Think-tank citoyen et média indépendant
Publié le 04.09.2025 à 13:57
« Seine-Nord Europe » : 10 milliards pour un mega-canal mortifère
Mr Mondialisation
Publié le 03.09.2025 à 06:59
Référendum : ce que la suisse peut nous apprendre
Mr M.
Publié le 02.09.2025 à 09:00
Le sabotage ordinaire : l’art d’agir sans se faire remarquer
Mr M.
Publié le 01.09.2025 à 09:57
Médias de masse : leurs 5 techniques pour vous influencer
Mr M.
Publié le 29.08.2025 à 19:54
Lotus, cygogne et sanctuaire pour éléphants : les 10 bonnes nouvelles de la semaine
Maureen Damman
Publié le 29.08.2025 à 19:51
Chocolat, famine et Macron démission : les 10 actus de la semaine
Maureen Damman
Publié le 29.08.2025 à 02:09
10 clichés anti-féministes débunkés
Elena Meilune
Publié le 28.08.2025 à 08:17
Féministe, animaliste, écolo… Les nouvelles voies du rap
Maureen Damman
Publié le 27.08.2025 à 06:00
Rentrée 2025 : la République abandonne définitivement l’école
Mr M.
Publié le 26.08.2025 à 10:00
Face aux loups, le retour des chiens de bergers
Mr M.
Publié le 04.09.2025 à 13:57
« Seine-Nord Europe » : 10 milliards pour un mega-canal mortifère
Mr M.
Un canal de 107 km, près de 10 milliards d’euros engloutis, des millions de mètres cubes d’eau pompés : le projet Seine-Nord Europe (CSNE) est présenté comme le « chantier du siècle » par ses promoteurs. À l’heure où la France fait face à l’urgence climatique, ce canal ressemble moins à une transition qu’à une fuite en avant logistique au service de l’agro-industrie et du commerce mondialisé.
Le CSNE serait une alternative écologique à la route, un maillon essentiel pour relier la Seine aux ports titanesques d’Anvers et de Rotterdam.
Mais derrière ces « promesses vertes » se cache une réalité bien plus sombre : destruction de terres agricoles, accaparement de l’eau, biodiversité menacée et gouffre financier. Décryptage.
L’illusion écologique aux commandes
La construction du canal Seine-Nord Europe est justifiée, en théorie, par ce que les technocrates appellent le « report modal » : transférer une partie du fret routier vers le fluvial, supposément plus écologique. Les défenseurs du canal avancent ainsi qu’il permettrait une réduction des camions sur l’autoroute A1, et plus de péniches sur l’eau.

En pratique, la promesse est trompeuse. Le canal ne transportera pas les biens de consommation courants que l’on trouve habituellement dans les camions, mais surtout des matériaux lourds comme les granulats, ou des productions agro-industrielles vouées à l’export.
« le projet nécessiterait plus de 8 millions de trajets de camions supplémentaires par an pour alimenter les quais du canal ».
Pire : loin de réduire la circulation routière, le projet nécessiterait plus de 8 millions de trajets de camions supplémentaires par an pour alimenter les quais du canal. L’effet net pourrait donc être une hausse des flux routiers, et non leur diminution.
D’autre part, plutôt que de soutenir la petite batellerie existante, le projet pousse les transporteurs à investir dans des bateaux géants au gabarit du canal, creusant l’écart entre les gros acteurs de la logistique et les bateliers indépendants déjà fragilisés. Dans le même temps, le fret ferroviaire, déjà marginalisé, est sacrifié, alors qu’il constitue une solution beaucoup plus sobre en carbone et en infrastructures. Bref, un greenwashing logistique grandeur nature.
Un gouffre financier payé par les citoyens
Au-delà de l’écologie de façade, le projet est d’abord une saignée financière. Le coût estimé s’élève à près de 10 milliards d’euros d’argent public. Un chiffre vertigineux, justifié par ses promoteurs au nom d’une rentabilité future… que la Cour des comptes européenne a elle-même jugée « irréaliste ». L’argent des contribuables sert donc ici à subventionner un mégaprojet qui profitera avant tout aux grands groupes du BTP et aux multinationales de l’agro-industrie.
Dans un contexte de services publics en crise – hôpitaux sous-financés, écoles délabrées, trains supprimés – le contraste est saisissant. Alors que les moyens manquent cruellement pour répondre à l’urgence sociale et écologique, on choisit d’investir des milliards dans un canal au bénéfice discutable. Et comme d’habitude, riverains et contribuables ne sont que peu mis au courant des conséquences néfastes de ce mégaprojet sur leur lieu de vie et sur leurs impôts.
Eau, terres et biodiversité sacrifiées
Le chantier n’est pas seulement coûteux : il est dévastateur pour le vivant. Pour remplir le canal et son bassin réservoir, il faudra stocker 35 millions de m³ d’eau – l’équivalent de 55 fois la mégabassine de Sainte-Soline. Dans une région, celle des bassins versants de l’Oise, déjà marquée par les sécheresses, cela risque d’assécher les nappes phréatiques et d’aggraver les conflits d’usages entre agriculture, habitants et industrie.
« le projet implique la destruction de plus de 3000 hectares de zones agricoles et naturelles, parmi les plus fertiles de France ».
Côté terres, le projet implique la destruction de plus de 3000 hectares de zones agricoles et naturelles, parmi les plus fertiles de France. Au total, ce seront 78 millions de m3 de terre qui seront terrassées : les plus grands travaux jamais réalisés en France.

En d’autres termes, des paysages remodelés à coups de bulldozers, alors que nous avons plus que jamais besoin de protéger les sols nourriciers. La biodiversité paiera également le prix fort : près de 200 espèces protégées sont menacées par la destruction de leurs habitats, tandis que l’Oise, partiellement rebouchée et déplacée, subira une transformation radicale.
Un projet d’un autre temps
Le canal Seine-Nord Europe a été déclaré d’utilité publique il y a plus de 17 ans. Depuis, le monde a changé : crise climatique, raréfaction de l’eau, urgence à réduire les émissions. Pourtant, aucune étude actualisée, aucun nouveau débat citoyen n’a eu lieu. Les avis défavorables émis par plusieurs organismes d’État (CNPN, OFB, Cour des comptes, IGF) ont été soigneusement ignorés.
Ce projet incarne la persistance d’un modèle productiviste hérité du XXe siècle : celui d’une France transformée en plaque logistique pour le commerce mondialisé. La Picardie devient encore une fois un « territoire servant », sacrifié pour fluidifier les flux entre la capitale et les ports du nord. À l’heure où l’urgence écologique impose de relocaliser la production et de réduire les transports inutiles, ce mégacanal se barde d’un anachronisme criant.

Des alternatives existent
Pourtant, d’autres voies possibles existent : moderniser et renforcer le fret ferroviaire, réhabiliter les canaux existants, utiliser le port du Havre plutôt que de dépendre des géants d’Anvers et de Rotterdam, relocaliser les flux de marchandises et l’alimentation. Autant de solutions moins coûteuses, moins destructrices, et bien plus alignées sur les impératifs climatiques qui devraient guider nos décisionnaires.
Plutôt que de sacrifier des milliards et des hectares pour une utopie logistique, pourquoi ne pas investir dans une véritable transition écologique, qui favorise la proximité, la sobriété et la résilience ?
Derrière de beaux discours sur l’écologie se cache une mécanique bien connue, où l’argent public sert les intérêts privés, où la nature est réduite à une variable d’ajustement pour fluidifier des flux commerciaux absurdes. À l’heure où chaque euro devrait être investi pour préparer un avenir viable, ce mégaprojet illustre jusqu’à la caricature l’aveuglement d’un système incapable de rompre avec le béton et la mécanique mondialisée.
Fin août, une vingtaine de militants ont pris la route à vélo pour retracer le parcours du mégacanal et rencontrer les riverains. Une mobilisation relayée par les Soulèvements de la Terre aura également lieu en Picardie le week-end des 10-12 octobre. Un seul mot pour nous rallier tous·tes : Mégacanal, non merci !
– Emilie Fenaughty
Image d’entête Canal Rotterdam @mitchell nijman/Unsplash
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Référendum : ce que la suisse peut nous apprendre
Mr M.
Les élections présidentielles de 2017 et de 2022 furent le théâtre d’un malaise collectif qui ne fait que progresser. Abstention record, montée de l’extrême droite, surmédiatisation de certains candidats. À l’aune du mouvement social du 10 septembre, que reste-t-il aujourd’hui, en 2025, de la démocratie française ?
La France, pays autoproclamé des droits humains et de la démocratie, semble accumuler les lacunes en matière de représentativité. La remise en question de notre modèle démocratique, amorcée bien avant le soulèvement des Gilets jaunes en 2018, n’a cessé de gagner en intensité. Et quand on regarde du côté de nos voisins suisses, on comprend vite que tout n’est qu’une question de perspective.

La singularité suisse
Précisons d’emblée qu’il n’existe aucun système démocratique parfait — la Suisse ne fait pas exception. La démocratie est une expérience collective propre à chaque histoire nationale, évolutive par nature. Mais les institutions rigides peinent à se transformer, à moins de mouvements populaires ou de ruptures profondes.
Dans ce cadre, la Suisse apparaît comme un contre-modèle intéressant. Là où la France repose sur une démocratie majoritaire fortement présidentialisée, les Suisses se sont dotés d’une démocratie consociationnelle, fondée sur le pluralisme permanent.
Le gouvernement, le Conseil fédéral, est composé de sept membres élus par le Parlement, représentant les principales forces politiques du pays. Il n’y a pas de parti d’opposition permanent, mais un principe de consensus. Ce système, combiné à une démocratie directe très développée, permet un équilibre rare entre institutions et citoyens.

Trois leviers de démocratie directe en Suisse
Les Suisses sont appelés à voter tous les trois mois sur des sujets législatifs, constitutionnels ou internationaux. La démocratie y est donc vivante, rythmée, et contraignante pour les élus.
Depuis 1848, ils ont voté près de 600 fois, renforçant un modèle où les lois priment sur les figures politiques. Une différence fondamentale avec la France, où le pouvoir personnel reste central.
Une France conservatrice à la traîne
Avec cet arsenal, le peuple suisse dispose d’un pouvoir réel : abrogatif, consultatif et d’initiative. En France, la Constitution prévoit un seul référendum, à l’initiative du Président ou du Parlement. Le citoyen n’est qu’un spectateur, qui n’a d’autre choix que d’attendre l’élection suivante.
Un tel fonctionnement, inadapté à l’accélération du monde, ne peut qu’alimenter abstention, frustration et colère populaire.
Il n’est donc pas étonnant que les mobilisations de ces dernières années (Gilets jaunes, retraites, climat, inflation…) aient en commun une chose : la demande de représentativité réelle. Et si on se demande pourquoi les Français manifestent davantage que les autres peuples européens, il suffit peut-être de regarder leurs institutions.
L’illusion du « référendum d’initiative partagée »
Depuis 2015, le Référendum d’initiative partagée (RIP) existe théoriquement. Mais il nécessite l’accord de 1/5 des parlementaires et de 10 % du corps électoral — autant dire une mission impossible. Ce n’est donc ni populaire, ni vraiment une initiative citoyenne.
Comme le souligne le sociologue Antoine Bevort sur Reporterre, la France conserve une vision extrêmement restrictive du droit démocratique :
« Le référendum dit d’initiative partagée n’a rien d’un droit citoyen. Il est contrôlé par les parlementaires. En Suisse, 1 à 2 % des électeurs suffisent pour lancer un référendum, sans intervention politique. Depuis 1891, la Suisse a organisé 184 référendums d’initiatives. En France, aucun. »
Un système suisse sans faille ? Bien sûr que non.
Le modèle helvétique est-il exempt de défauts ? Certainement pas.
- un quart de la population suisse ne dispose pas de la nationalité et est donc exclue du vote fédéral
- Les lobbies économiques utilisent la démocratie directe comme levier d’influence.
- Des groupes réactionnaires s’en servent pour lancer des votations populistes ou discriminantes.
Le référendum peut aussi devenir un outil de manipulation, surtout quand la formulation des questions prête à confusion. Et comme tout vote binaire, il peut réducteur, voire injuste.
Une démocratie à réinventer, pas à copier
L’exemple suisse n’est pas une panacée, mais il nous rappelle une chose essentielle : la démocratie n’est pas un slogan. Elle repose sur la capacité réelle des citoyens à agir sur la loi, pas seulement à choisir qui les représentera.
À ce sujet, l’historien Pierre Rosanvallon insiste sur une distinction importante :
« Il faut aller au-delà du simple référendum. La démocratie participative, ce n’est pas seulement corriger la représentative, c’est associer les citoyens à la délibération, à l’information, à la reddition de comptes. C’est une démocratie interactive. »
Le 10 septembre 2025 comme signal faible ?
Le mouvement social qui s’annonce, né autour des enjeux démocratiques, sociaux et environnementaux, pose une nouvelle fois la question centrale : quelle place pour le citoyen dans le système politique français ?
Alors que le pouvoir exécutif reste verrouillé, les institutions essoufflées et la participation électorale en chute libre, la démocratie interactive défendue par l’historien Pierre Rosanvallon, face à cette fatigue démocratique, semble plus urgente que jamais.
Encore faut-il avoir le courage de la mettre en œuvre.
– Mr Mondialisation
Gilets Jaunes. « RIC » = Référendum d’Initiative Citoyenne. 2019. Wikimedia.
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Le sabotage ordinaire : l’art d’agir sans se faire remarquer
Mr M.
L’image d’Épinal du sabotage évoque souvent les résistants sous Vichy bloquant les trains, les figures clandestines comme le groupe Action directe, ou encore la grande histoire des luttes ouvrières. Mais à l’heure où les crises écologique, sociale et démocratique s’intensifient, une autre forme d’engagement émerge : le « sabotage ordinaire ».
Accessible, diffus, souvent discret, le sabotage ordinaire interroge les frontières entre action illégale, désobéissance civile et activisme du quotidien. Il se présente comme une forme d’engagement à la portée de toutes et tous, qui questionne la frontière entre action illégale, désobéissance civile et activisme du quotidien. Le sabotage ordinaire tend à se banaliser, même pour celles et ceux qui ont la flemme.
Si le sabotage ordinaire interroge les formes d’engagement possibles, le mouvement sociale du 10 septembre qui s’annonce, pour dénoncer l’autoritarisme rampant et les politiques antisociales, pourrait bien marquer un tournant dans la recherche de stratégies de résistance collective, combinant désobéissance civile, mobilisation de masse et actions symboliques.
Car, comme l’affirme Geoffrey Dorme, auteur du livre Hacker Protester, guide pratique des outils de lutte citoyenne :
« Le militantisme, c’est quelque chose qu’il faut pouvoir remettre dans les mains des gens car ça appartient à tout le monde. Tu n’es pas obligé de sortir de Sciences Po pour développer ce que tu ressens au sujet des injustices. Tu n’es pas non plus obligé d’habiter à Paris pour militer ou manifester »
Sabotage et non-violence : entre désarmement et pédagogie
Imposé au tournant du XIXe siècle dans le syndicalisme et les mouvements ouvriers comme une « voie moyenne » entre la parole impuissante et la violence terroriste, selon la revue Terrestres – le terme, né dans le milieu anarchiste, désigne d’abord des actions visant à enrayer la machine productive ou à nuire à l’employeur sans s’en prendre aux personnes.
Aujourd’hui, la notion s’est élargie : elle englobe aussi bien la neutralisation symbolique d’un dispositif climaticide, le démontage non-violent d’une infrastructure, que les petits gestes de désobéissance du quotidien. Le sabotage ordinaire n’est plus seulement l’apanage des militants aguerris, mais devient une modalité d’action à la portée de chacun·e.
Contrairement à l’image souvent véhiculée, le sabotage n’est pas nécessairement violent. Au contraire, il peut s’inscrire dans une stratégie d’action non-violente, comme le démontre le dossier d’Alternatives Non-Violentes.
Le sabotage non-violent, ou « désarmement », vise à neutraliser une machine ou une installation jugée nocive (usine polluante, pipeline, dispositif de surveillance), sans porter atteinte à l’intégrité physique des personnes. Il s’agit d’une forme d’intervention directe, relevant de la désobéissance civile, qui cherche à priver l’adversaire d’un moyen jugé illégitime et à alerter l’opinion publique sur une injustice caractérisée.
Saboter sans forcer : vers un activisme à la portée de tous ?
L’une des forces du sabotage ordinaire réside dans sa dimension accessible et dédramatisée. Il ne s’agit plus d’être un « héros » ou un « radical », mais d’agir à son échelle, parfois de façon anonyme, souvent en réseau, pour enrayer la machine ou dénoncer une injustice. Laisser « planer la possibilité du sabotage », comme le suggère le philosophe et l’historien Victor Cachard dans un article pour Basta!, devient un levier symbolique de pression sur les pouvoirs publics et les entreprises, sans nécessairement passer à l’acte.
Ce sabotage diffus, discret, mais potentiellement massif, s’inscrit dans la tradition des luttes sociales, mais renouvelle les formes de l’engagement à l’ère de la crise écologique et démocratique. Ce sabotage ordinaire, le collectif Chomeuse go en a fait une bande-dessinée disponible gratuitement et intitulée Les colibris pyromanes – Fables mutines.
Sabotage ordinaire et gestes du quotidien
Le Manuel de sabotage simple sur le terrain de l’OSS (ancêtre de la CIA), à l’origine conçu comme outil de guerre pour affaiblir les structures ennemies de l’intérieur, prend aujourd’hui un sens nouveau : celui de résister, depuis l’intérieur, aux logiques de domination, à la hiérarchie absurde, au management toxique ou autoritaire, et à l’inhumanité croissante de certaines organisations.
Voici une version adaptée, contextualisée pour le monde du travail en 2025. Parce que parfois, ralentir, désorganiser ou compliquer… c’est déjà résister.
Dans les réunions, collectifs, et instances
- Exiger que tout passe par les voies « officielles » : aucune prise d’initiative, aucun raccourci. Bloquer toute prise de décision rapide.
- Parler longuement et souvent. Illustrer ses propos avec des anecdotes personnelles. Ralentir le rythme. Multiplier les interventions.
- Renvoyer systématiquement les sujets aux commissions et comités, pour « étude approfondie ». Et tant qu’à faire, proposer la création de nouveaux groupes de travail. Plus on est de fous, plus c’est lent.
- Dévier les discussions vers des sujets hors-sujet. Idéalement, relancer un vieux débat qui n’a jamais été tranché.
- Chipoter sur les mots : corriger les tournures de phrases, discuter chaque virgule d’un compte rendu ou d’une résolution.
- Remettre en question les décisions déjà prises, relancer les débats, questionner la légitimité de l’accord précédent.
- Appeler à la prudence et au « bon sens », tout en soulignant les risques de toute action un peu trop ambitieuse.
- Douter de tout : demander si la décision entre bien dans le champ de compétence du groupe, ou si elle ne contredit pas une consigne supérieure. Bref, ralentir sous couvert de loyauté.
Pour les cadres, responsables et encadrants
- Exiger que toutes les consignes soient écrites. Ne jamais valider l’oral.
- Faire semblant de ne pas comprendre : poser une avalanche de questions, demander des précisions inutiles, répondre en différé.
- Retarder systématiquement les livraisons ou validations. Si une partie est prête, attendre que tout soit complet.
- Ne commander du matériel que lorsque les stocks sont au plus bas, de sorte qu’un simple retard bloque toute l’équipe.
- Privilégier les matériaux ou outils rares, et si on ne les obtient pas, alerter sur le risque de « baisse de qualité ».
- Confier les tâches stratégiques à des personnes incompétentes. Laisser les plus qualifié·es s’ennuyer.
- Exiger une perfection absolue sur des missions secondaires, tout en laissant passer des erreurs sur les vraies priorités.
- Faire des erreurs d’orientation logistique : envoyer les ressources au mauvais endroit, déclencher des allers-retours inutiles.
- Former les nouvelles recrues de manière floue, incomplète ou contradictoire.
- Organiser des réunions au pire moment, idéalement en pleine urgence opérationnelle.
- Créer de la paperasse, des procédures en double, des fichiers partagés dont personne ne comprend la structure.
- Multiplier les validations nécessaires pour chaque action. Trois signatures pour un bon de commande ? Parfait.
- Appliquer les règlements à la lettre, sans jamais faire preuve de discernement ou d’intelligence collective.
Pour les agents administratifs / employés de bureau
- Se tromper (un peu) dans les chiffres, confondre les noms proches, inverser les lignes.
- Allonger les échanges avec les prestataires ou les administrations, poser des questions secondaires.
- Mal classer les documents essentiels, ou oublier de mettre à jour certains répertoires.
- Ne pas faire assez de copies ou d’impressions, pour forcer les autres à recommencer.
- Ne pas transmettre les appels importants, ou dire que « la personne est déjà en ligne ».
- Garder le courrier jusqu’à la prochaine levée, même s’il est prêt.
- Faire courir des rumeurs sur des restructurations, des plans sociaux imaginaires, des décisions floues. Rien de tel pour gripper la machine.
Pour les autres salariés (production, technique, terrain…)
- Ralentir volontairement le rythme. Ajouter des gestes inutiles à chaque tâche.
- Se créer des interruptions régulières : re-mesurer, re-vérifier, faire deux fois le tour du poste.
- Prendre son temps aux toilettes.
- Faire semblant de ne pas comprendre une consigne, et la redemander plusieurs fois.
- Jouer les perfectionnistes : demander des clarifications sur chaque détail.
- Se plaindre de tout ce qui entrave le travail, même si c’est mineur.
- Ne pas former les nouvelles personnes, ou le faire de manière superficielle.
- Rendre les formulaires illisibles ou incomplets, pour qu’ils doivent être refaits.
- Provoquer ou rejoindre des collectifs, pour défendre les droits, oui, mais en alourdissant volontairement les procédures.
Exiger la présence de tout le service à chaque réunion, revenir plusieurs fois sur les mêmes sujets, créer des dossiers « épineux » à chaque demande.
Légitimité, risques et débats éthiques
La montée du sabotage ordinaire pose des questions de légitimité et de limites. S’il est illégal, il peut être perçu comme légitime dès lors qu’il vise à empêcher une injustice manifeste ou à protéger l’environnement.
Le débat s’intensifie autour de la notion de « légitime défense écologique » : face à l’écocide planétaire, l’écosabotage pourrait-il devenir un ultime recours, voire être reconnu comme une forme de résistance juridiquement recevable ?
Mais la frontière entre sabotage non-violent, désobéissance civile et action violente reste floue. Chacune de ces formes d’action pose des questions spécifiques de légitimité, d’efficacité et d’éthique, qui doivent être pensées collectivement. Les risques de dérive, de répression accrue et de qualification d’écoterrorisme, de perte de soutien de l’opinion publique sont réels.
D’où l’importance, soulignée par les spécialistes de l’action non-violente, de bien cibler les actions, de privilégier la pédagogie et de penser le sabotage comme un outil au service d’une stratégie globale, et non comme une fin en soi.
– Maureen Damman
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Médias de masse : leurs 5 techniques pour vous influencer
Mr M.
Détenue par une poignée de milliardaires réactionnaires, l’immense majorité des médias défend une ligne politique libérale allant dans le sens de l’intérêt de leurs propriétaires. Pour autant, si certains journalistes, comme ceux de l’Empire Bolloré, ont abandonné toute subtilité, d’autres mettent en place des subterfuges pour manipuler les observateurs les moins attentifs. Mr Mondialisation décrypte 5 techniques pour assouvir les esprits.
1. Le choix de l’information
La méthode la plus simple pour un journaliste pour orienter l’opinion consiste tout bonnement dans le choix de l’information. Ainsi, pour faire passer une idéologie, une rédaction pourra traiter un évènement de manière disproportionnée et en éluder totalement un autre.
Dans les médias de masse, seront, par exemple, abordé très fréquemment l’immigration, l’insécurité, les faits divers, le « wokisme » ou encore la vie des célébrités. Des thématiques destinées à faire diversion et susciter la peur au sein de la population.
De quoi orienter les votes vers les formations les plus réactionnaires et autoritaires. À l’inverse, des sujets remettant en cause les intérêts des plus fortunés, comme le partage des richesses ou l’environnement, seront relégués au second plan ou traités de façon légère.
Pour couronner le tout, comme théorisé par Noam Chomsky et Edward Herman dans La fabrication du consentement, les médias usent également d’un matraquage intensif sur des idées prédéterminées. Ainsi, les mêmes poncifs libéraux, antiféministes et racistes seront répétés à l’envi jusqu’à pénétrer l’esprit des citoyens les moins aguerris.
2. L’apologie du « raisonnable » et l’infantilisation
« La France est criblée de dettes », « on ne peut plus investir », « c’est une mentalité bien française », « tout cela est totalement utopique », « aucun de nos voisins ne procède ainsi »… Voilà certaines idées reçues qui peuvent être entendues sur les plateaux de télévision. Par ce biais, les journalistes mainstream font circuler la croyance qu’il n’existerait qu’une option politique. Et si celle-ci va dans le sens des intérêts des plus fortunés, il ne s’agirait bien entendu que d’un pur hasard…
En ce sens, on rejoint la célèbre maxime de Margaret Thatcher « there is no alternative ». Toute autre solution que celles proposées par les libéraux relèverait de l’utopie ou du manque de bon sens. Seule l’idéologie capitaliste serait sérieuse, démontrée et raisonnable. Et si quelqu’un ose s’opposer à cet état de fait, il est aussitôt désigné comme irresponsable. Pire, on s’adressera souvent à lui de manière condescendante pour l’infantiliser du type « l’économie est beaucoup plus compliquée que cela, voyez-vous ».
Une façon d’installer un certain fatalisme dans l’esprit des gens et de les éloigner de leur rôle de citoyens. Après tout, les richesses produites par les travailleurs sont un sujet beaucoup trop sérieux pour être confié aux salariés.
3. Le pluralisme feint
Sur de nombreux plateaux de télévision, on assure qu’il existerait un pluralisme équitable dans les médias de masse. Une affirmation pourtant discutable, comme Mr Mondialisation l’avait déjà démontré en analysant les idées politiques d’un large spectre d’éditorialistes. Depuis, la situation s’est d’ailleurs considérablement empirée avec l’extrême droitisation de la presse en général, sous l’impulsion de l’empire Bolloré. De ce fait, les invités des émissions audiovisuelles penchent très fortement du côté des plus fortunés.
En outre, quand un intervenant est censé représenter la gauche, il s’agit bien souvent d’une gauche d’accompagnement, économiquement très proche de la droite. Certains échanges tournent même au ridicule lorsqu’ils engagent des individus aux opinions extrêmement similaires.
On peut par exemple penser aux débats hebdomadaires entre Daniel Cohn Bendit et Luc Ferry sur LCI. Une mise en scène qui relève d’une véritable caricature tant ces deux hommes, qui font semblant de s’écharper, sont en réalité d’accord sur l’immense majorité des sujets d’envergure.
4. Le bouc émissaire
Grand classique des médias de masse, la désignation de boucs émissaires permet de créer une excellente diversion. Comme pour la droite et l’extrême droite de l’échiquier politique, les cibles sont chaque fois les mêmes.
On évoquera ainsi les « assistés » qui « profitent du système » et qui « coûtent trop cher », les syndicalistes et fonctionnaires paresseux et trop payés, les grévistes qui « prennent les français en otage », les militants de gauche qui sont criminalisés et vilipendés (antisémites, utopistes, irresponsables, islamistes, etc.) ou encore les « wokistes » qui vont toujours trop loin. De quoi occuper des heures et des heures d’antennes pour ne pas aborder des sujets de fond.
5. La corruption du langage
Un stratagème pernicieux pour manipuler l’opinion est la destruction du sens des mots eux-mêmes, parfois en allant jusqu’à leur donner une valeur opposée à leur signification d’origine. Cette méthode, qui n’est pas sans rappeler 1986, un roman d’Orwell, favorise ainsi la construction d’un récit à l’avantage des dominants.
On parlera, par exemple, de « réforme » pour désigner en réalité une régression politique. Dans les bouches médiatiques, ce mot n’est jamais utilisé pour évoquer des avancées sociales. Une rhétorique qui permettra de faire circuler l’idée que « les Français sont contre les réformes », installant la croyance que les gens seraient simplement contre toute idée de changement.
De la même manière, les salaires ne seront plus que « le coût du travail », la démocratie consistera à voter une fois tous les cinq ans, la répression deviendra un « maintien de l’ordre », la droite deviendra le centre, le centre deviendra la gauche, la gauche deviendra l’extrême gauche, la soumission au marché sera du « pragmatisme », la réussite sera la richesse individuelle, etc. Dans tous les cas, le procédé est toujours le même : brouiller les esprits pour empêcher de penser et conserver ainsi l’ordre social.
– Simon Verdière
Photo de Maksym Mazur sur Unsplash
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Lotus, cygogne et sanctuaire pour éléphants : les 10 bonnes nouvelles de la semaine
Mr M.
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici notre top 10 des bonnes nouvelles à ne pas manquer cette semaine.
1. Fleur du lotus
Au Cachemire, en Inde, après 33 ans d’absence, le lotus refleurit sur le lac Wular grâce à un vaste désenvasement lancé en 2020. Des millions de mètres cubres de vase retirés redonnent enfin vie à la biodiversité et aux traditions locales. (Goodnewsnetwork)
2. Le retour de la cigogne
En Normandie, la cigogne blanche niche désormais dans la baie du Mont-Saint-Michel. Sauvée de l’extinction (11 couples en 1974), l’espèce compte 6 000 individus en France, dont 800 en Normandie.(Ouest-France)
3. L’Amazonie moins brûlée
En juillet, les surfaces brûlées en Amazonie ont chuté de 65 % par rapport à 2024. Une baisse saluée, bien que la déforestation et le climat restent des menaces majeures ici et ailleurs. (Radio-Canada)
4. Une aire marine protégée de 149 ha
Aux Philippines, une aire marine protégée de 149 ha est créée à Siquijor après 18 ans de mobilisation. Elle interdit la pêche de requins et promeut l’écotourisme durable. (Mongabay)
5. Un capteur anti-incendie pour les forêts
Au Royaume-Uni, la start-up Pyri conçoit un capteur anti-incendie biodégradable, inspiré des pommes de pin, détectant les feux dès 80 °C et émettant un signal à 50 km. (La Dépêche)
6. Loi historique écologique au Ghana
Une loi historique interdit le chalutage industriel illégal et protège la pêche artisanale. Une loi vitale pour 60 % des Ghanéens qui dépendent du poisson comme principale source de protéines. (blueventure)
7. Protections menstruelles gratuites en République tchèque
La République tchèque va rendre les protections périodiques gratuites dans toutes les écoles dès 2026, une mesure qui vise à garantir un accès universel aux produits d’hygiène féminine et à réduire l’absentéisme scolaire.(Radio Prague International)
8. Moins d’hydrocarbures déversés dans les océans
Les déversements d’hydrocarbures par les tankers ont chuté de façon spectaculaire depuis les années 1970, passant à moins d’un trentième des niveaux d’alors. Cette amélioration résulte de normes de sécurité renforcées et de meilleures pratiques industrielles. Malgré la hausse du transport maritime pétrolier, la prévention des pollutions marines progresse nettement.(Ourworldindata)
9. Fin de « l’extinction » par le VIH au Botswana
Le Botswana est devenu le premier pays au monde fortement touché par le VIH à obtenir le statut Gold Tier de l’OMS pour l’élimination de la transmission mère-enfant du VIH. Grâce à plus de vingt ans de réformes sanitaires, de traitements gratuits et de mobilisation communautaire, le pays a déclaré moins de 100 nouveau-nés infectés en 2023. (Agence presse africaine)
10. Sanctuaire pour les éléphants en France
Romain Gary aurait adoré : un sanctuaire unique en Europe, Elephant Haven, situé dans le Limousin à Bussière-Galant, accueille depuis quatre ans des éléphants de zoo à la retraite, offrant un refuge paisible à ces animaux qui ne pourront bientôt plus être présents dans les cirques itinérants. (FranceInfo)
– Maureen Damman
The post Lotus, cygogne et sanctuaire pour éléphants : les 10 bonnes nouvelles de la semaine first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 29.08.2025 à 19:51
Chocolat, famine et Macron démission : les 10 actus de la semaine
Mr M.
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici notre top 10 des infos à ne pas manquer cette semaine.
1. Chocolat bio et cadmium
Selon une enquête UFC-Que Choisir, 9 des 10 tablettes les plus contaminées par le cadmium sont issues du bio, en raison de sols naturellement riches en ce métal lourd en Amérique latine. Exemple : 20 g d’une tablette bio « Éthiquable Pérou 70 % » couvrent déjà 35 % de la dose maximale quotidienne. (Vert)
2. Pêche industrielle hors contrôle
Une étude révèle que près des deux tiers de la pêche industrielle opérant dans les aires marines protégées échappe à tout contrôle effectif. Ces zones, censées préserver biodiversité et stocks halieutiques, restent fragilisées faute de surveillance. (Vert)
3. Un traité contre la pollution plastique qui échoue
À Genève, l’ébauche d’un traité mondial contre la pollution plastique a de nouveau échoué. Une poignée de pays producteurs de pétrole et de plastique ont bloqué l’adoption du texte, freinant un accord espéré pour 2025. (Vert)
4. Surveillance par IA
Amnesty accuse Washington d’utiliser l’intelligence artificielle pour surveiller les migrants et cibler les étudiants étrangers pro-palestiniens. L’ONG dénonce une atteinte grave aux droits humains et aux libertés académiques. (Amnesty)
5. Famine à Gaza
L’ONU a officiellement déclaré l’état de famine à Gaza, une première au Moyen-Orient. Selon ses agences, 70 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire grave. (Unicef)
6. Chikungunya en France
Un foyer de chikungunya a été confirmé dans le Var avec plusieurs cas autochtones. C’est une première dans le département, illustrant la progression du moustique tigre et des maladies vectorielles en métropole. (Sud Ouest)
7. Rendez-nous nos jours fériés (et l’argent)
D’après un sondage Odoxa, 84% des Français s’opposent à la suppression de deux jours fériés envisagée dans le cadre de la réforme du temps de travail. (Odoxa)
8. Feux de forêt en Europe
Plus d’1 million d’hectares ont déjà brûlé dans l’UE depuis janvier 2025, un record à ce stade de l’année. L’Espagne, l’Italie et la Grèce figurent parmi les pays les plus touchés par ces incendies massifs. (Le Monde)
9. Dépistage de l’addiction aux écrans
Gabriel Attal propose deux dépistages obligatoires de l’addiction numérique : à l’entrée en 6e et en 2nde. Objectif : mieux identifier et accompagner les jeunes exposés à un usage excessif des écrans. (FranceInfo)
10. Macron démission !
Jean-Luc Mélenchon a annoncé que La France Insoumise lancera officiellement une procédure de destitution contre Emmanuel Macron le 23 septembre. La manœuvre, symbolique, vise à mobiliser l’opposition à gauche. (Macron-Destitution)
– Maureen Damman
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10 clichés anti-féministes débunkés
Mr M.
Si le féminisme dérange, ce n’est pas parce qu’il est injuste, mais parce qu’il remet en question un ordre établi et des privilèges. On l’accuse à tort de semer la division, d’exagérer les inégalités ou encore de nuire aux hommes. Pourtant, le féminisme n’est pas une guerre des sexes, mais une lutte pour la justice. La vérité derrière 10 clichés anti-féministes.
Les mouvements féministes bouleversent les évidences, les acquis et les rapports de domination de notre paradigme. Les préjugés autour de ce mouvement sont ainsi nombreux et tenaces. S’ils sont souvent véhiculés par des hommes, des femmes les partagent aussi, le patriarcat pouvant être intériorisé par n’importe qui d’entre-nous. Or, la mauvaise réputation du féminisme repose souvent sur des malentendus, des lectures biaisées ou des récupérations idéologiques.
En réalité, le féminisme ne vise ni à inverser les rapports de domination, ni à imposer un dogme, mais à rendre la société plus égalitaire pour toutes et tous. Face aux clichés qui l’accusent d’aller « trop loin », il est urgent de rétablir les faits.
1. « Le féminisme, c’est contre les hommes. »
FAUX. Le féminisme n’est pas une guerre des sexes, c’est une lutte pour l’égalité entre les genres. Bien sûr, il arrive de croiser des slogans un peu piquants, mais n’est-ce pas le rôle historique d’une pancarte d’être percutante d’un seul coup d’œil pour secouer le statu quo et forcer le débat ?
En pratique, il ne vise pas à dominer les hommes, mais à corriger les injustices systémiques que subissent les femmes et dont les origines sont séculaires, voire millénaires.

Le féminisme, certes, vise les privilèges de genre des hommes, mais expose également à quel point ils sont empoisonnés : pour prendre leur part de charge mentale, les hommes perdent en insouciance et en temps libre ? Mais ils sont enfin concernés par la gestion de leur propre existence, apprennent à maîtriser leur environnement et à en avoir une meilleure lecture. Par ailleurs, vouloir attribuer aux femmes les mêmes conditions sociétales, comme un salaire décent, ne prive pas les hommes des leurs, mais permet un nivellement par le haut où chacun est également considéré dans un climat plus sain.
Défendre les droits des femmes n’implique pas de nier ceux des hommes : au contraire, le féminisme remet aussi en cause les stéréotypes qui les enferment (virilité toxique, injonction à la réussite, tabou des émotions, etc.). C’est une démarche inclusive qui aspire à une société plus juste, où chaque personne peut vivre librement sans discrimination ni violence.
S’opposer au sexisme ne signifie pas s’opposer aux hommes, mais s’opposer à un système nuisant dans le fond à tout le monde. Le féminisme, lui, bénéficie à toutes et tous. Ce n’est pas « les femmes contre les hommes », c’est « toutes et tous contre l’injustice ». En ce sens, il faut bien rappeler que même si le féminisme ne bénéficiait pas aux hommes directement, il resterait légitime par nature d’attendre d’eux qu’ils se battent aux côtés de la moitié de la population pour une vie équitable.
2. « Les hommes souffrent aussi, mais personne n’en parle. »
Dire que « les hommes souffrent aussi » est vrai, mais ce n’est pas un argument contre le féminisme, c’est un argument pour.
Le féminisme dénonce justement les normes patriarcales qui nuisent aussi aux hommes : interdiction d’exprimer leurs émotions et de se faire aider, injonction à être forts, virils, violents, dominants. Ce sont ces stéréotypes qui empêchent une vraie reconnaissance de leur souffrance.
Si « personne n’en parle », c’est parce que notre société ne valorise pas la vulnérabilité masculine – et non parce que le féminisme l’interdit. Au contraire, le féminisme ouvre la voie à une libération de la parole. Il ne nie pas la souffrance masculine, il en analyse les causes profondes qui résident dans un système patriarcal rigide.
Toutefois, les chiffres sont implacables : les femmes étant les victimes massives du patriarcat, il est contre-productif d’user en boucle de ce whataboutisme à chaque action ou libération de la parole féministe. Il est crucial de respecter l’espace d’expression récent des femmes, jusque-là invisibilisées et silenciées, et de défendre le sort des hommes victimes en parallèle et toutes proportions gardées.
3. « Les femmes sont déjà égales aux hommes aujourd’hui ! »
Dire que les femmes sont déjà égales aux hommes ne résiste pas aux faits. Certes, en droit, l’égalité entre les sexes est inscrite dans la loi, mais dans la réalité, elle reste très incomplète et fragile.
En France, les femmes gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes (et 15 % de moins à temps de travail équivalent). Elles sont également massivement sous-représentées dans les postes de pouvoir. En 2025, en France, moins d’un tiers des personnes au pouvoir sont des femmes.
Dans le monde de l’entreprise, seulement 25 % des dirigeants sont des femmes alors qu’elles sont 49 % de la population active. Dans le monde politique, économique ou médiatique, les femmes peinent encore gravement à accéder aux sphères décisionnelles.
Sur le plan des violences, les chiffres font froid dans le dos. Chaque année, plus de 100 femmes sont tuées par leur compagnon ou ex-compagnon, rien qu’en France, soit en moyenne, une femme tous les trois jours. 85 % des victimes de violences conjugales sont des femmes. Des centaines de milliers de cas chaque année.
97 % des victimes de violences sexuelles sont également des femmes. Chaque année, 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol. Des chiffres probablement sous-estimés sachant que seule une minorité des victimes ose porter plainte.
Au quotidien, les inégalités se traduisent aussi par une charge mentale disproportionnée, liée à la gestion du foyer et des enfants. Les femmes consacrent en moyenne 1h30 de plus par jour que les hommes aux tâches domestiques et parentales, un travail gratuit pourtant bénéfique à la société. Cette inégalité dans la sphère privée freine leur carrière, alimente la précarité économique et renforce leur dépendance.
Face à cela, le féminisme ne réclame ni passe-droit ni privilège, mais l’application effective d’une égalité déjà proclamée. Tant qu’une femme devra encore prouver qu’elle mérite sa place, se justifier, se faire discrète pour éviter les représailles ou craindre pour sa sécurité, pas seulement en rentrant tard le soir mais aussi et surtout, dans son propre foyer, l’égalité ne pourra être considérée comme acquise. Le féminisme est une réponse à ces injustices, pas une attaque contre les hommes – mais contre un système qui perpétue les dominations.
4. « Le féminisme d’aujourd’hui est trop radical » ou ce sont « des féminazies »
Qualifier le féminisme de « trop radical » revient souvent à rejeter toute remise en cause profonde des injustices. Mais étymologiquement, radical signifie « qui prend les problèmes à la racine ».
Or, le sexisme structure nos sociétés depuis des siècles : l’attaquer en profondeur dérange, mais est nécessaire. Il est normal qu’une cause qui demande des changements profonds bouscule. Mais ce ne sont pas les revendications féministes qui sont extrêmes, ce sont les inégalités qu’elles dénoncent.
Refuser la violence, exiger le respect, réclamer l’égalité réelle n’a rien d’excessif. Ce discours sur le féminisme « trop radical » sert surtout à discréditer celles et ceux qui dérangent l’ordre établi – comme on l’a fait à une époque avec les abolitionnistes ou les suffragettes. Être ferme face à l’injustice n’est pas être extrême. C’est simplement être lucide.
5. « Pourquoi dire féminisme et pas égalitarisme ou humanisme ? »
On parle de féminisme parce que ce sont les femmes qui ont historiquement été et sont encore les principales victimes des inégalités de genre.
Dire « égalitarisme » ou « humanisme » gomme cette réalité concrète : l’oppression a un sens, une histoire, une structure, et elle vise les femmes de façon spécifique. Le mot féminisme nomme cette lutte avec précision, comme on parle d’antiracisme pour lutter contre le racisme.
Vouloir le remplacer, c’est chercher à neutraliser une contestation trop dérangeante. Le terme « féminisme » n’a rien à voir avec une supposée « supériorité des femmes », il s’agit simplement de nommer une lutte pour l’égalité du point de vue de celles à qui elle a été refusée. Par ailleurs, le féminisme est indissociable de l’humanisme.
6. « Les hommes sont toujours présentés comme les méchants. » (#NotAllMen)
Cet « argument » confond la critique d’un système (le patriarcat) et de violences structurelles, encouragées ou excusées par celui-ci, avec l’accusation d’un sexe. Dès lors que l’on dénonce des violences sexuelles, surgit systématiquement le fameux « NotAllMen » (« tous les hommes ne sont pas comme ça »).
Pourtant, le féminisme ne dit pas que tous les hommes sont oppresseurs, mais que toutes les femmes subissent des oppressions. Quand on parle de violences masculines ou de domination, on parle de faits sociaux, pas d’individus diabolisés.
D’ailleurs, le féminisme, dans son essence, ne cherche pas à accuser individuellement, mais à transformer les rapports de pouvoir pour qu’ils ne nuisent à personne. Le féminisme universitaire explique notamment en profondeur comment les hommes sont porteurs de privilèges et, en ce sens, ont un rôle à jouer contre leurs propres constructions sociales, même infimes et inconscientes. C’est en cela seulement que tous les hommes sont parfois visés : comme les responsables d’un pouvoir arbitraire hérité d’une histoire inégalitaire et dont il est important de céder une partie à différents degrés et échelles selon les individus.
« Si tous les hommes ne sont pas des oppresseurs, tous bénéficient toutefois d’un système qui les privilégie. Le reconnaître, ce n’est pas se flageller : c’est une première étape pour agir de manière plus juste ».
Si certains hommes se sentent visés, c’est peut-être qu’ils s’identifient justement au système critiqué. Or, le but n’est pas de désigner des « gentils » et des « méchants », mais de construire une société plus juste. Si tous les hommes ne sont pas des oppresseurs, tous bénéficient toutefois d’un système qui les privilégie. Le reconnaître, ce n’est pas se flageller : c’est une première étape pour agir de manière plus juste.
7. « Moi je n’ai jamais agressé personne, je suis respectueux, donc je ne suis pas concerné »
Être respectueux est essentiel, mais cela ne suffit pas à se dire « non concerné ». Ce serait comme dire « je ne suis pas raciste, donc la lutte antiraciste ne me concerne pas » : même si on ne contribue pas au problème, on peut contribuer à la solution.
Le sexisme est un système collectif, pas une simple affaire de comportements individuels. Même sans agresser qui que ce soit, on peut bénéficier – souvent sans s’en rendre compte – de privilèges liés à ce système.
Refuser de se sentir concerné, c’est laisser perdurer un déséquilibre injuste. Un homme féministe n’est pas seulement innocent, il est solidaire. Il reconnaît que l’injustice existe, même s’il n’en est pas l’auteur, et choisit de ne pas détourner le regard. Ne pas nuire, c’est bien. Mais soutenir celles et ceux qui luttent pour plus de justice et d’égalité, c’est encore mieux.
8. « Les féministes veulent castrer les hommes / interdire la séduction »
C’est une caricature et une peur infondée, alimentée par des discours réactionnaires. Le féminisme ne s’oppose pas à la séduction, mais à la domination, à l’insistance non consentie, au harcèlement et aux violences. Il ne rejette pas le désir, il revendique le respect mutuel.
« Ce n’est pas la drague qui est remise en question, c’est l’idée que l’insistance ou la pression seraient des formes de séduction acceptables ».
Confondre séduction et pouvoir, ou galanterie et emprise, révèle justement un problème dans la conception des relations hommes-femmes. Le féminisme ne veut pas supprimer le lien entre les sexes, il veut qu’il soit libre, égal et consenti. Une séduction sincère, basée sur le respect, n’a rien à craindre du féminisme – au contraire, elle y gagne en authenticité. Ce n’est pas la drague qui est remise en question, c’est l’idée que l’insistance ou la pression seraient des formes de séduction acceptables.
9. « On ne peut plus rien dire »
Cette phrase n’est rien d’autre qu’une gêne face au fait que certains propos sexistes, racistes ou violents sont désormais remis en question. En réalité, on peut toujours parler. Personne n’interdit à qui que ce soit de s’exprimer librement dans les limites de la loi. Simplement, on ne peut plus blesser sans conséquences.
Ce n’est pas la liberté d’expression qui est menacée, c’est l’impunité face aux discours oppressifs. La parole s’étant désormais ouverte à celles et ceux qui étaient réduits au silence : ce n’est pas une censure, c’est un rééquilibrage. Si certaines paroles choquent aujourd’hui, c’est parce que les consciences évoluent. Être libre de s’exprimer n’a jamais voulu dire être libre d’humilier ou d’oppresser.
10. « Et les violences contre les hommes, alors ? »
Les violences contre les hommes existent, sont graves, et doivent être prises au sérieux. Mais les évoquer pour discréditer le féminisme est une erreur : ce dernier n’est pas l’ennemi de ces luttes, il en au contraire l’allié. Le féminisme dénonce justement un système patriarcal valorisant la domination, niant les émotions masculines, et stigmatisant les hommes victimes. Ce système nuit à toutes et tous.
Reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes (massives, systémiques, liées à une culture de l’inégalité) n’empêche pas de lutter aussi contre celles subies par les hommes. C’est ensemble, et non en concurrence, qu’on fera reculer toutes les formes de violence. Ce n’est pas une compétition et les luttes ne s’annulent pas entre elles – au contraire, elles se complètent. Somme toute, ce n’est qu’en unissant nos combats que l’on pourra avancer.
Agir pour l’égalité, ensemble
Face aux inégalités persistantes et aux résistances au changement, on ne peut que se demander : que peut-on faire, à notre échelle ?
La première étape consiste à s’informer, à écouter les voix féministes, y compris dans notre entourage, à lire, regarder, comprendre, mais aussi à questionner les stéréotypes de genre que nous avons tous et toutes intégrés.
Cela passe aussi par l’éducation : parler d’égalité aux enfants, déconstruire les injonctions virilistes, soutenir une éducation au respect et au consentement dès le plus jeune âge. On peut également soutenir les associations qui œuvrent pour les droits des femmes, partager des contenus pédagogiques, signaler les propos, discours ou publicités sexistes, ouvrir des discussions, même inconfortables, dans notre entourage. Chaque geste compte. Car c’est bien dans la société tout entière, et avec les hommes – pas contre eux – que l’égalité pourra progresser.
– Elena Meilune
Photographie d’en-tête : @Leonardo Basso/Unsplash
The post 10 clichés anti-féministes débunkés first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 28.08.2025 à 08:17
Féministe, animaliste, écolo… Les nouvelles voies du rap
Mr M.
Le rap compte bien des courants. Parmi eux, le style engagé ou politique, dit parfois « conscient ». Son héritage contestataire est vaste et riche, mais depuis quelques années, il a encore élargi le spectre des causes à défendre. Débrief musical.
Au 21e siècle, rappeurs et rappeuses dépassent les thématiques d’émancipation traditionnelles pour embrasser des luttes de plus en plus variées, comme l’écologie, l’antispécisme ou le féminisme.
Plus populaire que jamais, le rap est le genre musical le plus écouté par la Gen Z avec 40 % d’entre eux l’identifiant comme leur préféré. Le rap et, a fortiori, le rap engagé, a donc toute l’audience nécessaire pour faire entendre des revendications et une réflexion sur notre modèle de société.
Social, féministe, antispéciste, et écolo… Ce rap français engagé du 21e siècle !
Depuis ses débuts en France dans les années 1980, le rap a souvent été associé à une critique des inégalités sociales et des discriminations. Des groupes comme Ideal J, IAM, Assassin ou Mafia K1 Fry ont marqué l’histoire avec des morceaux dénonçant le racisme institutionnel, les violences policières ou la ségrégation banlieues / quartiers riches.
Forcément, comme toute contre-culture, une partie du rap s’est embourgeoisée et gentrifiée, ce qui a modifié une partie de son identité sans la faire mourir. Déjà à l’aube du 21e siècle, en 2000, Kool Shen, rappeur du groupe NTM, se demandait si “avoir de l’argent et rapper dans NTM pouvait être un paradoxe”, démontrant tout de même une prise de recul sur l’industrie du rap et une certaine volonté d’alignement, même si le terme peut sembler anachronique.
« le rap constitue une forme originale d’espace public oppositionnel, permettant aux artistes de pérenniser une parole dénonciatrice dans une société où les voix des plus marginalisées sont souvent ignorées »
Malgré tout, l’héritage contestataire voire militant perdure, comme l’affirme le sociologue M. Marquet. Selon lui, le rap constitue une forme originale d’espace public oppositionnel, permettant aux artistes de pérenniser une parole dénonciatrice dans une société où les voix des plus marginalisées sont souvent ignorées. En témoigne la sous-représentation à la télévision des classes modestes, face à la sur-représentation des cadres et grands patrons.
La lutte des classes au cœur des textes
Sans parler de Sniper ou NTM qui ont plutôt brillé à la fin du 20e siècle, des artistes comme Kery James ont su poursuivre avec, par exemple, “Banlieusards” ou “Lettre à la République” dans lequel il affirme : « Je ne suis pas un criminel, je suis un enfant de la République, Qui a grandi dans les cités, où les rêves sont interdits. » Dans « Le combat continue part 3”, il chante “La banlieue a une voix, je ne suis qu’un de ses hauts parleurs.”
Dans la même veine, Youssoupha incarne cette tradition du rap social, avec sa plume vindicative pour dénoncer les inégalités et promouvoir une vision inclusive de la société. Dans Prose Combat, il chante : « Besoin qu’les ghettos d’France évitent le drama, besoin de justice pour Nahel, Adama. Besoin d’un système plus juste et visionnaire quand les flics qui assassinent deviennent millionnaires. »
On peut aussi citer ACS (Temsis et Démos), duo lyonnais qui utilise le rap comme outil militant pour transmettre des valeurs politiques et porter la voix des opprimés. Bâtir Ensemble critique par exemple “le marché qui nous dicte ses lois”.
Dans son album Dire je t’aime, le rappeur Ben PNG décrit la vie dans les bassins ouvriers en déclin, évoquant les PMU et les HLM de la France du Nord et ses réalités socio-économiques moroses. Dans des morceaux comme Mauvaise nouvelle ou le titre éponyme Dire, je t’aime, ou encore Colorier les HLM, il peint des scènes du quotidien avec une plume sensible et réaliste : « La fourchette sur la télé pour la connexion » ou encore « Les trous dans le mur qu’on cache à la peinture » traduisent les difficultés sociales tout en réhabilitant la dignité des siens.
Avec des références aux « mamans dans l’Tercian« (un médicament antipsychotique) ou aux « petites sœurs dans le tertiaire« , Ben PLG met en lumière les luttes silencieuses des classes populaires, tout en célébrant leurs moments de joie simples, comme les vacances « dans des bleds de fond de ligue 2« . À travers ses textes, il transforme ces fragments de vie en poésie sociale, incarnant avec fierté une identité ouvrière.
Rap “bricolé”, le groupe bordelais Odezenne a aussi versé dans la “race ferroviaire” avec son titre Bleu fuschia qui parle des travailleurs de Rungis.
« Transpalette / Grand ballet / Je reste fier / De ma race ferroviaire “
Antiracisme et mémoire collective
La lutte contre le racisme reste une thématique centrale dans le rap français. Des morceaux comme 11’30 contre les lois racistes, sorti en 1997 par un collectif de rappeurs, destiné à récolter des fonds pour le Mouvement de l’immigration et des banlieues, ont marqué l’histoire du genre en dénonçant les discriminations systémiques.
Plus récemment, Gaël Faye, auteur de Petit Pays, a fait de son art un plaidoyer contre le racisme et pour la mémoire collective, aussi via le son “seuls et vaincus”.
Le morceau collectif No Pasaran, sorti en 2024 et réunissant Akhenaton, Fianso ou encore Zola, illustre cette mobilisation contemporaine contre l’extrême droite. Avec des paroles crues et sans concession, ce titre s’inscrit dans une tradition de résistance musicale face aux dérives xénophobes.
Le rap écologique
Aux côtés de ces luttes, des causes plus récentes à l’échelle populaire tracent également leur sillage dans l’univers rap. En précurseur, il y a eu l’album Rockin Squat du groupe Assassin, avec des titres comme L’écologie : Sauvons la Planète ou Le futur : que nous réserve-t-il ?
Un peu plus tard, Gaël Faye intègre ces préoccupations dans son album Lundi Méchant, dans lequel il évoque la nécessité d’une prise de conscience collective face aux défis environnementaux : « Je suis un enfant du siècle, Qui a grandi avec les catastrophes, Et je sais que je dois agir. »
« on n’a plus 20 ans mais on en aura jamais 60 »
Il évoque aussi la dégradation environnementale dans des morceaux comme Irruption, où il parle de l’impact des perturbateurs endocriniens et de la pollution avec ces paroles : “ on n’a plus 20 ans mais on en aura jamais 60, car on bouffe du bisphénol A, à l’heure d’une planète suffocante”.
En 2022, il collabore avec Grand Corps Malade et Ben Mazué sur La Cause, un EP qui amplifie son discours écologique.
Le rap antispéciste
Dans un même élan de prise de conscience de notre environnement, le rap antispéciste se positionne comme une voix engagée contre les discriminations envers les animaux.
Porté par des artistes comme le collectif BXII, ce mouvement utilise le rap pour dénoncer le spécisme, l’élevage industriel et la chasse, tout en prônant le véganisme et la convergence des luttes sociales. Les textes de BXII, par exemple, articulent les oppressions humaines et animales avec des punchlines percutantes comme : « Y’a pas de place pour les carnistes chez les antifascistes ; pas de place pour les racistes chez les animalistes !« .
Ce courant, souvent associé à des artistes issus de milieux populaires, casse l’image élitiste parfois attribuée à l’antispécisme, affirmant que cette cause est universelle. À travers des morceaux comme « Hordearii » ou « Extrémistes« , ces rappeurs véhiculent un message politique fort tout en s’inscrivant dans une esthétique musicale accessible et engagée.
Une parole féminine et féministe qui s’affirme
Si le rap a longtemps été dominé par des voix masculines, les femmes prennent aujourd’hui une place croissante dans ce mouvement engagé. Des artistes comme Keny Arkana ou Chilla abordent des thématiques féministes tout en dénonçant les violences sexistes et les inégalités de genre.
Keny Arkana, figure emblématique du rap conscient, utilise sa musique pour appeler à la solidarité entre opprimés et à la construction d’un monde plus juste. Dans des morceaux comme La Rage, elle exprime un profond rejet du système capitaliste et patriarcal : « Je suis la rage des opprimés, La colère des sans-voix. Je suis la révolte des femmes. »
Chilla, de son vrai nom Maréva Ranrivelo, a marqué la scène rap française avec son premier album Karma en 2017. D’origine franco-malgache, elle s’est rapidement distinguée grâce à ses textes puissants et ses freestyles marquants. Ses morceaux comme Sale chienne et Si j’étais un homme ont trouvé un écho particulier lors de la vague MeToo, dénonçant les inégalités et violences faites aux femmes. Elle affirme : “Que les femmes se retrouvent dans mes textes me ravit ”, tout en élargissant son engagement vers des valeurs humanistes prônant l’égalité et la liberté.
Quant à Shay, née Vanessa Lesnicki, incarne une figure singulière du rap belge. Revendiquant le titre de “ jolie garce ”, elle défie les stéréotypes en affirmant sa féminité et son ambition. “ Quand une femme réussit, on a tendance à la traiter de ‘salope’ ou de ‘pute’. Je veux incarner cette femme qui réussit et qui se bat pour ”, déclare-t-elle. Shay critique les attentes traditionnelles envers les femmes dans la société et le couple, dénonçant notamment les injonctions à se conformer à des rôles prédéfinis.
Euphonik, de son vrai prénom James, témoigne dans son l’album Thérapie de son engagement contre les violences sexistes et son hommage aux femmes. Notamment dans le morceau Deuxième Sexe, inspiré par Simone de Beauvoir. Artiste prolifique, Euphonik s’illustre également par sa capacité à produire des morceaux introspectifs et engagés, tout en explorant des univers mélancoliques et humanistes.
Un engagement au-delà des mots
Le rap engagé d’aujourd’hui ne se limite pas à des paroles percutantes : il s’incarne aussi dans des actions concrètes menées par des artistes qui mettent leur notoriété au service de causes sociales et humanitaires.
Oxmo Puccino s’illustre depuis plus d’une décennie comme ambassadeur de l’UNICEF France. Après avoir composé la chanson Naître adulte pour les 20 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant en 2009, il a officialisé son rôle en 2012. Depuis, il participe activement à des campagnes de sensibilisation et à des visites de terrain pour défendre les droits des enfants à travers le monde.
D’autres rappeurs utilisent également leur influence pour agir concrètement. Kery James milite pour l’égalité des chances avec son association A.C.E.S (Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir), qui attribue des bourses d’études à des jeunes issus de milieux défavorisés et organise des événements comme l’A.C.E.S Tour pour sensibiliser aux inégalités scolaires.
Soprano, avec sa Fondation Soprano créée en 2018, soutient des projets éducatifs et sanitaires aux Comores, son pays d’origine, ainsi qu’à Marseille où il a grandi. Il est également ambassadeur de l’UNICEF et parrain de U-Report, un outil numérique d’expression pour les jeunes.
D’autres figures comme Dadju ou Niro s’engagent sur le terrain humanitaire. Dadju a fondé l’association Give Back Charity pour lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes en République Démocratique du Congo. Et Niro, quant à lui, organise à chaque Ramadan des actions solidaires via son association Un Nouveau Visage : à travers laquelle il distribue de colis alimentaires dans des camps de réfugiés au Liban et en Cisjordanie ou encore soutien à un orphelinat à Gaza.
Enfin, le rappeur Sefyu, s’est engagé activement dans la lutte pour la justice climatique en cofondant l’association Banlieues Climat en 2022. Cette initiative, créée aux côtés de Féris Barkat, Abdelaali El Badaoui et Sanaa Saitouli, vise à sensibiliser les habitants des quartiers populaires aux enjeux environnementaux et à leur donner les moyens d’agir face aux conséquences du dérèglement climatique.
Partant du constat que ces quartiers sont parmi les plus touchés par la pollution et les inégalités environnementales, Banlieues Climat cherche à démocratiser l’écologie en la rendant accessible et adaptée aux réalités locales.
À travers ces initiatives variées, le rap engagé du 21e siècle montre qu’il ne se limite pas à dénoncer les injustices dans ses textes : il agit concrètement pour construire une société plus juste.
Comme le rappelle ACS : « Ne pas combattre ces injustices, ce n’est pas être neutre, c’est juste les perpétuer. »
– Maureen Damman
Image d’entête @Avec toutes autorisations Aiden Marples/Unsplash
The post Féministe, animaliste, écolo… Les nouvelles voies du rap first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 27.08.2025 à 06:00
Rentrée 2025 : la République abandonne définitivement l’école
Mr M.
À l’approche de la rentrée scolaire 2025, il est temps de faire le point sur l’état de l’éducation nationale. Classes surchargées, conditions de travail dégradées, explosion des inégalités, la situation inquiète aussi bien les élèves, que les parents et les enseignants. Des circonstances, à l’image des services publics, dues à des décennies de politiques néolibérales exercées par les gouvernements successifs. Retour sur une politique de destruction massive au service des plus aisés.
Avec une logique de réduction permanente des dépenses de l’État et une vision marchandisée des services publics, la qualité de l’instruction en France n’a eu de cesse de se détériorer et ce malgré des enseignants qui se donnent corps et âmes dans une conjoncture plus que précaire pour bon nombre d’entre eux. En ligne de mire, les partisans du néolibéralisme n’ont pas d’autres buts que la privatisation du système au détriment des plus défavorisés.
À l’autel de l’austérité
Depuis des décennies, en particulier depuis la crise de 2008, tous les gouvernements successifs se sont accordés autour de la question des économies de budget de l’État. Et dans le domaine, l’éducation n’échappe pas à la règle, et ce même si elle est indispensable au bon fonctionnement de notre société et à l’épanouissement de ses citoyens.
Une des conséquences de cette politique est la réduction des effectifs des enseignants qui ne cesse de s’accentuer depuis des années. De fait, alors qu’il y a pourtant de plus en plus d’élèves en France, il y a, à l’inverse, moins de personnel éducatif.
Ainsi, en 2003, il y avait par exemple 12,126 millions d’enfants du premier et second degré pour 894 200 enseignants. L’an passé, le contingent d’élèves est grimpé à 12,737 millions tandis que celui des professeurs est tombé à 853 700. En 20 ans, alors que le nombre d’élèves a progressé de plus de 5 %, celui des professeurs a donc reculé de 4,5 %.
Des classes surchargées
Un cheminement à rebours de tout ce qui avait été mis en place jusqu’à la fin des années 90 et qui a eu comme première conséquence l’augmentation des effectifs dans les classes de France. Avec des moyennes de 22,1 d’élèves par cours en primaire et 25,6 au collège, l’Hexagone a les cours les plus chargés du continent.
Si le nombre moyen d’enfants par classe a légèrement baissé en école primaire (22,5 en 2000 contre 21,6 en 2022), il a en revanche progressé au collège (de 24,3 en 2000 à 25,9 en 2022) et au lycée (de 27,9 en 2000 à 30,3 en 2022).
Il faut également noter que ces chiffres ne sont que des moyennes et qu’ils ne reflètent pas forcément la réalité du terrain de certains établissements. En effet, il peut demeurer de grandes disparités selon les zones, et les effectifs réduits de certaines écoles prioritaires peuvent fausser les statistiques. Il est en réalité tout à fait courant que certaines classes dépassent les 35 élèves, en particulier en cas d’absence d’enseignants non remplacés.
Une étude menée à Harvard confirmait pourtant qu’il existe un lien direct entre la réussite scolaire des enfants et le nombre d’individus par cours, même s’il n’est évidemment pas le seul facteur. La Finlande, qui détient l’un des meilleurs systèmes éducatifs au monde, favorise d’ailleurs des classes à moins de 20 écoliers.
Les zones rurales frappées par les fermetures d’écoles
Si le nombre d’enseignants sur le territoire diminue bien à cause d’une logique austéritaire (processus qui devrait d’ailleurs se poursuivre d’après le budget de Michel Barnier qui prévoit encore 4000 postes en moins en 2025), c’est aussi le résultat de la fermeture d’établissements, en particulier en milieu rural.
Certes, depuis 1970, 34 394 établissements scolaires ont ouvert en France, mais dans le même temps, 42 267 ont fermé leurs portes. Aujourd’hui, environ 21 000 communes sur près de 35 000 du pays disposent au moins d’une école primaire, ce qui signifie que 40 % d’entre elles n’ont tout simplement plus de lieu d’éducation.
Un procédé qui s’inscrit dans la désertification des zones rurales, notamment par l’absence des services publics en leur sein ; la disparition de l’école est ce qui fait en général péricliter un village à vitesse grand V.
Des trajets de plus en plus longs
Une étude de 2018 sur les enfants scolarisés en primaire en milieu rural en Auvergne-Rhône-Alpes montre que 28 % d’entre eux doivent se déplacer dans un établissement situé en dehors de leur commune de résidence, un chiffre plus de deux fois supérieur à ce que connaissent les élèves en agglomération. Ce phénomène engendre d’ailleurs un temps de voyage excédant les 9 minutes dans plus de la moitié des cas.
Pour les collégiens, ce sont 79 % des ruraux de cette région qui doivent se rendre dans un établissement extérieur à leur ville d’habitation. Et pour 50 % d’entre eux, cela équivaut à un trajet supérieur à 11 minutes. Enfin, cette situation concerne 95 % des lycéens ruraux dont la moitié dépasse les 20 minutes de déplacements.
Ces itinéraires ont d’abord des conséquences sur les enfants puisqu’ils rognent sur leur sommeil (et donc leur réussite scolaire), mais également sur leurs loisirs. Pour finir, ces trajets représentent de plus un coût pour la société, à la fois financier, mais aussi écologique.
Travailler plus pour gagner moins
Non contents d’avoir les classes les plus surchargées, les enseignants français sont également parmi ceux qui travaillent le plus. Ainsi, en primaire, ceux-ci passent pas moins de 900 heures par an devant leurs élèves, contre 740 en moyenne dans l’UE. Au collège, le total est à 720 heures contre seulement 659 sur le continent.
Loin des préjugés selon lesquels ces derniers seraient « toujours en vacances », ils exercent en réalité entre 44 et 52 h par semaine (préparation des cours, corrections, documentation, tâches administratives, réunions, etc.).
Pire, en plus de ces conditions dégradées, les professeurs français sont beaucoup moins bien payés que dans la plupart des autres pays riches. Ainsi, pour un enseignant du secondaire avec quinze ans d’expérience, le salaire moyen dans l’OCDE est 16 % supérieur à celui d’un Français. Dans le primaire, l’écart grimpe même jusqu’à 19 %.
Dans ces conditions, il n’est donc pas étonnant que l’éducation nationale peine de plus en plus à recruter. À tel point que les concours ne sont plus suffisants pour pourvoir tous les postes disponibles. Plutôt que d’améliorer les conditions de travail des enseignants, l’État préfère avoir massivement recours à l’engagement de contractuels qui sont pourtant bien moins qualifiés, ce qui là encore dévalorise les professeurs ayant réalisé le parcours classique d’accès au métier. Comble du ridicule, on avait même assisté à des embauches via du job dating dans certaines académies difficiles.
De fortes inégalités territoriales
Car c’est là aussi l’un des problèmes fondamentaux de l’éducation nationale, qui fait sans aucun doute partie d’un sujet beaucoup plus large : celui des déséquilibres territoriaux. Si sur le papier l’école promeut l’égalité des chances et l’illusoire méritocratie, dans les faits, un élève ne disposera évidemment pas des mêmes possibilités selon l’établissement dans lequel il a étudié.
De fait, dans la logique de l’aménagement de notre pays, les élèves qui habitent dans des quartiers pauvres iront dans des classes avec d’autres enfants de zones précaires et leur instruction en sera nécessairement affectée. De même, la progéniture des parents les plus riches sera quant à elle envoyée dans des institutions liées à son milieu social, maximisant son taux de réussite.
Vers un séparatisme des plus riches
Des milliards injectés dans écoles privées élitistes où ne peut entrer qu’une catégorie sociale privilégiée. Ce phénomène est un véritable « séparatisme » où les plus riches font sécession avec le reste de la population.
L’austérité budgétaire que subit l’éducation nationale (mais aussi les autres services publics, et notamment la santé) s’inscrit de fait dans une institutionnalisation de cette ségrégation sociale. La mise en place de Parcoursup, machine à inégalités, est en outre l’un des rouages essentiels de la dynamique néolibérale, qui va à l’inverse même des tous les idéaux républicains français.
En route vers la privatisation massive ?
Bien qu’ils s’en défendent, les dirigeants actuels œuvrent en réalité toujours vers la privatisation massive de tous nos services publics, et l’école n’y échappe pas. Et même s’ils tentent de justifier que l’austérité budgétaire serait nécessaire au prétexte que la population française vivrait « au-dessus de ses moyens » (alors que la France n’a pourtant jamais été aussi riche dans son Histoire), il ne s’agit pourtant que d’une vieille recette libérale.
Ainsi, en dégradant sciemment les services publics, les dirigeants installent dans l’esprit populaire l’idée que les services publics ne seraient pas performants et que peut-être que le privé pourrait mieux faire. Un processus qui profite évidemment aux plus aisés qui ont les capacités de mettre énormément d’argent dans des prestations privées de qualité, mais qui se ferait au détriment du plus grand nombre qui n’aurait pas les ressources pour se l’offrir.
Le privé déjà arrosé par l’argent public
Ce cheminement peut d’ailleurs s’observer aux États-Unis depuis de nombreuses années et il est à craindre qu’il finisse par s’installer en France. À l’heure où le gouvernement réclame des économies à la classe moyenne française, il n’hésite pas à subventionner massivement l’école privée qui reçoit pas moins de 8 milliards d’euros d’argent public par an. Un chiffre qui grimpe même à 12.825 milliards, si on y ajoute les financements des collectivités territoriales et autres administrations.
En outre, parmi celles-ci, beaucoup d’établissements privés n’ont pas besoin de revenus supplémentaires puisqu’ils sont déjà généreusement financés par des familles très riches, comme le tristement célèbre lycée Stanislas qui a fait largement les gros titres. Ainsi que l’explique le média Contre-attaque, s’y trouvent « 7 gymnases et deux piscines, 21 laboratoires, 3 amphis, 2 murs d’escalade, une cantine haut de gamme, le tout sur 3 hectares dans un beau quartier ». Ce qui n’a pas empêché la région de le subventionner à près de 2,3 millions d’euros en 2023.
À l’heure où les établissements scolaires publics périclitent, faute de moyens accordés par les gouvernements néolibéraux, et où les enfants des plus riches s’enferment dans un séparatisme bourgeois, la question de cesser d’alimenter aussi fortement l’école privé d’argent public devrait être une priorité.
– Simon Verdière
The post Rentrée 2025 : la République abandonne définitivement l’école first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 26.08.2025 à 10:00
Face aux loups, le retour des chiens de bergers
Mr M.
Depuis le retour du loup dans les années 1990, les chiens de protection, (tels que les célèbres Montagnes des Pyrénées), sont revenus en France pour protéger les troupeaux. Et pour cause, ces chiens, sélectionnés des siècles durant par les bergers pour ce travail de protection, constituent la clef d’une cohabitation réussie entre prédateurs et proies.
Alors que l’Europe franchit les étapes pour déclasser le loup de son statut d’espèce strictement protégée en raison de sa prédation sur les troupeaux d’ovins, le sujet de leur protection, notamment avec l’aide de son agent le plus efficace, le chien de protection, est plus que jamais d’actualité.
Dans un contexte globalement tendu, la réputation de ces chiens, parfois jugés « inefficaces » et/ou « agressifs », semble se détériorer de jour en jour. Le sujet des chiens de protection a été exploré pendant plus de 20 ans par le docteur en zootechnie, berger et sélectionneur Mathieu Mauriès, dont les propos s’articulent autour de l’étude des chiens et des loups, et qui constate que, bien sélectionnés, élevés et compris, les chiens de protection font preuve d’une efficacité redoutable qui permet à leurs bergers de dormir sur leurs deux oreilles.
L’introduction des chiens dans les troupeaux, un savoir-faire à reconquérir

Le loup, éradiqué de France dans les années 1930, a fait son retour dans les Alpes en 1992. Bien qu’il ne soit pas la seule espèce prédatrice de troupeaux en France (les chiens errants ou divagants, les lynx, par exemple, sont également friands d’herbivores vulnérables), c’est son retour qui a déclenché celui du chien de protection, dont les individus au travail avaient disparu faute de besoin. En plus du Montagne des Pyrénées (ou Patou), on compte nombre d’espèces pour garder les troupeaux : Kangal, Berger de Maremmes, Mâtin Espagnol, Cao de Gado Transmontano…
Bien qu’élevés depuis des temps immémoriaux par les bergers du pays, la disparition de ces chiens en tant que chiens de travail (certains individus étaient élevés pour leur beauté), s’est accompagné de l’évaporation du savoir-faire autour de ces races.
Mathieu Mauriès déplore :
« À l’époque [du retour du loup, dans les années 1990] la seule référence dite scientifique provenait des états-Unis, du couple Coppinger (…) Ils ont complètement sous-estimé l’importance du milieu dans lequel les chiens étaient élevés et la façon dont les bergers les utilisaient. De compagnons de travail des bergers, ils les ont transformés en outils de travail »
Cette vision a abouti à la création d’un protocole d’introduction des chiens dans les troupeaux dont un des principes, toujours préconisé en France par le guide de l’Institut de l’Élevage (IDELE) en ligne, prône la « fixation au troupeau ». Pour les Coppinger, cela signifiait séparer le chiot de sa fratrie à l’âge de 8 semaines, et l’isoler de ses congénères, parmi les brebis, sans autre compagnie canine jusqu’à l’âge de 4 mois, afin de s’attacher au troupeau.
Pour Mathieu Mauriès, « ce principe est totalement erroné car l’attachement au troupeau est génétique. Il a été sélectionné depuis des siècles par les bergers. Les chiots vont naturellement vers les animaux du troupeau et établissent avec eux un lien durable. En aucun cas ce n’est l’homme qui décrète l’attachement au troupeau avec quelque protocole que ce soit. Soit le chien a la bonne génétique et il va s’attacher naturellement au troupeau, soit il ne l’a pas et personne ne pourra jamais le transformer en chien de protection. Bien sûr il faut mettre les chiots en condition d’exprimer tout leur potentiel génétique. Et il est important de leur proposer un environnement adapté chez le naisseur, et plus tard au sein de leur nouveau troupeau. »
Par ailleurs, la privation de compagnie canine pour un chiot, dont les premières semaines de vie sont déterminantes, et son éducation solitaire le prive, outre l’assouvissement de besoins tels que le jeu, la confrontation, l’affection, la sécurité, de l’ouverture de son panel de comportements, et augmente son temps de réaction et ses futures difficultés à gérer des situations nouvelles. Pour l’Association des Chiens de Protection de Suisse, « le chiot vivant seul après le sevrage ne peut pas correctement acquérir la capacité de vivre en troupe lorsqu’il sera adulte ».
« Coppinger a totalement ignoré les besoins fondamentaux des chiots qui sont des besoins de jeu, de sécurité, de soutien, d’affection, de confrontation et de formation par les chiens adultes. Les chiots formés selon cette méthode se construisent sur la peur et non pas sur la confiance comme c’est le cas par exemple pour les louveteaux qui sont élevés au sein d’une meute familiale jusqu’à au moins deux ans. »
Et pour cause, les loups grandissent en meute, jouent, se confrontent et s’éduquent entre eux. Cela leur permet de grandir et d’évoluer dans un milieu stable. Face à ces animaux intelligents, capables d’élaborer des stratégies complexes d’autant plus facilement qu’ils vivent dans un contexte familial rassurant, un chien dont les moments déterminants de sa jeunesse se sont passées dans la contrainte de l’isolement part avec un sérieux désavantage.
Les erreurs des Coppinger, les bergers ne peuvent pas la deviner. Relayée par les guides fournis par des organisations telles que l’IDELE, les agriculteurs appliquent souvent religieusement ces conseils, et, souvent non formés, se sentent dépassés par le comportement parfois difficile à gérer de ces chiens si particuliers.
Des bergers trop peu aidés
Au cours d’une enquête réalisée par l’ADEM, le CERPAM et la FAI et mise à jour en 2021, intitulée « Chiens de protection : quand éleveurs et bergers forgent leurs savoirs dans les Alpes », 28 bergers livrent leurs retours sur l’introduction nouvelle du chien de protection. Pour tous, les débuts ont été difficiles, et ils ont été seuls face aux épreuves, comme en témoigne ce propos d’un éleveur, issu dudit rapport : « Je me suis aiguillé tout seul, j’ai fait de grossières erreurs parce que les 2 premiers coups j’ai suivi mon [instinct], si tu veux j’étais seul confronté à moi-même […] je me suis presque conditionné tout seul. » Un de ses collègues confie également : « Si on avait fait la bonne prévention avant que les loups n’arrivent : formations, mise en place de bons chiens de protection ça se serait mieux passé. »
Bien que les éleveurs échangent entre eux dès que possible, le manque de formation s’est fait sentir pendant des années. Sur cette question, l’enquête de 2021 conclut, après interrogation de plusieurs bergers : « La suite de l’étude le montrera, bien des connaissances techniques font de plus en plus consensus. Développer la formation sur les chiens de protection est une nécessité et répond à un vrai besoin. Cette indispensable consolidation de la formation doit cependant intégrer aussi le fait que bien des connaissances ne sont pas stabilisées, et prendre en compte la diversité des façons de faire donnant satisfaction ». Un sentiment de grand flou semble prédominer dans un domaine où la clarté ferait beaucoup pour la tranquillité des éleveurs, des brebis, des chiens et des prédateurs.
En plus d’un manque de formation, des mythes tels que le chien serait sensé vivre seul au milieu des brebis pendant 2 mois, qu’il pourrait garder un troupeau seul, ou encore qu’il devrait être agressif et un manque général de recherches scientifiques, le risque est grand d’emprunter un mauvais départ menant vers déception, stress et désillusion.

Le milieu manque également cruellement d’un programme de sélection organisé, permettant de garder les meilleures caractéristiques génétiques des chiens.
Sur ce sujet, Mathieu Mauriès explique : « L’absence d’une filière organisée pour la production de chiots et une véritable formation pratique des bergers à l’utilisation des chiens de protection, pénalise à la fois leur acceptation, leur utilisation et leur efficacité. C’est sans compter la désinformation permanente dont fait l’objet le chien de protection dans notre pays. Depuis des siècles la sélection des chiens de protection a été réalisée par les bergers dans les zones à grands prédateurs. Le potentiel génétique existe dans plus de 30 races. Il n’est pas nécessaire de le recréer. Il faut simplement le mettre en valeur à travers un réseau d’éleveurs-naisseurs et l’organiser avec des programmes de sélection adaptés afin de ne pas perdre les qualités de travail qui caractérisent ces races anciennes. »
Pour les bergers, la situation est difficile, dans la mesure où l’accueil de chiens de protection est source de stress non négligeable : altercation avec le voisinage ou bien les consommateurs de nature, difficulté de gestion des chiens et coût important, les bergers peinent parfois à vivre sereinement. Ces problématiques peuvent être dissuasives, d’autant que les chiens ne bénéficient pas de statut juridique protégeant les bergers en cas de problème.
Enfin, bien que l’État fournisse une aide financière pour l’obtention de chiens de protection, elle semble insuffisante au vu des prix réels. Par exemple, l’aide à l’achat s’élève à 375 euros par chiens, quand il coûte en moyenne 1000 euros : la dépense reste considérable. L’entretien bénéficie également d’un forfait de dépense de 815 euros/chien et par an pris en charge à 80%, aide jugée insuffisante par Mathieu Mauriès :
« Sur l’entretien des chiens : le prix de croquettes de bonne qualité s’élève aujourd’hui à 6 € le kilogramme. Sachant qu’un chien adulte en consomme en moyenne sur l’année 1 kilogramme par jour, le coût réel de l’entretien, uniquement pour la nourriture, s’élève en conséquence à 2190 € par chien et par an. Les aides du plan loup ne couvrent donc que 30 % du coût réel d’une alimentation de qualité. »
Entre chiens et loups
Par une sélection ancestrale, les chiens de protection sont devenus des agents protecteurs d’une efficacité redoutable. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le rôle des chiens de protection n’est pas d’attaquer les prédateurs, mais de les empêcher d’approcher en délimitant un territoire. De cette manière, sur le territoire choisi, la niche écologique « canidés » est occupé, limitant l’approche du loup. Par leurs aboiements nocturnes, ils informent les prédateurs de leur présence. Par les déjections laissées, ils délimitent un territoire, informant les autres prédateurs que la niche écologique « canidés » est occupée.
Par ailleurs, leurs excréments constituent une « carte de visite » : mâle ou femelle, âge, santé,… toutes les informations sont à disposition des autres prédateurs. Ainsi sont, dans l’idéal, évitées toutes les confrontations. Les chiens protègent donc troupeaux et prédateurs (dont on connaît le caractère indispensable aux écosystèmes).

Dans la mesure où les prédateurs comprennent très vite, grâce aux indices laissés par les chiens, à quel type de meute ils ont affaire, le nombre de chiens doit être soigneusement choisi. Dans nombre de cas de mise en échec des chiens, intervient en effet le problème du sous-effectif des meutes mises en face des prédateurs. Le nombre de chiens de protections de troupeau dépend non seulement du nombre de bêtes à protéger, mais aussi des caractéristiques du troupeau (sa grégarité), de l’environnement ainsi que de l’ampleur de la prédation. Si l’on a connaissance d’une meute de 10 loups, 2 chiens ne suffiront pas à protéger le troupeau, même si ce dernier n’est pas très conséquent.
Mathieu Mauriès explique :
« Cela [le nombre de chiens nécessaires] dépend du contexte : si on est dans des prairies dégagées ou des montagnes très embroussaillées, où on n’a pas de visibilité (…) de la race des moutons (…) on doit moduler le nombre chiens en fonction de la taille du troupeau, mais pas seulement. Il faut au minimum 2 chiens, le chien de protection est un animal de meute (…) si le chien est seul, il va travailler 24 heures sur 24 et s’épuiser. à deux, ils se remplacent l’un l’autre naturellement (…) et souvent il y en a un dans le troupeau, et l’autre à l’extérieur. Le nombre de chiens dépend aussi de la pression de la prédation ».
Sur la solitude des chiens de protection, Mathieu Mauriès précise : « Quand il n’y a qu’un seul chien de protection il est tiraillé entre le fait de rester dans le troupeau et le fait de patrouiller autour du troupeau pour prévenir le danger et marquer le territoire pour que les autres canidés sachent que ledit territoire est déjà occupé. Deux chiens ou plus savent parfaitement se répartir ces rôles. Un seul chien est dans une position insoutenable ce qui est pour moi de la maltraitance. Le chien de protection est indéniablement un animal de meute. Il n’a jamais été sélectionné pour travailler tout seul. »
Par ailleurs, des effectifs en sous-nombre seront repérés très vite par des loups intelligents capables de tester la protection des herbivores vulnérables ; capables donc, de trouver et s’engouffrer rapidement dans une éventuelle brèche laissée par la moindre défaillance. La clef de ce comportement victorieux : une grande intelligence et un travail en meute familiale parfaitement coordonnée.
Tout comme le nombre de chien doit dépendre – entre autres – de celui des prédateurs, leur comportement aussi. Pour Mathieu Mauriès, des chiens qui fonctionnent comme les loups, à savoir en meute, sont bien plus efficaces. De cette manière, en plus des jeux, des confrontations, des règles sociales qu’ils apprennent entre eux, une véritable culture est transmise d’une génération à une autre, tout comme la culture des loups. Ainsi, lorsque les premiers adultes ont acquis suffisamment d’expérience (autour de 4 ou 5 ans), il faut penser à leur remplacement et installer des chiots qui pourront être éduqués à la protection par leur soin.
En face de loups qui naissent, grandissent, jouent et chassent en meute, il faut mettre des meutes de chiens qui naissent, grandissent, jouent et protègent en meute. Dans cette meute familiale, lorsque l’on trouve une meute composée de chiens expérimentés, en apprentissage et de chiots, les uns apprennent le métier des autres, travaillent parfaitement bien et de manière coordonnée.
Reflet de la culture familiale du loup à l’intelligence exceptionnelle capables de construire des stratégies (pour exemple, ils sont capables d’envoyer en premier une louve en chaleur pour distraire un chien de protection), les chiens capable des mêmes exploits, dont une adaptation rapide aux stratégies lupines. Avec un schéma de ce type, couplé à une sélection soignée et une éducation rigoureuse, depuis plus de 20 ans, Mathieu Mauriès n’a pas eu à déplorer une seule perte dans ses troupeaux.
Au-delà de leur rôle de protecteur, les chiens vivent une véritable symbiose au sein de leurs troupeaux. Leurs aboiements préviennent le berger d’évènements inhabituels. Leur vigilance s’accroît au moment de l’agnelage. Nettoyeurs, ils nettoient les brebis délivrées, mangent le placenta, mais également les mort-nés et les cadavre, ce qui permet d’éviter d’attirer les prédateurs. Ils aident également à sécher les agneaux lorsque la mère ne peut pas, geste important, notamment lorsque les naissances se produisent en hiver. L’éloignement d’autres herbivores sauvages permet d’éviter la propagation d’éventuelles maladies.
Des chiens en mal de popularité
En raison de la hausse des attaques de loups en France, les compétences des chiens de protection sont remises en question. Sur internet, des vidéos et articles fleurissent, tentant de répondre à la question : « face aux loups, les chiens sont-ils à la hauteur ? » dont certains sont clairement à charge de chiens jugés décevants. De ce point de vue, le chien de protection a été victime de méconnaissance de son milieu, habillée de mythes et d’une désinformation qui a abouti à de nombreuses déceptions et a largement desservi l’image du chien de protection. Pourtant, bien que pas infaillibles (en temps de brouillard, par exemple, leur odorat peut être perturbé), ils restent néanmoins redoutablement efficace, s’ils sont en nombre suffisant, correctement élevés.
Outre les doutes sur leurs compétences de protecteurs, les agressions de patous sur des randonneurs se sont multipliées ces dernières années. Que ce soit en raison d’une mauvaise sélection de chiens trop agressifs (rappelons que le pacifisme envers les humains fait généralement partie de leurs attributions) ou de comportement inadaptés des randonneurs (bien que des panneaux indicatifs du comportement à adopter soient placés avant les zones concernées), leur réputation se fait de moins en moins bonne.

Sur les réseaux sociaux, on peut par exemple lire que le patou « est un problème », ou bien que « l’atmosphère de la montagne a changé ». Certains portent plainte. Confrontés à la fois aux grands prédateurs friands d’ovins, de bovins ou même d’équidés, et aux randonneurs en colère, les éleveurs peinent à trouver la tranquillité.
Pour compléter les panneaux installés lorsque les randonneurs arrivent sur le territoire de chiens de protection, souvent mal ou pas lus, des agents médiateurs viennent parfois à la rencontre des randonneurs pour les prévenir de la présence des chiens et les informer des gestes à adopter. Lorsque des chiens de protection chargent, c’est que les limites de leur territoire (invisibles pour les humains) ont été franchies, et que les chiens ont besoin d’identifier l’intrus pour savoir s’il est une menace pour son troupeau. Cela peut être impressionnant s’ils sont en meute de 10 chiens, mais connaître les gestes à adopter est rassurant.
Ainsi, si l’on est à pied, et que des chiens chargent, il convient de s’arrêter, de leur faire face dans le calme, d’attendre qu’ils viennent et reniflent, et de placer un objet entre nous et le chien. De cette manière, il comprend que vous n’êtes pas une menace et peut repartir. En VTT, il faut descendre, en plaçant le vélo entre le chien et vous, et repartir à pied avec le vélo tranquillement jusqu’à ce que le chien reparte. Repartir directement en vitesse risquerait fort d’induire un réflexe de poursuite qui pourrait être évité.
Le retour de ces chiens il y a 30 ans s’est donc fait dans l’urgence, dans une confrontation directe avec la prédation déjà présente, et, souvent, sans la formation et donc les conditions (par exemple, la possibilité d’évoluer en meute, ou simplement en nombre suffisant) nécessaires à l’expression de leur potentiel génétique. Sans statut juridique ni filière de sélection rigoureuse, les chiens peinent parfois à exprimer leur plein potentiel, au détriment de leurs bergers.
Le chien de protection, plus qu’un « outil » au service de l’élevage ovin et bovin, est un véritable compagnon de travail et de route pour les bergers. Bien que la prédation puisse venir d’ailleurs (les chiens errants, lynx, ours,…) la plus médiatisée est celle des loups. Il ne s’agit pas de minimiser l’impact d’une attaque de loups sur un troupeau et son berger, les séquelles sont réelles et difficiles.
Cependant, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non tuer des loups. La réponse est non. Les écosystèmes ont besoin d’eux (et donc, homo sapiens aussi) et, quand bien même ce ne serait pas le cas, une espèce ne saurait juger du droit à une autre d’exister. La question, donc, est de savoir comment cohabiter. Les loups sont intelligents, ne manquent ni de stratégie ni de rusticité. Les chiens que nos ancêtres ont sélectionné pour l’être tout autant représentent la clef de voûte de la survie des proies, des prédateurs, et de la tranquillité de leurs bergers.
– Claire d’Abzac The post Face aux loups, le retour des chiens de bergers first appeared on Mr Mondialisation.