin (3), l’homme qui a développé le concept de génocide dans le sillage de l’Holocauste, et qui considérait qu’il était possible d’inclure dans cette notion une grande partie de l’histoire colonial. La pauvreté qui prépare les descendants des peuples colonisés à succomber au changement climatique est une perpétuation de cette histoire génocidaire.

    Sur la question climatique, vous avez par le passé, notamment dans l’ouvrage Comment saboter un pipeline, suggéré des modes d’actions, incité à la résistance. Face à la situation en Palestine, quelles formes de solidarités internationales, quel positionnement encourageriez-vous ? 

    Dans Comment saboter un pipeline, quelques tactiques sont justement tirées de la résistance palestinienne, qui a saboté des oléoducs à de nombreuses reprises. Il existe un incroyable répertoire d’options tactiques dans l’histoire palestinienne. Mais nous sommes dans un environnement politique complètement différent, et il ne s’agit pas d’imiter ce que font les Palestiniens.

    En termes de solidarité à l’égard des Palestiniens depuis les pays occidentaux, j’ai pu observer différentes tentatives intéressantes. Comme l’occupation israélienne dépend d’un approvisionnement constant en ressources provenant des pays occidentaux, des mouvements de solidarité ont tenté d’interrompre ces flux. A Copenhague, par exemple, une action de masse a récemment visé une compagnie maritime danoise pour tenter de l’empêcher de livrer des armes à Israël. Les intérêts israéliens peuvent être ciblés de diverses manières, notamment par le boycott. Plus globalement, ne pas avoir peur de s’engager et de se prononcer clairement en faveur des luttes anticoloniales en tant que militant climatique est un bon point de départ. C’est ce qu’a fait, par exemple, Greta Thunberg, qu’on a pu voir en première ligne d’une manifestation contre l’envoi d’armes à Israël. Ses prises de positions et sa trajectoire qui tente d’échapper à un cloisonnement purement climatique sont de bons signaux.

    « Ce qu’il se passe actuellement à Gaza est ce à quoi les gens seront confrontés dans les pays du Sud dans un avenir très proche, en raison du changement climatique » 

    Avec la défense d’un léninisme écologique, vous vous placez en contradiction avec une part de l’écologie politique, plutôt de tradition anti-étatiste, libertaire, ou décentralisatrice. Alors que les États et puissances fossiles sont de plus en plus solidement liés, pensez-vous encore qu’il faut réhabiliter l’État au service d’une révolution écologique ?

    Oui ! Je vais donner quelques exemples. À la fin du mois d’octobre, de terribles inondations ont tué plus de 200 personnes à Valence, en Espagne. Des centaines de milliers de manifestants ont attaqué le gouvernement de droite, à juste titre, pour ne pas les avoir aidés et pour avoir laissé des gens mourir. Je pense qu’il s’agit des premières émeutes climatiques du monde occidental : un événement climatique extrême a poussé les gens à se révolter contre les autorités. Je comprends évidemment ce qu’ils ressentent, mais personne n’a fait le lien entre ces événements et la production de combustibles fossiles. En Espagne, Repsol, l’un des géants mondiaux du pétrole et du gaz, ne cesse d’accroître sa production et ses investissements, et personne ne s’en est pris à lui. 

    Le léninisme écologique signifierait, tout d’abord, d’essayer de remonter, dans ces moments de désastre, du symptôme à la cause. Il ne s’agit donc pas seulement de s’en prendre aux autorités qui ont failli à leur devoir de protection, mais plutôt de s’attaquer aux moteurs de ces catastrophes. C’est le principal défi stratégique : comment, en période de catastrophe, diriger la colère contre la source du problème ? En 1917, Lénine considérait que la guerre n’était qu’un symptôme. Et que pour y mettre fin, il fallait s’attaquer à ses causes profondes, à savoir le pouvoir de la classe bourgeoise. Il fallait en conséquence écarter la classe capitaliste, dont les intérêts commandaient le maintien de la guerre, du pouvoir d’État. Rechercher la paix impliquait dès lors de renverser le régime : cette idée était au centre de la politique bolchevique léniniste mais aussi de celle de Rosa Luxemburg en Allemagne. C’est de ce type de raisonnements dont nous avons besoin aujourd’hui. 

    Pour en venir au rôle de l’État : je pense que si nous envisageons vraiment de fermer les entreprises et de mettre un terme aux investissements fossiles, l’État est le seul acteur qui en ait le pouvoir suffisant. Un État essaie aujourd’hui de le faire : la Colombie de Gustavo Petro, qui vient de la gauche léniniste. Les gens associent parfois le léninisme à une insurrection armée et à une dictature, mais le cas colombien dément cette idée : à la suite d’une révolte qui a secoué le pays entre 2018 et 2019, Petro est devenu le premier président de gauche du pays avec un mandat populaire. Lors de sa campagne électorale, il a promis de commencer à fermer l’industrie des combustibles fossiles, et c’est ce qu’il fait à son arrivée au pouvoir. Aucun nouveau permis d’exploration pétrolière n’a été délivré en Colombie, une mesure radicale si l’on compare la situation à celle d’autres pays. Cela signifie que l’industrie pétrolière colombienne est condamnée à disparaître. Il est donc possible d’avoir un gouvernement qui remporte une élection démocratique et qui décide de stopper l’industrie fossile. Pour moi, c’est du léninisme écologique en pratique. Vous allez à la racine du problème et vous utilisez le pouvoir de l’État, gagné démocratiquement, pour l’attaquer. C’est un phénomène unique dans le monde d’aujourd’hui, et il devrait nous inspirer bien davantage.

    (1) L’impérialisme caractérise la domination et le contrôle exercés historiquement par certains États sur d’autres. Il inclut la volonté d’expansion, le contrôle des ressources et les conquêtes violentes de territoires qui se sont multipliées lors des vagues de colonisation. Dans un contexte post-colonial, il se poursuit notamment par des mécanismes de domination économique et technologique, mais aussi fossile. On parle d’impérialisme fossile pour évoquer cet aspect de la domination, par le pillage des ressources pétro-gazières et l’oppression des plus vulnérables qui en résultent, perpétuant les inégalités structurelles et aggravant la crise climatique.

    (2) Shira Klein, « The Growing Rift between Holocaust Scholars over Israel/ Palestine », Journal of Genocide Research, 8 janvier 2025.

    (3) Procureur puis avocat, juif et intellectuel, Raphael Lemkin (1900-1959) fuit la Pologne en septembre 1939 face à l’invasion allemande. Il se réfugie à Stockholm, où il collecte toutes les traces de l’administration nazie dans les zones occupées. C’est à partir de ces documents qu’il rédige quelques mois plus tard son livre Axes Rule in Occupied Europe, dans lequel il propose pour la première fois la notion de génocide. La définition qu’il en donne pointe bien sûr la Shoah, mais aussi les crimes coloniaux. 

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    06.05.2025 à 16:01

    Clément Quintard

    Texte intégral (1252 mots)

    Les calamités volent en escadrille. Nous avions déjà la hausse des températures, l’acidification des océans, la pollution de l’air, l’intensification des catastrophes météorologiques, la multiplication des feux de forêt et l’érosion de la biodiversité, mais il manquait l’assaisonnement indispensable pour lier entre elles toutes les saveurs du chaos : la menace d’un nouveau conflit planétaire.

    Pour pimenter le tout, les crises géopolitiques actuelles s’hybrident avec les bouleversements écologiques, et ouvrent la voie à de nouvelles poussées impérialistes. Les diplomates et les militaires des grandes puissances ont désormais compris que la surchauffe planétaire a de profondes implications stratégiques. Pour eux, la crise écologique est non seulement un facteur de risques inédits (submersion des terres, pénuries de ressources, migrations de masse, épidémies, troubles civils), mais aussi d’opportunités à saisir (nouvelles routes terrestres et maritimes à investir, accès à des filons de minerais et d’hydrocarbures jusqu’ici inexploitables). D’autant que les ressources sur lesquelles il s’agit de faire main basse sont à la fois celles de la « transition » et celles du business-as-usual.

    Les convoitises du président américain Donald Trump sur le Groenland et le Canada s’expliquent ainsi par la présence dans le cercle polaire de gisements miniers stratégiques (uranium, graphite, or, cuivre, nickel…) et d’hydrocarbures (le sous-sol arctique recèlerait 13 % des réserves mondiales non découvertes de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel), mais aussi par la volonté d’implanter de nouvelles bases militaires pour contester la suprématie de la Russie dans la région, qui dispose déjà d’un chapelet de ports sur les côtes sibériennes. 

    Les accrochages militaires répétés au Cachemire ont pour toile de fond une « guerre de l’eau » entre un pays en amont, l’Inde, qui menace de détourner une partie du fleuve Indus grâce à ses barrages, et un pays en aval, le Pakistan, pour qui toute diminution du débit serait constitutif d’un « acte de guerre ». Rappelons, au passage, que les deux pays sont détenteurs de la bombe atomique. 

    Cadrage sécuritaire et mensonges d’État

    Un climat de destructions mutuelles qui se manifeste par la flambée des dépenses militaires. En 2024, elles ont enregistré un bond de près de 10%, soit la plus forte augmentation depuis la fin de la Guerre froide, selon un récent rapport publié par l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri).

    Dans ce contexte belliqueux, la France tient évidemment à tenir son rang de puissance impérialiste. Emmanuel Macron a annoncé le 20 février dernier vouloir porter le budget militaire de 2,1% du PIB à 5%, pliant face à la « demande » des États-Unis, qui avaient menacé de se retirer de l’OTAN si ce chiffre n’étaient pas atteint par ses alliés européens, et comptent bien inonder ceux-ci d’armes made in USA. En cas de défection américaine, le président français, dont le tropisme militaire est assumé de longue date, se rêve déjà en chef de guerre européen. La relance de la course à l’armement permettrait ainsi à la France de compenser son recul sur les marchés mondiaux, comme le décrit l’économiste Claude Serfati, en dopant les principaux secteurs de la performance économique et de l’innovation hexagonales : le nucléaire, l’aéronautique et la production d’armes. Avec tout ce qu’impliquent l’ultra-centralisation autoritaire et l’existence nimbée de mensonges d’État de ces industries. 

    Guerre totale et guerre sociale

    De nouvelles ambitions militaristes pour lesquelles le grand patronat français peine à dissimuler son enthousiasme. Le PDG de Total Patrick Pouyanné y voit un effet d’aubaine car, selon lui, préparer la guerre militaire ne se fait pas sans mener la guerre sociale : « Pour monter le budget de la défense à 5% du PIB, il va falloir trouver l’argent quelque part ! Si l’on considère que la liberté et la souveraineté, et donc avoir les moyens de se défendre, doivent prévaloir sur la solidarité, il faut avoir le courage de remettre à plat certains budgets sociaux », a-t-il affirmé le 17 avril 2025 dans une interview donnée au Figaro.

    Face aux crises écologiques, le capitalisme nous rapproche chaque jour un peu plus de l’anéantissement généralisé, désormais avec le concours de la force armée. Un jusqu’au-boutisme que décrivait déjà Marx, dans Le Capital en 1867 : « Chacun sait que la débâcle viendra un jour, mais chacun espère qu’elle emportera son voisin après qu’il aura lui-même recueilli la pluie d’or au passage et l’aura mise en sûreté. Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. » 

    Autant de raisons, pour le mouvement écologiste, de renouer avec ses racines anti-impérialistes, anti-militaristes et anti-autoritaires. Ce à quoi s’emploient les Soulèvements de la terre dans une récente campagne, qui appelle à former une large coalition pour « faire la guerre à la guerre ». Ce à quoi ne s’emploie pas cette social-démocratie va-t-en-guerre, qui ne manque jamais l’occasion d’être à parts égales opporturniste et inconséquente dès que de grands rendez-vous historiques se profilent. Plus que jamais : choisir son camp.

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    24.04.2025 à 10:25

    Philippe Vion-Dury

    Texte intégral (1206 mots)

    Depuis plus d’une décennie, Total, devenu TotalEnergies, cherche à s’imposer comme la multinationale fossile à la hauteur du XXIe siècle. Au menu : une diversification des énergies, le soutien aux accords de Paris et à une politique de « transition ». Mais attention, toujours avec « réalisme » et sans mettre en péril la continuité des investissements fossiles dans le monde… Figure de ce « tournant » stratégique, Patrick Pouyanné, PDG de l’entreprise, et récemment érigé au sommet du podium du classement des « meilleurs » dirigeants du CAC40 par le cabinet de communication VCOMV.

    Entreprise du futur, Total l’est certainement… Mais d’un futur aux couleurs carbofascistes. Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Patrick Pouyanné a multiplié les déclarations qui rappellent combien l’industrie fossile est historiquement une alliée des gouvernements autoritaires – or noir et peste brune. Florilège.


    « Il est peut-être temps de reprendre l’exploration du golfe d’Amérique »

    (cité par Le Monde)

    • D’une pierre, deux coups : avec cette déclaration tenue au CERAWeek, la grand-messe du lobby fossile états-unien qui s’est tenue le mois dernier, Patrick Pouyanné loue l’impérialisme de Donald Trump, dont l’une des premières mesures aura été de renommer le golfe du Mexique en « golfe d’Amérique », et révèle son intention : relancer les projets de Total stoppés par l’administration de l’ex-président Joe Biden dans une zone dévastée par la marée noire de Deepwater Horizon, en 2010. Allégeance immédiatement récompensée : les travaux sur un terminal de gaz naturel liquéfié appartenant au groupe français, bloqués par la justice, ont pu reprendre, tandis que l’administration américaine a approuvé un prêt de cinq milliards de dollars pour un pipeline controversé au Mozambique. 

    « Au fil des années, un État profond s’est créé en France. » 

    (Le Figaro)

    • Patrick Pouyanné reprend à son compte un élément clef du discours de l’alt-right états-unienne. La dénonciation d’un État profond a été un des chevaux de bataille de la campagne de Donald Trump, présentant l’administration américaine, aux côtés de la justice, comme des pouvoirs internes à l’État conspirant contre la volonté populaire. La version française : les fonctionnaires n’auraient plus confiance dans le personnel politique et refuseraient d’agir, formant une administration qui, selon le PDG, « a tendance à compliquer les choses ». Donald reconnaîtra les siens. 

    « L’avantage du DOGE d’Elon Musk, c’est qu’il oblige à repenser tout. » 

    (Le Figaro)

    • Conséquence logique de la dénonciation de l’État profond : nettoyer l’administration récalcitrante. Rien de surprenant dès lors à le voir célébrer la figure libertarienne par excellence, Elon Musk, qui entre deux saluts nazis dépèce méthodiquement le corps étatique américain grâce à la cellule spéciale mise en place à l’élection de Trump, le Department of Government Efficiency (DOGE). De quoi faire plaisir aux journalistes du Figaro, qui semblent émerveillés de ces déclarations si iconoclastes.

    « Je suis surtout la cible d’un certain système médiatique parisien. Quand je vais en province, on m’encourage. » 

    (Le Figaro)

    • « Papou », comme le surnomment ses proches, comme les personnalités politiques de l’extrême droite, est la cible d’un système médiatique particulièrement hostile car urbain et déconnecté. Étrange dès lors de constater que l’étude qui le classe meilleure patron du CAC40 se fondent sur les notes accordées par… 170 journalistes. Le Figaro redouble même de preuves d’amour envers le PDG, le présentant comme « droit dans ses bottes », « dirigeant d’entreprise passionné, lucide, mais ferme dans ses convictions », « bourreau de travail », presque l’égal des chefs d’État qu’il côtoie au quotidien.

    « La renaissance du courage des leaders passe par une vision collective qui entraîne nos concitoyens, même si cela peut leur faire peur. » 

    (L’Opinion)

    • Patrick Pouyanné parle-t-il de lui-même ? Ou bien parle-t-il de Trump ? Cette phrase qui pourrait passer pour sortie d’un manuel d’histoire du fascisme reste floue quant à sa cible. Au moins permet-elle de méditer le fantasme carbofasciste à l’œuvre : la fin du multilatérialisme sonnant le retour des grands blocs s’affrontant dans des logiques impérialistes. La phrase suivante le confirme : « Une véritable Europe unie et souveraine, une Europe du digital, une Europe de l’énergie, une Europe des capitaux, une Europe de la Défense, voilà une vision courageuse. » Quoi de meilleur pour l’Europe qu’un trumpisme sans Trump ?

    « Le principe de précaution est le pire des principes qu’on ait jamais inventé. » 

    (au Forum INCYBER Europe, Lille, avril 2025)

    • Patrick parle ici de l’intelligence artificielle, dont il ne comprend pas qu’elle fasse peur, puisqu’on va s’y adapter. Comme à tout progrès technique, d’ailleurs, puisque c’est de là que le salut viendra. « Papou » n’a pas oublié les fondamentaux : pour un empire fossile, la précaution est très certainement le pire des principes.

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