15.05.2025 à 10:00
la rédaction d'Equal Times
En 2025, les Nations unies ont proclamé l'Année internationale des coopératives, reconnaissant leur rôle-clé dans le développement durable, la justice sociale et la résilience économique.
À travers cette initiative, l'ONU souhaite promouvoir une meilleure reconnaissance des coopératives à l'échelle mondiale, encourager les États à soutenir leur développement, et mettre en lumière les bonnes pratiques qui permettent à ces structures de répondre aux défis actuels : crise climatique, (…)
En 2025, les Nations unies ont proclamé l'Année internationale des coopératives, reconnaissant leur rôle-clé dans le développement durable, la justice sociale et la résilience économique.
À travers cette initiative, l'ONU souhaite promouvoir une meilleure reconnaissance des coopératives à l'échelle mondiale, encourager les États à soutenir leur développement, et mettre en lumière les bonnes pratiques qui permettent à ces structures de répondre aux défis actuels : crise climatique, précarisation du travail et inégalités économiques.
Une coopérative est une association autonome de personnes unies volontairement pour satisfaire leurs besoins économiques, sociaux et culturels communs par le biais d'une entreprise détenue collectivement et contrôlée démocratiquement. Les membres participent activement à la prise de décision, selon le principe « une personne, une voix », indépendamment de leur apport en capital. Cette gouvernance égalitaire distingue les coopératives des entreprises classiques, où le pouvoir est souvent proportionnel à l'investissement financier. Ce modèle favorise une gestion plus horizontale et une transparence accrue.
Il existe trois millions de coopératives dans le monde et elles peuvent être de toute tailles. La plus grande coopérative du monde, Mondragon Corporation, créée au Pays basque espagnol en 1956, compte 80.000 employés et génère un chiffre d'affaires de 11 milliards d'euros dans divers secteurs. On trouve des coopératives d'entreprises, dans les domaines de l'agriculture, de l'artisanat, du commerce, de l'industrie mais aussi dans les secteurs bancaires et d'assurances (mutuelles), ou dans celui des services médicaux (comme par exemple le réseau de santé Unimed, au Brésil). Enfin, on trouve des coopératives d'usagers, dans la grande distribution (à l'exemple de Coop Italia), dans le logement (copropriétés coopératives, coopératives HLM, habitat pour le troisième âge), et même dans le secteur des technologies open source et l'économie numérique de partage (cf. les coopératives 4.0).
Les coopératives réinvestissent généralement leurs excédents dans l'activité, les salaires, la formation ou des projets d'intérêt collectif (comme par exemple les coopératives de garde d'enfants ou de soins à domicile en Inde). Elles jouent un rôle essentiel dans le développement économique local, notamment en milieu rural ou dans des secteurs délaissés par les grands groupes. En créant des emplois durables et inclusifs, elles favorisent l'autonomie des territoires, comme en Palestine, dans la production d'huile d'olive. Au Japon, le système coopératif - l'un des plus développés du monde-, a contribué significativement à l'essor du pays après la Seconde Guerre mondiale.
Dans les pays en développement, les coopératives d'épargne et de crédit aident les petits entrepreneurs dans leurs activités, comme par exemple en République démocratique du Congo, en leur accordant des micro-crédits et un soutien administratif. Un rôle essentiel pour les sortir du travail informel, et ce, même en Europe. « La coopérative donne plus de force aux gens. Elle nous donne le sentiment que nous pouvons changer notre vie », témoignage un vendeur à la sauvette, à Madrid.
Car les coopératives permettent à des populations souvent marginalisées – femmes, jeunes, travailleurs précaires – de reprendre le pouvoir sur leur outil de travail, par exemple pour les travailleurs des plateformes en Amérique Latine. Ce modèle limite les inégalités, améliore les conditions de travail et encourage la solidarité intergénérationnelle et interculturelle.
Les coopératives ont démontré une résilience supérieure face aux crises économiques. Selon un article de The Conversation leur modèle centré sur les membres, et non sur le profit à court terme, leur permet de résister plus efficacement aux chocs financiers, voire également aux chocs climatiques, comme au Rojava. Elles privilégient la continuité de l'activité, la préservation des emplois et l'adaptation locale. Cette orientation vers le long terme et le bien commun les rend moins vulnérables aux logiques spéculatives et aux pressions des actionnaires.
Leur gouvernance participative encourage aussi l'innovation collective en période difficile. Ainsi, il arrive que des employés, parfois avec l'aide de syndicalistes, transforment eux-mêmes leur entreprise en coopérative, comme dans l'industrie textile en Tunisie, ou l'usine Fralib de production de thé, en France.
Les pratiques coopératives offrent des pistes concrètes pour réformer le secteur privé. Comme le souligne un autre article de The Conversation, les entreprises classiques gagneraient à s'inspirer de la gouvernance partagée, de la transparence financière et de l'ancrage territorial des coopératives. Dans un contexte où les consommateurs, les salariés et les investisseurs sont de plus en plus attentifs aux valeurs et à l'impact social des entreprises, les principes coopératifs peuvent renforcer la confiance, l'engagement des équipes et la fidélité des clients. Certaines grandes entreprises ont d'ailleurs déjà adopté des pratiques participatives ou solidaires issues de l'économie sociale.
Malgré leurs nombreux atouts, les coopératives doivent surmonter plusieurs obstacles : garantir la participation réelle de leurs membres dans un monde en mutation rapide, maintenir une gestion rigoureuse tout en respectant leurs valeurs, et accéder à des financements adaptés. Elles sont souvent confrontées à une méconnaissance de leur fonctionnement, voire à un manque de reconnaissance institutionnelle.
Pour renforcer leur impact, notamment pour la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU, il est essentiel de soutenir leur développement par la formation, des politiques publiques incitatives, et une meilleure visibilité dans l'espace économique. C'est l'un des objectifs de l'Année internationale des coopératives : favoriser leur montée en puissance dans les transitions à venir.
Pour aller plus loin :
- Visitez le site de l'Alliance Coopérative Internationale, pour découvrir l'histoire du mouvement coopératif et quelques chiffres mondiaux.
– Connaître la Recommandation 193 de l'Organisation internationale du Travail (OIT) qui recommande depuis 2002 la structuration coopérative du travail, afin notamment de garantir le « travail décent » et l' « émancipation des plus pauvres par la participation au progrès économique », en créant des emplois, et favoriser une protection et une assistance mutuelle.
13.05.2025 à 11:06
Cela fait maintenant plus de deux ans que le Soudan est plongé dans le chaos. En un instant, une nation dont la jeunesse a lutté sans relâche depuis la révolution de 2019 pour la liberté, la justice et la fin du régime militaire a vu son avenir – et celui du pays tout entier – plonger dans les ténèbres. Le 15 avril 2023, la guerre a éclaté au cœur de la capitale, Khartoum, opposant les Forces armées soudanaises (FAS) aux Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire issue des (…)
- Reportages photos / Soudan , Santé et sécurité, Droits humains, Pauvreté, Réfugiés, Violence, Services publics, Armes et conflits armés , Développement durableCela fait maintenant plus de deux ans que le Soudan est plongé dans le chaos. En un instant, une nation dont la jeunesse a lutté sans relâche depuis la révolution de 2019 pour la liberté, la justice et la fin du régime militaire a vu son avenir – et celui du pays tout entier – plonger dans les ténèbres. Le 15 avril 2023, la guerre a éclaté au cœur de la capitale, Khartoum, opposant les Forces armées soudanaises (FAS) aux Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire issue des milices janjawid qui, entre 2003 et 2005, ont perpétré un génocide au Darfour contre les ethnies four, masalit et zaghawa.
Dans cette guerre qui vient d'entrer dans sa troisième année, les violents affrontements, accompagnés d'actes de torture, de viols et de massacres commis par les deux camps, ont déclenché ce que l'ONU a qualifié de « pire crise humanitaire de mémoire récente », faisant 150.000 morts et plus de 13 millions de déplacés. À cela s'ajoutent plus de 24,6 millions de personnes en proie à la famine résultant du conflit et qui ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence. La reprise de Khartoum par l'armée soudanaise en mars 2025 a marqué un tournant dans le conflit, cependant ailleurs, les combats continuent de faire rage. En avril 2025, plus de 480 civils ont été tués lors d'attaques dans l'État soudanais du Darfour du Nord, contraignant entre 400.000 et 450.000 déplacés internes du camp de réfugiés de Zamzam, déjà en situation de famine, à fuir l'escalade de la violence. Au Darfour, où les FSR et d'autres milices alliées ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, le spectre d'un nouveau génocide plane toujours sur les populations non arabes.
Malgré l'ampleur de la catastrophe, le Soudan n'a reçu que peu d'attention de la part de la communauté internationale et des médias. L'accès limité des journalistes à l'intérieur du pays a considérablement limité la couverture médiatique des crimes commis par les deux camps et des souffrances endurées par le peuple soudanais.
En plus de deux ans de conflit, la population soudanaise a vécu d'innombrables atrocités. Pourtant, cette guerre n'est pas la guerre du peuple, mais bien une lutte de pouvoir que se livrent entre eux les généraux. En 2021, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, chef des FAS, et le général Mohammed Hamdan Dagalo, mieux connu sous son nom de guerre de « Hemetti », se sont alliés pour orchestrer un coup d'État militaire qui avait pour but de renverser le dictateur Omar Al-Bachir, qui a dirigé le Soudan de 1989 à 2019. À présent, les comploteurs d'hier se trouvent engagés dans une lutte mortelle pour le contrôle de cette nation de 50 millions d'habitants.
Autrefois une capitale animée, Khartoum est aujourd'hui une ville fantôme, dont une grande partie est en ruines. Des centaines de blessés et de malades sont entassés dans l'hôpital Al-Naw, l'un des derniers encore en activité dans la ville. Le directeur de l'établissement, le docteur Jamal, témoigne : « Avec les pénuries de personnel et de fournitures, les maladies font autant de morts que les balles ».
Le photojournaliste Arthur Larie et le reporter Bastien Massa travaillent tous deux au Soudan depuis 2021. Ils sont parmi les rares journalistes à avoir réussi à entrer au Soudan et à couvrir ce conflit alors même que les combats les plus violents faisaient rage.
Ahmed Bushra et ses amis faisaient partie des ghadiboon, un groupe de jeunes qui ont été en première ligne des manifestations contre le coup d'État militaire entre 2021 et 2023. Nombre de ces jeunes qui à l'époque scandaient des slogans antimilitaires, ont été blessés, et certains d'entre eux sont même tombés sous les balles des forces de sécurité soudanaises. Cependant, avec le déclenchement de la guerre et les atrocités commises par les Forces de soutien rapide, ils ont décidé de prendre les armes aux côtés de l'armée soudanaise.
Les deux tiers des civils soudanais ont perdu l'accès aux soins de santé vitaux, la majorité des hôpitaux et des cliniques ayant été fermés. Depuis le début du conflit en avril 2023, de nombreux médecins et infirmières ont été tués ou blessés, tandis que beaucoup d'établissements de santé ont été endommagés par les frappes aériennes de l'armée soudanaise et les bombardements. Selon le British Medical Journal, le Soudan est aux prises, avec « une crise sanitaire émergente, marquée par le passage d'une double à une quadruple charge de morbidité, comprenant les maladies transmissibles, les maladies non transmissibles, les blessures physiques et les traumatismes ».
Depuis le début de la guerre en avril 2023, plus de 13 millions de Soudanais ont été déplacés. Ce chiffre représente près d'un tiers de la population totale du pays. Selon le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, près de 8,6 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du Soudan, tandis que la guerre a fait plus de 3,8 millions de réfugiés, dont la majorité ont fui vers l'Égypte, le Soudan du Sud et le Tchad. Selon les estimations, près de 50 % des personnes déplacées de force en Afrique de l'Est et dans la Corne de l'Afrique sont originaires du Soudan.
La guerre a ravagé de nombreux quartiers de la capitale soudanaise, dont le centre commercial, l'aéroport et le plus ancien marché de la ville : le souk d'Omdourman. Dans la ville, des musées ont été pillés, tout comme des maisons et des étals des marchés. Les combats ont contraint plus des trois quarts des habitants de Khartoum à fuir, même si beaucoup commencent à revenir depuis que les Forces armées soudanaises (FAS) ont récemment repris la ville des mains des Forces de soutien rapide (FSR), à l'issue d'une offensive de six mois.
Le quartier historique de Wad Nubawi figure parmi les zones les plus endommagées des trois villes qui composent l'agglomération de la capitale soudanaise, à savoir Bahri, Omdourman et Khartoum, situées le long des rives du Nil Blanc et du Nil Bleu. Une autre série de photos du jeune photographe soudanais Mosab Abushama, originaire de Wad Nubawi, montre l'impact des violences dévastatrices sur sa ville natale.
Les services hospitaliers dénombrent des dizaines d'enfants, y compris des bébés, blessés ou tués par des bombardements aveugles sur des zones résidentielles. S'il est pratiquement impossible de vérifier le nombre exact de personnes qui ont perdu la vie depuis le début de la guerre en avril 2023, les estimations vont de 20.000 à 150.000 selon des chercheurs de l'université de Yale.
Lorsque les combats ont éclaté, les FSR ont rapidement pris le contrôle d'une grande partie de la capitale, mais au cours des deux dernières années, les FAS ont reconquis de plus en plus de territoire. Fin mars de cette année, les Forces armées soudanaises ont annoncé avoir repris le contrôle total de la capitale Khartoum. Cependant, la ville a été complètement ravagée, avec des quartiers entiers rasés et des millions de personnes déplacées.
Depuis le début de la guerre, la ville côtière de Port-Soudan fait office de nouvelle capitale du pays, offrant une zone sûre aux Soudanais qui fuient la guerre. Récemment, toutefois, la ville a subi sa première attaque aux mains des milices FSR. Depuis le début de la guerre, quelque 240.000 personnes ont fui vers Port-Soudan, où elles tentent désormais de reconstruire leur vie.
Ceci est une version éditée et mise à jour d'un reportage photo initialement publié en français par Mediapart en octobre 2024.
09.05.2025 à 07:00
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a (…)
La sécurité est un drôle d'élixir. Plus vous en avez, moins il y en a pour les autres… c'est du moins ce que dit la sagesse populaire. L'expérience d'Erik Helgeson tend à démentir cette idée.
M. Helgeson, 42 ans, est vice-président du Syndicat des dockers suédois (Svenska hamnarbetarförbundet). Il est très attaché à la sécurité de ses membres, mais aussi à celle des civils de Gaza, dont certains ont été tués par des armes qui pourraient avoir transité par le port de Göteborg, où il a travaillé pendant 20 ans.
De fait, M. Helgeson y était tellement attaché qu'en février de cette année, il a pris la tête d'un blocus symbolique de 20 ports suédois de six jours contre des cargaisons militaires destinées à Israël. Son employeur, DFDS, a réagi en le licenciant, au motif qu'il avait enfreint la loi sur la protection de la sécurité de la Suède.
La loi, adoptée en 2018, vise à protéger les « activités critiques pour la sécurité contre l'espionnage, le sabotage [et] les infractions terroristes », mais, selon M. Helgeson, son utilisation contre des activistes syndicaux soulève la question de savoir la sécurité de qui l'entreprise, et la loi, protègent vraiment.
« Certains employeurs semblent considérer cette loi comme un outil permettant non seulement de protéger les ports et d'autres entreprises contre les infiltrations criminelles, mais aussi de leur donner carte blanche pour faire ce qu'ils veulent, à des personnes dont ils veulent se débarrasser pour d'autres raisons », déclare-t-il à Equal Times.
« Je crains que de nombreux employeurs s'intéressent à cette affaire — en voyant que les preuves contre moi sont si minces — et qu'ils élaborent leurs propres plans pour éliminer les dirigeants syndicaux ».
Le syndicat de M. Helgeson entretenait une tradition de solidarité internationale remontant à la guerre du Vietnam et au coup d'État au Chili de 1973, au cours duquel une génération d'activistes syndicaux a été assassinée.
En 2010, il a participé au chargement de la tragique flottille de la liberté qui avait tenté de briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Des soldats israéliens sont montés à bord de la mission humanitaire et ont tué neuf des activistes qui s'y trouvaient. Selon les preuves présentées à la Cour internationale de justice, certaines victimes « ont reçu plusieurs balles au visage alors qu'elles essayaient de se couvrir la tête, ou par l'arrière, ou encore après s'être rendues et avoir supplié les forces de défense israéliennes de cesser de tirer sur les civils ».
Outré, M. Helgeson avait alors tenté de s'embarquer dans la flottille suivante, mais le navire de tête avait été saboté en Grèce. Finalement, il a pu visiter la bande de Gaza en novembre 2011.
« C'était pendant une période calme, mais ils ont bombardé le commissariat de police pendant que j'étais là », déclare-t-il. « On pouvait encore observer une certaine brutalité latente dans tous les aspects de la société. Les gens luttaient à leur manière — certains activistes syndicaux luttaient également avec les autorités du Hamas — mais le problème principal était le blocus naturellement, les niveaux de chômage record, l'isolement, la pauvreté flagrante dans les camps de réfugiés — et aussi les jeunes enfants qui buvaient de l'eau impropre à la consommation et souffraient de maladies. Cela m'a vraiment marqué ».
À l'époque, les dirigeants israéliens justifiaient le blocus de Gaza en invoquant la sécurité nationale. Mais le déni de toute sécurité courante aux Gazaouis a fini par provoquer une attaque qui a anéanti le sentiment de sécurité même d'Israël.
De retour en Suède, M. Helgeson s'était lancé dans l'activité syndicale du port, prenant la tête d'un conflit industriel avec Mærsk entre 2015 et 2017, qui a débouché sur une fermeture de six semaines, puis sur un litige national. « Nous avons répondu par la menace d'une grève illimitée et les employeurs ont fini par céder », se rappelle M. Helgeson. En fin de compte, le syndicat avait obtenu une convention collective de travail (CCT) nationale.
C'est, selon lui, la véritable raison pour laquelle DFDS voulait le dégager des docks et la raison pour laquelle l'entreprise n'a pas été en mesure de fournir au syndicat, aux journalistes ou aux autorités judiciaires des détails sur la manière dont la sécurité nationale avait été menacée par l'action des dockers.
Lorsque la question lui a été posée de savoir en quoi le syndicat avait menacé la sécurité, « la direction est restée très vague », indique M. Helgeson. « Leur argument consistait à dire : "Nous avons reçu tous ces appels de la part de nombreux acteurs" — ils laissaient entendre que l'armée les avait contactés —, mais ils ne voulaient fournir ni précisions, ni détails, ni éléments de preuve. Notre avis, à l'époque et aujourd'hui, est qu'il s'agissait d'un écran de fumée ».
Les allégations de l'employeur à l'encontre de M. Helgeson — à savoir qu'il serait responsable de l'examen des remorques et des conteneurs de fret par les dockers — sont contestées par ce dernier et le syndicat, au motif que les dockers n'avaient ni la capacité ni l'intention de le faire. Selon eux, l'action était essentiellement symbolique et visait à lancer le débat sur les agissements d'Israël dans la bande de Gaza.
La police et le Chancelier de justice de Suède ont rejeté la demande de l'entreprise d'enquêter sur le comportement de M. Helgeson, car aucun soupçon d'activité criminelle n'a été constaté. Mais cela n'a pas empêché les messages menaçants adressés à M. Helgeson, qui ont commencé à arriver après que DFDS a publié un communiqué de presse annonçant qu'il avait été licencié pour des raisons de sécurité nationale.
« Nous avons reçu des menaces — y compris une menace de mort — puis nous avons été harcelés par des personnes anonymes ayant apparemment des opinions d'extrême droite, principalement sur messagerie vocale », déclare M. Helgeson. « J'ai eu une peur bleue parce qu'il pouvait y avoir des "loups solitaires" dans ces groupes menant une croisade pour la sécurité nationale. J'étais vraiment effrayé à l'idée d'être cloué au pilori dans la presse et d'attirer les pires fous qui existent, ce qui constituerait une menace pour ma famille et mes enfants ».
Les menaces de mort à l'encontre des partisans de la paix se sont multipliées depuis le 7 octobre 2023 et la rapporteure spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, en a également été victime. Bien qu'elle ne connaisse pas les détails du cas de M. Helgeson, elle a déclaré à Equal Times que les manifestations de solidarité des travailleurs, telles que les récentes actions des dockers au Maroc, étaient plus que nécessaires.
« En temps de crise, lorsque des crimes contre l'humanité sont perpétrés, il est absolument nécessaire que les travailleurs se mettent en grève », déclare-t-elle. « Il s'agit là d'une obligation morale pour chacun d'entre nous. C'est aussi notre système qui est complice des agissements d'Israël.
« L'histoire nous jugera, nous et ceux qui restent silencieux aujourd'hui ; leur responsabilité est aussi engagée. Nous devons user de notre pouvoir et de notre capacité à provoquer le changement. Unis, nous sommes bien plus puissants que l'establishment lui-même ».
Elle ajoute que si elle avait été travailleuse des docks « contribuant au massacre d'enfants, de mères et de grands-parents à Gaza… ma santé mentale aurait été bien plus affectée qu'elle ne l'est aujourd'hui, en ma qualité de chroniqueuse d'un génocide ».
La masse d'informations sur la manière dont le fait de participer à l'oppression dégrade aussi bien la qualité de vie de l'oppresseur que celle de la victime est un aspect de la question de la sécurité qui n'est pas suffisamment traité.
En 1974, des travailleurs britanniques qui risquaient d'être licenciés dans une usine d'armement gérée par Lucas Aerospace l'ont tacitement reconnu en créant un syndicat officieux, « Combine », en vue d'élaborer des plans alternatifs pour une production socialement utile. Leur idée connaît actuellement une renaissance parmi les intellectuels publics du Royaume-Uni, tels que Grace Blakeley.
De manière plus générale, l'idée qu'il ne peut y avoir de sécurité à long terme pour une seule partie à un conflit a été renforcée lors d'une conférence organisée en avril par le Bureau international de la paix (BIP), la Confédération syndicale internationale (CSI) et le Centre international Olof Palme intitulée Conférence sur la sécurité commune 2025 : Redéfinir la sécurité pour le 21e siècle. Comme l'a déclaré Omar Faruk Osman, secrétaire général de la Fédération des syndicats somaliens (FESTU) lors de la conférence : « Aucun pays, aucune communauté, aucun individu ne peut être vraiment en sécurité si nous ne le sommes pas tous. »
« Lorsque les travailleurs sont affamés, sans emploi et exclus de la prise de décision, ils risquent d'être utilisés dans les conflits, » a-t-il ajouté. « Promouvoir le travail décent, c'est promouvoir la paix. »
Loin d'être un jeu à somme nulle, la sécurité, dans la vision du monde du BIP, doit être partagée par toutes les parties à un conflit. Faute de quoi, le déséquilibre fera tôt ou tard retomber les protagonistes dans le conflit, avec des conséquences destructrices pour tous.
« Nous ne recherchons pas seulement la paix par l'absence d'armes à feu, mais aussi par la présence de la justice », a déclaré M. Osman. « La “sécurité commune” constitue notre langage et reflète nos aspirations ».
En son absence, les mesures de sécurité unilatérales risquent toujours de se retourner contre leurs initiateurs, comme ne le montre que trop bien le cas de M. Helgeson. À l'heure où nous publions ces lignes, les dockers suédois se préparent pour une potentielle grève en raison d'un problème contractuel qui pourrait empêcher M. Helgeson de réintégrer son emploi.
La législation du travail suédoise, unique en son genre, n'autorise les travailleurs à faire grève que pour obtenir une convention collective de travail (CCT), qui permet ensuite de régler les conflits ultérieurs sans recourir à l'action syndicale. Mais la CCT nationale des dockers suédois a expiré à la fin du mois d'avril et l'action syndicale est désormais revenue à l'ordre du jour.
En vertu du droit du travail suédois, même si M. Helgeson gagne son procès pour licenciement abusif devant un tribunal du travail, son employeur peut « racheter » son contrat en lui versant une indemnité mensuelle pour chaque année travaillée, tout en maintenant son licenciement. Selon M. Helgeson, la somme en question représenterait « des cacahuètes » pour une multinationale comme DFDS.
Cependant, Martin Berg, président du Syndicat suédois des dockers, a déclaré à Equal Times que lors des discussions sur la prochaine convention collective de travail : « L'une de nos principales revendications sera une réglementation visant à protéger nos administrateurs syndicaux — s'ils obtiennent gain de cause devant le tribunal du travail — afin qu'ils ne puissent pas être soumis à des rachats à bas prix. Toute personne effectuant un travail pour le compte du syndicat devrait être protégée, de sorte que, si un employeur décide de vous racheter, il doive également payer au syndicat une lourde amende liée au chiffre d'affaires de l'entreprise au cours de l'année précédente. Si nous entamons un conflit social pour notre CCT, nous ferons grève pour l'obtenir et, en vertu de la législation suédoise, tous les syndicats sont autorisés à nous soutenir par des actions de sympathie. Nous demanderons également aux dockers d'autres pays de mener des actions de solidarité ».
Il se trouve que moins les dockers suédois bénéficient d'une sécurité, moins leurs employeurs en bénéficient également. Les patrons suédois qui pensaient que le licenciement de leurs activistes syndicaux consoliderait leurs prévisions de bénéfices risquent de connaître un réveil brutal.