LePartisan - 750 vues
MEDIAS REVUES BLOGS
URL du flux RSS

ACCÈS LIBRE Une Politique International Environnement Technologies Culture

▸ les 50 dernières parutions

19.11.2025 à 16:23

Ukraine : le scandale de corruption dans le secteur énergétique qui fragilise le pouvoir

Stefan Wolff, Professor of International Security, University of Birmingham
Tetyana Malyarenko, Professor of International Security, Jean Monnet Professor of European Security, National University Odesa Law Academy
Une vaste enquête conduite en Ukraine a mis au jour des preuves accablantes de la corruption de certains proches alliés de Volodymyr Zelensky.
Texte intégral (2092 mots)

Alors que la Russie pilonne les infrastructures énergétiques ukrainiennes, une affaire de corruption dans le secteur de l’énergie touche directement des associés de longue date de Volodymyr Zelensky. En temps de guerre, la corruption, surtout dans un domaine aussi vital pour le pays, compromet non seulement la capacité du chef de l’État à gouverner mais, surtout, celle du pays à continuer de résister.


Le scandale de corruption qui secoue actuellement l’Ukraine n’aurait pas pu survenir à un pire moment ni dans un secteur plus sensible de l’économie pour le gouvernement, de plus en plus contesté, de Volodymyr Zelensky.

L’armée ukrainienne est désormais sur la défensive dans plusieurs secteurs clés du front. Parallèlement, la campagne de frappes menée par la Russie pour dévaster les infrastructures énergétiques du pays provoque des difficultés croissantes pour les Ukrainiens ordinaires à l’approche de l’hiver.

Le fait que le dernier scandale de corruption en date touche le secteur de l’énergie est donc particulièrement préjudiciable au gouvernement et au moral de la population.

Les agences anticorruption ukrainiennes, qui sont indépendantes du pouvoir, viennent de publier les conclusions de l’opération Midas, une enquête de 15 mois menée sur Energoatom, l’opérateur public de toutes les centrales nucléaires ukrainiennes. Avec une capacité totale de près de 14 000 mégawatts, Energoatom est le plus grand producteur d’électricité d’Ukraine.

Les enquêteurs affirment avoir mis au jour l’existence d’un vaste système de pots-de-vin représentant entre 10 % et 15 % de la valeur des contrats des fournisseurs, soit l’équivalent d’environ 86 millions d’euros. Des perquisitions ont été menées en 70 lieux à travers le pays le 10 novembre. Sept personnes ont été inculpées et cinq sont en détention.

Le cerveau de ce système corrompu serait Timur Mindich, un homme d’affaires et producteur de films, qui s’est enfui précipitamment d’Ukraine à la veille des perquisitions. Ce qui rend cette affaire très dangereuse pour Zelensky, c’est que Mindich est copropriétaire, avec le président ukrainien, du studio Kvartal 95, la boîte de production qui a tourné les séries et émissions ayant rendu Zelensky célèbre en tant que comédien avant son accession à la présidence en 2019.

Volodymyr Zelensky et Timur Mindich
Volodymyr Zelensky et Timur Mindich, deux vieux amis et partenaires en affaires. Harry Boone/X

Une fois de plus, de proches collaborateurs du président sont éclaboussés par un scandale, ce qui compromet Zelensky par association. La question se pose de savoir s’il aurait pu agir plus tôt pour mettre fin à ces agissements.

Mais la façon dont cette affaire s’est déroulée indique également qu’il s’agit de la manifestation d’un conflit beaucoup plus profond qui se déroule en coulisses entre des groupes de l’élite qui se disputent le contrôle du dernier actif précieux de l’État : le secteur de l’énergie.

Campagnes de dénigrement

Ce dernier épisode est le dernier en date d’une série d’événements qui remonte à l’été dernier, lorsque le groupe parlementaire « Serviteur du peuple » – le parti de Zelensky – a tenté de mettre fin à l’indépendance des agences anticorruption ukrainiennes. Des manifestations massives, qui ont rassemblé essentiellement de jeunes Ukrainiens, ont alors contraint le gouvernement à revenir sur sa décision.

À ce moment-là, des rumeurs concernant l’existence d’enregistrements secrets de conversations impliquant Mindich ont commencé à circuler dans les médias ukrainiens. Cependant, aucun détail sur le contenu de ces conversations n’a été divulgué à l’époque, et les allégations de corruption ne sont restées que des spéculations.

Alors que le gouvernement s’est retrouvé sous une pression croissante après les frappes aériennes massives menées par la Russie contre le secteur énergétique le 10 octobre, qui ont privé la population ukrainienne d’électricité pendant près d’une journée entière, les accusations ont commencé à fuser. L’attention s’est portée sur Volodymyr Kudrytsky, l’ancien directeur d’Ukrenergo, le principal opérateur du réseau électrique ukrainien.

Kudrytsky, figure influente de la société civile ukrainienne pro-occidentale et anti-corruption, a été arrêté le 28 octobre pour fraude présumée dans le cadre d’un complot visant à détourner l’équivalent de 1,4 million d’euros de fonds publics en 2018. L’enquête le visant a été menée par le Service d’audit de l’État ukrainien et le Bureau d’enquête de l’État, deux institutions qui sont directement subordonnées à Zelensky.

Kudrytsky a vigoureusement défendu son bilan contre ce qu’il a qualifié d’attaques à motivation politique visant à détourner l’attention de la responsabilité que porte le gouvernement dans la destruction du réseau énergétique ukrainien par la campagne aérienne russe.

Bien que Kudrytsky ait été libéré sous caution, l’enquête le concernant est toujours en cours.

Luttes de pouvoir

Quelle que soit leur issue sur le plan juridique, les rumeurs qui circulent à l’encontre de Mindich et les attaques contre Kudrytsky semblent, du moins pour l’instant, être des campagnes d’information classiques visant à détruire leur réputation et à nuire aux personnes et aux programmes qui leur sont associés.

Opposant les camps pro- et anti-Zelensky au sein de l’élite ukrainienne, les dernières révélations sur la corruption mettent en lumière une lutte de pouvoir pour le contrôle des actifs les plus précieux de l’État et des leviers du pouvoir en Ukraine. Même si les adversaires du président ne parviennent pas à le destituer, sa capacité à gouverner pourrait être sévèrement limitée du fait des attaques visant ses proches alliés tels que Mindich.

Un autre des principaux conseillers de Zelensky, le ministre de la justice (et ex-ministre de l’énergie) Herman Halouchtchenko, a également été suspendu de ses fonctions à la suite de l’opération Midas.

Ces luttes intestines au sein de l’élite, qui touchent un secteur essentiel pour la capacité de l’Ukraine à continuer de résister à l’agression russe, se déroulent alors que le pays est menacé dans son existence même. Si leur issue reste incertaine pour l’instant, plusieurs conclusions importantes peuvent déjà en être tirées.

Il est essentiel que le pays revienne pleinement à une vie politique concurrentielle aussi normale que possible, où la liberté d’expression, des médias et d’association, serait pleinement respectée. Cette vie politique a été dans une large mesure en raison de la guerre. Si certains estiment que mettre en évidence l’ampleur de la corruption en Ukraine ferait le jeu de la propagande russe, la réalité est que plus les fonctionnaires corrompus pourront continuer à abuser de leur pouvoir, plus les chances du pays de l’emporter sur la Russie s’amenuiseront.

Une implication plus directe de l’Union européenne et des États-Unis dans la lutte contre la corruption en Ukraine est nécessaire. La corruption réduit les fonds alloués à la guerre et alimente également les doutes de l’opinion publique dans les pays donateurs quant à l’efficacité du soutien à Kiev.

Cette corruption a eu des conséquences extrêmement néfastes sur le recrutement dans les forces armées. Une enquête récente a révélé que 71 % des Ukrainiens considèrent que le niveau de corruption a augmenté depuis l’invasion à grande échelle lancée par la Russie en février 2022.

Le taux mensuel de désertion dans l’armée s’élève actuellement à environ deux tiers parmi les nouvelles recrues. Cela représente 21 000 déserteurs pour 30 000 engagements. Cette situation n’est pas viable pour la défense de l’Ukraine et explique en partie les récents revers subis sur le front.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est plus seulement la réputation du pays et de ses perspectives d’intégration à l’Union européenne. Assainir la politique ukrainienne – et montrer que cela a été fait – est désormais aussi essentiel pour la survie de l’Ukraine que de renforcer ses défenses aériennes et terrestres contre la Russie.

Tolérer la corruption est un luxe que l’Ukraine ne peut plus se permettre si elle veut survivre en tant que pays indépendant.

The Conversation

Stefan Wolff a bénéficié par le passé de subventions du Conseil britannique de recherche sur l'environnement naturel, de l'Institut américain pour la paix, du Conseil britannique de recherche économique et sociale, de la British Academy, du programme « Science pour la paix » de l'Otan, des programmes-cadres 6 et 7 de l'UE et Horizon 2020, ainsi que du programme Jean Monnet de l'UE. Il est administrateur et trésorier honoraire de la Political Studies Association du Royaume-Uni et chercheur principal au Foreign Policy Centre de Londres.

Tetyana Malyarenko a reçu des financements de l'Elliott School of International Affairs de l'université George Washington.

19.11.2025 à 16:23

Sols appauvris : l’autre menace qui pèse sur l’agriculture ukrainienne

Mark Sutton, Honorary Professor in the School of Geosciences, University of Edinburgh
Sergiy Medinets, Biogeochemist, UK Centre for Ecology & Hydrology
Alors que l’Ukraine tente de maintenir sa production agricole malgré la guerre, ses sols souffrent d’un manque d’intrants. Une dégradation rapide qui peut avoir des conséquences mondiales…
Texte intégral (1631 mots)
Un usage du fumier plus efficace fait partie des mesures proposées pour lutter contre l’appauvrissement des sols ukrainiens. Oleksandr Filatov/Shutterstock

L’Ukraine a longtemps été l’un des piliers de l’approvisionnement alimentaire mondial, mais la guerre et des décennies de déséquilibres dans l’usage des engrais ont profondément appauvri ses sols. Une crise silencieuse qui menace la reprise agricole du pays.


Pendant des décennies, l’Ukraine était connue comme le grenier du monde. Avant l’invasion russe de 2022, elle figurait parmi les principaux producteurs et exportateurs mondiaux d’huile de tournesol, de maïs et de blé. Ces productions contribuaient à nourrir plus de 400 millions de personnes. Mais derrière l’enjeu actuel des blocus céréaliers se cache une crise plus profonde et plus lente : l’épuisement même des nutriments qui rendent si productive la terre noire d’Ukraine.

Alors que la guerre a attiré l’attention mondiale sur les chaînes d’approvisionnement alimentaires de l’Ukraine, on sait bien moins de choses sur la durabilité des systèmes agricoles qui les sous-tendent. Si on ne se penche pas rapidement sur l’état de son sol, le pays pourrait perdre son rôle d’acteur majeur de la production alimentaire. Et cela pourrait avoir des conséquences bien au-delà de ses frontières.

Pour nos recherches, nous avons examiné la gestion des intrants dans l’agriculture ukrainienne au cours des 40 dernières années et constaté un renversement spectaculaire. Pendant l’ère soviétique, les terres agricoles ukrainiennes étaient suralimentées en engrais. Des intrants comme l’azote, le phosphore et le potassium étaient appliqués à des niveaux bien supérieurs à ce que les cultures pouvaient absorber. Cela a engendré une pollution de l’air et de l’eau.


À lire aussi : Crimes contre l’environnement dans la guerre en Ukraine : que dit le droit ?


Mais depuis l’indépendance en 1991, le balancier est reparti dans la direction opposée. L’usage d’engrais, en particulier le phosphore et le potassium, s’est effondré à mesure que les importations diminuaient, que le cheptel déclinait (réduisant la disponibilité du fumier) et que les chaînes d’approvisionnement se désagrégeaient. En 2021, juste avant l’invasion, les sols ukrainiens montraient déjà des signes de fatigue. Les agriculteurs apportaient beaucoup moins de phosphore et de potassium que ce que les cultures prélevaient, environ 40 à 50 % de phosphore en moins et 25 % de potassium en moins, et la matière organique des sols avait chuté de près de 9 % depuis l’indépendance.

Dans de nombreuses régions, les agriculteurs utilisaient trop d’azote, mais souvent pas assez de phosphore et de potassium pour maintenir la fertilité à long terme. En outre, bien que le cheptel ait fortement diminué au cours des dernières décennies, notre analyse montre qu’environ 90 % du fumier encore produit est gaspillé. Cela équivaut à environ 2,2 milliards de dollars américains (1,9 milliard d’euros) d’engrais chaque année. Ces déséquilibres ne sont pas seulement un enjeu national. Ils menacent la productivité agricole de l’Ukraine à long terme et, par extension, l’approvisionnement alimentaire mondial qui en dépend.

La guerre a nettement aggravé le problème. L’invasion russe a perturbé les chaînes d’approvisionnement en engrais et endommagé des installations de stockage. Les prix des engrais ont flambé. De nombreux agriculteurs ont volontairement réduit leurs apports en engrais en 2022-2023 pour limiter les risques financiers, sachant que leurs récoltes pouvaient être détruites, volées ou rester invendue si les circuits d’exportation étaient fermés.

Nos nouvelles recherches mettent en lumière une tendance inquiétante au niveau national. En 2023, les cultures récoltées ont prélevé dans le sol jusqu’à 30 % d’azote, 80 % de phosphore et 70 % de potassium de plus que ce qu’elles recevaient via la fertilisation, les microbes du sol et l’air (y compris ce qui tombe avec la pluie et ce qui se dépose depuis l’atmosphère). Si cette tendance se confirme, le sol ukrainien, réputé pour sa fertilité, pourrait subir une dégradation durable, compromettant la capacité du pays à se relever et à approvisionner les marchés alimentaires mondiaux une fois la paix revenue.

Reconstituer la fertilité des sols

Certaines solutions existent et beaucoup sont réalisables même en temps de guerre. Notre équipe de recherche a élaboré un plan pour les agriculteurs ukrainiens qui pourrait rapidement faire la différence. Ces mesures pourraient améliorer sensiblement l’efficacité des intrants et réduire les pertes, en maintenant des exploitations productives et rentables tout en limitant la dégradation des sols et la pollution environnementale.

Ces solutions s’appuient sur :

  1. Une fertilisation de précision – appliquer les engrais au bon moment, au bon endroit et en bonne quantité afin de répondre efficacement aux besoins des cultures.

  2. Une meilleure valorisation du fumier – mettre en place des systèmes locaux pour collecter le fumier excédentaire et le redistribuer à d’autres exploitations, réduisant ainsi la dépendance aux engrais de synthèse (importés).

  3. Un meilleur usage des engrais – utiliser des engrais à l’efficacité renforcée, qui libèrent les nutriments lentement, limitant les pertes dans l’atmosphère ou dans l’eau.

  4. La plantation de légumineuses (comme les pois ou le soja). Les intégrer dans les rotations améliore la santé des sols tout en apportant naturellement de l’azote.

Certaines de ces actions nécessitent des investissements, notamment pour créer de meilleures installations de stockage et pour améliorer le traitement ou l’application du fumier sur les parcelles. Mais beaucoup peuvent être mises en œuvre, au moins partiellement, sans avoir à injecter d’argent. Le fonds de relance de l’Ukraine, soutenu par la Banque mondiale pour aider le pays une fois la guerre terminée, inclut l’appui à l’agriculture et il pourrait jouer, ici, un rôle essentiel.

Pourquoi est-ce important au-delà de l’Ukraine ?

La crise des intrants en Ukraine est un avertissement pour le monde. Une agriculture intensive et déséquilibrée, qu’il s’agisse d’un usage excessif, insuffisant ou inadapté des engrais, n’est pas durable. Une mauvaise gestion contribue à l’insécurité alimentaire comme à la pollution de l’environnement.

Nos travaux s’inscrivent dans le cadre du futur International Nitrogen Assessment, attendu en 2026, qui soulignera la nécessité d’une gestion mondiale efficace de l’azote et présentera des solutions concrètes pour maximiser les bénéfices de l’azote : amélioration de la sécurité alimentaire, résilience climatique, qualité de l’eau et de l’air.

Soutenir les agriculteurs ukrainiens offre l’occasion non seulement de reconstruire un pays, mais aussi de transformer l’agriculture mondiale afin de contribuer à un avenir plus résilient et durable.


À lire aussi : Les politiques climatiques, ces autres victimes de la guerre de Poutine en Ukraine


The Conversation

Mark Sutton travaille pour le UK Centre for Ecology & Hydrology, basé à sa station de recherche d’Édimbourg. Il est professeur honoraire à l’Université d’Édimbourg, au sein de l’École des géosciences. Il reçoit des financements de UK Research and Innovation (UKRI) via son Global Challenges Research Fund (GCRF), du ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (Defra), du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Il est directeur du Système international de gestion de l’azote (INMS), financé par le FEM/PNUE, ainsi que du South Asian Nitrogen Hub du GCRF. Il est coprésident du groupe de travail de la CEE-ONU sur l’azote réactif (TFRN) et du Partenariat mondial pour la gestion des nutriments (GPNM), convoqué par le PNUE.

Sergiy Medinets reçoit des financements de UKRI, de Defra, de DAERA, de la British Academy, du PNUE, du FEM, du PNUD et de l’UE.

19.11.2025 à 16:21

Pourquoi à l'adolescence, les filles se sentent-elles moins bien que les garçons ?

Alejandro Legaz Arrese, Catedrático Área de Educación Física y Deporte, Universidad de Zaragoza
Carmen Mayolas-Pi, Profesora Titular Área Educación Física y Deportiva, Universidad de Zaragoza
Joaquin Reverter Masia, Catedratico Educación Física., Universitat de Lleida
Pour les garçons, la maturité est souvent synonyme d’indépendance et de liberté. Mais pour beaucoup de filles, elle s’accompagne surtout de pression et d’attentes accrues.
Texte intégral (2163 mots)
La puberté marque une rupture nette dans le bien-être émotionnel : chez les filles, l’anxiété et les troubles du sommeil augmentent dès 14 ans. Fizkes/Shutterstock

Dans l’ombre de la hausse du mal-être chez les jeunes, une réalité persiste : la puberté marque une rupture nette entre filles et garçons. Des études menées auprès de plus de 10 000 adolescents en Espagne révèlent un écart émotionnel qui s’installe tôt – et qui ne cesse de se creuser.


Ces dernières années, on observe une hausse préoccupante des problèmes de santé mentale chez les jeunes. Pourtant, un aspect essentiel passe souvent inaperçu : cette crise psychique ne touche pas les adolescents et les adolescentes de la même manière.

Dans nos récentes études sur le sommeil, l’anxiété, la dépression, la qualité de vie et le risque de troubles alimentaires, nous avons analysé les données de plus de 10 000 adolescents espagnols âgés de 11 à 19 ans. Les résultats sont sans équivoque : non seulement le fossé émotionnel entre filles et garçons existe, mais il se manifeste tôt et s’intensifie avec l’âge.

Le fossé apparaît à la puberté

La différence entre les sexes n’est pas innée. Elle apparaît avec les changements hormonaux et sociaux de la puberté. Au départ, filles et garçons affichent un bien-être émotionnel similaire. Cependant, à partir de l’âge de 14 ans environ chez les filles, lorsque la puberté bat son plein et que les changements physiques et hormonaux s’accélèrent, les trajectoires commencent à diverger. À partir de ce moment, les filles dorment moins bien, manifestent davantage d’anxiété et rapportent plus de symptômes dépressifs.

Pour beaucoup d’entre elles, l’adolescence devient une période émotionnellement plus intense. De nombreuses jeunes filles décrivent un sentiment de vide, une confusion identitaire et une plus grande difficulté à comprendre ou à réguler leurs émotions. Il ne s’agit pas simplement d’un mal-être passager : à ce stade, l’équilibre émotionnel se fragilise et la réponse au stress s’amplifie.

Un sentiment d’autonomie et de contrôle en recul

Cette phase s’accompagne également d’un changement notable dans la perception de leur autonomie. Certaines adolescentes expriment le sentiment d’avoir moins de prise sur leur temps, leur corps ou leurs décisions. Alors que, pour beaucoup de garçons, la maturité rime avec indépendance, elle s’accompagne chez les filles d’une pression accrue, d’attentes plus fortes et d’exigences plus lourdes envers elles-mêmes.

L’estime de soi chute nettement, tandis que la relation au corps devient plus critique. Les préoccupations liées au poids, à l’apparence ou à l’auto-évaluation constante se multiplient, augmentant le risque de troubles alimentaires. Parallèlement, de nombreuses adolescentes disent se sentir plus fatiguées, avec moins d’énergie et une forme physique en déclin par rapport à la période précédant la puberté.


À lire aussi : Las chicas adolescentes presentan más síntomas de depresión que los chicos


Ce schéma rejoint les conclusions internationales du rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui souligne une détérioration plus marquée du bien-être psychologique des femmes à partir de la puberté, ainsi qu’une sensibilité émotionnelle accrue pendant cette période.

Ce n’est pas l’environnement qui change, mais la perception de soi

Un point clé ressort : la sphère sociale n’explique pas cet écart. Les relations familiales, scolaires et amicales évoluent de manière similaire chez les deux sexes. Les données ne révèlent pas de différences significatives en matière de soutien social, d’amitiés ou d’expériences de harcèlement.

Le fossé émotionnel ne provient donc pas d’un environnement plus hostile pour les filles. Il émerge de l’intérieur : dans la manière dont elles se sentent, se perçoivent et évaluent le contrôle qu’elles exercent sur leur vie. Il s’agit d’un déséquilibre intime, plutôt que social.


À lire aussi : Instagram de chicas, instagram de chicos


Hormones et pression esthétique

Pourquoi cette divergence ? L’explication est complexe et multifactorielle. La puberté féminine survient plus tôt et s’accompagne de changements hormonaux plus intenses qui influent sur le sommeil, l’humeur et la gestion du stress. Mais ces transformations, naturelles et communes aux deux sexes, ne constituent ni la cause unique ni la solution. La différence tient à la manière dont elles sont vécues et interprétées dans un environnement social saturé d’attentes autour du corps féminin.

À cela s’ajoute un contexte contemporain dominé par la pression esthétique, l’exposition permanente aux réseaux sociaux et l’injonction à « être parfaite » sur tous les plans. Les dernières études disponibles établissent un lien entre ces dynamiques et la hausse du mal-être émotionnel chez les jeunes filles.

La puberté devient ainsi une période biologique et culturelle particulièrement exigeante pour elles.

Un fossé qui persiste à l’âge adulte

Ce schéma ne disparaît pas avec les années. Les données de notre groupe de recherche et les travaux scientifiques portant sur la population adulte montrent que les femmes continuent de présenter une qualité de sommeil moindre, des niveaux d’anxiété et de dépression plus élevés, ainsi qu’une insatisfaction corporelle plus marquée que les hommes.

Le fossé émotionnel qui s’ouvre à la puberté ne se comble pas spontanément avec le temps.

Le sport, un facteur de protection

Nos données montrent que l’activité physique, et en particulier la pratique du sport de compétition, est associée à un meilleur sommeil, une plus grande satisfaction de vie et un moindre mal-être émotionnel, aussi bien chez les garçons que chez les filles. Lorsque la pratique sportive est équivalente, les bénéfices le sont aussi : le sport protège de la même manière.

Cependant, l’écart de bien-être entre filles et garçons demeure. Non pas parce que le sport serait moins efficace pour elles, mais parce que les adolescentes font globalement moins d’exercice et participent moins aux compétitions sportives, comme le confirment notre étude et d’autres travaux antérieurs.

Le sport, à lui seul, ne peut compenser les facteurs sociaux qui pèsent plus lourdement sur les adolescentes. En revanche, encourager leur participation, notamment à des niveaux compétitifs, permet de réduire l’écart en leur donnant accès aux mêmes bénéfices que les garçons.

D’autres leviers pour réduire l’écart

La bonne nouvelle, c’est que d’autres stratégies contribuent également à diminuer cet écart émotionnel. Les études montrent que les interventions les plus efficaces sont celles qui renforcent la relation au corps, réduisent la comparaison sociale et améliorent l’estime de soi.

Les programmes scolaires axés sur l’éducation à l’image corporelle et à la perception de soi ont permis de réduire le risque de troubles alimentaires et d’améliorer le bien-être émotionnel des adolescentes.

Les initiatives visant à enseigner une utilisation critique des réseaux sociaux et à identifier les messages nuisibles à l’image de soi se révèlent également efficaces pour limiter la pression esthétique et numérique.


À lire aussi : Cómo mejorar el bienestar de los universitarios con psicología positiva


Enfin, les stratégies de régulation émotionnelle et de pleine conscience, axées sur l’apprentissage de la gestion du stress, l’apaisement de l’esprit et la connexion avec le présent, ont été associées à une amélioration du bien-être psychologique et à une diminution des niveaux d’anxiété chez les adolescentes.

Ce n’est pas seulement leur responsabilité

Mais tout ne dépend pas d’elles. Les recherches montrent également que le contexte joue un rôle clé. Les familles qui écoutent, valident les émotions et encouragent l’autonomie protègent la santé mentale de leurs filles.

Quand les écoles enseignent des compétences socio-émotionnelles universelles, telles que la reconnaissance des émotions, la résolution des conflits ou le renforcement de l’estime de soi, les symptômes d’anxiété et de dépression dus à l’adolescence diminuent.

Et les médias et les réseaux sociaux ont une énorme responsabilité : la manière dont ils représentent les corps et la réussite influence directement la façon dont les jeunes filles se perçoivent.

En outre, les politiques publiques qui encadrent les messages liés au corps et à l’image, tout en favorisant des environnements éducatifs et sportifs inclusifs, contribuent à réduire la pression esthétique et à améliorer le bien-être des adolescentes.

Une période critique (et une occasion à saisir)

L’adolescence est une étape décisive. En soutenant les filles à ce moment clé, en renforçant leur autonomie, leur estime de soi et leur relation à leur corps et à leurs émotions, nous posons les bases d’un bien-être durable.

Il ne s’agit pas de leur demander d’être fortes. Il s’agit de créer des environnements qui ne les fragilisent pas. Investir aujourd’hui dans la santé mentale des adolescents, c’est construire une société plus juste et plus équilibrée demain.

The Conversation

Alejandro Legaz Arrese a reçu des financements du Groupe de recherche sur le mouvement humain financé par le gouvernement d'Aragon.

Carmen Mayolas-Pi a reçu des financements associés au groupe de recherche Movimiento Humano de la part du gouvernement d'Aragon.

Joaquin Reverter Masia a reçu des financements du programme national de recherche, développement et innovation axé sur les défis de la société, dans le cadre du plan national de R&D&I 2020-2025. Le titre du projet est : « Évaluation de divers paramètres de santé et niveaux d'activité physique à l'école primaire et secondaire » (numéro de subvention PID2020-117932RB-I00). En outre, la recherche bénéficie du soutien du groupe de recherche consolidé « Human Movement » de la Generalitat de Catalunya (référence 021 SGR 01619).

18 / 50

 

  GÉNÉRALISTES
Ballast
Fakir
Interstices
Lava
La revue des médias
Le Grand Continent
Le Diplo
Le Nouvel Obs
Lundi Matin
Mouais
Multitudes
Politis
Regards
Smolny
Socialter
The Conversation
UPMagazine
Usbek & Rica
Le Zéphyr
 
  Idées ‧ Politique ‧ A à F
Accattone
Contretemps
A Contretemps
Alter-éditions
CQFD
Comptoir (Le)
Déferlante (La)
Esprit
Frustration
 
  Idées ‧ Politique ‧ i à z
L'Intimiste
Jef Klak
Lignes de Crêtes
NonFiction
Nouveaux Cahiers du Socialisme
Période
Philo Mag
Terrestres
Vie des Idées
 
  ARTS
Villa Albertine
 
  THINK-TANKS
Fondation Copernic
Institut La Boétie
Institut Rousseau
 
  TECH
Dans les algorithmes
Framablog
Gigawatts.fr
Goodtech.info
Quadrature du Net
 
  INTERNATIONAL
Alencontre
Alterinfos
CETRI
ESSF
Inprecor
Journal des Alternatives
Guitinews
 
  MULTILINGUES
Kedistan
Quatrième Internationale
Viewpoint Magazine
+972 mag
 
  PODCASTS
Arrêt sur Images
Le Diplo
LSD
Thinkerview
 
Fiabilité 3/5
Slate
 
Fiabilité 1/5
Contre-Attaque
Issues
Korii
Positivr
🌞