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18.11.2025 à 11:21

Biodiversité alimentaire, microbiote et bien-être : la recherche explore les liens potentiels

The Conversation

Texte intégral (2192 mots)

Par Émeline Roux, Maître de conférences en biochimie alimentaire et Gaëlle Boudry, Chargée de recherche, responsable d’équipe Institut Numecan, Inrae.

Déborah Maurer Nappée (étudiante en master 2 Nutrition et sciences des aliments de l’Université de Rennes) a contribué à la rédaction de cet article.

Une alimentation variée en termes de diversité d’espèces végétales consommées est essentielle à la santé pour son apport en fibres et en nutriments. La recherche s’intéresse à cette biodiversité alimentaire qui pourrait aussi se révéler précieuse pour le bien-être mental, notamment par l’entremise du microbiote intestinal.


L’industrialisation de l’agriculture et le développement de l’industrie agroalimentaire ont favorisé les monocultures induisant une baisse drastique de la biodiversité alimentaire, depuis le XXe siècle.

Actuellement, douze espèces végétales et cinq espèces animales fournissent 75 % des cultures alimentaires mondiales, selon l’organisation non gouvernementale World Wide Fund (WWF). Et trois espèces végétales sont produites majoritairement dans le monde : le maïs, le blé et le riz, malgré une estimation de plus de 7 000 (peut-être même 30 000) espèces végétales comestibles, rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

De l’intérêt de la biodiversité alimentaire pour le microbiote intestinal

Il est important de différencier la diversité alimentaire qui représente la consommation de grands groupes alimentaires comme les produits laitiers ou les fruits et les légumes… de la biodiversité alimentaire qui prend en compte chaque espèce biologique (animale et végétale) consommée par un individu.

Par exemple, si un individu mange des carottes, des poivrons et des artichauts, en termes de diversité alimentaire, un seul groupe – celui des légumes – sera comptabilisé, contre trois espèces en biodiversité alimentaire. Or, tous les légumes n’apportent pas les mêmes nutriments et molécules actives. La biodiversité alimentaire est donc importante pour couvrir tous nos besoins.

Une fois ingérés, les aliments impactent notre organisme, et ce, jusqu’au cerveau, notamment via le microbiote intestinal. Le microbiote intestinal représente l’ensemble des microorganismes (bactéries et autres) qui se trouvent dans le tube digestif, en particulier au niveau du côlon. Cela représente un écosystème complexe avec environ 10 000 milliards de microorganismes.

Un microbiote sain et équilibré est caractérisé par une grande diversité bactérienne et la présence de certaines espèces bactériennes. L’état de santé ou l’alimentation peuvent moduler la composition de notre microbiote en quelques jours. Par ailleurs, l’impact de l’alimentation pourrait, après plusieurs mois, se répercuter sur le bien-être mental.

Fibres, microbiote, neurotransmetteurs et bien-être mental

Parmi les molécules de notre alimentation, qui impactent de façon bénéfique notre microbiote, se trouvent les fibres végétales. Ces longues chaînes glucidiques ne sont pas hydrolysées par les enzymes humaines, mais constituent le substrat principal de bactéries importantes du microbiote. En dégradant les fibres, des métabolites sont produits par certaines bactéries (par exemple, Bifidobacterium, Lactobacillus, des espèces du phylum des Bacillota), dont les acides gras à chaîne courte (AGCC) : acétate, propionate et butyrate.

Le butyrate, en particulier, agit sur certains paramètres biologiques et pourrait exercer des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale. En effet, le butyrate module la réponse immunitaire par stimulation des cellules immunitaires et exerce une action anti-inflammatoire en augmentant l’expression de certains gènes. Il permet également de diminuer la perméabilité de l’épithélium intestinal et donc de limiter le passage de molécules inflammatoires ou toxiques dans la circulation sanguine.

Par ailleurs, certains neurotransmetteurs comme la sérotonine, l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) ou la dopamine sont synthétisés à partir de précurseurs apportés par l’alimentation.

L’augmentation de la concentration des précurseurs suivants aurait un impact positif sur le cerveau :

De l’intérêt de consommer davantage de fibres végétales

Il est recommandé de consommer de 25 grammes à 38 grammes de fibres quotidiennement, apportées via la consommation de végétaux (cf. tableau ci-après). Or la moyenne française en 2015 était inférieure à 18 grammes d’après une étude de Santé publique France.

On soulignera néanmoins que, lorsqu’on souhaite augmenter son apport en fibres, pour éviter les effets indésirables de leur fermentation dans le colon, il est conseillé de les réintroduire progressivement dans son alimentation au cours de plusieurs semaines.

Favoriser aussi un bon ratio oméga-3/oméga-6, vitamines, minéraux, etc.

Enfin, d’autres nutriments jouant un rôle important sur la santé mentale par une action directe sur le cerveau ont aussi une action indirecte en modulant le microbiote intestinal ou en étant précurseurs de métabolites bactériens ayant un effet au niveau du système nerveux central (qui inclut le cerveau).

Ainsi, un ratio équilibré oméga-3/oméga-6 (1 :4) exerce des effets bénéfiques sur le microbiote intestinal. Mais dans l’alimentation occidentale, le ratio est déséquilibré en faveur des oméga-6, ce qui engendre un état inflammatoire.

Les aliments les plus riches en oméga-3 sont issus de végétaux terrestres (l’huile de lin, de colza, etc.) et d’animaux marins (les poissons gras comme le saumon, le maquereau, le hareng, la sardine et l’anchois, etc.), explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). En revanche, l’huile de tournesol et de pépin de raisin sont très riches en oméga-6, participant ainsi au déséquilibre des apports.

Une alimentation riche en polyphénols (certaines épices, cacao, baies de couleur foncée, artichauts…) confère également des effets bénéfiques anti-inflammatoires via la modification du profil du microbiote intestinal.

Enfin, les vitamines ou minéraux participent aux fonctions de base de l’organisme.

Quels aliments apportent quelles classes de nutriments ?

Une alimentation biodiversifiée permet un apport complet de tous ces nutriments (cf. les recommandations sur le site de l’Anses et du Programme national nutrition santé [PNNS]). Des données existent sur la teneur moyenne en nutriments de ces aliments et leur saisonnalité (site Ciqual). Cependant, les aliments n’apportent pas tous les mêmes classes de nutriments.

Pour donner un exemple concret, un artichaut cuit contient assez de fibres (11 g/100 g) pour satisfaire les besoins journaliers, mais sera pauvre en vitamine C (moins de 0,5 mg/100 g), contrairement au brocoli cuit plus riche en vitamine C (90 mg/100 g), mais assez pauvre en fibre (2,4 g/100 g). Ainsi, la prise en compte de la biodiversité alimentaire est essentielle pour évaluer les apports totaux en ces différents nutriments.

Afin d’avoir un bon état de santé physique et mentale, il est recommandé de diversifier les sources alimentaires pour couvrir l’ensemble des besoins. Cependant, la disponibilité en aliments varie selon les saisons. Le tableau ci-dessous présente quelques propositions d’associations d’aliments de saison pour couvrir nos besoins quotidiens en fibres.

Exemples d’aliments de saison à consommer pour avoir un apport journalier suffisant en fibres totales (Sources : Ciqual et ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire)

L’impact des PFAS, pesticides et perturbateurs endocriniens à ne pas négliger

A contrario, l’organisme est impacté négativement par d’autres facteurs, comme l’exposome qui représente l’ensemble des expositions environnementales au cours de la vie.

Ainsi, les xénobiotiques (par exemple, les pesticides), qui impactent la croissance et le métabolisme des bactéries du microbiote intestinal, qui, en retour, peut bioaccumuler ou modifier chimiquement ces composés. Les aliments issus de l’agriculture biologique contiennent beaucoup moins de xénobiotiques et sont donc recommandés.

Enfin, l’utilisation d’ustensiles de cuisine en plastique ou en téflon, entre autres, peut notamment engendrer la libération de perturbateurs endocriniens ou de polluants persistants (comme les substances per- et polyfluroalkylées PFAS) qui vont se bioaccumuler dans les bactéries du microbiote intestinal. De ce fait, il est recommandé de limiter leur utilisation au profit d’autres matériaux alimentaires (inox, verre).

Différentes molécules et facteurs impactant le microbiote intestinal et susceptibles d’agir sur le bien-être mental

Adopter une alimentation variée est donc essentiel pour couvrir les besoins nutritionnels à l’échelle moléculaire, et cela impacte de manière bénéfique la santé physique mais aussi mentale, notamment via le microbiote.

Toutefois, il est important de prendre soin de son alimentation sans tomber dans une anxiété excessive, qui pourrait engendrer des troubles alimentaires et nuire finalement au bien-être global, la notion de plaisir restant essentielle dans l’alimentation.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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17.11.2025 à 13:58

La cartographie alarmante des services publics dans l’Allier

La Terre

Texte intégral (1171 mots)

Par Nathalie Calmé

Face à la dégradation des services publics dans l’Allier, l’Union Départementale CGT a entrepris une démarche de reconquête. Après un an et demi de travail, elle publie un livret « Des services pour le développement de l’Allier », dans lequel elle dresse un état des lieux sans concession des services du département. Cette cartographie repose sur une démarche minutieuse : « Nous avons croisé les données de l’INSEE avec les retours des syndicats des différentes professions, des agents et des usagers, explique Laurent Indrusiak, secrétaire général de l’UD CGT. Chaque secteur a été passé en revue : effectifs, besoins de la population, évolution des dotations. 

Le constat est sévère : « Tous les services n’ont cessé de subir des coups de rabot ! » tranche le syndicaliste, mais certains illustrent bien la situation : « Il y a encore dix ou quinze ans, le département comptait une trentaine de points d’accueil des finances publiques. Aujourd’hui, il n’en reste plus que trois : Montluçon, Moulins et Vichy », déplore-t-il. « Des habitants parcourent des dizaines de kilomètres, parfois des centaines, pour un simple renseignement cadastral ou pour payer leurs impôts ». Il en va de même pour la santé : « Nos trois grands hôpitaux connaissent des difficultés financières majeures. Des services entiers ont disparu, obligeant des patients à se rendre jusqu’à Clermont-Ferrand ou Vichy pour se faire soigner. » Pour la mobilité, autre secteur en tension, le bassin de Montluçon paie lourdement les réductions de l’offre ferroviaire. « Relier Montluçon à Paris prend aujourd’hui plus de temps qu’il y a quarante ans, et encore, quand il y a un train ! », ironise-t-il. Quant à la Poste, « des dizaines de bureaux ont fermé et ont été remplacés par des agences postales installées dans des commerces. Le service n’est pas du tout le même »

Pour la CGT, ces fragilisations ne doivent rien au hasard. « C’est très clairement le résultat de choix politiques libérales, depuis le tournant de la rigueur en 1983, qui ont mis en concurrence les territoires, imposé la rentabilité aux hôpitaux, privilégié les grandes lignes ferroviaires au détriment des dessertes locales », dénonce-t-il. Et de poursuivre : « On nous répète que les services publics coûtent trop cher. C’est faux ! Notre rôle est d’expliquer, de déconstruire cette idée reçue. Lorsqu’on montre aux Bourbonnais – parfois victimes de désinformation à travers les grands médias – ce que coûte une privatisation ou ce que signifie une fermeture de service dans leur commune, ils comprennent et adhèrent à cette démonstration ».

Face à cette crise, le syndicat avance des solutions claires : « La première mesure, c’est le recrutement massif d’agents. La deuxième, c’est de redonner de vrais moyens financiers aux services publics, en renforçant le rôle des collectivités et des échelons locaux. Cela permettrait de ramener de la proximité dans les décisions et dans l’action. La troisième, c’est d’assumer une politique à rebours de ce qui a été mené depuis des décennies : réinvestir le territoire, rouvrir des services publics (la Poste, les hôpitaux, les gares…) dans les villes moyennes, les quartiers populaires, les campagnes, là où vivent les gens ».

Laurent Indrusiak considère que les élus sont des acteurs à part entière : « Eux-aussi subissent dans leurs communes les conséquences de la disparition des services publics. Certains se retrouvent face à leurs contradictions : ils ont parfois soutenu, via leur famille politique, les politiques libérales qui ont fragilisé les services, et constatent ensuite leur disparition sur leur propre territoire. Leur présence à nos réunions permet qu’ils entendent ce que vivent la population et les agents ». 

La CGT entend également avancer avec les autres organisations syndicales. Des échanges réguliers existent déjà, notamment dans l’Éducation nationale ou sur les finances publiques avec Solidaires. « L’idée, c’est de bâtir des initiatives unitaires, d’élaborer des cahiers revendicatifs communs, interpeller ensemble les élus locaux ou les représentants de l’État »

Un autre point central du rapport concerne les collectivités locales. « Elles ont vu leurs dotations baisser en moyenne de 40 % ces dernières années. Alors que la décentralisation devait renforcer la proximité, elle a en réalité abouti à une recentralisation dans les grandes villes. Ce que nous demandons, c’est un vrai redéploiement des moyens là où on les a supprimés » Effectivement la question des financements revient sans cesse. Mais, pour la CGT, ce n’est pas un problème d’argent mais « de politique et de société » . « On nous explique que la France serait au bord de la faillite. Ce n’est pas vrai : notre pays reste la sixième ou septième puissance économique mondiale, souligne-t-il. Chaque année, près de 211 milliards d’euros d’aides publiques sont versés aux entreprises – certains parlent même de 270 milliards. Une partie de ces sommes pourrait être réorientée vers le financement des services publics ». 

Le livret a été remis au préfet de l’Allier. Il doit servir à faire vivre le débat démocratique, sensibiliser la population et interpeller les décideurs. Ainsi, après deux premières étapes à Bourbon-l’Archambault et Commentry, la CGT va lancer un « village public » itinérant dans les grands bassins de vie du département et dans plusieurs petites commune ; l’objectif étant d’aboutir à l’organisation d’États généraux des services publics dans l’Allier.

Le syndicat refuse que l’Allier soit un territoire sacrifié. « Nous ne pouvons pas nous contenter d’être les spectateurs en désarroi d’un département en perte de vitesse, considéré comme un territoire de relégation des métropoles riches et attractives ». Le syndicaliste met en garde contre les dérives politiques que peut engendrer ce sentiment d’abandon. « La désespérance de ces territoires nourrit le terreau du vote d’extrême droite. Nous disons aux habitants : ne vous laissez pas emporter par de fausses solutions qui ne feront qu’accentuer le repli et la diminution de moyens pour le monde du travail ! ».

Télécharger le Livret « Des services pour le développement de l’Allier »

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17.11.2025 à 13:43

MERCOSUR ou le capitalisme chimiquement pur

Patrick Le Hyaric

Texte intégral (1592 mots)

Grand spécialiste du double langage, souvent, le président varie. À Belém, jeudi 6 novembre, il considérait « très positif » la possibilité d’aboutir à un accord sur le traité du MERCOSUR. Moins de huit jours plus tard, à Toulouse, devant une délégation de syndicalistes agricoles, il proclame que ce traité,  « tel qu’il existe aujourd’hui, recueillera un non-ferme de la France ». Quand faut-il le croire, alors que, déjà, lors de la dernière réunion du Conseil européen, il avait expliqué que « tout allait dans le bon sens » sans préciser lequel ni pour qui ! 

Il n’est en fait qu’une froide et vulgaire girouette, servile à la violence du vent que souffle un capitalisme mutant mondialisé. Car le traité MERCOSUR est l’une des pierres philosophales du capitalisme chimiquement pur. Il n’est pas un traité de coopération, mais le déploiement d’une première colonne de chars contre nos terroirs et territoires, contre la santé humaine, celle des animaux et des terres, contre le climat et la biodiversité.

On ne peut sous-estimer ni les mensonges qui l’entourent pour mieux brouiller les pistes, ni l’ampleur du projet qu’il ordonne. 

Non seulement ce texte se prépare dans le dos des peuples, mais voici qu’est déployée une charretée d’artifices pour le mettre en œuvre sans l’aval des parlements nationaux. En effet, le projet d’accord a été artificiellement scindé en deux, avec un volet commerce et un volet coopération. Et seul ce second volet doit être soumis aux parlements de chacun des pays de l’Union européenne. Autrement dit, les grandes transnationales qui dominent le commerce mondial ne se verront opposées aucune barrière pour imposer le traité qu’elles réclament à cor et à cri. Quelle est belle la démocratie libérale européenne ! 

Les pays du MERCOSUR pourraient donc exporter demain vers l’Union européenne du bœuf aux hormones et des poulets aux antibiotiques au détriment de la santé. Il est plus que curieux qu’une disposition inscrite dans le traité UE-Nouvelle Zélande interdisant aux industriels néo-zélandais d’exporter de la viande bovine produite dans des centres d’engraissement industriels (feedlots) ne soit pas reprise dans le MERCOSUR. En effet, il n’y a quasiment pas de tels centres d’engraissement en Nouvelle-Zélande, alors que l’élevage brésilien est basé sur ce modèle de milliers d’animaux qui ne voient jamais ni champs, ni brin d’herbe. 

Le président de la République veut faire croire qu’il aurait obtenu des mécanismes dits de « sauvegarde » – une clause de sauvegarde qui permet de bloquer les importations en cas de déséquilibres « des marchés » – Il s’agit d’une grosse tromperie ! Il n’a rien obtenu. Ce mécanisme existe déjà dans le texte depuis 2019. Ajoutons que le déclenchement de « la clause de sauvegarde » est si long et si compliquée, qu’elle n’a aucune efficacité. 

Le ralliement net de l’Élysée au MERCOSUR a une autre raison. S’inscrivant dans le militarisme européen décidé au dernier sommet de l’OTAN, les autorités allemandes ont promis aux dirigeants Français d’acheter les armes produites dans les usines françaises. L’Allemagne se trouve, en effet, prise en tenailles entre d’une part les sanctions contre la Russie qui la privent d’une énergie bon marché et la rendent dépendante à l’achat de pétrole et de gaz américains pour faire fonctionner ses usines, alors que Trump veut, dans un premier temps, de moins en moins de voitures allemandes aux États-Unis, avant de pouvoir liquider les fleurons d’Outre-Rhin. Pour soutenir ses firmes, l’Allemagne veut donc vendre ses voitures aux pays d’Amérique du Sud afin de se donner un peu d’oxygène face à l’offensive des groupes capitalistes nord-américains. Cette dépendance est aussi militaire puisque l’Allemagne achète le matériel américain au détriment des équipements européens, particulièrement français.

La transaction porte donc sur l’approbation plus ou moins tacite du traité MERCOSUR par la France, en échanges de la promesse allemande d’achats d’armes supplémentaires produites sur notre territoire national. Sur cette base et à la demande des firmes capitalistes européennes, M. Macron s’engage dans ce processus en maquillant la vérité. Il perdra sur tous les tableaux. Car le gouvernement allemand et bien d’autres continuent et continueront de s’approvisionner en matériel militaire américain. Ce commerce et ces marchandages peu ragoûtants se font contre la santé de toutes et de tous et contre le climat.

Car l’autre grand gagnant de ce funeste projet est l’industrie des pesticides, particulièrement la firme Bayer-Monsanto. Le projet d’accord prévoit l’abaissement des droits de douane sur les exportations de produits chimiques depuis l’Union européenne vers l’Amérique Latine, y compris pour les insecticides et pesticides interdits d’utilisation au sein de l’Union européenne. Déjà, le Brésil est le premier utilisateur mondial de pesticides et la seconde destination des produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne. 

Pire encore. Pour ficeler l’ensemble, le traité comprend un mécanisme juridique dit « de rééquilibrage ». Que signifie juridiquement ce mot ? Cet ajout permet à l’une des parties signataires ou plutôt à leurs multinationales de demander des compensations à l’autre partie si « une mesure prise par l’autre partie affecte défavorablement le commerce ». En vertu de cet article, l’Union européenne ne pourrait pas voter des règles empêchant les importations de produits traités avec tel ou tel pesticide interdit sur nos territoires, sans compenser financièrement les sociétés (y compris européennes) installées au sein du MERCOSUR. En résumé, pouvoir est donné aux multinationales qui exportent à partir de l’Amérique du Sud de combattre nos propres lois à l’aune de leur seul intérêt commercial ou de leurs profits. C’est la légalisation de la perte de souveraineté des États au profit du grand capital.

C’est au regard de cet article qu’il faut juger la fausseté de la promesse des fameuses « clauses miroirs », c’est-à-dire le conditionnement de l’accès au « marché » européen au respect des normes sanitaires et de durabilité en vigueur en Europe. Il n’est pas possible d’avoir des « clauses miroirs » quand nos pays doivent accepter des mesures compensatoires au nom du « libre commerce » et de  « la libre concurrence ». 

Ainsi le règlement européen sur « la déforestation importée » (RDUE) qui visait à ralentir la destruction de la forêt amazonienne serait directement menacé par le « mécanisme de rééquilibrage ». Favoriser les importations de soja ou de viande bovine, accéléra encore la déforestation en Amérique Latine et la désertification rurale en Europe. C’est ce que montre une expertise d’INRAE menée par le chercheur Stefan Ambec** à la demande du gouvernement français. Selon ce rapport, le traité entraînera une augmentation du volume annuel de production de viande de 2 % à 4 % impulsant une déforestation de 700 000 ha. Sur cette base, l’expertise évalue que les rejets carbonés induits par cette déforestation passeraient de 121 millions à 471 millions de tonnes de gaz carbonique la progression des rejets carbonés. Le traité MERCOSUR va à l’encontre des orientations des conférences pour le climat. 

Il est évident que la signature d’un tel accord dont nous venons de voir la gravité des orientations poussera en Europe à un productivisme agricole capitaliste encore renforcé au détriment des paysans-travailleurs rendus esclave des secteurs industriels d’amont et d’aval de la production, ainsi que des banques. Placé au cœur de la guerre économique intra-capitaliste source des grandes tensions géopolitique et militariste mondiale, les travailleurs et les peuples européens et latino-américains ont intérêt à rechercher des voies d’unité pour défendre et améliorer leurs conquis sociaux et des harmonisations sociales et sanitaires positives, pour la préservation du climat, pour le droit à une alimentation de qualité pour toutes et tous. Bref, de grands combats communs doivent être imaginé pour gagner une sécurité humaine globale contre la sécurisation des profits et du capital qui s’accumulent entre quelques mains dans le monde. 

La mobilisation contre ce texte doit encore gagner en ampleur et en force. Les groupes parlementaires européens le défèrent devant la cour de justice européenne pour tenter de le bloquer. Des actions de sensibilisation et de déconstruction des mensonges qui se répandent sont indispensables. Nous sommes toutes et tous concernés.

Patrick Le Hyaric 

14 Novembre 2025.

 * Selon les organisations Public Eye et Unearthed

** Rapport Ambec de la commission d’évaluation du projet d’accord UE-Mercosur remis le 18 septembre 2020 au Premier ministre M Jean Castex.

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17.11.2025 à 13:37

Jocelyne Hacquemand : « L’alimentation doit être extraite du carcan de la rentabilité financière  »

Fabrice Savel

Texte intégral (1086 mots)

Docteure en géographie économique, Jocelyne Hacquemand secrétaire de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière Cgt, cosigne avec les économistes Alan Pirrottina et Tibor Sarcey, l’ouvrage « Se nourrir, enjeu national et international ». Entretien

Dès son titre votre livre se revendique internationaliste. Est-ce à dire que l’accès à l’alimentation, à notre époque, est à la fois un problème très concret du quotidien et à la fois un enjeu mondial ?

Jocelyne Hacquemand : Oui. Au niveau mondial, la malnutrition touche près de 3 milliards de personnes. Les quelques progrès proviennent des politiques mises en œuvre par la Chine. L’arme alimentaire est toujours utilisée, comme à Gaza par le gouvernement fasciste israélien. Il est souvent dit que l’humanité ne pouvait pas subvenir à ses besoins alimentaires. C’est un discours idéologique factuellement faux qui vise à intégrer les populations aux politiques impérialistes. Selon l’OMC, la production alimentaire a progressé de 33 % entre 2000 et 2015, contre seulement 19 % pour la population mondiale. Sous le coup de la libéralisation des échanges, les exportations de denrées agricoles et alimentaires ont cru de 215 % sur la même période. Il apparaît donc clairement que les capacités productives ne sont pas en cause, mais que c’est un problème politique d’accès inégal aux ressources agricoles en volume et en prix. Dans les pays capitalistes développés, le problème se pose également. En France par exemple, la précarité alimentaire augmente au point que 21 % de la population a eu recours à l’aide alimentaire en 2023.

Vous dressez un constat accablant de la gestion capitaliste de l’alimentation. En quoi ce système, largement dominant, a failli ?

Ce système échoue et en quantité et en qualité, parce que ce n’est pas son objectif. Son objectif est de faire du profit, de gaver les actionnaires en dividendes. Objectif qui rentre en contradiction avec la satisfaction des besoins de la population. La forte hausse des prix alimentaires en 2022-2023 a permis une augmentation du taux de marge des industriels de l’alimentation de 48 %, son plus haut niveau jamais atteint. Gouvernement et patronat ont justifié cette inflation par la guerre en Ukraine et l’augmentation du prix des matières premières agricoles et de l’énergie. L’inflation alimentaire s’explique surtout par la stratégie des groupes, notamment nord-américains, pour nourrir le capital.

J’ai évoqué la qualité des produits. Là encore, pour tenter de contrecarrer la baisse du taux de profit, le patronat économise sur les matières premières, sur le temps de nettoyage des machines qui traitent du vivant, engendrant des problèmes sanitaires graves. Ce qui pose la question de sortir l’alimentation des griffes du capital.

Au-delà de ce constat quelles pistes de réflexions et de propositions mettez-vous en débat pour arracher des mains des spéculateurs et des groupes financiers la production et la distribution alimentaire ?

Nous avançons des propositions alternatives permettant d’ouvrir d’autres perspectives de développement et d’émancipation que celles d’un capitalisme mortifère pour les peuples. L’alimentation doit être extraite du carcan de la rentabilité financière. Elle doit devenir un bien public, parce que son accès en quantité et en qualité à des prix socialement acceptables est un des fondements de la santé publique et sociale de l’humanité. Cela exige de rompre avec la logique de marché que nous impose le capitalisme. Cette rupture nécessite notamment une planification démocratique agricole et alimentaire, le contrôle des prix et la socialisation des grands groupes alimentaires. 

La mondialisation exige un nouvel ordre économique mondial. L’approche renouvelée de la construction de coopérations internationales que sont en train de construire les Brics, nous semble émancipatrice économiquement. La France, en contribuant à leur développement, pourrait jouer un rôle essentiel afin de rompre avec les logiques de domination impérialiste.  

Pour y parvenir, il y a un rapport des forces inégal à inverser. La pétition contre la loi Duplomb a montré que la question de la santé et de l’alimentation préoccupe et mobilise de plus en plus de mangeurs. En quoi ce mouvement pour le droit à une alimentation saine est porteur d’espoir ?

Ce mouvement démontre ce que Marx écrivait « (…) l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre (…) » Cette revendication du droit à une alimentation saine pose des questions fondamentales, notamment celle de la remise en cause du mode production intensif et spécialisé concomitant à l’insertion de l’agriculture au système alimentaire mondialisé et à son assujettissement aux lois du capitalisme prônés par ceux qui monopolisent tous les pouvoirs en agriculture. On ne la résoudra pas en revenant en arrière avec par exemple un million de paysans. Ce n’est pas parce que le patronat agricole et la société, sous la pression de la pensée dominante, invisibilisent le plus d’un million d’ouvrières et ouvriers agricoles qu’ils n’existent pas pour autant. Elles et ils participent pour près de 40 % à la production agricole. Les formes sociétaires représentent 42 % des exploitations, mais cultivent près des deux tiers de la surface agricole utilisée. Les aides publiques (aides de la Pac et allègements de charges fiscales et de cotisations sociales) s’élèvent à plus de 15 milliards d’euros en 2023. Et on a un système de plus en plus néfaste économiquement, socialement et environnementalement. La contradiction entre la production sociale et l’appropriation individuelle capitaliste des richesses créées bloque l’évolution de l’humanité. Le processus objectif de socialisation des activités productives agricoles (une agriculture tributaire de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, la part croissante du travail salarié, la terre bien public comme facteur de production, l’importance des subventions publiques…) crée les conditions d’un nouveau stade d’organisation de la société, celui d’une socialisation des moyens de production qui relève d’actions politiques.


Se nourrir, enjeu national et international, Jocelyne Hacquemand, Alan Pirrottina, Tibor Sarcey. Le Temps des Cerises Éditions, 22,00 €, 2025.

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14.11.2025 à 10:55

Pesticides : quand les équipements censés protéger exposent davantage

The Conversation

Texte intégral (1828 mots)

Par Fabienne Goutille, Enseignante-chercheure en ergonomie, Université Clermont Auvergne (UCA) et Alain Garrigou, Professeur en ergonomie, Université de Bordeaux

Peu adaptés aux conditions de travail réelles des agriculteurs, les équipements censés les protéger des expositions aux pesticides se révèlent bien souvent inefficaces voire même néfastes. La discipline de l’ergotoxicologie tâche de remédier à cela en travaillant auprès des premiers concernés.


Alors que la loi Duplomb a été adoptée, ouvrant la voie à la réintroduction de pesticides interdits et à la remise en cause de garde-fous environnementaux, un angle mort persiste dans le débat public : qui, concrètement, est exposé à ces substances, dans quelles conditions, et avec quelles protections ?

Loin des protocoles théoriques, la réalité du terrain est plus ambivalente. Porter une combinaison ne suffit pas toujours à se protéger. Parfois, c’est même l’inverse. Une autre approche de la prévention s’impose donc en lien avec les personnes travaillant en milieu agricole.

Avec le programme PESTEXPO (Baldi, 2000-2003), en observant le travail en viticulture en plein traitement phytosanitaire, une réalité qui défiait le bon sens est apparue : certaines personnes, pourtant équipées de combinaisons de protection chimique, étaient plus contaminées que celles qui n’en portaient pas.

Grâce à des patchs cutanés mesurant l’exposition réelle aux pesticides, l’équipe de l’Université de Bordeaux et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a confirmé un phénomène aujourd’hui bien documenté : la perméation, c’est-à-dire la traversée des tissus protecteurs par les molécules chimiques.

Sous l’effet de la chaleur, de l’humidité et de l’effort, la combinaison piégeait en fait les pesticides à l’intérieur du vêtement, empêchant leur évaporation et créant un effet piège, favorisant leur contact prolongé avec la peau. Ce n’était pas seulement un échec de protection : c’était un facteur aggravant.

Cette situation soulève une question centrale : comment des équipements conçus pour protéger peuvent-ils exposer davantage ?

Une protection illusoire imposée… et mal pensée

Les équipements de protection individuelle (EPI) portés par les agriculteurs relèvent en grande partie d’une conception industrielle. Leur homologation repose sur des tests réalisés en laboratoire, par les fabricants eux-mêmes, selon des protocoles standardisés dans des conditions semi-contrôlées, déconnectées du travail réel. Les conditions extrêmes du terrain – chaleur, humidité, densité – et les variabilités du travail ne sont pas prises en compte.

Dans les exploitations, ces équipements sont portés sur des corps en action : monter et descendre du tracteur, passer sous les rampes, manipuler les tuyaux, se faufiler entre les rangs, porter des charges, travailler au contact des machines ou de végétaux abrasifs. Les combinaisons ne suivent pas toujours ces gestes. Elles peuvent gêner la précision, limiter l’amplitude, se coincer ou se déchirer. Et parce qu’elles sont conçues sur un gabarit standardisé, elles s’ajustent mal à la diversité des morphologies, notamment des femmes, pour qui la coupe, la longueur ou l’encombrement des tissus rendent certains mouvements plus difficiles, voire plus risqués.

Pourtant, la réglementation impose le port de ces équipements. En cas de contrôle, ou d’accident, la responsabilité incombe aux propriétaires ou aux gestionnaires de l’exploitation. Cette logique repose sur une fiction rassurante : le port d’un EPI serait une protection suffisante. La réalité est tout autre.

Les personnes qui travaillent au contact des pesticides le savent bien. Lors des manifestations, on a pu entendre le slogan « Pas d’interdiction sans solution », qui résume bien leur colère : trop de normes, trop peu de moyens pour les appliquer.

Porter une combinaison étanche, par 30 °C, retirer ses gants à chaque étape, se rincer entre deux manipulations, tout en assurant la rentabilité de l’exploitation… Cela relève souvent de l’impossible. De plus, les combinaisons sont pour la plupart à usage unique, mais compte tenu de leur coût, elles peuvent être réutilisées de nombreuses fois.

On ne peut pas simplement reprocher aux agriculteurs et agricultrices de ne pas faire assez. C’est tout un système qui rend la prévention inapplicable.



L’ergotoxicologie : partir de l’activité réelle pour mieux prévenir

Face à ces constats, l’ergotoxicologie propose un autre regard. Issue de la rencontre entre ergonomie et toxicologie, cette approche s’attache à comprendre les situations d’exposition telles qu’elles se vivent concrètement : gestes, contraintes, matériaux, marges de manœuvre, savoirs incorporés. Elle repose sur une conviction : on ne peut pas prévenir sans comprendre le travail réel.

Dans notre démarche, nous utilisons des vidéos de l’activité, des mesures d’exposition, et surtout des temps de dialogue sur le travail, avec et entre les travailleurs et travailleuses. Ce sont elles et eux qui décrivent leurs gestes, les développent, et proposent des ajustements. Nous les considérons comme des experts de leurs expositions.

Dans le projet PREVEXPO (2017-2022), par exemple, un salarié de la viticulture expliquait pourquoi il retirait son masque pour remplir la cuve et régler le pulvérisateur :

« Il était embué, je n’y voyais rien. Je dois le retirer quelques secondes pour éviter de faire une erreur de dosage. »

Ce type de témoignage montre que les choix en apparence « déviants » sont souvent des compromis raisonnés. Ils permettent de comprendre pourquoi la prévention ne peut pas se réduire à une simple application de règles abstraites ou générales.

Co-construire les solutions, plutôt que blâmer

En rendant visibles ces compromis, les personnes concernées peuvent co-construire des pistes de transformation, à différentes échelles. Localement, cela peut passer par des ajustements simples : une douche mobile, un point d’eau plus proche et assigné aux traitements, un nettoyage ciblé du pulvérisateur ou du local technique, des sas de décontamination entre les sphères professionnelle et domestique, une organisation du travail adaptée aux pics de chaleur.

Encore faut-il que l’activité de protection soit pensée comme une activité en soi, et non comme un simple geste ajouté. Cela implique aussi de créer les conditions d’un dialogue collectif sur le travail réel, où risques, contraintes et ressources peuvent être discutés pour mieux concilier performance, santé et qualité du travail.

Mais cela va plus loin : il s’agit aussi d’interroger la conception des équipements, les normes d’homologation et les formulations mêmes des produits.

Faut-il vraiment demander aux agriculteurs et agricultrices uniquement de porter la responsabilité de leur exposition ? Ces réflexions dépassent leur seul cas. La chaîne d’exposition est en réalité bien plus large : stagiaires personnels et familles vivant sur l’exploitation, saisonniers et saisonnières qui passent en deçà des radars de l’évaluation des risques, mécaniciens et mécaniciennes agricoles qui entretiennent le matériel, conseillers et conseillères agricoles qui traversent les parcelles… Sans parler des filières de recyclage, où des résidus persistent malgré le triple rinçage.

Faut-il leur imposer à toutes et tous des EPI ? Ou repenser plus largement les conditions de fabrication, de mise sur le marché, d’utilisation et de nettoyage des produits phytopharmaceutiques ?

L’ergotoxicologie ne se contente pas de mesurer : elle propose des objets de débat, des images, des données, qui permettent de discuter avec les fabricants, les syndicats, les pouvoirs publics. Ce n’est pas une utopie lointaine : dans plusieurs cas, les travaux de terrain ont déjà contribué à alerter les agences sanitaires, à faire évoluer les critères d’évaluation des expositions, ou à modifier des matériels et équipements agricoles.

Ni coupables ni ignorants : un savoir sensible trop souvent ignoré

Contrairement à une idée reçue, les personnes qui travaillent dans l’agriculture ne sont pas ignorantes des risques. Elles les sentent sur leur peau, les respirent, les portent parfois jusque chez elles. Certaines agricultrices racontent que, malgré la douche, elles reconnaissent l’odeur des produits quand leur partenaire transpire la nuit.

Ce savoir sensible et incarné est une ressource précieuse. Il doit être reconnu et pris en compte dans les démarches de prévention. Mais il ne suffit pas, si l’organisation, les équipements, les produits et les règles restent inadaptés et conçus sans tenir compte du travail réel.

Prévenir, ce n’est pas culpabiliser. C’est redonner du pouvoir d’agir aux personnes concernées, pour qu’elles puissent faire leur métier sans abîmer leur santé au sens large et celle de leur entourage. Et pour cela, il faut les écouter, les associer, les croire, et leur permettre de contribuer à la définition des règles de leur métier.

Dans le contexte de la loi Duplomb, qui renforce l’autorisation de produits controversés sans se soucier des conditions réelles d’usage, ce travail de terrain collaboratif et transdisciplinaire est plus que jamais nécessaire pour une prévention juste, efficace, et réellement soutenable.


📽 Le film documentaire Rémanences, disponible sur YouTube (Girardot-Pennors, 2022) illustre cette démarche collaborative en milieu viticole.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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10.11.2025 à 11:15

M. Macron maquille sa capitulation sur le MERCOSUR

Patrick Le Hyaric

(498 mots)

Le président de la République prépare en douceur une capitulation en rase campagne sur le projet de traité de libre-échange Union européenne-Mercosur.

Après avoir dit, au salon de l’agriculture, en février dernier, qu’il considérait cet accord comme un « mauvais texte » et qu’il « ferait tout pour qu’il ne suive pas son chemin, pour protéger cette souveraineté alimentaire française et européenne », il vient de dire, à la fin de la réunion du Conseil européen du mois dernier, que « tout va dans le bon sens » ajoutant « qu’on attend la finalisation ».

Des couloirs bruxellois des institutions européennes fuitent des bruits selon lesquels le président français n’a, en réalité, jamais tenté de réunir une coalition contre ce traité malgré ses déclarations tonitruantes. Interrogeons-nous : que s’est-il passé au cours de ces derniers mois, qui permettent de dire que « tout va dans le bon sens « ? Rien ! Le texte n’a pas évolué d’une virgule.

Mais M. Macron justifie sa volteface en prétendant avoir obtenu « une clause de sauvegarde pour les filières fragiles ». Une incroyable farce ! En effet, cette fameuse « clause de sauvegarde » bien difficile à activer, est inscrite dans le traité depuis les discussions de… 2019. Un mensonge de plus !

Mieux encore, cette volte-face est le résultat d’un pacte avec l’Allemagne qui milite pour le MERCOSUR depuis le début pour s’assurer de vendre toujours plus de voitures dans les pays d’Amérique Latine. Ce pacte consiste en l’acceptation par la France du traité MERCOSUR en échange de la promesse du gouvernement allemand d’acheter des armes européennes, -notamment Françaises- dans le cadre du réarmement du continent. On sacrifiera ici les paysans et la santé des citoyens-consommateurs en échange du renforcement du complexe militaro-industriel européen, mais surtout français. Voilà, le laid visage du capitalisme !

Avant la décision définitive lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre prochains, le Parlement européen dans sa session qui se tiendra du 24 au 27 novembre prochains peut voter une résolution demandant à la Cour de justice européenne de statuer sur plusieurs points litigieux du texte, notamment la légalité de la scission du texte en deux volets : l’un commercial, l’autre de coopération. Ce dernier obligerait à faire approuver ce texte par tous les parlements nationaux.

Interpeller les parlementaires européens dans les jours à venir est donc un devoir de vigilance.

Il faut obtenir que la présidente de la Commission européenne annule son voyage en Amérique du Sud prévu le 20 décembre pour signer ce forfait contre les paysans-travailleurs, la vie rurale, l’industrie et la santé.

* MERCOSUR : Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay, alliés pour un traité de libre-échange avec l’Union Européenne.

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05.11.2025 à 07:01

Le Brésil enregistre sa plus forte baisse des émissions de gaz à effet de serre depuis 15 ans

La Terre

Texte intégral (546 mots)

Le Brésil a enregistré en 2024 sa plus forte réduction des émissions de gaz à effet de serre d’une année sur l’autre depuis 2009, en raison notamment de la baisse de la déforestation, selon des données publiées lundi, à quelques jours du début de la COP30.

Ces chiffres sont une bonne nouvelle pour le gouvernement du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui accueille à partir du 10 novembre la conférence de l’ONU sur le climat, la COP30, dans la ville amazonienne de Belem.

« Les nouvelles données montrent l’impact du fait que le gouvernement s’est remis à contrôler la déforestation », qui était « délibérément hors de contrôle » sous le mandat du prédécesseur de Lula, Jair Bolsonaro (2019-2022), a affirmé ce réseau dans un communiqué.

Durant le mandat de l’ex-président d’extrême droite, la déforestation a fortement augmenté, notamment en Amazonie, où la végétation luxuriante joue un rôle essentiel dans l’absorption de gaz à effet de serre.

Le déboisement dans la plus grande forêt tropicale de la planète a chuté continuellement depuis le retour au pouvoir de Lula pour un troisième mandat en 2023, après un premier passage à la présidence de 2003 à 2010.

Il a baissé de 11% en un an sur la période de référence allant d’août 2024 à juillet 2025, selon les chiffres officiels rendus publics la semaine dernière.

Malgré les données encourageantes de l’an dernier, « les données de l’économie brésilienne en 2025 (…) ne permettent pas de faire des projections optimistes » quant au respect des engagements pris par le Brésil pour réduire ses émissions cette année, a tempéré l’Observatoire du climat.

Il critique par ailleurs le fait que Lula soutienne un vaste projet d’exploration pétrolière au large de l’Amazonie, alors que l’énergie fossile est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Le forage de la compagnie publique Petrobras a débuté en octobre, après le feu vert de l’agence environnementale publique Ibama.

Face aux détracteurs, Lula argumente que l’argent du pétrole peut servir à financer la transition énergétique.Il critique par ailleurs le fait que Lula soutienne un vaste projet d’exploration pétrolière au large de l’Amazonie, alors que l’énergie fossile est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Le forage de la compagnie publique Petrobras a débuté en octobre, après le feu vert de l’agence environnementale publique Ibama.

Face aux détracteurs, Lula argumente que l’argent du pétrole peut servir à financer la transition énergétique.


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30.10.2025 à 13:17

Les fantômes des pesticides hantent nos environnements pour longtemps

The Conversation

Texte intégral (2893 mots)

Par Gaspard Conseil, Docteur en écotoxicologie, attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université de Lorraine (UL, ENSAIA, L2A), Université de Lorraine et Damien Banas, Professeur en Agronomie/Hydrobiologie, Université de Lorraine

De l’autre côté du miroir d’eau paisible des étangs, on rencontre en réalité de véritables « fantômes moléculaires » laissés par les pesticides utilisés pour l’agriculture. Même lorsque la substance originelle a été depuis interdite, ses produits de transformation – parfois plus toxiques – peuvent persister longtemps. Et si l’on envisageait les étangs différemment ? Les considérer comme des archives biochimiques des pollutions passées pourrait nous aider à améliorer la surveillance sanitaire et à prendre de meilleurs décisions réglementaires aujourd’hui.


Sous la surface calme des étangs (et, en particulier, des étangs agricoles) se cache une contamination invisible mais omniprésente. Sur l’ensemble des substances chimiques surveillées en milieu aquatique, 86 % sont des produits de transformation de pesticides plutôt que des pesticides eux-mêmes. Ce paysage est dominé par des dérivés du chlorothalonil, pesticide pourtant interdit en Europe et en Suisse depuis 2019, qui ont depuis été détectés d’abord en Suisse, puis signalés au sein d’unités françaises de traitement de l’eau potable.

Ces « fantômes moléculaires », souvent ignorés des suivis classiques, sont pourtant impliqués dans la dégradation silencieuse de la qualité des eaux. Dans une recherche scientifique publiée en 2025, nous avons mis en évidence qu’ils modifient le comportement et le métabolisme de petits crustacés d’eau douce (ici, Gammarus roeseli) utilisés comme sentinelles biologiques.

À la fois témoins et victimes des pollutions chimiques successives de l’environnement, ces organismes livrent une histoire préoccupante, inscrite dans le vivant, que les simples mesures chimiques ne permettent pas de lire.

La mémoire chimique des étangs

Les étangs ne sont pas de simples plans d’eau, mais des archives vivantes de l’activité humaine environnante. Souvent connectés aux rivières, ils s’imprègnent de l’héritage chimique des pratiques agricoles, à travers les métabolites de produits phytopharmaceutiques, ou produits de transformation (PT), qui en résultent.

Il ne suffit pas de retirer un pesticide du marché pour résoudre tous les problèmes de pollution : son empreinte chimique peut persister très longtemps dans l’environnement. Gapard Conseil, Fourni par l’auteur

Quand bien même un pesticide est amené à être retiré du marché, son empreinte chimique demeure. Des PT issus de la dégradation d’une molécule mère peuvent ainsi persister longtemps dans l’eau, dans les sédiments ou dans les organismes vivants. Longtemps invisibles, car peu connus et peu étudiés, ils rappellent que la contamination environnementale n’est pas qu’une affaire du présent, mais aussi une mémoire du passé.

Nous vivons ainsi avec les cicatrices laissées par des produits chimiques utilisés à d’autres époques, lorsque leurs effets étaient encore mal connus. Et pourtant, nous continuons de répéter la même erreur : autoriser la commercialisation de produits aux effets mal compris. Nous déléguons alors de nouveaux problèmes à nos enfants.

Même lorsqu’on interdit un pesticide, ses descendants sont toujours là

L’herbicide atrazine, interdit depuis 2003, illustre très bien le problème. Ses métabolites sont encore détectés vingt ans après son interdiction dans de nombreuses masses d’eau françaises.

Les progrès de la recherche et les nouvelles connaissances acquises ont conduit à des réglementations plus strictes, comme le Règlement européen (CE) no 1107/2009, qui exclut l’autorisation de mise sur le marché de substances persistantes ou qui s’accumulent dans les organismes.

La relation entre l’humain et son environnement reste complexe. L’histoire que nous commençons à lire grâce aux outils analytiques mobilisés en écotoxicologie, qui intègrent à la fois des approches chimiques et biologiques, devrait éclairer nos choix présents et nous permettre d’éviter de les regretter demain.

Le fongicide chlorothalonil, interdit en 2019, fournit un exemple récent de ce décalage entre décision réglementaire et réalité environnementale. Son métabolite R471811 est aujourd’hui retrouvé dans de nombreuses eaux de surface et souterraines européennes. Il n’existe a priori pas de preuves qu’il présente un risque avéré, mais cela pourrait être réévalué dans cinq, dix ou trente ans.

Ces reliquats chimiques révèlent l’inertie propre des cycles environnementaux, souvent difficiles à cerner ou à mesurer. Ils soulignent aussi les limites de nos politiques de retrait, capables de réagir vite, mais impuissantes face à la persistance du passé et à la multiplicité des substances chimiques encore autorisées (422 en Europe en octobre 2025.

Expositions chimiques invisibles, ou difficiles à cerner ?

Les milieux aquatiques sont exposés à une mosaïque de contaminants que les scientifiques appellent exposome chimique, c’est-à-dire l’ensemble des substances auxquelles un organisme ou un écosystème est exposé au cours de sa vie.

Si les substances actives sont surveillées via la réglementation européenne, les PT passent souvent sous le radar. Un seul pesticide peut engendrer plusieurs molécules filles, parfois plus durables et plus mobiles que la molécule mère. Les connaissances sur leur toxicité sont encore très lacunaires, avec peu de tests de toxicité, peu de standards analytiques et très peu de données sur leurs effets cumulés. Ainsi, une part importante du risque nous échappe encore.

Dans un travail antérieur, mené en 2024, sur les étangs agricoles du nord-est de la France, nous avions déjà montré que plus d’une molécule détectée sur deux était un PT encore dépourvu de profil écotoxicologique connu. En d’autres termes, une partie du risque reste littéralement dans l’ombre.

Des crevettes pour sonder l’eau des étangs

Les grands cours d’eau font l’objet de suivis réguliers. Les étangs, eux, sont les parents pauvres de la limnologie (c’est-à-dire la science des lacs) et restent peu étudiés. Pourtant, ils ponctuent nos paysages et abritent souvent une large biodiversité constituée de poissons, d’oiseaux, de batraciens, de reptiles, d’insectes et de végétaux divers. Ils jouent aussi un rôle d’interface entre terres agricoles et nappes souterraines. Exposés aux polluants au fil du temps, ils jouent un rôle de « mémoire tampon » entre terres cultivées et milieux naturels, entre les eaux de surface et les nappes souterraines.

Pour explorer cette mémoire chimique, notre équipe a eu recours à une approche de biosurveillance active, où l’on utilise le vivant pour évaluer la qualité de l’eau. Cette méthode consiste à confronter des organismes sentinelles à l’environnement étudié afin d’observer leurs réactions biologiques, en parallèle de l’analyse chimique dite de l’exposome, décrit précédemment (l’ensemble des substances auxquelles le milieu est exposé, et de facto, nous aussi).

Gammarus roeseli est un petit crustacé utilisé en tant que sentinelle biochimique des étangs. Gaspard Conseil, Fourni par l’auteur

Croiser ces deux lectures, chimique et biologique, permet d’obtenir un indicateur global de l’état de santé d’une masse d’eau bien plus représentatif que la simple mesure de concentrations d’une liste de contaminants strictement définis.

Concrètement, nous avons placé dans sept étangs lorrains implantés le long d’un gradient de terres agricoles aux pratiques diversifiées (sans activité agricole, en agriculture biologique ou en agriculture conventionnelle) de petits crustacés d’eau douce, Gammarus roeseli, enfermés dans de fines cages perméables.

Ces gammares, discrets habitants des rivières, sont de véritables sentinelles biologiques. Leur respiration, leurs mouvements et leurs activités enzymatiques reflètent fidèlement la qualité du milieu où ils vivent. Pendant une semaine, ces organismes ont été exposés à l’eau et leur état de santé a été suivi. En parallèle, dans chaque étang, 136 substances (herbicides, insecticides, fongicides, et leurs PT) ont été recherchées.

Les résultats montrent une prédominance écrasante des produits de transformation, qui représentaient 86 % des contaminants détectés, dominés par les dérivés du chlorothalonil et du métazachlore.

Les gammares ont survécu, mais leur comportement et leur métabolisme ont changé. Ralentissement des déplacements, troubles de la respiration et activation des mécanismes de détoxification traduisent le signal précoce d’un potentiel stress toxique. Ces réactions biologiques confirment que la contamination, bien qu’étant une affaire de chimie, s’inscrit profondément dans le vivant. En d’autres termes, les organismes racontent ce que les analyses chimiques ne suffisent pas toujours à voir.

De la science au terrain : comment gouverner l’invisible ?

Reste à savoir comment intégrer au mieux ces signaux biologiques et cette mémoire chimique dans les décisions publiques et réglementaires.

Aujourd’hui, la surveillance réglementaire reste essentiellement centrée sur les substances actives autorisées. Pourtant, le risque dépasse largement ces molécules. Il s’étend dans le temps, change de forme, interagit avec d’autres contaminants et varie selon les conditions environnementales. L’environnement et sa biodiversité sont aussi le siège d’une diversité de voies de transformation et de transfert des contaminants.

La surveillance doit donc évoluer, élargir les listes de substances suivies, développer les outils biologiques, et, surtout, agir avec précaution dans un contexte où tout ne peut être mesuré ni anticipé : il serait illusoire de vouloir tout tester et suivre toutes les substances possibles et imaginables. L’enjeu est donc surtout de prioriser les composés les plus à risque et de protéger les milieux les plus vulnérables.

Il existe ainsi trois leviers pour mieux protéger les milieux aquatiques :

  • élargir la couverture analytique, c’est-à-dire les méthodes et techniques utilisées pour identifier et quantifier les PT issus de la dégradation des pesticides dans les suivis de routine,

  • renforcer les outils biologiques capables de traduire la complexité chimique en signaux écologiques mesurables, par exemple, le recours à des organismes sentinelles,

  • enfin, prioriser localement les actions de gestion (par exemple, rotation des cultures, zones tampons sans traitement, meilleure gestion des effluents et du ruissellement, ou encore l’aménagement de réseaux de drainage) adaptées aux usages et aux vulnérabilités des territoires.

De récentes observations nous montrent que les dynamiques observées en Lorraine ressemblent à celles de sites agricoles en Suisse, dans le canton de Genève. Nous menons depuis l’été 2025 des recherches avec la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (Hépia) à ce sujet.

Ces enjeux de pollution franchissent donc les frontières, mais les solutions doivent émerger localement, en combinant restauration de zones tampons (qui permettent d’atténuer les transferts de contaminants d’origine agricole vers les milieux aquatiques), diversification des pratiques et surveillance chimique et biologique intégrée.

Une écologie de la mémoire

Les étangs sont les miroirs de nos paysages agricoles, mais en constituent surtout des archives. Ils accumulent, filtrent et témoignent des usages passés. Reconnaître cette mémoire chimique, c’est accepter que certaines traces mettent des décennies à s’effacer.

Les produits de transformation des pesticides ne sont ni marginaux ni nouveaux. Ils incarnent une génération de micropolluants qui s’ancre dans la mémoire chimique de nos agroécosystèmes. Les inclure, les considérer, c’est comprendre qu’un étang, aussi petit soit-il, peut raconter une histoire de pollutions passées, mais aussi celle d’une vigilance à retrouver.

À l’heure où les politiques de transition agricole s’accélèrent, prendre en compte ces produits de transformation est essentiel pour éviter que ces fantômes chimiques ne pèsent sur les générations futures. Ce que nous faisons aujourd’hui s’inscrira dans la mémoire environnementale de demain. À nous de choisir l’histoire que ces étangs raconteront aux générations futures.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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29.10.2025 à 16:38

Infertilité masculine et pesticides : un danger invisible ?

The Conversation

Texte intégral (2623 mots)

Par Marwa Lahimer, Chercheuse associée – UMR-I 01 Périnatalité & Risques Toxiques (Peritox), centre universitaire de recherche en santé, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Hafida Khorsi, Professeur des universités en microbiologie, PériTox – Périnatalité et Risques Toxiques – UMR_I 01, UPJV / INERIS, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Moncef Benkhalifa, Professeur de médecine et biologie de la reproduction, Cecos de Picardie, CHU Amiens Picardie – chercheur UMR-I 01 Périnatalité & Risques Toxiques (Peritox), centre universitaire de recherche en santé, Université de Picardie Jules Verne (UPJV) et Sophian Tricotteaux-Zarqaoui, Doctorant, laboratoire Périnatalité et Risques toxiques (UMR_I 01), Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Si on a longtemps considéré que l’infertilité était un problème purement féminin, on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Selon certaines estimations, 20 % à 30 % des cas sont directement imputables à des problèmes touchant les hommes. En marge des facteurs liés aux modes de vie, un faisceau d’indices semble incriminer notamment certains polluants environnementaux, tels que les pesticides.


À ce jour, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’environ 17,5 % de la population adulte, soit une personne sur six dans le monde est touchée par l’infertilité. Diverses études scientifiques indiquent que cette proportion devrait continuer à progresser jusqu’en 2040.

Ce problème majeur a plusieurs causes, dont certaines sont liées à l’évolution des modes de vie. Sous la pression des contraintes professionnelles ou économiques, l’âge de la parentalité a notamment tendance à reculer dans de nombreux pays.

Toutefois, depuis plusieurs années, les travaux de recherches pointent également le rôle de divers polluants environnementaux, tels que certains pesticides dans l’infertilité. De par leur capacité à perturber le fonctionnement hormonal, ces molécules interfèrent avec le système reproducteur. Nos travaux ont notamment mis en évidence que l’exposition à certaines de ces molécules se traduit, chez les hommes, par une diminution de la qualité du sperme.

Qu’est-ce que l’infertilité ?

L’infertilité est définie comme l’incapacité à obtenir une grossesse après douze mois de rapports sexuels réguliers et non protégés. Lorsqu’elle affecte des couples qui n’ont jamais réussi à concevoir, on parle d’infertilité « primaire ». L’infertilité « secondaire » touche quant à elle les couples qui ont déjà vécu une grossesse, mais qui éprouvent des difficultés à concevoir de nouveau.

Longtemps, l’infertilité a été considérée comme résultant uniquement de problèmes affectant les femmes. En effet, confrontés à une telle situation, les hommes ont tendance à considérer que l’échec de conception remet en question leur virilité, ce qui peut les pousser à refuser les tests médicaux (ou à rejeter la faute sur leur partenaire). Cela a longtemps contribué à passer sous silence une potentielle responsabilité masculine, renforçant l’idée fausse que seules les femmes peuvent être responsables de l’infertilité.

Si, dans certains pays, les hommes ont encore du mal à reconnaître leur implication dans ce problème majeur, les progrès médicaux ont fait peu à peu prendre conscience que l’infertilité pouvait aussi avoir des origines masculines.

On sait aujourd’hui qu’au moins 20 % des cas sont directement imputables aux hommes, et que ces derniers contribuent à 50 % des cas d’infertilité en général.

À l’origine de l’infertilité, une multitude de facteurs

Les causes de l’infertilité peuvent être multiples. Chez la femme comme chez l’homme, la capacité à engendrer est influencée par l’âge.

Les femmes naissent avec un stock limité d’ovules, qui diminue progressivement avec l’âge, ce qui s’accompagne d’une baisse progressive de la fertilité, jusqu’à la ménopause. Les hommes, quant à eux, sont affectés à partir de la quarantaine par une diminution de la qualité du sperme (notamment le fonctionnement des spermatozoïdes, les gamètes mâles), ce qui a également des conséquences en matière de fertilité.

Parmi les causes « non naturelles », les scientifiques s’intéressent de plus en plus aux effets de la pollution et des pesticides. Aux États-Unis, les travaux de l’USGS (United States Geological Survey), la principale agence civile de cartographie aux États-Unis, ont révélé qu’environ 50 millions de personnes consomment des eaux souterraines exposées aux pesticides et d’autres produits chimiques utilisés dans l’agriculture.

Preuve des préoccupations des autorités, pour réduire les intoxications causées par les pesticides, en particulier chez les travailleurs agricoles et les manipulateurs de pesticides, des protections professionnelles sont offertes à plus de 2 millions de travailleurs répartis sur plus de 600 000 établissements agricoles via la norme de protection des travailleurs agricoles (WPS) et l’agence de protection de l’environnement (EPA).

Ces précautions ne sont pas étonnantes : ces dernières années, les scientifiques ont rassemblé de nombreux indices indiquant que l’exposition aux pesticides représente un danger pour la santé publique, et peut notamment se traduire par des problèmes d’infertilité.

L’analyse du taux de prévalence de l’infertilité chez les personnes âgées de 15 à 49 ans, dans 204 pays et territoires, entre 1990 et 2021 a récemment révélé que les régions les plus touchées par l’infertilité sont principalement situées en Asie de l’Est, en Asie du Sud et en Europe de l’Est.

Cette problématique concerne aussi la France, pays considéré comme l’un des plus grands consommateurs de pesticides dans le monde. Il est important de mettre en lumière cette situation, car la plupart des personnes qui souffrent d’infertilité ne la connaissent pas.

Des molécules qui perturbent les mécanismes hormonaux

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a classé diverses substances dans la catégorie des perturbateurs endocriniens : le bisphénol A (BPA), les phtalates et leurs métabolites, ou certains pesticides, tels que les biphényles polychlorés (PCB), le glyphosate, le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et le méthoxychlore.

Pour mémoire, les perturbateurs endocriniens sont des substances imitant ou interférant avec l’activité des hormones, donc capables de perturber le fonctionnement hormonal, et ce, même à très faible dose.

En ce qui concerne les pesticides, les systèmes de surveillance environnementale et sanitaire se sont longtemps focalisés sur les substances actives, négligeant en grande partie les composés issus de leur dégradation, appelés « métabolites ».

Pourtant, on sait aujourd’hui que, dans certains cas, les métabolites peuvent exercer un effet biologique plus important que la substance mère elle-même. Dans le cas des pesticides, ces composés secondaires sont souvent persistants et peuvent jouer un rôle significatif dans les effets toxiques à long terme. C’est en particulier le cas en ce qui concerne la fertilité humaine.

Cette omission dans les stratégies de suivi a retardé la reconnaissance de la contribution potentielle des métabolites de pesticides à la baisse de la fertilité observée dans certaines populations exposées.

Perturbateurs endocriniens et fertilité masculine

Les preuves scientifiques suggèrent en effet qu’une exposition prolongée à des perturbateurs endocriniens peut nuire à la fertilité masculine, en affectant divers aspects de la fonction hormonale, avec notamment des conséquences sur la spermatogenèse (autrement dit la production et de la qualité du sperme).

En 2023, nous avons mené une étude rétrospective portant sur une population de 671 hommes vivant en Picardie. Les résultats ont montré que, chez le groupe exposé, que les spermatozoïdes étaient moins actifs et se déplaçaient moins bien. De plus, nous avons observé que l’ADN des spermatozoïdes était plus souvent fragmenté, et que leur structure était moins stable.

Au-delà des conséquences liées à l’exposition à un perturbateur endocrinien donné, la question de l’exposition à des mélanges de substances capables de perturber le système hormonal se pose avec une acuité grandissante.

Outre les pesticides et leurs métabolites, nous sommes en effet quotidiennement en contact avec de nombreuses molécules présentant des propriétés de perturbation endocrinienne. On peut par exemple citer les bisphénols utilisés pour remplacer le bisphénol A, composés perfluorés (PFAS, les alkylphénols (utilisés dans les détergents), ou encore les phtalates, dont on sait qu’ils peuvent altérer la production hormonale, perturber la maturation des cellules reproductrices et affecter la qualité du sperme (en plus d’affecter négativement la fertilité féminine).

Or, parfois, le fait d’être présentes dans un mélange modifie l’activité de certaines molécules, ce qui peut accroître leur toxicité. Certains facteurs environnementaux, tels que la pollution de l’air, peuvent également exacerber ces effets.

Pourquoi les perturbateurs endocriniens perturbent-ils la fertilité masculine ?

Dans notre corps, la production des hormones, et notamment de celles qui contrôlent la fertilité, est sous l’influence de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Ce dernier est en quelque sorte la « tour de contrôle » qui régule le trafic hormonal. Comme son nom l’indique, il est constitué par l’hypothalamus, une région du cerveau impliquée dans de nombreux processus essentiels (métabolisme, croissance, faim et soif, rythme circadien, thermorégulation, stress et reproduction) et par l’hypophyse, une glande de la taille d’un petit pois qui se trouve à la base du cerveau.

L’hypothalamus libère une hormone appelée GnRH (GnRH, pour gonadotropin-releasing hormone), qui stimule l’hypophyse. En réponse, l’hypophyse libère à son tour deux hormones clés : la FSH (hormone folliculo-stimulante) et la LH (hormone lutéinisante). Ces hormones stimulent la production de testostérone par les testicules.

Les perturbateurs endocriniens ont la capacité de se fixer sur les récepteurs hormonaux. Ce faisant, ils perturbent la production des hormones sexuelles masculines, telles que la testostérone et l’œstradiol, qui sont cruciales pour le développement et le maintien des fonctions reproductives.

Les perturbateurs endocriniens agissent à plusieurs niveaux

On l’a vu, les perturbateurs endocriniens interfèrent avec le système hormonal en imitant ou en bloquant les hormones naturelles. Certains d’entre eux donnent également de faux signaux à l’hypothalamus ou à l’hypophyse, ce qui dérègle la production de FSH et de LH, empêchant ainsi le bon fonctionnement des testicules.

Grâce à des études expérimentales menées dans notre laboratoire sur des rats de Wistar, nous avons démontré que l’exposition à certains produits chimiques et la consommation d’une alimentation riche en graisses pouvaient avoir un impact négatif sur la reproduction. Nos principaux résultats indiquent une diminution significative du poids des petits rats exposés à l’insecticide chlorpyrifos à partir du 30e jour. Ce phénomène est encore plus marqué au 60e jour après la naissance.

L’analyse des tissus a révélé chez les femelles une augmentation du nombre de follicules détériorés. Chez les mâles, nous avons constaté que la structure des testicules était anormale, ce qui engendre une perte de cellules germinales (les cellules intervenant dans la production des spermatozoïdes).

De plus, chez des rats exposés au chlorpyrifos et à un régime riche en graisses, nos travaux ont mis en évidence une baisse significative de certaines protéines essentielles à la régulation hormonale. C’est par exemple le cas de deux hormones sécrétées par les neurones de l’hypothalamus : la GnRHR (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires, responsable notamment de la synthèse et de la sécrétion de LH) et la kisspeptine (qui joue un rôle majeur dans la mise en place de la puberté et dans la régulation de la reproduction).

Que peut-on faire ?

Pour limiter les risques, il est important d’adapter ses comportements afin de réduire au maximum son exposition aux perturbateurs endocriniens. L’adoption de certains gestes simples peut y participer :

  • privilégier une alimentation bio, afin de limiter l’exposition aux pesticides (en ce qui concerne l’eau, diverses questions se posent, en particulier celle de la qualité de l’eau du robinet dans les régions fortement agricoles ; ces zones peuvent en effet être contaminées par des résidus de pesticides, des nitrates ou d’autres produits chimiques provenant des pratiques agricoles) ;

  • laver soigneusement les fruits et légumes avant de les consommer et de les éplucher si possible ;

  • porter des équipements de protection en cas d’utilisation de pesticides, en particulier en milieu professionnel. Rappelons que les agriculteurs sont les premières victimes directes de ces substances ;

  • sensibiliser les populations et promouvoir des pratiques agricoles responsables.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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27.10.2025 à 09:46

La Terre se relance pour de nouveaux combats

Patrick Le Hyaric

Texte intégral (618 mots)

Pour une alimentation de qualité pour toutes et tous l’heure est à inventer un après-capitalisme. En effet les méfaits du capitalisme productiviste et extractiviste s’imposent de plus en plus dans nos assiettes et nos verres au détriment de la santé.

En détruisant par excès de chimie, abeilles et vers de terre, en gonflant les nuages de polluants divers, en répandant dans les rivières, les fleuves et les océans des millions de particules plastiques, c’est la santé humaine, animale et des sols qui est mise en cause alors que les moyens pour la santé, la protection sociale et l’environnement sont réduits.

Nous en sommes au point où notre nourriture est contaminée par 183 types de résidus de pesticides. Et on ne compte plus les scandales sanitaires résultant bien souvent des économies réalisées dans les processus de production et de conservation pour augmenter les taux de profits. Les maladies liées aux aliments ultra-transformés prennent une dimension planétaire. Il y a urgence à rechercher des issues dans le cadre d’un autre système. C’est pour mieux y contribuer que la revue La Terre se rénove. Plus incisive et combative, elle se propose de porter plus haut les combats pour une bifurcation sociale et écologique de la production agricole et alimentaire et pour le droit à l’alimentation pour toutes et tous. Un droit à une alimentation en quantité suffisante et de qualité qui n’est toujours pas reconnu dans le droit européen et dans le droit national. 

La Terre est ce lien entre les paysans travailleurs qui combattent pour une rémunération correcte de leur travail, et des millions de familles populaires contraint de se priver sur leur alimentation et doivent acheter des aliments à bas prix sans avoir l’assurance de la protection de leur santé.

La Terre, est le lien entre travailleurs des villes et travailleurs des champs, pour gagner le « pouvoir de vivre mieux » avec des services publics partout et un développement durable et solidaire des territoires. 

Dans le prolongement du puissant mouvement contre la fameuse « loi Duplomb », La Terre va, avec les contributions de chercheurs, de scientifiques, de paysans-travailleurs, de militants syndicaux au sein de l’agro-industrie, de multiples associations favoriser les débats et épauler les combats pour la recherche d’issues progressistes sur une question qui concernent sans exception chacune et chacun d’entre nous. 

Tous les deux mois, dans seize grandes pages, avec la publication dans l’intervalle d’une lettre d’information La Terre va être utile pour s’informer et disposer d’éléments pour agir. En complément, la Terre lance « un forum pour le droit à l’alimentation », lieu d’échanges, de proposition, et d’action pour que le droit à pouvoir se nourrir correctement soit reconnu et réalisé. 

Chacun et chacun d’entre vous peut participer à relancer La Terre en rejoignant l’association « Nous La Terre » destinée à l’organisation de rencontres publiques locales et en participant à son financement en versant des dons à l’ordre de « Fonds de dotation Humanité en partage/La Terre » qui permettent d’obtenir des réductions d’impôts.

La Terre se rénove donc pour être plus combative pour la justice, l’environnement et la démocratie alimentaire, plus utile à l’invention d’un après-capitalisme.

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