22.10.2025 à 17:12
Florian Chaaban
Longtemps perçue comme un symbole d’ouverture et de modernité grâce à son adhésion en 1986, l'Espagne incarne aujourd’hui une trajectoire européenne faite de résilience économique, d'équilibres politiques et de décisions audacieuses, notamment dans le domaine de la défense et des relations internationales. Le pays, qui fêtera le 1er janvier 2026 les 40 ans de son […]
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Longtemps perçue comme un symbole d’ouverture et de modernité grâce à son adhésion en 1986, l'Espagne incarne aujourd’hui une trajectoire européenne faite de résilience économique, d'équilibres politiques et de décisions audacieuses, notamment dans le domaine de la défense et des relations internationales. Le pays, qui fêtera le 1er janvier 2026 les 40 ans de son entrée dans l'UE, a su faire évoluer sa posture initiale de jeune démocratie, après 36 ans du régime dictatorial de Franco (139-1975), vers celle d'acteur majeur, dotée d'une voix singulière sur la scène européenne et internationale.
L'Espagne, dont la population avoisine les 49 millions d'habitants, occupe le quatrième rang économique de la zone euro. Sa capacité à tirer profit du marché unique, à renforcer ses alliances diplomatiques et à défendre ses priorités stratégiques lui permet d'exercer une influence croissante au sein des institutions européennes. Mais cette affirmation internationale s'inscrit dans un contexte interne marqué par des équilibres politiques fragiles.
La situation politique espagnole actuelle se distingue par l'existence d'un gouvernement de coalition dirigé par Pedro Sánchez, secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), parti affaibli par un scandale de corruption et allié à la coalition Sumar, représentant la gauche alternative.
Cette équipe exécutive, formée après les élections anticipées de juillet 2023, gouverne sans majorité absolue et doit composer avec le soutien critique de différents partis régionaux nationalistes et indépendantistes, notamment catalans et basques. L'instabilité relative du Parlement espagnol impose des compromis constants, qui influent directement sur la marge de manœuvre du gouvernement au niveau européen.
Le gouvernement de Pedro Sánchez est composé de 22 ministres dont quatre vice-présidentes (placées, dans l'ordre protocolaire gouvernemental, entre le chef du gouvernement et les ministres), et dispose de 152 députés sur 350 au Congrès, soit 43,4 % des sièges, une configuration qui oblige à d'âpres négociations pour chaque grande réforme. Les principaux engagements de cette coalition incluent la réduction du temps de travail, l'accélération de la transition écologique et une ferme résistance aux dérives autoritaires, tout en restant attentif aux équilibres entre intérêts nationaux et impératifs européens.
Cette architecture politique complexe explique en partie la prudence adoptée sur la question du réarmement et les prises de position parfois critiques, en matière de diplomatie, vis-à-vis de l'UE comme de certains grands partenaires.
À l'approche du dernier sommet de l'Otan à La Haye les 24 et 25 juin 2025, l'Espagne a provoqué des remous en rejetant publiquement le relèvement de l'objectif de dépenses de défense de l'alliance de 32 pays de 2 % à 5 % du PIB – comme le demande le président américain Donald Trump. Une décision motivée par la volonté du gouvernement de Pedro Sánchez de préserver la souveraineté budgétaire et d'affirmer l'autonomie stratégique du pays.
Si l’Espagne n'a finalement pas obtenu la dérogation souhaitée, cette position audacieuse et assumée - saluée par de nombreux observateurs mais surtout vivement critiquée par d'autres - met en lumière les tensions au sein de la coalition gouvernementale, soucieuse de préserver les investissements sociaux face aux appels à un "keynésianisme militaire" européen.
Cette position souligne aussi la fragilité de Madrid, avec un effort de défense limité à 1,28 % du PIB, face aux pressions américaines et à ses propres engagements atlantistes et européens. Alors que plusieurs partenaires de l'UE, comme l'Italie ou la Belgique, ont consenti sans détour à l'objectif de 5 %, l'Espagne rappelle que la souveraineté nationale demeure un axe central des décisions, surtout lorsqu'elles conditionnent l'avenir de la politique européenne de sécurité et de défense.
Face à une forte vague migratoire (57 700 arrivées enregistrées en 2024, soit le double de 2022, principalement par l'archipel des Canaries), le gouvernement de Pedro Sánchez se trouve confronté à un défi complexe : répondre aux discours de la droite et de l’extrême droite qui dénoncent une prétendue "invasion", alors même que l’économie espagnole continue de dépendre d'une main-d’œuvre immigrée à bas coût. Aujourd'hui, près de 19 % de la population résidant en Espagne est immigrée, avec des profils et origines très diverses telles que l'Amérique latine, le Maroc, ou encore l'Europe de l'Est.
Madrid prévoit de régulariser 900 000 étrangers d'ici trois ans grâce à un règlement entré en vigueur le 20 mai 2025. Jusqu'ici, un titre de séjour pouvait être obtenu après trois ans de présence prouvée sur le territoire. Désormais, ce délai est réduit à deux ans et élargi à cinq formes d'"enracinement" : social, éducatif, professionnel, familial et de seconde chance (pour ceux qui n'ont pas renouvelé leur titre de séjour).
Un pari risqué pour le pays, géographiquement exposé comme frontière sud de l'Union européenne. La péninsule ibérique constitue l'une des principales portes d'entrée depuis l'Afrique, que ce soit par le détroit de Gibraltar ou via les Canaries.
En juin dernier, l'Espagne a scellé un accord historique avec le Royaume-Uni et l'UE sur la question migratoire. Cet accord, qui doit encore être ratifié, prévoit l'entrée de Gibraltar dans l'espace Schengen afin de permettre la libre circulation des personnes. Il s'agit du dernier point du Brexit qui restait à régler, cinq ans après la sortie effective du Royaume-Uni de l'Union européenne.
L'économie espagnole affiche une vitalité remarquable malgré un contexte international instable. Selon la Banque d’Espagne et l'Institut national des statistiques, la croissance du PIB a atteint 3,5 % en 2024 et devrait atteindre 2,7 % en 2025, un rythme supérieur à la moyenne de la zone euro. Cette vigueur actuelle est d'autant plus notable que l'Espagne a dû surmonter une terrible crise économique entre 2008 et 2014, marquée par une explosion du chômage et par des plans d'austérité douloureux. C'est en tirant les leçons de cette période que le pays a renforcé sa résilience et accéléré sa transformation économique.
Cette performance est portée par la consommation intérieure, les investissements et un secteur exportateur dynamique, faiblement exposé aux turbulences commerciales transatlantiques, même si la vigilance demeure dans les secteurs oléicole et viticole. L'Espagne bénéficie également d'un excédent courant pour la treizième année consécutive, d'une réduction de la dette publique, néanmoins toujours importante (101,8 % du PIB), et d'une position extérieure solide.
Cependant, la relation avec Bruxelles n'est pas exempte de tensions : récemment, la Commission européenne a réduit de 1,1 milliard d'euros le versement prévu au titre du plan NextGenerationEU, en raison de réformes jugées insuffisantes sur plusieurs points (statut des intérimaires, fiscalité écologique, numérisation des administrations locales). Le gouvernement espagnol dispose désormais de six mois pour se conformer aux exigences européennes afin de récupérer ces financements.
L'affirmation du leadership espagnol ne se limite pas au théâtre européen. L'Espagne veut aussi tenir un rôle dans les relations sino-européennes et lors d'une récente visite à Pékin, Pedro Sánchez a présenté la Chine comme "un partenaire de l'UE", alors que Bruxelles qualifie cette dernière de "rival systémique". Ainsi, Madrid s'engage ouvertement dans le débat sur la gouvernance européenne et appelle l'UE à "faire preuve de courage" dans les grands dossiers géopolitiques, comme celui du Proche-Orient.
L'Espagne s'est notamment distinguée en 2025 par ses positions critiques à l'égard d’Israël : refus de participer à l’Eurovision en 2026 si l'État hébreu est maintenu dans les participants, soutien public aux manifestations propalestiniennes qui ont bloqué plusieurs événements sportifs internationaux comme la Vuelta, et dénonciation de certaines politiques israéliennes devant les instances européennes. Le pays est aussi le premier, avec l'Irlande, à avoir exhorté dès février 2024 les pays de l'UE à réexaminer leur accord d'association avec Israël compte tenu de la situation humanitaire à Gaza.
Ce positionnement sans cesse rappelé depuis est incarné à Bruxelles par Teresa Ribera, vice-présidente exécutive de la Commission européenne, dont l'engagement marqué à l'égard d'Israël et des grands enjeux climatiques illustre la capacité d'influence espagnole au niveau communautaire.
En parallèle, à l'image de l'Allemagne, l'Espagne a également beaucoup poussé pour un accord commercial entre l'UE et le Mercosur, confirmant sa volonté d'ancrer davantage les relations économiques transatlantiques auprès de ses partenaires sud-américains. Cette attitude globale reflète le souci du gouvernement d’affirmer des principes éthiques, économiques et politiques, tout en s'imposant comme un acteur clé dans l'édification d'une diplomatie européenne plus autonome et équilibrée.
En définitive, qu'il s'agisse de sécurité, d'économie ou de diplomatie internationale, l'Espagne veut s'afficher comme un acteur européen incontournable, soucieux de défendre ses priorités tout en contribuant à la solidarité et à la cohésion de l'Union européenne.
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22.10.2025 à 16:16
Rédaction Toute l'Europe
Que récompense-t-il ? Le "prix Sakharov pour la liberté de l'esprit" récompense chaque année depuis 1988 une action exceptionnelle dans le domaine de la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales, particulièrement la liberté d'expression, la défense du droit des minorités, le respect des lois internationales ou encore le développement de la démocratie. […]
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Le "prix Sakharov pour la liberté de l'esprit" récompense chaque année depuis 1988 une action exceptionnelle dans le domaine de la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales, particulièrement la liberté d'expression, la défense du droit des minorités, le respect des lois internationales ou encore le développement de la démocratie. Il peut être décerné à des personnes, des associations ou des organisations, sans considération de leur nationalité, lieu de résidence ou siège social.
Ce prix a été baptisé du nom du scientifique Andrei Sakharov (1921-1989), l'un des inventeurs de la bombe à hydrogène soviétique. Conscient des risques que l'utilisation détournée de son invention pouvait faire courir, il s'était engagé dans une action de sensibilisation aux méfaits d'une course à l'armement nucléaire. Considéré comme un dissident en Union soviétique, Andrei Sakharov fut assigné à résidence, coupé du monde, dans la ville de Gorki, aujourd'hui Nijni Novgorod.
Il a également créé, en 1970, un comité de défense des droits de l'Homme et des victimes des procès politiques. Cinq ans plus tard, le prix Nobel lui a été décerné pour récompenser ses efforts en faveur de la paix dans le monde. Il ne pourra cependant le recevoir en personne, les autorités soviétiques lui ayant refusé un visa de sortie du territoire.
Chaque année, les groupes politiques du Parlement européen et les eurodéputés peuvent désigner des candidats au prix Sakharov. Sur la base de ces candidatures, la commission parlementaire des affaires étrangères et la commission du développement choisissent, lors d'une réunion commune, trois "nominés". La Conférence des présidents du Parlement européen, composée du président du Parlement européen et des présidents de groupes politique au Parlement, désigne ensuite le lauréat du prix parmi les trois nominés.
Le prix est officiellement remis par le président du Parlement européen lors de l'une des sessions plénières de fin d'année, aux alentours du 10 décembre, jour anniversaire de la signature de la Déclaration universelle des droits de l'Homme par les Nations unies en 1948. Le lauréat du prix Sakharov reçoit une somme de 50 000 euros.
Andrzej Poczobut et Mzia Amaghlobeli sont deux journalistes actuellement enfermés, respectivement, en Biélorussie et en Géorgie. Ces affaires ont été dénoncées par les organisations de défense des droits humains comme une tentative de restreindre la liberté de la presse et une illustration des dérives autoritaires de ces pays.
Andrzej Poczobut, correspondant du journal polonais Gazeta Wyborcza et militant pour les droits de la minorité polonaise en Biélorussie dont il fait partie, a été arrêté début 2021 en pleine vague de répression contre les médias accusés de propos critiques à l’égard du pouvoir. Condamné pour avoir "porté atteinte à la sécurité nationale de la Biélorussie", il purge actuellement une peine de huit ans de prison dans la colonie pénitentiaire de Novopolotsk. Le gouvernement d’Alexandre Loukachenko mène une répression violente contre les voix critiques du pouvoir, en particulier depuis un mouvement de contestation sans précédent en 2020.
Mzia Amaghlobeli, journaliste géorgienne et co-fondatrice de deux médias indépendants, a été condamnée en août 2025 à deux ans de prison pour avoir giflé un chef de la police lors d’une manifestation pro-européenne en janvier dans la ville de Batoumi, sur la mer Noire. Devenue le symbole de la lutte pour la liberté de la presse, elle avait enquêté sur le gaspillage d’argent public et les abus de pouvoir en Géorgie dans ces médias.
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22.10.2025 à 16:07
Florian Chaaban
Un petit pactole au cœur des débats. Depuis le 24 février 2022 et le début du conflit en Ukraine, l'Union européenne a gelé une partie des avoirs russes présents sur son territoire. Si l'utilisation des intérêts de ces avoirs pour soutenir l'Ukraine est déjà en vigueur, les Vingt-Sept ne parviennent pas à trancher sur l'utilisation […]
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Un petit pactole au cœur des débats. Depuis le 24 février 2022 et le début du conflit en Ukraine, l'Union européenne a gelé une partie des avoirs russes présents sur son territoire. Si l'utilisation des intérêts de ces avoirs pour soutenir l'Ukraine est déjà en vigueur, les Vingt-Sept ne parviennent pas à trancher sur l'utilisation de l'ensemble du capital en lui-même. Mais quelle somme représentent ces fonds ? Et peuvent-ils réellement être utilisés pour soutenir Kiev et les autres villes du pays touchées ? Toute l'Europe fait le point.
Depuis mai 2024, les pays de l'Union européenne et du G7 ont gelé les avoirs russes présents sur leur sol pour une période indéterminée, ou du moins jusqu’au rétablissement de la paix en Ukraine. Cette mesure vise à priver Moscou d'une source de financement pour son armée et à garantir le remboursement des prêts accordés par l'Europe à Kiev.
Dans les faits, le gel des avoirs est un dispositif légal et administratif permettant de rendre inaccessibles les ressources financières et matérielles d'un individu ou d'une entité. Bien que la Russie considère cette action comme un "vol", elle reste conforme au droit international.
Les avoirs russes bloqués en Europe se composent principalement de 210 milliards d'euros d’actifs appartenant à la Banque centrale de Russie et de 24,9 milliards d'euros d’avoirs privés russes.
Contrairement aux images de yachts et de villas saisies en début de guerre, l'essentiel de ces avoirs est constitué de titres financiers, tels que des actions, des obligations d’État, des revenus immobiliers et des placements bancaires appartenant à des personnalités ou des entités russes visées par les sanctions européennes. Y figurent notamment le président russe, Vladimir Poutine, son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, des élus, fonctionnaires, mais aussi des entreprises, opérant notamment dans les secteurs militaire, informatique, des transports et de l'énergie.
En Europe, ces fonds sont essentiellement stockés chez Euroclear, une société internationale de dépôt de fonds basée à Bruxelles. Cet organisme joue le rôle d'intermédiaire financier entre acheteurs et vendeurs de titres. Les avoirs y sont gardés en toute sécurité dans une chambre de compensation, dont les responsables sont sous surveillance renforcée.
Ailleurs dans le monde, des avoirs russes sont également bloqués aux États-Unis (62 milliards d'euros), au Royaume-Uni (44 milliards) au Japon (33 milliards), au Canada (18 milliards) ou encore en Australie (5 milliards).
Dans la pratique, le droit international protège les États et leur patrimoine, et interdit la saisie des biens d'un pays par un autre, au titre du principe de "l'immunité d'exécution". Ce droit n'existe pas pour l’État agressé (en l'occurrence l'Ukraine), et à plus forte raison pour une entité non belligérante comme l'Union européenne. La décision de passer à l'action exposerait l'UE à de potentielles sanctions financières devant des juridictions internationales.
Le 21 mai 2024, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen se sont accordés sur des règles concernant le gel et la confiscation des capitaux d'origine criminelle. Les deux institutions se sont ainsi entendues sur la mobilisation des bénéfices issus des avoirs russes gelés, en les affectant à hauteur de 90 % à la Facilité européenne pour la paix, qui finance le soutien militaire de l'Union à l'Ukraine, et 10 % à la Facilité pour l'Ukraine, dédiée à l'assistance macro-économique au pays de Volodymyr Zelensky.
Ces intérêts s'élevaient à 4,5 milliards d'euros en 2023. Pour que l'UE puisse aller plus loin et confisquer les capitaux russes eux-mêmes, un vote unanime des représentants des États membres au sein du Conseil serait nécessaire.
Le 10 septembre 2025, lors de son très scruté discours sur l'état de l'Union, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a abordé cette épineuse question, après avoir rappelé que l'UE avait déjà mobilisé près de 170 milliards d’euros d’aide militaire et financière pour soutenir l'Ukraine. Une aide militaire qui s'est effondrée de 57 % en juillet et août 2025 par rapport aux six premiers mois de l'année, selon les chiffres récoltés par le Kiel Institute, basé en Allemagne. Sur les deux mois d'été, l'Union a alloué un total de 3,3 milliards d'euros d'aide militaire à Kiev, soit une moyenne mensuelle d'1,65 milliard.
Soulignant que l'argent est le nerf de la guerre, la présidente de la Commission européenne a confirmé le 10 septembre qu'un "prêt à titre de réparation" serait financé à partir des avoirs russes gelés en Europe. Elle a toutefois précisé que seuls les intérêts de ces 210 milliards d'euros d'actifs seraient mobilisés et que l'on "ne touchera pas aux actifs eux-mêmes".
Mais la question de mobiliser directement les avoirs est revenue sur la table quelques semaines plus tard, à l'occasion d'une réunion des dirigeants européens à Copenhague, le 1er octobre. Dans une note transmise par la Commission, il est indiqué que sur les 210 milliards d'euros détenus par Euroclear, 185 milliards correspondent à des prêts arrivés à échéance, et sont donc disponibles sous forme de liquidités. Sur cette somme, 45 milliards sont déjà utilisés dans le cadre d'une autre initiative du G7 pour soutenir l'Ukraine.
Or le reste, soit 140 milliards d'euros, pourrait être transféré à la Commission sous la forme d'un prêt sans intérêt. Celle-ci accorderait ensuite un prêt du même montant à l'Ukraine. Kiev ne devrait alors rembourser ce prêt massif qu'après avoir touché des réparations russes. Tant que Moscou n'aura pas effectué ces paiements, les fonds resteraient bloqués. Ainsi, ces futures réparations serviraient de garantie pour le prêt, sans qu'il soit nécessaire de saisir officiellement les avoirs de l'État russe.
La question ukrainienne sera à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, les 23 et 24 octobre. L'occasion, peut-être, de préciser les contours juridiques de ce "prêt de réparation" et de suggérer un calendrier pour la mise en place d'une telle mesure.
Le projet de la Commission a gagné en crédibilité dès lors que l'Allemagne lui a apporté son soutien. À la mi-septembre, le chancelier Fiedrich Merz a publié une tribune dans le Financial Times pour exprimer son ralliement, appelant l'Europe à "renforcer le coût de l’agression russe". Devant les députés allemands, il a de nouveau appelé le 16 octobre à utiliser les avoirs de la Banque centrale russe, gelés depuis l'invasion de février 2022. Le Rhénan sollicitera ses homologues européens sur ce point dans lors de leur prochaine rencontre. L'appui de la première économie de la zone euro apparaît comme déterminant, d'autant que l'Allemagne s'était jusqu'alors montrée réticente.
Comme elle il y a encore quelque temps, la plupart des pays européens ont encore tendance à s'opposer à la saisie des avoirs. C'est notamment le cas de la France ou de l'Italie. D'autres pays comme la Pologne ou les Pays-Bas sont en revanche favorables à leur utilisation, au motif qu'elle pourrait freiner les velléités de Vladimir Poutine.
La question de la saisie des avoirs russes a été longuement débattue au Parlement français en mars dernier. La résolution soumise au vote (sans valeur contraignante pour le gouvernement, mais à forte portée symbolique), a été largement adoptée (288 voix pour, 54 contre, 132 abstentions).
Le texte final "exhorte l'Union européenne et ses États membres à procéder sans délai à la saisie des avoirs russes gelés et immobilisés […] afin de financer le soutien militaire à l'Ukraine dans sa résistance, et sa reconstruction". Une issue qui tranche avec la position du gouvernement sur cette question.
Celui-ci considère que les avoirs russes auraient un rôle stratégique à jouer et serviraient de monnaie d'échange lors de futures négociations de paix avec la Russie. La question des actifs gelés devrait "faire partie de la négociation à la fin de la guerre", avait déclaré Emmanuel Macron à Washington, le 25 février dernier.
Encore récemment, Paris a posé plusieurs conditions avant d'approuver leur utilisation. "Il faut une répartition équitable des risques entre tous nos partenaires", a précisé l'Élysée en octobre. Autrement dit, les États européens ne doivent pas être les garants de dernier recours pour couvrir une éventuelle défaillance de l'Ukraine. La Belgique, qui héberge Euroclear, s'est elle aussi montrée prudente, craignant qu'un tribunal ne l'oblige rembourser l'argent elle-même, et en appelle à la solidarité des autres États membres.
Par ailleurs, la France souhaite que les aides financières versées à Kiev soient conditionnées à la mise en œuvre de réformes et débloquées par étapes.
Enfin, elle insiste pour que ces fonds servent à l'achat d’équipements produits en Europe plutôt qu'aux États-Unis, de manière à ce que l'argent issu du Kremlin contribue également au développement de l'industrie de défense européenne.
Dans une résolution votée le 12 mars en session plénière à Strasbourg (442 voix pour, 98 voix contre et 126 abstentions), les députés européens ont appelé à utiliser ces actifs russes immobilisés en Europe pour financer le soutien militaire à l'Ukraine.
En parallèle, certains économistes et experts mettent en garde contre un effet boomerang : une mobilisation des fonds russes pourrait en effet inciter d'autres puissances, comme la Chine, l'Inde ou l'Arabie saoudite, à retirer leurs investissements d'Europe par crainte d'un traitement similaire à l'avenir.
De son côté, la Russie a déjà annoncé qu'elle entend exercer tous les recours juridiques possibles si les menaces européennes étaient mises à exécution.
L’article Guerre en Ukraine : aubaine pour Kiev et casse-tête pour l'UE… tout savoir sur les avoirs russes gelés en Europe est apparu en premier sur Touteleurope.eu.