15.05.2025 à 23:35
L’affaire Bétharram a mis au jour des décennies d’abus sexuels et de violences en tout genre perpétrés sur des mineurs par plusieurs membres du clergé. Ces révélations ont suscité une vive émotion et une mobilisation inédite des victimes, entraînant l’ouverture d’une enquête indépendante. Récemment, un nouveau rebondissement a relancé le débat : le parquet de Pau a demandé à être dessaisi de trois plaintes visant François Bayrou, Premier ministre d’Emmanuel Macron.
Pour en parler, Didier Maïsto et Harold Bernat ont reçu en direct ce jeudi 15 mai Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Elle est commissaire dans la commission d’enquête indépendante sur Bétharram, qui a pour mission de recueillir le témoignage des victimes et de garantir leurs droits à la vérité, à la justice. L’occasion pour elle de revenir sur les enjeux de cette affaire, le vécu des victimes de pédocriminalité, et les défis que posent les liens entre pouvoir politique, justice et institutions religieuses.
14.05.2025 à 18:18
Rose Lamy est-elle une beauf ? Et mettons-y carrément un « e ». Rose Lamy est-elle une « beaufe » ? Ce « e » est important et nous y reviendrons dans le corps de l’article. Rose Lamy décide même de mettre son éventuel statut de « beauf » avant toute considération qui font que nous la connaissons.
Nous la connaissons pour être une militante des droits des femmes, son combat sans relâche dans l’affaire du meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat et la démonstration d’un continuum allant de la remarque sexiste au viol ou au meurtre.
Nous la connaissons pour être une autrice, célèbre pour son compte Instagram « Préparez-vous pour la bagarre » en 2019, puis le livre éponyme chez Jean-Claude Lattès en 2021. Défaire le discours sexiste dans les médias.
Et enfin nous connaissons aussi Rose Lamy (nom de plume) pour son ouvrage « En bons pères de famille » en 2023 chez le même éditeur qui démolit ce concept ancestral découlant du patriarcat, système de domination s’il en est.
Elle nous revient pour les beaux jours avec ce livre « Ascendant Beauf » aux éditions du Seuil, récit mêlant à nouveau l’intime et le politique.
Elle le dit d’emblée : ce livre vient du « parti des perdants ». « Je l’ai écrit de chez ceux qu’on appelle les Beaufs, pour les beaufs, pour moi, pour ma famille, pour mes amis. Pour celles qui bossent durs, qui font tourner les serviettes le samedi en salle-des-fêtes (…). Pour les oubliés qui vivent dans la France moche des ronds-points. Ce livre, je l’ai écrit contre les libéraux, la droite et les managers qui envisagent les classes populaires comme des moyens de production des capitaux corporels. »
Pour cette fille de boulanger qui a grandi en Haute-Savoie, face au Mont de Grange, puis à Thonon-Les-Bains et enfin aux alentours de Bourges, dans « la France moche de Télérama » à côté d’un couloir de décollage de l’aéroport, on dira de cet ouvrage qu’il se dévore comme un petit pain et qu’il ne vous laissera pas sur votre faim ! Vous en mordrez de ce mépris social construit autour de la figure du beauf dans la société française. Vous en aurez dans les molaires du stéréotype et des préjugés auxquels fait face la classe ouvrière. Celle considérée comme culturellement inférieure. Celle qui regarde la télé au lieu d’aller au théâtre. Celle qui aime la musique commerciale et non pas l’opéra.
Qu’est-ce qu’un beauf ?
Le fameux B.O.F (beurre, œuf, fromage) ? Ces commerçants qui durant l’occupation allemande se sont enrichis en tirant partie de la pénurie alimentaire ?
Ou le Beauf que feu-Cabu a croqué en 1972, ou que Renaud a chanté en 1975 ?
Le Larousse lui, y met deux entrées dont en premier: Beau-frère et, en second : « Type de Français moyen, réactionnaire et raciste. » Le spectre est donc large et plutôt flou. À moins d’avoir un beau-frère raciste.
Le Beauf dans l’imaginaire collectif a tout l’air d’un bidochon : rondouillard, calvitie en couronne, marcel ou chemise à carreaux sur le dos, bouteille de pinard à la main. L’été: camping où il pratique la pétanque en grignotant des rondelles de saucisson industriel, le tiercé sur fond d’Hanouna ou de CNews quand il ne ronfle pas devant le tour de France en juillet.
En somme, le beauf est un peuple mal sachant, mal votant et il est stigmatisé encore plus à notre époque où Trump et ses rednecks amerloques ont pris le pouvoir. C’est la revanche populaire internationale contre la gauche de quel pays qu’elle soit. La revanche de leur stigmatisation dégradante.
Les « sans-dents »
En plus de ce mépris social, Rose Lamy nous parle de la négligence presque fatale dont la classe ouvrière souffre comme le difficile accès aux soins faute de personnels, d’infrastructures. La santé est mise à mal dans nos campagnes et jamais l’expression de François Hollande « les sans-dents » n’a mieux défini la difficulté à trouver un dentiste et pouvoir se payer une couronne quand on a un salaire moyen ou médian d’employer dans le rural ou le tertiaire. Se moquer de la pauvreté alors qu’on est président de la République et censé veiller à la protection et au « bon vivre » économique de ses concitoyens sinon électeurs, est un marqueur bourgeois que le ventre rond et bien rempli de François Hollande confirme.
La hiérarchie sociale marginalise ceux qui n’ont ni richesse, ni patrimoine, ni marqueurs sociaux culturels, ni Rolex à 50 ans. Ni le bon prénom !
Jordan Bardella, Président ?
Rose Lamy nous relate ce sketch diffusé sur France Inter le 11 avril 2014 :
« Jordan Bardella, quatrième personnalité préférée des français.
Mais vous vous rendez compte ? Il y a moyen qu’un jour, en France, il y ait un président qui s’appelle Jordan ? Moi je l’imagine à rivaliser en roue arrière. Premier Ministre : Kévin, Ministre de la culture : Kimberley.
Ah non ! On nous bassine avec l’islamisation des prénoms, on ne nous parle jamais de la beaufication des prénoms. Ah, moi je veux une enquête exclusive dédiée à eux. Vraiment Brandon, Dylan, Kelly. Qui sont ces gens ? »
À dessein, Rose pointe ce genre de moquerie violente pour les Jennifer et les Steeve qui n’ont rien demandé. Sinon le simple respect qui leur est dû.
Retour sur le beauf de Cabu, personnage sociétal qui s’oppose au Grand Duduche, symbole de l’élite éduquée de Gauche. Rose Lamy nous explique que « Le grand Duduche est le bobo ou le woke désigné par les réactionnaires d’aujourd’hui. Rêveur, idéaliste, pacifiste, humaniste, cultivé, non violent, ouvert d’esprit, féministe, antiraciste, symbole de tolérance (…) il vote à gauche ou à l’extrême gauche, il lit, mange bio, aime la chanson française mais pas la variété.«
Et là, on bascule sur les théories de Pierre Bourdieu, le déterminisme de classe, la méritocratie, la mobilité, le mythe du transfuge de classe (passer d’une classe sociale inférieure à une supérieure grâce à une éducation, grâce à son seul mérite, à son goût du travail ; ou par un sas décontamination par les codes des grandes écoles)… Méritocratie qui n’en peut plus d’être mise en avant par les politiques ou les personnes dont la réussite flamboie.
Elle cite « Envole-moi », la chanson de Jean-Jacques Goldman : « Je m’en sortirai, je te le jure, à coups de livres, je franchirai tous ces murs. » L’exemple d’Edouard Phillipe qui se présente comme un gars du Nord, fils de deux fonctionnaires alors que la réalité est une mère et un père, professeurs de Français, et ce dernier également directeur d’un lycée en Allemagne où le jeune Edouard était lui-même scolarisé.
Nombreux sont ceux qui se créent des légendes comme des pères ouvriers sur les chantiers navals (même si ce job n’a duré que quelques petits mois), et des mères rationnant les restes alors qu’ils ont eu droit à des séjours de langues chaque été et à un studio dans le 16ème arrondissement de Paris quand ils ont « déboulé » sans le sou à la capitale après leur baccalauréat.
L’illusion que le succès est accessible à qui le veut finalement.
« Le bourgeois cherche à travers les générations un capital prolo à troquer contre un peu de reconnaissance mérito. »
Ainsi, Rose Lamy part dans l’exploration de la romantisation de la pauvreté et de cette fameuse « Bohème » chantée par Aznavour
Bohème dont il faut forcément sortir passé un certain âge, se dire qu’on a bouffé son pain noir, voire pas bouffer du tout et jeter un coup d’œil sur le rétroviseur qui te donne les bons points d’une route sinueuse parcourue.
Foutaise, la bohème, pour les ¾ des gens, elle dure. Elle ne s’arrête même pas. Ils meurent dans la bohème. Ils restent des décennies dans un studio où ils ne devaient faire que passer. Ils accumulent des CDD ou des CDI miteux sans espoir de gravir les échelons. Cet ascenseur social dont on nous a rabâché qu’il arriverait un jour. Un jour, mais un jour des années 70, des années 80, 90 au maximum !
Rose se met à nu et raconte ses hontes de ne pas avoir su quitter sa bohème au même âge que ses amis. Elle s’est vue rester sur le bord de la vie, enchaînant des emplois sans avenir comme « chargée de communication » à la SNCF. Ses jobs de vacances, ses jobs alimentaires sont devenus au bout d’un moment son métier.
Elle en garde l’opprobre d’avoir durant des années cherché à se mettre à distance. Allant jusqu’à, devant ses amis, ridiculiser des interactions qu’elle avait avec des clients quand elle était téléconseillère pour une plateforme.
« Se moquer de mes clients me donne une valeur symbolique ajoutée. Les humilier, eux plutôt que moi, les offrir en gage contre un peu de capital social, faire diversion. J’existe à leurs dépens mais c’est mieux que de subir les silences gênés qui arrivent après l’annonce de mon métier. »
Il lui fallait cela pour s’en détacher, pour briller, pour se différencier de ses frères et sœurs de Smic. Valait mieux porter un regard réprobateur sur autrui que sur soi. Une manière de faire l’autruche sur sa condition.
L’ascenseur social, par rapport à ta naissance, tu as de grandes chances de ne jamais le prendre. En revanche, tout comme son camarade d’enfance Billy, ton pédigrée et la consonance de ton prénom t’emmèneront à prendre une bagnole qui fera une embardée sur une nationale de province où tu crèveras comme les statistiques te l’avaient prédit. Mourir dans un accident de voiture relève plus du déterminisme de classe que de ton taux d’alcoolémie.
Rose admet que ces goûts, ses racines, son ascendance, ses emplois, sa localisation géographique font d’elle, de sa famille, une beauf.
La carte du vide que tous, nous avons colorié en classe, Rose y a grandi, dans ce vide, dans ce non-être, dans ce creux, cette absence, cette insignifiance, cet inutile, ce rien. Un trou noir où pourtant serpentent des nuages bas aux aubes, et où des soleils lumineux se posent sur des crocus sortis de terre arable.
Dans cette France du vide, pas d’universités ou de cercles d’intellectuels qui te feront acquérir une éducation raffinée et des codes parisiens qui remplacent dorénavant n’importe quel titre de noblesse d’antan.
Le sujet de l’extrême droite est aussi décrypté car il est, paraît-il, pour beaucoup, le choix de vote des beaufs. Que nenni ! Rose s’appuie sur des statistiques et aussi réfute toute l’idéologie du Rassemblement National qui va a contrario des besoins des gens des campagnes. Les Gilets jaunes, les actions sur les ronds-points en sont la preuve avec leurs revendications.
Ce livre est contre l’extrême droite qui fait son nid doucereusement en France, ainsi que dans la plupart des démocraties mondiales actuellement.
Avec courage, elle aborde le thème du « Grand remplacement », cher aux candidats Zemmour ou Le Pen. Elle souhaite que l’on s’inquiète plus du grand remplacement fantasmé (les noirs et les arabes) que du grand écrasement économique, social et culturel.
Rose Lamy prône une société qui serait plus inclusive, plus empathique, plus humaine, tout simplement.
Ce fameux « e » dont je voulais parlais au début, le voici. Il caractérise le concept de femme « beauf ».
Femme « beauf » ou femme de beauf ?
Le beauf, nous l’avons vu, avait son envers avec le grand duduche de Cabu, la femme beauf se définit aussi par son inversé. Et son inversé serait la femme parisienne, mince, ayant du « goût », jonglant sans même le savoir avec des codes très précis, sinon secrets. Elle évolue dans une géographie parisienne très précise. L’infime détail est ce qui fait la différence.
La femme de beauf, en revanche, brille en rôle secondaire, en support narratif dans des films comme les Tuche ou le personnage de Cathy Tuche n’est qu’une simple extension de son mari. Elle n’a pas d’histoire propre. Toutes ses actions seront pour ou contre son époux, jamais pour elle-même. Elle est un accessoire de Jeff Tuche. Son phrasé, son physique, ses kilos en trop ne servent qu’à ancrer encore plus sociétalement les Tuche dans la catégorie « Beauf ».
Enfin dans cet ouvrage qui questionnera chacun sur sa perception du beauf, Rose Lamy convie Joe Dassin dont la chanson triste mais à la structure musicale épique « Les yeux d’Émilie » est moquée mais appréciée comme un plaisir coupable par le bourgeois. Se déchaîner dessus en soirée est un léger laisser-aller passager…
Elle développe un concept que j’ai envie de nommer l’« armanetisation » de la chanson « Tu oublieras », hit Pop de la rousse Larusso en 1998 avec des accords sautillants et enjolivés de tout ce qu’il faut pour en faire un tube pour les fêtes nationales à flonflon. Tube à la base chantée par Régine et remise au goût du jour de cette fin de millénaire avec une interprète too much en pantalon taille basse.
L’« armanetisation », c’est Juliette Armanet qui reprend cette chanson à la radio, en studio, en la dépouillant de tous ses artifices pop pour qu’enfin le quidam puisse y voir les paroles justes et, ô combien, c’est beau, quand ce n’est pas tuné à la sauce beauf.
Armanet, elle a ôté le vernis rouge, le fond de teint, les boucles Babyliss, le mascara turquoise et la « tenue présentable ». Dorénavant, cette ballade, on peut l’aimer. La préemption bourgeoise des goûts dit beaufs se remarque notamment dans le prix des baskets Lidl, dans l’imprimé Tati par Alaïa dans la haute-couture, dans le combo claquette-chaussette-mulet porté par des milliardaires, esthétique précise du footballeux d’antan.
Enfin, est décrit avec finesse, le statut du déserteur. Rarement évoqué, cette position ambivalente est : « un argument marketing de plus, leur permettant de se vendre, voire d’avoir accès à des positions de prestige. »
Je la cite : « Il y a ceux qui refusent même un héritage. Mais soyons réaliste, si l’intention est bonne, ces personnes ne perdent rien. Même quand elles font mine de renoncer, elles sont programmées pour finir la course en tête. Il y a un autre capital à gagner en sacrifiant un peu de patrimoine économique ou de rémunération. Ces nouveaux choix, ces faux choix deviennent des capitaux méritocratiques, moraux, qu’on échangera contre du pouvoir même symbolique plus tard, contre des interviews, des contrats d’éditions (…). C’est une opération de blanchiment, le recyclage d’un privilège hérité auquel on donne l’apparence d’un mérite obtenu par un choix de rupture. »
« Bifurquer permet de se construire un itinéraire d’exception qui augmente notre valeur sur tous les marchés… » C’est ce qu’écrit Anne Imbert dans son essai « Tout plaquer ».
Je ne peux faire que penser au cas Sylvain Tesson qui s’est échappé d’une maison à colombages de l’Ouest Parisien pour parcourir à force bouquins à gros à-valoir, la planète, pour rentrer à chaque fois au giron d’une promotion orchestrée par Saint-Germain-des-Près, et par l’influence de son père et l’argent de sa mère.
Ascendant beauf interroge à chaque page et a pu également énerver la femme mince parisienne d’éducation bourgeoise que je suis. Salvateur néanmoins. Un ouvrage qui questionne chacun et fera date pour sûr !
Rose Lamy a toujours appuyé là où cela faisait mal car la souffrance, le mal, le mâle, le mal du mâle, elle connaît !
À nous de revoir ce qu’est le beauf. N’est-ce pas « une manière de mettre à distance une partie de la population qui (nous) dégoûte » ?
Rose Lamy, elle continue la bagarre avec ce conseil que je vais suivre dorénavant :
« Quand j’aurai besoin de mépriser un homme méprisable, bête et de moralité douteuse, je ne dirai plus que c’est un pauvre. Je préfère dire que c’est un macroniste. »
Propos recueillis par Bénédicte Martin
13.05.2025 à 21:20
QG a organisé un grand point d’étape de « l’Explication », votre nouveau rendez-vous de débat, de clash et de pensée, lancé fin 2024. Une foire aux questions basée sur vos très nombreuses réactions depuis la naissance de cette émission imaginée par Aude Lancelin et François Bégaudeau. Coulisses, bonnes et mauvaises expériences avec les invités, réflexion sur notre démarche dans un paysage médiatique et intellectuel français dévasté: on vous dit tout ! Animée par Maxime Asseo, responsable des réseaux sociaux de QG, cette émission est aussi notre droit de réponse à quelques polémiques violentes, générées par des individus ou médias issus de la sphère identitaire.
Un moment rare et joyeux, à ne surtout pas manquer sur l’antenne de QG !