LePartisan - 2285 vues
MEDIAS REVUES BLOGS
URL du flux RSS

ACCÈS LIBRE Une Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 50 dernières parutions

17.11.2025 à 16:02

La guerre de communication derrière la pénurie de carburant au Mali

Ayouba Sow, Doctorant en Science de l'information et de la communication à l'Université Côte D'Azur, laboratoire SIC.Lab Méditerranée., Université Côte d’Azur
Le blocus sur le carburant imposé par les djihadistes donne lieu à une guerre de communication entre ceux-ci et divers représentants du pouvoir.
Texte intégral (3603 mots)

De nombreux articles ont déjà été publiés sur la pénurie de carburant provoquée au Mali par le blocus que les djihadistes imposent à la quasi-totalité du pays. La présente analyse propose une approche communicationnelle de cette crise sans précédent.


Dans une guerre, qu’elle soit conventionnelle ou asymétrique, comme c’est le cas au Mali et plus largement au Sahel, il est déconseillé de porter un coup avant d’en mesurer les conséquences. La pénurie de carburant actuelle résulte de l’amateurisme des autorités maliennes, qui ont été les premières à interdire la vente de carburant aux citoyens venant s’approvisionner avec des bidons. Cette décision s’inscrit dans leur stratégie visant à couper la chaîne d’approvisionnement des djihadistes afin de réduire la mobilité de ceux-ci. Dans la région de Nioro, les autorités militaires ont interdit, le 30 juillet 2025, « la vente de carburant dans des bidons ou des sachets plastiques ». Rappelons que les djihadistes ne sont pas les seuls à utiliser les bidons : les populations rurales s’en servent aussi, pour de multiples usages, notamment pour le fonctionnement des équipements agricoles.

À la suite de la décision du 30 juillet, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin, JNIM) a étendu l’interdiction à l’ensemble de la population. Ainsi, dans une vidéo publiée le 3 septembre, l’organisation terroriste a adressé un message aux commerçants et aux chauffeurs de camions-citernes qui importent des hydrocarbures depuis les pays côtiers voisins du Mali, à savoir la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Sénégal et la Mauritanie. Elle a annoncé des représailles à l’encontre de quiconque violerait cette décision.

Assis en tenue militaire, Nabi Diarra, également appelé Bina Diarra, porte-parole du JNIM, explique en bambara les raisons de ce blocus. Son porte-parolat met à mal l’argument selon lequel les djihadistes seraient exclusivement des Peuls, car Nabi Diarra est bambara. D’après lui :

« Depuis leur arrivée, les bandits qui sont au pouvoir [les militaires, ndlr] fatiguent les villageois en fermant leurs stations-service. Pour cette raison, nous avons également décidé d’interdire toutes vos importations d’essence et de gasoil, jusqu’à nouvel ordre. […] Ces bandits ont voulu priver les villageois d’essence et de gasoil, pensant que cela arrêterait notre activité de djihad. Est-ce qu’un seul de nos véhicules ou de nos motos s’est arrêté depuis le début de cette opération ? Aucun ! Nous continuons notre travail. Les conséquences ne touchent que les plus vulnérables. »

Après cette annonce, une centaine de camions-citernes ont été incendiés par les djihadistes sur différents axes. Des vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux par les auteurs afin de démontrer leurs capacités de nuisance. Dans une vidéo que nous avons pu consulter, un homme à moto montre près d’une quarantaine de camions-citernes incendiés sur la route nationale 7, entre Sikasso et la frontière ivoirienne.

Dans sa vidéo annonçant le blocus, le JNIM a également interdit la circulation de tous les autobus et camions de la compagnie Diarra Transport, qu’il accuse de collaborer avec l’État malien. Depuis, la compagnie a cessé ses activités. Après un mois d’inactivité, le 6 octobre, sa directrice générale Nèh Diarra a publié une vidéo sur les réseaux sociaux pour justifier les actions de son entreprise et, indirectement, présenter ses excuses aux djihadistes dans l’espoir que ces derniers autorisent ses véhicules à reprendre la route.

Nèh Diarra, directrice générale de Diarra Transport, présente ses excuses. Capture d’écran, Fourni par l'auteur

Le 17 octobre, dans une autre vidéo, arme de guerre et talkie-walkie en main, le porte-parole du JNIM a autorisé la reprise des activités de la compagnie de transport, dans un discours au ton particulièrement clément :

« Nous sommes des musulmans, nous sommes en guerre pour l’islam. En islam, si vous vous repentez après une faute, Allah accepte votre repentir. Donc, les gens de Diarra Transport ont annoncé leur repentir, nous allons l’accepter avec quelques conditions. La première est de ne plus vous impliquer dans la guerre qui nous oppose aux autorités. Transportez les passagers sans vérification d’identité. La deuxième condition va au-delà de Diarra Transport : tous les transporteurs, véhicules personnels, même les mototaxis, doivent exiger des femmes qu’elles portent le hijab afin de les transporter. »

Pour finir, il exige de tous les conducteurs qu’ils s’arrêtent après un accident afin de remettre les victimes dans leurs droits. Une manière de montrer que les membres du JNIM sont des justiciers, alors qu’ils tuent fréquemment des civils innocents sur les axes routiers. Le cas le plus récent et le plus médiatisé remontait à deux semaines plus tôt : le 2 octobre, le JNIM avait mitraillé le véhicule de l’ancien député élu à Ségou et guide religieux Abdoul Jalil Mansour Haïdara, sur l’axe Ségou-Bamako, le tuant sur place. Il était le promoteur du média Ségou TV.

Dans les gares routières de Diarra Transport, des scènes de liesse ont suivi l’annonce de la reprise. La compagnie a même partagé la vidéo du JNIM sur son compte Facebook, avant de la supprimer plus tard. Le lendemain, elle a annoncé la reprise de ses activités, avant que le gouvernement malien ne les suspende à son tour.

Revenons au blocus sur le carburant. Il ne concerne pas uniquement Bamako, comme on peut le lire dans de nombreux articles de presse. Il couvre l’ensemble du territoire national.

Cependant, les médias concentrent leur couverture sur la situation dans la capitale, principal symbole politique de la souveraineté des autorités en place. Les analyses, notamment celles des médias étrangers, gravitent autour d’une question centrale : Bamako va-t-elle tomber ? Nous répondons : le Mali ne se limite pas à Bamako. Toutes les localités du pays sont affectées par ce blocus. Les habitants des autres localités méritent autant d’attention que les Bamakois.

Pays enclavé, au commerce extérieur structurellement déficitaire, le Mali dépend totalement des importations. Les régions de Kayes, plus proche du Sénégal, et de Sikasso, plus proche de la Côte d’Ivoire, sont toutefois moins impactées par ce blocus, qui est particulièrement concentré autour de Bamako. Les attaques sont principalement menées sur les voies menant à la capitale. Des actions sporadiques ont également été signalées sur l’axe Bamako-Ségou, afin de priver les régions du centre, comme Ségou et Mopti, d’hydrocarbures. Dans la ville de Mopti, les habitants manquent de carburant depuis deux mois. Depuis un mois, ils n’ont pas eu une seule minute d’alimentation électrique. Ils ne réclament d’ailleurs plus l’électricité, devenue un luxe : ils recherchent plutôt du carburant pour pouvoir vaquer à leurs occupations.

La violence des mots pour camoufler l’insuffisance des actes

Confrontées à la crise, les autorités, tant régionales que nationales, ont préféré masquer l’impuissance par la désinformation, l’appel mécanique à la résilience et la censure des voix critiques.

Le 23 septembre, le gouverneur de la région de Mopti a présidé une réunion de crise consacrée à la pénurie de carburant. Au lieu de s’attaquer aux racines du mal, le directeur régional de la police, Ibrahima Diakité, s’en est pris aux web-activistes de la région, couramment appelés « videomen (ils prononcent videoman) » au Mali, qui, selon lui, se font particulièrement remarquer par leur « incivisme ». Les créateurs de contenus sont blâmés et menacés par la police pour avoir diffusé des faits et alerté sur les souffrances qu’ils vivent, à l’image de l’ensemble de la population. Au lieu de s’en prendre aux djihadistes, M. Diakité dénigre les citoyens qui publient sur les réseaux sociaux des images de longues files de conducteurs attendant désespérément d’être servis dans les stations-service :

« Si nous entendons n’importe quel “videoman” parler de la région de Mopti, il ira en prison. Il ira en prison ! Celui qui parle au nom de la région ira en prison, parce que c’est inadmissible ! […] Ils mettent Mopti en sellette, oubliant que les réseaux [sociaux, ndlr] ne se limitent pas au Mali. »

Il exige donc de censurer tout propos mettant en évidence l’incompétence des autorités à pallier un problème qui compromet leur mission régalienne. Au lieu de rassurer la population en annonçant des politiques qui atténueront sa souffrance, il opte pour la censure et la menace d’emprisonnement. Dans sa vocifération autoritaire, il mobilise un récit classique en appelant à préserver l’image du pays et en présentant les web-activistes comme des ennemis de celui-ci, des ignorants qui ne comprennent rien aux événements en cours :

« On est dans une situation où les gens ne comprennent rien de ce qui se passe dans leur pays et ils se permettent de publier ce genre de vidéo. Mais c’est le Mali tout entier qui est vilipendé à travers ce qu’ils disent, parce que le monde le voit. […] Ils sont en train d’aider l’ennemi contre le pays. Monsieur le gouverneur, il faut saisir le moment pour remettre ces gens à leur place, pour les amener à comprendre que, dans un État, tant que tu es Malien et que tu restes au Mali, tu respectes la loi ; sinon, tu quittes notre pays si tu ne veux pas te soumettre aux lois de la République. »

Le policier s’est substitué au législateur en appelant le gouverneur à adopter une loi autorisant la censure médiatique locale de cette crise.

Dans les heures qui ont suivi, de nombreux journalistes et web-activistes l’ont interpellé sur les réseaux sociaux pour obtenir des explications concernant l’existence d’une loi malienne prohibant la diffusion d’informations factuelles. Les contenus des web-activistes n’ont pas pour objectif de ternir l’image du pays. Contrairement à ce que laisse entendre le directeur régional de la police, il n’est pas plus malien qu’eux. Il ne lui revient pas non plus de décider qui doit quitter le pays.

Nous observons un clivage général au sein de la population malienne. Les dirigeants et leurs soutiens estiment que tous les citoyens doivent obligatoirement soutenir la transition. Ceux qui la critiquent sont qualifiés de mauvais citoyens, voire d’apatrides. Cette pression a étouffé le pluralisme et la contradiction dans l’espace médiatique.

« Ils ont su créer la pénurie de carburant dans la tête des Maliens »

Pendant que les citoyens passent la nuit dans les files d’attente pour s’approvisionner en carburant, l’un des désinformateurs du régime, adepte des théories du complot, Aboubacar Sidiki Fomba, membre du Conseil national de transition, a livré, dans un entretien avec un videoman, des explications qui défient tout entendement. Dans cette vidéo publiée le 7 octobre, il établit un lien entre la stratégie du JNIM et la volonté de l’Alliance des États du Sahel (AES, qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger) de créer sa propre monnaie. D’après lui, l’objectif de ce blocus, qu’il présente comme la dernière stratégie des terroristes, est de porter atteinte au pouvoir d’Assimi Goïta et à l’AES :

« Ils attaquent les citernes, puis font croire aux populations qu’il y a une pénurie de carburant, alors qu’il n’y en a pas. Mais ils convainquent tout le monde qu’il y a une pénurie. Ils créent la psychose. Sous l’effet de la panique, les citoyens provoquent eux-mêmes une pénurie qui, à l’origine, n’existait pas. »

Dans la même vidéo, il dissocie les coupures d’électricité de la pénurie de carburant, expliquant les premières par des problèmes de remplacement de câbles électriques défaillants. Pourtant, c’est bien le manque de carburant qui est à l’origine des coupures d’électricité observées ces dernières années. Le blocus n’a été qu’un accélérateur d’une crise énergétique déjà déclenchée. Il a considérablement réduit les capacités de production énergétique. Selon une étude conduite par le PNUD, en 2020, « la production électrique était de 2 577,44 GWh (69 % thermique, 26,8 % hydraulique et 4,2 % solaire photovoltaïque) ».

Le pays doit accélérer sa transition énergétique afin de réduire sa dépendance aux importations d’hydrocarbures et de limiter ses émissions de gaz à effet de serre. En plus de la crise énergétique, ce blocus a également entraîné une pénurie d’eau potable dans la région de Mopti, le gasoil étant utilisé pour la production et la distribution d’eau.

Le même parlementaire s’est ensuite attaqué aux conducteurs de camions-citernes, les accusant de « complicité avec les terroristes ». Selon lui, les conducteurs simuleraient des pannes pour quitter les convois escortés par l’armée et revendre leur cargaison d’hydrocarbures aux groupes djihadistes. À la suite de cette déclaration, le Syndicat national des chauffeurs et conducteurs routiers du Mali (Synacor) a lancé un mot d’ordre de grève et déposé une plainte contre Fomba pour diffamation. Au lieu d’apporter la preuve de ses accusations, ce dernier a finalement présenté ses excuses aux conducteurs de camions-citernes. Il avait auparavant annoncé la mort de Nabi Diarra et qualifié de deepfake les vidéos du porte-parole du JNIM – une énième fausse information. Par la suite, le porte-parole a diffusé des vidéos dans lesquelles il précise la date d’enregistrement et se prononce sur des faits d’actualité.

Le pouvoir dénonce la piste ukrainienne

Au sommet de l’État, lors d’un déplacement dans la région de Bougouni le 3 novembre, le président de la transition a appelé les Maliens à faire preuve de résilience et à limiter les sorties inutiles. Assimi Goïta a tenté de rassurer la population et de dissuader ceux qui apportent leur aide aux djihadistes : « Si nous refusons de mener cette guerre, nous subirons l’esclavage qui en sera la conséquence », a-t-il déclaré face aux notables de la région. Il a salué le courage des chauffeurs et des opérateurs économiques pour leurs actes de bravoure. En effet, depuis l’instauration du blocus, les premiers risquent leur vie, et les seconds voient leur investissement menacé.

Assimi Goïta a laissé entendre que des puissances étrangères soutiennent les actions des djihadistes. Il convient de rappeler que l’Ukraine a apporté son aide aux rebelles séparatistes du Cadre stratégique permanent (CSP), lesquels coopèrent parfois avec le JNIM dans le nord du pays. Alors que les djihadistes revendiquent l’application de la charia, les rebelles exigent la partition du territoire. Les deux mouvements se sont, à plusieurs reprises, alliés pour combattre l’armée malienne. Le 29 juillet 2024, Andriy Yusov, porte-parole du renseignement militaire ukrainien (GUR), a sous-entendu, lors d’une émission de télévision locale, que son service était en relation avec les rebelles indépendantistes du nord du Mali. Après la dissolution du CSP fin 2024, l’Ukraine a poursuivi son aide au groupe rebelle qui a pris le relais au nord du Mali, le Front de Libération de l’Azawad (FLA). Parmi les actions, nous pouvons noter « la visite de conseillers militaires ukrainiens dans un camp du FLA l’an dernier. Dans la foulée, plusieurs combattants du FLA sont envoyés en Ukraine. De retour dans le désert, ils adoptent les mêmes tactiques que celles de l’armée ukrainienne contre les positions russes ».

Cette aide fournie par l’Ukraine s’inscrit dans le prolongement du conflit qui l’oppose à la Russie, devenue le principal partenaire du Mali dans la lutte contre le terrorisme depuis la fin de la coopération militaire avec la France en 2022. Grâce à ce nouveau partenariat, la ville de Kidal contrôlée par les rebelles depuis 2012 a pu être reprise en novembre 2023. Toutefois, la situation sécuritaire s’est détériorée dans le reste du pays, les djihadistes ayant renforcé leur influence et étendu leur présence à l’ensemble des régions.

Les autorités maliennes estiment que cette assistance ukrainienne est soutenue par la France, qui souhaiterait l’échec de la transition. Dans leurs éléments de langage, les responsables de la transition expliquent tous leurs problèmes par des complots contre leur régime et contre le Mali. Toutes les difficultés et incompétences sont justifiées par « l’acharnement de la France » contre la transition. L’ancienne puissance coloniale a pour sa part ouvertement montré son opposition à cette transition qu’Emmanuel Macron qualifie de « l’enfant de deux coups d’État ».

La guerre de communication est au cœur de la crise malienne et ne semble pas devoir s’arrêter si tôt. Pendant que les médias occidentaux commentent l’éventualité d’une prise de Bamako par le JNIM, le gouvernement malien a inauguré le 11 novembre le Salon international de la défense et de la sécurité intitulé Bamex 25. Cette exposition turque est, pour la transition malienne, un autre moyen de communiquer au monde que la situation sécuritaire est sous contrôle.

The Conversation

Ayouba Sow ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

17.11.2025 à 11:40

Le contrôle en cours de redéfinition à l’ère du travail à distance. Mais cela va-t-il dans le bon sens ?

Caroline Diard, Professeur associé - Département Droit des Affaires et Ressources Humaines, TBS Education
Suzy Canivenc, Chercheure associée à la Chaire Futurs de l'Industrie et du Travail, Mines Paris - PSL
Que se passe-t-il, en termes de contrôle du travail, quand les salariés ne sont plus sous le regard de leur manager ? Bienvenue dans le management à l’ère du télétravail.
Texte intégral (2372 mots)

Le télétravail en éloignant les salariés de leur manager a-t-il augmenté ou réduit le contrôle des tâches et du temps de travail ? De nouvelles formes et pratiques de management sont-elles apparues ? Dans quelle mesure sont-elles cohérentes avec les nouvelles façons de travailler à l’ère numérique ?


Alors que le contrôle du temps de travail et le droit à la déconnexion sont des obligations de l’employeur pour protéger la santé des salariés, l’étude 2025 de l’Observatoire du télétravail (Ugict-CGT) révèle que le Code du travail n’est pas respecté concernant ces deux dimensions.

En effet, malgré les bouleversements induits par le développement du travail à distance, les pratiques de contrôle restent assez limitées et s’orientent principalement vers la surveillance des temps de connexion, non pas dans l’objectif de les réguler comme le voudrait la loi, mais au contraire comme une attestation que le travail est effectué.

Cette pratique ne présage pas de l’implication et de la performance des télétravailleurs, mais révèle en revanche un manque de considération pour les conditions dans lesquelles le travail est exercé alors que l’employeur en est juridiquement responsable.

Du lien de subordination

Le contrôle fait partie inhérente du travail salarié et de la relation d’emploi formalisée par le lien contractuel employeur/employé, qui induit légalement un lien de subordination

Le contrat de travail est une

« convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne (physique ou morale), sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ».

Le lien de subordination est donc consubstantiel à tout contrat de travail (quel qu’en soit le type) et renvoie au

« lien par lequel l’employeur exerce son pouvoir de direction sur l’employé : pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner la mauvaise exécution des ordres ».

Le contrôle du travail concerne ainsi de manière très large l’exécution des tâches confiées par l’employeur.


À lire aussi : Le télétravail est-il devenu le bouc émissaire des entreprises en difficulté ?


Des modalités de contrôle peu novatrices

Avec le développement du télétravail et l’éclatement des unités de lieu, de temps et d’action, on aurait pu s’attendre à une évolution des modalités avec laquelle s’exerce ce lien de subordination et l’activité de contrôle qui lui est inhérente : la surveillance visuelle par les comportements n’est en effet plus possible lorsque les missions confiées sont réalisées à distance. L’enquête menée par l’Observatoire du télétravail de l’Ugict-CGT auprès de 5 336 télétravailleurs ne montre cependant pas de transformations profondes. Elle atteste en revanche de pratiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Si de plus en plus de salariés se sentent surveillés en télétravail, ils restent une minorité. En outre, la perception du contrôle est relativement faible. C’est seulement le cas de 17 % des répondants, contre 8 % lors de la précédente enquête menée en 2023.

A contrario, tout comme dans l’enquête précédente (2023), une forte majorité de salariés (79 %) ne savent pas s’ils sont contrôlés et n’ont pas été informés des dispositifs utilisés. Ces chiffres suggèrent que ce contrôle pourrait s’exercer à leur insu ou au travers de pratiques informelles déviantes.

Par ailleurs, lorsqu’ils sont identifiés, les dispositifs de contrôle ne sont guère novateurs et s’appuient encore largement sur le traditionnel reporting a posteriori plutôt que sur de nouvelles modalités technologiques en temps réel (IA, frappes de clavier, mouvements de souris, caméras). Le contrôle s’exerce ainsi avant tout sur les résultats de l’activité (plutôt que sur l’activité en train de se faire), en phase avec un management par objectifs qui sied mieux au travail à distance que le micromanagement, mais qui est loin d’être nouveau puisqu’il a été théorisé dans les années 1950 par Peter Drucker.

Transposition du réel au virtuel

Les modalités de contrôle consistent souvent en une transposition simple dans le monde virtuel les pratiques qui avaient déjà cours sur site : système de badge numérique (22,6 %) et feuille de temps (12,67 %).

Les verbatim recueillis lors de l’enquête révèlent en outre que, pour les télétravailleurs interrogés, ce contrôle consiste avant tout à s’assurer qu’ils sont bien connectés : « Le logiciel utilise le contrôle des connexions et leur durée », « Contrôle connexion permanent », « Heure de connexion/déconnexion sur Teams », « Suspicion de surveillance par le statut en veille de Teams ».

Ces témoignages traduisent une forme de glissement, d’un contrôle de l’activité à un contrôle de la disponibilité. Autrement dit, le contrôle ne renvoie plus à une mesure de la performance, mais à une preuve de présence – qui n’assure pas pour autant que le travail demandé est effectivement réalisé. Il s’agit donc davantage de regarder « le nombre d’heures de connexion du salarié que la qualité des contributions ou des échanges »

Impératif de présence

Cet impératif de présence peut par ailleurs s’étendre au-delà du temps de travail avec des sollicitations hors horaires (avant 9 heures ou après 19 heures). Si ces pratiques restent minoritaires, elles concernent tout de même un peu plus d’un salarié sur cinq régulièrement, et seul un tiers des répondants disent ne jamais y être confrontés.

Cette situation présente ainsi le risque de voir se développer « des journées de travail à rallonge » qui ne respectent pas les temps de repos légaux. Notons cependant que pour les répondants, ces sollicitations hors horaires ne sont pas directement liées au télétravail : plus de neuf personnes sur dix déclarent que ces situations ne sont pas plus fréquentes lorsqu’elles sont en télétravail que lorsqu’elles sont sur site.

Ce phénomène serait ainsi davantage lié à la « joignabilité » permanente permise par les outils numériques et à leur usage non régulé, quel que soit le lieu où s’exerce l’activité professionnelle.

Des pratiques en décalage avec le Code du travail

Il en ressort ainsi une vision assez pauvre du contrôle, qui pose par ailleurs problème au regard de nombreux articles du Code du travail qui ne sont pas respectés :

  • Articles L3131-1 à L3131-3 : l’employeur doit contrôler le volume horaire, l’amplitude, les maxima et les temps de repos.

  • Article L4121-1 : l’employeur a l’obligation de protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

  • Article L1121-1 : les restrictions des libertés individuelles ne sont possibles que si elles sont justifiées et proportionnées.

  • Article L1222-4 : aucune donnée personnelle ne peut être collectée sans information préalable du salarié.

  • Article L2242-17 : droit à la déconnexion qui impose la mise en place de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale

Ainsi, le contrôle du travail n’implique pas seulement un droit de surveiller et de sanctionner de la part de l’employeur, il inclut également un devoir de protection des salariés.

Le télétravail lève ainsi le voile sur l’ambivalence du contrôle, tel qu’il est inscrit dans le Code du travail et tel qu’il est mis en œuvre par les entreprises. Comme le résume bien un télétravailleur interrogé dans le cadre des entretiens qualitatifs menés en complément de l’enquête :

« On a un outil qui permet non pas de contrôler qu’on travaille trop, mais de contrôler qu’on est bien connecté. »

Contrôler, c’est veiller… ou presque

À cet égard, il peut être utile de rappeler l’étymologie du terme « contrôle&nbsp. En vieux français, le terme « contrerole » est le « rôle opposé », le « registre tenu en double », permettant de vérifier l’exactitude et de réguler. Il est proche du terme « surveiller », qui est un dérivé de « veiller ». Ces origines étymologiques acquièrent une nouvelle portée à l’heure du télétravail en questionnant l’objet et l’objectif du contrôle : s’agit-il de contrôler uniquement le travail pour sanctionner sa mauvaise exécution ? N’est-il pas aussi question de contrôler les conditions dans lesquelles il est réalisé dans l’objectif de veiller au respect des droits des travailleurs ?

La question du contrôle s’inscrit pleinement dans les problématiques du travail hybride, à la fois en télétravail mais également sur site.

En effet, alors que le débat sur le « retour au bureau » agite les organisations, avec des annonces très médiatisées de certaines grandes entreprises, on peut questionner là aussi la notion du contrôle.

Du côté des employeurs, l’argumentaire principalement utilisé pour justifier le retour au bureau est celui du délitement des liens sociaux et ses conséquences potentielles sur l’intelligence collective sous toutes ses formes. Du côté des salariés et de leurs représentants subsiste une légitime suspicion quant à l’association entre présence sur site et contrôle.

Fnege 2025.

Insaisissable objet du contrôle

Il y a donc une tension dans les organisations. Mais on manque de précision sur ce qu’on souhaite contrôler. Deux ensembles de questions demeurent. D’une part, celles relatives à la surveillance. Est-on encore dans l’idée que la présence physique prouve le travail effectué ? Contrôle-t-on la quantité de travail ? Sa qualité ? La volonté d’une présence physique a-t-elle pour objectif de surveiller en temps réel le salarié à sa tâche, possiblement en l’absence de confiance ? D’autre part, celles relatives à l’accompagnement et au soutien. Le management est-il meilleur en co-présence ? Le soutien social est-il meilleur sur site ? La circulation de l’information trouve-t-elle de plus efficaces canaux ?

À l’évidence, le débat sur le retour au bureau est clivant, mais il pourrait l’être moins si l’on questionnait la valeur ajoutée réelle pour le salarié, pour son travail, pour sa satisfaction et donc pour sa performance, de se rendre sur site plutôt que de rester chez lui. La question n’est donc pas de savoir s’il faut contrôler, mais comment le faire !

Le lien de subordination demeure consubstantiel au contrat de travail – il fonde le pouvoir de direction, d’organisation et de sanction de l’employeur. Mais ce pouvoir doit s’exercer dans les bornes que fixe le droit : celles du respect, de la proportionnalité et de la santé au travail.

Ceci questionne une nouvelle éthique du management : veiller et protéger plutôt que surveiller ; réguler et animer plutôt que traquer. S’il est de sa responsabilité de garantir que ses équipes atteignent les performances attendues, le manager doit également le faire en s’assurant de la qualité et de la légalité des conditions dans lesquelles ces performances sont réalisées.


Cet article a été co-écrit avec Nicolas Cochard, directeur de la recherche du groupe Kardham, enseignant en qualité de vie au travail (QVT) en master RH à l’Université Paris Nanterre.

The Conversation

Suzy Canivenc est membre de l'OICN (Observatoire de l''Infobésité et de la Collaboration Numérique) et Directrice scientifique de Mailoop

Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

17.11.2025 à 11:32

Pourquoi les réunions de travail nuisent au bien-être

Willem Standaert, Associate Professor, Université de Liège
Face à la folie des réunions, la solution ne serait-elle pas, non de les supprimer, mais de mieux les concevoir ?
Texte intégral (1147 mots)
Toute réunion doit commencer par une question simple : pourquoi nous réunissons-nous ? Dotshock/Shutterstock

Trop nombreuses, trop longues et inefficaces, les réunions de travail, loin d’être de simples outils de coordination, peuvent devenir de véritables moteurs de mal-être. Comment y remédier ? Analyse par la science… des réunions.


Quiconque travaille dans une organisation le sait : les réunions s’enchaînent à un rythme effréné. En moyenne, les managers y passent vingt-trois heures par semaine. Une grande partie de ces échanges est jugée de faible valeur, voire totalement contre-productive. Le paradoxe de cette frénésie est que de mauvaises réunions en génèrent encore davantage… pour tenter de réparer les précédentes.

Pendant longtemps, les réunions n’ont pas été étudiées comme un objet de recherche en soi ; elles servaient de contexte à l’analyse, mais rarement d’unité centrale. Un manuel publié en 2015 a posé les bases de ce champ émergent, la « science des réunions ». Le véritable problème ne tient pas tant au nombre de réunions qu’à leur conception, au manque de clarté de leurs objectifs, et aux inégalités qu’elles renforcent souvent inconsciemment.

Se réunir nourrit le bien-être, ou lui nuit

Notre série d’études menées pendant et après la pandémie de Covid-19 souligne que les réunions peuvent à la fois nourrir le bien-être des participants et lui nuire. Trop de réunions peuvent conduire au burn-out et à l’envie de quitter son organisation ; mais elles peuvent aussi renforcer l’engagement des employés.

Le recours massif au télétravail et aux réunions virtuelles, accéléré par la pandémie, a introduit de nouvelles sources de fatigue : surcharge cognitive, hyperconnexion, effacement des frontières entre vie professionnelle et personnelle. Ces réunions en ligne favorisent aussi des interactions sociales continues et permettent de mieux percevoir la place de chacun dans l’organisation.

Les femmes parlent moins en visioconférence

Ces nouveaux formats de réunion ne sont pas vécus par tous de la même manière.

Un constat frappant concerne le temps de parole. Dans notre enquête menée auprès de centaines d’employés, les résultats sont clairs. Les femmes rapportent avoir plus de difficultés à s’exprimer en réunion virtuelle qu’en présentiel. Les causes sont multiples : interruptions plus fréquentes, invisibilité sur les écrans partagés, difficulté à décoder les signaux non verbaux, ou encore la double charge mentale lorsque les réunions se tiennent à domicile.

Autrement dit, les réunions en ligne – censées démocratiser l’accès – peuvent, si l’on n’y prend pas garde, renforcer les inégalités de genre.

Une réunion doit se concevoir, pas se subir

Face à cette folie des réunions, la solution n’est pas de les supprimer, mais de mieux les concevoir. Tout commence par une question simple, souvent oubliée : pourquoi nous réunissons-nous ?

Selon notre série d’études couvrant plusieurs milliers de réunions, il existe quatre grands objectifs :

  • Partager de l’information ;
  • Prendre des décisions ;
  • Exprimer des émotions ou des opinions ;
  • Construire des relations de travail.

Chacun de ces objectifs exige des conditions spécifiques, comme voir les visages, entendre les intonations, observer les réactions, partager un écran, etc. Aucun format (audio, visioconférence, hybride ou présentiel) n’est universellement le meilleur. Le mode choisi doit dépendre de l’objectif principal, et non d’une habitude ou d’une commodité technologique.

Plus encore, la recherche identifie des leviers simples mais puissants pour améliorer l’expérience collective :

  • Partager à l’avance un ordre du jour clair et les documents nécessaires pour préparer les participants ;

  • Varier les modes de prise de parole grâce à des outils de « main levée », des chats anonymes, ou des tours systématiques ;

  • Jouer un vrai rôle de modération. Les responsables de réunion doivent équilibrer les interventions, encourager la participation et éviter les dynamiques d’exclusion.

Miroir de la culture organisationnelle

Les réunions ne sont jamais neutres. Elles reflètent – souvent inconsciemment – la culture, les rapports de pouvoir et les priorités implicites d’une organisation. Les données sont claires, les pistes d’amélioration existent. Reste aux entreprises et à leurs dirigeants à reconnaître le pouvoir transformateur des réunions.

Une organisation où seules les voix les plus fortes se font entendre en réunion est rarement inclusive en dehors. À l’inverse, des réunions bien menées peuvent devenir des espaces de respect et d’innovation collective.

L’objectif n’est pas d’avoir moins de réunions, mais de meilleures réunions. Des réunions qui respectent le temps et l’énergie de chacun. Des réunions qui donnent une voix à tous. Des réunions qui créent du lien.


Article écrit avec le Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.

The Conversation

Willem Standaert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

17.11.2025 à 11:32

Pour la première fois, une étude révèle ce qui se passe dans le cerveau d'un entrepreneur

Frédéric Ooms, Chargé de cours, Université de Liège
Grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui permet de visualiser l’activité cérébrale, une étude récente explore le fonctionnement du cerveau d’entrepreneurs.
Texte intégral (1471 mots)
Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. BillionPhotos/Shutterstock

L’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau ? Certaines personnes naissent-elles avec des caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ? Pour tenter de répondre à ces questions, une étude récente explore le fonctionnement du cerveau d’entrepreneurs grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, une technique qui permet de visualiser l’activité cérébrale.


Si l’on reconnaît l’importance des processus cognitifs chez les entrepreneurs
– comment pensent-ils et agissent-il face à l’incertitude ? –, on s’est peu intéressé à l’étude de leur cerveau lorsqu’ils prennent leurs décisions.

Pourquoi certains individus semblent exceller dans la création d’entreprises et naviguent habilement à travers l’incertitude, tandis que d’autres peinent à s’adapter ?

Pour tenter de faire la lumière sur la réponse à cette question, nous avons mené des travaux faisant converger neurosciences et recherche en entrepreneuriat. Nous avons en effet exploré l’activité cérébrale chez des entrepreneurs grâce à une technique d’imagerie médicale, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).

Fruit d’une collaboration entre le centre de recherche interdisciplinaire en sciences biomédicales GIGA Consciousness Research Unit de l’Université de Liège (Belgique) et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Liège, notre étude ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont les entrepreneurs abordent la prise de décision, gèrent l’incertitude et exploitent de nouvelles opportunités.

Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)

L’IRMf permet de visualiser l’activité cérébrale en mesurant les variations du flux sanguin dans le cerveau. Cette méthode repose sur un principe simple : lorsqu’une région du cerveau est activée, elle consomme plus d’oxygène, ce qui entraîne une augmentation du flux sanguin vers cette zone. Ce surplus d’oxygène modifie légèrement les propriétés magnétiques du sang. C’est cette différence que l’IRMf mesure pour créer des cartes d’activité cérébrale en temps réel, offrant ainsi une vue détaillée de la fonction cérébrale.

Plus précisément, notre étude s’est concentrée sur 23 entrepreneurs habituels
– c’est-à-dire ceux qui ont lancé plusieurs entreprises, en les comparant à 17 managers travaillant dans de grandes organisations.

L’analyse de connectivité en état de repos basée sur une région cérébrale d’intérêt (seed-based resting state fMRI) a révélé que ces entrepreneurs expérimentés présentent une connectivité neuronale accrue entre certaines régions de l’hémisphère droit du cerveau : l’insula et le cortex préfrontal. Ces zones jouent un rôle dans la flexibilité cognitive et la prise de décisions exploratoires, c’est-à-dire la capacité à ajuster sa stratégie et à penser autrement face à des situations nouvelles ou incertaines.

Mieux gérer l’incertitude

Ce réseau cérébral plus connecté pourrait contribuer à expliquer pourquoi ces entrepreneurs semblent mieux armés pour gérer l’incertitude et faire preuve de flexibilité cognitive, des capacités souvent associées à l’identification d’opportunités entrepreneuriales.

Que ce soit de manière séquentielle – les serial entrepreneurs, qui créent une entreprise après l’autre – ou de façon concurrente – les portfolio entrepreneurs qui gèrent plusieurs entreprises en même temps –, ces profils paraissent exceller dans l’art de s’adapter rapidement. Une compétence précieuse dans le monde des start-ups, où les repères sont rarement stables.

Une autre étude, portant sur le même groupe d’entrepreneurs et de managers met en lumière un autre phénomène intrigant : ces entrepreneurs habituels présentent un volume de matière grise plus important dans l’insula gauche. Bien que l’étude n’ait pas directement mesuré la pensée divergente, d’autres travaux ont montré que l’augmentation du volume de matière grise dans l’insula gauche est associée à cette capacité – c’est-à-dire la faculté de générer de nombreuses idées différentes pour résoudre un même problème.

Ce qui suggère que les différences observées chez ces entrepreneurs pourraient refléter une plus grande propension à la pensée divergente.

Une question essentielle reste ouverte : l’entrepreneuriat façonne-t-il le cerveau… ou bien certaines personnes naissent-elles avec ces caractéristiques cérébrales qui les prédisposent à entreprendre ?

Autrement dit, sommes-nous entrepreneurs par nature ou par culture ?

Nature ou culture ?

Cette interrogation est aujourd’hui au cœur des nouveaux projets de recherche menés par l’équipe d’HEC Liège et du Centre de recherche du cyclotron (CRC) de l’Université de Liège. Cette orientation de recherche s’appuie sur le concept de « plasticité cérébrale », c’est-à-dire la capacité du cerveau à se modifier sous l’effet des expériences et des apprentissages.

Si le cerveau est capable de renforcer certains réseaux neuronaux grâce à l’entraînement, comme on muscle son corps par le sport, alors l’expérience entrepreneuriale répétée pourrait elle-même être un facteur de développement de ces connexions particulières. À l’inverse, si ces différences cérébrales sont présentes dès le départ, cela poserait la question de traits cognitifs ou neurobiologiques favorisant l’esprit d’entreprise.

Pour répondre à ces questions, de nouveaux travaux sont en cours au sein du laboratoire et du GIGA-CRC, avec notamment des études longitudinales visant à suivre l’évolution des cerveaux d’entrepreneurs au fil de leur parcours, mais aussi des comparaisons avec de jeunes porteurs de projets ou des aspirants entrepreneurs.

L’enjeu est de mieux comprendre si, et comment, l’expérience de l’entrepreneuriat peut façonner notre cerveau. Cette nouvelle phase de la recherche est en cours et entre dans une phase clé : le recrutement des participants pour une étude en imagerie par résonance magnétique (IRM). Nous recherchons des volontaires, entrepreneurs ou non, prêts à contribuer à cette exploration scientifique inédite sur les effets de la pratique entrepreneuriale sur le cerveau.

Former les futurs entrepreneurs

L’intégration des neurosciences dans l’étude de l’entrepreneuriat offre une perspective novatrice sur les facteurs qui pourraient contribuer à l’esprit entrepreneurial. En comprenant si – et comment – l’expérience entrepreneuriale influence la structure et la fonction cérébrales, il deviendrait possible de concevoir des approches de formation spécifiques pour favoriser l’esprit d’entreprendre. On pourrait, par exemple, imaginer de mettre au point des exercices pratiques et des approches d’apprentissage immersif afin de développer chez les étudiants les compétences observées chez des entrepreneurs habituels.


Cet article a été rédigé avec l’aide du Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.

The Conversation

Frédéric Ooms a été financé par une subvention ARC (Actions de Recherche Concertée) de la Fédération Wallonie‑Bruxelles.

17.11.2025 à 10:20

Intelligence économique : de la compétition à la coopération

Julien Poisson, Doctorant en intelligence économique, Université de Caen Normandie
Ludovic Jeanne, Géographe, Laboratoire Métis, EM Normandie
Simon Lee, Professeur des Universités en gestion, Université de Caen Normandie
Si le terme d’intelligence économique est souvent utilisé, il recouvre des réalités diverses. De quoi parle-t-on ? Comment ont évolué cette notion et les pratiques associées ?
Texte intégral (1219 mots)

La notion d’intelligence économique renvoie au moins à deux réalités différentes. Moins offensive, elle peut être un levier pertinent pour favoriser la collaboration entre les entreprises et leur environnement et pour rendre les écosystèmes plus résilients.


Depuis les années 1990, l’intelligence économique oscille entre deux modèles antagonistes : l’un, hérité de la « competitive intelligence » qui en fait une arme de guerre économique ; l’autre, issu de la « social intelligence » qui la conçoit au service d’un développement partagé. Aujourd’hui, face à l’incertitude croissante, des dirigeants d’entreprise semblent privilégier la seconde voie, celle de la coopération et de la responsabilité collective.

Deux visions

Popularisée dans les années 1990, l’intelligence économique s’est imposée en France comme une boîte à outils stratégique. Elle aide les organisations à anticiper les évolutions, à protéger leurs ressources et à influencer leur environnement à leur avantage. Son principe est simple : l’information est vitale. Il faut la collecter, l’analyser, la partager et la protéger via par exemple des pratiques de veille, de prospective, de sécurité économique et numérique, de protection des savoir-faire, d’influence et de lobbying. Mais derrière cette définition se cachent deux visions opposées.

La première voit l’intelligence économique comme une arme au service de la compétition. La seconde la conçoit comme un bien commun, au service de la société.

La première, popularisée par Michael Porter au début des années 1980, s’inscrit dans le courant de la « competitive intelligence ». La maîtrise de l’information permet d’éclairer les choix stratégiques et d’anticiper les mouvements de la concurrence. L’entreprise est considérée comme un acteur en alerte permanente, mobilisant des données, des outils d’analyse et des modèles prédictifs pour renforcer sa compétitivité. La perspective est à la fois défensive et offensive : l’intelligence économique sert à conquérir des parts de marché et à se prémunir des menaces externes.


À lire aussi : Le renseignement au service de l’économie : les 30 ans de retard de la France


À la même époque, un tout autre courant émerge. À l’initiative du chercheur suédois Stevan Dedijer qui propose une vision bien plus inclusive avec la « social intelligence ». L’information n’est pas seulement une ressource stratégique au profit de quelques acteurs cherchant à être dominants, mais une orientation collective : celle des institutions, des entreprises et des citoyens cherchant à apprendre, à s’adapter et à innover ensemble. Cette approche, fondée sur la coopération entre sphères publique et privée, promeut une perspective visant le développement durable des sociétés plutôt que la seule performance des organisations.

Un lien entre savoir et action

Ces deux traditions ne s’opposent pas seulement dans leurs finalités ; elles reflètent deux conceptions du lien entre savoir et action. La « competitive intelligence » privilégie la maîtrise de son environnement et la compétition, quand la « social intelligence » valorise la coordination et la mutualisation des connaissances. En Suède, cette dernière s’est traduite par des dispositifs régionaux associant recherche, industrie et pouvoirs publics pour renforcer la capacité d’adaptation collective.

En France, l’intelligence économique s’est construite sur un équilibre fragile entre ces deux héritages : celui de la guerre économique et celui de la coopération à l’échelle du territoire. Aujourd’hui, la perspective de la social intelligence trouve un véritable écho chez les dirigeants d’entreprise. Face à la complexité et à l’incertitude, ils privilégient désormais des démarches collectives et apprenantes plutôt que la seule recherche d’un avantage concurrentiel. L’intelligence économique devient un levier d’action concrète, ancré dans la coopération et la responsabilité.

Veille collaborative

Ces démarches se traduisent sur le terrain par des formes de veille collaborative, où les entreprises mutualisent la collecte et l’analyse d’informations pour anticiper les mutations de leur environnement. Elles s’incarnent aussi dans les « entreprises à mission », qui placent le sens, la durabilité et la contribution au bien commun au cœur de leur stratégie.

Ces pratiques s’inscrivent pleinement dans la réflexion menée par Maryline Filippi autour de la responsabilité territoriale des entreprises (RTE). Elle propose d’« entreprendre en collectif et en responsabilité pour le bien commun ». Elles traduisent une conception du développement où le territoire devient un espace vivant de coopération entre les acteurs économiques, publics et associatifs. Dans cette perspective, la performance n’est plus une fin en soi, mais un moyen d’assurer la robustesse des systèmes productifs, cette capacité à durer et à s’adapter que défend Olivier Hamant.

Ministère des armées, 2025.

Des formes variées d’appropriation

Comme le montre ma recherche doctorale (en particulier Poisson et coll., 2025), la notion d’intelligence économique connaît une appropriation variée selon le profil de dirigeant. En particulier, nous révélons que l’intelligence économique est souvent mobilisée pour construire des relations en vue de se doter de la force collective nécessaire pour faire face à l’incertitude.

Ainsi comprise, l’intelligence économique s’incarne dans des réseaux d’acteurs apprenants, dans la capacité à créer de la confiance et à partager les ressources d’un territoire. Elle propose une autre voie que celle de la compétition : celle de la coopération, de l’éthique et de la conscience d’un destin commun.

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a eu lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Julien Poisson a reçu des financements de la Région Normandie et de l'Agence Nationale de la Recherche Technologique (ANRT) dans le cadre de sa thèse CIFRE menée depuis novembre 2021.

Ludovic Jeanne est membre de l'Académie de l'Intelligence économique.

Simon Lee a reçu des financements de l'ANRT dans le cadre de contrats CIFRE.

16.11.2025 à 17:20

Pourquoi certains fromages couverts de moisissures peuvent être consommés, mais jamais de la viande avariée : les conseils d’un toxicologue sur les précautions à prendre

Brad Reisfeld, Professor Emeritus of Chemical and Biological Engineering, Biomedical Engineering, and Public Health, Colorado State University
Dans le réfrigérateur, gare aux moisissures sur les fruits, car elles produisent des toxines à risque. Attention surtout à la viande avariée du fait des bactéries nocives qui s’y développent.
Texte intégral (2607 mots)

Dans la cuisine, la prudence est de mise avec les aliments qui se dégradent. Gare aux moisissures sur les céréales, les noix et les fruits, car ces champignons microscopiques libèrent des toxines à risque. Attention surtout aux bactéries très nocives qui se développent en particulier sur la viande avariée. Des pathogènes qui ne sont pas toujours perceptibles à l’odeur ou à l’œil.


Quand vous ouvrez le réfrigérateur et que vous trouvez un morceau de fromage couvert de moisissure verte ou un paquet de poulet qui dégage une légère odeur aigre, vous pouvez être tentés de prendre le risque de vous rendre malades plutôt que de gaspiller de la nourriture.

Mais il faut établir une frontière très nette entre une fermentation inoffensive et une altération dangereuse. La consommation d’aliments avariés expose l’organisme à toute une série de toxines microbiennes et de sous-produits biochimiques, dont beaucoup peuvent perturber des processus biologiques essentiels. Les effets sur la santé peuvent aller de légers troubles gastro-intestinaux à des affections graves telles que le cancer du foie.

Je suis toxicologue et chercheur, spécialisé dans les effets sur l’organisme de substances chimiques étrangères, à l’image de celles libérées lors de la détérioration des aliments. De nombreux aliments avariés contiennent des microorganismes spécifiques qui produisent des toxines. Étant donné que la sensibilité individuelle à ces substances chimiques diffère et que leur quantité dans les aliments avariés peut également varier considérablement, il n’existe pas de recommandations absolues sur ce qu’il est sûr de manger. Cependant, il est toujours bon de connaître ses ennemis afin de pouvoir prendre des mesures pour les éviter.

Céréales et noix

Les champignons sont les principaux responsables de la détérioration des aliments d’origine végétale tels que les céréales, les noix et les arachides. Ils forment des taches de moisissures duveteuses de couleur verte, jaune, noire ou blanche qui dégagent généralement une odeur de moisi. Bien qu’elles soient colorées, bon nombre de ces moisissures produisent des substances chimiques toxiques appelées mycotoxines.

Aspergillus flavus et Aspergillus parasiticus sont deux champignons courants présents sur des céréales comme le maïs, le sorgho, le riz ainsi que sur les arachides. Ils peuvent produire des mycotoxines appelées aflatoxines qui, elles-mêmes forment des molécules appelées époxydes ; ces dernières étant susceptibles de déclencher des mutations lorsqu’elles se lient à l’ADN. Une exposition répétée aux aflatoxines peut endommager le foie et a même été associée au cancer du foie, en particulier chez les personnes qui présentent déjà d’autres facteurs de risque, comme une infection par l’hépatite B.

Le genre Fusarium est un autre groupe de champignons pathogènes qui peuvent se développer sous forme de moisissures sur des céréales comme le blé, l’orge et le maïs, en particulier dans des conditions d’humidité élevée. Les céréales contaminées peuvent présenter une décoloration ou une teinte rosâtre ou rougeâtre, et dégager une odeur de moisi. Les champignons Fusarium produisent des mycotoxines appelées trichothécènes qui peuvent endommager les cellules et irriter le tube digestif. Ils libèrent également une autre toxine, la fumonisine B1 qui perturbe la formation et le maintien des membranes externes des cellules. Au fil du temps, ces effets peuvent endommager le foie et les reins.

Si des céréales, des noix ou des arachides semblent moisies, décolorées ou ratatinées, ou si elles dégagent une odeur inhabituelle, il vaut mieux faire preuve de prudence et les jeter. Les aflatoxines, en particulier, sont connues pour être de puissants agents cancérigènes, il n’existe donc aucun niveau d’exposition sans danger.

Qu’en est-il des fruits ?

Les fruits peuvent également contenir des mycotoxines. Quand ils sont abîmés ou trop mûrs, ou quand ils sont conservés dans des environnements humides, la moisissure peut facilement s’installer et commencer à produire ces substances nocives.

L’une des plus importantes est une moisissure bleue appelée Penicillium expansum. Elle est surtout connue pour infecter les pommes, mais elle s’attaque également aux poires, aux cerises, aux pêches et à d’autres fruits. Ce champignon produit de la patuline, une toxine qui interfère avec des enzymes clés dans les cellules, entrave leur fonctionnement normal et génère des molécules instables appelées espèces réactives de l’oxygène. Ces dernières peuvent endommager l’ADN, les protéines et les graisses. En grande quantité, la patuline peut endommager des organes vitaux comme les reins, le foie, le tube digestif ainsi que le système immunitaire.

Moisissures vertes et blanches sur des oranges
Penicillium digitatum forme une jolie moisissure verte sur les agrumes, mais leur donne un goût horrible. James Scott via Wikimedia, CC BY-SA

Les « cousins » bleus et verts de P. expansum, Penicillium italicum et Penicillium digitatum, se retrouvent fréquemment sur les oranges, les citrons et autres agrumes. On ne sait pas s’ils produisent des toxines dangereuses, mais ils ont un goût horrible.

Il est tentant de simplement couper les parties moisies d’un fruit et de manger le reste. Cependant, les moisissures peuvent émettre des structures microscopiques ressemblant à des racines, appelées hyphes, qui pénètrent profondément dans les aliments et qui peuvent libérer des toxines, même dans les parties qui semblent intactes. Pour les fruits mous en particulier, dans lesquels les hyphes peuvent se développer plus facilement, il est plus sûr de jeter les spécimens moisis. Pour les fruits durs, en revanche, je me contente parfois de couper les parties moisies. Mais si vous le faites, c’est à vos risques et périls.

Le cas du fromage

Le fromage illustre parfaitement les avantages d’une croissance microbienne contrôlée. En effet, la moisissure est un élément essentiel dans la fabrication de nombreux fromages que vous connaissez et appréciez. Les fromages bleus tels que le roquefort et le stilton tirent leur saveur acidulée caractéristique des substances chimiques produites par un champignon appelé Penicillium roqueforti. Quant à la croûte molle et blanche des fromages tels que le brie ou le camembert, elle contribue à leur saveur et à leur texture.

En revanche, les moisissures indésirables ont un aspect duveteux ou poudreux et peuvent prendre des couleurs inhabituelles. Les moisissures vert-noir ou rougeâtre, parfois causées par des espèces d’Aspergillus, peuvent être toxiques et doivent être éliminées. De plus, des espèces telles que Penicillium commune produisent de l’acide cyclopiazonique, une mycotoxine qui perturbe le flux de calcium à travers les membranes cellulaires, ce qui peut altérer les fonctions musculaires et nerveuses. À des niveaux suffisamment élevés, elle peut provoquer des tremblements ou d’autres symptômes nerveux. Heureusement, ces cas sont rares, et les produits laitiers avariés se trahissent généralement par leur odeur âcre, aigre et nauséabonde.

En règle générale, jetez les fromages à pâte fraîche type ricotta, cream cheese et cottage cheese dès les premiers signes de moisissure. Comme ils contiennent plus d’humidité, les filaments de moisissure peuvent se propager facilement dans ces fromages.

Vigilance extrême avec les œufs et la viande avariés

Alors que les moisissures sont la principale cause de détérioration des végétaux et des produits laitiers, les bactéries sont les principaux agents de décomposition de la viande. Les signes révélateurs de la détérioration de la viande comprennent une texture visqueuse, une décoloration souvent verdâtre ou brunâtre et une odeur aigre ou putride.

Certaines bactéries nocives ne produisent pas de changements perceptibles au niveau de l’odeur, de l’apparence ou de la texture, ce qui rend difficile l’évaluation de la salubrité de la viande sur la base des seuls indices sensoriels. Quand elles sont toutefois présentes, l’odeur nauséabonde est causée par des substances chimiques telles que la cadavérine et la putrescine, qui se forment lors de la décomposition de la viande et peuvent provoquer des nausées, des vomissements et des crampes abdominales, ainsi que des maux de tête, des bouffées de chaleur ou une chute de tension artérielle.

Les viandes avariées sont truffées de dangers d’ordre bactérien. Escherichia coli, un contaminant courant du bœuf, produit la toxine Shiga qui bloque la capacité de certaines cellules à fabriquer des protéines et peut provoquer une maladie rénale dangereuse appelée syndrome hémolytique et urémique.

La volaille est souvent porteuse de la bactérie Campylobacter jejuni qui produit une toxine qui envahit les cellules gastro-intestinales, ce qui entraîne souvent des diarrhées, des crampes abdominales et de la fièvre. Cette bactérie peut également provoquer une réaction du système immunitaire qui attaque ses propres nerfs. Cela peut déclencher une maladie rare appelée syndrome de Guillain-Barré qui peut entraîner une paralysie temporaire.

Les salmonelles présentes notamment dans les œufs et le poulet insuffisamment cuits, causent l’un des types d’intoxication alimentaire les plus courants. Elles provoquent des diarrhées, des nausées et des crampes abdominales. Elles libèrent des toxines dans la muqueuse de l’intestin grêle et du gros intestin, qui provoquent une inflammation importante.

(En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire – Anses – rappelle que les aliments crus ou insuffisamment cuits, surtout d’origine animale, sont les plus concernés par les contaminations par les bactéries du genre « Salmonella » : les œufs et les produits à base d’œufs crus, les viandes -bovines, porcines, incluant les produits de charcuterie crue, et de volailles –, les fromages au lait cru. L’Anses insiste aussi sur le fait que les œufs et les aliments à base d’œufs crus – mayonnaise, crèmes, mousse au chocolat, tiramisu, etc.- sont à l’origine de près de la moitié des toxi-infections alimentaires collectives dues à Salmonella, ndlr).

Clostridium perfringens attaque également l’intestin, mais ses toxines agissent en endommageant les membranes cellulaires. Enfin, Clostridium botulinum, qui peut se cacher dans les viandes mal conservées ou vendues en conserves, produit la toxine botulique, l’un des poisons biologiques les plus puissants, qui se révèle mortelle même en très petites quantités.

Il est impossible que la viande soit totalement exempte de bactéries. Mais plus elle reste longtemps au réfrigérateur – ou pire, sur votre comptoir ou dans votre sac de courses – plus ces bactéries se multiplient. Et vous ne pouvez pas les éliminer toutes en les cuisant. La plupart des bactéries meurent à des températures sûres pour la viande – entre 63-74 °C (145 et 165 degrés Fahrenheit) – mais de nombreuses toxines bactériennes sont stables à la chaleur et survivent à la cuisson.

The Conversation

Brad Reisfeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

16.11.2025 à 15:39

L’affrontement sur la taxe Zucman : une lutte de classe ?

Gérard Mauger, Sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le débat sur la taxe Zucman a révélé un violent clivage de classe entre une infime minorité de patrons et l’immense majorité des Français.
Texte intégral (1326 mots)

Le terme de lutte des classes est peu utilisé depuis l’effondrement du communisme. Pourtant, le débat sur la taxe Zucman révèle un violent clivage de classe entre une infime minorité de très grandes fortunes et l’immense majorité des Français.


Pendant près de six mois, le projet de taxe Zucman a focalisé l’intérêt médiatique et politique. Il a aussi contribué à mettre en évidence un clivage de classes habituellement occulté par une forme « d’embargo théorique » qui pèse depuis le milieu des années 1970 sur le concept de classe sociale, comme sur tous les concepts affiliés (à tort ou à raison) au marxisme.

Retour sur le feuilleton de la taxe Zucman

Le 11 juin dernier, Olivier Blanchard (économiste en chef du Fonds monétaire international entre 2008 et 2015), Jean Pisani-Ferry (professeur d’économie à Sciences Po Paris et directeur du pôle programme et idées d’Emmanuel Macron en 2017) et Gabriel Zucman (professeur à l’École normale supérieure) publiaient une tribune où ils se prononçaient, en dépit de leurs divergences, en faveur d’un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des foyers fiscaux dont la fortune dépasse 100 millions d’euros (environ 1 800 foyers fiscaux), susceptible de rapporter de 15 milliards à 25 milliards d’euros par an au budget de l’État (les exilés fiscaux éventuels restant soumis à l’impôt plancher cinq ans après leur départ).

Dès la rentrée, les médias ouvraient un débat sur fond de déficit public et de « dette de l’État » que relançait chaque apparition de Gabriel Zucman. Sur un sujet économique réputé aride, ils recyclaient la confrontation à la fois inusable et omnibus entre « intellectualisme », « amateurisme » sinon « incompétence », imputés aux universitaires, et « sens pratique » des « hommes de terrain » confrontés aux « réalités » (de la vie économique) et/ou entre « prise de position partisane » et « neutralité », « impartialité », « apolitisme », attribués à la prise de position opposée. Le débat s’étendait rapidement aux réseaux sociaux : il opposait alors les partisans de la taxe qui invoquaient la « justice fiscale et sociale » à des opposants qui dénonçaient « une mesure punitive », « dissuasive pour l’innovation et l’investissement ».

Le 20 septembre, dans une déclaration au Sunday Times, Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH et première fortune de France, avait décliné in extenso les deux volets de l’anti-intellectualisme médiatique en mettant en cause la « pseudo-compétence universitaire » de Gabriel Zucman et en dénonçant « un militant d’extrême gauche » dont « l’idéologie » vise « la destruction de l’économie libérale ».

Le Medef lui avait emboîté le pas. En guerre contre la taxe Zucman, Patrick Martin, affirmant que Zucman « serait aussi économiste que [lui] serait danseuse étoile au Bolchoï », annonçait un grand meeting le 13 octobre à Paris. Pourtant, il avait dû y renoncer face à la division créée par cette initiative au sein du camp patronal : l’U2P et la CPME (artisans et petites et moyennes entreprises) avaient décliné l’invitation : « On ne défend pas les mêmes intérêts », disaient-ils.

Mi-septembre, selon un sondage Ifop, 86 % des Français plébiscitaient la taxe Zucman.

Une bataille politique

À ces clivages que traçait le projet de taxe Zucman au sein du champ médiatique (audiovisuel public, d’un côté, et « supports » contrôlés par une dizaine de milliardaires, de l’autre) et de l’espace social (où les milliardaires s’opposaient à tous les autres) correspondaient approximativement ceux du champ politique. Portée initialement par une proposition de loi de Clémentine Autain et Éva Sas (groupe Écologiste et social), la taxe Zucman avait d’abord été adoptée par l’Assemblée nationale, le 20 février, avant d’être rejetée par le Sénat, le 12 juin.

Mais l’opportunité du projet se faisait jour au cours de l’été avec l’exhortation de François Bayrou à « sortir du piège mortel du déficit et de la dette », puis à l’occasion de l’invitation de Sébastien Lecornu à débattre du projet de budget du gouvernement « sans 49.3 ».

Le 31 octobre dernier, non seulement la taxe Zucman était balayée par une majorité de députés, mais également « sa version light » portée par le Parti socialiste (PS). Mesure de « compromis », la taxe « Mercier » (du nom d’Estelle Mercier, députée PS de Meurthe-et-Moselle) pouvait sembler plus ambitieuse, mais, en créant des « niches et des « exceptions », elle comportait, selon Gabriel Zucman, « deux échappatoires majeures » qui amorçaient « la machine à optimisation ».

Refusant de « toucher à l’appareil productif », selon sa porte-parole Maud Bregeon, le gouvernement Lecornu s’y opposait. Les députés d’Ensemble pour la République (députés macronistes) votaient contre (60 votants sur 92 inscrits) comme ceux de la Droite républicaine (28 sur 50). Le Rassemblement national (RN), qui s’était abstenu en février, s’inscrivait désormais résolument contre ce projet de taxe (88 sur 123) que Marine Le Pen décrivait comme « inefficace, injuste et dangereuse puisqu’elle entraverait le développement de nos entreprises ». Soixante-et-un députés socialistes et apparentés sur 69, 60 députés sur 71 de La France insoumise (LFI), 33 députés sur 38 du groupe Écologiste et social ainsi que 12 députés sur 17 du groupe Gauche démocrate et républicaine avaient voté pour le projet. Les députés LFI appelaient alors à la censure du gouvernement.

La lutte des 1 % les plus riches pour leurs privilèges

L’essor du néolibéralisme au cours des cinquante dernières années a certes transformé la morphologie des classes sociales (à commencer par celle de la « classe ouvrière » délocalisée et précarisée), accréditant ainsi l’avènement d’une « société post-industrielle », l’extension indéfinie d’une « classe moyenne » envahissante ou l’émergence d’une « société des individus » ou encore la prééminence des clivages (de sexe, de phénotype, d’âge, etc.) associés au revival des « nouveaux mouvements sociaux ».

Pourtant, le débat sur la taxe Zucman révèle bien un clivage de classe – comment l’appeler autrement ? – entre le 1 % et les 99 %, et l’âpreté de la lutte des 1 % pour la défense de leurs privilèges. Tout se passe comme si, en effet, à l’occasion de ce débat, s’était rejoué en France, sur la scène politico-médiatique, le mouvement Occupy Wall Street de septembre 2011 qui avait pour mot d’ordre :

« Ce que nous avons tous en commun, c’est que nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité des 1 % restants. »

The Conversation

Gérard Mauger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

16.11.2025 à 15:38

Tanzanie : la fermeture de l’espace numérique, élément clé de la répression

Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l'information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave Eiffel
La jeunesse tanzanienne, très connectée, se révolte contre des élections qu’elle juge truquées. Aussitôt, parallèlement à la répression des manifestations, le pouvoir coupe Internet.
Texte intégral (1904 mots)

Face au puissant mouvement de contestation qui s’est emparé de la Tanzanie à la suite des élections générales, l’une des réponses du pouvoir a consisté à couper les réseaux sociaux. Dans ce grand pays d’Afrique de l’Est, comme dans bien d’autres pays aujourd’hui, la maîtrise de l’espace numérique est devenue un aspect central de la répression.


Le 29 octobre 2025, la Tanzanie a tenu des élections générales censées prolonger la trajectoire démocratique d’un pays souvent vu comme un îlot de stabilité politique en Afrique de l’Est.

Mais dans un climat déjà tendu – manifestations sporadiques à Zanzibar et Arusha, arrestations d’opposants, présence accrue de force de sécurité et fermeture partielle des médias critiques –, le scrutin s’est transformé en crise politique majeure. La présidente sortante Samia Suluhu Hassan, devenue présidente de Tanzanie en mars 2021 à la suite du décès du président John Magufuli, dont elle était la vice-présidente, a été élue avec près de 98 % des voix dans un contexte où le principal parti d’opposition, Chadema, avait été marginalisé et plusieurs de ses dirigeants arrêtés.

Dès l’annonce des résultats, des manifestations de protestation ont éclaté à Dar es Salaam (la plus grande ville du pays, où vivent environ 10 % des quelque 70 millions d’habitants du pays), à Mwanza et à Arusha. Les affrontements auraient fait, selon les sources, entre 40 et 700 morts, et plus d’un millier de blessés.

Face à la propagation des manifestations, le pouvoir a réagi par un couvre-feu national, un déploiement militaire dans les grandes villes et une coupure d’accès à Internet pendant environ 5 jours, invoquant la prévention de la désinformation comme mesure de sécurité. L’accès à Internet a été partiellement rétabli, mais les restrictions sur les réseaux sociaux et les plates-formes de messagerie persistent.

Ce triptyque autoritaire – fermeture politique, verrouillage territorial et blackout numérique – a transformé une contestation électorale en véritable crise systémique de confiance entre État et citoyens, entre institutions et information, et entre stabilité et légitimité.

Gouverner par le silence : quand le contrôle de l’information devient une stratégie de stabilité

Le contrôle de l’information comme pratique de gouvernement

Dans la perspective des sciences de l’information et de la communication (SIC), la séquence tanzanienne illustre une tendance plus large qui est celle de la transformation de la gestion de l’information en technologie de pouvoir (voir notamment, Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1975 ; Gilles Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, 1990).

Le blackout numérique ne vise pas seulement à contenir la désinformation ; il reconfigure les conditions mêmes de la visibilité. Comme le souligne Pierre Musso dès 2003 dans Télécommunications et philosophie des réseaux, l’espace numérique n’est plus un simple médium mais un espace politique. En contrôler l’accès, c’est aussi gouverner la perception.

Privés de réseaux sociaux, les citoyens perdent sur-le-champ leurs canaux d’expression. Les médias indépendants se retrouvent aveugles et les ONG ne peuvent plus documenter les violences.

C’est ainsi que l’État redevient le seul producteur de discours légitime : une régie symbolique de l’ordre public, pour reprendre la notion de Patrick Charaudeau (2005) sur la mise en scène du pouvoir.

Cette stratégie s’inscrit dans un continuum déjà observé lors d’autres scrutins africains (Ouganda 2021, Tchad 2021, Sénégal 2024). Elle marque une mutation du contrôle politique où il ne s’agit plus de réprimer la parole mais de désactiver les infrastructures mêmes de la parole.

La fabrique de la stabilité par la censure

Le discours officiel invoque la lutte contre les fausses informations pour justifier les coupures. Mais l’analyse sémiotique révèle un glissement de sens. L’ordre public devient synonyme de silence collectif et la stabilité politique se construit sur la neutralisation des espaces numériques de débat.

Les travaux en communication politique (Dominique Wolton, 1997) montrent que la démocratie suppose du bruit, du conflit, du débat et que le silence n’est pas l’ordre mais plutôt la suspension de la communication sociale.

Cette logique de stabilité performative donne l’illusion qu’il suffit que l’État contrôle la perception du désordre pour produire l’image d’un ordre.

Dans l’analyse du cas tanzanien, cette mise en scène du calme repose sur une invisibilisation dans la mesure où le calme apparent des réseaux remplace la réalité conflictuelle du terrain. Ce phénomène de stabilité performative, c’est-à-dire ici le calme apparent des réseaux traduisant une stabilité imposée, a déjà été observé au Cameroun et en Ouganda. Dans ces cas, la coupure d’Internet fut utilisée pour maintenir une image d’ordre pendant les scrutins contestés.

Or, la Tanzanie est un pays jeune. Près de 65 % de sa population a moins de 30 ans. Cette génération connectée via TikTok, WhatsApp ou X a intégré les réseaux sociaux non seulement comme espace de loisir mais aussi comme lieu d’existence politique. La priver soudainement d’accès dans ce moment précis porte à l’interprétation inévitable d’un effacement d’une part de la citoyenneté numérique.

Cette fracture illustre une asymétrie de compétences médiatiques qui se caractérise par le fait que le pouvoir maîtrise les outils pour surveiller tandis que les citoyens les mobilisent pour exister. Le conflit devient ainsi info-communicationnel dans la mesure où il se joue sur les dispositifs de médiation plutôt que dans la confrontation physique.

Aussi les répercussions sont-elles économiquement et symboliquement élevées.

Les interdictions de déplacement paralysent le commerce intérieur et les ports, les coupures d’Internet entraînent une perte économique estimée à 238 millions de dollars (un peu plus de 204 millions d’euros) et les ONG et entreprises internationales suspendent leurs activités face au manque de visibilité opérationnelle.

Mais au-delà du coût économique, la coupure d’Internet produit un effet délétère où la relation de confiance entre État et citoyens est rompue. L’information, en tant que bien commun, devient ici un instrument de domination.

Crise de la médiation et dérive sécuritaire en Afrique numérique

En Tanzanie, la circulation de l’information repose désormais sur des dispositifs de contrôle, non de transparence. L’État agit comme gatekeeper unique en filtrant les récits selon une logique de sécurité nationale. On assiste ainsi à une crise de la médiation où le lien symbolique entre institutions, médias et citoyens se défait.

Cette rupture crée une désintermédiation forcée où des circuits parallèles (VPN, radios communautaires, messageries clandestines) émergent, mais au prix d’une fragmentation du débat public. La sphère publique devient une mosaïque de micro-espaces informels, sans régulation et favorisant l’amplification des rumeurs et de discours extrêmes.

La situation tanzanienne dépasse le cadre du pays, en mettant en évidence les tensions d’un continent engagé dans une modernisation technologique sans démocratisation parallèle. L’Afrique de l’Est, longtemps vitrine du développement numérique avec le Kenya et le Rwanda, découvre que l’économie digitale ne garantit pas la liberté numérique.


À lire aussi : Rwanda, Maroc, Nigeria, Afrique du Sud : les quatre pionniers des nouvelles technologies en Afrique


Là où les infrastructures se développent plus vite que les institutions, les réseaux deviennent des zones grises de gouvernance. Ni pleinement ouverts ni totalement fermés, ils sont constamment surveillés. Le cas tanzanien incarne ainsi un moment charnière où la technologie cesse d’être vecteur de progrès pour devenir vecteur de pouvoir.

Dans une approche SIC, la question centrale reste celle de la sécurité communicationnelle.

Peut-on parler de sécurité nationale lorsque la sécurité informationnelle des citoyens est compromise ? La coupure d’Internet ne prévient pas la crise mais la diffère, la rendant plus imprévisible et violente. Cette distinction entre sécurité perçue et sécurité vécue est la preuve que la stabilité ne se mesure pas à l’absence de bruit mais à la qualité du lien informationnel entre les acteurs.

Une démocratie sous silence

La Tanzanie illustre une mutation du pouvoir à l’ère numérique : gouverner, c’est aussi, désormais, gérer la visibilité. Mais la maîtrise de cette visibilité ne suffit pas à produire la légitimité. En restreignant l’accès à l’information, le régime tanzanien a peut-être gagné du temps mais il a sûrement perdu de la confiance. Pour les observateurs africains et internationaux, cette crise n’est pas un accident mais le symptôme d’une Afrique connectée, mais débranchée de sa propre parole.

The Conversation

Fabrice Lollia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

50 / 50

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Gigawatts.fr
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
🌞