16.07.2025 à 18:32
Équipe de l'Observatoire
Dans le cadre de la préparation de son projet de loi de finances et de son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier ministre a annoncé que, pour économiser près de 44 milliards d'euros sur 2026, il comptait instaurer une « année blanche ». François Bayrou a ainsi déclaré : « On aura exactement le même montant des retraites pour chaque pensionné que celles qu'on avait en 2025 (…) L'ensemble des prestations sociales seront maintenues en 2026 à leur niveau de 2025 et il (…)
- ActualitésDans le cadre de la préparation de son projet de loi de finances et de son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, le premier ministre a annoncé que, pour économiser près de 44 milliards d'euros sur 2026, il comptait instaurer une « année blanche ». François Bayrou a ainsi déclaré : « On aura exactement le même montant des retraites pour chaque pensionné que celles qu'on avait en 2025 (…) L'ensemble des prestations sociales seront maintenues en 2026 à leur niveau de 2025 et il n'y aura pas d'exception (…) Les barèmes de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée seront eux aussi maintenus à leur niveau de cette année ». Il a oublié de préciser qu'avec l'inflation, l'année blanche se traduira en réalité par une perte de pouvoir d'achat pour la grande majorité de la population.
Schématiquement, l'année blanche consiste en un gel de l'ensemble de la dépense publique et des différents dispositifs de type barème de l'impôt sur le revenu. En d'autres termes, les mécanismes d'indexation des prestations ou encore du barème de l'impôt sur le revenu sur l'indice des prix à la consommation (hors tabac) ou sur l'indice de référence des loyers (pour l'allocation logement) seraient neutralisés.
Une telle mesure ne peut avoir que des effets particulièrement néfastes, notamment pour la moitié de la population la plus pauvre. Concrètement, l'année blanche signifie principalement un appauvrissement des bénéficiaires des prestations sociales, notamment des plus pauvres, des classes moyennes et de nombreux retraités (même si plusieurs prestations bénéficient également à des ménages aisés, comme les prestations familiales). L'OFCE [1] a ainsi montré qu'un gel des prestations sociales permettrait une économie budgétaire d'environ 5 à 6 milliards d'euros. Les retraités en supporteraient l'essentiel (3,7 milliards d'euros). Les plus pauvres seraient par ailleurs frappés par l'absence de revalorisation des minima sociaux, ce qui contribuerait à nourrir un niveau de pauvreté déjà record.
Pour l'ensemble des bénéficiaires des prestations sociales, une année blanche signifierait donc une baisse du pouvoir d'achat. Économiquement, une année blanche est contre-productive puisque cette baisse du pouvoir d'achat provoquerait une baisse de la consommation, donc une baisse du chiffre d'affaires des commerçants et des entreprises et une baisse de leurs investissements. En clair, par ses effets récessifs sur l'activité économique, l'année blanche ne procurera pas les quelques milliards d'euros d'économies espérées par le gouvernement.
Un calcul simple permet d'illustrer l'idée selon laquelle l'économie budgétaire sera inférieure à celle officiellement attendue. À titre d'exemple, si l'on considère que ces 5 à 6 milliards d'euros sont consommés au taux de TVA moyen de 12 % (la consommation pouvant concerner des biens et des services imposés aux taux de 5,5, 10 ou 20 %), le manque à gagner découlant de cette consommation évitée se situe entre 600 et 750 millions d'euros l'économie nette se situant alors entre à 4,4 et 5,25 milliards d'euros), davantage si l'on prend en compte les autres impôts sur la consommation, et bien plus si l'on prend les effets sur la marge et l'investissement des entreprises. Comme le montre l'analyse économique, ce manque à gagner des recettes fiscales sera amplifié par l'effet multiplicateur négatif de la baisse des dépenses publiques sur la croissance économique.
L'absence d'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation augmenterait pour sa part l'impôt sur le revenu des 19 millions de foyers fiscaux déjà imposables. Mais il rendrait par ailleurs imposables plusieurs centaines de milliers de foyers fiscaux (entre 400 000 et 500 000). Selon l'OFCE, les ménages situés au niveau de vie médian perdraient jusqu'à 100 euros sur cette seule mesure.
Le cas de la contribution sociale généralisée (CSG) est plus complexe. Chaque année, les seuils en deçà desquels il est possible, pour certains contribuables, d'être exonérés de CSG (en dessous de 12 817 euros pour un célibataire en 2025) ou de bénéficier d'un taux réduit pour certains retraités (pour un revenu compris entre 12 818 et 16 755 euros, le taux de la CSG est de 3,8 %), sont déterminés par rapport au revenu fiscal de référence. Ces seuils seront gelés en 2026, ce qui signifie que certains contribuables pauvres qui connaissent une hausse, même légère, de leur revenu pourraient payer davantage de CSG.
Les estimations de l'OFCE sont instructives. Elles montrent qu'en 2026, avec une année blanche :
– près de 10 millions de ménages dont la personne de référence est retraitée verraient leur revenu disponible réduit de 280 euros par unité de consommation1 en moyenne (350 euros par ménage), ce qui représente environ 1 % de leur niveau de vie ;
– les 15 millions de ménages dont la personne de référence est salariée verraient leur revenu disponible amputé de l'ordre de 70 euros (-0,2%) et les indépendants (2,4 millions de ménages en 2023) d'environ 100 euros (-0,2%) par unité de consommation à la fois du fait du gel du barème de l'impôt sur le revenu et du gel des prestations sociales ;
– le revenu disponible des 1,3 million de ménages dont la personne dite « de référence » est au chômage se réduirait d'environ 120 euros par unité de consommation.
De manière générale, l'OFCE estime que « les 5 % de ménages les plus élevés verraient leur revenu disponible amputé de l'ordre de 260 euros par unité de consommation (390 euros par ménage)" contre environ 100 euros pour les ménages aux revenus les moins élevés. Mais rapporté au pourcentage du niveau de vie, ce sont les ménages les moins favorisés qui verraient leur revenu disponible baisser, de 1 % contre 0,3 % pour les ménages aux revenus les plus élevés ».
L'économie budgétaire attendue par le gouvernement pourrait être très réduite voire symbolique puisque certains ménages pénalisés par l'année blanche passeront sous le seuil de pauvreté (fixé à 60 % du niveau de vie médian de la population, soit à 1 288 euros par mois pour une personne seule) alors que le taux de pauvreté bat des records (15,4 % de la population se situe sous le seuil de pauvreté).
Antisociale, anti-économique, l'année blanche constitue un véritable « prélèvement » sur le pouvoir d'achat des ménages, elle ne répond qu'à un dogme : s'attaquer encore et toujours à l'action publique et à la redistribution.
Bilan anti redistributif de l'année blanche (OFCE) :
[1] Pierre Madec, « Impôts et prestations : quels effets attendre d'une « année blanche » ? », le blog de l'OFCE, 30 juin 2025.
02.07.2025 à 14:05
Équipe de l'Observatoire
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s'est exprimée sur le futur projet de loi de finances pour 2026. Dans une interview donnée au quotidien Les Échos, elle s'attaque au dogme macroniste et gouvernemental consistant à refuser toute hausse d'impôt sur les plus riches et les grandes entreprises (le gouvernement n'étant par ailleurs pas gêné par l'introduction d'une « TVA sociale »*). Elle y déclare notamment que « On ne peut exclure d'emblée toute hausse d'impôts ». Elle (…)
- ActualitésLa présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s'est exprimée sur le futur projet de loi de finances pour 2026. Dans une interview donnée au quotidien Les Échos, elle s'attaque au dogme macroniste et gouvernemental consistant à refuser toute hausse d'impôt sur les plus riches et les grandes entreprises (le gouvernement n'étant par ailleurs pas gêné par l'introduction d'une « TVA sociale »*). Elle y déclare notamment que « On ne peut exclure d'emblée toute hausse d'impôts ». Elle propose même de « se pencher sur la taxation des "super héritages" ». Elle pointe notamment une réalité statistique : « 0,1 % des héritiers reçoivent des montants supérieurs à 13 millions d'euros et ne paient en moyenne que 10 % de droits de succession ».
Ce constat est factuel et implacable. Il est pourtant peu connu car peu abordé dans les « grands médias ». Certes, Attac ne partage ni les autres pistes évoquées par Yaël Braun-Pivet (comme celle de l'année blanche, qui, en matière d'impôt sur le revenu, rendrait imposables de nombreux foyers aujourd'hui exonérés en raison du niveau de leurs revenus), ni la politique qu'elle soutient. Mais nous reconnaissons que c'est tout le mérite de la présidente de l'Assemblée nationale de remettre dans le débat public la taxation des super héritages et de pointer une des injustices majeures du système fiscal.
Pour compléter le constat dressé dans cette interview, on rappellera que, selon l'INSEE, la moitié des ménages français ne bénéficie d'aucun héritage et que, pour ceux qui en reçoivent un, l'immense majorité n'est pas imposable (85 à 87 %) en raison de la faiblesse de la valeur du patrimoine transmis. France stratégie a, par ailleurs, calculé que le taux moyen d'imposition effectif sur les successions en France est d'environ 5 %, il s'abaisse même entre 2 % et 3 % pour les transmissions dites « en ligne directe » (entre parents et enfants). Mais si la plupart des ménages n' héritent pas ou peu ,ceux ou celles qui héritent beaucoup ont vu leur part considérablement augmenter : le Conseil d'analyse économique a démontré que la part de la richesse héritée dans la richesse nationale s'accroît considérablement : elle en représente 60 % aujourd'hui, contre 35 % dans les années 1970.
Réformer les droits de donation et de succession pour qu'ils soient non seulement rentables sur le plan budgétaire, mais aussi plus équitables et progressifs est d'autant plus nécessaire qu'en France, d'ici à 2040, 9 000 milliards d'euros de patrimoine seront transmis.
Plusieurs chantiers doivent donc être engagés :
– plafonner le « Pacte Dutreil » (une exonération de 75 % sur la transmission de titres d'une société) afin d'épargner la transmission des PME mais de mettre davantage à contribution les transmissions organisées par les plus riches,
– remettre en cause les autres « niches fiscales », comme l'assurance-vie par exemple,
– revoir les barèmes d'imposition, aujourd'hui calculés selon le lien de parenté, afin de promouvoir un barème unique,
– revoir simultanément les abattements qui se superposent,
– rendre transparent et améliorer les données statistiques sur la valeur des patrimoines transmis par voie de donation et de succession.
* Lire l' article d' Attac "La TVA anti-sociale , d'un gouvernement anti -social"
05.05.2025 à 15:47
Équipe de l'Observatoire
Comme chaque année, la Cour des comptes a publié son rapport sur le budget de l'État en 2024. Ce rapport, publié en avril 2025, se montre sévère, en des termes de moins en moins feutrés au fur et à mesure des années, sur plusieurs points avec les gouvernements qui ont officié au cours de l'année dernière. Nous revenons ici sur quelques éléments saillants de ce rapport qui en dit long sur l'approche budgétaire du pouvoir dans la période récente.
En matière de recettes, le rapport dresse le (…)
Comme chaque année, la Cour des comptes a publié son rapport sur le budget de l'État en 2024. Ce rapport, publié en avril 2025, se montre sévère, en des termes de moins en moins feutrés au fur et à mesure des années, sur plusieurs points avec les gouvernements qui ont officié au cours de l'année dernière. Nous revenons ici sur quelques éléments saillants de ce rapport qui en dit long sur l'approche budgétaire du pouvoir dans la période récente.
En matière de recettes, le rapport dresse le constat selon lequel, « les écarts entre l'exécution et la prévision des recettes fiscales nettes en loi de finances sont importants ». Cette question des écarts entre les prévisions des projets de lois de finances et les résultats budgétaires effectivement constatés a d'ailleurs été à l'origine de la création en octobre 2024 d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale « afin d'étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ».
Outre ces écarts, la Cour des comptes déplore qu'en 2024, aucune loi de finances rectificative n'ait été prévue. Elle remarque ainsi que « il convient de relever le paradoxe qui a vu le Gouvernement réviser sa prévision de croissance à 1,0 % dès le mois de février 2024 sans déposer pour autant de projet de loi de finances rectificative (PLFR), qui seul aurait permis d'actualiser les prévisions de recettes et les plafonds de dépenses ».
Cette question du PLFR est abordé à plusieurs reprises, notamment dans la partie qui recense les coupes budgétaires décidées en 2024 : « À défaut de recourir à une loi de finances rectificative pour tirer les conséquences des résultats 2023 dès le début de l'exercice, le Gouvernement a choisi d'annuler, d'une part, 10,4 Md€ par voie réglementaire - 10,15 Md€ en février puis 283 M€ en juillet 2024 – et, d'autre part, 6,5 Md€ à l'occasion de la loi de fin de gestion, et a redéployé en cours d'année 1,4 Md€ par décrets de transfert et de virement. Enfin, 13,4 Md€ de crédits disponibles n'ont pas été dépensés : 11,6 Md€ ont été reportés sur 2025 sur le budget général (incluant les fonds de concours) tandis que 1,8 Md€ devraient être annulés en loi de règlement »
Ces extraits soulèvent plusieurs questions.
– La première porte sur la manière dont les pouvoirs publics établissent leurs prévisions de croissance et, par suite, de recettes et de dépenses publiques. Il est manifestement apparu que Bruno Le Maire, lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, a surévalué le taux de croissance et le rendement des recettes fiscales.
– La seconde porte sur la méthode avec laquelle le gouvernement a procédé à des coupes budgétaires, sans loi de finances rectificative, donc sans passer par un débat au parlement. Les coupes budgétaires sont en effet importantes et auraient mérité un débat parlementaire, que les 2 précédents gouvernements ainsi que l'actuel ont esquivé. Au final, les crédits annulés ou non compensés et non reportés sur 2025 s'élèvent à 17,3 milliards d'euros, un montant presque comparable au budget de la mission « cohésion des territoires » en 2024 (19 milliards d'euros).
– La troisième porte sur une forme de bricolage budgétaire, les coupes ayant été décidées précipitamment et mise en œuvre « à la hache ». Les récentes annonces de la ministre des comptes publics sur le projet de fusionner ou de supprimer certains opérateurs de l'État en attestent. Derrière l'idéologie néolibérale consistant à s'attaquer sans cesse au périmètre et aux moyens de l'action publique, la précipitation avec laquelle cette annonce a été faite, sans aucune précision, montre une absence cruelle de méthode et de vision.
Certes, Attac ne peut en aucun cas suivre ni encore moins soutenir la Cour des comptes lorsque, par exemple, elle préconise constamment une baisse des dépenses publiques ou lorsque son premier Président relativise la fraude fiscale par rapport à la fraude sociale. Ces critiques méritent cependant d'être connues car, venant d'un organisme important mais très sensible au néolibéralisme ambiant, elles montrent en quoi, en plus d'être injuste, la politique budgétaire gouvernementale est, au mieux, mal maîtrisée sur le plan technique, ou au pire, biaisée et faussée.