Le blog d' Alain Granjean
Publié le 08.11.2024 à 18:52
Seul un nouveau contrat social déjouera le populisme
Dans son livre Déjouer le populisme : bâtir le contrat social du XXIe siècle, Julien Marchal met en évidence l’impératif d’établir un nouveau contrat social français et européen fondé sur trois valeurs socles : l’autonomie stratégique, la préservation des biens communs et la cohésion sociétale. Il montre en quoi il s’agit d’une…
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Publié le 17.07.2024 à 22:32
Dépenses improductives, dette publique et création monétaire
L’idée de recourir à la création monétaire pour financer les investissements nécessaires à la transition écologique se heurte à plusieurs croyances économiques. Certaines sont relatives au rôle de la monnaie. Nous avons tenté de les décrypter dans l’article Créer de la monnaie pour surmonter la crise environnementale. D'autres, relèvent de…
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Publié le 04.07.2024 à 22:32
Perte du sens commun et néotribalisme
L’actualité politique est intense dans le monde tout le long de l’année 2024, la moitié de la population mondiale étant concernée par une élection1, que ce soit en Europe, en Inde, en France, aux États-unis, en Afrique… La montée des régimes dits populistes ou d’extrême-droite est préoccupante. Je vais aborder cette question sous un angle […]
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Publié le 01.07.2024 à 14:14
Le climat aux oubliettes du Rassemblement national – Les Échos (Tribune)
Alors que la décennie est décisive en matière de lutte contre le dérèglement climatique, le Rassemblement national persiste à vouloir freiner le développement des énergies renouvelables et à remettre la responsabilité de la pollution à l’extérieur des frontières. Une position dangereuse, s’alarment Alain Grandjean et Christian de Perthuis.
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Publié le 18.06.2024 à 15:29
Idéologie, macroéconomie, investissements publics et règles budgétaires
Depuis le traité de Maastricht (1992), les règles visant à faire respecter une discipline budgétaire aux États membres se trouvent au cœur de la gouvernance économique européenne. A l'issue de plus de quatre ans de travaux, le processus de révision de ces règles vient enfin d'aboutir. Malheureusement, la logique préexistante…
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Publié le 18.06.2024 à 13:03
Why the SBTi must abandon its offsetting proposal – Environmental Finance
The SBTi Board’s proposal to allowing carbon offsetting to achieve climate objectives is ineffective and dangerous, writes Alain Grandjean in Environmental Finance. Ten years after its creation, the Science-based targets initiative (SBTi) has validated the climate objectives of over 4,000 companies, establishing itself as a key label for climate commitment.…
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Publié le 08.11.2024 à 18:52
Seul un nouveau contrat social déjouera le populisme
Dans son livre Déjouer le populisme : bâtir le contrat social du XXIe siècle, Julien Marchal met en évidence l’impératif d’établir un nouveau contrat social français et européen fondé sur trois valeurs socles : l’autonomie stratégique, la préservation des biens communs et la cohésion sociétale. Il montre en quoi il s’agit d’une rupture par rapport à la société de consommation mondialisée de la fin du XXe siècle et en quoi nous avons partiellement amorcé ce tournant depuis l’épidémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine.
Dans ce post, l’auteur nous présente les grandes lignes de cet ouvrage dont la force réside dans la description d’un chemin de transformation possible dans une dizaine de secteurs économiques (énergie, santé, alimentation, information, industrie, éducation) ; et dans le fait de montrer en quoi ce nouveau contrat social serait porteur, un sens qui fait cruellement défaut à la société de consommation mondialisée actuelle.
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Etats-Unis, Italie, Royaume-Uni, Pologne, Argentine, Brésil : la liste des démocraties vaincues par le populisme s’allonge. La France, cernée par ses extrêmes, peut-elle y échapper ?
Notre niveau de vie matériel n’a jamais été aussi élevé ; les droits dont nous bénéficions (éducation et santé largement gratuites, assurance chômage, droits à la retraite, tarifs sociaux sur nombre de produits…) sont parmi les plus élaborés au monde ; nous faisons partie d’un continent largement envié par le reste de la population mondiale. Et pourtant la colère et le sentiment de déclin prédominent de plus en plus ; la défiance est élevée envers les institutions politiques mais aussi scientifiques[1] : 39% des Français se déclarent d’accord avec le fait « d’avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement, ni des élections[2] ».
Comment en est-on arrivé là ? Comment éviter de sombrer vers le populisme ?
La société de consommation mondialisée est à bout de souffle, un nouveau contrat social est nécessaire
Répondre à ces questions renvoie à la vision que nous portons pour la France et pour l’Europe.
Depuis la chute de l’Union soviétique, notre contrat social a glissé progressivement vers la maximisation du pouvoir d’achat à travers trois valeurs : le consumérisme, l’individualisme et la mondialisation. Si ce modèle a permis d’accéder à quantité de biens -nous sommes tous familiers des produits low cost made in Asia– il arrive à bout de souffle et s’avère inadapté aux défis du XXIe siècle. D’une part, il entre en conflit avec les limites planétaires (climat, biodiversité, ressources naturelles) ; d’autre part, il a créé des dépendances géopolitiques majeures vis-à-vis de puissances totalitaires (Chine, Russie, Moyen-Orient) qui ont conduit à la fois à la déshérence de territoires autrefois industriels et aussi à limiter la capacité de l’Europe à faire valoir ses valeurs. Enfin, il n’est porteur ni de sens, ni d’un projet collectif, à une époque où la sécularisation de nos sociétés et la crise du covid-19 ont laissé un vide aspirationnel important, particulièrement visibles chez les jeunes[3].
Autonomie stratégique, cohésion sociétale et préservation des biens communs : les trois piliers du contrat social du XXIe siècle
Pour surmonter les défis du XXIe siècle et retrouver confiance en l’avenir, il nous faut fonder un nouveau contrat social basé sur trois valeurs radicalement différentes de celles du tournant du siècle : l’autonomie stratégique, la préservation des biens communs et la cohésion sociétale.
Bien que la vision d’ensemble fasse encore défaut, la transformation vers ce nouveau modèle de société est déjà engagée depuis l’épidémie de covid-19 et la guerre en Ukraine.
- En matière d’énergie et de climat, les quatre piliers de la stratégie nationale bas carbone, à savoir l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, le nucléaire et l’électrification des usages, ont pour but à la fois de préserver le climat et de mettre fin à nos dépendances pétrolières et gazières. La volonté de réimplanter des usines de fabrication de panneaux solaires et de batteries participe également à l’autonomie stratégique (ne pas dépendre de la Chine pour ses équipements) mais reste à traduire en actes concrets.
- En matière d’industrie, la volonté récente de réindustrialisation française et européenne marque un changement majeur par rapport à la doxa néolibérale mondialiste des années 2010. Au-delà de subventions à l’implantation d’usines que permet le Green deal européen et le Net Zero industry Act, il reste à parvenir à réinstaurer des barrières douanières et commerciales au niveau européen[4], et à réancrer dans les mentalités le fait qu’acheter est un geste militant (made in France et qualité environnementale du produit acheté).
- En matière d’agriculture le secteur reste prisonnier de la société de consommation mondialisée. La reculade du printemps 2024 sur le renforcement des normes environnementales (renforcement de la jachère, fin de l’exonération de taxation du gazole agricole) montre l’impasse actuelle : compte-tenu de la concurrence internationale il est en effet déraisonnable de renforcer les normes environnementales de nos agriculteurs, sauf à majorer encore plus les aides de la PAC[5], ce à quoi une majorité d’Etat européens s’opposent. La mise en place de clauses-miroirs dans les accords de libre-échange peut constituer la première étape de transformation.
- En matière de santé, un mouvement s’opère en faveur de plus de prévention mais il se confronte avec la vision consumériste des soins qui prévaut depuis le tournant du siècle. Des progrès majeurs restent à établir et nécessitent de modifier en profondeur nos habitudes : réduire le temps d’écran, accroitre l’activité sportive, pénaliser les produits trop gras, salés, sucrés, instaurer une prise en charge obligatoire des enfants en surpoids dès l’école maternelle… De manière imagée, le choix reste encore à faire entre une société à l’américaine combinant surpoids + médicament coupe-faim ou une société véritablement axée sur la prévention.
- En matière géopolitique, la montée en puissance des puissances émergentes, génère un monde multipolaire gouverné par des rapports de force entre grandes puissances. Le consumérisme, l’individualisme et le libre-échange débridé du tournant du siècle passé se révèlent inadaptés et ont conduit l’Europe dans une impasse stratégique criante ; les clauses miroirs, les droits de douanes à l’importation des véhicules chinois, l’établissement un prix du carbone robuste aux frontières de l’Europe constituent les prémices d’u conditionnement de l’accès au marché européen au respect de nos normes sociales et environnementales.
- En matière d’information, l’émergence des réseaux sociaux et la glorification individuelle du succès[6] traduisent un glissement dangereux vers l’individualisme : comment faire Nation à l’heure des influenceurs et de la glorification du culte de soi-même ? Comment assurer une qualité d’information et un prisme de lecture suffisamment convergent quand presque la moitié des Français déclarent s’informer principalement par les réseaux sociaux (qui ne sont pas faits pour informer mais pour exposer le plus longtemps possible à la publicité) et à l’heure des algorithmes de ciblage et des ingérences étrangères. Une politique publique nouvelle destinée à assurer la qualité de l’information est nécessaire dont le Digital Act européen constituera un des premiers maillons.
Accepter d’augmenter le coût de production pour des raisons environnementales et de souveraineté
Si la transformation vers ce nouveau modèle de société est déjà engagée, de nombreuses difficultés persistent. Une des plus grandes est notamment que l’autonomie stratégique et la préservation des biens communs conduisent à renchérir le coût de production !
Relocaliser la production de paracétamol en France plutôt qu’en Asie conduit à court terme renchérir son coût de production ; élever un poulet bio en plein air en France revient plus cher qu’élever un poulet en batterie en Europe centrale. Après des années à promouvoir le pouvoir d’achat maximal grâce à la mondialisation, ce renchérissement du coût pour des raisons morales et physiques constitue une véritable rupture sociétale !
Cette hausse du coût de production est-elle inéluctable ? Il est tentant de convoquer le progrès technologique pour assurer que les technologies vertes seront rapidement aussi peu chères que les technologies conventionnelles. Ou encore que, grâce à la robotisation et à l’intelligence artificielle, une usine installée en France pourrait avoir un coût de production similaire à la même usine en Asie.
Le solaire et l’éolien ne sont-ils pas d’ailleurs des exemples frappants : après une dizaine d’année d’innovation et d’industrialisation, leur coût de production est désormais inférieurs à celui des centrales thermiques !
Hélas, cette vision techno-solutionniste se heurte à la réalité. L’agriculture est le secteur où le mirage se dissipe le plus facilement : difficile de prétendre qu’un poulet bio élevé en plein air sera un jour moins cher qu’un poulet d’Europe centrale élevé en cage ; difficile d’imaginer que le coût de production du blé ou des betteraves diminuera à mesure que les pesticides seront remisés. Le même constat peut être tiré dans les usages industriels utilisant de la chaleur, soit environ un tiers de la consommation d’énergie mondiale : une chaudière utilisant la biomasse est plus chère qu’une chaudière gaz et le recours à l’électricité ou à l’hydrogène semble coûteux également. Il en va de même pour les carburants : le kérozène fabriqué à partir d’hydrogène, qui est à un stade de maturité faible aujourd’hui, semble voué à être 5 à 10 fois plus cher que le kérozène fossile dans les prochaines décennies. Personne ne se hasarde non plus à dire que le bioplastique sera prochainement moins cher que le plastique classique ! Enfin, il est évident que la préservation de la biodiversité, la lutte contre les pollutions et l’artificialisation des sols vont renchérir les coûts de production : par définition, il s’agit de contraintes nouvelles ou renforcées par rapport à la situation qui prévalait, et ces contraintes vont peser sur le coût de production (coût du foncier, coût des traitements des effluents et des fumées, majoration du coût de la ressource en eau, etc). Dans son livre « Réindustrialiser, le défi d’une génération »[7], Olivier Lluansi fait part d’un surcoût de production actuel de l’ordre de 20 à 30% pour une entreprise française par rapport à un concurrent asiatique en raison des exigences sociales et environnementales en vigueur en France.
La hausse de coût de production induite par le verdissement de l’économie et la relocalisation des biens stratégiques doit être payée par le consommateur
Après plusieurs décennies à promouvoir la mondialisation et le pouvoir d’achat dopé aux produits à bas coûts made in somewhere, est-il possible de faire accepter une hausse des coûts pour des raisons environnementales et d’autonomie stratégique ?
Ce défi politique majeur fait face au triangle d’incompatibilité énoncé notamment par le regretté économiste Philippe Martin : « il n’est pas possible à court terme de (i) réaliser la transition écologique ; (ii) préserver le pouvoir d’achat ; (iii) préserver les comptes publics ». Triangle d’impossibilité qui se décline de manière identique en matière de relocalisation industrielle.
Compte-tenu du déficit public conséquent en France, il semble peu probable de parvenir à faire prendre en charge le surcoût de production par le budget de l’Etat. Ethiquement, une telle décision serait par ailleurs discutable puisqu’elle revient à ce que le consommateur bénéficie du produit vert et made in France en payant le coût du produit conventionnel et made in Asia (le même consommateur étant aussi un citoyen contribuable repaierait via ses impôts l’écart de coût de production ; mais avec une redistribution propre à l’imposition, tous les ménages ne s’acquittant pas de la même proportion d’impôt).
C’est pourtant la voie suivie en partie par l’Union européenne et les Etats-Unis via les subventions massives à la relocalisation d’usines et les aides aux technologies vertes. C’est aussi historiquement la voie prise en Europe avec la Politique Agricole.
Cette voie semble condamnée à finir en impasse ! D’une part, elle devrait conduire à l’épuisement budgétaire ou au ras-le-bol fiscal, notamment compte-tenu de l’ampleur du surcoût à prendre en charge si elle s’applique à un vaste panel de technologies vertes ou de relocalisation[8]. D’autre part, elle risque d’attiser une guerre économique entre puissances continentales, chacune ayant intérêt à annoncer toujours plus de subventions pour attirer ou retenir les facteurs de production : à ce jeu, les Etats-Unis, parce qu’ils sont les seuls à pouvoir vivre avec un déficit public record, seront probablement gagnants !
Dès lors que réaliser la transition et renforcer l’autonomie stratégique sont considérés comme des impératifs, la seule issue consiste à faire payer le surcoût du verdissement et de la relocalisation par les consommateurs !
L’heure du choix a sonné : veut-on se diluer dans la mondialisation consumériste ou veut-on retrouver un sens individuel et collectif ?
Guerre en Ukraine, volonté hégémonique industrielle et économique chinoise, repli isolationniste américain[9], vieillissement démographique, crise climatique et effondrement de la biodiversité : toutes ces crises traduisent que nous arrivons à l’heure du choix : souhaitons-nous conserver le modèle consumériste mondialisé du tournant du siècle et par là même les dépendances envers des puissances autoritaires ? Souhaitons-nous changer de modèle.
Nous avons le devoir d’être optimiste : un nouveau contrat social est à la fois porteur de sens ainsi qu’un vecteur de prospérité à long terme ; un sens qui semble faire structurellement défaut à la société de consommation mondialisée. La racine du populisme ne serait-elle pas dans cette vacuité de sens et la solitude du chacun pour soi ?
Nous sommes à l’heure du choix : voulons-nous nous diluer dans le consumérisme mondialisé et le populisme ; ou voulons-nous retrouver un sens et un élan collectif et faire de l’Europe le continent où il fait le mieux-vivre ensemble au XXIe siècle ?
Julien Marchal
Notes
[1] Seulement 54% des Français considèrent que la démocratie fonctionne bien ; sondage Harris Interactive, Les Français et la démocratie, décembre 2021
[2] « Le Baromètre de la confiance politique », Cevipof, 2022.
[3] les 18-24 ans étaient 20,8 % à être concernés par la dépression en 2021, contre 11,7 % en 2017. Source : Santé publique France.
[4] La récente décision de maintenir des droits à l’importation de batteries et véhicules chinois montre les progrès accomplis depuis 10 ans.
[5] Les aides à la PAC représentent déjà 30 à 50% des revenus des agriculteurs et éleveurs ce qui en fait certainement les professions les plus subventionnées. Source : Marie Guiton, « Qui touche les aides de la PAC ? », touteleurope.eu
[6] Particulièrement visible dans la glorification des start-uppeurs à succès et la peopolisation de la vie politique
[7] Olivier Lluansi, Réindustrialiser, le défi d’une génération, , Libres d’écrire, 2024.
[8] En sus des aides à l’investissement pour construire l’usine, des aides au fonctionnement de l’usine chaque année seront en effet nécessaires afin d’aligner le coût de production de l’usine française avec celle de ses concurrents mondiaux.
[9] Ce repli est notamment visible à travers l’Inflation reduction act ; il est aussi visible dans le discours de moins en moins favorable à la mondialisation commerciale et au repli identitaire américain.
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Publié le 17.07.2024 à 22:32
Dépenses improductives, dette publique et création monétaire
L’idée de recourir à la création monétaire pour financer les investissements nécessaires à la transition écologique se heurte à plusieurs croyances économiques. Certaines sont relatives au rôle de la monnaie. Nous avons tenté de les décrypter dans l’article Créer de la monnaie pour surmonter la crise environnementale. D’autres, relèvent de l’idée reçue courante chez les macroéconomistes selon laquelle ces investissements ne seraient pas prioritaires car ils ne contribueraient pas à l’amélioration de la productivité, considérée comme la principale source de croissance économique. Au contraire, ils auraient même un impact négatif car ils alourdiraient la dette publique. Cet article vise à remettre en cause cette idée reçue.
1/ Croissance et productivité : le discours économique.
Selon la majorité des économistes, la croissance économique (celle du PIB par habitant) d’un pays résulte de celle de la productivité des facteurs de production[1], due aux progrès scientifiques et techniques et à ceux de l’organisation du travail. A leurs yeux, les dépenses publiques à réaliser dans un pays ne devraient être que des dépenses dites « productives », où contribuant à cette croissance de la productivité[2].
Pourquoi privilégier les dépenses « productives » ?
L’idée s’explique simplement : supposons que l’économie soit au « plein emploi » des capacités productives (toutes les personnes qui souhaitent travailler ont un emploi ; dans les usines, les machines tournent à plein régime). Le PIB ne peut pas croitre plus vite que la croissance démographique sans gain de productivité.
La notion de « croissance potentielle » est liée à ce raisonnement : si le plein emploi n’est pas atteint, il y a une « réserve » de croissance ou un « écart de croissance » entre la croissance mesurée et la croissance « potentielle », (en anglais « output gap »). Cet écart peut être comblé mais en levant les freins et les rigidités qui sont supposés, dans cette vision, s’opposer à ce plein emploi (comme par exemple un SMIC trop élevé, ou des conditions trop généreuses d’aides aux chômeurs). Quant au « plein emploi » précisons qu’il ne correspond pas à un taux de chômage nul ou à un taux d’emploi de 100%, car du fait de frictions diverses, il y a un taux de chômage minimal[3] sous lequel il n’est pas possible de passer en pratique, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas toujours possible de passer instantanément d’un emploi à un autre.
Dans cette vision de l’économie, la croissance économique de moyen – long terme (toujours considéré comme un objectif central de la politique économique) résulte uniquement de ces gains de productivité.
Les dépenses publiques « improductives » n’auraient aucun effet sur l’activité économique
Cela veut dire a contrario que dans une économie en sous-emploi, un gouvernement qui mettrait au travail ces chômeurs[4] en mobilisant l’argent public pour des dépenses considérées par les économistes comme « improductives » (par exemple des travaux d’intérêt général) n’engendrerait qu’un feu de paille en termes de croissance : ces dépenses ne pourraient que creuser le déficit et la dette publics, se traduisant à terme par de l’inflation ; elles finiraient par alourdir les prélèvements obligatoires[5] et affaibliraient la compétitivité de l’économie. Seules des dépenses productives, relevant le niveau de la croissance potentielle, seraient bénéfiques. Notons que ce raisonnement s’applique aussi en creux au temps de travail : la baisse du temps de travail ne pourrait être bénéfique à l’économie que si elle se traduisait par des gains de productivité du travail.
Comment savoir qu’une dépense ou un investissement est productif ?
Il doit être « rentable [6]». Dans le secteur privé le calcul financier permet d’objectiver la notion. Un investissement est rentable pour une entreprise si son rendement financier est supérieur au coût pondéré du capital (WACC) ou si sa Valeur Actualisée Nette (calculée avec un taux d’actualisation égal au WACC ) est positive ou nulle[7].
Dans le cas des investissements publics cette rentabilité résulte d’un calcul socio-économique qui aboutit lui aussi à une VAN (voir la fiche sur le taux d’actualisation (partie 2) de la plateforme The Other Economy). En pratique néanmoins, le ministère des finances tient compte aussi du retour financier car un investissement public dont la VAN est positive ou nulle peut avoir un rendement financier négatif et peser sur le déficit et la dette publics. Le ministère des finances peut être encore plus restrictif (et ça va être le cas dans les prochaines années en France si la trajectoire budgétaire est respectée) et s’opposer même à des investissements rentables à moyen terme, s’ils pèsent trop à court terme sur le déficit[8]…
2/ La croissance du PIB ne dépend pas que de la productivité des facteurs de production.
Comme nous allons maintenant le voir, la croissance du PIB, dont nous ne discuterons pas ici de la pertinence en tant qu’indicateur de « bien-être social »[9], n’est pas toujours due à la productivité des facteurs de production qui, inversement, peut ne pas générer de croissance.
2.1 La productivité des facteurs de production peut ne pas se traduire en croissance économique.
La mécanisation et plus généralement le progrès technique (automatisation, informatisation, robotisation) ont deux effets immédiats, toutes choses égales par ailleurs :
- ils suppriment des emplois,
- ils réduisent la part des salaires dans la production.
Ce n’est pas pour rien qu’ils ont toujours suscité[10] l’angoisse de la destruction d’emplois et de l’augmentation du chômage. Mais l’histoire a aussi montré que les choses ne sont pas « égales par ailleurs ».
i/ Les gains de productivité ont été en partie partagés (entre les patrons et les salariés, et grâce aux combats des salariés et de leurs représentants) et du coup ont généré une croissance du pouvoir d’achat. Mais cette répartition n’est pas une loi naturelle[11] et peut se déformer fortement en défaveur des salariés (c’est ce qu’on constate dans les vingt dernières années en Europe[12] ).
ii/ Les entreprises ont inventé des nouveaux produits et services permettant à ce pouvoir d’achat de se transformer en consommation et créant de nouveaux emplois. C’est ainsi que la part de la population active occupée dans l’agriculture s’est réduite massivement dans les pays « développés » et que nombre de « petits métiers » ont disparu, remplacé par des machines, tandis que nombre de nouveaux secteurs et métiers sont apparus. C’est ce qu’Alfred Sauvy a nommé le « déversement[13] ».
iii/ La durée effective du travail par actif a considérablement été réduite aux XIX e et XX e siècles.
Mais ces trois mécanismes ne sont pas automatiques.
Dès lors, il se peut que les gains de productivité ne se traduisent pas en « déversement » et ne s’accompagnent pas de croissance du PIB. Citons les économistes Daron Acemoglu[14] et Simon Johnson, qui ont approfondi ce sujet : « Contrairement à la croyance populaire, la croissance de la productivité ne se traduit pas nécessairement par une augmentation de la demande de main d’œuvre. (…) Au cours des quatre dernières décennies, l’automatisation a augmenté la productivité et multiplié les bénéfices des entreprises, mais elle n’a pas conduit à une prospérité partagée dans les pays industrialisés. »[15]
2.2 La croissance s’explique par d’autres facteurs que la productivité des facteurs de production.
Il n’y a en fait pas de théorie unifiée explicative de la croissance économique. Nous allons nous limiter ici à quelques faits.
-Pendant des siècles et dans de nombreux pays, il n’y a pas eu de croissance du PIB (ou assimilée dans le cas où le PIB n’était pas formellement établi par l’appareil de statistiques publiques). Elle suppose là où elle est observée, la réalisation de nombreuses conditions sur de nombreux registres : scientifique, technologique, éducatif, culturel, juridique, social, institutionnel et politique, mais aussi en termes d’infrastructures et bien sûr en termes d’accès aux ressources naturelles au premier rang desquelles l’énergie.
-Elle suppose donc de fait beaucoup de dépenses « improductives » (les dépenses publiques courantes dans l’éducation, la santé, la sécurité…) et aussi des transferts sociaux qui le sont tout autant.
-La croissance du PIB peut résulter de destructions du capital naturel ou du capital artificiel comme on l’observe dans les périodes de reconstruction après des guerres, des séismes ou autres catastrophes naturelles. Elle s’accompagne par ailleurs aujourd’hui très généralement de prélèvements détruisant le capital naturel.
-Elle peut s’observer dans une économie de guerre, particulièrement improductive dans tous les sens du terme : les armes et le matériel militaire ne sont évidemment pas facturés aux ennemis contre lesquels ils sont utilisés ; et ils détruisent des humains, du capital productif et des ressources naturelles. Ces destructions de capital sont en outre autant d’opportunités d’activités en sortie de conflits.
3/ Des dépenses dites « improductives » doivent être financées, en particulier pour limiter l’ampleur et les impacts du changement climatique et de la destruction du vivant.
Nous vivons un tournant dans l’histoire économique et sommes face à une véritable bifurcation. Si nous n’investissons pas pour transformer nos économies de sorte qu’elles soient sobres, bas-carbone et résilientes au changement climatique, nous connaîtrons des catastrophes, des désordres politiques et des désastres humanitaires, des conflits sociaux et des guerres. Les causes en sont le changement climatique, la destruction des ressources naturelles dont nous dépendons pour nous nourrir et plus généralement pour toute notre vie économique, notre dépendance aux énergies carbonées et la détérioration croissante de notre balance commerciale. Tous ces effets ne laissent présager rien d’autres que la décroissance généralisée (à de nombreux pays) de notre bien-être social et…du PIB.
Il faut donc bien financer ces dépenses pour préserver la croissance potentielle, ce qui n’est pas du tout pris en considération dans le raisonnement standard exposé au §1 ci-dessus.
En effet, au plan économique, les investissements en question sont soit vu comme improductifs (comme ceux relatifs à l’adaptation au changement climatique, à la préservation de la biodiversité, au maintien en l’état de la disponibilité des ressources – comme l’eau) soit comme peu rentables (comme la rénovation énergétique des bâtiments, sauf à faire croître massivement le prix de l’énergie, au moins dans sa composante carbone).
Ainsi, ces investissements ne peuvent être financés entièrement par la voie privée puisque ni les calculs de VAN ni les calculs de rendement financier ne permettront de les justifier. La période de vaches budgétaires maigres qui s’annonce aura de plus pour effet de réduire leur financement, même partiel via des subventions, par fonds publics.
4/ Changer de boussole : privilégier la productivité des ressources naturelles (énergie, matière, terre) sur la productivité du travail.
Les dépenses dites improductives le sont à l’aune du travail. Pendant des millénaires, la préoccupation de l’humanité a été la lutte contre la famine, formulée de manière frappante, même si un peu simpliste par Thomas Malthus. La démographie augmente de façon exponentielle alors que les ressources disponibles ne croissent que de manière linéaire. La productivité du travail semble être alors la seule solution pour vaincre cette fatalité. Il faut avoir en tête les gains fabuleux de productivité, chiffrés par l’économiste Jean Fourastié, pour saisir en profondeur ce que cela veut dire, et ne pas balayer d’un revers de la main ses progrès considérables. Pour autant, aujourd’hui la ressource rare n’est plus la main d’œuvre, même si l’affaiblissement de la démographie dans les pays développés et certains « émergents » comme la Chine pourrait nous ramener à ce type de problème dans quelques décennies.
Nous sommes face à des tensions croissantes sur les ressources naturelles, causes actuelles de l’inflation et sources prochaines de pénurie si nous n’y prenons pas garde. Il nous faut donc valoriser leur productivité ; l’agriculture de demain par exemple devra être écologiquement productive et intensive. Ceci veut dire que nous devons changer nos ratios : la numérateur sera toujours la production (de qualité si possible) mais les dénominateurs pertinents ne seront plus la main d’œuvre mais les surfaces au sol, l’énergie, les intrants (eau, engrais, pesticides).
Nous sommes aussi face à des excès d’émissions de gaz à effet de serre et de polluants, ce qui revient à des tensions sur une ou plusieurs limites planétaires (dont la capacité de l’atmosphère et de la biosphère à réguler le climat et dont les ressources vivantes impactées par les pollutions et l’exploitation excessive).
Si les valeurs monétaires de ces ressources et « régulations » résultant du marché sont inadaptées, ces ratios ne seront pas de bonnes boussoles. Il faut donc une intervention publique pour ce faire. Et dans un premier temps cela peut passer par leur financement public, étant entendu qu’il est possible de faire des calculs de valeur économique, non marchand, pour aider le public à faire des arbitrages, sans pour autant que cela se traduise financièrement. Pour prendre l’exemple du carbone, l’État et les collectivités territoriales peuvent utiliser dans leur calcul socio-économique une valeur du carbone telle que calculée par des commissions ad hoc. Cela ne se traduira pas financièrement mais aidera les acteurs publics à orienter leurs dépenses.
5/ Ces dépenses ne peuvent être financées que par création monétaire publique.
Dans cette conjoncture, que Jézabel Couppey-Soubeyran et ses coauteurs appellent le « triangle infernal des finances publiques »[16], la seule solution pour que ces dépenses soient financées, c’est le recours à la création monétaire publique (sans dette à rembourser en contrepartie). C’est le seul moyen qui permette de financer des dépenses sans besoin de remboursement. Le bilan de la banque centrale pourrait être en théorie équilibré (avec à l’actif une dette perpétuelle ou quasi, comme l’ont proposé entre autres Daniel Cohen et Nicolas Théry dans une tribune au Monde[17]). S’il ne l’était pas (en supposant par exemple qu’il faille absolument amortir cette dette) peu importe fondamentalement[18] car une Banque centrale peut fonctionner avec des fonds propres négatifs, précisément parce qu’elle a le pouvoir de création monétaire, auquel les principales banques occidentales ont fait appel dans les opérations de Quantitative Easing[19] . Il y faut seulement bien sûr des limites et un cadre bien défini, du doigté et une bonne communication pour éviter tout risque de spéculation sur la valeur de l’euro en expliquant au marché que les opérations financées sont précisément faites pour rendre la zone Euro plus résiliente et, dans le langage économique habituel, de nature à combler l’output gap qui se creuserait sans ces dépenses.
Nous ne rentrerons pas ici dans la question des modalités qui permettraient de réaliser ce financement tout en restant dans le cadre des traités européens[20].
6/ Bien choisies et dimensionnées, ces dépenses ne sont pas nécessairement inflationnistes et peuvent s’accompagner d’une non-décroissance du PIB voire de sa croissance.
L’idée que la création de monnaie centrale (ou publique) par opposition à la monnaie scripturale créée par les banques commerciales est nécessairement inflationniste, n’est rien de plus qu’un dogme sans fondement dans sa généralité[21].
En un mot, elle repose d’une part sur l’opinion que la création de monnaie serait neutre : elle n’aurait donc aucun autre effet sur les quantités produites et ne se traduirait que par une hausse des prix. Elle repose d’autre part sur l’idée que les citoyens, connaissant et acceptant la validité de l’opinion précédente, anticiperaient donc cette hausse des prix attendue en épargnant annulant ainsi les effets de relance induits par un financement monétaire.
Dans les faits, ces deux assertions sont fausses : tant que les capacités de production ne sont pas saturées une commande publique crée de l’emploi et distribue des revenus qui seront eux-mêmes en partie redépensés (en investissements ou en consommation)[22]. Par ailleurs, dans la pratique, les citoyens n’anticipent pas ces supposés effets futurs.
Un raisonnement plus sophistiqué est parfois mis en avant : des anticipations inflationnistes auraient lieu sur les marchés financiers ce qui ferait croître les taux d’intérêt de long terme[23]. Dès lors, ce financement monétaire se traduirait in fine par une hausse du service de la dette publique, réduisant les marges de manœuvre supposées libérées par le financement monétaire. Là à nouveau l’argument n’est pas convaincant : l’appétit des marchés financiers pour la dette publique repose avant tout sur sa soutenabilité qui serait bien plus assurée par la réalisation des investissements publics envisagés que par l’attentisme et une soi-disant rigueur budgétaire aboutissant au chaos.
Dès lors on peut bien s’attendre à ce que des dépenses dites improductives ainsi financées soit source de croissance du PIB et dans tous les cas susceptibles d’en limiter la baisse, comme on l’a expliqué au paragraphe 3.
Alain Grandjean
Notes
[1] La productivité d’un facteur de production (capital ou travail par exemple) est le rapport entre la production réalisée et le facteur utilisé pour cette production. En pratique, la productivité du travail est plus facile à cerner : c’est le rapport des heures travaillées sur le PIB.
[2] Dans les modèles les plus courants de type « Cobb-Douglas » et à la suite de Robert Solow, les économistes estiment un coefficient dit « productivité globale des facteurs » (PGF). Cette variable n’a pas de réalité concrète et n’est pas observable, contrairement à sa dénomination. Ce n’est en particulier ni un ratio de productivité, ni une moyenne… C’est ce qui a été appelé un « résidu » c’est-à-dire un coefficient nécessaire pour faire coller une fonction de production de type Cobb-douglas avec les données empiriques ; c’est ni plus ni moins un artefact pour masquer notre ignorance, l’équivalent des épicycles dans la théorie géocentrique qui s’imposait avant la révolution copernicienne… La PGF est pourtant couramment utilisée par les économistes comme dans cet article: https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/10/05/chacun-cherche-sa-croissance-potentielle.
[3] Nous ne rentrerons pas ici dans les débats de fond sur l’existence d’un taux de chômage naturel ou d’un taux de chômage ne générant pas d’inflation (le NAIRU) qui sont des concepts abstraits et inobservables pourtant utilisés dans la conception des politiques budgétaires.
[4] Ou ferait passer les travailleurs à temps partiel à temps plein.
[5] Du fait de l’équivalence ricardienne entre endettement public et impôt.
[6] Que rentable soit synonyme de productif se discute évidemment mais nous éluderons ici ce débat pour rester plus global.
[7] Pour comprendre ce qu’est le WACC et la VAN voir la fiche sur le taux d’actualisation sur la plateforme The Other Economy.
[8] Dans le calcul duquel, rappelons-le, les investissements sont comptabilisés comme des dépenses courantes et pas amortis.
[9] Pour en savoir plus sur ce sujet consultez l’article Le PIB n’est pas un bon indicateur de santé économique et sociale sur la plateforme The Other Economy.
[10] Voir cet extrait d’un article de Gilbert Cette et Eric Chaney paru dans Telos : « Dans un célèbre article publié en 2015, Joel Mokyr, Chris Vickers et Nicolas L. Ziebarth ont montré que cette crainte a été récurrente depuis les premières révolutions industrielles. On en trouve par exemple l’expression dès la fin du XVIIIe siècle au Royaume-Uni sous la plume de Thomas Mortimer (1772). Cette crainte a pu d’ailleurs prendre dans le passé des formes assez violentes. La lutte contre les machines qui détruirait des emplois est parfois nommée le « luddisme » ou « néoluddisme », en référence au conflit des années 1811-1812 ayant violemment opposé au Royaume-Uni, dans le secteur du textile, des artisans à des employeurs qui recourraient de plus en plus à des machines économisant des travailleurs. »
[11] L’idée reçue selon laquelle le salaire devrait être égal à la productivité marginale du travail et la rémunération du capital à celle du capital est fausse dans sa généralité. Sa « démonstration » repose sur une représentation simplifiée et fausse de l’économie. Voir par exemple cet article de Philippe Askhenazy, Productivité marginale du travail : entre théories, outils et idéologies. Regards croisés sur l’économie 2020/2 (n° 27), pages 88 à 96
[12] Voir par exemple L’article Le partage global de la valeur ajoutée entre salaires et profit, Lafinancepourtous.com
[13] Dans son ouvrage La machine et le chômage publié en 1980. Il donne parmi bien d’autres l’exemple des porteurs d’eau, très nombreux à Paris au tout début du XXe siècle (il évoque le chiffre de 20 000), dont les emplois ont été détruits par l’installation de réservoirs et canalisations.
[14] Professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, co-auteur avec Simon Johnson, de Power and Progress: Our Thousand-Year Struggle Over Technology and Prosperity, Basic Books, 2023.
[15] Extrait de l’article « Rééquilibrer l’intelligence artificielle », publié dans la revue du FMI Finances & Développement, 2023.
[16] A savoir : la concurrence fiscale européenne qui empêche la hausse des prélèvements les règles budgétaires qui limitent le déficit donc les dépenses publiques, et le ratio d’endettement qui plafonnent le recours à un financement « externe » privé ou autre. Voir Le pouvoir de la monnaie, transformons la monnaie pour transformer la société. LLL. 2024. Pages 253 et suivantes.
[17] Voir Il faut financer la crise et les investissements climatiques avec une dette de très longue durée à 50 ou 100 ans, voire perpétuelle, Tribune de Daniel Cohen, Le Monde, 200
[18] Voir l’article « Créer de la monnaie pour surmonter la crise environnementale » paru dans Variances et sa bibliographie. Voir également article de Jézabel Couppey-Soubeyran, Faut-il s’inquiéter des pertes des banques centrales ?, The Conversation (2022)
[19] Voir la fiche Comprendre le quantitative easing sur la plateforme The Other Economy.
[20] Voir l’article paru dans Variances et sa bibliographie. https://variances.eu/?p=8032
[21] Voir la fiche Inflation et monnaie sur la plateforme The Other Economy.
[22] Pour en savoir plus voir la fiche sur le multiplicateur de dépenses publiques sur la plateforme The Other Economy
[23] Qui ne sont pas fixés par la Banque centrale comme les taux d’intérêt directeurs à court terme mais bien sur les marchés
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Publié le 04.07.2024 à 22:32
Perte du sens commun et néotribalisme
L’actualité politique est intense dans le monde tout le long de l’année 2024, la moitié de la population mondiale étant concernée par une élection1, que ce soit en Europe, en Inde, en France, aux États-unis, en Afrique… La montée des régimes dits populistes ou d’extrême-droite est préoccupante. Je vais aborder cette question sous un angle a priori déconcertant mais qui me semble fondamental, celui de notre rapport aux vérités « élémentaires », les vérités de fait. J’essaierai de montrer que l’effritement de notre sens commun, celui qui nous fait reconnaître un chat d’un chien, est une cause non négligeable de la montée de ces régimes régressifs, qui constituent une forme de néotribalisme. J’en déduirai un antidote assez évident à ce péril.
L’importance cognitive des évidences tautologiques ou de fait
L’énoncé de la célèbre lapalissade « Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie », et de tautologies du même acabit provoquent parfois un léger sourire de mépris. Ne serions-nous pas bien au-dessus de cette « logique primaire », c’est-à-dire inférieure et à usage du bon peuple, incapable de raisonnements plus sophistiqués, la marque des esprits forts et éduqués ?
Je vais montrer que, bien au contraire, cette logique primaire est d’une part, la fondation de notre appréhension du réel et de notre pensée, et, d’autre part, le ciment de notre cohésion sociale. Les adversaires des « évidences » sont des pourfendeurs de la clarté intellectuelle, les chantres de l’amalgame et du confusionnisme. Et ils contribuent à la constitution de « tribus », de plus en plus incapables de se comprendre voire d’échanger, et, dès lors, à la désagrégation du corps social, ce à quoi contribue la montée des régimes « populistes ».
Commençons par les enjeux cognitifs.
Le langage verbal2, comme la conscience3 dont il est l’expression, sont des attributs humains spécifiques4. Il est source infinie de lapalissades : un chat est un chat et n’est pas un chien etc.
Il y a trois catégories d’évidences :
En mathématiques elles sont légion, par exemple : si a=b alors b=a.
La révolution scientifique, marquée par la découverte de l’héliocentrisme et des lois de la mécanique au XVIè et XVIIè siècles, puis son extension à tous les domaines de la physique et de la biologie, nous ont rendus capables d’esprit critique et de discernement entre savoirs, opinions ou croyances, et hypothèses7.
Elle est aussi à l’origine de la réalisation du rêve prométhéen qui hante notre culture occidentale, celui de devenir maître et possesseur de la Nature. Et en effet la puissance qu’a acquis l’espèce humaine est devenue extraordinaire, grâce à la science – et c’en est même l’une des preuves les plus patentes de l’adéquation des procédures scientifiques à la connaissance du réel. Elles ont été mobilisées en vue de la réalisation de ce rêve prométhéen, dont nous découvrons tardivement le caractère funeste, mais cela n’est en rien une nécessité (de nombreuses sciences ont pour but essentiel de comprendre les phénomènes naturels, pas d’agir sur la Nature), ni une fatalité.
Mais cette révolution scientifique est aussi une révolution culturelle et politique. Elle nous a permis de ne plus être soumis à une autorité humaine, dépositaire de la vérité, qu’elle soit religieuse, ethnique ou politique. Nous sommes devenus capables de reconnaître des faits, qu’ils soient d’observation (qu’on pense à l’anatomie, l’astronomie ou la botanique), ou d’expériences (comme en mécanique ou en physique des particules), et ce indépendamment de la personne -et de son pouvoir- qui énonce les dits faits.
Pour autant, dans les pays raisonnablement démocratiques8, nous ne sommes pas irréversiblement rentrés dans l’ère de la raison, opposée à celle de l’obscurantisme qui la précédait et où l’on pouvait croire profondément à la sorcellerie et applaudir à l’exécution des sorcières et autres hérétiques9. D’une part, dans de nombreux domaines, comme celui des sciences humaines et sociales -économie comprise- règnent toujours les opinions plus ou moins étayées ou étoffées d’argumentations ad hoc10.
D’autre part et plus généralement, ces dernières décennies nous ont montré qu’il s’agissait d’une conquête collective jamais définitive. L’ex-président des Etats-Unis, Donald Trump, s’est fait le champion des « faits alternatifs », c’est-à-dire de la contestation des faits d’évidence ; l’exemple bien connu est celui de sa cérémonie d’investiture dont il a déclaré qu’elle a attiré « la plus grande audience à avoir assisté à une investiture, point final. » Or toutes les données disponibles démontraient que cette affirmation est indiscutablement fausse.
Les fake-news et les besoins de « débunkage » n’ont jamais été aussi élevés. Mais ce mouvement ne se limite pas aux vérités de fait. Il concerne aussi le sens des mots et le refus de la logique primaire. L’amalgame et la confusion s’installent de plus en plus dans nos esprits si nous n’y prenons pas garde. Les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans cet abrutissement11, à la fois en répandant des contre-vérités et des confusions, et en contribuant à la création de communautés (voir point suivant).
Enfin ce mouvement régressif concerne aussi les faits scientifiques ; il existe des « platistes » revendiqués, des collectifs niant le voyage de l’homme sur la Lune, ou croyant à l’idée que les traînées d’avion (les « chemtrails »12) sont toxiques, tout comme des négateurs du réchauffement climatique ou des effets destructeurs des pesticides. La liste est longue des faits scientifiques contestés par des groupes humains qui s’échinent à en démontrer la fausseté, même quand ils sont établis solidement depuis longtemps et après avoir subi tous les tests possibles de réfutation.
Cette contestation des faits scientifiques n’est pas anecdotique ; pour le changement climatique c’est même une cause de tragédie annoncée ; dans d’autres domaines, comme par exemple le refus de prendre en considération les preuves de l’efficacité de certains vaccins, cela devient un problème de santé publique etc.
Il ne s’agit pas ici de donner à penser que les scientifiques ont toujours raison et qu’il faut suivre aveuglément leurs conclusions. Il s’agit d’attirer l’attention sur l’importance parfois vitale de la reconnaissance de faits scientifiquement établis.
Le néotribalisme
Le refus des évidences se fait toujours dans des communautés humaines (physiques ou virtuelles -via les réseaux sociaux) qui le partagent. À mesure que ces communautés se constituent, que ses membres se reconnaissent et échangent ensemble, elles s’isolent des autres (dans leur domaine de conviction ou de croyance), au point de ne plus pouvoir dialoguer, voire jusqu’à s’insulter, se haïr et s’entre-déchirer. Les gourous de tous poils savent isoler leurs disciples des influences extérieures, familiales pour commencer, et ont un talent quasi surnaturel pour les conserver sous leur emprise. Les chefs de gangs ou de clans mafieux savent faire régner la terreur et la loi du silence dans le même but. Au sein des réseaux sociaux, les adeptes d’une thèse ne cessent de se nourrir de propos qui les confortent dans leurs opinions, et se rassurent mutuellement par l’effet de « tribu ». Ces comportements sont amplifiés par les gestionnaires de réseaux car, comme le dit Gaël Giraud13 : « Les algorithmes de sélection de l’information et de « nudges » (c’est-à-dire, de « coups de pouce » destinés à orienter votre comportement devant l’écran) polarisent les internautes dans des « bulles » digitales, identitaires, peu reliées entre elles et dont la violence mimétique ‒ quelques « influenceurs » dictent au plus grand nombre de la tribu ce qu’il faut penser ‒ finit par tenir lieu de « débat » démocratique. »14
Cette tendance au tribalisme ou re-tribalisation15, selon le terme proposé par Amin Maalouf16, est une forme de retour à une situation sociale si ce n’est originelle à l’humanité, au moins largement généralisée pendant des siècles voire des millénaires. Les communautés primitives (pour autant qu’on puisse le savoir en observant les peuples premiers) sont structurées en tribus, dont les relations mutuelles sont variées. Ce tribalisme n’est évidemment pas né du refus de la logique primaire mais est, d’une part, issu des organisations sociales animales antérieures17 et, d’autre part, de besoins spécifiques aux humains18. L’être humain est en effet caractérisé, et c’est un point sur lequel le sociologue Bernard Lahire19 insiste fortement, « par une « altricialité » primaire (le nouveau-né n’est pas immédiatement compétent et a besoin du soutien de son entourage, le cerveau à la naissance atteignant à peine 25 % de sa taille adulte), mais aussi par une altricialité secondaire, c’est-à-dire que la croissance du cerveau s’effectue essentiellement après la naissance et durant une période relativement longue (presque le dixième de sa durée moyenne globale). Cette spécificité d’Homo sapiens a une portée anthropologique capitale. Elle expose si fortement les cerveaux des êtres humains aux influences de leur environnement qu’ils deviennent naturellement des êtres hyper-sociaux et hyper-culturels. »20 Le soin aux bébés et aux enfants nécessite clairement une vie en groupe / tribu.
Le néotribalisme à l’ascension duquel nous assistons s’appuient sur les deux leviers, un levier émotionnel et un levier cognitif. J’insiste ici sur le levier cognitif.
Prenons quelques exemples dans l’actualité politique.
Si la peur de l’autre et le racisme ont une composante émotionnelle, ils reposent aussi sur le refus des évidences. La notion de race n’a pas de contenu biologique21 et n’a aucun sens, mais le racisme s’exprime aujourd’hui de manière plus débridée que jamais.
Le débat public fait confondre arabes et musulmans et terroristes islamistes ; juifs, Israéliens et sionistes. Toute critique de l’action du premier ministre israélien, même fondée sur les faits, est considérée comme de l’antisémitisme. Toute critique d’actions terroristes effectuées et revendiquées par des radicaux islamistes l’est comme une critique des arabes ou de l’islam. L’extrême droite se revendique d’une Histoire de la France complètement réinventée, que ce soit dans sa construction, que dans son passé plus récent. Si l’Histoire n’est pas une science exacte au sens où l’est la physique, elle permet de reconstituer des faits incontestables et de mettre en évidence, notamment, que ce pays a bénéficié d’influences extrêmement diverses (judaïques, chrétiennes, grecques, latines, germaniques, arabes etc.). La notion de français de souche n’a aucun sens. Etc.
Plus prosaïquement, la lutte du RN pour ne pas se faire étiqueter d’extrême droite, ou d’identifier le Nouveau Front Populaire à l’extrême gauche, est significative d’une dérive sémantique évidente.
Enfin, le climato-scepticisme et le refus de prendre à bras le corps la lutte contre la dérive climatique procèdent du même registre.
Dès lors que le pouvoir politique s’appuie sur un fonctionnement tribal, c’est la fin du « sens commun » et réciproquement. Le pouvoir tribal s’appuie sur le refus du sens commun et sur l’autorité du chef politique. Bienvenue dans le monde de 198422, dont voici un célèbre extrait23.
Le Parti finirait par annoncer que deux et deux font cinq et il faudrait le croire. Il était inéluctable que, tôt ou tard, il fasse cette déclaration. La logique de sa position l’exigeait. Ce n’était pas seulement la validité de l’expérience, mais l’existence même d’une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie. L’hérésie des hérésies était le sens commun. Et le terrible n’était pas que le Parti tuait ceux qui pensaient autrement, mais qu’il se pourrait qu’il eût raison.Après tout, comment pouvons-nous savoir que deux et deux font quatre ? Ou que la gravitation exerce une force ? Ou que le passé est immuable ? Si le passé et le monde extérieur n’existent que dans l’esprit et si l’esprit est susceptible de recevoir des directives ? Alors quoi ? […]
Le Parti disait de rejeter le témoignage des yeux et des oreilles. C’était le commandement final et le plus essentiel. Son cœur faiblit quand il pensa à l’énorme puissance déployée contre lui, à la facilité avec laquelle n’importe quel intellectuel du Parti le vaincrait dans une discussion, aux subtils arguments qu’il serait incapable de comprendre, et auxquels il serait encore moins capable de répondre. Et cependant, il était dans le vrai. Le Parti se trompait et lui était dans le vrai. L’évidence, le sens commun, la vérité, devaient être défendus. Les truismes sont vrais. Il fallait s’appuyer dessus. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre.
Avec la sensation qu’il s’adressait à O’Brien, et aussi qu’il posait un important axiome, il écrivit :
La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit.
Conclusion
L’attention portée au sens des mots, la distinction des opinions, des hypothèses, et des faits, le respect des résultats scientifiques établis, sont des valeurs essentielles de la communauté humaine dans son entièreté. Perdre ce sens commun, c’est se risquer à vivre sous des régimes tribaux -de plus ou moins grande envergure24– dont l’Histoire nous a montrés la violence et l’enfermement25. On pourrait penser qu’aujourd’hui, les gouvernements d’extrême droite sont de natures variées26, et se dire que celui de Giorgia Meloni, par exemple, n’est pas complètement enferré dans « l’ère de la post vérité ». On dira aussi que l’extrême droite n’en a pas le monopole. À cela deux réponses.
Tout d’abord, rappelons la phrase célèbre du même Georges Orwell : « Le pouvoir n’est pas un moyen, c’est une fin. » Rappelons ensuite que si le pire n’est jamais certain, un pouvoir qui se fonde sur le refus de la réalité finit par refuser toute opposition, puis finit par dissoudre les libertés, au premier chef desquelles la liberté d’opinion, pour rétablir l’ordre.
Faisons tout pour ne pas perdre le sens commun. « La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit. »
L’exigence permanente de l’emploi de termes précis, de la rigueur des raisonnements, le refus de positions idéologiques s’opposant aux vérités de faits, sont l’antidote le plus efficace au néotribalisme et le meilleur ferment de la construction d’un monde en commun27.
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Publié le 01.07.2024 à 14:14
Le climat aux oubliettes du Rassemblement national – Les Échos (Tribune)
Alors que la décennie est décisive en matière de lutte contre le dérèglement climatique, le Rassemblement national persiste à vouloir freiner le développement des énergies renouvelables et à remettre la responsabilité de la pollution à l’extérieur des frontières. Une position dangereuse, s’alarment Alain Grandjean et Christian de Perthuis.
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Publié le 18.06.2024 à 15:29
Idéologie, macroéconomie, investissements publics et règles budgétaires
Depuis le traité de Maastricht (1992), les règles visant à faire respecter une discipline budgétaire aux États membres se trouvent au cœur de la gouvernance économique européenne. A l’issue de plus de quatre ans de travaux, le processus de révision de ces règles vient enfin d’aboutir[1]. Malheureusement, la logique préexistante donnant la prééminence aux deux indicateurs fixés il y a plus de trente ans (déficit public < 3% de PIB et dette publique < 60% du PIB) n’a pas été remise en cause. La plupart des critiques qui avaient été formulées au début du processus de révision, n’ont pas été adressées. En particulier, les nouvelles règles resteront un frein aux investissements européens, notamment ceux dans la transition écologique. C’est ce qui ressort d’une récente étude de la Commission européenne selon laquelle les investissements publics seraient défavorables à la soutenabilité de la dette. Dans ce post, Ollivier Bodin, fondateur de l’ONG Greentervention, nous présente les principales conclusions de cette étude et nous montre à quel point elles dépendent des hypothèses pour le moins contestables qui ont été posées en entrée.
“We find , however, that economists whose main area of research is macroeconomics, public economics, international economics and financial economics are among those with the largest ideological bias.”
M. Javdani et H-J. Chang, Who said or what said ? Estimating ideological bias in views among economists, 2023, Cambridge Journal of Economics, 47, 309-339La DG Économie et Finances (DG ECFIN) de la Commission européenne vient de publier « Les implications des investissements publics sur la soutenabilité de la dette”. La date de cette publication n’est évidemment pas fortuite. Elle intervient au moment où les nouvelles règles budgétaires du Pacte de stabilité entrent en vigueur. Le titre n’est pas fortuit non plus. Alors qu’au début du processus de consultation, l’une des critiques adressées aux règles budgétaires était leurs conséquences négatives sur l’investissement public, c’est désormais la question de l’impact des investissements sur la dette qui est posée.
Les nouvelles règles budgétaires vont imposer dans de nombreux États membres des programmes de consolidation budgétaires massifs. Les États peuvent négocier de la flexibilité. Mais ils devront montrer que le programme de réformes et d’investissement qu’ils doivent soumettre avant le 20 septembre est compatible avec les objectifs de la réduction du ratio dette sur PIB et de déficit imposés par les nouvelles règles. Les pays qui ne respectent pas une des deux limites fixées respectivement au ratio dette / PIB (60%) ou au déficit budgétaire (3% du PIB) reçoivent de la Commission avant le 20 juin une trajectoire budgétaire « de référence » qui doit leur servir à orienter leur propre programme.
1. En adoptant « les hypothèses macroéconomiques habituelles », les investissements conduisent à une augmentation du ratio dette/PIB
Le message principal relayé par la DG ECFIN dans l’annonce de sa publication est que les investissements même s’ils augmentent la productivité ne s’autofinancent pas
« En l’absence d’ajustements budgétaires compensatoires[2] par le biais du solde budgétaire primaire (c’est-à-dire le solde hors intérêts), une augmentation temporaire de l’investissement public implique une augmentation durable du ratio dette/PIB. »
Dans le texte même de la publication, il est cependant spécifié que ceci vaut « sous les hypothèses habituelles ».
Une lecture attentive de la publication et une attention aux « hypothèses habituelles » conduisent cependant à relativiser la validité de l’énoncé. Il apparait que ces hypothèses comportent leur lot d’arbitraire et d’incertitudes et masquent souvent des choix politiques. Il ne s’agira pas ici de faire une discussion complète des hypothèses sous-jacentes au modèle utilisé, mais de pointer le doigt sur celles qui semblent les plus importantes pour le résultat tout en étant contestables et contestées.
Pour l’essentiel, il s’agit des hypothèses sur le coût de financement de la dette publique dans le long terme, sur la croissance tendancielle du PIB et sur les réactions de la politique monétaire à une demande accrue. Une discussion de ces hypothèses suggère la possibilité de choix portant respectivement sur un accès à des financements privilégiés de la banque centrale pour des investissements publics, notamment verts, sur les objectifs fixés en matière d’emplois et sur les objectifs de la politique monétaire.
Pour plus de détails voir partie 3.
2. Des règles budgétaires mal conçues et particulièrement inadaptées aux circonstances actuelles
La publication de la DG ECFIN souligne dans ses conclusions P. 20 deux autres limites de l’approche qui méritent d’être citées in extenso (traduction de l’auteur) car elles constituent en soi une critique sévère des règles budgétaires en vigueur dont la focale n’est que le niveau de la dette:
« Le fait que les investissements publics doivent être financés par des excédents primaires ultérieurs ne diminue en rien leur capacité à améliorer le bien-être de la société. Cela pourrait être particulièrement vrai pour les investissements qui facilitent la transition verte et contribuent à éviter les scénarios climatiques extrêmes. Si le rendement futur des investissements productifs en termes de production supplémentaire par heure de travail est supérieur au sacrifice de consommation et de temps de loisir qui doit être fait dans le présent pour réaliser l’investissement, la société s’en porterait mieux, même si l’investissement entraîne un coût fiscal au sens étroit du terme. L’analyse de ces implications en termes de bien-être est un domaine important pour des recherches ultérieures, dans lequel la présente publication ne s’est pas aventurée.
En outre, la comptabilisation appropriée des investissements climatiques nécessiterait un cadre différent. Nos résultats de simulation sont exprimés par rapport à un scénario d’équilibre bénin, alors que dans le cas des investissements verts, le scénario contrefactuel pertinent devrait sans doute présenter des dommages climatiques plus drastiques. Le choix d’un autre contrefactuel pourrait affecter la dynamique du modèle, et donc nos résultats, d’une manière non linéaire. Notre analyse actuelle ne peut saisir ces avantages environnementaux supplémentaires que de manière stylisée, en faisant varier la productivité du capital. »
Les conclusions que l’on peut tirer de la lecture de cette publication de la DG ECFIN rejoignent celles de notre analyse des modalités de mise en œuvre des nouvelles règles budgétaires (voir le blog et la note d’analyse, P. 9 à 10). Ces règles sont mal conçues et particulièrement mal adaptées aux circonstances actuelles. Ceci n’est pas étonnant car le modèle utilisé par la DG ECFIN dans sa publication appartient à la même classe de modèle « néo-keynésien » que celui définissant les modalités de mise en œuvre de règles budgétaires (même s’il est plus sophistiqué dans l’appréhension du court terme et des politiques de stabilisation). L’hypothèse centrale est qu’il existe des valeurs d’équilibre sur le long terme autour desquelles le taux d’intérêt et le taux de croissance du PIB fluctuent. Les hypothèses sur la valeur de ces paramètres sont un déterminant décisif de l’évolution de la dette. Mais ces hypothèses sont contestables et contestées. En outre, le noyau dur des règles budgétaires ne prend pas en compte le fait qu’il puisse être profitable de faire des investissements même au prix d’une hausse du taux d’endettement nécessitant de dégager ultérieurement un excédent budgétaire pour couvrir les intérêts. Ni il ne prend en compte la rétroaction entre investissements climatiques et réduction des risques et coûts de scénarios catastrophiques.
La publication de la DG ECFIN porte sur un agrégat européen. Les règles budgétaires s’appliquent au niveau national mais leur mise en œuvre s’appuie sur un modèle présentant les mêmes failles. Les réflexions qui précèdent montrent que l’élaboration des plans nationaux ne peut pas être cantonnée à des discussions entre experts des administrations publiques, mais doit bénéficier d’une délibération pluridisciplinaire et incluant des points de vue divers, y compris universitaires et de la société civile.
3. Trois « hypothèses habituelles » contestables et contestées
La publication de la DG ECFIN souligne à raison que l’une des « hypothèses habituelles » nécessaires pour valider l’énoncé est que le coût de financement de la dette publique (le taux d’intérêt à long terme) soit dans le long terme supérieur au taux de croissance tendanciel du PIB. Dans ce cas, toute détérioration même temporaire du solde budgétaire engendre un effet « boule de neige », la dette augmentant du fait des intérêts plus vite que le PIB. Cet effet doit être compensé par un excédent budgétaire supplémentaire durable.
Dans la simulation utilisée pour fonder l’énoncé, la DG ECFIN s’est rapportée aux hypothèses qu’elle utilise « habituellement » pour les projections à long terme et agréées dans des groupes de travail avec les États membres ((voir Ageing report 2024, Underlying assumptions and projection methodology, P.63-75). L’hypothèse est que le coût moyen du refinancement de la dette publique est dans le long terme égal à 2% plus le taux d’inflation auquel est assigné un objectif de 2%, soit un taux d’intérêt de 4%. Le taux de croissance du PIB en volume à long terme retenu comme hypothèse est égal à 1,2%, soit en valeur 3,2%.
L’hypothèse sur les taux à long terme est loin de faire l’unanimité chez les économistes et va par exemple à l’encontre d’une analyse récente du FMI (FMI, Avril 2023, Perspectives de l’économie mondiale, Chapitre 2). Elle mérite en tout état de cause d’être débattue alors qu’elle a des implications majeures sur l’orientation qui est donnée aux politiques budgétaires. Par ailleurs des solutions peuvent être envisagées pour dissocier le coût du financement d’investissements publics, notamment verts, des taux d’intérêt du marché. Ceci pourrait prendre la forme d’un accès direct ou indirect à un taux privilégié des Trésors publics aux financements par la BCE.
Le calcul de la croissance tendancielle nécessite de faire des projections démographiques (y compris flux migratoires), des hypothèses sur les taux de participation à l’emploi des différentes catégories de population (par âge et sexe), sur la définition du taux de chômage correspondant au « plein emploi » et sur l’évolution de la productivité. Ces calculs ont déjà donné lieu à des débats entre les économistes de la DG ECFIN et des économistes universitaires. Des contributions récentes continuent à alimenter le débat sur la définition du « plein emploi » en montrant que cette définition est toujours associée à un choix politique.
D’autres hypothèses méritant débat sont celles sur la politique monétaire. Dans le modèle, la séquence est la suivante : la hausse des investissements publics a un premier effet inflationniste ; la politique monétaire réagit à la hausse du taux d’inflation et à l’accélération de la croissance par une hausse des taux d’intérêt à court terme; ceci renverse la poussée inflationniste tout en freinant les investissements privés (voir les graphiques P. 19 de la publication de la DG ECFIN reproduits ci-dessous). L’éviction des investissements privés et le recul de l’inflation modèrent la croissance du PIB (toujours selon le modèle) ce qui pousse à la hausse le ratio dette sur PIB : « Toutefois, à mesure que les capacités d’offre s’accroissent, des pressions à la baisse sur l’inflation se développent, inversant la hausse initiale des prix induite par la demande. Cet effet modère la hausse du PIB nominal, affaiblissant l’effet dénominateur. En outre, la politique monétaire réagit à l’inflation initiale dans la zone euro en augmentant les taux d’intérêt nominaux à court terme. » (P. 11 de la publication de la DG ECFIN- traduction de l’auteur). Beaucoup dépend donc en particulier de la validité des liens estimés entre taux d’inflation demande et offre macroéconomiques, taux d‘intérêt et investissements privés Au-delà, l’opportunité d’une politique monétaire plus accommodante est aussi en discussion (voir par exemple, la position de O. Blanchard ou la note de l’OFCE).
Ollivier Bodin, Ancien haut fonctionnaire international, Fondateur de l’ONG Greentervention
Notes
[1] Le 30 avril 2024 les nouvelles règles budgétaires ont été promulguées au Journal Officiel de l’Union européenne. Il s’agit du Règlement 2024/1263 relatif à la surveillance budgétaire multilatérale, du Règlement 2024/1264 sur la correction des déficits excessifs et de la Directive 2024/1265 sur le cadre budgétaire des États européens.
[2] Note de l’auteur : cela signifie en l’absence de nouvelles taxes ou de coupe dans les dépenses publiques.
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Publié le 18.06.2024 à 13:03
Why the SBTi must abandon its offsetting proposal – Environmental Finance
The SBTi Board’s proposal to allowing carbon offsetting to achieve climate objectives is ineffective and dangerous, writes Alain Grandjean in Environmental Finance.
Ten years after its creation, the Science-based targets initiative (SBTi) has validated the climate objectives of over 4,000 companies, establishing itself as a key label for climate commitment. However, on 9 April, this year, the organisation’s Board of Trustees announced its intention to authorise the use of « Environmental Attribute Certificates », including carbon credits, to achieve Scope 3 emissions reduction targets.
This announcement has sparked indignation among many climate action players, insofar as it negates the SBTi’s raison d’être, tarnishes the credibility of companies that have complied with it, and dangerously delays the collective action needed for the ecological transition.
That is why we, the signatories of this letter and seasoned practitioners of SBTi standards, call on the organisation to abandon this development. The letter was signed by 378 people.
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