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10.08.2023 à 01:10

L'apprentissage des flammes : Quelques enseignements depuis les révoltes en France

CrimethInc. Ex-Workers Collective

Quelques enseignements depuis les révoltes en France.
Texte intégral (5672 mots)

En juin 2023, dans la ville de Nanterre, en banlieue parisienne, la police a brutalement assassiné un adolescent du nom de Nahel Merzouk, poursuivant ainsi un modèle de violence post-coloniale dirigé contre une partie de la population française traitée comme des citoyen.ne.s de seconde zone. En réponse, des milliers de personnes dans les banlieues de Paris et d’autres villes françaises se sont révoltées pendant plusieurs jours, attaquant les mairies et les commissariats de police, pillant les magasins et se défendant contre la police. Dans la réflexion suivante, un participant aux mouvements de ces dernières années revient sur la révolte de juin 2023 et les mouvements qui l’ont précédée, en explorant les limites qu’ils ont atteintes et en s’interrogeant sur ce qu’il faudrait pour qu’ils aboutissent à une transformation révolutionnaire.

Pour d’autres réflexions sur les mêmes événements, vous pouvez commencer ici.


“Combien de temps tout ceci va encore durer
Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter
Dommage que l’unité n’ait été de notre côté
Mais vous savez que ça va finir mal, tout ça
La guerre des mondes vous l’avez voulu, la voilà
Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ?”

-Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu (What are we waiting for to start the fire?), NTM, 1996

Si les suites de la révolte ne sont pas encore écrites, nous aimerions déjà proposer quelques pistes d’apprentissages que ce mouvement et ceux des dernières années nous encouragent à creuser pour continuer à chercher des issues victorieuses aux soulèvements à venir en France et ailleurs.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

0. Révoltes

Lors de la dernière mobilisation contre la réforme des retraites en France (février-mai 2023), des camarades de la plate-forme chilienne Vitrina Distópica me demandaient si nous assistions à une révolte ou non en France. À l’époque, j’avais conclu que, à l’exception de quelques nuits très chaudes après le décret autoritaire de la loi en mars, peu d’éléments nous permettaient de reconnaître une révolte.

Je pensais alors qu’il s’agissait plutôt d’un mouvement social à la française, très fort mais très classique. Loin d’une révolte réellement dangereuse pour le pouvoir comme ont pu l’être le soulèvement des gilets jaunes ou les révoltes de ces dernières années au Chili, en Iran au Liban, á Hong Kong pour ne citer que eux.

Je concluais cependant qu’il était légitime de se questionner si cette mobilisation, qu’elle soit perdante ou gagnante, n’était pas un signe que nous vivions une période pré-révolutionnaire en France avec sa succession de mouvements toujours plus rapprochés, massifs et offensifs.

Si les événement de ce début d’été confirment l’intensité de la période, le choix du mot révolte pour les qualifier, n’est pas anodin. Si nous utilisons le mot, ce n’est pas parce qu’il serait plus politique que celui d’émeute (qui détient lui même un contenu déjà hautement politique) mais plutôt à cause de caractéristiques particulières présentes cette fois ci dans le mouvement : fulgurant, spontané, offensif, entièrement auto-organisé et enfin sans revendications parcellaires mais bien une volonté claire de “faire justice soi-même” et surtout “faire mal à l’État”.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

I. Violence et Dignité

Plus l’humiliation et la dégradation des conditions de vie est importante plus la révolte sera violente. L’exercice de la violence par les opprimé.e.s contre ses oppresseurs est un mode d’expression autant qu’un moyen de recouvrir sa dignité. En effet, la violence révolutionnaire peut être une voie pour les peuples dominés de construire une nouvelle dignité (comme l’ont abordé de différentes manières Elsa Dorlin, Frantz Fanon ou Miguel Enríquez).

L’intensité de la révolte en France mais aussi par exemple au Chili (2019) et en Iran (2019 surtout, mais aussi 2022) nous donne une idée du degré de rage et d’humiliation accumulée par les marges1 de ces “nations”.

Le rôle des révolutionnaires n’est pas de contenir cette rage mais de l’aider à se choisir un horizon stratégique, à atteindre ses objectifs, et à résister à la contre-attaque de l’ordre. Construire une force capable de convertir la rage en puissance.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

II. Médiations

Comme pour les gilets jaunes, le niveau de violence exercée par les insurgé.e.s est aussi une preuve du manque et de la faiblesse de “médiations” (corps intermédiaires dit-on ici parfois) entre ces populations et le Régime. Médiation au sens négatif de maintien de l’ordre social (mairie, police, parfois travailleur.e.s sociaux.ales2 et organisations religieuses) mais aussi plus positif d’espaces politiques organisés capables de soutenir la juste colère pendant la révolte et dans la durée.3

Même quand des associations ou des organisations locales4 existent, elles ont souvent du mal à mobiliser une base large, notamment les jeunes, et possèdent rarement des objectifs politiques au-delà de leur territoire.5 Un constat ne se limitant pas aux quartiers populaires mais à la majorité des espaces d’organisations territoriales en France.

Comme ailleurs, cela démontre le manque d’organisations radicales et autonomes issues ou ancrées dans ces quartiers ayant la capacité à la fois d’agir sur la vie quotidienne et d’avoir des objectifs et stratégies politiques à long terme.

En France comme ailleurs, des forces comme celles-ci ont déjà existé. On peut penser bien sûr aux Black Panthers Party (BBP) ou aux Young Lords (organisation d’immigré.es portoricain.e.s construit sur le modèle des BBP), le MIR chilien et son travail dans les poblaciones (quartiers populaires au Chili) ou encore le PKK et de son ancrage populaire à Bakur (Kurdistan turc occupé). En France on peut penser aussi au rôle précurseur du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) qui a tenté dans les années 90 de lier luttes locales et perspectives nationales contre les violences policières et pour l’organisation autonome des quartiers populaires.

Cependant, depuis la révolte de 2005, il semble que, en plus des collectifs pour la libération de la Palestine pendant des moments d’agression comme en 2014, les seules organisations politiques et sociales qui soient parvenues à mobiliser une base populaire dans les banlieues furent, les organisations islamistes dans leurs différentes déclinaisons.6

Jusqu’en 2015-2016 seulement, car suite aux attentats djihadistes des années 2010 une écrasante offensive idéologique et répressive de l’Etat contre les musulman.e.s sans distinction (en raison de l’amalgame constant fait entre musulmans, islamistes, djihadistes etc.) a considérablement affaibli des espaces qui paradoxalement étaient aussi des espaces de médiations, et parfois d’apaisement, dans les quartiers.

Une répression sans différence qui a également augmentée la colère et le sentiment d’être des citoyen.ne.s de seconde zone de nombreux.ses musulman.e.s vivant dans les quartiers populaires.

III. Peur-dépendance

Chacun des mouvements des dernières années en France ont été éteints uniquement par la répression. Cette situation met le gouvernement Macron dans une situation de peur-dépendance vis-à-vis de l’institution policière.

Le néolibéralisme sauvage qu’il a pour rôle de mettre en place en France ne pouvant exister qu’avec l’imposition de la police, cela explique que ce pouvoir est un de ceux qui redoute le plus sa police. C’est pour cela qu’il ne réagit en rien aux menaces de sédition d’Alliance et Unsa Police.7

La police comprend très bien la dépendance qui la lie autant à Macron et profite de l’occasion pour augmenter son pouvoir et son autonomie.

Cette situation (courante et inhérente au rôle de la police) nous pousse à penser que si quelques ajustements de la police ne sont pas impossibles, on ne peut s’attendre à aucune réforme affaiblissant réellement l’institution.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

IV. Assassinats politiques

Lancée par les noirs et les quartiers populaires américains, le soulèvement déclenché par la mort de George Floyd a vite été suivi par une partie de la société américaine. Les émeutes se sont transformées en une révolte multiraciale beaucoup plus large. De plus, organisations de gauche, anti-racistes, pour l’abolition de la police, anarchistes ont rejoint massivement le mouvement. Même les médias et de nombreuses multinationales ont pris position face au rapport de force imposé.

Contrairement aux Etats Unis et comme en 2005, aucune partie de la société française n’a participé à la révolte des jeunes de ses quartiers populaires.

Un paradoxe notable est qu’en France même, pendant le soulèvement américain (juin 2020), un puissant collectif justice et vérité, le comité Adama(8) fut capable d’organiser une marche impressionnante (et offensive) réunissant près de 100 000 personnes à Paris pour soutenir la révolte de George Floyd.

Aujourd’hui, dans le contexte de la mort de Nahel, la marche blanche organisée en son hommage a réuni moins de 20 000 personnes. Et une semaine après la révoltes, les manifestations dans les grandes villes du pays (Paris, Lyon, Marseille etc.) jamais plus de 2000.

L’assassinat de George Floyd, après la participation spontanée de nombreuses classes sociales ainsi que par l’action de nombreuses forces organisées, fut considéré rapidement comme éminemment politique (et légitime) aux Etats Unis, puis dans le monde entier.

La mort de Nahel n’a pas reçu un tel traitement.8 Le reste de la population ne l’a pas rejoint et, en France,9 personne n’a été capable de lui donner la portée politique de l’assassinat de George Floyd.

V. Conscience transnationale

Si, en France, la segmentation de la société a empêché la contagion de la révolte, c’est dans les quartiers populaires de Suisse et de Belgique que les insurgé.e.s ont trouvé du soutien. Sans aucun appel d’une quelconque organisation, on a ainsi vu éclater à Lausanne comme à Bruxelles des émeutes de colères similaires.

Dans les consciences, les frontières au sein même de la société française (de classe ou de race) ont été plus fortes que les frontières nationales. Les conditions de vie ont parlé, au-delà du mirage des nations.

Le succès de la manifestation et les émeutes qui l’ont suivies à Paris pour George Floyd en 2020 comme celles en Suisse et Belgique pour Nahel montrent l’existence, ou a minima la naissance, d’une conscience de classe transnationale entre jeunes racisé.e.s de quartiers populaires.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

VI. Conditions révolutionnaires et segmentations

Le nombre successif de mouvements à forte intensité en France montre à la fois la présence de conditions pour déclencher un mouvement révolutionnaire en même temps que ce qui repousse son arrivée.

Généralement, quand la répression éteint une révolte, le traumatisme causé étouffe les velléités de la génération réprimée pendant un bon moment. La reprise de l’agitation est seulement possible si ce ne sont pas exactement les mêmes personnes dans la rue.

En France, si la répression augmente à chaque mouvement (avec son lot de mutilés, éborgnés et même morts comme ce mois-ci) elle n’éteint en rien les mouvements sociaux et les émeutes qui se succèdent depuis au moins 2016.

Une situation, qui a une échelle bien entendu radicalement moindre, rappelle la succession de révoltes en Iran. 2009, 2017, 2019 (on parle de 1500 morts pour cette seule révolte) et bien sûr la révolution féministe de 2022.

Si dans un pays comme dans l’autre, ces chiffres donnent une idée de la combativité des peuples en question, (de son héroïsme, dans le cas de l’Iran) on peut aussi expliquer cette répétition par le fait que ce ne sont pas les mêmes segments de la population qui se soulèvent successivement.

Pour prendre l’exemple de l’Iran, en 2009, on parle essentiellement des classes moyennes des grandes villes, en 2017, 2019 des classes les plus populaires, en 2022 des femmes et des minorités non “perses”.10

Pour la France, en 2016 (mouvement contre la loi travail) : étudiant.e.s et travailleur.e.s politisé.e.s (le “peuple de gauche”) ; En 2018 (Giles Jaunes) : une classe populaire blanche des marges ; En mars 2023 (mouvement contre les retraites) : mélange des deux. Juin 2023 jeunes racisé.e.s de la périphérie.

Dans le cas français par exemple, rappelons aussi que si les quartiers populaires n’ont été que peu soutenus, inversement ils ont peu participé au dernier mouvement contre les retraites ou au soulèvement des gilets jaunes.11

Ce décalage entre ces mouvements ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’interactions entre elles. Rappelons que le puissant mouvement social du printemps 2006 suivait de près la révolte des banlieues de l’automne 2005. Dans le sens inverse, la révolte de cet été suit la mobilisation du printemps 2023. A chaque fois, moins de 3 mois séparent les deux. Reste qu’il existe encore peu de liaisons entre eux.

Ainsi, cela crée une situation certes brûlante, mais oú les vagues d’attaque en ordre dispersé empêchent la possibilité d’un tsunami suffisamment puissant pour faire chuter les régimes en question.

En même temps, cette multiplication de mouvements prouve la présence de conditions objectives pour créer un mouvement révolutionnaire très puissant.

“Les luttes trouvent leur force dans leur capacité à tisser ensemble différents fragments du prolétariat. Le soulèvement n’a été couronné de succès que parce que, dans tout le pays, des personnes de tous horizons et de toutes communautés ont trouvé leur propre façon de participer”.

-Paper Planes, ici concernant la révolte de 2022 au Sri Lanka

En effet, á l’inverse de la situation iranienne ou française, on voit que les soulèvements qui ont vu un corps social déclencheur (paysan.ne.s indien.ne.s, indigènes en Équateur, lycéen.ne.s au Chili, noirs aux Etats Unis etc.) être suivis par une large partie de la société,12 sont parvenus à obtenir des victoires structurelles (bien que souvent provisoires) : arrêt du financement et pseudo refonte de plusieurs polices locales aux Etats Unis, chute du régime au Soudan, processus constituant au Chili, chutes des gouvernements au Sri Lanka ou au Liban etc.

Même si aucun n’a pour l’heure réussi à s’opposer au retour à la “normale”.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

VII. Construire le peuple

Avec leur appel à l’unité, les Gilets Jaunes, comme tous les soulévements de notre époque12 avaient dérouté les espaces politiques habitués à des séparations nettes.

Lors du mouvement, l’omniprésence des symboles français n’était pas un motif pour rester en dehors et rappelait plutôt que toute insurrection populaire aujourd’hui est “impure”, déroutante.

Dans de tels surgissements les insurgé.e.s utilisent symboles et espaces disponibles et rassembleurs. En 2018 en France, ceux utilisés par le mouvement rappelaient plus la présence de la Révolution française (1789-93) au sein de la culture populaire que la signature de l’extrême droite.

“Si l’on dit alors que «le peuple» est dans la rue, ce n’est pas un peuple qui aurait existé préalablement, c’est au contraire celui qui préalablement manquait. Ce n’est pas «le peuple» qui produit le soulèvement, c’est le soulèvement qui produit son peuple, en suscitant l’expérience et l’intelligence communes, le tissu humain et le langage de la vie réelle qui avaient disparu.”

-“À nos amis”, Comité invisible

Ce n’est qu’en acceptant que les gilets jaunes produisaient eux même leur notion du “peuple” qu’on peut comprendre l’attaque de l’ancienne Bourse le 1er décembre par un paysan électeur du FN au côté d’un militant autonome d’orginie marocaine et surtout d’un jeune de quartier d’une quizaine d’année au cri de ce dernier : “C’est nous le peuple…. Wallah c’est nous le peuple !”13

Néanmoins, en participant à la révolte à partir d’un rond-point de la banlieue parisienne, nos échanges avec des habitant.e.s issus de l’immigration (récente ou ancienne) nous avaient, à l’époque, fait prendre conscience que beaucoup étaient attiré.e.s par la révolte mais préféraient garder une certaine distance avec celle-ci. Certain.e.s craignant les éléments racistes, d’autres nous expliquant ne pas pouvoir ou savoir comment participer à un mouvement qu’ils.elles définissaient comme « pour les Français ».

Cela nous fit comprendre qu’au delà de l’instrumentalisation par les médias et le pouvoir de la présence réelle de composantes et de comportements racistes, l’utilisation de référents, qui bien que subversifs, restaient quasi-exclusivement franco-français (drapeaux, guillotine, Mai 68, Commune de Paris, Conseil de la résistance) constituait une des limites à l’extension du soulèvement. Les appels à être “tous.tes gilets jaunes” étaient peu accompagnés d’actes permettant au soulèvement de s’ouvrir ’effectivement aux différentes communautés du territoire français.14

Ce caractère national de la grande majorité des révoltes de notre époque encourage d’autant plus à combattre de l’intérieur les tendances nationalistes et les groupes fascistes qui tentent de profiter des troubles. En France, le mouvement antifasciste le fit physiquement et avec succès dans les manifestations des gilets jaunes tandis que plusieurs groupes de gilets jaunes le firent en mettant en avant des symboles transnationaux.15

La révolte des jeunes, de son côté, n’ayant pu faire porter sa voix et ayant été éphémère, n’a pu adresser le moindre appel à être rejoints ni expérimenter de telles jonctions.

Ces deux mouvements, et le fossé qui les séparent, nous font prendre conscience du manque de forces capables de favoriser des ponts entre les révolté.e.s du territoire. Pendant les soulèvements, mais aussi avant et après.

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

A d’autres époques, des organisations en avaient fait un objectif central. On peut penser à la Rainbow coalition de Chicago, lancée par Fred Hampton en 1969, qui réunit des organisations Young Patriots (qui portaient des drapeaux confédérés), des black panthers, des Portoricains, des Young Lords, des Amérindiens, des Asiatiques et des jeunes socialistes.

Les Wobblies des IWW, aux Etats Unis encore, s’étant construit contre le racisme des syndicats américains, ont fondé au début du XXe un syndicat transnational capable d’unir des travailleur.e.ss asiatiques, noirs, blanc, latinos et fut capables de s’exporter dans le monde entier. Le MIR (encore lui) réussit de son côté et manière assez unique dans l’histoire du Chili a créer une alliance entre mapuches et campesino.a.s chilien.ne.s.

Plus récemment en France des collectifs et espaces aussi variés que le comité Adama et ses appels à rejoindre les Gilets Jaunes, Verdragon (espace d’écologie populaire) à Bagnolet et le Hangar (squat contre la gentrificarion) à Montreuil tentent de créer des jonctions entre quartiers populaires et différentes populations. Les gilets noirs, menés par des exilé.e.s et appuyé.e.s par leurs soutiens français.e.s, ont repris le symbole du gilet et lancé un mouvement pour obtenir la régularisation administrative de tous les migrant.e.s en France, ainsi qu’un logement et des conditions de vie décentes. Ils ont tissé des liens avec des groupes tels que le Comité Adama et avec la Brigade populaire de solidarité lors de la première vague de la pandémie de COVID-19. Enfin, la Cantine syrienne et le réseau internationaliste les Peuples Veulent tout comme la Maison aux volets rouges et son festival essaient quant à eux.elles de créer des espaces politiques communs entre exilé.e.s arrivé.e.s récemment en France et les populations locales.16

Autant de tentatives d’étendre la notion classique de peuple aux populations qui habitent réellement le territoire français.

Ce n’est qu’en favorisant, amplifiant et parfois unissant des expériences de ce type que nous serons à même de créer ce peuple au sens nouveau. Ce peuple reformulé, dépassant, sans les nier, ses disparités et histoires. Ce peuple révolutionnaire.

“Il est temps que cela cesse, fasse place à l’allégresse
Pour que notre jeunesse d’une main vengeresse
Brûle l’état policier en premier et
Envoie la république brûler au même bûcher, ouais
Notre tour est venu, à nous de jeter les dés.”

NTM, Qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu, 1996

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

Un grand merci aux ami.e.s et camarades dont les réflexions et les retours ont nourri ce texte.

Gloire aux insurgé.e.s.

-Lucas Amilcar

29 juin 2023, Nanterre. Crédit ‘ @tulyppe.

  1. Nous utilisons ici le mot “marges” au sens de Bell Hooks c’est à dire population opprimée vivant à la périphérie des centres capitalistes, mais détentrice d’un potentiel radical unique. Voir son excellent livre “De la marge au centre.” 

  2. Eux.elles même refusant souvent de garder ce rôle : “Et nous, on est entre les jeunes et la police. On est les médiateurs de la fausse paix sociale que le gouvernement essaie d’instaurer.” Ou encore : “Qu’est-ce qu’on fait ?” interroge le trentenaire, figure respectée de son quartier. La réponse de l’autre fuse : « Rien du tout. C’est fini, on n’est pas des pompiers. » 

  3. Sur les causes et les stratégies de l’Etat pour en arriver là, on conseille “Bâillonner les quartiers” de Julien Talpin. 

  4. Rappelons cependant, qu’il y a des forces qui depuis 2005 ont réussi à créer des espaces politiques ou des tribunes importantes et parfois subversives : les médias Echo-banlieue et le Bondy Blog, les espaces du Hangar de Montreuil ou de Verdragon á Bagnolet, Diaty Diallo et son puissant ouvrage “Deux secondes d’air qui brûle”, le Comité Adama et le réseau justice et vérité pour ne citer qu’eux. 

  5. Il existe bien sûr des exceptions comme le Réseau d’Entraide Vérité et Justice qui rassemble des collectifs contre les violences d’État sur tout le territoire. 

  6. Rappelons que comme les marxistes dans les années 70 par exemple, les islamistes sont traversés par des tendances, tactiques , alliances et désaccords en France et ailleurs (groupes publics non violents et djihadistes pratiquant la.lutte armée, salafistes de différents courants, Frères musulmans et autres groupes concurrents etc.). 

  7. Un communiqué menaçant écrit au début de la révolte pour prévenir le gouvernement que la police scrute la réponse de l’État et se tient prêt à entrer en “résistance”. 

  8. Pour une analyse de ce traitement, voir ça

  9. Contrairement au traitement des médias internationaux ou à l’ONU par exemple qui ont bien plus questionné le rôle de l’État et de police et de leur racisme structurel. 

  10. Voir notamment ça

  11. Ce qui ne veut pas dire qu’il fût inexistant. Les éboueurs de Paris (vivant majoritairement en banlieue parisienne) furent le fer de lance du mouvement pour les retraites. Les manifestations Gilets jaunes virent de nombreux.ses habitant.e.s des quartiers populaires et des centaines de jeunes participer aux nuits insurrectionelles du 1er et 8 décembre. Cependant localement dans les deux cas il y eu peu de présence locale et continue (de ronds points) à l’exception notamment de Champigny, Montreuil ou Rungis dans le cas de la banlieue parisienne. 

  12. On peut penser par exemple á la thawra au Liban oú toutes les confessions, habituellement opposées se sont retrouvées côte à côte ; aux supporters de foot de Istanbul (Besiktas, Fenerbahçe, Galatasaray) ou de Santiago (Colo Colo et de la UC) ennemis mortels, affrontant ensemble la police lors de la révolte de Gezi et de la Revuelta Chilena ; ou encore pendant l’Aragalaya, le soulèvement au Sri Lanka de 2022 lors duquel moines boudistes et le mouvement queer, Cingalais.e.s et Tamoul.e.s se sont soulevé.e.s ensemble.  2

  13. Wallah : mot arabe courant chez la jeunesse issu de l’émigration et milieu populaire signifiant : Je le jure sur Allah-Dieu. Scène vécue par l’auteur. 

  14. Ailleurs dans le monde on peut penser à l’utilisation du terme “azadi” (liberté) dans la révolution syrienne comme un appel aux communautés kurdes ; en Iran l’utilisation du slogan “ Kurdistan les yeux et la lumière de l’Iran” utilisé par les communautés turkmènes ; l’utilisation du drapeau Mapuche au Chili et Kabyle en Algérie pendant le Hirak. 

  15. Nous pensons par exemple aux gilets jaunes de Montreuil, de Toulouse, de Commercy qui, plutôt que de dénoncer la marseillaise ou le tricolore, décidèrent de diversifier les références, d’organiser des discussions sur les enseignements de la révolution syrienne, le hirak algérien ou le Kurdistan; de multiplier drapeau palestinien, drapeau noir ou arc-en-ciel, de faire des banderoles et des tags en arabe ou en espagnol (“Que se Vayan todos” ou “الشعب يريد إسقاط النظام”). Des gestes qui restèrent malheureusement isolées. 

  16. On s’excuse d’avoir utilisé majoritairement des exemples de banlieue parisienne concernant la France, territoire que nous connaissons mieux car j’y vit depuis 30 ans. 

02.07.2023 à 03:54

Justice pour Nahel : Les origines de l'insurrection en France

CrimethInc. Ex-Workers Collective

Les origines de l'insurrection en France : une analyse de la situation présente, ainsi qu’un bref historique de la lutte contre les violences policières en France depuis les années 1970.
Texte intégral (3078 mots)

Le texte suivant nous a été envoyé par des camarades français le troisième jour des émeutes qui font suite au meurtre de Nahel Merzouk par la police de Nanterre, en banlieue parisienne. Il propose une analyse de la situation présente, ainsi qu’un bref historique de la lutte contre les violences policières en France depuis les années 1970.

L’intensité de la répression policière, judiciaire, et médiatique à laquelle le mouvement fait face depuis la semaine dernière est particulièrement féroce. Au moment où nous publions cet article, on connaît au moins trois morts dans les rues, sans compter Nahel.1 Plutôt que de se concentrer sur le déploiement des forces de police spécialisées et des acronymes de tous types à travers le pays (le RAID, la BRI, le GIGN…), nous préférons faire le récit des efforts des jeunes qui risquent leur vie pour Nahel, et pour affirmer leur propre existence.

Dans la rue, on entend beaucoup dire que la colère et l’intensité des affrontements ressemble aux émeutes de 2005. De la même façon qu’en 2005, les émeutes firent suite au mouvement étudiant, le soulèvement qui nous occupe aujourd’hui fait suite au mouvement social contre la réforme des retraites, brutalement réprimé au printemps. Malgré l’augmentation constante de ses moyens et sa quasi-totale impunité légale, les derniers mois pourraient faire penser que la police est en train de perdre un peu de sa légitimité effective et de sa capacité à faire peur à la population, pour la maintenir dans une position de passivité.


Justice pour Nahel

3 nuits d’émeutes, pour l’instant. Le 27 juin 2023, Nahel Merzouk, adolescent de 17 ans, est assassiné par un policier à moto lors d’un contrôle routier à Nanterre. Après un refus d’obtempérer (confirmé par l’un des passagers de la voiture), Nahel a été violemment menacé, “je vais te mettre une balle dans la tête” et frappé par les policiers à travers la vitre de sa voiture, avant d’être abattu alors que sa voiture fonçait à tombeau ouvert dans un mur – non pas par ce qu’il a tenté de fuir, mais par ce que sonné par les coups portés par les policiers, il a accidentellement relâché son frein à main et a appuyé sur la pédale de l’accélérateur. Tout ça, nous le savons parce que la scène a été filmée dans sa quasi-intégralité. La vidéo de l’assassinat de Nahel est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, qui jouent un rôle clé dans le mouvement en train de se construire.2

La réaction de la rue ne s’est pas fait attendre. Dès le 27 juin, des affrontements violents ont éclatés dans plusieurs quartiers d’immigration de l’île de France (à Nanterre, Mantes la Jolie, Boulogne-Billancourt, Clichy sous Bois, Colombes, Asnières, Montfermeil) mais aussi à travers la France (Roubaix, Lille, Bordeaux…). Le 28 juin, malgré l’unanimité du champ politique concernant l’ignominie de ce meurtre crapuleux, malgré l’inculpation du meurtrier pour homicide volontaire, malgré les premiers appels au calme du gouvernement et des franges les moins téméraires de la gauche, la révolte se propage à d’autres villes (Neuilly sur Marne, Clamart, Wattrelos, Bagnolet, Montreuil, Saint Denis, Dammarie les Lys, Toulouse, Marseille…).

En parallèle, la famille de Nahel s’est constituée en Comité Vérité et Justice, notamment grâce à l’aide précieuse d’Assa Traoré et d’anciens militants du Mouvement Immigration Banlieue. La mère de Nahel, modèle de dignité et de courage a appelé à une grande marche blanche « de révolte » à Nanterre le 29 juin. Cette grande marche a réuni quelques 15.000 âmes, qui ont reproduit le dernier trajet en voiture de Nahel en marchant au rythme de slogans comme « Tout le monde déteste la police », « Flic violeur assassin » et bien sûr, « Justice pour Nahel ». Une pancarte se demandait « combien de Nahel n’ont pas été filmé ? ». Il est clair lors de cette marche que la mort de Nahel a énormément choqué et que beaucoup de manifestant-e-s marchent en solidarité avec la famille de la victime. Mais les revendications touchent à quelque chose de plus large : la place qu’occupe la police dans notre société et le rôle qu’elle y joue. Et comme s’ils en avaient conscience, les porcs ont décidés de gazer cette marche jusqu’alors pacifique à son arrivée à la préfecture (Note : l’institution qui représente l’État central au niveau départemental/cantonal) de Nanterre, déclenchant une nouvelle vague d’affrontement qui est allée jusqu’à toucher le très chic quartier d’affaire de la Défense. « S’ils nous laissent pas faire la Marche, on va tout niquer », entendait-on parmi les jeunes émeutiers.  

Il serait inutile de lister tous les quartiers et toutes les villes qui ont rejoint le mouvement le soir du 29 juin, tant ils sont nombreux. Cette troisième soirée de révolte a fait prendre au mouvement une ampleur inédite. Ce mouvement protéiforme fait preuve d’une rare et salvatrice détermination : Les « jeunes de quartiers » en lutte incendient des bâtiments publics (commissariat municipale et nationale, école, bibliothèque municipale, préfectures, mairies), des voitures, des deux roues et des trottinettes, détruisent du mobiliers urbains, pillent des grandes surfaces, incendient des chantiers et bien sûr, affrontement la police notamment grâce aux mortiers/feux d’artifices qui sont devenus en quelques années « l’arme » d’autodéfense privilégiée de la jeunesse qui subit au quotidien le harcèlement et l’arbitraire policier.

L’explosion insurrectionnelle que connaît le pays n’a rien d’hasardeuse. Elle est spontanée, au sens où elle est largement horizontale, imprévisible, et invente constamment de nouvelles formes de luttes en adéquation avec les aspirations qui la détermine. Mais cette révolte s’inscrit tout de même dans un contexte. Ce contexte, c’est d’abord celui de la gestion française de l’immigration post-coloniale. Grosse merdo, l’État français, a, à partir du milieu des années 60, eu recours à de la main d’œuvre « issue » de ses ex-colonies en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. Ces travailleurs, que l’État français ne souhaitait pas voir construire une vie en France, ont d’abord été parqués dans des bidonvilles puis dans des grands ensembles – ou « cité » situé à la périphérie des grandes villes – en banlieue.3 Lorsqu’il est devenu évidemment au responsable public qu’il faudrait composer avec les noirs et les arabes (à partir des années 70) les partis politiques de droite comme de gauche ont constitué une véritable politique d’exception visant à maintenir les frontières raciales et à contrôler une population en permanence soupçonnée de représenter une menace pour l’ordre établi. La gestion de ces quartiers d’immigration est donc largement policière : C’est à la police (et aux préfectures) que revient le rôle de contrôler les activités quotidiennes des habitant-e-s des quartiers populaires d’immigration. Ces quartiers sont, de fait, largement des lieux d’expérimentation en ce qui concerne le maintien de l’ordre à la française. Concrètement, cela se matérialise par des brimades, humiliations et intimidations quotidiennes. La jeunesse issue de l’immigration post-coloniale, en plus d’être exclue de la vie politique du pays, est en permanence contrôlée, insultée, arrêtée, et toutes les activités que les moins chanceu-ses-x pratiquent pour survivre sont fortement criminalisées.

Ce contexte, c’est aussi de la longue histoire des assassinats racistes et policiers en France. La race est, en France comme aux États-Unis, le corollaire de l’exercice d’une violence gratuite sur des individus déshumanisés. La place démesurée qu’occupe la police dans les quartiers d’immigration et le racisme qui structurent les rapports entre l’État français et la jeunesse issu de l’immigration post-coloniale fait que des centaines de jeunes hommes noirs et arabes ont été assassinés par la police depuis le milieu des années 70. Les quartiers ont, depuis longtemps, politisé cette question des violences policières. La Marche pour l’Égalité, lancée en 1982, a démarré à la suite d’un assassinat policier. La ville de Vaulx-en-Velin, symbole de la violence de l’État envers sa jeunesse non-blanche, connaît des épisodes émeutiers tous les 10 ans depuis 1979. Le Mouvement Immigration Banlieue, organisation autonome composée de militants issus des quartiers populaires, se battaient avant tout pour obtenir vérité et justice pour les familles victimes de bavure policière. L’insurrection de 2005 a débuté précisément parce que deux jeunes adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, ont été poussé à la mort par le harcèlement policier. On peut citer également les meurtres de Lamine Dieng en 2005, Adama Traoré en 2016, le viol de Théo Luhaka en 2017, plus récemment ou encore le meurtre d’Ibrahima Bah en 2019. Chaque fois, le même scénario (que vous reconnaîtrez sans doute) : les porcs tuent, puis se protègent en mentant. Parfois, une vidéo, ou un mouvement permettent de remettre en cause la version policière et de déclencher une procédure judiciaire contre les assassins. Mais ces procédures, en raison du manque d’indépendance de la justice aboutisse rarement à des condamnations. En France, la police jouit d’une totale impunité.

Si l’on en doutait encore, ces derniers jours ont bien montré que l’Etat prend soin de ses chiens de garde. La personne qui a révélé le nom du policier qui a tué Nahel sur les réseaux sociaux a été très rapidement condamnée à 18 mois de prison ferme (dont 12 avec sursis).

Ce contexte, c’est enfin celui de l’état paradoxal du conflit de classe en France. Tous les ans, ou presque, un mouvement d’ampleur éclate en France depuis 2016. La séquence actuelle que nous vivons actuellement est radicalement émeutière. Cette radicalisation de la contestation entraîne avec elle une radicalisation de la répression policière et la police s’est constituée depuis quelques années en véritable force politique autonome. Ce qu’il faut comprendre, c’est que compte tenu de l’impopularité des politiques néolibérales menées depuis maintenant plusieurs années en France, les gouvernements qui se succèdent en France depuis 2016 ne tiennent que grâce à leur police. Conscient de l’état du rapport de force entre police, État, gouvernement et population, les syndicats policiers d’extrême droite s’organisent pour obtenir toujours plus de moyens de répressions ainsi que des avantages sociaux divers. Par exemple, la police a obtenu en 2017 une loi leur permettant d’utiliser leurs armes en cas de refus d’obtempérer. Cette loi a eu pour conséquence principale d’augmenter drastiquement le nombre de cas d’assassinats policiers recensés en moyenne chaque année : si, avant 2017, la police tuait 15 à 20 jeunes noirs et arabes par an, elle en tue actuellement à peu près 40 chaque année actuellement (avec un pic à 51 en 2021). De plus, les moyens ainsi que les effectifs policiers ont drastiquement augmenté depuis quelques années. Le mouvement social a face à lui une police de plus en plus militarisée. Cette militarisation croissante de la police est un des principaux facteurs d’impuissance de la gauche en France. Concrètement, cela se traduit par une situation sociale dramatique, dont les premières victimes sont les femmes habitantes dans les quartiers d’immigration. Nos mères.

Ce mouvement protéiforme est pour l’instant difficile à analyser. Je ne peux pour ma part parler que ce que j’ai constaté dans la ville où j’habite, qui se situe en très proche banlieue parisienne. Les stratégies du mouvement se concentrent autour de 3 tactiques qui ont fait leur preuve : les affrontements violents avec les forces de l’ordre, la destruction de « symboles » républicains, et les pillages.

Les affrontements avec les forces de l’ordre ont principalement lieux à l’intérieur des grands ensembles/les cités. « Allume-les ! » Vous avez tous-tes vu ces images : les policiers sont visés par des tirs de mortiers, des bombes agricoles, des jets de pierres, ou de mobilier urbain par des personnes parfois très jeunes. Les stratégies offensives adoptées à la tombée de la nuit sont moins motivées par l’expression d’une solidarité avec Nahel, que par une volonté de vengeance envers celles et ceux – les porcs – qui contrôlent, humilient et tabassent au quotidien. Comme un renversement (temporaire?) du rapport de force. Dans ces moments d’affrontement, il n’y a pas de slogans, pas de revendications gauchistes, simplement une volonté radicale d’en découdre qui s’exprime en équipe (composée de jeunes qui se connaissent depuis longtemps), sans aucune autre forme de médiation.

Les jeunes (souvent des adolescents) ne détruisent rien au hasard. On attaque les préfectures et les mairies pour des raisons évidentes, les écoles et les collèges qui excluent, trient et mettent au travail, les commissariats qui permettent à la police d’agir et d’enfermer, les caméras de surveillance qui permettent de surveiller, les transports en commun trop rares ou nouvellement installés uniquement pour les petits gentrifieurs de merde, ou encore les chantiers des Jeux Olympiques responsables de la gentrification.

Enfin, c’est en matière de pillage que le mouvement est le plus créatif. Les voitures et les scooters sont très importants dans les stratégies de pillage. Les voitures permettent de forcer les portes et les grilles, tandis que les scooters permettent de partir rapidement une fois le pillage effectué. Les scooters jouent par ailleurs un rôle crucial dans le cadre des affrontements avec les forces de l’ordre. Sans entrer dans le détail, la mobilité est un élément crucial des batailles rangées qui se déploient une fois la nuit tombée. Niveau pillage tout y passe, mais contrairement à ce qu’on peut entendre ici et là, ces pillages n’ont rien de festif ou récréatif : ce qui est auto-réduit, ce sont majoritairement des produits de première nécessité et des médicaments. Ce que révèlent peut-être ces pillages c’est que le mouvement actuel, déclenché par la mort de Nahel est aussi un mouvement contre la vie chère.

Entendu à 4h du matin dans un supermarché de banlieue parisienne : « tout ça, je le prends pour ma daronne ».

En dépit du caractère éminemment universel des revendications portées par le mouvement et de la centralité des luttes contre les violences policières dans le mouvement social depuis 2016, les perspectives d’alliance entre la gauche et les jeunes émeutiers sont encore maigres. La gauche partisane se complet dans les appels au calme et les appels à « refonder une police républicaine » pour « rétablir le dialogue entre la police et sa population ». La gauche révolutionnaire (principalement trotskyste, en France) soutient activement le Comité Vérité et Justice pour Nahel, mais n’a rien à dire du soulèvement en cours. Quant à la gauche libertaire et aux autonomes, ielles se cantonnent pour l’instant à un rôle d’observation et de soutien logistique et juridique (même si certains d’entre nous participent activement aux émeutes, en déployant une énergie et une solidarité qu’on ne peut que saluer). Finalement, peu importe : le mouvement continuera, et les jeunes qui y participent semblent n’avoir que faire du soutien d’un camp auquel ils n’ont pas le sentiment de faire partie.


Pour aller plus loin

Nanterre, cité Pablo Picasso.

  1. Une quatrième personne est morte, assassinée par la police d’un tir de flashball dans la poitrine à Marseille, dans la nuit de samedi à dimanche. 

  2. Le 5 juillet, d’après BFMTV, Emmanuel Macron aurait envisagé la possibilité de couper les réseaux sociaux type Snapchat et Twitter en cas de crise. 

  3. Voir, par exemple, La Menthe Sauvage, de Mohammed Kenzi.] 

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