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30.07.2021 à 16:10

Comment les écoliers sont devenus des pions dans la crise au Cameroun anglophone

Bellingcat Investigation Team

C’était la mi-journée, le 24 octobre 2020, quand un groupe d’hommes à motos brandissant des machettes et des armes à feu sont arrivés à l’Académie internationale bilingue Mother Francisca, dans la ville de Kumba. Avant de repartir, ils ont tuésept enfants et blessés une douzaine d’autres. Plusieurs autres enfants se sont également blessés alors qu’ils […]

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Texte intégral (9643 mots)

C’était la mi-journée, le 24 octobre 2020, quand un groupe d’hommes à motos brandissant des machettes et des armes à feu sont arrivés à l’Académie internationale bilingue Mother Francisca, dans la ville de Kumba. Avant de repartir, ils ont tuésept enfants et blessés une douzaine d’autres. Plusieurs autres enfants se sont également blessés alors qu’ils essayaient de fuir en sautant par les fenêtres.

Le massacre de Kumba a fait les gros titres dans le monde entier et profondément choqué le Cameroun, un pays enlisé dans les affres d’un conflit armé opposant le gouvernement central à un mouvement séparatiste dans ses deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Ce n’est ni la première attaque contre une école au Cameroun, ni la dernière. Début février, une école privée a été incendiée dans le village de Kungi, près de la ville de Nkambe, au Nord-Ouest. Une attaque qui aurait été commise par des séparatistes. Des médias locaux se sont interrogés sur l’apparente incapacité du gouvernement à protéger des enfants dans ce qui était pourtant censé être un de ses bastions.

Dans le monde entier, la pandémie de COVID-19 a éloigné les enfants des écoles pendant plusieurs mois. Mais dans les régions anglophones du Cameroun, la scolarité est restreinte depuis près de 4 ans. Un boycott des écoles par les séparatistes et une réponse brutale du gouvernement ont mis en péril l’accès des enfants à une éducation en toute sécurité.

Dans cette crise en pleine escalade, les kidnappings, les extorsions et les assassinats de civils sont devenus monnaie courante. De nombreuses accusations pointent contre les forces séparatistes, mais aussi contre le gouvernement. Ainsi, en février 2020, un groupe de soldat camerounais accompagnés de miliciens auraient massacré 20 civils dans la ville de Ngarbuh, un incident pour lequel l’armée camerounaise a d’ailleurs fini par reconnaître une part de responsabilité. Mais il s’agit d’un pays où il est difficile d’enquêter : le gouvernement camerounais est largement considéré comme un pouvoir autoritaire connu pour violer les droits humains.

Alors que de terribles images d’attaques contre des civils continuent à faire surface, les techniques d’enquêtes en sources ouvertes peuvent néanmoins permettre de rassembler quelque pièces du puzzle, et de raconter comment des écoliers camerounais, ainsi que leurs parents et leurs instituteurs, ont été piégés au milieu de ce qui est souvent décrit comme l’un des conflits les moins couverts du monde.

En analysant des images disponibles en sources ouvertes issus des réseaux sociaux camerounais, Bellingcat a pu vérifier 11 attaques contre des écoles et des enfants dans les régions anglophones commises de 2018 à début 2021. Ces vidéos, collectés par le Cameroon Anglophone Crisis Database of Atrocities et le Berkeley Human Rights Center, révèle l’ampleur de la crise humanitaire en cours au Cameroun et dont Kumba n’est que l’exemple le plus connu.



Que se passe-t-il au Cameroun anglophone?

La crise du Cameroun anglophone prend ses racines dans son passé colonial. Le Cameroun, ancienne colonie allemande, a été démembrée par la Grande-Bretagne et la France à la fin de la Première Guerre mondiale. La France récolte alors la part du lion en obtenant la majeure partie du pays, tandis que les régions frontalières du Nigeria passent sous l’administration coloniale de la Grande Bretagne, devenant le Cameroun britannique. L’Anglais y devient le langage dominant et la common law s’applique dans les tribunaux. Après l’indépendance du Cameroun français en 1960, les régions britanniques ont droit à un referendum pour déterminer leur avenir. La moitié nord rejoint alors le Nigera, tandis que la moitié sud se fond dans le Cameroun français pour devenir la République fédérale du Cameroun. Mais l’autonomie accordée aux territoires anglophones ne dure pas. En 1972, le président Camerounais Ahmadou Ahidjo décide de centraliser la gouvernance du pays en démantelant la fédération, au grand dam de nombreux activistes qui commencent alors à s’organiser. Le successeur d’Ahidjo, le président Paul Biya, mène une répression farouche contre l’activisme anglophone, malgré l’ajout à la constitution de mesures symboliques sur la décentralisation en 1990. Les mouvements anglophones continuent de protester contre les mauvais traitements infligés par l’État et de militer pour leur auto-détermination. Devenu président en 1982, Biya est aujourd’hui le dirigeant non-monarchique étant resté le plus longtemps au pouvoir du monde.

Le «problème anglophone» ressurgit pour la dernière fois en 2016, quand des avocats et des instituteurs anglophones protestent contre l’installation de juges et d’instituteurs francophones dans les tribunaux et les écoles de leurs régions. L’armée camerounaise répond en arrêtant les leaders du mouvements et en coupant l’accès à internet. Avec les plus modérés en prison, un nouveau mouvement séparatiste émerge et déclare unilatéralement l’indépendance des régions anglophones, renommées « République d’Ambazonie », en octobre 2017.

Aujourd’hui, un conflit fait rage dans lequel l’armée camerounaise affronte des dizaines de groupes séparatistes armés ainsi que des groupes de brigands. Il existe des preuves de crimes de guerre perpétrés par toutes les parties au conflit, y compris par l’État central : torture, exécutions extra-judiciaires ou encore incendies de villages. Les Nations unies estiment que sur les 6 millions d’habitants des régions anglophones, 1,1 million ont été déplacés, dont 60,000 poussés à l’exil au Nigeria voisin.

Un boycott des écoles

« Chers parents d’Ambazonie, je vous supplie de ne plus envoyer vos enfants à l’école. Les forces terroristes d’occupations marchent sur nos territoires et ouvrent le feu sans s’arrêter […] N’envoyez pas vos enfants à l’école aujourd’hui et pleurez demain, vous n’aurez que vous-mêmes à blâmer », déclare le général Efang, « commandant Suprême » des Forces de défense de l’Ambazonie (ADF) en Pidgin camerounais, un créole à base lexicale anglaise parlé dans les régions anglophones du Cameroun, posant avec des hommes armés devant un drapeau ambazonien. Il ajoute que lorsque la guerre sera gagnée, les enfants pourront alors jouir de la meilleure éducation. La date et le lieu où a été prise cette vidéo sont inconnus, mais elle est apparue pour la première sur Facebook en août 2019.

Le commandant séparatiste connu sous le nom de « général Efang » donne un discours dans un lieu inconnu

Le boycott des écoles, ainsi que les opérations connues sous le nom de « villes fantômes », démontrent la détermination des combattants séparatistes des régions anglophones. Les instituteurs qui continuent à travailler dans les régions sous contrôle séparatiste risquent d’être désignés comme des « blacklegs », ce qui donne un prétexte aux groupes armés pour les harceler, les kidnapper, ou pire encore.

Un instituteur actuellement sans emploi déclare à Bellingcat qu’ils essaient de maintenir un équilibre précaire entre le boycott imposé par les séparatistes et les troupes gouvernementales qui tentent d’y mettre fin.

« Cela fait maintenant trois ou quatre ans que je n’ai pas mis les pieds dans ma salle de classe. Mes élèves me manquent, et je leur manque aussi », dit-il, demandant à garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

« Notre problème principal c’est les Amba Boys [combattants séparatistes]. Quiconque tente de se rendre dans une école du gouvernement risque gros. Mais le deuxième problème, c’est les forces gouvernementales. Quand vous vous rendez dans des zones sous leur contrôle ils peuvent vous dire ‘‘Oh tu es instituteur. C’est vous qui êtes à l’origine de tout cela et maintenant les rebelles nous tuent !’’. Et si vous n’avez pas de chance, ils peuvent vous accuser de soutenir les Amba Boys », raconte l’instituteur.

Le boycott des écoles gérées par le gouvernement a d’abord été une stratégie des militants anglophones en 2016, dont des instituteurs, pour amener le gouvernement camerounais à la table des négociations. La situation s’éternisant, les demandes sont devenues de plus en plus radicales et la sécurité des écoliers et des instituteurs s’est détériorée.

Elvis Arrey Ntui, chercheur sur le Cameroun pour l’International Crisis Group, explique à Bellingcat que des groupes criminels sans affiliations claires ont également tiré avantage de la situation pour racketter les instituteurs.

L’éminent avocat Felix Abgor Nkongho, fondateur et président du Centre for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA), a co-organisé les premières manifestations pacifiques de 2016 qui ont déclenché la crise anglophone.

Il a été arrêté et emprisonné pendant huit mois par le gouvernement camerounais. Depuis sa libération, il a milité contre la violence et appeler à la réouverture des écoles en toute sécurité. « Peut-être qu’à l’époque le boycott des écoles était une bonne idée, mais un tel boycott ne peut durer longtemps. Et on ne peut sacrifier le bien-être des enfants pour des raisons politiques », explique-t-il aujourd’hui à Bellingcat.

« Nous sommes en train de nourrir un cercle vicieux de pauvreté et de discriminations à tel point que les enfants n’ont plus accès à une éducation parce que leurs parents n’en ont pas les moyens. Ils finiront par atterrir tout en bas de l’échelle sociale », continue-t-il.

De son côté, le gouvernement camerounais a lancé une politique agressive visant à relancer l’éducation, proposant des convois militaires aux étudiants et aux instituteurs dans les régions en guerre. Le gouvernement est signataire de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles qui restreint leur utilisation à des fins militaires durant des situations de conflit. Pourtant, il a été accusé de se servir des établissements scolaires dans une autre zone de conflit, dans la région de l’Extrême-Nord pour les transformer en lieux de tortures de prisonniers, alors que les élèves étaient toujours présents.

Les figures séparatistes pensent quant à elles que le boycott est une tactique qui peut leur permettre de faire pression sur le gouvernement. Si la situation dans les régions anglophones revenait à la normale, alors d’après eux le gouvernement n’aurait plus aucune raison de négocier. Une stratégie détaillée à Bellingcat par Ebenezer Akwanga, chef des Forces de défense du Cameroun méridional (SOCADEF), un groupe séparatiste.

« Je souhaite un boycott total. Car je crois que s’il y a un réel boycott total – sans attaquer ni incendier les écoles – incluant toutes les écoles, des institutions privées aux établissements gouvernementaux, cela poussera l’État à venir à la tables des négociations le plus rapidement possible », explique Akwanga.

Cho Ayaba, leader d’un autre groupe politique séparatiste important, le Conseil de gouvernance de l’Ambazonie et sa branche militaire des Forces de défense de l’Ambazonie (ADF), explique à Bellingcat que les enfants pourraient aller à l’école, mais seulement dans des territoires sous leur contrôle et selon un programme scolaire approuvé par les séparatistes.

« Nous défendons notre indépendance, et je ne pense pas que vous souhaiteriez qu’un programme d’éducation étranger soit imposé dans votre pays. L’ennemi doit se retirer de notre pays […] et nous laisser mettre en place nos propres institutions pour superviser le système éducatif », dit Ayaba.

Dabney Yerima est l’actuel vice-président du gouvernement intérimaire autoproclamé d’Ambazonie. « Nous avons toujours été cohérents et expliqué que c’était aux parents de déterminer si les conditions sont suffisamment sûres pour permettre à leurs enfants de retourner à l’école », explique-t-il par mail. « Le gouvernement intérimaire veut que les enfants puissent étudier dans un environnement calme et pacifique et soutient par conséquent les écoles communautaires comme une mesure temporaire sur tout l’état d’Ambazonie ».

Le gouvernement camerounais n’a pas répondu à nos multiples demandes d’interviews au sujet des défis posés à l’éducation dans les régions anglophones du pays. Après 4 ans de boycott scolaire, l’UNICEF estime dans un récent rapport qu’un million d’enfant camerounais, y compris dans la régions anglophones, ont désormais un besoin urgent de protection face à la violence.

Panique à Limbe

L’impact psychologique et la peur engendrés par les attaques contre les écoles n’a cessé d’augmenter depuis le début du conflit anglophone.

Au début de l’année scolaire 2020, certains espéraient que l’école puisse finalement reprendre. « Au départ les parents n’était pas effrayés à l’idée d’envoyer leurs enfants à l’école. [Beaucoup se disaient] voyons simplement comment cela va se passer », témoigne anonymement un autre enseignant pour Bellingcat. « Mais cela a fini par arriver : le premier choc a eu lieu quand des enfants ont été tués dans une école de Kumba. »

Le 27 octobre 2020, quelques jours après l’incident, des vidéos de panique générale ont commencé a circulé sur les réseaux sociaux camerounais, bien au-delà de Kumba. Bellingcat a pu géolocaliser huit vidéos tournées ce jour là à trois endroits différents à Limbe, un ville côtière situé à 94 kilomètres au sud de Kumba, ainsi qu’une autre dans la ville de Buea. Toutes les vidéos semblent montrer des enfants inquiets pour leur sécurité fuyant leurs écoles. Des informations contextuelles, dont les commentaires des internautes et ceux des vidéos, suggèrent qu’il s’agissait d’une réaction au massacre de Kumba.

Le narrateur d’une de ces vidéos raconte « il semble qu’une école a été attaqué, l’école primaire de Bota ». « Une attaque que nous ne sommes pas en mesure de confirmer depuis là où nous nous trouvons. »

Cette vidéo a été tournée près de Bota, dans la banlieue de Limbe, près du stade de football et de l’école publique de Bota.

L’école en question peut être facilement trouvée sur OpenStreetMap.

Nous avons également été en mesure de géolocaliser d’autres vidéos similaires montrant des enfants et des parents paniqués près d’une école publique dans un endroit nommé Mile 1 (4.024196, 9.210055), devant le lycée public (4.036806, 9.204917), ainsi que deux vidéos (1, 2) montrant des enfants effrayés fuyant dans la direction inverse opposée à l’école (4.017865, 9.208934). Enfin, une dernière vidéo montre des enfants en uniformes scolaires courant à travers des feuillages dans la direction opposée au GTHS (Lycée technique publique) de Molyko à Buea (4.156622, 9.278865), l’une des plus grandes villes de la région anglophone.

La panique visible sur ces vidéos est compréhensible au vu des événements que nous avons pu documenter grâce à des méthodes de recherche en sources ouvertes.

Des écoles en flammes

Des images disponibles sur des sites de cartographie satellite montrent les restes carbonisés de bâtiments dans plusieurs villages camerounais.

Une analyse plus poussée sur ces plateformes s’est révélée cruciale pour vérifier sept vidéos d’écoles en flammes qui sont apparues sur les réseaux sociaux camerounais. Bien que les auteurs de ces vidéos accusent souvent les groupes séparatistes d’être responsables de ces attaques, nous ne sommes pas en mesure de confirmer l’identité des attaquants ni leur affiliation.

Quatre de ces vidéos ne les montrent pas. Mais sur une autre, on peut voir des hommes masqués vêtus en civils, tandis qu’une autre montre des hommes portant un uniforme ressemblant à ceux utilisés dans les forces armées camerounaises, comme l’avait déjà remarqué le Berkeley Human Rights Center.

La vidéo avec les hommes en civils a été filmée quelques semaines seulement après l’attaque de Kumba. Cet incendie criminel est survenu le 4 novembre 2020 au Kulu Memorial College, près de la route principale reliant Limbe à la ville de Moliwe (4.045870, 9.217020). Sur cette vidéo on peut voir des hommes non-identifiés s’attaquer à l’école, forçant les enfants et les instituteurs à se dévêtir avant de fuir. Une fois l’école vidée de ses élèves et de ses employés, l’école est incendiée par les attaquants.


Une autre vidéo du même incident, mise en ligne sur les réseaux sociaux le 4 novembre, montre une école vide, avec les vêtements des enfants dispersés sur le sol, alors que des hommes en uniforme arrivent pour prendre la mesure des dégâts. Nous ne sommes pas en mesure d’estimer le temps qui s’est écoulé entre ces deux vidéos en raison du temps nuageux qui empêche d’analyser les ombres, comme c’est souvent le cas dans cette région pluvieuse et humide du Cameroun.

Dans le cas d’un incident qui serait survenu dans la ville de Bafut, aucune photo ou vidéo n’est disponible. En revanche, des posts publiés sur les réseaux sociaux assurent qu’au cours d’une large opération militaire menée en août 2020, l’armée camerounaise aurait encerclé le Bafut Palace, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, avant de brûler une école primaire publique (6.087581, 10.114967). Bellingcat a essayé de contacté le gouvernement camerounais ainsi que l’armée au sujet de ces allégations mais n’a pas reçu de réponses avant la publication de cet article.

Une analyse des images satellites de Google Earth fourni cependant des preuves visuelles de dégâts conséquents subis par l’école, visibles dans le carré rouge, à une date comprise entre février 2018 et octobre 2020.

En plus des images de Google ci-dessus, les photos satellites basse résolution de Planet.com suggèrent que les dégâts ont été infligés entre le 5 et le 11 août 2020. Ils sont à peine visibles sur le bâtiment en forme de L sur l’image ci-dessous:

At the beginning of 2021, there were a series of school burnings in rural areas across the two Anglophone regions.On January 22, the boys’ dormitories at a Presbyterian secondary school in Mankon (5.943825, 10.144972), outside the town of Bamenda in the North-West region, were attacked. The following day, girls’ dormitories were also set ablaze. Both burnings happened at night and caused no casualties. 

 

Début 2021, plusieurs écoles ont brûlés dans des zones rurales à travers les deux régions anglophones.

Le 22 janvier, le dortoir des garçons de l’école secondaire presbytérienne de Mankon (5.943825, 10.144972), près de la ville de Bamenda dans la région du Nord-Ouest, a été attaqué. Les jours suivants, le dortoirs de filles est également incendié. Les deux incidents se sont déroulés la nuit sans faire de victimes.

Les deux dortoirs sont marqués par des carrés verts sur l’image satellite ci-dessous:

Simon Emile Mooh, officier supérieur du département de Mezam, suspecte des complicités avec les séparatistes et a déclaré aux médias locaux que les autorités avaient « une liste d’élèves suspects qui sympathisent probablement avec les terroristes ».

Cependant, d’après un blog local, personne n’a revendiqué l’acte. Le même blog a publié des images haute-définition [1, 2] des conséquences de l’attaque, montrant les restes calcinés du dortoir des filles. Nous pouvons confirmer la date et le lieu de l’attaque sur les deux dortoirs en utilisant l’imagerie fournie par Sentinel-2 et PlanetScope.

Ces images sont certes d’une faible définition, mais une différence est bien perceptible en se concentrant sur le long bâtiment à l’intérieur de la zone ovale au centre de l’image.

En comparant les images du 22 et du 23 janvier on peut aussi voir des traces de la destruction du dortoir des filles.

A comparison between January 23 and 24:

The GIF below shows the destruction of both dormitories. A Sentinel-2 image from January 21 shows the campus before the attack. Another on January 26 shows the aftermath of the attack, and another from January 31 shows that the two dormitories had been repaired, reportedly with materials provided by Agho Oliver Bamenju, the member of parliament for Mezam North, near Bafut.

 

 

 

Voici une comparaison entre le 23 et le 24:


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Le GIF ci-dessous montre la destruction des deux dortoirs. Une image fournie par Sentinel-2 datée du 21 janvier montre le campus avant l’attaque. Une autre image datée du 26 montre quant à elle les conséquences de l’attaque. Enfin une dernière image datée du 31 montre que les dortoirs ont été reconstruits, a priori avec du matériel fourni par Agho Olivier Bamenju, député de Mezam-Nord, près de Bafut.

Le village de Kungi dans la sous-division de Nkambe se trouve à cinq heures de route au nord-est de Bamenda (6.605764, 10.685076). Le 9 février, une école catholique y a été brûlée. L’incident s’est déroulé tôt le matin, quelques heures avant l’arrivée des élèves et de leurs parents.

Le village de Kungi dans la sous-division de Nkambe se trouve à cinq heures de route au nord-est de Bamenda (6.605764, 10.685076). Le 9 février, une école catholique y a été brûlée. L’incident s’est déroulé tôt le matin, quelques heures avant l’arrivée des élèves et de leurs parents.

L’école est visible intacte sur une image satellite du 5 février, mais à partir du 10 elle semble avoir été détruite. Selon Mimi Mefo Info, un média en ligne financé par un journaliste camerounais qui travaille sur les régions anglophones, le village est considéré comme un bastion gouvernemental.

Des images postées sur Facebook montrent des villageois présents sur le site après l’incendie, a priori pour constater les dégâts. Dans deux vidéos [1, 2] qui capturent le même moment sous différents angles, on peut voir un homme qui, à en juger par son uniforme, semble être l’officier du département de Nkambe. Selon la traduction depuis le Pidgin fournie par le CHRDA, il aurait réprimandé des locaux sélectionnés dans la foule en les accusant d’abriter des « Amba Boys » et insinuant que certains d’entre eux auraient vendu du pétrole aux attaquants. Des soldats patrouillent dans la zone.

En raison de la faible définition de la vidéo, nous ne sommes pas en mesure de discerner le visage de l’officier, mais un décret officiel du gouvernement camerounais disponible en ligne nomme le l’officier Ngidah Lawrence Che. Un statut confirmé par le profil Facebook de la personne en question.


Enfin, la position des ombres semble indiquer que ce rassemblement s’est déroulé tôt le matin du 9 février.

Bien que les groupes séparatistes du Cameroun admettent eux-mêmes s’opposer à l’existence des écoles publiques, l’implication potentielle de l’état dans l’un des incidents analysés par Bellingcat ne peut être exclue. Une vidéo du 3 janvier 2019 montre des hommes en uniforme de l’armée camerounaise présents sur la scène de l’incendie d’une école dans un petit village appelé Eka, près de la ville de Widikum (5.926791, 9.742550).

L’école a été géolocalisée par les volontaires de l’UC Berkeley’s Human Rights Center (fichier PDF), et leurs informations ont été confirmées par des chercheurs de Bellingcat.

Cette vidéo pixelisée montre un groupe d’hommes armés et en uniforme en train de sécuriser le périmètre d’une école. Un pupitre d’écolier gît au sol à l’extérieur, ainsi qu’un tas de bois et une hache. La vidéo ne montre pas qui a allumé l’incendie, déjà en cours. Cependant, les hommes présents ne semblent pas s’organiser pour l’éteindre. L’un d’eux semble même mettre le feu à un morceau de tissu. L’incendie s’intensifie alors que la caméra recule pour montrer une vue d’ensemble du bâtiment à la fin de la vidéo.

Le motif camouflage de tous ces hommes correspond au motif « lézard » utilisé par les forces armées camerounaises. Au moins deux d’entre eux semble être équipés d’un fusil d’assaut Zastava M-21, également utilisés dans l’armée camerounaise.

Comparaison du camouflage porté par les hommes vus lors de l’incendie de l’école d’Eka et de celui porté par les soldats de l’armée camerounaise.

Une capture de cette vidéo a été publiée le jour même ainsi que le jour suivant par Ma Kontri Pipo Dem (« Mes chers compatriotes » en Pidgin), un site extrêmement partisan qui soutient la campagne gouvernementale contre les séparatistes ambazoniens. Le site affirme que l’armée camerounaise a brûlé l’école car elle était utilisée comme base par des combattants séparatistes, précisant « le gouvernement a construit cette école, le gouvernement a tout à fait le droit de L’INCENDIER. » Il est impossible de savoir si ces affirmations sont vraies.


Deux kidnappings à Nkwen

Au cours du conflit, des étudiants et des instituteurs ont également été kidnappés par différents groupes armés.

L’un des exemples le plus frappants, avec près de 78 enfants et un instituteur enlevés, est survenu tôt le matin du 5 novembre 2018 dans une école à Nkwen (5.996305, 10.160397), près de la ville de Bamenda dans la région Nord-Ouest.

Ce n’est que plus tard qu’est apparu la nouvelle que onze élèves avaient déjà été enlevés dans cette même école le 31 octobre et libérés après le paiement d’une rançon, selon une circulaire de l’église presbytérienne du Cameroun.

Après que la nouvelle du deuxième kidnapping se soit répandue, une vidéo a commencé à circuler sur les réseaux sociaux, montrant un groupe d’environ 11 enfants interrogés par leurs ravisseurs. Dans la vidéo, les enfants donnent leur nom et celui de leurs parents à la personne derrière la caméra, chacun affirmant avoir été capturé « par les Ambas » et qu’ils ignorent où ils sont retenus. Les enfants répètent tous la déclaration de manière quasi identique, visiblement sous la contrainte. Le fait qu’il n’y ait qu’un petit nombre d’enfants dans cette vidéo suggère qu’il s’agit du premier kidnapping du 31 octobre.

La seconde vidéo des enfants kidnappés à Nkwen montre cette fois un large groupe d’élèves réunis dans une pièce sombre. Certains ont encore leur uniforme d’écoliers du PSS Mankon, une autre école secondaire presbytérienne des environs. Selon une théorie propagée sur les réseaux sociaux, les enfants auraient été transférés à l’école de Nkwen, relativement calme pour leur sécurité, avant d’être kidnappés. Considérant le grand nombre d’élèves, il semble que cette vidéo correspond au deuxième kidnapping.

La totalité des 79 élèves de l’école secondaire presbytérienne ont finalement été libérés sans le paiement d’une rançon de le 7 novembre, bien que le principal et le personnel de l’école sont restés captifs cinq jours de plus. Le lendemain de la libération, les parents se sont rassemblés devant les portes de l’école de Nkwen pour retrouver leurs enfants. Un homme a donné une interview au média local WAKA Africa, expliquant sa frustration de n’avoir pas pu retrouver son enfant plus tôt. Les enfants ont été relâchés dans une église presbytérienne à Nsem, Bafut, à environ 16 kilomètres de l’école secondaire presbytérienne de Nkwen.

À ce jour, aucun groupe n’a revendiqué ce kidnapping.

Certains groupes séparatistes accusent le gouvernement camerounais d’avoir fait une mise en scène pour les discréditer, ce que le gouvernement dément formellement. En mai 2020, le gouvernement affirmait que l’un des hommes suspectés d’être derrière le kidnapping, « General Alhaji », avait été tué au cours d’une opération militaire.

Le calvaire d’un enseignant

Les instituteurs sont particulièrement visés par les enlèvements. Deux d’entre eux interviewés par Bellingcat parlent d’une atmosphère de peur parmi les enseignants des deux régions anglophones.

« Vous ne savez pas ce qu’il va se passer. La chose la plus sûre à faire est de ne pas être se montrer. En étant un simple instituteur, vous pouvez être enlevés par n’importe qui. N’importe qui peut vous capturer, sans même poser de questions… Quand vous serez enlevés, le gouvernement ne dira rien. Les gens ne diront rien non plus, parce qu’ils ont peur de ce qui les attend eux aussi. C’est comme ça que vous finirez par souffrir et peut-être même mourir », raconte l’un d’eux qui a fui les régions anglophones.

Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux camerounais à l’été 2020 révèle ce qui peut advenir d’un instituteur qui a été enlevé. Un homme vêtu d’un maillot de corps fixe le sol alors qu’il est interrogé en Pidgin par des séparatistes. La date et le lieu où a été prise cette vidéo reste inconnue.

La caméra s’arrête sur le dossier dans la main du captif dont il semble qu’il était en chemin pour aller à l’école de Bamenda et y surveiller un examen de technologie. Il proteste, assurant qu’il n’allait pas faire un cours mais simplement gagner de l’argent. Deux de ses frères se battent avec les Ambazoniens, assure-t-il, invitant ses interrogateurs à comparer leur héroïsme avec le sien.

L’instituteur se voit répondre qu’il paiera avec son sang. Selon le CHRDA, l’instituteur aurait finalement été relâché et serait toujours en vie. Bellingcat n’a cependant pas pu vérifier cette information.

Retour à l’école?

Les écoliers apparaissent également dans de nombreuses autres vidéos du conflit au Cameroun.

Pour le gouvernement camerounais, ramener les enfants à l’école symboliserait une victoire. Pour les groupes armés, à l’inverse, la soumission des enfants au boycott où leur transfert dans des écoles en dehors du contrôle gouvernemental, démontre leur niveau de pouvoir sur les communautés locales.

Ainsi, Ngidah Che Lawrence, l’officier ayant réprimandé des habitants de Kungi après l’incendie d’une école, a partagé une courte vidéo sur son compte Twitter, le 4 mars 2020. Elle montre un groupe d’enfants marchants en tenant un drapeau nationale. « Que c’est beau de voir ces petits anges en uniforme », commente-t-il.

Cette scène a été géolocalisée sur la route principale de Nkambe, entre une station de carburant Total et une tribune régulièrement utilisée lors de grands événements publics. Des parades ont ainsi eu lieu à cet endroit, comme en 2019 pour le Unity Day et en 2020 pour le Youth Day.

Les marches d’écoliers ont également commencé à apparaître dans les grands rassemblements publics organisés par les groupes séparatistes.

Une vidéo populaire postée sur Facebook montre une partie de la fête de l’indépendance d’Ambazonie en octobre 2020. Un groupe d’enfant dirigés par une institutrice et portant des drapeaux ambazoniens chantent « Amba-, Amba-, Ambazonie ! ». La voix de l’homme qui filme salue les « écoles communautaires » d’Ambazonie alors que les enfants passent devant le podium .

 

Le Cameroun rural est peu visible en ligne et les services de cartographie y sont souvent incorrects. Mais en y regardant de plus près, on remarque que la vidéo comporte quelques éléments qui permettent de vérifier l’endroit : tout d’abord, plusieurs des institutrices portent un Hijab, ce qui suggère que la vidéo a été tournée dans la région du Nord-Ouest qui comporte une grande minorité musulmane. Un panneau porté par des élèves indique qu’ils sont venus d’une ville proche nommée Yelum, ou Elom. Enfin, la voix de l’homme qui filme la vidéo affirme qu’il s’agit du département de Bui, alors sous le contrôle d’un commandant séparatiste connu sous le nom de général Hassan. Ce dernier aurait été tué au combat en février 2021.

Une recherche par satellite de Yelum n’a pas permis de trouver de correspondances. Mais une recherche Facebook sur le général Hassan permet de trouver une autre vidéo du même endroit, qui est filmée avec un plus grand angle et révèle plus de détail. Elle montre un terrain de football avec deux bâtiments et un arbre bien reconnaissable juste devant.

Un terrain de football situé dans une zone rurale entre Elom et la ville de Kumbo correspond à celui visible dans la vidéo, la ligne montagneuse à l’arrière-plan correspond également à une recherche sur PeakVisor. Les cartes en ligne du Cameroun nomment cet endroit Mbiim ou Mbam. Les coordonnées de cette location ont été retrouvées sur une liste officielle des villages du Cameroun, où l’endroit est cette fois nommé Mbam-Song (6.308189, 10.630388).

Selon Mimi Memo Info, depuis 2020 des dissensions sont apparues au sein des séparatistes au sujet de la reprise de l’école. Certains souhaitent désormais se présenter comme favorables à l’éducation, à condition qu’elle soit ambazonienne.

Nous avons trouvé la vidéo suivante postée sur YouTube en août 2018 montrant des enfants, dont la plupart en très bas âge, se tenant devant un drapeau ambazonien en chantant des chants séparatistes. Vers la fin de la vidéo, un homme s’identifie comme le « commandant Tiger » des Force de défense d’Ambazonie, dans la ville de Batibo.

En septembre 2018, une autre vidéo circulant sur les réseaux sociaux montre une « école communautaire » qui serait dirigée par les Forces de défense d’Ambazonie dans cette même ville. Le narrateur qui présente l’école s’identifie à nouveau comme le « commandant Tiger ».


Nous avons d’abord vérifié si les vidéos du commandant Tiger étaient bien filmées à Batibo.

Par exemple, fin août 2018, le commandant avait été aperçu portant un masque et une arme aux alentours du marché de Guzang, à Batibo. Il s’adressait à une large foule en liesse chantant l’hymne ambazonien, aux côtés de ses hommes.

Le même mois, le commandant et son groupe étaient également aperçus en train de bloquer l’autoroute principale, menaçant de placer des véhicules en flammes au niveau d’un carrefour menant à Guzang.

Ces vidéos et d’autres indiquent que les opérations du commandant Tiger se déroulaient en dehors du centre de Batibo.

Une nouvelle vidéo est apparue le 12 novembre 2018. Cette fois, le commandant Tiger porte son masque, accompagné par des hommes armés. Le groupe dispose des ordinateurs devant une école qui se révèle être celle de la vidéo qui circulait déjà en septembre.


Dans cette même vidéo on peut entendre des coqs en fond sonore et la lumière du soleil frappe le bâtiment avec un angle rasant, ce qui laisse penser que la vidéo a été tournée tôt le matin. Selon les données solaires, et en partant du principe que la vidéo a bien été tournée en novembre à Batibo, le soleil aurait dû toucher l’école depuis le sud-est, ce qui nous permet de confirmer la localisation exacte de cette école (5.851561, 9.885138).

La vidéo du commandant Tiger montrant les cours à l’intérieur de l’école ne permet pas de tirer de conclusion sur la vision de l’éducation chez les séparatistes dans les régions anglophones. Ces dernières années, certains groupes ambazoniens ont affirmé travailler sur un programme alternatif.

Il est cependant impossible de savoir à distance jusqu’où a été l’application de ces programmes sur le terrain, où s’ils ont même jamais été appliqués.

Classe, genre, et crise de l’éducation

Les groupes de femmes au Cameroun se sont beaucoup fait entendre en demandant l’arrêt des attaques sur les écoles et en suppliant les belligérants de mettre un terme aux violences.

Esther Omam Njomo est une activiste camerounaise extrêmement influente, humanitaire et directrice exécutive de Reach Out Cameroun, une ONG basée à Buea qui s’occupe des droits des femmes et des enfants. En mai 2018, elle a crée la Task Force des femmes du Sud-Ouest et du Nord-Ouest (SNWOT) qui rassemble les femmes de la société civile pour promouvoir la paix dans les régions anglophones. En mai 2019, elle a témoigné devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Dès son retour au Cameroun, elle a du faire face à des attaques effrayantes. Mais malgré les nombreuses menaces, elle continue de militer pour la paix dans les zones de conflits.

Dans une interview accordée à Bellingcat, Njomo parle d’une fracture de plus en plus profonde entre les communautés urbaines où les écoles, en particulier les établissements privés, ont pu rouvrir, tandis que les écoles des zones rurales ne sont toujours pas sûres. A travers les régions, selon elle, les pauvres ne peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école dans une autre localité. « Vous avez les riches, puis la classe moyenne et les pauvres, et les villages qui n’ont pas les moyens d’envoyer les enfants à l’école ».

Ces inégalités sociales de plus en plus grandes sont accompagnés par une inégalité de genre, note-t-elle.

« Une bonne partie des gens travaillant dans les écoles au Cameroun sont dépendant du salaire que leur verse le gouvernement, et la plupart sont des femmes. Dans les régions les plus conservatrices du Cameroun, c’est l’un des seuls métiers autorisés aux femmes. Mais les instituteurs sont dans le même temps devenus une des cibles principales de ce conflit ». Et d’ajouter « Les femmes souffrent, exactement comme les enfants. Certaines ont préféré devenir fermière afin de pouvoir nourrir leur famille. »

« Quel crime a pu être commis par un enfant à qui l’ont refuse le droit à l’éducation ? Qu’ont-t-ils fait pour mériter d’être livrés aux caprices de ceux qui ont déclenché cette guerre ? », s’interroge Njomo, ajoutant qu’elle ne souhaite pas désigner de responsable en tant qu’humanitaire, afin de rester impartiale.

Le jeu des accusations

Alors que les attaques contre les écoles, les instituteurs et les élèves continuent, la peur de la violence qui entoure l’éducation s’épaissit. Selon une estimation du Global Education Cluster publiée en décembre 2019, 83 % des écoles des régions anglophones sont fermées.

« Restaurer le système éducatif pour qu’il retrouve le niveau qu’il avait avant la crise prendra beaucoup de temps. La plupart de ces zones ne sont toujours pas sûres et ont été abandonnées pendant trois, quatre voire cinq ans. Sans investissements massifs, il sera difficile de faire remarcher les écoles dans ces endroits », résume Arrey Elvis Ntui, expert sur le Cameroun pour l’International Crisis Group.

Des leaders séparatistes interrogés par Bellingcat et s’exprimant depuis leurs diasporas ont largement niés les accusations selon lesquelles les séparatistes auraient attaqués des écoles. Selon eux, des groupes criminels ont non seulement tiré avantage de la situation pour harceler des civils, mais ils ont aussi permis au gouvernement camerounais de présenter à la communauté internationale le mouvement séparatiste comme des hors-la-loi s’opposant aux droits à l’éducation.

« Ils ont totalement conscience que quoi qu’ils fassent, ce seront toujours les séparatistes qui seront accusés au final, puis qu’eux n’ont pas appelé au boycott. Ainsi, dès qu’un incident survient dans une école, les premières suspicions se tournent toujours vers un groupe ambazonien », explique Akwanga.

Cependant, pour justifier le boycott, Cho Ayaba assume : « nous savons qu’il va y avoir des pertes. Cette génération paie le prix pour que la prochaine puisse avoir un meilleur futur. C’est ce qui s’est passé dans tous les pays qui se sont battus pour leur liberté ».

Les sources séparatistes citées dans cet article attribuent le massacre de Kumba, l’incendie de l’école de Nkambe et le kidnapping de Nkwen au gouvernement camerounais. Cette version contraste fortement avec la position du gouvernement, qui a déjà accusé les séparatistes d’être responsables de ces mêmes incidents.

Ni le ministère de la Communication du Cameroun, ni un porte parole de l’armée ou un représentants des ambassades camerounaise au Pays-bas, en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, n’ont répondu à nos questions avant la publication de cet article.

Dans ce conflit qui semble sans fin, un retour complet et sûr à l’école pourrait se révéler illusoire. D’ici là, les conséquences économiques et sociales pour la prochaine génération de Camerounais anglophones restent très incertaines.

Pendant que les belligérants s’accusent mutuellement, ce sont bien les enfants qui en paient le prix. Esther Omam Njomo s’interroge : « les enfants sont nos lendemains. Quels lendemains auront nous avec des enfants qui n’ont pas été éduqués? »

 


Recherche réalisée par Youri van der Weide, Charlotte Godart, Carlos Gonzales et Timmi Allen. Avec la participation de Maxim Edwards et Jake Godin. Produit avec l’aide de Billy Burton et ses collègues du Cameroon Anglophone Crisis Database of Atrocities, et avec nos remerciements à l’université californienne de Berkeley, l’équipe de l’Exeter Database et Siham Ali. Article traduit en français par Élie Guckert.

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19.07.2021 à 17:44

Le Berlin Group 21, les mails d’Ivan et les théories du complot sur les armes chimiques

Nick Waters

En mars dernier un nouveau site Web pour un groupe formé par deux anciens diplomates et un universitaire de l’Ivy League préoccupés par les activités de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) était mis en ligne. Le Berlin Group 21 (BG21) publiait sur sa page d’accueil une déclaration dans laquelle l’organisation se disait « […]

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Texte intégral (6184 mots)

En mars dernier un nouveau site Web pour un groupe formé par deux anciens diplomates et un universitaire de l’Ivy League préoccupés par les activités de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) était mis en ligne.

Le Berlin Group 21 (BG21) publiait sur sa page d’accueil une déclaration dans laquelle l’organisation se disait « profondément préoccupé » par une enquête de l’OIAC sur une attaque chimique contre la ville syrienne de Douma en 2018 qui a tué plus de 40 civils. Parmi les signataires figuraient d’éminents journalistes, des universitaires, une ancienne membre du Congrès américain et candidate à la présidence ainsi qu’un ancien dirigeant de la Royal Navy britannique.

Le groupe était « représenté » par trois personnalités éminentes : José Bustani, Richard Falk et Hans von Sponeck, précisait le site.

José Bustani est ancien directeur général de l’OIAC, Richard Falk, professeur émérite de droit international à Princeton et Hans Von Sponeck, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU et coordinateur humanitaire pour l’Irak.

Pourtant, quelques semaines plus tard, la création du BG21, ainsi que la genèse de son communiqué, suscite toujours de nombreuses interrogations.

Le logo de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), lors d’une session extraordinaire à La Haye, Pays-Bas, le 26 juin 2018. REUTERS / Yves Herman

En Avril, Newlines magazine a révélé que le BG21 était une organisation servant de « façade » au Working Group on Syria, Propaganda and the Media (Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias, ou WGSPM). La publication de mails a également permis de dévoiler qu’un membre du WGSPM se vantait d’avoir organisé la promotion médiatique du BG21 auprès d’un individu qu’il prenait à tort pour un officier du renseignement russe.

Le WGSPM a été largement critiqué pour les prises de position de ses membres, un groupe d’universitaires britanniques et de blogueurs. Le groupe a, entre autres, prétendu que des attaques chimiques en Syrie auraient été organisées par des rebelles syriens, malgré une montagne de preuves pointant au contraire la responsabilité du régime syrien, comme pour des centaines d’autres attaques chimiques.

Le BG21 a ensuite publié un communiqué affirmant que les accusations selon lesquelles il n’était qu’une façade du WGSPM étaient « fausses » et qu’il était « entièrement indépendant de tout autre groupe ou organisation ». Ces affirmations ont également été rejetées lors d’entretiens téléphoniques avec Hans von Sponeck et Piers Robinson, cofondateur du WGSPM qui, comme beaucoup d’autres membres du groupe, a relayé des théories du complot liées aux événements en Syrie et ailleurs.

Pourtant, d’autres éléments des conversations de Bellingcat avec Sponeck et Robinson révèlent ce qui semble être un contact étroit entre ces deux derniers à propos des activités du BG21 et de l’engagement autour de son communiqué. En résumé :

  • Piers Robinson déclare à Bellingcat qu’il avait accès au site web du BG21, bien qu’il ait déclaré ne pas l’avoir mis en place, ne pas le contrôler et ne pas être impliqué dans la publication de son contenu. Il a également déclaré qu’il avait examiné le communiqué à différents stades de sa rédaction, mais que cette implication n’avait été en aucune façon significative et n’était « pas un secret », bien qu’elle n’ait pas été rendue publique.
  • Hans von Sponeck déclare à Bellingcat que Robinson l’a aidé à identifier des personnes pour signer le communiqué. Mais Robinson affirme que toute l’aide qu’il a apportée l’a été à titre personnel plutôt qu’en tant que membre du WGSPM. Sponeck assure que de nombreuses personnes ont été consultées au sujet du communiqué.
  • Sponeck, l’un des représentants du BG21, semble ne pas être au courant des principaux détails du rapport de l’OIAC sur Douma, bien que la raison d’être de son organisation soit d’exprimer des « préoccupations » au sujet de la manière dont cette enquête a été menée. Il assure qu’il cherchait simplement des éclaircissements et que le but du BG21 est de faire en sorte que les scientifiques soient entendus et que l’intégrité de l’OIAC soit préservée. Il ajoute que la responsabilité du communiqué n’incombe qu’à lui-même, Falk et Bustani et qu’il n’y a aucune coordination avec des groupes comme le WGSPM.
  • Lord West, membre de la commission du renseignement et de la sécurité du parlement britannique, déclare qu’il avait été invité à signer le communiqué par Peter Ford, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Syrie, actuellement sur la liste des coprésidents de la British Syrian Society (BSS), un lobby dirigé par le beau-père du président syrien, Bachar al-Assad. La manière dont Ford a pris connaissance de l’existence de ce communiqué n’est pas établie. Lord West assure également qu’il n’était pas au courant des liens de Ford avec la BSS. Ford a précédemment déclaré que son rôle à la BSS n’était pas rémunéré.
  • Paul McKeigue, un autre co-fondateur du WGSPM, affirme dans des courriels adressés à une personne qu’il croyait être un officier du renseignement russe que Robinson et lui ont participé à l’organisation de la promotion médiatique du BG21. Bien qu’il ait dit plus tard qu’il avait enjolivé la réalité dans sa correspondance, son objectif réel reste flou. Robinson souligne également que McKeigue affirme avoir exagéré la réalité dans sa correspondance.
  • La Courage Foundation, un fond établi par Wikileaks qui vise à soutenir les lanceurs d’alerte, a également publié et promu le communiqué ainsi que d’autres documents au même moment que le BG21. L’implication de la Courage Foundation dans la publication de ce communiqué n’est pas établie et l’organisation n’a pas répondu à notre demande de commentaires.

Nader Hashemi, directeur du Center for Middle East Studies et professeur agrégé de politique du Moyen-Orient et de l’Islam à l’Université de Denver, déclare à Bellingcat que si Robinson ou l’un de ses collègues du WGSPM étaient d’une quelconque manière impliqués avec le BG21 ou dans la rédaction de son communiqué, de sérieuses questions se poseraient sur la légitimité et l’indépendance des deux organisations. D’éventuelles connexions également préjudiciable pour le BG21 étant donné le passé conspirationniste de Robinson, a-t-il ajouté.

Scott Lucas, professeur émérite de politique internationale à l’Université britannique de Birmingham qui a suivi de près la controverse autour de Douma confirme et ajoute que la réputation universitaire de Robinson a été « enterrée » par ses déclarations conspirationnistes comme sur les « mises en scène de massacres » de civils tués dans des attaques chimiques.

Pour saisir cette histoire dans toute sa complexité, il faut d’abord comprendre comment un mystérieux individu nommé « Ivan » a pu pousser un co-fondateur du WGSPM à se livrer au sujet de ce qu’il prétendait être la portée et l’impact du WGSPM.

Les mails d’Ivan

Paul McKeigue a obtenu bien plus que ce qu’il espérait en entamant une correspondance avec « Ivan ».

Cofondateur du WGSPM, McKeigue est également professeur d’épidémiologie génétique à l’Université d’Édimbourg. McKeigue en est venu à croire qu’Ivan, qui lui avait envoyé un e-mail à l’improviste, était un officier du renseignement russe.

Après de premiers échanges prudents, McKeigue commence à lui partager des informations au sujet des activités de certaines figures du WGSPM. Il affirme rapidement à Ivan que le fondateur du WGSPM, Piers Robinson, a « travaillé au cours des derniers mois pour coordonner cette initiative. (https://www.heise.de/tp/features/Glaubwuerdigkeit-und-Integritaet-der-OPCW-wiederherstellen-5078562.htmlhttps://www.heise.de/tp/features/Glaubwuerdigkeit-und-Integritaet-OPCW-wiederherstellen-5078562.html)».

Un lien qui renvoie vers le communiqué du BG21 à propos de l’enquête de l’OIAC sur Douma, communiqué publié par le site allemand Telepolis.

Ivan répond alors qu’il ignorait que ce communiqué sur l’OIAC était l’œuvre de Robinson et demande pourquoi ni Robinson ni McKeigue ne s’y sont pas associés publiquement.
« Piers pense qu’il est préférable pour lui de rester dans les coulisses, car notre WGSPM fait quelque peu l’objet de controverses et nous avons été diffamés par les médias », répond McKeigue, qui précise également que : « Le groupe qui diffuse le communiqué s’appelle désormais le Berlin 21 Group ».

Robinson, ancien professeur de journalisme à l’Université de Sheffield et co-fondateur du WGSPM, a longtemps fait l’objet de polémiques pour avoir relayé des théories du complot concernant, entre autres, la Syrie.

Il a notamment fait l’éloge d’un ouvrage suggérant que des explosifs avaient été utilisés pour détruire le World Trade Center le 11 septembre et a affirmé que le COVID-19 était un « virus peu mortel », comparable à la grippe saisonnière. Il a également déclaré que la bannière « Mission Accomplished » présente derrière le président George W. Bush lorsqu’il déclarait en 2003 la fin des principales opérations de combat en Irak avait été « superposée » sur les images de l’événement et qu’elle n’y était pas réellement présente.

Le WGSPM, quant à lui, a mis en doute le fait que la Russie a réellement produit le Novitchok. Sur la Syrie, Robinson et le WGSPM affirment depuis longtemps que des attaques chimiques auraient été mises en scène par des groupes rebelles opposés à Assad, avec l’aide des secouristes de la Défense civile syrienne, les Casques blancs. L’un de leurs membres a même affirmé que les Casques blancs sont une « cible légitime ».

Dans une autre partie des échanges de courriels, McKeigue semble souligner d’avantage sa participation ainsi que celle du WGSPM aux activités de BG21. « Nous organisons une promotion médiatique », a-t-il écrit en faisant apparemment référence au communiqué du BG21.

Un courriel entre Paul McKeigue et « Ivan ». Mail fourni par la CIJA.

Ce courriel a été envoyé le 4 mars, une semaine avant l’enregistrement du site web du BG21, le 11 mars.

Malheureusement pour McKeigue, Ivan n’est pas un officier du renseignement russe, mais un membre de la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (CIJA), une ONG qui a documenté les violations des droits humains en Syrie.

McKeigue avait auparavant cherché à enquêter sur les activités du CIJA ainsi que sur son fondateur, William Wiley, qu’il croyait à tort être un agent de la CIA. Certains de ces mails, dont l’existence a déjà été rapportée par la BBC, sont intégrés dans cet article.

McKeigue semble également discuter de l’importance de faire signer le communiqué du BG21 par des personnalités telles que Lord Alan West, un ancien amiral de la marine britannique, car il « n’est pas un ami de la Russie. Ni du président Assad. »

McKeigue se vante également de la bonne impression qu’il pense avoir faite lors d’une apparition devant les parlementaires britanniques et de son espoir que des enquêtes soient lancées sur la manière dont les services de renseignement du pays ont informé le Premier ministre sur l’attaque de Douma.

Il présente Julian Lewis, président de la Commission du renseignement et de la sécurité du parlement britannique, comme étant « un sceptique indépendant d’esprit venu nous entendre, moi, Piers et David Miller [un autre membre du WGSPM] parler devant la Chambre des communes l’année dernière ».

Courriels entre Paul McKeigue et «Ivan». Mails fournis par la CIJA.

Lewis a répondu à Bellingcat qu’il n’était arrivé qu’à la fin de cette réunion et qu’il n’était pas au courant de ce qui a pu être dit avant sa présence. Il déclare également qu’il n’était pas au courant de l’initiative du BG21, qu’il n’a été en contact avec aucun membre du WGSPM, et qu’il n’a pas non plus été invité à signer le texte du BG21.

Lord Alan West, ancien chef de la Royal Navy britannique et membre de la même Commission du renseignement et de la sécurité, a en revanche bien signé ce texte. Il déclare à Bellingcat qu’il y a été invité par Peter Ford, ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Syrie et désormais coprésident de la British Syrian Society (BSS), un groupe de pression fondé et coprésidé par Fawaz Akhras, le beau-père du président syrien Bachar al-Assad.

Bellingcat a pu joindre Peter Ford par téléphone pour lui poser des questions sur le BG21 et son communiqué. Tout en confirmant son identité, il assure que nous nous adressons à la mauvaise personne car il en sait très peu sur le BG21. Et d’ajouter :  « Je sais qui vous êtes. Ne m’appelez plus », avant de raccrocher. Précédemment Ford avait écrit que l’attaque chimique de Douma avait probablement été fabriquée et a déclaré que les Casques blancs étaient des « auxiliaires des djihadistes ». Il a également déclaré qu’il n’était pas payé pour son travail à la BSS.

Lord West, qui a déjà qualifié le président Assad d’ « épouvantable », assure qu’il n’était pas au courant des affiliations de Ford avec la BSS. Il déclare également n’avoir pas lu tous les rapports de l’OIAC dans leur intégralité, mais pense que s’il existe un doute sur les travaux du groupe, ils doivent être examinés attentivement. Il ne savait pas que l’équipe d’enquête et d’identification (IIT), un groupe de l’OIAC distinct de la mission d’établissement des faits (FFM) qui a rédigé le rapport sur Douma, réexamine actuellement l’incident et a pour mandat d’attribuer la responsabilité des attaques. Informé de cette enquête de l’IIT, Lord West exprime son approbation.

Il ajoute qu’il ne sait rien des travaux du WGSPM ni des commentaires antérieurs de Piers Robinson. Lorsqu’une sélection de ces propos lui est transmise, il déclare :  « Je ne suis pas du tout un grand fan des théoriciens du complot. C’est proprement affolant, en ce qui me concerne.»

Et selon les courriels de McKeigue, le WGSPM ne se concentrait pas uniquement sur le parlement britannique.

Un courriel envoyé par Paul McKeigue à Ivan. Mail fourni par la CIJA.

McKeigue assure ainsi que Robinson travaille comme chercheur pour le parti politique allemand Die Linke et que deux des membres du parti au Bundestag, Heike Hänsel et Sevim Dağdelen, les avaient « aidés en posant des questions parlementaires au ministère allemand des Affaires étrangères sur la fraude au sein de l’OIAC. »

Dans le même e-mail, McKeigue étale ses théories sur le mondialisme, sur le financier et philanthrope George Soros et soutient que Bellingcat fait partie d’un réseau de « fabricateurs de narratifs sur la Syrie ».

Ni Die Linke, ni Hänsel ni Dağdelen n’ont répondu aux demandes de commentaires de Bellingcat à propos des courriels de McKeigue les concernant avant publication. Robinson n’a pas non plus répondu à nos questions concernant ce point spécifique envoyées par mail. McKeigue, cependant, a par la suite affirmé qu’il avait exagéré la réalité au cours de sa correspondance avec Ivan.

Les courriels de McKeigue ne permettent pas de savoir si des élus allemands ont participé à la rédaction du communiqué du BG21. Mais la publication des courriels, et des détails qu’ils contiennent – la connaissance préalable des activités du BG21, les plans pour organiser en coulisses sa promotion médiatique et le partage d’informations avec un faux officier du renseignement russe – semblent bien avoir suscité des inquiétudes au sein même du BG21.

Une demande de correction

Peu après la publication par Newlines d’un article établissant une connexion entre le BG21 et le WGSPM un texte est apparu sur le site du BG21 déclarant que les affirmations de cet article étaient « entièrement fausses ».

Le texte du BG21 assure que « le Berlin  Group 21 a été créé par l’Ambassadeur José Bustani, le Professeur Richard Falk et Hans von Sponeck et est entièrement indépendant de tout autre groupe ou organisation ».

« Une demande de correction a été adressée aux journalistes concernés », conclut le texte.

Les deux auteurs de l’article de Newlines ont en effet reçu le 20 avril un courriel affirmant que leurs informations étaient « entièrement fausses » et demandant une correction.

Mais ce mail ne venait pas d’un représentant désigné du BG21.

Le courriel a en fait été envoyé par Paul McKeigue, qui affirmait que : « Le BG21 et son communiqué sont indépendants de moi et du WGSPM. »

Sponeck explique à Bellingcat qu’il a demandé à McKeigue de répondre à l’article de Newlines et de préciser qu’il n’avait rien à voir avec le BG21. Il a également contacté les auteurs lui-même quelques jours plus tard.

Sponeck a partagé le courriel qu’il avait envoyé à McKeigue avec Bellingcat. Il assure que c’était là son premier contact avec McKeigue et qu’il ne le connaissait pas auparavant. Le courriel indique : « Le BG21 et son communiqué sont totalement indépendants de vous et du WGSPM ».

Il contenait également la note que Sponeck comptait envoyer lui-même aux journalistes.

Bellingcat a contacté McKeigue pour lui poser des questions sur ses échanges avec Ivan et pour savoir si le BG21 était une façade du WGSPM, comme l’affirme l’article de Newlines. McKeigue n’a pas répondu avant la publication.

Cependant, dans une déclaration publiée sur le site Web du WGSPM après que sa correspondance avec «Ivan» a été révélée pour la première fois, McKeigue assure qu’il a « embelli » certains aspects pour donner l’impression d’un réseau coordonné « qui en réalité n’existe pas ».

La raison pour laquelle McKeigue aurait cherché à embellir le contenu de ses mails à Ivan n’est pas tout à fait clair, bien que sa déclaration semble suggérer qu’il s’agissait peut-être d’obtenir plus d’informations de la part d’Ivan. McKeigue ajoute que le WGSPM « n’existe pas en tant qu’entité autre qu’un groupe restreint de personnes qui corédigent occasionnellement des articles ou commentent les brouillons des uns et des autres ».

Pourtant, les connexions et la correspondance entre un membre clé du WGSPM et au moins un membre du BG21 ne semble pas faire partie des aspects qui ont été exagérés par McKeigue.

« Je ne suis l’idiot utile de personne »

Joint par téléphone par Bellingcat, Sponeck déclare qu’il a bien échangé avec Robinson au sujet de l’initiative du BG21. « Rien de plus, rien de moins que des échanges, des demandes de réactions, comme nous le faisons avec d’autres personnes », résume-t-il dans un premier temps.

Pourtant, il affirme ensuite que Robinson a bien été en contact « assez régulièrement » avec lui et l’a aidé à « répondre à des questions » car il n’est pas un spécialiste de la Syrie. Selon Sponeck, il lui a indiqué des documents qu’il devrait lire, Robinson étant quelqu’un vers qui il se tournait lorsque « des arrangements devaient être mis en place », sans plus de précisions.

Sponeck affirme avoir consulté un certain nombre de personnes au sujet du communiqué du BG21, Robinson n’étant que l’un d’entre eux. Interrogé à ce sujet par Bellingcat au cours d’un autre entretien téléphonique, Robinson répond : « Oui, j’ai pu le faire, mais pas de manière significative ». Il assure également « ne pas avoir aidé à la rédaction [du communiqué] » mais « examiné certains points ». Sponeck confirme que Robinson a aidé à identifier des signataires potentiels.

Pourtant, selon Sponeck, les allégations selon lesquelles le BG21 était en réalité composé de plus de trois personnes (von Sponeck, Bustani et Falk) voulant s’assurer que l’OIAC est protégée contre les tentatives d’instrumentalisations et qui avaient demandé le soutien d’individus tout aussi concernés, sont maladroites.

Capture d’écran de la réaction publiée sur le site web du BG21 suite à l’article de Newlines.

Lorsque Sponeck a décidé qu’il voulait publier une déclaration sur le site du BG21 rejetant les allégations de Newlines, c’est pourtant bien à Robinson qu’il a demandé de l’aide pour la mettre en ligne. Robinson déclare à Bellingcat qu’il a effectivement accès au site web du BG21, mais qu’il ne l’a pas mis en place, qu’il ne le gère pas et qu’il ne s’occupe pas de la mise en ligne des contenus. Sponeck n’aurait été en mesure d’avoir accès au site que quelques semaines après son lancement. Robinson assure également qu’il connait l’identité de la personne qui a enregistré le site, un citoyen américain, un détail que Sponeck ignorait.

Malgré cela, Sponeck rejette l’idée que l’implication de Robinson ait pu être « significative » ou qu’il serait manipulé par des personnes ayant des arrière-pensées. « Je vous demanderais d’imaginer ne serait-ce qu’un moment que Bustani, Falk et moi aurions été induits en erreur ou que nous n’aurions pas insisté sur les normes de contrôle les plus élevées dans nos efforts pour trouver la vérité sur une question aussi complexe que celle de Douma », ajoute-t-il par courriel.

Sponeck dit qu’il savait que Robinson avait été accusé d’être complotiste par certains médias, y compris sur des questions telles que le 11 septembre, mais qu’il ne voyait aucun problème à le consulter au sujet de l’initiative du BG21. Interrogé sur certaines des activités précédentes de Robinson et du WGSPM, il répond : « Je ne sais même pas ce que font Piers Robinson et son groupe de travail. Je ne sais pas. Je n’ai pas besoin de le savoir. » Sa principale préoccupation, selon lui, reste le communiqué du BG21 et « non ce que les gens peuvent faire dans un autre contexte ».

Sponeck souligne également qu’il n’a jamais échangé avec aucune représentation diplomatique à ce sujet. McKeigue déclare pourtant dans ses échanges avec Ivan que Robinson et d’autres membres du WGSPM se sont coordonnés avec trois ambassades russes, à Londres, New York et Genève. McKeigue a en outre noté dans ses mails qu’un diplomate russe à Genève nommé Sergey Krutskikh « a occasionnellement transmis des informations au WGSPM via Piers ».

Joint par Bellingcat, Robinson insiste sur le fait que McKeigue affirme lui-même avoir exagéré la réalité dans ses échanges avec Ivan et assure que le « décrire comme un contact ou comme quelqu’un qui peut fournir des informations par le biais de la Fédération de Russie est tout simplement inexact. Ce n’est en aucun cas mon rôle ou ma disposition, et je ne le ferais pas. »
Robinson ajoute par mail que « supposer que les échanges avec [Ivan] sont factuels est imprudent de votre part et suggérer que soit Paul McKeigue soit le WGSPM sont derrière le Berlin Group 21 ou son communiqué est faux. Les deux sont indépendants aussi bien vis-à-vis de Paul McKeigue personnellement que vis-à-vis du WGSPM. »

« En ce qui me concerne, comme Hans et moi l’avons expliqué, je suis fier d’avoir pu apporter aide et soutien à Hans von Sponeck, José Bustani et Richard Falk ; cela a vraiment été un honneur. Je l’ai fait à titre personnel et non en tant que représentant de groupes ou d’organisations dans lesquels je suis également impliqué. Je fais partie des nombreuses personnes qui apportent aide et soutien. Suggérer que mon rôle et ma fonction irait au delà de cela est faux. »

Sponeck précise qu’il n’a eu « aucunement l’impression que Piers Robinson ait tenté de le pousser dans un camp idéologique ou fanatique » et affirme n’être l’« idiot utile de personne ». Il réitère que les principales préoccupations du BG21 sont d’assurer l’intégrité de l’OIAC et de permettre aux scientifiques d’être écoutés, ajoutant que lui-même, Bustani et Falk sont des individus « honnêtes ». S’il sentait que les gens essayaient de « jouer à des jeux » ou avaient des « intentions… qui ne sont pas connues du public », il « abandonnerait très rapidement ».

Les rapports sur Douma

Lorsqu’il a discuté de l’attaque de Douma avec Bellingcat, Sponeck a cependant concentré ses préoccupations non pas sur les détails précis de l’incident, mais sur le désaccord qui s’est produit entre Brendan Whelan, un ancien employé de l’OIAC, et l’organisation elle-même.

C’est justement la partie de l’histoire qui a le plus été sujette à la controverse et à la désinformation. Les documents divulgués à Wikileaks par Whelan en 2019 semblaient montrer un désaccord au sein de l’OIAC au sujet de l’existence de preuves suffisantes pour affirmer que du chlore avait été utilisé dans l’attaque de Douma. Cependant, il est apparu depuis que les documents divulgués fournissaient une image incomplète de ce qui s’était réellement passé au sein l’OIAC.

Whelan faisait initialement partie de la mission d’établissement des faits (FFM) de l’OIAC et a contribué à son rapport intermédiaire, qu’il a approuvé après avoir initialement pu exprimer ses préoccupations. Whelan a ensuite quitté l’OIAC, sept mois avant que l’enquête ne soit terminée, période qui représenterait l’essentiel du travail, selon l’OIAC. Ce travail ultérieur était, toujours selon l’OIAC, hautement protégé et Whelan n’y avait pas accès. Whelan ne s’est pas non plus rendu sur place à Douma car il n’avait pas reçu la formation appropriée pour le faire, toujours selon l’OIAC.

Une enquête indépendante a corroboré cette version des événements et le chef de l’OIAC a qualifié les affirmations de Whelan et Ian Henderson – un autre employé de l’OIAC qui ne faisait pas partie de la mission principale de la FFM mais qui a affirmé que des détails avaient été enlevés du rapport final – comme « erronés, mal-informés et faux. »

Le chef de l’OIAC a également noté que Whelan avait, après avoir quitté l’organisation, renvoyé d’anciens collègues vers l’une des notes d’information du WGSPM qui postulait qu’une « mise en scène de massacre » avait eu lieu à Douma. Whelan a qualifié cet article de « très intéressant et perspicace ».

Malgré cela, Sponeck déclare : « Ce qui m’a profondément influencé, m’a profondément ému et m’a bouleversé, c’est la lecture des deux rapports intermédiaires et du rapport de la mission d’établissement des faits qui omettait de faire référence au fait qu’il y avait des désaccords dans l’équipe. Cela m’a beaucoup inquiété et [je me suis demandé] dois-je essayer d’en savoir plus ? ».

Sponeck ne savait pas que Whelan avait lui-même validé, par écrit, le rapport intermédiaire.

Lorsqu’il a été contacté pour un documentaire de la BBC Radio en début d’année, Whelan a refusé de dire s’il avait reçu de l’argent de Wikileaks à la suite de sa divulgation des documents de l’OIAC. Il n’a pas non plus répondu aux demandes de commentaires de Bellingcat sur le même sujet l’année dernière. WikiLeaks avait pourtant publié sur Twitter une telle offre juste après l’attaque de Douma. Sponeck n’était pas non plus au courant de ce détail.

Sponeck souligne le fait que plusieurs anciens membres de l’OIAC ont signé son communiqué, qui serait donc digne de confiance. Pourtant, tous ces individus avaient, pour autant que Bellingcat puisse en juger, quitté l’OIAC au moment où elle a commencé son enquête sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie.

 

En bref, après nous être entretenus avec Sponeck et Robinson, il ressort qu’au moins un membre du WGSPM avait accès au site du BG21, qu’il avait identifié des signataires potentiels et a joué au moins brièvement un rôle en examinant le communiqué avant qu’il ne soit publié.

Cependant, Robinson dit que toute aide qu’il a fournie au BG21 n’est pas « un grand secret » et que cette aide a été apportée à titre personnel plutôt qu’en tant que membre d’une autre organisation.

Des éléments en partie contredits par les échanges de Paul McKeigue avec « Ivan », même si depuis leur révélations, McKeigue a rétropédalé en assurant avoir embelli la réalité.

Le WGSPM cherche depuis longtemps à utiliser la crédibilité d’universitaires pour donner du poids à ses théories sur les attaques chimiques en Syrie, bien qu’aucun de ses membres n’aient une quelconque qualification officielle pertinente. Selon McKeigue lui-même, les articles négatifs publiés dans la presse ont contribué à miner la crédibilité du WGSPM.

Le Berlin Group 21 a réussi à rassembler un groupe de personnalités éminemment respectables pour signer son communiqué. Mais si le BG21 a reçu des informations et des commentaires d’individus qui ont l’habitude de relayer des théories du complot et de diffuser des informations incomplètes et fausses sur l’attaque de Douma, la fiabilité des prochaines informations publiées par le BG21 serait remise en cause.

Les mails de Paul McKeigue soulèvent également des questions évidentes au sujet de certains élus politiques, tels que ceux de Die Linke qui se seraient donc engagés avec les membres du WGSPM au sujet de l’attaque de Douma.

Bellingcat a tenté de contacter Richard Falk, José Bustani, la Courage Foundation, Die Linke, Sevim Dağdelen et Heike Hänsel. Aucun n’a répondu avant la publication de cet article.


La version originale de cet article a été publiée le 14 mai 2021
, traduit en français par Syrie Factuel.Eoghan Macguire a contribué à cet article.

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03.12.2020 à 17:23

Comment une organisation humanitaire française s’est liée avec des milices chrétiennes pro-Assad   

Syrie Factuel

Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mediapart. La version originale de l’enquête est disponible ici. Dans une vidéo publiée sur Youtube en 2019, un groupe d’homme et de femmes tous vêtus du même t-shirt blanc dînent aux côtés de deux ressortissants français et d’un homme en treillis militaire. Ces Français remettent ensuite à […]

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Texte intégral (5577 mots)

Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Mediapart. La version originale de l’enquête est disponible ici.

Dans une vidéo publiée sur Youtube en 2019, un groupe d’homme et de femmes tous vêtus du même t-shirt blanc dînent aux côtés de deux ressortissants français et d’un homme en treillis militaire. Ces Français remettent ensuite à l’homme en tenue de camouflage un trophée, le félicitant pour la libération du petit village chrétien de Mhardeh dans l’ouest de la Syrie, contrôlé par le régime. Plus loin dans la vidéo, dans un autre village chrétien situé à 25 km de là, Sqelbiye, un autre soldat souriant reçoit le même prix. Bachar al-Assad, lunettes de soleil vissées sur le nez, regarde la cérémonie depuis une grande photo accrochée au mur à l’arrière-plan.

Les deux Français remettant ces trophées sont Benjamin Blanchard, directeur général de l’association humanitaire SOS Chrétiens d’Orient (SOSCO) et Alexandre Goodarzy, alors chef de mission de l’ONG en Syrie .

Les combattants syriens qui reçoivent ces récompenses, Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah, sont présentés par SOSCO comme des hommes qui « ont lutté depuis les débuts du conflit sans jamais renoncer ! » L’ONG a fait de nombreux appels aux dons pour soutenir les habitants des villages que ces hommes prétendent protéger.

Mais notre enquête révèle qu’al-Wakil et al-Abdullah sont en réalité des chefs de guerre à la tête de milices pro-Assad accusées de crimes de guerre. D’après une chercheuse de Human Rights Watch, le soutien que SOSCO leur apporte viole les principes humanitaires de neutralité et d’impartialité et pourrait rendre l’ONG complice de crimes de guerre.

Une ONG “apolitique”

Créée en 2013, l’association française SOS Chrétiens d’Orient se décrit comme « une association d’intérêt général apolitique » qui œuvre pour soutenir les chrétiens à travers le Moyen-Orient, ainsi qu’en Éthiopie, au Pakistan et en Arménie. Elle a envoyé des centaines de jeunes volontaires français dans la région et facilité des rencontres entre des hommes politiques français et des officiels syriens.

La mission de l’ONG – qu’elle ne présente pas simplement comme un effort humanitaire, mais comme une mission d’importance divine et culturelle – est de renouveler les liens entre les chrétiens d’Occident et ceux de « l’Orient ». Selon ses propres termes, « l’association témoigne de la vocation supérieure de la France ».

Les fondateurs, Charles de Meyer et Benjamin Blanchard, sont des militants de l’extrême droite française. Ils se sont rencontrés en garde à vue après avoir été arrêtés lors d’une manifestation contre le mariage pour tous à Paris en 2013.

Alexandre Goodarzy était le chef de mission en Syrie jusqu’à sa disparition pendant 66 jours en Irak avec trois autres employés de SOSCO dans des circonstances qui n’ont jamais été éclaircies, début 2020.

Les fondateurs disent avoir créé SOSCO en réaction à la bataille de Maaloula, un petit village chrétien situé au nord de Damas attaqué par les rebelles et des djihadistes du Front al-Nosra en 2013. Cet événement est fréquemment instrumentalisé par des figures pro-Assad pour affirmer que le régime protège les minorités contre la menace du terrorisme islamiste.

SOSCO dispose désormais de plusieurs bureaux permanents dans les territoires sous contrôle du régime en Syrie et collecte environ 7 millions d’euros de dons chaque année, selon les comptes financiers annuels examinés par Mediapart.

SOSCO présente le village de Mhardeh et le village voisin de Sqelbiye comme des «symbole(s) de la résistance syrienne au terrorisme international ». Une incarnation moderne de Jeanne d’Arc, qui a répondu « à l’appel du Seigneur et à son devoir pour défendre ses terres et sa patrie », selon l’association.

Les volontaires de l’ONG visitent fréquemment Mhardeh. À Noël dernier, ils ont par exemple emballé des cadeaux au domicile du chef milicien Simon al-Wakil.

Et quand Alexandre Goodarzy s’est marié à une ancienne volontaire de SOSCO, Fimy Hanna, à Maaloula en 2018, Nabel al-Abdullah, le fils de Simon al-Wakil, Fahed – qui combat également dans la milice de son père – et Salem al-Barni, un autre soldat des NDF [ Les Forces de défense nationale (NDF), une milice pro-régime] à Mhardeh, ont assisté à la cérémonie, comme le montrent les photos publiées sur Instagram par Fahed al-Wakil lui-même.

Alexandre Goodarzy et Benjamin Blanchard examinent les positions d’artillerie et les munitions des NDF sur le front de Mhardeh en 2016. Photo : Mediapart

SOSCO en pleine violation des principes humanitaires à Mhardeh

Le sort de Mhardeh occupe une large place sur le site web de SOSCO et dans ses campagnes de financement. Rien qu’en 2019, l’ONG a levé au moins 35 600 € pour le village. 15 600 € ont aussi été collectés via une plateforme chrétienne de financement participatif, et 20 000 € ont été rassemblés lors d’une vente aux enchères organisée avec Marc-Etienne Lansade, maire d’extrême droite de la commune de Cogolin, dans le sud de la France, et le chroniqueur français d’extrême droite Eric Zemmour. Dans une interview accordée en 2019 au média pro-Kremlin Sputnik, Alexandre Goodarzy a déclaré que SOSCO avait « levé 50 000 euros [pour Mhardeh], nous avons dépensé environ 10 000 euros pour le moment ». Dans une réponse à cette enquête publiée sur son site, l’association précise : « à ce jour, nous avons dépensé environ 80 000 euros pour les villages de Mhardeh et Suqaylabiyah ». L’ONG n’a fourni aucun document pour étayer sa déclaration et n’a pas expliqué comment l’argent avait été dépensé.

SOSCO donne peu d’informations sur la manière dont elle utilise l’argent sur le terrain à Mhardeh, mais dans l’interview donnée à Sputnik par Goodarzy, l’ex chef de mission en Syrie assure que son association donne de la nourriture « particulièrement aux familles dont les époux vont au combat ».

Sur la page du financement participatif mentionné plus haut, SOSCO demande de l’argent pour aider « les familles des martyrs lourdement endeuillées » à obtenir de la nourriture, des vêtements, des fournitures médicales et du matériel pour aider à la reconstruction.

Un article de 2019 publié sur le site internet de SOSCO précise même : « Impossible de livrer des médicaments. Nous apportons à Monsieur Simon et à ses hommes ce qui fait le reste du quotidien d’un soldat : du café, du thé, du maté, et un peu de tabac. »

Selon un article publié en 2018 par le site d’information al-Modon au sujet de Mhardeh, « une délégation de l’organisation SOS Chrétiens d’Orient […] s’est rendue dans la région et a fourni au chef de la milice divers équipements et une assistance ».

« S’il s’avère que l’argent collecté est donné au chef de la milice, et que c’est la milice qui distribue cet argent aux familles et qu’elle en bénéficie de manière abusive, alors SOS Chrétiens d’Orient pourrait être accusée de complicité pour les crimes commis par ces mêmes milices », pense Sara Kayyali, chercheuse spécialiste de la Syrie pour Human Rights Watch.

Dans l’une des nombreuses vidéos de Mhardeh publiée sur Youtube par SOSCO en 2016, Alexandre Goodarzy et Benjamin Blanchard, ainsi que d’autres bénévoles, distribuent des fournitures avec l’aide d’hommes en tenue de camouflage. « On est en train de ravitailler en nourriture et en couvertures la Défense nationale de Mhardeh qui subit les assauts répétés de la part d’al-Nosra depuis quelques semaines », dit Goodarzy.

Impossible de savoir quelle partie de ces fournitures est arrivée dans les mains des civils locaux. Salem al-Barni, l’un des miliciens présents au mariage de Goodarzy, figure dans la vidéo. Il porte des vêtements civils mais est présenté comme un lieutenant des NDF.

Ce brouillage des frontières entre opération humanitaire et soutien à des miliciens semble être une caractéristique des activités de SOSCO à Mhardeh. Al-Wakil lui-même était présent lors d’une opération similaire de SOSCO en février 2019.

En distribuant de l’aide de cette manière, en collectant des fonds pour les familles des combattants NDF morts et en se rangeant du côté des forces pro-Assad, SOSCO semble enfreindre les principes humanitaires de neutralité et d’impartialité fixés par l’Union européenne. Selon ces principes, « l’aide humanitaire doit être fournie uniquement en fonction des besoins » et « ne doit favoriser aucun camp dans un conflit armé ». Les représentants de l’association, qui ne semblent guère s’en préoccuper, nous ont simplement répondu qu’ils n’avaient « jamais prétendu rester neutres face à al-Qaïda ».

Les NDF à Mhardeh et Sqelbiye

Les NDF sont « de loin le plus grand réseau de milices en Syrie », selon l’analyste Aron Lund. Elles « ont été créées à la suite du changement de nom, de la restructuration et de la fusion de comités populaires locaux et d’autres groupes armés pro-Assad à partir de 2012.»

Comme l’a noté l’ONG d’opposition syrienne Pro-Justice, ces milices loyalistes sont connues pour avoir été financées par Al-Bustan, la soi-disant organisation caritative de Rami Makhlouf, le cousin de Bachar al-Assad, actuellement sous sanctions européennes. Le Guardian a révélé en 2016 que l’UNICEF avait versé à al-Bustan plus de 260 000 dollars.

En octobre 2018, à Sqelbiye, les NDF ont remercié un représentant de l’association caritative al-Bustan, le Dr Yahya Youssef, pour avoir offert un soutien médical aux combattants de la milice locale.

Selon Reuters, les combattants des NDF ont été entraînés et équipés par l’Iran, un allié de longue date d’Assad, en 2013, pour renforcer les forces armées du gouvernement alors en pleine débandade.

Dans son entretien avec Sputnik à propos de Mhardeh, Goodarzy déclare d’ailleurs que «les Iraniens prennent quelques hommes et les forment en Iran à la manipulation des armes, à confectionner des roquettes, etc. »

« C’est d’ailleurs malheureux de voir que c’est la République islamique d’Iran, chiite, qui défend les minorités chrétiennes au Levant », a-t-il ajouté. « Ça devrait être le travail de la France. »

La célèbre et farouchement pro-Assad blogueuse britannique Vanessa Beeley – qui a également visité et rendu hommage à Mhardeh et Sqelbiye – a affirmé sur Twitter début 2020 que Qassem Soleimani, l’ancien général iranien des Gardiens de la révolution islamique, avait aidé à former les NDF dans le nord de Hama, publiant une photo d’al-Wakil aux côtés de Soleimani.

Il semble que les NDF soient passées du soutien des Iraniens à l’encadrement par les Russes après leur intervention militaire en Syrie pour soutenir le régime, en 2015. Les dirigeants de la milice se démènent pour obtenir les faveurs de la Russie.

Nabel al-Abdullah et Simon al-Wakil semblent être eux-mêmes proches d’officiels russes.

Al-Abdullah s’est par exemple rendu à Moscou en 2019. Il y a rencontré les forces spéciales russes et représenté Sqelbiye, Mhardeh et d’autres villages de sa région lors du cinquième Congrès mondial chrétien en Russie.

En 2018, il a même reçu une montre « du président de la Russie » gravée de l’insigne présidentiel officiel.

Les deux commandants des NDF ont été décorés à plusieurs reprises par des haut-gradés russes.

Al-Wakil et al-Abdullah ont également rendu hommage au célèbre brigadier-général Souheil al-Hassan, le commandant des Forces du tigre, avec qui ils ont également été pris en photo. Suheil al-Hassan a probablement supervisé une attaque chimique contre Latamné en mars 2017, selon une enquête de Bellingcat, alors que les forces rebelles essayaient, en vain, de capturer Hama. Les Forces du tigre sont également associées à d’autres attaques au chlore menées par hélicoptères.

Les NDF ont participé à cette même contre-offensive à Hama. Mhardeh est à seulement 10 km au sud de Latamné.

Malgré des preuves accablantes, Goodarzy a rejeté la responsabilité du régime dans les attaques chimiques, y compris celle de Khan Cheikhoun qui s’est déroulée non loin de Mhardeh. Des accusations qu’il qualifie de « salades ».

Nabel al-Abdullah et Simon al-Wakil coopèrent également avec les combattants néo-fasciste du Parti social nationaliste syrien.

Alexandre Goodarzy, Simon al-Wakil et Benjamin Blanchard regardent la ligne de front depuis Mhardeh, en 2016. Crédit : Mediapart

Accusations de crimes de guerre

SOSCO décrit les deux milices comme des forces d’autodéfense, bien que les troupes d’al-Wakil et d’al-Abdullah semblent en réalité avoir combattu en dehors de leur ville natale. « Nous avons eu l’honneur de participer avec l’armée syrienne à la guerre contre le terrorisme à Hama, Idlib, Khanaser et Alep », a déclaré al-Wakil lui-même en 2019.

Suivant la politique de terre brûlée du régime dans les zones contrôlées par les rebelles, les NDF ont volé des biens et des meubles dans les maisons des habitants, selon Reuters. L’offensive de 2019 dans la province de Hama / Idlib n’a pas fait exception. Selon le Syrian Network for Human Rights (SNHR), les forces loyalistes, dont les NDF, auraient pillé des maisons après s’être emparées de villages, vendant leur butin sur un marché à Sqelbiye. C’est une activité caractérisitque des NDF, dont l’objectif est de s’assurer que les gens ne retournent pas chez eux. La pratique est devenue si courante que les Syriens ont inventé un mot, ta’afeesh, pour la décrire.

Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah ont également été personnellement accusés de crimes de guerre. Selon la liste noire publiée par l’ONG d’opposition Pro-Justice, Simon al-Wakil est responsable du « massacre de Halfaya, le 16 décembre 2012, qui a causé la mort de 25 personnes lorsque des habitations civiles ont été la cible de frappes d’artillerie. La ville de Halfaya, à seulement 1 km de Mhardeh, était alors en territoire rebelle et était la cible des attaques de l’armée de l’air syrienne.

Pro-Justice a également accusé Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah, ainsi que d’autres commandants de milice, d’avoir commis ou participé a au moins sept crimes de guerre dans la région de Hama, y ​​compris le meurtre de centaines d’hommes et de femmes.

En une seule journée, dans le village d’al-Qubeir, ils affirment que « les membres de la milice ont tué 100 femmes et enfants, dont une dizaine ont été tués avec des couteaux et leurs corps brûlés ». À Tremseh, également proche de Mhardeh, « des miliciens ont tué 220 civils ».

Des militants de l’opposition ont publié un enregistrement audio attribué à Nabel al-Abdullah en 2017 dans lequel il appelle ce qui semble être ses hommes à incendier les villages alentour contrôlés par les rebelles après les avoir capturés.

Il a également été aperçu posant à côté des tristement célèbres roquettes IRAM (Improvised Rocket Assisted Munitions), une signature des milices soutenues par l’Iran en Irak et en Syrie, connues pour leur puissance destructrice et leur manque de précision – et pour avoir causé d’énormes pertes civiles.

L’utilisation de ces munitions par les NDF a déjà été documentée par le fondateur de Bellingcat, Eliot Higgins, sur son blog Brown Moses. Les IRAM ont aussi été impliquées dans des attaques au chlore pendant le conflit syrien, comme l’a également documenté Bellingcat.

Défenseurs des Chrétiens ou apologistes d’Assad ?

De son côté, SOSCO s’en tient fermement au narratif du régime. L’ONG fait d’Assad le protecteur des minorités et des milices comme celles d’al-Wakil et d’al-Abdullah leurs champions sur le terrain.

Les vidéos de l’ONG contredisent elles-mêmes d’avantage sa posture apolitique. Dans une vidéo publiée en mars 2019, l’ancien chef de mission en Syrie, Alexandre Goodarzy, s’adresse à la caméra depuis un poste d’artillerie des NDF alors que les miliciens d’al-Wakil font feu. « Les terroristes viennent juste de bombarder », dit-il. « La réplique ne s’est pas faite attendre. La Défense nationale, avec M. Simon, a ordonné de faire feu, et quatre missiles Grad sont partis ».

Sur la base de la description de l’emplacement donné par Goodarzy lui-même (à côté du village de Shaizar et du château du même nom), nous avons pu géolocaliser la position de tir à un endroit au nord-est de Mhardeh, au sommet d’une colline, approximativement ici.

Les forces rebelles et loyalistes échangeaient des tirs au moment où la vidéo a été tournée, selon plusieurs rapports faisant état de frappes touchant Mhardeh et des quartiers résidentiels de Latamné, alors sous contrôle rebelle.

Mais SOSCO semble avoir choisi son camp. « Nous déplorons que ces journalistes consacrent leur énergie à nuire à une association caritative, dont le travail est reconnu et salué sur le terrain, au lieu, par exemple, d’enquêter sur les mouvements terroristes qui menacent des innocents », nous a déclaré la responsable de la communication de l’association.

Dans un monologue de huit minutes, Goodarzy fait le parallèle entre les attentats terroristes qui ont touché la France et l’opposition syrienne, appelant les donateurs de SOSCO à non seulement apporter leur contribution financière, mais aussi à activement, émotionnellement et spirituellement choisir leur camp dans ce que l’organisation décrit comme une bataille divine.

« À un moment donné il faut être cohérent, il faut arrêter de se mentir à soi-même, il faut arrêter d’être idiot», dit-il aux spectateurs. « On a vraiment besoin de vous, on a pas seulement besoin de vos dons, on a besoin de toute votre intelligence, il faut ouvrir les yeux, il faut se réveiller. »

La frappe préventive de SOSCO

Après avoir reçu une liste de 41 questions de la part de Mediapart, SOSCO a envoyé un long email à ses abonnés (recopié et lisible ici sur Facebook) le 7 septembre, dans lequel l’organisation nie avoir une quelconque connaissance des allégations de crimes de guerre visant Simon al-Wakil et Nabel al-Abdullah. Et ce malgré le fait que l’ONG avait elle-même publié sur son site une interview du leader de la milice de Mhardeh où ce dernier leur montre, « amusé », les accusations des « médias pro-djihadistes » au sujet de « soi-disant massacres ».

Dans sa newsletter, l’ONG alerte ses abonnés sur une prochaine enquête à venir et les invite à « rester vigilants et éventuellement prêts à nous aider en cas de besoin ».

Cette campagne a rapidement reçu le soutien de sites français d’extrême droite comme Breizh Info ou medias-presse.info. La réponse officielle de SOSCO, envoyée le lendemain, soit le 8 septembre, est consultable sur le site de l’association.

Au sujet des accusations le concernant personnellement, l’ancien chef de mission en Syrie Alexandre Goodarzy a répondu, le 8 septembre, « Je sais que vous ne respectez aucune règle déontologique et que chacun doit être à votre disposition, mais il existe encore des lois dans notre pays. Je suis salarié de SOS Chrétiens d’Orient et je ne comprends pas pourquoi vous me posez des questions sur mon employeur. »

Les auteurs tiennent à remercier Historicoblog pour l’aide qu’il nous a apporté en recensant les activités des NDF à Sqelbiye.

Cette enquête a reçu le soutien financier de Money Trail et European Cross-Border Grants, programmes de Journalismfund.eu, une organisation à but non lucratif qui s’est donné l’objectif de promouvoir les projets d’investigations indépendantes à travers toute l’Europe.

 

 

 

Article d’Élie Guckert, Ariane Lavrilleux et Frank Andrews traduit par Syrie Factuel

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