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18.12.2025 à 15:50

Les calendriers de l’Avent pour les animaux de compagnie, un signe d’attachement de leur propriétaire

Aurore Ingarao, Maitre de conférences en Marketing , Université d’Orléans

Les calendriers de l’Avent sont devenus un classique de Noël. Ils existent désormais aussi pour les animaux de compagnie. Décryptage d’un phénomène qui prend de l’ampleur.
Texte intégral (1555 mots)

Même les animaux de compagnie ont désormais le droit à des calendriers de l’Avent. Rien d’étonnant alors que les « pets » occupent une place de plus en plus grande dans la vie des personnes. Il était fatal que le monde des affaires et du marketing s’intéressât à ce marché prometteur.


La période des fêtes de fin d’année est l’occasion pour les marques de s’enrichir, en raison des nombreux rendez-vous qui sont autant d’occasions de cadeaux qui sont aussi des achats payés en monnaie sonnante et trébuchante. Entre les fêtes et les secret santa, la tradition du calendrier de l’Avent est devenue importante, créant un attachement symbolique et émotionnel avec les consommateurs. Les calendriers de l’Avent représentent ainsi un marché particulièrement porteur avec plus de 35 millions de vente chaque année en France.

Si l’origine du calendrier de l’Avent est religieux, il a évolué vers une véritable machine marketing. Depuis quelques années, nous assistons à une diversité des calendriers proposés, traduisant l’ouverture croissante de cette pratique, autrefois réservée aux enfants et désormais plébiscitée aussi par les adultes. Décriés par certains car les traditions collectives seraient de cette façon mises au service du consumérisme, voire du capitalisme, les calendriers de l’Avent n’en finissent pas pour autant de séduire. Illustrant le succès des calendriers, certains sites se spécialisent et le site calendrierdelavent.com s’affiche comme le site de référence dédié. Ce sont plus de 30 catégories et 450 calendriers différents qui y sont alors proposés. Sur ce site, par exemple, une catégorie connaît un succès particulier : les calendriers destinés aux animaux de compagnie (pets en anglais et dans la langue du marketing).

Si, en 2025, le calendrier de l’Avent pour animaux « tendance » se veut éco-responsable, fabriqué à partir de matériaux recyclés, avec des friandises naturelles ou des jouets issus de l’artisanat local, le site calendrierdelavent.com propose une catégorie pour animaux : 10 pour les chats, 20 pour les chiens et… deux pour les rongeurs, avec des prix variants de 5,99€ à 59,99€.

75 millions de clients en France

Ce marché trouve toute sa place en France qui compte parmi les pays européens ayant le plus d’animaux de compagnie. On dénombre, en effet, 75 millions d’animaux domestiques détenus par 61 % de Français, soit un marché de pas moins de 6,6 milliards d’euros.


À lire aussi : Derrière chaque petite porte : les secrets du succès des calendriers de l’avent


Les chiffres du marché témoignent de l’évolution du statut de l’animal de compagnie, qui a fortement évolué depuis le 18 février 2015. La loi n°2015-177 (Code civil, art. 515-14) stipule que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

Un membre de la famille

L’animal de compagnie est ainsi un véritable membre de la famille, comme le clame le slogan de Santévet, une assurance pour animaux : « Votre animal fait partie de votre famille : assurez sa santé ».

L’attachement aux animaux de compagnie se révèle être un levier efficace pour le succès des entreprises. Étudié par les chercheurs, notamment via le budget consacré à l’alimentation des animaux de compagnie, le concept d’attachement trouve ses origines dans la psychologie sociale, à partir des travaux sur les relations interpersonnelles.

Pour Géraldine Michel, professeure à l’IAE de Paris-Sorbonne, le calendrier de l’Avent est un « produit qui ne connaît pas les crises parce que c’est un objet symbolique qui a une dimension sociale, régressive et d’attachement. Aussi bien pour les enfants que pour les parents_ ». Et quand l’animal de compagnie est un véritable membre de la famille, impossible de le priver de cette symbolique de l’attachement et la théorie du même nom qui se basent sur plusieurs critères principaux, tels que la recherche de proximité ou encore le sentiment de sécurité. Les relations homme-animal de compagnie se construisent ainsi selon ces critères dans leurs relations d’attachement. La théorie du même nom se base sur plusieurs critères principaux, tels que la recherche de proximité ou encore le sentiment de sécurité. Les relations homme-animal de compagnie se construisent ainsi selon ces critères dans leurs relations d’attachement.

Un calendrier personnalisé

Les calendriers à destination des pets sont divers : du format très classique offrant des friandises ou des jouets, aux conseils ou activités à partager, des formules proposent même de créer son propre calendrier ou de le personnaliser avec le prénom de son animal.

Ces calendriers permettent de générer un rituel et accentuent l’inclusion de l’animal dans la vie familiale, de même qu’un enfant attend d’ouvrir la petite fenêtre magique chaque soir. Le rituel vient alors s’inscrire comme une activité familiale.

Un moment privilégié

Du point de vue du discours, les entreprises jouent la carte de la séduction : « Partagez chaque jour du mois de décembre une parenthèse de bonheur avec votre fidèle compagnon, grâce à notre sélection de calendriers de l’Avent animaux ». Il s’agit de stimuler « la curiosité et la gourmandise », instaurer « un moment de complicité unique » et valoriser « votre animal aux yeux de toute la famille ».

Le discours intègre l’animal à la vie de famille. On s’adresse aux « amoureux des animaux » à qui l’on propose de « partager la féérie de Noël » en « instaurant une tradition festive qui ravit toute la famille ». Tous ces arguments proviennent de sites Internet proposant des calendriers de l’Avent pour les animaux.

France24 2025.

Les marques misent sur « le plaisir, la santé et la sécurité », car les calendriers de l’Avent sont proposés par les meilleures marques qui répondent aux propriétaires soucieux de la composition des produits pour « leur offrir une expérience sensorielle originale ». Le discours est orienté vers le bien-être mais également le plaisir des animaux. Et pour rassurer leur propriétaire, ce sont des produits éco-responsables, en circuits courts ou présentés en éditions limitées. Les mots ne sont pas anodins et font écho au discours des marques alimentaires pour enfants, dont les industriels cherchent à rassurer les parents quant à leur qualité.

Un jeu de questions réponses

Et pour finir de convaincre les propriétaires hésitants, certains adoptent une approche pédagogique avec un jeu de questions/réponses : « Qu’est-ce qu’un calendrier de l’Avent animaux et pourquoi en offrir un ? », « Comment choisir un calendrier de l’Avent animal adapté à son compagnon ? », ou encore « Quels sont les bienfaits d’un calendrier de l’Avent animaux au quotidien ? »…

Si les calendriers de l’Avent ne cessent de monter en gamme, nous pouvons imaginer ce que pourront être les prochaines éditions ? Pourquoi pas des accessoires tels que des colliers ou manteaux qui répondraient aux critères de l’originalité ? Des produits inédits de la part des marques de luxe, comme les colliers Louis Vuitton ou les hoodies Prada pour répondre aux attentes de luxe des propriétaires de nos amis à quattre pattes ?

The Conversation

Aurore Ingarao ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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18.12.2025 à 15:42

En Polynésie, on croise savoirs locaux et science pour mieux gérer les lagons

Marguerite Taiarui, Doctorante au Criobe, Centre de ressources pour les rahui, UMR241 Secopol, École pratique des hautes études (EPHE)

En Polynésie, scientifiques et pêcheurs travaillent ensemble pour lutter contre le déclin de certaines espèces de poissons dans le lagon.
Texte intégral (1826 mots)

Les lagons polynésiens connaissent un déclin marqué de certaines populations de poissons. Dans ce contexte, la science seule ne suffira pas à prendre des décisions pour améliorer l’état de ces écosystèmes : les connaissances acquises par les pêcheurs à travers leur expérience de terrain apportent un regard complémentaire précieux. Ces deux formes de savoirs peuvent être alliées au service d’une gestion plus durable de la pêche.


La nuit est tombée depuis longtemps sur le récif barrière de Mo’orea. Je suis dans l’eau, lampe éteinte, guidée seulement par les silhouettes de deux pêcheurs et d’un collègue anthropologue. Nous sommes là pour observer une technique de pêche que je ne connaissais jusqu’ici qu’à travers des récits, et qui est souvent qualifiée de ravageuse : le ha’apua.

Plus tôt dans la journée, les pêcheurs ont passé plusieurs heures à disposer des filets, formant un cœur et menant à une cage. À l’endroit précis où ils ont installé ce dispositif, ils savent que les poissons se mettront en mouvement et s’y engouffreront.

Le signal est donné. Nous allumons nos lampes et les agitons dans l’eau. Nous avançons en ligne, sans vraiment comprendre ce que nous faisons, jusqu’à distinguer, dans la pénombre, les reflets argentés d’une cage pleine de ’ī’ihi (poissons-soldats). Ce qui me frappe n’est pas tant la quantité de poissons que la finesse de la manœuvre : tout repose sur une compréhension du lagon que ces pêcheurs ont reçu de leurs aînés mais ont également construite par l’observation, l’expérience et l’affûtage de leurs pratiques.

Cette expédition nocturne en dit long sur la pêche récifo-lagonaire en Polynésie française : une pratique à la fois ancienne, complexe et exigeante. Essentielle à la vie des communautés, elle nourrit les familles, soutient une économie locale et porte une dimension culturelle forte. Cependant, pêcheurs, scientifiques et habitants observent désormais des changements inquiétants : diminution de l’abondance et des tailles de certaines espèces pêchées, dégradation des habitats, prolifération de macroalgues. Les causes sont multiples : surpêche, croissance démographique, urbanisation, pollution terrigène, réchauffement climatique.

Que faire pour gérer durablement la ressource face à ces transformations ? On aurait tendance à se tourner vers la science pour obtenir des chiffres, les analyser puis définir des règles. Pourtant, les savoirs locaux sont immenses : la finesse du ha’apua, orchestré dans la nuit noire par deux pêcheurs expérimentés, révèle une compréhension du lagon qu’aucun instrument scientifique ne peut remplacer.


À lire aussi : C’est quoi la pêche durable ? Quand une étude d’ampleur inédite bouscule les idées reçues


Des savoirs à croiser pour comprendre le lagon

Comprendre ce qui se passe dans les lagons polynésiens nécessite de mobiliser plusieurs formes de connaissances. La science, d’un côté, apporte des outils puissants pour étudier la biologie des espèces ciblées, mesurer certaines tendances et quantifier l’effet des pressions environnementales. Ces repères sont indispensables pour imaginer des règles de gestion cohérentes : tailles minimales de capture, seuils d’effort de pêche, fermetures spatiales ou temporelles.

Mais ces approches reposent en général sur des données abondantes, standardisées et recueillies sur de longues périodes. Dans les lagons polynésiens, elles sont difficiles à collecter : le nombre de pêcheurs est inconnu, les captures rarement déclarées, les ventes souvent informelles, les techniques variées et plusieurs dizaines d’espèces sont ciblées. S’ajoute à cela une contrainte simple : les scientifiques ne peuvent pas être partout, tout le temps. Documenter finement chaque portion de lagon, pour chaque engin de pêche et chaque espèce demanderait des moyens considérables, alors même que les changements environnementaux se produisent dès maintenant. Nous n’avons ni le temps, ni la possibilité de revenir en arrière pour savoir comment les choses ont évolué.

C’est précisément là que les savoirs locaux deviennent essentiels. Les pêcheurs observent le lagon au quotidien, parfois depuis des décennies. Ils détectent des signaux, des variations d’abondance ou de comportement que les suivis scientifiques peinent à capter. Leurs connaissances fines constituent un matériau précieux pour comprendre le fonctionnement du lagon. Mais ces savoirs ont aussi leurs limites : ils sont situés, fragmentés, liés à des pratiques spécifiques. Ils ne suffisent plus toujours pour anticiper l’avenir dans un contexte de changements rapides.

Science et savoirs locaux éclairent chacun une facette du lagon, sans jamais en offrir une vision complète. C’est la complémentarité de ces deux systèmes de connaissances, et non leur opposition, qui permet d’imaginer des solutions plus justes, plus robustes et adaptées au terrain.


À lire aussi : Prévisions météo : quand savoirs locaux et sciences se nourrissent


Des règles à construire ensemble

Le lendemain de notre expédition nocturne, je dissèque, sous le regard attentif des deux pêcheurs, quelques ’ī’ihi capturés dans le ha’apua, dans le cadre d’une étude de traits biologiques. L’un d’eux me glisse :

« Tu verras, ils sont tous matures. Cette espèce, ça commence à se reproduire tôt, autour de 12 centimètres. »

Ce moment, en apparence anodin, résume pourtant le cœur du travail engagé depuis plusieurs mois à Tahiti et Mo’orea. Les pêcheurs, les gestionnaires et les scientifiques ont choisi six espèces de poissons à étudier, en fonction de leurs préoccupations. Parmi ces dernières, la mise en place de tailles minimales de capture revient régulièrement. Les pêcheurs le demandent depuis longtemps : ils voient eux-mêmes que certains prélèvent des poissons trop petits et que la pression augmente. Mais comment fixer ces tailles ?

Nous sommes en mars 2023. Après quatre années d’interdiction, la zone de pêche réglementée de Tautira s’apprête à rouvrir à la pêche pour deux demi-journées. Le comité de gestion souhaite instaurer des tailles minimales de capture et se tournent vers des scientifiques pour les conseiller. Sur la base d’études menées ailleurs dans le Pacifique, les recommandations tombent : 18 cm pour les ’ī’ihi et 25 cm pour les ume tārei (nasons).

Les pêcheurs contestent immédiatement : « on ne voit jamais d’individus de ces tailles ». Après discussion, la taille des ’ī’ihi est abaissée à 15 cm mais celle des ume tārei est maintenue.

Les résultats de l’ouverture confirment la complexité de l’exercice. Sur 1 490 ’ī’ihi capturés, seuls 7 % mesuraient moins de 18 cm. À l’inverse, moins d’une vingtaine de ume tārei ont pu être pêchés et 69 % étaient en dessous de 25 cm. La biologie « importée » ne reflétait pas la réalité locale, tandis que l’intuition des pêcheurs sur les ’ī’ihi ne traduisait pas non plus les tailles réelles de cette espèce sous l’eau.

Ces deux exemples montrent bien que ni pêcheurs ni scientifiques ne détiennent, seuls, la solution complète. Les premiers apportent leur observation continue du terrain ; les seconds des repères biologiques indispensables. La question n’est pas d’avoir raison, mais d’apprendre à se comprendre pour élaborer ensemble des règles réalistes, légitimes et applicables.

Une gestion fondée sur le respect et l’écoute mutuelle

Les pêcheurs sont souvent présentés comme les premiers responsables du déclin des stocks. Pourtant, ceux que l’on accuse si facilement sont aussi ceux qui nourrissent la population.

Leur connaissance fine du milieu, construite au fil des saisons et de l’expérience, n’est pas opposée à la science : elle la complète là où les données manquent ou arrivent trop tard. La science, de son côté, apporte des repères indispensables pour comprendre la biologie des espèces et anticiper les effets des changements en cours.

Reconnaître ces savoirs à égalité, c’est faire preuve d’empathie et d’intelligence : accepter que chacun voit une part du lagon, selon son histoire et ses outils. C’est en croisant ces regards, plutôt qu’en les hiérarchisant, que peuvent émerger des solutions durables, légitimes et réellement applicables.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a eu lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

The Conversation

Marguerite Taiarui est membre du Centre de ressources pour les rāhui, du Criobe (UAR3278) et de l’UMR241 Secopol. Elle a reçu des financements de la Direction des ressources marines de la Polynésie française, de la Fondation de France, de l’Association nationale pour la recherche et technologie et de Bloomberg Philanthropies. Elle tient à remercier les pêcheurs pour le partage de leurs connaissances et de leur temps, ainsi que les collègues et étudiants ayant contribué aux travaux mentionnés dans cet article.

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18.12.2025 à 15:39

La transition verte, un contrat social à réinventer

Rawane Yasser, Researcher, Agence Française de Développement (AFD)

Anda David, Senior researcher, Agence Française de Développement (AFD)

Les politiques fiscales et sociales peuvent soutenir une transition écologique juste, à condition de tenir compte des inégalités. Des études menées en 2024 en Afrique du Sud, en Colombie et au Mexique éclairent ces enjeux.
Texte intégral (1959 mots)

Parmi les mesures destinées à atténuer les effets du changement climatique, les politiques fiscales et sociales jouent un rôle central pour garantir une transition écologique équitable. Cela suppose toutefois de prendre en compte les différences de situation et les vulnérabilités propres aux différents groupes sociaux. Des études menées en 2024 par des chercheuses et chercheurs de l’AFD en partenariat avec des universités en Afrique du Sud, en Colombie et au Mexique ont évalué ces dispositifs. Leurs conclusions apportent des pistes concrètes pour que les politiques sociales et fiscales accompagnent efficacement les transitions écologiques non seulement sans accroître les inégalités, mais également en contribuant activement à les réduire.


Le changement climatique constitue sans aucun doute le défi le plus important auquel l’humanité est confrontée.

En menaçant les progrès en termes de réduction de la pauvreté, d’amélioration des conditions de travail et de développement durable, il rend d’autant plus urgents les efforts visant à atténuer ses effets. Cependant, il devient également essentiel d’intégrer les questions d’équité dans les discussions, car les impacts du changement climatique ne sont pas répartis de manière uniforme.

Les transitions écologiques, conçues pour répondre à la crise climatique en évoluant vers un modèle de développement résilient et durable, impliquent de transformer en profondeur nos économies et nos modes de production pour les rendre plus durables. Cependant, ces transitions, pouvant provoquer des chocs socio-économiques et des pertes d’emploi, risquent de creuser les inégalités à travers un impact négatif disproportionné sur les plus vulnérables si la justice n’en constitue pas le socle. Elles sont avant tout un choix de société qui repose sur la répartition des coûts, des opportunités et des protections face aux changements à venir. D’où l’urgence de faire des transitions écologiques des transitions justes.

C’est dans cette perspective que le rôle des politiques sociales et fiscales devient essentiel. Elles doivent être repensées pour construire un contrat social plus équitable qui sera capable de répondre à l’aggravation des inégalités et d’accompagner les changements qu’impliquent les transitions écologiques.

Dans une synthèse des travaux récents menés avec nos partenaires, nous avons analysé comment les politiques sociales et fiscales peuvent être à la fois un facteur d’atténuation des risques de la transition, mais aussi un levier de transformation sociale.

Le cœur de notre analyse est que les transitions écologiques doivent se structurer autour de deux piliers fondamentaux : ne laisser personne de côté et répartir équitablement les coûts et les bénéfices.

Pour ce faire, nous proposons des éclairages et des outils pratiques pour rendre cette équité opérationnelle et concilier objectifs climatiques et sociaux, en mobilisant des exemples de l’Afrique du Sud, du Mexique et de la Colombie.

Nous prenons la transition juste comme point de départ, car elle est de plus en plus reconnue comme le cadre de référence pour la construction d’économies durables. Cette approche met l’accent sur la dimension sociale de la transition écologique et énergétique et souligne la nécessité de garantir les moyens de subsistance des personnes affectées négativement par cette transition. Elle prône une transition inclusive vers une économie sobre en carbone et durable, qui ne laisse personne de côté.

Quels effets des transitions écologiques sur les inégalités ?

Cette approche juste est indispensable en raison des effets potentiellement inégaux des politiques de transitions sur les différents groupes sociaux. La transformation structurelle qu’implique la transition écologique crée à la fois des opportunités et des vulnérabilités, et risque d’exacerber les inégalités existantes. Certains travailleurs seront en mesure de s’adapter et bénéficier des nouvelles technologies bas-carbone, d’autres risquent d’être laissés pour compte.

Certains groupes de la population sont particulièrement exposés à ces risques.

Un travail de recherche mené en Colombie constate que les femmes, les personnes issues d’une formation technique et les travailleurs informels ont moins de chance de pouvoir occuper des « emplois verts », c’est-à-dire des emplois qui contribuent à protéger les écosystèmes et la biodiversité ; réduire la consommation d’énergie, de matériaux et d’eau ou encore de diminuer l’intensité carbone de l’économie.

Introduire des instruments fiscaux – taxes énergétiques, réformes de subventions – peut également produire des effets inégalitaires lorsqu’ils ne sont pas accompagnés de mécanismes de redistribution. Le cas d’une taxe sur les carburants au Mexique le démontre : les ménages à faibles revenus consacrent une part plus importante de leurs revenus à leurs besoins énergétiques, ont une capacité d’adaptation limitée, et sont particulièrement vulnérables aux politiques de transition inéquitables.

Une approche juste des transitions vertes, qui prend en compte ces vulnérabilités, devient donc essentielle. Mais comment traduire efficacement ces principes en politiques sociales et fiscales ?

Quelles politiques sociales pour soutenir une transition juste ?

Pour éviter que les transitions écologiques accentuent les inégalités, nos recherches ont conclu que les politiques sociales doivent soutenir les personnes les plus exposées en identifiant les groupes à risque.

Une étude réalisée sur le secteur minier du charbon en Afrique du Sud établit le profil des travailleurs qui risquent une perte d’emploi suite à une transition énergétique : près de 80 % de ces travailleurs sont des jeunes (entre 15 et 35 ans) employés dans la province de Mpumalanga, au nord-est du pays. Par ailleurs, dans le Mpumalanga, le taux de personnes ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) s’élève à 45,9 % en 2023 chez les jeunes avec de fortes disparités en termes de genre.

Ces données désagrégées sont importantes car elles permettent d’orienter des politiques ciblées et adaptées aux vulnérabilités spécifiques des différents groupes, ici les jeunes et les femmes. Parmi ces politiques, les priorités les plus urgentes visent à faciliter la transition des jeunes à faibles revenus vers des emplois verts, ainsi que la mise en place des mesures renforçant l’économie des soins (petite enfance, soutien aux familles), pour lutter contre les obstacles limitant la participation des femmes au marché du travail tout en créant des opportunités d’emploi et de la diversification économique.

Le travail de recherche sur les politiques de transitions justes appliquées au secteur minier en Afrique du Sud propose des mesures de protection sociale (aide ponctuelle au revenu, aide à la mobilité, formations et options de retraite anticipée) adaptées aux cohortes spécifiques de travailleurs déplacés en fonction de leur âge et de leurs compétences.

Pour être efficaces, les politiques sociales doivent également investir dans des compétences adaptées aux secteurs émergents (carburants durables, services aux entreprises). Les stratégies de formation doivent aller au-delà des savoir-faire génériques pour privilégier des parcours vers l’emploi, notamment dans les zones fortement dépendantes du charbon comme Nkangala en Afrique du Sud.

L’étude de l’écosystème de compétences des micros, petites et moyennes entreprises révèle des biais structurels des politiques et stratégies actuelles de transition en faveur des grandes entreprises. Des formations spécifiques conçues avec les entreprises pourront également garantir une adéquation avec la demande réelle du marché du travail.

Quelles politiques fiscales pour financer une transition équitable ?

Réorienter les subventions énergétiques pour créer de l’espace fiscal est un premier levier pour une transition juste. Les rediriger vers des investissements verts ciblés socialement – en particulier pour les ménages à faible revenu – élargis à la fois l’espace fiscal et améliore l’équité de la transition. C’est ce que montre les travaux de recherche au Mexique qui proposent de réallouer les subventions à l’électrique vers l’installation de panneaux solaires dans des municipalités stratégiques. Cette reconfiguration des flux financiers permettra de générer une part d’électricité entre 6,9 % et 9,2 % de la consommation régionale totale sans construction de nouvelles centrales et bénéficierait directement aux ménages.

Au-delà des réallocations des ressources existantes, une transition juste nécessite la mobilisation de nouvelles recettes d’une manière progressive et durable. Sans mesures compensatoires adéquates, la fiscalité environnementale risque d’accroître les inégalités. Au Mexique, l’effet régressif d’une taxe sur les carburants a été démontré. Un transfert universel pur serait un mécanisme efficace pour compenser ces effets régressifs. Ça consiste en un montant égal par habitant et inconditionnel pour l’ensemble de la population.

Au-delà des outils et des mesures techniques, ces travaux démontrent la nécessité de repenser notre contrat social. Une transition écologique juste ne se résume pas à corriger des effets indésirables : elle doit redéfinir la manière dont nos sociétés répartissent l’effort, la protection et les opportunités. Les travaux de l’Institut de recherche des Nations unies pour le développement social (UNRISD) rappellent d’ailleurs que sans un nouveau pacte social, fondé sur la justice et la redistribution, les transitions risquent de renforcer les fractures existantes.

Reconnaître que certains supporteront davantage les coûts de la transition – parce que leur emploi, leur territoire ou leurs conditions de vie les exposent plus fortement – est un point de départ essentiel. Dans un contexte de polarisation croissante, remettre la solidarité au centre est indispensable : elle seule permet de maintenir l’adhésion collective face aux transformations à venir.

Une transition juste suppose donc d’assumer collectivement ces asymétries et d’organiser une solidarité réelle : entre générations, entre territoires, entre groupes sociaux. C’est ce qui permettra à la transition verte d’être non seulement possible, mais aussi légitime et durable.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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