18.11.2025 à 16:13
Soins et hospitalisations à domicile : des algorithmes et technologies de santé pour améliorer la prise en charge des patients
Texte intégral (1563 mots)
Planifier les tournées des infirmiers et infirmières au domicile des personnes malades en prenant en compte les urgences, délivrer dans les temps une chimiothérapie basée sur des médicaments dont la stabilité est limitée à quelques heures… Des solutions émergent pour optimiser les soins à domicile en s’appuyant sur des nouvelles technologies de santé
Face au vieillissement de la population et à la pression croissante sur les hôpitaux, les soins à domicile représentent une alternative prometteuse pour l’avenir des systèmes de santé. Toutefois, pour que ce modèle soit véritablement efficace et durable, il est essentiel de l’optimiser.
En supportant la prise de décision, les algorithmes d’optimisation et certaines technologies de santé (télémédecine, dispositifs de santé connectés, etc.) permettent d’améliorer l’adéquation de la capacité des services de soins avec les besoins des patients, notamment via la création des plannings et des itinéraires des personnels soignants.
Ce processus d’optimisation est d’autant plus crucial dans les systèmes d’hospitalisation à domicile, qui ont pris une ampleur particulière avec la pandémie de Covid-19.
Soins et hospitalisations se développent au domicile
Tandis que les soins à domicile étaient, dans le passé, traditionnellement tournés vers des soins de routine, l’essor de l’hospitalisation à domicile (HAD) permet à présent à des patients nécessitant des soins aigus d’être pris en charge à leur domicile plutôt qu’à l’hôpital. Cela représente une véritable révolution dans l’organisation des soins de santé, ce qui permet de libérer des lits hospitaliers pour les cas les plus graves et d’offrir aux patients un cadre de soins plus confortable, moins risqué en termes d’infections nosocomiales (ces infections contractées au sein d’un établissement hospitalier, ndlr) et souvent plus adapté à leurs besoins.
En Belgique, ce modèle a été particulièrement développé pour des traitements comme la chimiothérapie ou l’antibiothérapie, et a encore gagné en popularité à la suite de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Les soins à domicile, cependant, ne sont pas exempts de défis. La gestion des soins, la coordination des équipes soignantes, ainsi que la réactivité face aux imprévus nécessitent des modèles de planification complexes et flexibles.
L’optimisation de l’allocation des ressources – humaines et matérielles – et des itinéraires du personnel soignant est essentielle pour garantir la qualité des soins tout en optimisant les coûts, permettant ainsi une prise en charge efficace et sûre du plus grand nombre possible de patients.
Une approche innovante pour organiser les tournées des personnels infirmiers
Les soins à domicile posent des défis opérationnels majeurs. L’un des plus importants est la gestion des plannings des soignants, qui déterminent l’affectation du personnel aux différentes pauses de travail. Ces plannings sont généralement établis sur une base mensuelle, en tenant compte des prévisions de la demande, d’hypothèses concernant la disponibilité des soignants, des contraintes légales et des accords contractuels. Ils doivent donc être souvent révisés afin de prendre en compte les données réelles dès que des informations précises concernant les patients et les soignants sont disponibles.
Le problème des tournées des infirmiers et des infirmières est au cœur de plusieurs travaux de recherche. Ce problème consiste à planifier efficacement les itinéraires des soignants tout en respectant les contraintes de temps, de ressources et de préférences des patients.
Dans le cadre de l’hospitalisation à domicile, la qualité des tournées des personnels infirmiers dépend très souvent d’autres décisions, prises en amont, notamment la planification des horaires des soignants. C’est pourquoi nos recherches proposent une approche innovante en considérant simultanément les décisions de modifications d’horaires à court terme et celles de création des tournées.
Concrètement, notre modèle agit comme un outil d’aide à la décision intégrée : il permet de déterminer en même temps quels patients admettre, comment ajuster les plannings des infirmiers, et comment organiser leurs tournées quotidiennes. Cette approche conjointe évite les incohérences qui apparaissent souvent lorsqu’on traite ces questions séparément (par exemple, accepter plus de patients que le personnel ne peut en visiter, ou planifier des horaires irréalistes).
L’objectif principal est de soigner le plus grand nombre de patients possible à domicile, tout en préservant l’efficacité et la charge de travail raisonnable du personnel soignant.
Sur le plan technique, la méthode repose sur un algorithme itératif de type « ruiner et recréer », qui explore différentes configurations, quitte à assouplir temporairement certaines contraintes pendant le processus algorithmique, afin d’aboutir à un plan globalement plus robuste et plus réaliste.
Gérer des chimiothérapies en HAD avec des médicaments à stabilité limitée
Un autre exemple est celui de la chimiothérapie à domicile, qui nécessite l’administration de médicaments qui ne restent parfois stables que quelques heures après leur production à la pharmacie de l’hôpital.
Nous avons développé une méthode d’optimisation qui permet de planifier conjointement la préparation des médicaments et les tournées des infirmiers. En effet, certains traitements injectables ne pouvant pas être produits à l’avance, la production et l’administration doivent être parfaitement synchronisées. Notre méthode s’appuie sur un algorithme intelligent de type « recherche à voisinage large », combiné à un modèle d’optimisation linéaire qui ajuste avec précision les horaires de production et de soins.
Ce système explore de multiples scénarios, corrige les incompatibilités et aboutit à une organisation efficace et réaliste. La durée totale de travail des pharmaciens et infirmiers est minimisée, tout en garantissant la faisabilité opérationnelle et la qualité du service rendu aux patients.
L’approche illustre le rôle croissant des technologies d’aide à la décision dans l’organisation des soins à domicile. À ce stade, elle est validée en simulation sur des données hospitalières synthétiques et constitue une étape de recherche appliquée avant une mise en œuvre concrète en milieu hospitalier.
Les technologies de santé : défis et limites pour les soins à domicile
Les technologies de santé jouent un rôle essentiel dans l’optimisation des soins à domicile. Des outils comme la télémédecine et les plateformes de gestion des soins permettent aux professionnels de la santé de suivre les patients à distance, d’adapter leurs traitements et de maintenir une communication constante.
À titre d’exemple, en Belgique, dans le cadre des plans nationaux d’action e-santé, le gouvernement a instauré la plateforme MaSanté, afin de garantir le suivi et le partage d’informations avec les patients en un seul endroit. Une autre plateforme dédiée aux dispositifs de santé connectés, qui agissent en tant que dispositifs médicaux, a également été créée.
Toutefois, l’accès aux technologies nécessaires pour des soins à domicile efficaces est inégalement réparti, au détriment notamment des habitants des zones rurales et/ou des patients à faibles revenus. Ces inégalités sociales demeurent un obstacle majeur à l’universalisation de ce modèle.
Cet article a été rédigé avec l’aide du Dr Arnaud Stiepen, expert en communication et vulgarisation scientifiques.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
18.11.2025 à 16:13
Pour prédire si un volcan sera effusif ou explosif, il faut s’intéresser à ses bulles
Texte intégral (1771 mots)

Une étude publiée très récemment dans la revue « Science » permet de mieux comprendre le moteur des éruptions volcaniques : la formation des bulles dans le magma.
Les observations faites depuis des décennies dans diverses régions du monde montrent que les éruptions volcaniques sont caractérisées par deux types de comportement en surface. D’un côté du spectre, le magma qui remonte depuis les profondeurs de la Terre est émis calmement sous forme de coulées ou de dômes de lave, caractérisant ainsi le style « effusif ». C’est le cas des volcans d’Hawaï ou de La Réunion dont les éruptions quasi annuelles font souvent l’actualité dans les médias.
À l’opposé, un mélange turbulent de gaz et de cendres est éjecté violemment dans l’atmosphère, définissant ainsi le style « explosif ». Le mélange forme un panache qui s’élève dans un premier temps à des altitudes pouvant atteindre 40-50 kilomètres et qui finit souvent par s’effondrer sous l’effet de la gravité pour former des nuées ardentes dévastatrices qui se propagent à haute vitesse le long du sol. Un exemple célèbre est l’éruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère qui détruisit les villes de Pompéi et d’Herculanum.
Les données collectées par les scientifiques montrent que le comportement d’un volcan comme le Vésuve peut changer au cours du temps, alternant les périodes effusives et explosives, à cause de variations de la nature des magmas et des conditions de stockage en profondeur. Dans ce contexte, comprendre les mécanismes fondamentaux des éruptions volcaniques afin de mieux prédire leurs conséquences est un enjeu sociétal et environnemental majeur compte-tenu qu’environ 600 millions de personnes dans le monde vivent dans des zones potentiellement touchées par les aléas volcaniques.
Comprendre l’origine des bulles dans le magma
Le moteur des éruptions volcaniques est la formation des bulles de gaz dans le magma. En particulier, la temporalité de la formation puis de la croissance des bulles, le volume qu’elles occupent et leur capacité à ne pas se séparer du liquide magmatique contrôlent la dynamique de la remontée du mélange dans le conduit volcanique vers la surface et, au final, le style éruptif décrit ci-dessus (Figure 1A). C’est dans ce cadre que nous avons mené une étude pour mieux comprendre l’origine de la formation des bulles, un phénomène appelé « nucléation ». Les résultats de nos travaux ont été publiés le 6 novembre dans la revue Science.
Jusqu’à présent, les volcanologues ont considéré que la nucléation des bulles était déclenchée principalement par la décompression du magma saturé en gaz dissous (essentiellement de la vapeur d’eau) lors de l’ascension dans le conduit. En effet, chacun a déjà constaté l’effet produit par l’ouverture trop rapide d’une bouteille de boisson gazeuse : lorsque la pression chute, le liquide qui contient du gaz dissous (CO2 dans ce cas) devient sursaturé, et des bulles de gaz se forment alors rapidement, croissent, et entraînent le liquide vers le goulot de la bouteille. Au cours de la nucléation, la différence de pression entre un embryon de bulle et le liquide est connue comme une source d’énergie mécanique qui contribue à faire croître l’amas gazeux alors que la tension superficielle du liquide s’y oppose, et au-delà d’une taille critique, l’embryon devient une bulle qui croît spontanément.
Or, les différences de vitesse au sein d’un magma en mouvement génèrent des forces dites de cisaillement qui pourraient être une autre source d’énergie mécanique apte à déclencher la nucléation. C’est le cas en particulier dans un conduit volcanique en raison d’une différence de vitesse entre les bords, où le frottement est important, et le centre (Figure 1A).
L’importance des forces de cisaillement
Nous avons testé cette hypothèse au moyen d’expériences dites analogiques, réalisées dans des conditions de température et avec des matériaux différents de ceux dans la nature. Les expériences sont faites dans un rhéomètre, un équipement utilisé pour mesurer la capacité des fluides à se déformer. Ce dispositif permet de cisailler une couche d’oxyde de polyéthylène liquide à 80 °C et sursaturé en CO2, laquelle simule le magma dans la nature. Les expériences montrent que la nucléation de bulles de gaz est déclenchée lorsque la force de cisaillement appliquée atteint une valeur seuil qui décroît avec la teneur en CO2 (Figure 1B). De plus, le cisaillement cause le rapprochement puis l’agglomération en de plus grosses bulles et ainsi leur croissance. Nos données expérimentales sont en accord avec un modèle qui indique que la taille minimale pour qu’un embryon de bulle puisse croître est de près d’un millionième de millimètre. Ces résultats sont complétés par des simulations moléculaires qui confirment que la nucléation se produit si le cisaillement est suffisamment fort (Figure 1C).
Nous avons finalement extrapolé nos résultats aux systèmes volcaniques en tenant compte du rapport des pressions mises en jeu et des propriétés des magmas. L’analyse montre que la nucléation par cisaillement peut se produire dans un conduit dans presque tous les cas, et nous en tirons deux conclusions principales. La première est qu’un magma pauvre en gaz dissous, et donc a priori non explosif, pourrait néanmoins conduire à une éruption violente en raison d’un important cisaillement causant une nucléation massive. La seconde est qu’une nucléation efficace dans un magma très visqueux et très riche en gaz dissous, couplée à la décompression lors de la remontée et à une agglomération et à une croissance rapide des bulles, peut conduire à la formation de chenaux de dégazage connecté à la surface et engendrer, paradoxalement, une éruption non violente. Ce processus peut être renforcé lorsque la nucléation se produit à proximité de bulles préexistantes, comme le montrent nos expériences. Ce mécanisme explique l’observation contre-intuitive faite depuis longtemps par les volcanologues selon laquelle les magmas très visqueux et contenant de fortes teneurs en gaz dissous peuvent produire des éruptions effusives.
Nos travaux suggèrent que la nucléation induite par cisaillement doit désormais être intégrée aux modèles mathématiques de conduits volcaniques développés par les volcanologues et qui permettent de prédire les dynamismes éruptifs. En couplant cette approche à d’autres modèles qui simulent des coulées de la lave, des panaches ou des nuées ardentes, il est ainsi possible de définir les zones potentiellement atteintes par les produits des éruptions. Cette tâche est essentielle pour la gestion des risques naturels et pour la protection des populations qui vivent à proximité des volcans actifs.
Olivier Roche a reçu des financements du programme I-SITE CAP 20-25 piloté par l'UCA.
Jean-Michel Andanson a reçu des financements ANR, CNRS, Université Clermont Auvergne, commission européenne, Fond national Suisse.
18.11.2025 à 13:28
Pourquoi il n’est pas toujours facile d’évaluer sa douleur sur une échelle de 0 à 10
Texte intégral (2681 mots)

Il vous est peut-être déjà arrivé de vous trouver désemparé face à un soignant qui vous demande d’évaluer, sur une échelle de cotation, l’intensité de votre douleur. Rien d’étonnant à cela : la douleur est une expérience complexe qu’il n’est pas évident de résumer par un simple chiffre.
En serrant son bras contre elle, dans la salle des urgences, ma fille m’a dit : « Ça fait vraiment mal. » — « Sur une échelle de zéro à dix, à combien évalues-tu ta douleur ? », lui a demandé l’infirmière. Le visage couvert de larmes de ma fille a alors exprimé une intense confusion. — « Qu’est-ce que ça veut dire, dix ? », a-t-elle demandé. — « Dix, c’est la pire douleur que tu puisses imaginer. » Elle a eu l’air encore plus déconcertée.
Je suis son père et en tant que tel mais aussi spécialiste de la douleur, j’ai pu constater à cette occasion à quel point les systèmes d’évaluation de la douleur dont nous disposons, pourtant conçus à partir d’une bonne intention et en apparence simples d’utilisation, s’avèrent parfois très insuffisants.
Les échelles de la douleur
L’échelle la plus couramment utilisée par les soignants pour évaluer la douleur existe depuis une cinquantaine d’années. Son utilisation requiert de demander aux patients d’évaluer leur douleur en lui attribuant un chiffre allant de 0 (« aucune douleur ») à 10 (généralement « la pire douleur imaginable »).
Cette méthode d’évaluation se concentre sur un seul aspect de la douleur – son intensité – pour tenter de comprendre au plus vite ce que ressent le patient : à quel point cela fait-il mal ? Est-ce que la douleur empire ? Le traitement l’atténue-t-il ?
De telles échelles de cotation peuvent s’avérer utiles pour suivre l’évolution de l’intensité de la douleur. Si la douleur passe de 8 à 4 au fil du temps, cela signifie que le patient se sent probablement mieux – quand bien même l’intensité 4 ressentie par un individu peut ne pas être exactement la même que celle ressentie par une autre personne.
Les travaux de recherche suggèrent qu’une diminution de deux points (30 %) de la sévérité d’une douleur chronique correspond généralement à un changement qui se traduit par une différence significative dans la vie quotidienne des malades.
Mais c’est la borne supérieure de ces échelles – « la pire douleur imaginable » – qui pose problème.
Un outil trop limité pour rendre compte de la complexité de la douleur
Revenons au dilemme de ma fille. Comment quelqu’un parvient-il à imaginer la pire douleur possible ? Tout le monde imagine-t-il la même chose ? Les travaux de recherches suggèrent que non. Même les enfants ont une interprétation toute personnelle du mot « douleur ».
Les individus ont tendance – et c’est compréhensible – à ancrer leur évaluation de la douleur dans les expériences qu’ils ont vécues par le passé. Cela crée des écarts considérables d’une personne à l’autre. Ainsi, un patient qui n’a jamais subi de blessure grave sera peut-être plus enclin à donner des notes élevées qu’une personne ayant déjà souffert de brûlures sévères.
La mention « aucune douleur » peut également poser problème. Un patient dont la douleur a diminué mais qui reste inconfortable peut se sentir paralysé face à ce type d’échelle, car elle ne comporte pas de chiffre de 0 à 10 qui traduise fidèlement son ressenti physique.
Les spécialistes de la douleur sont de plus en plus nombreux à reconnaître qu’un simple chiffre ne peut rendre compte d’une expérience aussi complexe, multidimensionnelle et éminemment personnelle que la douleur.
Notre identité influence notre douleur
Divers facteurs influent sur notre façon d’évaluer la douleur : la mesure dans laquelle celle-ci perturbe nos activités, le degré d’angoisse qu’elle engendre, notre humeur, notre fatigue, ou encore la façon dont ladite douleur se compare à celle que nous avons l’habitude de ressentir.
D’autres paramètres entrent également en ligne de compte, notamment l’âge, le sexe, le niveau de littératie et de numératie du patient, ou encore le contexte culturel et linguistique. Si le soignant et le patient ne parlent pas la même langue, la communication autour de la douleur et de sa prise en charge s’avérera encore plus difficile…
Autre difficulté : certaines personnes neurodivergentes peuvent interpréter le langage de manière plus littérale que la moyenne, ou traiter l’information sensorielle différemment des autres. Comprendre ce que les gens expriment de leur douleur exige alors une approche plus individualisée.
Les cotations « impossibles »
Pour autant, nous devons faire avec les outils dont nous disposons. Des travaux ont démontré que lorsque les patients utilisent l’échelle de 0 à 10, ils tentent de communiquer bien davantage que la seule « intensité » de leur douleur.
Ainsi, lorsqu’un individu affirme « ma douleur est à 11 sur 10 », cette cotation « impossible » va probablement au-delà de la simple évaluation de la sévérité de sa souffrance. Cette personne se demande peut-être : « Est-ce que ce soignant me croit ? Quel chiffre me permettra d’obtenir de l’aide ? » Dans ce seul nombre se trouve condensée une grande quantité d’informations. Il est très probable que le chiffre énoncé signifie en réalité : « La situation est grave. Aidez-moi, s’il vous plaît. »
Dans la vie courante, nous mobilisons une multitude de stratégies de communication différentes. Pour exprimer nos ressentis, nous pouvons gémir, changer notre façon de nous mouvoir, utiliser un vocabulaire riche en nuances, recourir à des métaphores… Lorsqu’il s’agit d’évaluer un niveau de douleur, recueillir et évaluer de telles informations complexes et subjectives n’est pas toujours possible, car il est difficile de les standardiser.
En conséquence, de nombreux chercheurs qui travaillent sur la douleur continuent de s’appuyer largement sur les échelles de cotation. En effet, elles ont pour elles d’être simples, rapides à présenter, et de s’être révélées valides et fiables dans des contextes relativement contrôlés.
Les cliniciens, en revanche, peuvent exploiter ces autres informations, plus subjectives, afin de se représenter une image plus complète de la douleur de la personne.
Comment mieux communiquer sur la douleur ?
Pour atténuer les effets que peuvent avoir les différences de langue ou de culture sur la manière d’exprimer la douleur, différentes stratégies existent.
L’emploi d’échelles visuelles en est une. L’« échelle des visages » (Faces Pain Scale–Revised, FPS-R) invite les patients à choisir sur un document une expression faciale parmi plusieurs, pour communiquer leur douleur. Elle peut se révéler particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’évaluer la douleur des enfants, ou celle de personnes peu à l’aise avec les chiffres et la lecture (soit d’une façon générale, ou parce qu’elles ne maîtrisent pas la langue utilisée dans le système de soins qui les prend en charge).
L’« échelle visuelle analogique » verticale requiert quant à elle d’indiquer sa douleur sur une ligne verticale, un peu comme si l’on imaginait que celle-ci était progressivement « remplie » par la douleur).
(En France, les échelles considérées comme valides pour mesurer la douleur ont été listées par la Haute Autorité de santé (HAS), NdT)
Qui peut améliorer les choses, et comment ?
Professionnels de santé
Prenez le temps d’expliquer correctement aux patients le principe de l’échelle de cotation de la douleur choisie, en gardant à l’esprit que la formulation des bornes (de 0 à 10) a son importance.
Soyez attentif à l’histoire que raconte le chiffre donné par la personne, car un simple numéro peut signifier des choses très différentes d’une personne à l’autre.
Servez-vous de la cotation comme point de départ pour un échange plus personnalisé. Prenez en compte les différences culturelles et individuelles. Demandez aux patients d’employer un vocabulaire descriptif, et vérifiez auprès d’eux que votre interprétation est la bonne, afin d’être sûrs que vous parlez bien de la même chose.
Patients
Pour mieux décrire votre douleur, utilisez l’échelle numérique qui vous est proposée, mais ajoutez-y du contexte. Essayez de qualifier votre douleur (s’agit-il d’une brûlure ? D’un élancement ? La ressentez-vous comme un coup de poignard ?), et comparez-la à des expériences passées.
Expliquez l’impact que la douleur a sur vous – non seulement émotionnellement, mais aussi sur vos activités quotidiennes.
Parents
Demandez aux soignants d’utiliser une échelle de la douleur adaptée aux enfants. Il existe des outils spécifiques, pour différents âges, tels que l’« échelle des visages ».
Dans les services de pédiatrie, les soignants sont formés pour employer un vocabulaire adapté à chaque stade du développement de l’enfant, car la compréhension des nombres et de la douleur n’évolue pas de la même façon chez chacun.
Les échelles, un simple point de départ
Les échelles de cotation de la douleur ne permettront jamais de mesurer parfaitement la douleur. Il faut les voir comme des amorces de conversation, destinées à aider les personnes à communiquer à l’autre une expérience profondément intime.
C’est ce qu’a fait ma fille. Elle a trouvé ses propres mots pour décrire sa douleur : « C’est comme quand je suis tombée des barres de singe, mais dans mon bras au lieu de mon genou, et ça ne diminue pas quand je reste immobile. »
À partir de ce point de départ, nous avons pu commencer à nous orienter vers un traitement permettant une prise en charge efficace de sa douleur. Parfois, les mots fonctionnent mieux que les chiffres.
Joshua Pate a reçu des honoraires pour des conférences sur la douleur et la physiothérapie. Il perçoit des droits d'auteur pour des livres pour enfants.
Dale Langford a reçu des honoraires et un soutien à la recherche de la part du réseau ACTTION (Analgesic, Anesthetic, and Addiction Clinical Trials, Translations, Innovations, and Opportunities Network), un partenariat public-privé avec la Food & Drug Administration des États-Unis. Elle a également bénéficié du soutien des National Institutes of Health américains.
Tory Madden travaille pour l'université du Cap, où elle dirige l'African Pain Research Initiative (Initiative africaine de recherche sur la douleur). Elle bénéficie d'un financement des National Institutes of Health (Instituts nationaux de la santé) américains. Elle est affiliée à l'université d'Australie du Sud, à la KU Leuven et à l'organisation à but non lucratif Train Pain Academy.