flux Ecologie

Engagés pour la nature et l'alimentation.

▸ les 10 dernières parutions

19.02.2024 à 11:33
The Conversation
Texte intégral (3251 mots)

Par Pierre Lebailly, Maître de Conférences en Santé publique, membre de l’Unité de recherche Interdisciplinaire pour la prévention et le traitement des cancers – ANTICIPE, chercheur en épidémiologie au Centre de Lutte Contre le Cancer François Baclesse à Caen, Université de Caen Normandie et Isabelle Baldi, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier, co-directrice de l’équipe EPICENE ( Epidémiologie du cancer et des expositions environnementales) – Centre de Recherche INSERM U 1219, Université de Bordeaux


Jeudi 1er février 2024, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a annoncé la mise en pause du plan Écophyto II+, qui visait à « réduire les usages de produits phytopharmaceutiques de 50 % d’ici 2025 ». Cette décision visait à satisfaire les demandes d’une partie des agriculteurs, dans le contexte des négociations destinées à mettre un terme à la crise débutée en janvier.

Les effets délétères de ces substances sur la santé, et en particulier celle des exploitants agricoles des pays occidentaux et de leurs familles, sont pourtant de mieux en mieux documentés. Plusieurs types de cancers sont notamment plus répandus dans les populations d’agriculteurs que dans la population générale. C’est aussi le cas de diverses maladies neurodégénératives et respiratoires.

Voici ce que l’on en sait à l’heure actuelle, et les questions qui restent posées.

Qu’est-ce qu’un « pesticide » ?

Sous l’appellation de « pesticides » sont regroupés un ensemble de produits de synthèse ou naturels visant à lutter, le plus souvent en les détruisant, contre les organismes jugés nuisibles pour l’être humain ou ses activités, notamment en agriculture.

Ces substances répondent à quatre usages : il peut s’agir de produits phytopharmaceutiques (les plus connus des pesticides, ceux qui sont utilisés sur les cultures), de certains biocides (utilisés dans les bâtiments d’élevage ou en salle de traite, pour traiter le bois afin de le protéger des insectes et des moisissures…), de certains médicaments vétérinaires (antiparasitaires externes ou antifongiques) et enfin de certains médicaments destinés à la santé humaine (anti-poux, anti-gale, anti-mycoses…).

Les pesticides ont donc par nature une activité toxique vis-à-vis du vivant. Ils sont de ce fait soumis à une réglementation plus ancienne et plus contraignante que la plupart des autres produits chimiques. Cette réglementation, établie au niveau européen, est complexe, car elle vise à encadrer le quadruple usage de ces substances.

Des effets sur la santé connus de longue date

L’histoire des pesticides commence à la fin du XIXe siècle. En France, dès les années 1880, certaines substances (arsenicaux, dérivés du cuivre et du soufre) ont été employées dans les régions où l’agriculture s’intensifiait, notamment en viticulture et en arboriculture. Déjà à cette époque, des médecins hygiénistes notèrent chez les travailleurs agricoles l’émergence de nouvelles maladies liées à leur emploi.

Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale que l’usage des pesticides prend véritablement son essor, avec le passage à une production industrielle en quantité et en variété des familles chimiques. Conséquence : dès les années 1950-1970, plusieurs constats préoccupants sont faits.

Par

Des intoxications aiguës se produisent, dans les vergers en Californie, chez les applicateurs d’organophosphorés, ainsi que chez d’autres travailleurs en contact avec les végétaux après les traitements. Des contaminations alarmantes de l’environnement sont détectées, et des travaux révèlent que le lait humain est lui aussi contaminé, notamment par certains insecticides de la famille des organochlorés (tels que le DDT ou le lindane).

Dès les années 1960, en France, certains médecins du travail agricole se préoccupent des effets des pesticides sur la santé des travailleurs agricoles. Aux États-Unis, les critiques associées à leur utilisation ont alimenté dès cette époque d’importantes mobilisations protestataires, dénonçant leurs effets délétères sur la santé des saisonniers agricoles, des consommateurs ou de la faune sauvage.

Après plus de cinquante ans d’études épidémiologiques (1970-2020), il est maintenant admis que les populations agricoles des pays à forts revenus, dans lesquels la plupart des études ont été conduites, présentent des particularités en matière de risque de cancer.

Trois cancers clairement plus fréquents chez les agriculteurs

Dans les pays occidentaux, on observe un excès de certains cancers dans les populations agricoles, par rapport à la population générale.

Il s’agit principalement des cancers de la prostate (cancer masculin le plus fréquent en France, il touche chaque année près de 60 000 hommes, entraînant le décès de près de 9 000 d’entre eux), des lymphomes non hodgkiniens et des myélomes multiples.

Pour les cancers de la prostate, au moins 5 méta-analyses ont été conduites sur le lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides et elles ont conclu pour quatre d’entre elles à une augmentation de risque variant de 13 à 33 %. Quelques méta-analyses ont porté sur le lien avec des familles chimiques spécifiques de pesticides comme celle sur les insecticides organochlorés qui a conclu à une augmentation de risque variant de 30 à 56 % selon les molécules étudiées. Pour les lymphomes, une méta-analyse datant de 2014 montrait une augmentation de risque variant de 30 à 70 % pour les 7 familles chimiques étudiées.

Dans sa première expertise collective publiée en 2013, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) concluait à une présomption forte d’un lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et la survenue de ces trois cancers. Cette conclusion a été maintenue lors de la mise à jour de cette expertise collective, en 2021.

En raison de ces données scientifiques, ces trois cancers font l’objet de tableaux de maladies professionnelles en France (tableau 59 du régime agricole pour les lymphomes non hodgkiniens incluant les myélomes multiples et, tableaux 61 (régime agricole) et 102 (régime général) pour les cancers de la prostate).

D’autres cancers ayant fait l’objet de moins d’études (leucémies, tumeurs du système nerveux central, sarcomes, cancers du rein et de la vessie), seraient aussi plus fréquents chez les utilisateurs professionnels de pesticides. L’expertise collective Inserm de 2021 a conclu à une présomption moyenne de lien pour ces cancers.

Enfin, de nombreux autres cancers ont été très peu étudiés et n’ont d’ailleurs pas pu faire l’objet d’une analyse détaillée par les expertises de l’Inserm de 2013 et 2021 par manque de moyens humains et/ou de données disponibles. Il s’agit des cancers broncho-pulmonaires, des cancers digestifs (colorectaux, estomac, pancréas, foie, œsophage), des cancers gynécologiques (sein, ovaires, corps et col de l’utérus), des cancers ORL ou des lèvres et des cancers de la thyroïde.

Les données manquent pour étudier tous les pesticides utilisés

Il faut noter que peu d’études épidémiologiques ont analysé les liens entre la survenue de cancers ou de maladies chroniques et l’exposition à des familles ou des molécules pesticides spécifiques. En effet, la plupart des études conduites portaient sur des effectifs réduits, ne permettant pas d’explorer la diversité des molécules.

On considère que plus de 1000 molécules à activité pesticide ont été homologuées en Europe, et ont été présentes pour une utilisation agricole à un moment ou un autre. Certaines molécules étant retirées tandis que de nouvelles sont homologuées, aujourd’hui, on considère que le nombre de molécules autorisées est plus proche de 400.

Cependant, il est important de considérer également les molécules retirées du marché, en raison des effets retardés qu’elles peuvent avoir (comme dans le cas du lindane, interdit en France depuis 1998 pour les usages agricoles et assimilés – mais seulement en 2006 dans les produits anti-poux, qui persiste encore néanmoins dans l’environnement).

Ainsi, dans le meilleur des cas, pour des cancers très étudiés et pour des familles chimiques de pesticides très anciennes (herbicides tels que le 2,4D ou insecticides organochlorés comme le DDT, utilisés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), il n’existe pas plus d’une dizaine d’études disponibles permettant de documenter un lien.

Dans la méta-analyse de 2015 qui a conclu à une augmentation de risque de cancer de la prostate de plus de 50 % pour les expositions professionnelles au lindane, faute de données, les auteurs n’ont pu analyser que 5 organochlorés parmi la vingtaine qui ont été utilisés massivement dans le monde depuis les années 1950…

Les auteurs de la méta-analyse de 2014 qui a établi un lien entre lymphomes non hodgkiniens et expositions à des pesticides spécifiques (21 familles chimiques et plus de 80 matières actives rapportées) n’ont identifié que 12 études fournissant des données sur les phénoxy-herbicides (2,4D, MCPA…).

En 2017, d’autres auteurs se sont focalisés sur le lien entre ces lymphomes non hodgkiniens et l’exposition au 2,4D à partir de 12 études cas-témoins et d’une cohorte historique dans une usine de production de cet herbicide. Cette méta-analyse a pu conclure à une augmentation du risque de 70 % chez les professionnels les plus exposés.

D’autres maladies que le cancer sont aussi concernées

Au-delà des cancers, des données de plus en plus nombreuses et convergentes indiquent que l’exposition aux pesticides a pour conséquences d’autres effets sur la santé. Les effets sur le cerveau, par exemple, sont de mieux en mieux documentés.

D’après les expertises collectives de 2013 et de 2021 de l’Inserm, le niveau de présomption du lien entre l’exposition aux pesticides et le développement d’une maladie de Parkinson est fort. Les connaissances sur ce lien se sont constituées au cours du temps à partir de la survenue de quelques cas observés chez de personnes ayant été exposées à des substances proches de certains herbicides (des toxicomanes ayant consommé des drogues contenant une substance, le MPTP, très proche chimiquement du paraquat et du diquat, deux herbicides largement utilisés).

Ces constats ont été renforcés par des études géographiques montrant une plus forte prévalence de la maladie dans certaines zones agricoles, puis des études cas-témoins et quelques données de cohorte. Au final, les nombreuses études publiées mettent en évidence un risque de maladie de Parkinson quasiment doublé chez les personnes ayant été exposées aux pesticides.

Les données toxicologiques renforcent la compréhension de ce lien : chez des animaux exposés en laboratoire à certains pesticides (notamment la roténone, une molécule dérivée d’une plante et considérée comme un insecticide biologique), des atteintes neurodégénératives ont été mises en évidence.

Par ailleurs, plus d’une cinquantaine d’études ont également révélé des altérations des performances cognitives (capacités du cerveau à traiter les informations) chez les personnes exposées de manière chronique aux pesticides, ce qui a également conduit l’expertise collective de l’Inserm à conclure à un niveau de présomption fort pour ces troubles.

Ces résultats interrogent sur un possible lien avec la maladie d’Alzheimer, pour laquelle les troubles cognitifs peuvent représenter des symptômes précurseurs. Cependant, le nombre d’études sur cette maladie reste aujourd’hui encore limité. De ce fait, le niveau de présomption du lien est considéré comme « moyen ».

Il faut enfin souligner que certaines altérations respiratoires chroniques ont donné lieu à un grand nombre d’études probantes au cours des dix dernières années, amenant l’Inserm à la conclusion d’un niveau de présomption fort entre l’exposition aux pesticides et le risque de développer une bronchopneumopathie chronique obstructive, une grave maladie inflammatoire des bronches.

Accumuler et croiser les données grâce à des cohortes de grande taille

La difficulté à documenter l’effet de molécules pesticides spécifiques a été en partie résolue dans certaines études récentes, qui se sont essentiellement appuyées sur de grandes cohortes prospectives.

C’est par exemple le cas de l’Agricultural Health Study aux USA, qui porte sur plus de 50 000 agriculteurs utilisateurs de pesticides inclus à la fin des années 1990 (les questionnaires initiaux interrogeaient les agriculteurs sur l’usage d’une cinquantaine de molécules spécifiques).

En France, depuis le milieu des années 2000, la cohorte AGRIculture & CANcer (AGRICAN) suit plus de 182 000 affiliés agricoles dans 11 départements français métropolitains, dont près de 70 % d’agriculteurs/éleveurs. Ces participants sont utilisateurs de pesticides pour plus de 70 % des hommes et plus de 20 % des femmes.

Les cohortes Agricultural Health Study et AGRICAN sont en outre associées avec des données du recensement agricole norvégien au sein d’un consortium international de cohortes agricoles nommé AGRICOH.

Parallèlement, la plupart des études cas-témoins plus récentes permettent d’analyser le lien avec des pesticides spécifiques. De plus, certaines de ces études cas-témoins – les plus anciennes – sont réunies en consortium internationaux portant sur des maladies ciblées, généralement peu fréquentes, et bénéficiant du regroupement de cas à l’échelle internationale.

C’est le cas du consortium INTERLYMPH : regroupant plus de 20 études cas-témoins conduites dans une dizaine de pays différents, dont la France, il porte sur plus de 17 000 patients atteints de lymphomes.

Une nocivité confirmée

À l’heure actuelle, AGRICAN a permis d’obtenir des résultats concernant les effets d’expositions professionnelles agricoles – incluant les pesticides – sur les cancers de la prostate, de la vessie, du côlon et du rectum, du système nerveux central, des ovaires ainsi que pour les myélomes multiples ou les sarcomes.

Pour chacun de ces cancers, plusieurs secteurs de production ont été associés à des effets délétères, ainsi que certaines tâches associées soit à une exposition directe, lors de l’application des pesticides sur les cultures ou en traitement de semences, soit à l’exposition indirecte : réentrée (autrement dit, le fait de revenir dans les cultures juste après les traitements, ce qui conduit à un contact avec des surfaces traitées et un transfert de résidu de la plante vers la peau des travailleurs), contact avec des semences enrobées, récoltes…

Pour permettre aux personnes ayant travaillé en agriculture d’estimer leurs expositions à certains pesticides, en fonction des cultures sur lesquelles elles sont intervenues, un outil épidémiologique (PESTIMAT) a été élaboré. Celui-ci a permis d’évaluer l’influence, dans la survenue de tumeurs du système nerveux central, de molécules pesticides spécifiques, telles que les herbicides, insecticides et fongicides carbamates.

Par ailleurs, en 2019, AGRICOH a permis de conclure à une association entre l’exposition au glyphosate et la survenue d’un type de lymphome particulier, le lymphome diffus à grandes cellules B. Cette analyse a également permis de détecter une association entre l’exposition à un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes, la deltaméthrine, et la survenue d’une autre hémopathie lymphoïde (les leucémies lymphoïdes chroniques).

Enfin, en 2021, les travaux d’INTERLYMPH ont montré (en s’appuyant sur 9 études cas-témoins pour 8 000 patients atteints de lymphomes), que l’exposition des agriculteurs à deux insecticides, le carbaryl et le diazinon, était associée à un doublement du risque de certains lymphomes. L’année suivante, d’autres travaux menés dans le cadre d’INTERLYMPH ont révélé que chez les personnes ayant utilisé pendant de nombreuses années des phénoxy-herbicides comme le 2,4 D, les risques de survenue de plusieurs lymphomes spécifiques étaient doublés.

Des questions encore en suspens qui concernent aussi d’autres professions

L’impact de l’exposition professionnelle aux pesticides sur la santé humaine, notamment en termes de cancers et de certaines maladies neurodégénératives, ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique nombreuse et convergente. Les arguments en faveur d’un lien entre cette exposition et d’autres maladies, en particulier respiratoires et endocriniennes, sont aussi de plus en plus nombreux au fil des ans.

Cependant, les connaissances nécessitent d’être encore renforcées. En effet, des zones d’ombre persistent notamment quant aux fenêtres d’exposition les plus critiques. L’impact des expositions aux pesticides pendant la vie fœtale et l’enfance est aussi une source de préoccupations.

Par ailleurs, si l’agriculture est le secteur professionnel utilisant les plus grandes quantités de pesticides, de nombreux autres secteurs d’activité sont également concernés, mais nettement moins étudiés (espaces verts, industrie du bois, hygiène publique, pompiers, industries agroalimentaires…).


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.



Image by Erich Westendarp from Pixabay.

17.02.2024 à 09:27
La Terre
Lire plus (394 mots)

Lors de cet échange, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’étudier un dispositif des prix minimums garantis au niveau de l’Union Européenne et sa mise en œuvre pour l’ensemble des pays de l’U.E.

Le Modef qui se bat pour des prix minimums garantis par l’État pour assurer des prix et un revenu aux agriculteurs de puis 1959 a pris acte de cette position présidentielle. Le syndicat reste mobiliser pour que le prix retenu soit rémunérateur pour les agriculteurs familiaux de France afin qu’ils puissent enfin avoir la garantie d’un revenu décent. Sur ce point précis, le Modef attend des actes forts et sera vigilant à la mise en œuvre « des prix minimums » à l’échelle européenne !

Dans un communiqué le Modef rappelle que les députés de la majorité ont rejeté le 30 novembre 2023 la proposition de loi « visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles ».

Le syndicat revendique une Agriculture familiale à taille humaine faite d’un million de paysans ! Le Président de la République s’est clairement exprimé contre ce modèle. Pire lorsque nous avons évoqué les difficultés des producteurs bio, il nous a répondu que « les smicards préfèrent téléphones et abonnements VOD plutôt qu’une alimentation plus saine. »

Néanmoins certaines propositions portées par le Modef ont progressé : le carburant agricole non taxé, le contrôle des importations abusives, l’inscription dans le projet de loi d’orientation agricole (PJLOA) la notion de souveraineté alimentaire, le relèvement des plafonds d’exonérations dans les cas de transmission à un nouvel agriculteur, le droit à l’eau d’irrigation pour les exploitations avec une priorité au stockage par le biais des retenues collinaires plutôt que des bassines et le contrôle des marges abusives pour les GMS.

À cette heure, le Modef reste déterminé à se battre pour des prix planchers, rémunérateurs garantis par l’État, l’encadrement des marges par le coefficient multiplicateur …


Image by Batatolis Panagiotis.

08.02.2024 à 13:26
The Conversation
Texte intégral (2597 mots)

Par Giovanni Prete, Maître de conférence en sociologie, Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux et Lisis (délégation Inrae), Université Sorbonne Paris Nord; Elodie Haraux, Service de chirurgie de l’enfant, CHU Amiens Picardie Laboratoire Peritox UMI-01, CURS Université Jules Verne Picardie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV); Jean-Noël Jouzel, Chercheur CNRS, sociologie, science politique, Sciences Po et Sylvain Chamot, MD, PhD student Péritox (UMR_I 01) ; UPJV/INERIS , Université de Picardie Jules Vernes & CHU Amiens Picardie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV).


Le 1er février dernier, pour répondre à la colère des agriculteurs, Gabriel Attal, le premier ministre, a pris un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la « mise à l’arrêt » du plan Écophyto. Pour rappel, ce plan avait pour but de réduire progressivement de 50 % l’utilisation des pesticides sur le territoire français, d’ici à 2025.

Suspension du plan Écophyto, à rebours des engagements de l’État

Cette annonce s’inscrit à rebours des engagements pris par l’État, des objectifs du plan Écophyto et des attentes de la population. « La réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques (c’est-à-dire les pesticides dans le langage courant, ndlr) constitue une attente citoyenne forte et une nécessité pour préserver notre santé et la biodiversité », peut-on ainsi lire sur la page dédiée du ministère de l’agriculture.

Les organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l’environnement déplorent, de leur côté, « le signal désastreux » envoyé par la suspension du plan Écophyto

Nombre d’ONG et d’associations militent, en particulier, pour la reconnaissance des effets sanitaires liés à l’exposition aux pesticides chez les agriculteurs et au sein de leurs familles.

C’est le cas, par exemple, du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. Le 4 décembre 2023, à Rennes, l’association organisait une conférence de presse pour demander la création d’un nouveau tableau des maladies professionnelles spécifique aux tumeurs cérébrales dont le risque serait accru par l’exposition aux pesticides.

Ce tableau s’appuierait notamment sur l’expertise scientifique collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) « Pesticides et santé, nouvelles données » rendue en 2021.

Présomption de lien entre tumeurs au cerveau et exposition aux pesticides

Par rapport à son précédent rapport sur le sujet qui datait de 2013, l’Inserm a fait passer de « faible » à « moyen » la « présomption d’un lien entre exposition aux pesticides et de tumeurs du système nerveux central » pour les populations agricoles. Cela concerne deux catégories de tumeurs du cerveau en particulier : les gliomes et les méningiomes.

En épidémiologie, la « présomption d’un lien » signifie qu’on observe une association entre un facteur particulier – ici, une exposition aux pesticides – et un effet sur la santé – ici, la survenue de tumeurs du cerveau.

Néanmoins, il convient de préciser que la présomption d’un lien ne constitue pas une preuve définitive de causalité. On parle de « présomption de lien moyenne » quand il existe au moins une étude de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative.

La demande du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest a pour objectif de faciliter l’obtention d’une réparation financière pour les personnes ayant été exposées, du fait de leur travail, à des pesticides et qui ont développé une pathologie de ce type.

Un long parcours pour obtenir une reconnaissance et une réparation

De nombreux rapports publics ou travaux de sciences sociales décrivent les obstacles auxquels doivent faire face les victimes du travail pour obtenir une telle réparation. Nous avons récemment publié un livre intitulé « L’agriculture empoisonnée, le combat des victimes des pesticides » (aux éditions des Presses de Sciences Po), dans lequel nous analysons en particulier les difficultés que rencontrent les travailleuses et travailleurs agricoles exposés aux pesticides.

Ils ne connaissent pas toujours leurs droits et sont confrontés à des professions médicales souvent mal formées aux enjeux médico-administratifs des maladies professionnelles. De plus, il peut être compliqué pour eux de se revendiquer victimes de produits qu’ils ont volontairement utilisés en tant qu’exploitants et chefs d’entreprises, même sous l’incitation de nombre d’organismes agricoles.

Leurs parcours de reconnaissance est un long combat qui bénéficie du soutien de leurs familles, de journalistes, d’avocats et d’associations environnementales ou de victimes (le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, Phyto-victimes notamment).

S’il est difficile d’obtenir une réparation pour des victimes d’expositions toxiques professionnelles, cela est quasiment impossible pour les victimes d’expositions environnementales.

En effet, les maladies environnementales sont souvent multifactorielles, à délai de latence long. Et comme il n’existe pas de système de réparation basé sur la présomption d’origine comme pour les maladies professionnelles, les victimes doivent engager des procédures juridiques civiles où les exigences de preuves de causalité qui leur sont demandées sont insurmontables.

Une première avancée avec le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides

Les données scientifiques mettant en cause le rôle des pesticides dans l’apparition de certaines maladies chez l’adulte mais aussi chez l’enfant sont de plus en plus nombreuses.

Face à ce constat, les autorités ont décidé en 2020 la création d’un Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (FIVP).

La principale innovation de ce fonds est d’ouvrir la possibilité d’une indemnisation facilitée pour les enfants atteints d’une pathologie parce qu’au moins un de leurs parents a été exposé aux pesticides en raison de son activité professionnelle. On parle d’ « enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale » parce que l’exposition du père ou de la mère pourrait être associée à un risque accru de maladie de l’enfant.

La présomption d’un lien entre ces expositions et une augmentation de risque existe pour les tumeurs cérébrales et pour les leucémies. Les experts du Fonds considèrent également que les fentes labio-palatines et les hypospadias (les hypospadias sont des anomalies génitales qui touchent les garçons) font partie des maladies pour lesquelles une présomption de lien existe.

La création du FIVP est une véritable avancée dans l’ouverture des droits pour les victimes d’expositions environnementales. Cependant, comme le montrent les travaux en sciences sociales sur les victimes du travail et plus largement sur les droits sociaux, il ne suffit pas que des droits soient ouverts pour qu’ils soient saisis et activés par leurs bénéficiaires potentiels.

Entre 2021 et 2022, le Fonds n’a ainsi reçu que douze demandes d’indemnisation pour des pathologies pédiatriques d’enfants exposés durant la période prénatale. (Précisément, son rapport d’activité 2021 fait état de sept premières demandes. Selon le rapport 2022, trois dossiers d’enfants ont été traités dans l’année et cinq nouveaux dossiers sont parvenus en 2022).

Pour les familles, les obstacles pour faire reconnaître la maladie de leur enfant et son origine sont très nombreux. De plus, les pathologies pédiatriques lourdes déclenchent souvent un besoin de comprendre l’origine du mal – « pourquoi moi ? pourquoi mon enfant ? » – Les parents font face à des savoirs épars et loin d’être maîtrisés par l’ensemble des pédiatres.

Surtout, les parents peuvent hésiter à explorer plus avant cette question de la causalité du fait des enjeux de responsabilité morale qu’elle soulève : pour un parent, incriminer sa propre exposition toxique comme cause de la maladie de son enfant peut entraîner un sentiment fort de culpabilité.

Au CHU d’Amiens, une première consultation pour les familles concernées

Pour aider les familles concernées par ces enjeux médico-administratifs, scientifiques et moraux, le Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales des Hauts-de-France (CRPPE HDF) du Centre Hospitalo-Universitaire Amiens Picardie a mis en place une consultation dédiée en octobre 2023.

Les CRPPE sont des structures hospitalières expertes dans l’évaluation des expositions environnementales et professionnelles et l’établissement de leur imputabilité dans la genèse des maladies. En d’autres termes, les spécialistes tentent d’établir si l’exposition à certaines substances présentes dans l’environnement de vie des patients a pu augmenter le risque de survenue de leur maladie.

La consultation du CRPPE HDF – site d’Amiens repose sur un dispositif de repérage et d’accompagnement des familles dont un enfant est atteint d’une des pathologies susceptibles d’ouvrir droit à une réparation via le Fonds d’indemnisation des victimes des pesticides.

Cela implique une collaboration avec les praticiens spécialisés en chirurgie et oncologie pédiatrique du CHU d’Amiens de manière à identifier les familles concernées. Ces dernières ont accès à une consultation durant laquelle le responsable du CRPPE évalue les expositions professionnelles et environnementales des parents, et émet un avis expert consultatif sur l’imputabilité de celles-ci dans la genèse de la pathologie de leur enfant.

L’accent est mis sur les multiples facteurs à l’origine de la maladie, parmi lesquels l’exposition aux pesticides peut, ou non, avoir joué un rôle. Le cas échéant, le responsable du CRPPE présente les possibilités de réparation et aide la famille à constituer son dossier médico-administratif.

Affranchir les parents du sentiment de culpabilité

La consultation est aussi le moyen d’aider les familles à s’affranchir du sentiment de culpabilité qui les habite, en insistant sur la responsabilité collective de notre société dans l’utilisation des pesticides qui a été reconnue par la création du Fonds.

Cette consultation est également l’occasion d’expliquer aux familles les grands principes de la prévention du risque chimique. Le responsable insiste aussi sur le fait que supprimer ou contrôler collectivement le danger – en l’occurrence les pesticides à risque – est, de très loin, bien plus efficace que modifier les équipements de protection ou les comportements individuels.

Première de son genre en France, on peut espérer que cette consultation fera des émules dans d’autres régions grâce au CRPPE, et contribuera, comme d’autres dispositifs (par exemple l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale) à une meilleure reconnaissance des dégâts induits par les pesticides sur la santé des humains et, en particulier, celle des enfants.

Pour l’heure, ce type de consultation reste centré sur les cas d’expositions périnatales professionnelles, faute de dispositifs d’indemnisation prévus pour d’autres expositions périnatales potentiellement favorisées par l’utilisation de pesticides, par exemple pour des foyers qui vivent à proximité de cultures sur lesquelles ces produits sont épandus.

Les (rares) données épidémiologiques sur les effets de ces expositions sur la santé des enfants, citées notamment dans le rapport de l’Inserm, incitent à ne pas écarter ces pathologies de la réflexion sur la prise en charge collective des dégâts causés par le recours massif à la chimie de synthèse en agriculture. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique et d’équité entre les victimes des pesticides.The Conversation



Image by dana279 from Pixabay.

The Conversation
9 / 10

Reporterre
Bon Pote
Actu-Environnement
Amis de la Terre
Aspas
Biodiversité-sous-nos-pieds

 Bloom
Canopée
Décroissance (la)
Deep Green Resistance
Déroute des routes
Faîte et Racines
Fracas
France Nature Environnement AR-A
Greenpeace Fr
JNE

 La Relève et la Peste
La Terre
Le Sauvage
Limite
Low-Tech Mag.
Motus & Langue pendue
Mountain Wilderness
Negawatt
Observatoire de l'Anthropocène

  Présages
Terrestres
Reclaim Finance
Réseau Action Climat
Résilience Montagne
SOS Forêt France
Stop Croisières

  350.org
Vert.eco
Vous n'êtes pas seuls

 Bérénice Gagne