La rédac
Par Charlotte Giorgi
Il y a un an, la folie des législatives anticipées, déclenchées par la dissolution de l’Assemblée Nationale par notre fou du bus en chef, Emmanuel Macron, prenait place.
Et balayait sur son passage la sidération et l’apathie.
Contrairement à l’année d’avant, 2023, qui fut celle de soulèvements populaires massifs (soulèvements de la terre, réforme des retraites, révoltes des banlieues après la mort de Nahel,…), la campagne fut une révolte tactique, mécanique, jouant le jeu des institutions. Un an après, les dynamiques importantes soulevées par le Nouveau Front Populaire semblent loin. La sidération poursuit son chemin, et notre seuil de tolérance envers un calme qui est en fait un statu quo violent s’accroît de jour en jour. En face, des milliers, si ce n’est des millions, de jeunes qui errent dans ce monde chaotique et les questions qu’il soulève : qu’est-ce qui est politique ? À quoi se joue mon impuissance ? Quand devrions-nous arrêter d’être calmes ?
Il y a un an, aussi – hasard du calendrier, paraissait un podcast sur lequel nous travaillions depuis des mois si ce n’est des années. Un podcast pour rendre ces questions existentielles aussi sexy que les questions qu’on se pose autour de nos histoires d’amour (ce à quoi nous avions déjà travaillé avec succès autour de notre podcast Disparaître). Alors faire un Disparaître de la politique, c’était le plan. Car les contenus qui partent de l’intime sont des portes d’entrée dans la politique, et qu’il n’y a rien de plus intime que les questions que l’époque contemporaine fait s’élever. Alors à travers le décorticage intime de la trajectoire politique de l’une d’entre nous, nous espérions attraper l’attention des jeunes qui nous ressemblent, créer des chambres d’écho et des caisses de résonance, en partageant nos expériences de rupture avec l’ordre établi mais aussi nos impasses et nos contradictions : c’est ainsi que nous pourrions, peut-être, (ré)apprendre collectivement apprendre la révolte.
S’il y a un podcast qui peut représenter la ligne édito de notre média dans ce monde qui chavire, c’est bien celui-ci. Comme depuis toujours, nous concentrons nos forces sur des contenus qui peuvent briser l’entre-soi des milieux engagés, et permettre à chacun·e de se réapproprier les combats de notre temps. Parce qu’on n’en peut plus du jargon militant et de ne parler qu’à des convaincu·es. Du mépris social et des leçons de morale. Alors on vous invite fort à (ré)écouter ce podcast pensé sur le temps long, à vous l’approprier, et à vous outiller pour mener votre propre trajectoire politique. A nos côtés ?
J’ai grandi dans une banlieue décrépie que j’ai toujours rêvé de quitter. Contre toute attente, j’ai aussi côtoyé les bancs d’une école qui fabrique nos élites politiques. Des actions de désobéissance civile écolo aux manifs des gilets jaunes, de la création d’un média indépendant jusqu’aux recours devant le conseil d’Etat, la trajectoire de ma vie a fait de moi un témoin privilégié du fonctionnement politique des choses, du monde, de nos vies. J’ai appris beaucoup, d’espoirs en désillusions, et ça ne sert à rien si ce n’est pas partagé.
« Diam’s a sorti son premier album l’année où je suis née, en 1999 », commence la narratrice. « La chanson dans laquelle elle parle des jeunes de l’an 2000, donc de moi, ne figure pas sur celui-ci mais sur son 3e album, sorti en 2006. J’avais sept ans et pas encore de MP3. Mon MP3, c’est l’année de mes 10 ans. Diam’s, je comprends pas tout ce qu’elle dit. Mais je chante, machinalement. Comme une bonne partie de ma génération. La génération nan-nan.
Diam’s et les refrains entêtants qu’on fredonne dans la cour d’école en étant ravis du pouvoir de provocation que le rap nous offre, c’est notre premier lien avec la politique. Nous, les gens dont les parents veulent faire le bien mais sont ni de droite ni de gauche et s’en foutent d’ailleurs pas mal. Nous, classe moyenne qui s’en fout et qui va devenir populaire, nous que tout encercle et que rien n’intéresse suffisamment. Trop à faire, et rien à faire du reste. Diam’s c’est mon premier contact avec la politique. 2007, dix ans avant que j’ose dire : ça m’intéresse. Ça m’intéresse, qu’on me dise que j’ai raison d’être en colère, qu’on m’explique pourquoi j’ai une boule dans le bide quand mon père cherche du travail et que ma mère en a marre d’être prof, pourquoi c’est tout le temps la crise et comment on fait pour échapper au pire. Si tu travailles mal à l’école, si tu crois ce que tu lis sur Internet, si tu jettes ton chewing-gum par terre, si tu dis « putain », si tu regardes trop la télé, si tu respectes pas les règles que tu comprends pas encore : le pire. Personne sait exactement ce que c’est le pire. Mais ça aussi, c’est un premier contact avec la politique. Ce qui m’intéresse : échapper au pire. Pour le meilleur, on verra plus tard.
Ça fait plusieurs années que sur le média, on produit un podcast autour de l’amour. Ça s’appelle Disparaître, et ça marche super bien. C’est facile parler d’amour, parce qu’on dirait pas qu’on parle de politique. Et la politique, même si c’est ce qui m’intéresse, tout le monde sait qu’il faut pas en parler. C’est malvenu. « Tu votes pour qui toi? ». Personne dit ça. Ou bien « ce serait bien que les hommes arrête de violer », en plein repas, bah non. Alors que l’amour, ça intéresse tout le monde. L’amour, j’avais pu en parler avec n’importe qui. Personne ne serait senti en position de dire à l’une de mes meilleures amies enregistrées pour l’occasion : « tu n’es pas assez experte ». « Pas assez spécialiste ». On est toustes spécialistes de notre propre vie. Ce que j’ai fait pour l’amour, je veux le faire pour la politique. Faire parler nos vies, faire raconter nos tripes. Me permettre d’interroger. Faire en sorte que l’étincelle que la vie a allumé chez moi, par tout un tas de mécanismes qui me prédestinait plus ou moins à parler d’où je parle aujourd’hui, embrase d’autres feux. On a besoin de feux. Qui réchauffe qui a besoin, et qui brûle ce dont on n’a pas besoin.
De la banlieue décrépie où j’ai grandi, aux couloirs de Sciences Po Paris, des actions de désobéissance civile écolo aux manifs des gilets jaunes, de la création d’un média indépendant jusqu’aux recours devant le conseil d’Etat, mes propres privilèges, ma chance, la trajectoire de ma vie ont fait de moi un témoin privilégié du fonctionnement politique des choses, du monde, de nos vies. J’ai appris beaucoup, d’espoirs en désillusions, et ça ne sert à rien si ce n’est pas partagé. Difficile de vous dire que je compte vous partager ma vie, aussi jeune que je sois, en un podcast de six épisodes. Il s’agit plutôt de retracer un chemin qui pourra faire écho aux vôtres, le chemin d’une vérité, la mienne, à propos d’une époque, la nôtre, et comment elle pourrait faire écho plutôt que de rester ratatinée à l’arrière de ma tête. Je crois que quand les échos sont assez nombreux et solides et touchants pour constituer un brouhaha, ça s’appelle une révolution. Et j’aspire à rien de moins ambitieux que ça : une révolution.
Commençons par faire les présentations. Y’a quelques personnages important dans mon histoire, dans la nôtre. Le premier, c’est l’époque. La sale époque. Je suis une enfant des années 2000, je n’ai jamais vécu autre chose que la crise. Tout est moins bien qu’avant, à ce qu’il paraît. Et plus tard ça pue. Je ne pourrai probablement jamais m’acheter une maison, ni vivre un printemps qui ne soit ni l’hiver ni l’été mais un vrai entre-deux. En politique non plus, il n’y a plus d’entre-deux, à supposer qu’il y en ait jamais eu. Je n’ai pas connu d’élections où l’extrême-droite ne menaçait pas et j’ai grandi avec des plateaux télé qui mettaient l’extrême-gauche dans le même sac. Droite ou gauche, pour moi ça ne veut rien dire. »
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La rédac
Depuis quelques jours, nous suivons avec attention, comme vous peut-être, la « Freedom Flottilla », un convoi humanitaire qui était parti il y a quelques jours avec à son bord nos camarades activistes Rima Hassan (eurodéputée depuis l’été dernier), Greta Thunberg et plusieurs ressortissants français. La nuit dernière vers 2h du matin, l’armée israélienne a intercepté illégalement leur bateau, coupé les communications et détient depuis les activistes (on le rappelle : ces 12 personnes sont désarmées, humanitaires, militantes ou journalistes et avaient pour seule ambition d’apporter du ravitaillement à la population de la bande de Gaza, affamée en pleine conscience par Israël).
Depuis cette nuit, des rassemblements sont organisés partout en France et dans le monde pour demander la libération et la protection de ces courageuses personnes qui n’ont fait que mettre en lumière la facilité avec laquelle un état génocidaire s’assoit sur les droits humains. En plus de commettre un génocide largement reconnu – le premier de l’Histoire humaine qui soit diffusé en direct sur les réseaux sociaux, l’Etat d’Israël nous crache dessus en faisant de ses pratiques coloniales fascistes la nouvelle loi internationale. L’inversion des valeurs est totale : l’acheminement d’aide humanitaire devient un crime, et les activistes deviennent les terroristes. Le collectif Urgence Palestine est toujours sous menace de dissolution, et le président renonce à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, qu’il avait un temps brandi comme un paravent à son inaction déprimante. Pourtant, le récit de cette arrestation du Madleen (le nom du bateau affrété par la flottille) tel qu’il est fait dans les grands médias nous semble faire l’impasse sur des informations qui sont souvent questionnées sur les réseaux sociaux.
Voici un condensé de réponses qui seront mises à jour au fur et à mesure de l’avancée de la situation :
Des flottilles sont affrétées depuis 2008 pour accoster à Gaza qui est sous blocus illégal depuis 2007.
L’Humanité rappelle ainsi ce matin : « en 2010, l’attaque du Mavi Marmara par des commandos israéliens avait fait neuf morts, révélant, déjà, la brutalité d’un État prêt à tout pour maintenir son emprise coloniale. Quinze ans plus tard, l’histoire bégaie, même si cette fois-ci, aucun militant n’a été blessé, ni tué fort heureusement. »
Parce c’est sur nos propres complicités qu’il faut attirer l’attention. Sur nos indifférences, nos apathies et nos angoisses privilégiées mal dirigées. Les palestinien·nes n’ont pas besoin de nous pour se défendre, leur résistance s’organise depuis des décennies et inspire de nombreuses luttes. C’est donc sur notre capacité à accompagner cette résistance et à empêcher l’impunité de notre Occident que l’attention se focalise. Logique, finalement. Les Gazaoui·es ont autre chose à faire que de quémander notre attention.
Non, et c’était bien clair dès le départ de la flottille. Rima Hassan, Greta Thunberg, les journalistes et humanitaires à bord de ce bateau ont concentré l’attention médiatique dans l’espoir que cette pression populaire permette de créer une brèche dans la machine à affamer génocidaire. Une brèche dans laquelle le reste de l’aide humanitaire pourrait s’engouffrer, car chaque convoi, chaque cargaison sauvent des vies. Notre rôle n’était pas d’espérer sauver le monde, mais d’être à la hauteur de cette brèche.
La flottille est la figure de proue de nos révoltes collectives. Avec des personnalités diplomatiquement et médiatiquement importantes, elle peut faire paratonnerre pour la suite, mettre en lumière l’impunité d’Israël de manière limpide et schématique. Et qu’importe l’issue, n’importe quelle tentative pour apporter de l’aide à une population génocidée est loin d’être vaine. Elle rappelle qu’on essaiera tant qu’il faudra, peu importe l’issue, car c’est ce qu’on appelle la « dignité du présent ». Il ne s’agit pas de « servir à quelque chose » : à ce stade il s’agit de savoir comment vivre notre court laps de temps sur terre sans se couvrir de honte.
Bien sûr que c’était pour le buzz : le buzz et la pression populaire sont le seul bouclier des activistes palestiniens face à un génocide live stream. Le buzz est un moyen, la fin étant d’apporter n’importe quelle aide possible au peuple palestinien, de mettre à mal l’impunité d’Israël et de forcer les pouvoirs diplomatiques – seuls en capacité de faire quelque chose de militairement contraignant – à se mobiliser.
Non, ici on ne glorifie pas le sacrifice de militants. Que l’impuissance nous pousse à trouver du réconfort dans cette bravoure est humain, pour autant c’est collectivement et en protégeant les voix qui portent d’une répression sans vergogne que nous sommes les plus efficaces dans la lutte. Greta et Rima ne devraient pas avoir à être des hameçons humains pour que les idiots utiles de l’époque commencent à se poser des questions. Leur courage nous oblige à ne pas les sacrifier pour avoir bonne conscience.
>> cf Oïkos x Urgence Palestine
Mais commençons par le début : de quel droit Israël arrête et détourne un bateau humanitaire dans des eaux internationales ?
Eh oui, c’est ça la question qui devrait être posée sur toutes les radios.
Arrêter et détourner un bateau c’est de la piraterie. Empêcher l’accès à l’aide humanitaire est un crime contre l’humanité. Détenir en captivité des activistes, c’est une prise d’otages. Exterminer un peuple entier après des années de colonisation, c’est un génocide. Les mots importent, renversons-les : les criminels sont les armées israéliennes et leurs complices. Le silence est non seulement une lâcheté mais un crime. Pour rappel, Netanyahu est sous mandat d’arrêt par la cour pénale internationale.
Israël aurait eu peu intérêt à ce que l’arrestation des activistes et du Madleen ait été violente : d’où les images tranquilles, la distribution de denrées et la coupure des communications ensuite. Mais si les activistes ne sont pas tués, rien ne peut les protéger des geôles et tortures israéliennes, ni de « dérapages » loin des caméras. Nous sommes les porte paroles, non seulement de ces 12 activistes, mais aussi de toutes les voix qu’Israël fait taire. On a la démonstration des méthodes en direct, sous nos yeux.
C’est sûr. Pendant ce temps, le génocide se poursuit, et un enfant est blessé ou tué toutes les 10 minutes à Gaza (source : UNICEF). Mais qu’une élue de la République, membre du Parlement Européen ne passe ne serait-ce qu’une minute en détention sans aucune justification de droit international et en plein crime contre l’humanité, alors qu’on n’a plus de ses nouvelles depuis bientôt 24h et que son bateau a été détourné par une armée qui bafoue le droit international ; cela sans la moindre réaction du Président de la République ou des pouvoirs en place, est un signal d’alarme qui confirme notre lucidité : ce n’est pas de l’impuissance politique, c’est un alignement des gens de pouvoir sur la ligne de la complicité.
Nous n’attendons rien d’eux mais ne cesserons pas de leur demander. Nous assistons à un génocide et nous nous mobilisons pour 12 activistes emprisonnés. Nous sommes sans-voix et nous allons crier. Nous combattons le fascisme des temps modernes, qui s’étend au-delà du visible. Nous n’agirons pas parce que nous savons que nous aurons la victoire, nous faisons simplement ce qui est juste. Nous ne lâcherons pas des yeux ce qui se joue.
Libérez la Palestine, laissez la Freedom Flottilla naviguer.
Notre média est à disposition.
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La rédac
Par les rédactions de Motus & Langue Pendue et Combat
Pour certain·es c’est la fin du monde, pour d’autres la décadence est une fête.
Certain·es y gagnent, beaucoup y perdent, et finalement, peu y pensent vraiment.
Ce qui est sûr, c’est que nous vivons des temps troublés.
On y trouve tout ce que les libéraux et les alliances mortifères de ces dernières années ont déterré de plus misérable dans les poubelles de l’Histoire : des saluts nazis, des lanceur·ses d’alerte inculpé·es pour dénonciation de génocide, des récits tordus, mis en pièce ou décontextualisés, du vide, de la panique morale, de la lâcheté politique.
Nous qui avons grandi dans un monde qui se dérobe sous nos pieds, nous devons donc non seulement affronter la pile de crises qui s’entassent sur nos épaules, mais aussi constater que nos résistances politiques sont gangrenées par le vide de la pensée. Ce qui devrait nous faire sursauter nous laisse pourtant dangereusement apathiques.
Nous, petit collectif de médias et militant·es qui sursautons, voulons donc prendre le temps de rappeler ici :
Nous vous proposons donc un pacte : celui de briser le monopole des récits d’actualité (monopole détenu par des idéologues réactionnaires comme par des humanistes moraux qui se vautrent dans les discours sans les penser) et de maintenir grandes ouvertes les portes du débat public à celles et ceux qui entendent se réveiller et résister intelligemment.
Depuis des lustres, nous marmonnons entre nos dents qu’il faut s’engueuler, être mal-polis, rentrer dans le lard. Mais nous n’avons pas la place de le faire!
Les entre-soi, les caresses dans le sens du poil, les copinages, les ramollissements, nous en empêchent. En ce qui nous concerne, nous pâtissons de nos petites tailles et de nos marginalités. Pourtant, ce sont les marges qui servent à secouer les centres de gravité, et à les empêcher de devenir des poids morts. Or l’année 2025 nous a semblé être un sacré poids mort dans nos trajectoires politiques. Que s’est-il passé ? Est-ce que nous dormons ?
Jour après jour, nous faisons le constat que nous battre devient de plus en plus compliqué, y compris au sein de nos propres milieux et cercles idéologiques. Nous avançons de plus en plus difficilement, sous les airs moqueurs des plus gros médias, des voix qui portent déjà et ne se renouvellent pas, ou de celles qui prônent la positivité à tout crin, la neutralité, l’apolitique – et qui nous désactivent. Nous comprenons la fatigue que peut susciter un débat public virulent et une pensée qui reste critique, mais nous sommes davantage fatigué·es par cette atmosphère de pré-défaite idéologique.
Lutter, sans faire de bruit ni demander de comptes, pour ne pas déranger l’ordre des choses, c’est ce à quoi nous semblons condamnés. Non seulement ce monde nous écrase sous son poids, mais en plus, il exige de nous que nous ne troublions pas sa paix en le mettant en question autrement que superficiellement dans des débats de salons ou sur de petits blogs obscurs que plus personne n’a le temps de parcourir.
Depuis que nos médias précaires existent, nous avons pris la parole en lien avec des organisations militantes diverses, parce qu’au-delà d’une reprise de pouvoir stratégique sur nos destins communs, il nous est à tous insupportable de nous taire. Nous avons donc rejoint le grand et joyeux monde des « médias indépendants », ce terme qui ne veut plus dire grand-chose au fond. Nous écrivons, parlons, débattons, et surtout : nous entretenons savamment un seum qui nous dévore quand il pourrait servir à réveiller cette gauche lasse et molle. Le seum qu’on nous claque la porte au nez, et avec elle la possibilité de jouer notre rôle de trublions
Pour parler de chez nous, le merveilleux monde des indés n’échappe pas aux logiques qui empêchent la pensée. Aux entre-soi qui abrutissent et aux petits manèges de pouvoir et de flatteries qui donnent de l’eau à un moulin qui tourne à vide ou commente l’époque au lieu d’y prendre part. Nous, petits parmi les gros indés, nous avons aussi été témoins d’une machine à broyer la solidarité qui a gangrené notre milieu, reflet des souffrances d’une gauche en proie à l’auto-destruction débile, sous prétexte d’évidences, de complicités faciles ou de faux caractères subversifs. La course à qui sera le plus moral d’entre nous n’a pas abouti à l’efficacité de notre camp politique mais au contraire à son surplace. Nous avons confondu posture et activisme.
Mais, force est de constater que nous sommes encore là : les bras ballants, et les tripes en feu. Un constat nous est donc commun : il faut faire quelque chose de ça tant que faire se peut.
Les médias Motus & Langue Pendue et Combat sont les premiers seumards d’un collectif qui a vocation à s’élargir d’autres aigris.
Chacun de notre côté, avec nos spécificités et nos outils, nous avons construit des collectifs à échelle humaine, sans appui financiers ni sociaux, sans célèbre tête d’affiche, sans réseaux, sans diplômes et sans salaires. Nous l’avons fait pour nourrir l’époque de questionnements, car nous sommes convaincus qu’apporter des réponses nous dessert plus que de continuer à poser les questions. Nous l’avons fait pour continuer à abreuver le monde de propositions véritablement indépendantes, pour relayer des paroles dont la carrière, la réputation ou le réseautage ne conditionnent pas le contenu, qui ne sont pas influencées par qui sont nos amis ou quel coup d’éclat verbal nous planifions sur Twitter.
Cela fait de nous des rebelles, des vilains petits canards, des cancres, des impubliables, des inaudibles. Inaudibles car nous avons constaté que les « médias indépendants » ne le sont pas tant que ça, que les militant·es stars le sont sur des questions que d’autres ont défrichées pour elles et eux et au-delà desquelles ils s’aventurent rarement.
Que l’on s’entende bien : de tels médias et cercles politiques (plus visibles, lisses, consensuels) sont probablement, sur le fond, nos ami·es et nos allié·es, et il nous en faut pour murmurer à l’oreille du grand public. Mais pour nous assurer qu’ils le soient, ami·es et allié·es, il est de notre responsabilité de leur rappeler que la forme et la matérialité de notre contre-pouvoir compte aussi. N’est pas subversif qui veut, hélas. Il est de notre responsabilité, en d’autres termes, de les chahuter, et de s’imposer à la table bien fermée des discussions pour éviter qu’ils s’endorment.
Cela étant dit, parce que nous ne faisons pas les choses dans les règles de l’art avec la posture qui va avec (celle du sérail) et la réput’ qui grossit nos egos, nous avons été confrontés à des fin de non-recevoir, des portes closes, de la cooptation, des renvois d’ascenseur et des opportunités bien confidentielles desquelles nous étions soigneusement écartés. Nous avons constaté que nous étions dans l’incapacité de déranger ce monopole tranquille de la gauche parisienne et bourgeoise qui ne remarque plus que le soleil ne se lève et ne se couche pas dans son trou du cul.
Ce manifeste a donc pour but d’acter la naissance d’un collectif de seumard·es.
Aigri·es, pros du système D, farouchement asociaux face à ce monde de petits pouvoirs cooptés, nous décidons de créer un réseau d’entraide, de chahutage et de partage de bons plans, pour que les paroles sincèrement indépendantes puissent se doter des moyens de survie que personne ne veut leur accorder.
Au-delà de grands discours sur l’état de l’art dans la presse, nous nous engageons à :
Nos positions et nos alliances feront de nous des trouble-fête, des fauteurs de trouble. Des chouineur·es jamais contents ou hystériques.
Alors nous voudrions poser ici cela : nous acceptons de l’être. Pire : nous défendons les trouble-fête, des enquiquineurs aux révolutionnaires. Nous pensons qu’à l’heure où l’espace de discussion médiatique et politique, l’espace de tolérance et de remise en question, tous se rétrécissent, certains doivent endosser ce rôle et nous le pouvons puisque nous ne profitons de rien et jouissons d’une liberté sans commune mesure – dont nous payons le prix, celui de la précarité et de la marginalisation. Nous devons tirer profit de cette marginalisation : laissez-nous vous déranger, c’est nécessaire.
Nous, nous acceptons de jouer ce rôle. Celui de poser les questions qui fâchent, de mettre les pieds dans le plat, et de continuer d’affirmer que quelque chose d’autre, est non seulement possible, mais également désirable. Et que cette « autre chose » existe déjà, de manière inconfortable, dans les interstices de liberté que nous tentons de protéger des assauts de manière très inconfortable.
Nous appelons à une solidarité entre nous, celles et ceux qui osent braver les ordres établis, parce qu’avoir ce courage-là n’est pas toujours facile. Nous encaissons des coups et des doutes, nous sommes parfois pointés du doigt, régulièrement invisibilisés, souvent violemment attaqués et rarement défendus. Nos problématiques sont silencieuses et étouffées.
La force du collectif sert à ne pas renoncer, jamais.
Nous devons apprendre à composer avec un espace politique et médiatique qui n’est pas un consensus, un jeu calme et indolore.
Parce que c’est en refusant que nos vies soient tracées d’avance que nous l’investissons, l’espace politique doit impliquer une part de conflit et des remises en question constantes.
La politique se façonne par les rapports de force, parce que nous n’avons pas toustes la mainmise sur nos réalités, ni les mêmes intérêts. Nous assumons de jouer notre partition, et nous voulons aujourd’hui nous donner les moyens que nos fausses notes parviennent aux oreilles des chefs d’orchestre qui perdent leur virtuosité dans le confort des répétitions classiques.
Peut-être faut-il que nous soyons ensemble pour trouver le courage quotidien de refuser en bloc ce statu quo qui détruit tant et nous isole les uns des autres pour se perpétuer, en mettant au ban les trouble-fête.
Il est temps de renverser les perspectives. Si vous êtes calmes alors que tout se dérobe, vous faites peut-être bien partie du problème. Charge à nous de re-paramétrer les récits, avec tout le courage possible et malgré tout ce que cela nous coûte. De créer des passerelles entre les a priori et les réalités situées, variées, et diverses qui nous poussent à nous engager dans la recomposition du monde.
Il est temps que ce récit-là prenne la place : c’est le calme qui nous menace, pas le changement. À l’échelle de l’écosystème médiatique dit « indépendant », et des sphères militantes qui le nourrissent, nous nous engageons à continuer de nous enrager, et de vous réveiller.
Qui ne nous aime pas nous suive! et grand bien nous en fasse.
La suite bientôt.
CONTACT : combat.lemedia@gmail.com / motusetlanguependue@gmail.com
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La rédac
Par Laura Wolkowicz
“Un black-out historique”. C’est ainsi que les médias français titrent au lendemain d’une panne de courant géante en Espagne, au Portugal, et en France, le lundi 28 avril 2025. Laura y était, et pour elle, tout ne s’est pas éteint, mais rallumé. Le temps de quelques heures, le rappel fugace qu’on peut lever la tête de son ordi et regarder l’alternative – la vie.
C’était un lundi comme un autre, j’étais attelée à la table du salon, travaillant sur la présentation que je devais finaliser pour le soir-même. Comme un lundi, j’étais dans un entre-deux, la tête encore dans le week-end et le flux sanguin bien activé par le stress du retour au travail. Il était 12h30 quand ma connexion a cessé de fonctionner, quand mon clavier arrêta d’écrire. Imperturbable, je me suis mise en quête d’un café pour récupérer une connexion et continuer ma journée comme prévu. Mais une fois sortie dans la rue, je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. Ce n’était pas juste mon immeuble, ce n’était pas juste mon quartier, ce n’était pas juste Madrid, ce n’était pas juste l’Espagne, c’était toute la péninsule, la France, l’Italie, la Suisse… Tout le monde y allait de son info, de sa supposition, proclamant une cyberattaque, la troisième guerre mondiale ou je ne sais quelle autre théorie complotiste.
On était comme des hamsters déboussolés à qui on aurait soudainement enlevé leur roue. Toustes bien engagé·es dans notre course routinière, à répéter en boucle la chorégraphie que l’on connaissait par cœur : Travailler, manger, se connecter, s’informer, consommer, sortir, dormir. Un pas de côté et nous étions perdus.
Un lundi, sans nos outils, nous n’étions plus rien : de simples opérateurs sans rien à opérer. Si ça avait été un samedi ou un dimanche, l’histoire aurait été différente. Mais non c’était un lundi et les lundis, c’est raviolis ! Non, les lundis sont productifs, les lundis sont initiatifs, pas passifs.
En relisant ces lignes je me dis, et vous devez sûrement vous dire aussi : elle parle d’une coupure de courant de 12h comme si c’était la fin du monde – les Gazaouis vivent bien pire depuis plus de deux mois ! Mais sur le moment, c’est comme ça que je l’ai vécu. Autant vous dire que si une troisième guerre mondiale venait à exploser, mes chances de survie sont moindres !
Et à côté de ça, les espagnols, aussi flegmatiques qu’à leur habitude y ont juste vu une opportunité supplémentaire pour discuter avec leurs voisin·es et ami·es, se poser en terrasse et boire des coups. Je n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si c’était en France : Une manifestation contre l’inefficacité du système électrique se serait montée ? Les êtres malveillants en auraient profité pour piller les commerces ? Tout le monde aurait été en panique ?
Bah oui, ce n’est pas parce que l’électricité saute que la vie s’arrête. Finis les téléphones, finis les réseaux, fini l’argent dématérialisé, finis tous les travaux informatisés et électrisés… On ne peut plus travailler, on ne peut plus produire, on ne peut plus consommer. J’ai rêvé ou ce serait finalement juste la fin du capitalisme ?
Alors que nous reste-t-il ? Nos mains pour faire, nos têtes pour penser, nos lèvres pour communiquer, nos cœurs pour aimer, nos jambes pour nous déplacer, nos pieds pour nous porter… Bref vous avez compris l’idée. Et comme dit Charlotte dans son édito du 1e Mai, je dirais qu’on n’a plus qu’à vivre. Vraiment. Pas dans un simulacre de vie. Mais la vie, la vraie.
Parce que passer huit heures derrière un ordinateur, envoyer mails sur mails, coups de fils sur coups de fils, remplir des tableurs, créer des jolis powerpoint, passer ses journées dans l’air ambiant d’un call center ou d’un open space, rester assis jusqu’à s’en courber le dos, opérer des machines dans des usines, satisfaire toutes les demandes des clients, se tuer à la tâche pour alimenter la machine infernale, ce n’est pas vivre, c’est survivre.
C’est dans le noir de cet « Apagón » qu’une lueur m’est apparue. Alors que le monde s’éteignait, je me suis rallumée. Reboot. Reset. Libérée des chaînes de la pression monétaire qui me tiennent en carotte dans ma roue : « Sans argent, je suis rien. Sans travail, il n’y a pas d’argent. CQFD, je suis travail. » Je sens le vent souffler dans mes cheveux, je me gonfle de légèreté, d’espoir, je me sens voler comme un être libre, libre d’aller où le vent me porte, libre de décider où le vent me portera.
Puis la lumière est revenue. Reboot. Reset. Noir salle. On reprend place dans nos roues et c’est reparti pour un tour. La tête dans le guidon, on suit le chemin tracé comme si rien ne s’était passé, comme au lendemain du confinement. Un espoir a plané dans l’air le temps d’un instant, très vite étouffé par le ronronnement de la machine infernale qui redémarre.
Mais moi je reste plongée dans le noir éclairée à la lueur de ma bougie. Je ne veux pas y retourner. Je ne peux pas oublier. Comme une envie d’acheter How to blow up a Pipeline et d’aller débrancher le réseau électrique national à nouveau pour qu’on se réveille toustes.
Ce lundi-là reste gravé en moi comme la cicatrice d’Harry Potter, un rappel qu’il existe une alternative. À nous de la trouver. À nous de l’inventer avec notre tête, de la façonner avec nos mains et de la partager avec nos lèvres. Vous me suivez ?
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La rédac
Par Charlotte Giorgi et Marius Uhl
Pierre Alessandri, c’était le nom de ce paysan engagé, militant depuis des années en Corse pour une agriculture paysanne et contre les pratiques mafieuses fortement liées à l’accaparement des terres. Cette semaine, on vous raconte son histoire, et on se demande pourquoi quasi personne dans le paysage politico-médiatique ne parle de cet homme, tué chez lui de trois balles dans le dos.
L’article [vidéo] Assassinat paysan : quand les dérives mafieuses de l’agroindustrie coûtent la vie est apparu en premier sur Motus & Langue Pendue.
La rédac
Par Alyss Haller
Vraiment, encore besoin d’introduire la chronique de notre chère Alyss, Des Interstices ? Alors, en deux mots : elle parle chaque mois de tout et de rien, mais surtout de ce qu’il y a entre les deux, dans les interstices. Et croyez-le ou non, aujourd’hui elle nous invite à patauger pour la journée mondiale de l’eau.
Peut-être as-tu remarqué, le mois dernier, l’absence de ta chronique préférée sur ton web média favori (si ce n’est pas le cas, fais au moins semblant, par politesse). Peut-être t’es-tu perdu.e en conjectures plus fantaisistes les unes que les autres pour tenter d’expliquer cette triste nouvelle, que dis-je, cet irréparable préjudice (comment ça, j’en fais trop ?). Eh bien figure-toi qu’écrire sur les interstices me donne une excellente excuse : quand on cherche à rester agile, à fuir les cases et à éviter l’encroûtement, s’astreindre à produire un épisode par mois coûte que coûte, ça a quelque chose d’un peu dissonant, non ? Je revendique donc la liberté de l’irrégularité, l’authenticité qu’elle permet, le droit de ne pas écrire quand je n’ai rien d’intéressant à dire ou que ce n’est pas le bon moment.
La fluidité : c’est justement ça, dont il va être question ici, puisque c’est de l’eau que j’avais envie de vous parler. Et pour faire bonne mesure avec mon entorse au calendrier éditorial, je serai du moins raccord avec le calendrier de l’ONU (si ça, c’est pas un argument imparable…). Il se trouve en effet que le 22 mars est la journée mondiale de l’eau, et on est bien content.es que quelqu’un y ait pensé, comme pour la journée de la femme – heureusement rebaptisée journée du droit des femmes : ça change tout – la journée de la pastèque1 ou celle du naturisme (à ne pas confondre avec la journée mondiale du jardinage nu, qui tombe le premier samedi de mai : le naturisme, lui, se partage le 4 juin avec les enfants victimes innocentes de l’agression, et… les sentiers – si si)2.
Mais ne nous égarons pas.
L’eau, donc.
Personnellement, c’est l’élément que je trouve le plus fascinant. Pas seulement parce que Bachelard lui a consacré un essai3, mais surtout parce qu’elle existe sous des formes si différentes : des paillettes de givre à la vapeur, en passant par la glace, le flocon, la goutte ou l’océan, et tous les états intermédiaires entre le liquide, le solide et le gazeux. L’eau a la capacité de prendre mille visages, sans jamais perdre sa nature. Elle se fraie des chemins presque n’importe où, et bien sûr, s’infiltre aisément dans les interstices. L’eau déborde, ruisselle et irrigue, l’eau polit les rochers les plus ancrés dans leur fixité4.
Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu la chance d’habiter à proximité de cours d’eau : canal, rivière, fleuve ; je le réalise en l’écrivant, l’eau a toujours fait partie de mon paysage. Au ruisseau asséché les trois quarts de l’année longeant le jardin de mon enfance, où je sautais à pieds joints avec mes bottes en caoutchouc dès que les fortes pluies le faisaient renaître, ont succédé la Saône, dont les bras encerclaient mon « île », comme j’aimais l’appeler, puis le Saint-Laurent qui borde Québec (et lui a donné son nom : littéralement, « là où le fleuve est le plus étroit »).
Un jour pas si lointain, tandis que je marchais au bord de l’eau, j’ai eu comme une révélation. Et c’est de ça que je voulais parler aujourd’hui. Ce jour-là, les yeux fixés sur la rivière sans vraiment y penser, j’ai tout à coup interrompu mes pas. Quelque chose clochait : il me semblait que l’eau ne coulait pas dans le sens où elle aurait dû, du nord vers le sud. Au lieu de ça, elle paraissait remonter à contre-courant. En observant plus attentivement, j’ai remarqué qu’en réalité, à l’intérieur du courant principal qui suivait bel et bien, inexorablement, la direction nord-sud, existaient ça et là plusieurs micro-courants, créés certainement par des irrégularités du terrain ou des obstacles temporaires, qui suivaient leur propre sens, leur propre rythme et leur propre mouvement, tout en faisant partie du même cours d’eau.
L’eau venait de répondre à l’un des dilemmes existentiels qui me taraudait depuis que j’avais l’âge de savoir que la kétamine n’a rien à voir avec les fleurs, ni les confitures : comment je fais, si je ne veux pas de cette vie absurde et standardisée qu’on me vend et à laquelle on me destine, mais que je ne veux pas non plus me condamner à la marginalité ? Comment rester moi-même, respecter mes besoins et mes valeurs, sans pour autant renoncer à faire partie du groupe social ?
J’avais la réponse sous les yeux depuis toujours : des micro-courants indépendants dans le courant principal (mainstream, like they say).
Épilogue
J’avais prévu d’ajouter au moins deux bons paragraphes à cet épisode. En fait, j’y réfléchis activement depuis deux jours (parce que même si je te parle comme si on était déjà le 22 mars, là tout de suite on est encore le 21, et ça fait presque une semaine que j’ai entamé la rédaction de ce texte), et j’ai bien passé trois heures entre hier et aujourd’hui, assise devant mes notes, à rédiger des bouts de phrases, les rayer, les récrire pour les effacer de nouveau. Mais rien à faire : la fatigue, le cerveau qui pédale dans la semoule en réclamant des vacances… bref, tu sais, ces moments où plus on s’acharne, moins on y arrive, et plus on s’épuise et on s’énerve en se trouvant nul·le et on réduit encore nos chances d’y arriver. Et puis, je me suis arrêtée deux secondes – comme je m’étais jadis arrêtée au bord de la rivière. Et j’ai rigolé : j’étais en train d’essayer de nager contre le courant, tout en restant dedans. Alors qu’une fois que j’ai arrêté et accepté de laisser couler, il m’a suffit de me décaler légèrement pour repérer un micro-courant – et voir que la solution se trouvait juste sous mes yeux.
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1. Le 3 août.
2. Si tu n’as rien de mieux à faire, je te suggère d’aller faire un tour sur http://journee-mondiale.com, c’est édifiant : tu y apprendras par exemple que le 2 mai 2025 sera la journée mondiale de l’asthme, mais aussi du thon ; ou encore que le 26 avril sera dédié aux chiens guides pour personnes malvoyantes et à la visibilité lesbienne (je te laisse apprécier l’à-propos).
3. L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière (1942).
4. Projette ici mentalement l’image de la personne de ton choix.
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La rédac
Par Marius Uhl et Charlotte Giorgi
Le mois dernier, C8 a arrêté de diffuser sur la TNT, suite à la décision de l’Arcom de ne pas renouveler son contrat. Rip comme on dit. Si nos yeux à nous sont plutôt secs, on se demande si c’est vraiment à cause du manque de pluralisme sur la chaîne qu’elle a été arrêtée, comme l’affirme l’Arcom. Parce que si c’est bien le cas, on aurait quelques autres noms en tête. Bref, la question de l’épisode : l’Arcom a-t-elle peur de l’extrême droite ou des nouilles dans le slip des chroniqueurs de C8…? On en discute en vidéo
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MotusRania
Par Rose
Il y a ceux qui parlent fort (voire qui gueulent), qui prennent de la place (voire nous marchent dessus), qui font des saluts nazis (et n’en ont pas honte). Et puis il y a celles et ceux qui doutent, qui tournent leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler, qui écoutent et qui jaugent, et qui, parfois, se lancent, parce qu’il le faut… Rose nous raconte son saut, et sa joie d’être celle qui doute.
Pour qui je me prends ?
C’est une question que je me surprends à me poser à moi-même régulièrement. Dans des situations tout à fait variées. Quand j’ai des plans très précis pour soutenir le deuil amoureux d’un proche, quand j’explique pourquoi le revenu universel minimum sauverait l’humanité, quand je regarde avec un peu de condescendance deux hommes qui parlent de meufs dans le métro. Quand j’écris des billets. Mais surtout, surtout, c’est une question que je me pose depuis que j’ai décidé de me lancer à mon compte.
Ces deux dernières années ont été marquées par la fin de mon salariat. C’est-à-dire que j’ai enfin eu le temps de faire autre chose que de produire de la richesse pour un tiers. Sauf que ça impliquait d’en produire directement pour moi. Et le monde entier s’en est retrouvé teinté.
Pour qui je me prends à prétendre pouvoir être utile à quelqu’un d’autre ?
Quand j’étais étudiante, la question ne se posait pas. J’étudiais. Elle ne s’est pas plus posée quand j’étais salariée. Bizarrement. Je donnais de mon temps, dans un cadre défini, en échange d’un salaire. C’était un contrat. J’étais sérieuse, impliquée. Je prenais des risques, j’avais des idées, je me payais même le luxe de le prendre mal quand on les remettait en cause. Aujourd’hui je n’ai plus besoin de personne. C’est moi toute seule qui les remets en cause, mes idées.
Pour qui je me prends ?
J’ai commencé à lire mes livres autrement, à écouter les podcasts différemment, à entendre la parole des autres d’une nouvelle manière. Je me demandais d’où venait l’expertise ? Pourquoi je leur faisais confiance à tous ? Comment ils faisaient pour sembler si légitimes ? Comment les mots et les idées coulaient si facilement ? Si ça leur coûtait de prendre position ? S’ils avaient eux-mêmes confiance en leur avis ?
Les autres me fascinent. Leurs gestes. La manière dont ils posent leur voix. Tous les angles morts qu’ils éclairent. L’assurance. Les épaules. La tête haute.
Je parcours le monde persuadée de ne rien savoir et d’avoir tout à apprendre. Constamment. Je suis hyper à l’aise avec l’idée qu’un jour, un.e inconnu.e vienne, et m’annonce que je me suis trompée. Tout ce temps. Je lui répondrais alors « ah bon ? c’était donc ça ? ». Parce que c’est là le niveau de confiance que j’accorde à ma légitimité. De quoi je suis faite au fond et pourquoi je pense ce que je pense ?
Pour qui je me prends ?
Je fais partie de ces personnes qui ont des facilités. On me disait ça enfant. Que j’avais des facilités. J’apprenais vite, je comprenais vite, j’étais à peu près bonne en tout. Rien n’était insurmontable. Il est passé où le moi enfant à la confiance absolue ? Pourquoi l’adulte doute à la place ? J’aurais pensé l’inverse.
Mais non.
Bien entendu que non.
Le monde s’est considérablement élargi depuis mon moi enfant, il m’a montré des chemins sinueux dans des environnements inconnus, il a éclairé des paradis, il a brûlé des rêves et massacré des dogmes, il a imprimé dans ma chair et dans ma tête que tout bouge, constamment, et qu’il est impossible de rester immobile sur une terre qui tourne. Et ma légitimité s’est mise à tourner elle aussi. Ma confiance en moi s’est pris des séismes. J’ai soudain compris que je pouvais rater, me tromper, n’être pas toujours la bonne personne, pas toujours du bon côté, pas toujours au bon moment.
Pour qui je me prends ? Quand il y a tant que je ne sais pas ? Quand je n’ai vécu que ma vie ? Quand je ne parle que pour moi ? Et pourquoi on m’écouterait ?
Et pourquoi on écoute quiconque ? En réalité, le monde s’est élargi grâce à tous les gens qu’il a mis sur ma route, et qui ont osé raconter. Les autres, cette altérité-là, a rendu mon paysage bien plus immense. Si immense que j’ai pris conscience de la place infime que j’y occupais. Avec tous les autres. Et leurs idées, leurs épaules, et mes angles morts. À nous tous, on fait le monde. À nous tous on le foire, on le façonne, on essaye de faire mieux. À nous tous on apprend. Chaque parole nourrit la prochaine. Un doute après l’autre.
La question, finalement, est-ce que ce ne serait pas : pour qui je me prends, à croire que je devrais me prendre pour quelqu’un, pour être quelqu’un ?
Si on doute, c’est probablement qu’on sait nos limites et nos œillères, qu’on sait que la vérité est multiple, que les vies sont denses, et qu’il est impossible d’avoir raison.
Nos modèles de confiance absolue sont nombreux dernièrement. Ils sont à la tête de la première puissance mondiale, ils défendent leur ami violeur en commission parlementaire ou à la télé, ils appellent à la guerre et rêvent d’en être les héros. Ce sont des brutes. Des hommes au cœur sec et à la langue vociférante. Ils s’invitent chez nous tous les jours pour nous hurler leurs plaies. Ils crient à la haine du talent. À la haine du génie. Ils se proclament immenses. Ils ont oublié qu’ils étaient tout petits. Aussi petits que le reste d’entre nous. Et que nous sommes des milliards à faire le monde. Et que nous savons nous, que nous sommes petits parce qu’il y a encore tant de choses à apprendre. Et que c’est des uns et des autres, que nous apprenons. Et que c’est seulement ensemble que nous sommes immenses.
Nos doutes serviraient-ils alors à faire tourner le monde ?
Et dans ce cas, n’est-ce pas eux qui ont oublié, depuis longtemps, de se poser la question : pour qui je me prends ?
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La rédac
Par Charlotte Giorgi et Marius Uhl
Depuis que son nouveau maître s’amuse à balancer des saluts n@zis à la foule, les discussions autour d’un départ de masse de la plateforme X se multiplient. Le choix paraît simple : on se lève et on se casse, non?
Eh bien justement, on a décidé de creuser un peu plus loin que ça, en mémoire du Twitter d’antan et en prévision d’un Internet en proie à la tourmente d’extrême-droite.
On en débat dans l’épisode de la semaine sur Vacarme des Jours, notre émission hebdo
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La rédac
Par Rose
Rose parle pour nous toustes sur ce média, nous qui nous recroquevillons devant des saluts nazis qui se multiplient et des absurdités qui toutes ensemble, jour après jour, semblent tisser notre réalité. Rose parle pour nous et parle bien, elle dit comment se foutre un coup de pied au cul, et aller souffler sur les braises tant qu’elles sont encore chaudes. Rose rappelle aussi qu’en fait, on n’a pas le choix. Que c’est les braises, ou bien les cendres.
Récemment, j’étais à un dîner. Récemment, à ce dîner, on m’a dit que la gauche aimait se donner des frissons en parlant de la montée du fascisme. Que tout allait bien. Récemment, j’ai constaté l’ampleur du déni. Et j’ai compris que beaucoup de privilégiés ne vivaient pas du tout ces dernières années comme je les vivais moi. Écrasée, abasourdie, révoltée, triste, furieuse. Et que ces dernières semaines venaient y ajouter un dernier adjectif : sidérée.
J’ai l’impression que le monde a basculé en quelques jours. Je me suis endormie dans une ère où faire un salut nazi était communément et universellement inexcusable, et je me suis réveillée sur une terre où le premier ministre israélien n’y voit aucun problème. Je navigue dans un monde miroir où l’immonde est excusé, la morale montrée du doigt, l’empathie bannie. Ici : non c’est oui, dire c’est faire, mentir c’est politique. La parole est exponentielle dans son abattage des barricades qui s’étaient graduellement élevées contre l’horreur, la haine et le glacial. Le champ médiatique est inondé. De cynisme, de revers, d’inconséquence aux conséquences si lourdes.
La bête se réveille. Elle était seulement endormie.
Ce n’est pas du frisson. C’est la stratégie militaire « du choc et de l’effroi ». Faire preuve, très rapidement, d’une force écrasante pour asseoir, tout aussi rapidement, sa domination. En multipliant l’horreur et en gavant l’espace public de ses rejetons, nos capacités cognitives sont saturées. Impossible de penser, d’agir, de penser à agir.
Le premier réflexe est celui du repli : sur soi, sur les choses qu’on aime, ceux dont les visages sont maison. J’ai abandonné mes podcast politiques, j’ai laissé de côté google actu et Instagram. J’ai fui. Il fallait que je goûte la vie à nouveau. La mienne. Celle sur laquelle j’ai le contrôle. Il fallait que je sente mon cœur battre. Je devais m’envahir de concret, de simple, de proche. « Un petit abandon », j’ai pensé. Mais avais-je raison ?
Le deuxième réflexe est celui du fatalisme. David contre Goliath. Et qu’est-ce qu’on va faire ? Est-ce qu’on n’est pas déjà tous fatigués, las, à bout ? Qui a le temps de vivre ? C’était quand la dernière fois qu’on a été paresseux ? C’était quand le dernier jour de rien ? Qui souffle ? Mon apnée est permanente. Je compte mes sous, je compte les morts, je compte les dixièmes de degrés en plus chaque année.
Je n’ai jamais aimé compter.
Le choc et l’effroi est une stratégie gagnante. Le capitalisme nous a déjà tous désarmés, de nos passions, de nos rêves, de notre temps. Il suffit de nous cueillir. Chacun de nous aspire à souffler.
Mais peut-être que nous nous trompons de souffle. Peut-être que nos respirations ne sont pas des abandons. Peut-être que c’est le début de la résistance. De s’accrocher aux rires, au droit à l’oubli, à l’insouciance de quelques heures.
Si je souffle, alors que ce soit sur les braises de nos espoirs. Parce que le désespoir est un luxe. L’apathie est le privilège des riches et de ceux qui n’ont rien à craindre. Le fatalisme est l’œuvre des sans-âme.
L’espoir est acte de résistance, parce que nous n’avons pas le choix. Et moi, je fais justement partie de ceux qui ont trop le luxe de la complainte. Si mes journées sont remplies de tâches et d’effroi, elles ne sont pas dédiées à ma seule survie. Il me reste de l’espace pour lutter, parce que j’ai un toit, des choses à manger, de quoi me vêtir et des gens à aimer. Si tous ceux qui ne meurent pas de faim, de froid et de solitude perdent espoir, que nous restera-t-il ?
L’espoir est résistance parce qu’il ne se dicte pas. Malgré ce que ce billet pourrait laisser penser. L’espoir est intime, il s’invite dans les cœurs et chante à tue-tête. L’espoir bouge les corps quand le fatalisme tente de les emmurer.
Il faut qu’on se rappelle.
Des pissenlits poussent entre les dalles béton. On retombe toujours amoureux. Nos souvenirs ont le goût du bonheur.
Ce n’est pas dans le déni, ni dans la certitude que tout ira bien, que mon espoir prend racines. Il prospère dans l’action : j’écris, je lis, j’apprends, je contrargumente, je bénévole pour le collectif, je lobby pour des assos, je paye la presse indépendante, j’ensauvage mon jardin, je regarde dans les yeux, je dis non, j’essaime. Mon espoir n’est pas vain s’il est au service de tout le reste du vivant. Je n’espère pas pour moi, j’espère pour le monde. Et je refuse de jouer leur jeu, celui qui voudrait me rendre passive, petite et isolée. Celui qui me dicte que je suis éco-anxieuse ou hypersensible, le même qui dictait à mes aïeules qu’elles étaient hystériques ou fragiles. Celui qui veut nous faire croire qu’aucun autre monde n’est possible, que les utopies sont condamnées. Celui qui nous culpabilise dès qu’on tente de respirer.
Je ne suis pas anxieuse. Je ne suis pas hyper sensible.
Je sens.
Je suis colère, je suis furieuse.
J’étouffe.
Je suis révoltée.
Parce que je sais que nos utopies sont viables, que le capitalisme est mortel, que l’air est d’or et que les hommes ne font que passer.
Il est temps que nos postures ne soient plus celles de la défensive et de la réaction, que notre calendrier ne soit plus dicté par le leur, et que mon souffle ne dépende pas de leur toute-puissance. L’offensive c’est nos braises. Nous avons tellement d’autres histoires à raconter que celles de leurs torpeurs.
Mon espoir contre leur fatalisme.
Mon imaginaire contre leur colonisation.
Nos respirations et nos utopies contre leur choc et leur effroi.
Soufflons sur les braises.
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