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15.12.2025 à 16:35

France–Chine : une relation déséquilibrée, au profit de Pékin

Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)
Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)
Emmanuel Macron voulait convaincre Xi Jinping de se rapprocher de ses positions sur le dossier ukrainien, et obtenir des avancées afin de réduire le déficit commercial français vis-à-vis de la Chine. Sans succès.
Texte intégral (2207 mots)

Le récent déplacement d’Emmanuel Macron en Chine a mis en évidence la difficulté qu’éprouve la France à influencer diplomatiquement la République populaire et à rééquilibrer les échanges commerciaux bilatéraux.


Du 3 au 5 décembre 2025, Emmanuel Macron a effectué une visite d’État en Chine, sa quatrième depuis 2017. Conformément à l’ambition de construire entre les deux pays une relation d’engagement à la fois respectueuse et exigeante, l’Élysée a déployé un dispositif conséquent : pas moins de six ministres (affaires étrangères, économie, agriculture, environnement, enseignement supérieur et culture) ainsi que trente-cinq chefs d’entreprise accompagnaient la délégation présidentielle.

Une mobilisation importante, symbole d’une relation multidimensionnelle… dont l’équilibre penche désormais résolument du côté de Pékin.

Un dialogue géopolitique de sourds

Les deux États sont de facto investis d’une responsabilité en matière de sécurité internationale, en tant que puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

C’est au nom de cette responsabilité commune, et d’une supposée conception partagée du multilatéralisme, qu’Emmanuel Macron tente depuis 2022 de convaincre son homologue chinois d’œuvrer pour la paix en Ukraine : d’abord en s’assurant que Pékin s’abstienne de tout soutien à Moscou, ensuite en encourageant Xi Jinping à utiliser son influence sur Vladimir Poutine pour faciliter l’ouverture d’un processus diplomatique. Mais le président français n’a pas obtenu plus de succès lors de ce déplacement que les fois précédentes, se heurtant à une fin de non-recevoir polie mais ferme, son hôte se contentant d’appeler à « un renfort de la coopération » et à « écarter toute interférence ».

Il est vrai que, sur ce sujet, la neutralité de façade affichée par Pékin ne résiste pas à l’examen des faits. Le commerce sino-russe a doublé depuis 2020, et de nombreuses entreprises chinoises contribuent, discrètement mais de manière significative, à l’effort de guerre russe. Au reste, en termes de stratégie, Pékin n’a aucun intérêt à ce que le conflit russo-ukrainien cesse. Il affaiblit chaque mois davantage l’Union européenne, attire la Russie dans le giron chinois et retient pour l’heure les États-Unis sur le front occidental.

Concernant l’autre sujet géopolitique brûlant, Taïwan, Emmanuel Macron s’est gardé, cette fois-ci, de toute déclaration sujette à interprétation douteuse. Il faut dire qu’en la matière le président marche sur des œufs, et peut faire l’objet de tirs croisés. En 2023, il avait suscité l’ire de ses partenaires occidentaux en appelant les Européens à n’être « suivistes » ni des États-Unis ni de la Chine sur le dossier taïwanais. Un an plus tard, la comparaison qu’il a esquissée sur le podium du Shangri-La Dialogue, à Singapour, entre les situations ukrainienne et taïwanaise était jugée inacceptable, cette fois-ci par les Chinois.


À lire aussi : Un dialogue de sourds entre les grandes puissances en Asie-Pacifique ?


In fine, la portée réelle du dialogue franco-chinois sur les questions de sécurité internationale demeure très limitée. La diplomatie française adopte donc une approche prudente, soucieuse de ne pas compromettre une relation commerciale déjà largement fragilisée.

Une relation économique asymétrique

La France souffre en effet d’un déficit commercial abyssal vis-à-vis de la Chine, qui est d’ailleurs son plus important déficit bilatéral. En 2024, il s’est élevé à 47 milliards d’euros. Si les multinationales françaises continuent de réaliser des profits substantiels en Chine (notamment dans l’aéronautique et le spatial, l’agroalimentaire, le luxe ou le cosmétique), les retombées pour l’ensemble du tissu économique national sont moins évidentes. Depuis l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, l’ouverture tous azimuts au capitalisme d’État chinois a contribué, en France, à la désindustrialisation et à la perte d’avantages compétitifs de nombreux produits à haute valeur ajoutée.

Le président français a beau prévenir que « le déficit du reste du monde vis-à-vis de la Chine est en train de devenir insoutenable », la République populaire de Chine (RPC) est devenue un maillon essentiel de nombreuses chaînes d’approvisionnement stratégiques (informatique, équipements électroménagers, textiles, batteries, terres rares, etc.). Cette dépendance sera difficilement réversible. Sauf si, en concertation avec ses partenaires européens, elle exige de la Chine des transferts de technologie, et des investissements créateurs d’emplois sur les territoires nationaux.

Mais pour l’heure, la diplomatie française n’a d’autre choix que de jouer sur des mesures de court terme : elle tente notamment de limiter l’impact des enquêtes anti-dumping menées par la douane chinoise, qui visent plusieurs produits français (spiritueux – cognac en tête –, produits laitiers, porc, viande bovine). Les filières françaises sont ici les victimes collatérales des contre-mesures chinoises adoptées pour répondre aux droits de douane imposés par Bruxelles (et soutenus par Paris) sur les véhicules électriques chinois depuis octobre 2024.

Ces manœuvres réciproques ressemblant de plus en plus à une guerre commerciale entre l’Union européenne (UE) et la Chine. Quelques heures seulement après son retour de Chine, Emmanuel Macron menaçait même d’imposer des droits de douane à la Chine « dans les tout prochains mois », si le déficit commercial ne se réduisait pas.

Ambivalences françaises, inflexibilités chinoises

Les investissements croisés constituent également un point de friction. En effet, la France investit largement plus en Chine que l’inverse : le stock d’investissements français y atteint environ 46 milliards d’euros, contre quelque 12 milliards pour les investissements chinois en France.

Paris cherche dès lors à obtenir un rééquilibrage des flux et, plus largement, à promouvoir des conditions de concurrence équitables. Dans cette perspective, les autorités françaises continuent de courtiser les investisseurs chinois… à condition que cela ne compromette pas la souveraineté nationale. Une attitude, parfois ambivalente, qui ne va pas sans casse. Ainsi, l’usine Huawei en Alsace, livrée en septembre 2025, qui a représenté un investissement de 300 millions d’euros, risque d’être abandonnée et mise en vente avant même d’avoir ouvert.

À l’échelle politique, la diplomatie française qualifie « en même temps » la Chine de rival systémique dans le cadre européen, et de partenaire stratégique dans le cadre bilatéral. Un double discours parfois illisible et souvent incantatoire, tant la dépendance au partenaire (et/ou rival) chinois reste prépondérante. Une situation que ni la France ni l’Europe n’arrivent à infléchir.

À Pékin, la France gaullienne continue d’être célébrée comme un modèle d’indépendance et de non-alignement. Personne n’est toutefois dupe : la Chine flatte à l’échelle bilatérale pour mieux diviser les Européens et préserver les avantages structurels dont elle bénéficie. Une stratégie payante : alors que l’Union européenne et la Chine célébraient cinquante ans de relations diplomatiques, et que le président français avait pris l’habitude d’être accompagné par la présidente de la Commission européenne lors de ses rencontres avec Xi Jinping, Emmanuel Macron s’est cette fois déplacé seul.

Si l’UE demeure le deuxième partenaire commercial de la Chine (derrière l’Asean) – et à ce titre un acteur incontournable –, le déficit commercial européen s’élevait en 2024 à près de 350 milliards d’euros.

La RPC entend tirer pleinement parti de cette asymétrie, tout en veillant à ce que le bloc européen ne se fédère pas contre elle. Dans ce contexte, la France est aux yeux des Chinois un pays « romantique », comprenons : has been, politiquement inefficace et économiquement étriqué.

De Beauval à Chengdu, le soft power comme dernier point d’équilibre ?

Soixante-et-un ans après l’établissement de la relation bilatérale, ce déplacement aura surtout révélé les insuffisances françaises et le déséquilibre bilatéral structurel au profit de la Chine.

Emmanuel Macron pourra toujours se féliciter d’avoir été accueilli en grand chef d’État, Xi Jinping n’ayant pas lésiné sur les moyens pour lui « donner de la face ». Fait exceptionnel dans le protocole chinois, le président français a été convié pour la troisième fois en province – après Xi’an en 2018 et Canton en 2023 –, cette fois à Chengdu, quatrième ville de Chine et siège du plus grand centre de recherche et de conservation des pandas géants, des ursidés que Pékin érige en ambassadeurs et en véritables instruments diplomatiques.

Brigitte Macron a donc pu revoir son filleul Yuan Meng, premier panda géant né en France en 2017 et retourné à Chengdu en 2023. La Chine enverra d’ailleurs deux nouveaux pandas au ZooParc de Beauval d’ici à 2027. Simultanément, Emmanuel Macron a pu échanger quelques balles avec Félix Lebrun, le jeune pongiste médaillé à Paris 2024, venu disputer en Chine une compétition internationale. Cinquante ans après, la « diplomatie du ping-pong » reste donc d’actualité, comme démonstration maîtrisée d’amitié symbolique. Sans oublier le sprint aussi inédit que disruptif du président français qui lui permit de braver les cordons de sécurité chinois pour aller saluer les étudiants de l’Université du Sichuan. La France a pu ainsi se montrer sous un jour libertaire et sympathique.

À défaut d’influer sur les orientations géopolitiques et économiques de Pékin, la France peut toujours compter sur le soft power pour entretenir un dialogue. L’honneur est donc sauf… Mais à quel prix !

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

15.12.2025 à 16:34

Faut-il fuir, se cacher ou intervenir si l’on est pris dans un attentat de masse comme celui en Australie ?

Milad Haghani, Associate Professor and Principal Fellow in Urban Risk and Resilience, The University of Melbourne
Les actions d’Ahmed Al-Ahmed ont très certainement sauvé des vies, mais son intervention va-t-elle à l’encontre des recommandations officielles sur la façon de réagir lors des actes de violence de masse ?
Texte intégral (1944 mots)
Ahmed Al-Ahmed (en blanc) désarme l’un des tireurs pendant la tuerie de Bondi Beach, à Sydney (Australie), le 14 décembre 2025. Instagram

Le bilan de la tuerie de Bondi Beach (Sydney, Australie), hier 14 décembre, aurait probablement été plus lourd sans l’intervention héroïque – et extrêmement risquée – d’un passant. Cet épisode invite à s’interroger sur les recommandations officielles des autorités sur le comportement à adopter si l’on est pris dans ce type d’événements. On constate que les conseils donnés par les responsables australiens ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux diffusés par leurs homologues états-uniens. L’étude de nombreux cas similaires survenus dans le monde donne également des indications utiles.


Les images ont fait le tour du monde : pendant l’attentat de Bondi Beach, ce dimanche 14 décembre à Sydney, un homme s’est précipité vers l’un des tireurs et lui a arraché son arme des mains.

Durant cet acte de bravoure extraordinaire, le civil en question, Ahmed Al-Ahmed, un vendeur de fruits âgé de 43 ans, a été blessé à la main et à l’épaule par le second tireur.

Le courage et le risque

Nous n’avons aucun moyen de savoir combien de vies ont été sauvées grâce au courage d’Al-Ahmed. Mais il est presque certain que son intervention a permis d’éviter des pertes humaines supplémentaires (le bilan s’élève à ce stade à 15 morts et 42 blessés, en plus des deux tireurs, dont l’un a été tué et l’autre se trouve dans un état critique).

Cette scène rappelle d’autres, y compris récemment toujours à Sydney : le 13 avril 2024, un passant français, Damien Guérot, était également intervenu au péril de sa vie lors de l’attaque du centre commercial de Bondi Junction pour faire face à un homme armé d’un couteau, qui avait ce jour-là poignardé six personnes à mort.

Lorsque des actes de courage comme ceux-ci se produisent, nous les saluons à juste titre. Cependant, ils soulèvent des questions importantes et souvent négligées : qu’est-ce qui motive des gens ordinaires à se conduire d’une façon aussi altruiste et risquée ? L’intervention des témoins est-elle une bonne stratégie ou va-t-elle à l’encontre des conseils officiels relatifs à la conduite à tenir si l’on est pris dans un acte de violence de masse ?

Les deux types d’« effet spectateur »

L’« effet spectateur » se produit lorsque la présence d’autres personnes dissuade quelqu’un d’intervenir dans une situation d’urgence, lors d’une agression ou d’un autre crime.

Mais des décennies de recherche comportementale ont remis en cause l’idée reçue selon laquelle les gens ont tendance à se figer ou à détourner le regard lorsque d’autres personnes sont présentes dans des situations dangereuses.

Une vaste méta-analyse du comportement des témoins montre que dans les situations d’urgence véritablement dangereuses et sans ambiguïté (comme celles impliquant un auteur clairement identifiable), l’effet spectateur classique (c’est-à-dire passif) est considérablement affaibli, voire dans certains cas inversé.

En d’autres termes, les attaques violentes sont précisément le type de situations où les gens sont plus enclins à agir.

L’une des raisons est que le danger clarifie les responsabilités. Lorsqu’une situation menace clairement leur vie, les gens identifient le danger plus rapidement et sont moins enclins à attendre des signaux sociaux ou des assurances de la part des autres.

On a constaté à maintes reprises que dans les situations d’urgence clairement à haut risque (en particulier celles impliquant de la violence physique), le sentiment de responsabilité individuelle s’accentue souvent au lieu de s’estomper.

Une analyse de plus de 100 attentats-suicides effectués en Israël montre que l’intervention des témoins peut réduire considérablement le nombre total de victimes.

Dans tous ces incidents documentés, l’intervention n’a que rarement permis d’empêcher complètement l’attaque, mais elle a souvent perturbé le contrôle de l’agresseur sur le moment et le lieu de l’attaque, le poussant à agir prématurément dans des lieux moins fréquentés et sauvant ainsi des vies.

Cependant, la même analyse montre également que l’intervention des témoins a souvent eu un coût personnel direct pour les intervenants.

Mais le comportement actif des témoins peut prendre plusieurs formes et intervenir à différents stades : une personne connaissant l’auteur des faits, qui remarque et signale un comportement suspect avant l’agression ; un individu qui guide les autres vers un lieu sûr ou qui partage des informations importantes au fur et à mesure que les événements se déroulent ; des gens qui apportent leur aide et assurent la coordination de diverses actions immédiatement après les faits.

Il n’en reste pas moins qu’une implication personnelle pour empêcher un acte de violence semble aller à l’encontre des conseils officiels des autorités australiennes. En effet, il y a quelques semaines à peine, le Comité australo-néo-zélandais de lutte contre le terrorisme a lancé une nouvelle campagne nationale de sécurité publique.

Un nouveau message de sécurité

La nouvelle campagne de sécurité publique reconnaît explicitement que l’Australie est un pays sûr, mais qu’il existe toujours un risque d’attaques à l’arme à feu dans les lieux très fréquentés, et que savoir comment réagir peut sauver des vies.

La campagne a introduit les consignes suivantes : « Fuir. Se cacher. Prévenir. », définies comme suit :

  • fuir : éloignez-vous rapidement et discrètement du danger, mais uniquement si cela ne présente aucun danger pour vous ;

  • se cacher : restez hors de vue et mettez votre téléphone portable en mode silencieux ;

  • prévenir : appelez la police lorsque cela ne présente aucun danger ;

L’objectif de ces conseils est d’aider les personnes à réagir dans les premiers instants critiques avant l’arrivée de la police, à prendre des décisions éclairées et à augmenter leurs chances de rester en sécurité.

Les directives officielles australiennes n’incitent à aucun moment à se confronter aux assaillants.

En revanche, les messages de sécurité publique diffusés aux États-Unis, tels que les consignes du FBI « Run. Hide. Fight » (Courez. Cachez-vous. Luttez), incluent une étape « luttez », mais uniquement en dernier recours, lorsque la fuite et la dissimulation sont impossibles et que la vie est en danger immédiat.

Les autorités australiennes ont choisi de ne pas inclure cette étape, mettant l’accent sur l’évitement et le signalement plutôt que sur la confrontation.

Quelques conseils pratiques

Mes précédentes recherches expérimentales ont permis d’identifier des conseils plus spécifiques susceptibles d’améliorer les chances de survie lors d’attaques violentes, en particulier dans des environnements bondés.

À l’aide de modélisations informatiques et d’expériences contrôlées menées avec de véritables foules, j’ai identifié plusieurs domaines stratégiques pour améliorer les chances de survie lors de tels événements.

Premièrement, s’éloigner lentement du danger n’est pas idéal : il est préférable de s’éloigner de la source de la menace aussi rapidement que possible, dès lors que cela se fait en prenant les précautions nécessaires pour rester en sécurité.

Deuxièmement, l’hésitation, qu’il s’agisse de recueillir des informations, d’inspecter ce qui se passe ou de filmer les événements, augmente le risque d’être blessé.

Troisièmement, les gens doivent rester agiles dans leur prise de décision et leur orientation lorsqu’ils se déplacent, et être prêts à adapter leurs mouvements à mesure que la situation évolue et que les informations deviennent plus claires. Cela signifie qu’il faut continuellement observer son environnement et ajuster sa direction à mesure que de nouvelles informations apparaissent, plutôt que de s’arrêter pour réévaluer la situation.

Enfin, lorsque vous vous déplacez en famille ou entre amis, il vaut mieux se mettre en file indienne, plutôt qu’en se tenant par la main côte à côte. Cela profite à tout le monde en réduisant les bousculades et en améliorant la fluidité de la fuite des personnes.

Être toujours sur ses gardes

Les horribles événements survenus à Sydney soulignent une dure réalité : la préparation aux risques de violence dans les lieux très fréquentés doit devenir plus courante.

Les espaces très fréquentés resteront toujours vulnérables à la violence délibérée, qu’elle soit motivée par des intentions terroristes ou autres.

Les messages doivent toucher un plus grand nombre de personnes, être fondés sur des preuves, nuancés et largement accessibles.

À l’approche de plusieurs événements publics majeurs et de grands rassemblements de masse (notamment le réveillon du Nouvel An), il est plus important que jamais que les gens soient conscients de ces risques et restent vigilants.

The Conversation

Milad Haghani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.12.2025 à 11:41

Quand le management a fait des États-Unis une superpuissance

François-Xavier de Vaujany, Professeur en management & théories des organisations, Université Paris Dauphine – PSL
La naissance du management annonce une véritable stratégie géopolitique des États-Unis. L’enjeu : standardiser les outils d’aide à la décision, la formation des élites et les départements de l’État fédéral.
Texte intégral (3245 mots)
La promotion 1942 de l’École de statistiques de l’armée de l’air des États-Unis illustre la montée en puissance du management pendant la Seconde Guerre mondiale. Collection HBS Wartime Schools, archives de la Harvard Business School., CC BY

Une étude internationale, impliquant des chercheurs français, états-uniens et brésiliens, a mis au jour une histoire méconnue. Des années 1920 aux années 1960, le management a contribué à faire des États-Unis la puissance hégémonique que l’on connaît aujourd’hui. Son « momentum » : la Seconde Guerre mondiale. Ses armes : les managers formés dans les grandes écoles, les outils d’aide à la décision et la technostructure de l’État fédéral.


Explorer des archives, c’est évoluer dans un monde à la fois silencieux et étrange vu d’aujourd’hui. Comme l’explique l’historienne Arlette Farge dans son livre le Goût de l’archive (1989), le travail de terrain des historiens est souvent ingrat, fastidieux, voire ennuyeux. Puis au fil de recoupements, à la lumière d’une pièce en particulier, quelque chose de surprenant se passe parfois. Un déclic reconfigurant un ensemble d’idées.

C’est exactement ce qui est arrivé dans le cadre d’un projet sur l’histoire du management états-unien (HIMO) débuté en 2017, impliquant une douzaine de chercheurs français, états-uniens et brésiliens.

Notre idée ? Comprendre le lien entre l’histoire des modes d’organisation managériaux du travail et les épisodes de guerre aux États-Unis. D’abord orientée vers le XXe siècle, la période d’étude a été resserrée des années 1920 à la fin des années 1960, avec comme tournant la Seconde Guerre mondiale.

Du taylorisme au management

Au début de notre recherche en 2017, nous nous sommes demandé ce qui guidait cette métamorphose du management des années 1920 aux années 1960.

Au commencement était le taylorisme. On attribue à l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor (1856-1915) l’invention d’une nouvelle organisation scientifique du travail dans The Principles of Scientific Management. Ce one best way devient la norme. Au cœur de cette division du travail, la mutation des rôles des contremaîtres est essentielle.

Leur fonction est d’abord de s’assurer à la fois de la présence des ouvriers et du respect des gestes prescrits par les dirigeants. Avec le management, une révolution copernicienne est en marche. Les contremaîtres sont progressivement remplacés par les techniques de management elles-mêmes. Le contrôle se fait à distance, et devient de l’autocontrôle. Des outils et des systèmes d’information sont développés ou généralisés, comme les pointeuses. Peu à peu, toutes ces informations sont connectées à des réseaux… qui dessinent ce qui deviendra des réseaux informatiques. L’objectif : suivre l’activité en temps réel et créer des rapports à même d’aider les managers dans leur prise de décision.

Outils de gestion de projet

C’est ce que la philosophie nomme le représentationnalisme. Le monde devient représentable, et s’il est représentable, il est contrôlable. Sur un temps long, de nombreux outils de gestion de projet sont créés comme :

Nombre de ces techniques ou standards de management ont une genèse américaine comme l’ont montré notamment les travaux de Locke et Spender, Clegg, Djelic ou D’Iribarne. Des années 1910 aux années 1950, une importance croissante est accordée à la visualisation des situations.


À lire aussi : Les origines néolibérales de la mondialisation : retour sur l’émergence d’un ordre géopolitique aujourd’hui menacé


Notre intuition d’une obsession pour la représentation s’est affinée avec l’exploration d’archives liées aux réseaux du management, de l’Academy of Management, l’American Management Association, et la Society for Advancement of Management.

Management de l’armée

L’United States Army Air Forces se dote d’un service de statistiques, comme l’atteste plus tard ce document de 1952. Dafthistory

Dans son introduction de la conférence de l’Academy of Management de 1938, l’économiste Harlow Person, acteur clé de la Taylor Society, revient sur le rôle joué par la visualisation. Concrètement, une mission d’amélioration des processus administratifs est réalisée pour l’armée américaine durant la Première Guerre mondiale. L’organisation scientifique du travail déploie plus que jamais ses outils au-delà des chiffres et du texte.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’obsession pour la représentation est au cœur de la stratégie militaire des États-Unis, en synergie vraisemblablement avec le management. Par exemple, la carte d’état-major doit représenter la situation la plus fidèle possible au champ de bataille. Chaque drapeau, chaque figurine représentant un bataillon ami ou ennemi, doit suivre fidèlement les mouvements de chacun lors du combat. Toutes les pièces évoluant en temps réel permettent au généralissime de prendre les meilleures décisions possibles.

Mise en place d’une technostructure par Franklin Roosevelt

Un président des États-Unis incarne cette rupture managériale dans la sphère politique : Franklin Roosevelt. Secrétaire assistant à la Navy dans sa jeunesse, il assimile l’importance des techniques d’organisation dans les arsenaux maritimes de Philadelphie et New York, pour la plupart mis en œuvre par les disciples de Frederick Winslow Taylor.

Après la crise de 1929, la mise en place de politiques centralisées de relance a pour conséquence organisationnelle d’installer une technostructure. Plus que jamais, il faut contrôler et réguler l’économie. Un véritable État fédéral prend naissance avec la mobilisation industrielle initiée dès 1940.

Lorsque le New Deal est mis en place, Franklin Roosevelt comprend que le management peut lui permettre de changer le rapport de force entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Progressivement, il oppose la rationalité de l’appareil fédéral et son efficience à la logique plus bureaucratique incarnée par le Congrès. Concrètement, les effectifs de la Maison Blanche passent de quelques dizaines de fonctionnaires avant la Seconde Guerre mondiale à plus de 200 000 en 1943.

Le président des États-Unis dispose désormais de l’appareil nécessaire pour devenir « l’Arsenal de la démocratie », à savoir l’appareil productif des Alliés. Cette transformation contribue à faire des États-Unis la première puissance militaire mondiale au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’elle n’était que 19e avant son commencement.

Standardisation mondiale par le management

Bulletin de la Harvard Business School en hiver 1943. Harvard

Au-delà d’une obsession nouvelle pour la représentation tant organisationnelle que politique, la seconde dimension mise en lumière par cette recherche sur l’histoire du management est plus inattendue. Elle porte sur la mise en place d’une véritable géopolitique états-unienne par le management. Notre travail sur archive a permis de mieux comprendre la genèse de cette hégémonie américaine.

La standardisation des formations au management, en particulier par des institutions telles que la Havard Business School, a contribué subtilement à cette géopolitique américaine. Tout le développement de la connaissance managériale se joue sur le sol des États-Unis et l’espace symbolique qu’il étend sur le reste du monde, du MBA aux publications académiques, dont les classements placent aujourd’hui systématiquement les revues états-uniennes au sommet de leur Olympe.

Bulletin de la Harvard Business School en hiver 1943. Harvard Business School

Il en va de même pour le monde des cabinets de conseil en management de l’après-guerre, dominé par des structures américaines, en particulier pour la stratégie. En 1933, le Glass-Steagall Act impose aux banques la séparation des activités de dépôt de celles d’interventions sur les marchés financiers et de façon connexe, et leur interdit d’auditer et de conseiller leurs clients. Cela ouvre un espace de marché : celui du conseil externe en management, bientôt dopé par la mobilisation industrielle puis la croissance d’après-guerre.

Des cabinets se développent comme celui fondé par James McKinsey en 1926, professeur de comptabilité à l’université de Chicago. Son intuition : les entreprises souffrent d’un déficit de management pour surmonter la Grande Dépression et croître après la Seconde Guerre mondiale. De nombreux cabinets suivent cette tendance comme le Boston Consulting Group créé en 1963.

Près de 500 000 blessés industriels

Un des points les plus frappants de notre recherche est la conséquence du management sur le corps pendant le momentum de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 86 000 citoyens des États-Unis meurent dans les usines entre 1941 et 1945, 100 000 sont handicapés sévères et plus de 500 000 sont blessés au travail.

Une partie de nos archives sur le Brooklyn Navy Yard de New York l’illustre tristement. Dans le silence, chacun et chacune acceptent une expérience de travail impossible en considérant que leur fils, leur maris, leurs neveux, leurs amis au combat vivaient des situations certainement bien pires. Le management se fait alors patriote, américain et… mortifère.

Salariées du Brooklyn Navy Yard pendant la Seconde Guerre mondiale. Brooklynnavyyard

Au final, les managers ont continué à taire une évidence tellement visible qu’on ne la questionne que trop peu : celle de l’américanité de ce qui est également devenu « nos » modes d’organisation. Au service d’une géopolitique américaine par le management.

The Conversation

Le projet de recherche HIMO (History of Instittutional Management & Organization) mentionné dans cet article a reçu des financements du PSL Seed Fund, de QLife et des bourses de mobilité de DRM.

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