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Publié le 08.03.2025 à 12:13
« Les féministes vont trop loin » : le même refrain depuis un siècle
Mr Mondialisation
Publié le 07.03.2025 à 13:42
OFNI : levons le tabou des collisions avec les cétacés
Renard polaire
Publié le 06.03.2025 à 05:00
Contre la haine, mieux comprendre la transidentité
Elena Meilune
Publié le 05.03.2025 à 10:50
Remettre en cause le droit du sol est une très mauvaise idée
Simon Verdiere
Publié le 04.03.2025 à 10:40
Violences sexuelles : une de nos rédactrices témoigne
Elena Meilune
Publié le 28.02.2025 à 17:08
Prise de Kaboul en 2021 : où en sont les femmes afghanes ?
S. H.
Publié le 27.02.2025 à 16:01
En ces temps difficiles, le rire en voie de disparition ?
S. H.
Publié le 26.02.2025 à 09:48
En Éthiopie, découverte d’un loup pollinisateur !
Maureen Damman
Publié le 25.02.2025 à 17:22
Capitalisation des retraites : la blague néolibérale revient sur la table
Simon Verdiere
Publié le 24.02.2025 à 15:31
Exploitation animale : à quand la fin de la fourrure ?
Renard polaire
Publié le 08.03.2025 à 12:13
« Les féministes vont trop loin » : le même refrain depuis un siècle
Renard polaire
En 1977 par décision de l’ONU, le 8 mars devenait la journée internationale des droits des femmes. Droit de vote, à l’éducation, indépendance financière, contrôle de son corps, égalité salariale… Les combats demeurent de par le monde, à conquérir ou parce qu’ils reculent. Pendant ce temps, les réactionnaires reviennent en boucle avec les mêmes attaques anti-féministes pour dévaloriser leur lutte. Debunk.
Les droits des femmes ne sont jamais acquis, ainsi que Simone de Beauvoir prévenait. Et le triste spectacle de l’opinion anti-féministe le confirme.
« les féministes vont trop loin et desservent leur cause ».
« Le féminisme c’était mieux avant », « je ne suis pas contre le féminisme juste le néo-féminisme actuel », « maintenant, les féministes vont trop loin et desservent leur cause ». Les rengaines de ce type seront familières aux personnes tenant des discours féministes. Elles signifient peu ou prou « J’approuve les revendications féministes passées MAIS celles d’aujourd’hui, alors là non, c’est différent ! » Et ce n’est pas le mouvement #JamaisSansElles et sa tribune Le radicalisme nuit au combat féministe (Le Point, 2022) qui désapprouvera.
Quoi de plus étonnant : quand on grandit dans une société bénéficiant d’acquis, ceux-ci apparaissent comme une norme dont on oublie qu’elles ont nécessité des luttes radicales et un basculement de paradigme. Ainsi on devient réfractaire aux luttes actuelles qui s’inscrivent pourtant dans la continuité de celles passées. En somme, la personne qui s’oppose au féminisme en 2025 s’y serait tout autant opposée au début du XXe siècle. Par pure réactance, peur du changement, perpétuation d’un sexisme systémique invisibilisé ou banalisé dans une société patriarcale, etc.
Hier tout comme aujourd’hui, les conservateurs/réactionnaires/masculinistes/usent et abusent des mêmes raisonnements et insultes envers le militantisme féminisme. Et ces offensives argumentaires ne sont pas sans refléter les peurs et les préjugés de leurs auteurs concernant les rôles genrés au sein de la société, de la famille ou de la « nature féminine ». Un constat opéré au regard de l’opposition au droit de vote des femmes, principale revendication féministe au XIXe et début du XXe siècle en Europe.
Estimer que les luttes passées étaient plus « raisonnables » est un biais cognitif trompeur. Pour le prouver, quelques rappels des réactions virulentes de l’époque, dont ils se font les héritiers :
« La femme doit être protégée (car faible) contre l’influence de la politique »

En Suisse, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1971 seulement. Ces opposants craignaient que ces dernières ne soient trop influençables pour participer à la vie politique, ce qui aurait en plus semé le trouble au sein du foyer. Sans compter la mise en danger des enfants, comme ces affiches l’illustrent aussi : si leur mère est attaquée, qui les protégera ?!
L’argument de la femme faible et manipulable se retrouva en France et en Angleterre au début du XXe siècle. En France, on craignait alors que la femme ne vote sous l’influence de son curé.
« La place de la femme, c’est au foyer ! »
« Comme Jeanne d’Arc, l’anti-suffragette a eu une vision de son devoir : le politicien corrompu qui tient une épée gravée de ‘la place de la femme est à la maison’. »
Un message toujours approuvé par le mouvement Tradwife prônant la soumission de la femme à son mari (aussi bien économique que sexuelle) pour le « bien de la famille ».
« parce que si elles gagnent, elles domineront les hommes ! »
Cette idée révèle la peur profonde des dominants face à la vengeance des dominés, courante à l’époque de la libération des esclaves ou des peuples colonisés. Une crainte du retour de bâton ou du renversement face à la révolte anticipée des opprimés, preuve de la conscience du mal qui a été fait. Ainsi, derrière la volonté d’égalité prônée par les féministes, se cacherait en fait celle de se venger des hommes et de les dominer à leur tour. Un aveu d’injustice flagrant, justifié par la peur de perdre à leur propre système arbitraire de rapport de force.
Quand bien même les féministes répètent encore et encore que leur ennemi, c’est la domination masculine et non les hommes. C’est ainsi que le magazine Elle s’interroge déjà au XXIe siècle : « Les néo-féministes veulent-elles la peau des hommes ? » Une diabolisation du combat des femmes entretenue jusqu’aujourd’hui, quelles que soient les preuves dans le temps que les luttes féministes ont simplement permis aux femmes la reconnaissance de leurs droits humains.

« et les hommes devront s’occuper de tâches domestiques ».
« Pourquoi n’es-tu pas resté célibataire ? » ironise le slogan de cette affiche à un père de famille contraint de sortir en poussette ses deux bébés brailleurs, sous le regard d’un homme défenseur du droit de vote des femmes. Le message de cette campagne ? Si vous gagnez à octroyer des droits aux femmes, vous n’aurez plus aucun intérêt à vous marier, car ces dernières ne seront plus corvéables.
En effet, à quoi bon se marier si c’est pour devoir effectuer les tâches traditionnellement dévolues aux femmes : s’occuper des enfants, du ménage, de la préparation des repas… Une crainte tellement infondée à l’époque, qu’encore de nos jours, les tâches ménagères demeurent largement effectuées par les femmes.
En creux, ce genre de discours invite chacun à rester à sa place. L’homme doit pourvoir aux besoins de sa famille. Quant à la femme, autrefois, elle restait au foyer. Un idéal invisibilisant celles appartenant aux classes travailleuses par ailleurs… Aujourd’hui, on accepte que la femme travaille si cela ne nuit pas à sa vie de famille, deux injonctions forcément incompatibles.
Si on daigne octroyer plus d’indépendance aux femmes, il ne faudrait pas que l’ordre patriarcal en soit trop bousculé pour autant. La perte de certains privilèges est inenvisageable tant elle touche à la virilité (du moins à l’idée qu’ils s’en font) de ces messieurs.
« c’est le fond du problème : les féministes veulent devenir des hommes ! »
Car le pendant des femmes qui se masculinisent, c’est les hommes qui se féminisent ! Un vrai complot féministe contre la masculinité. Le Figaro s’inquiète même de l’effacement de l’identité masculine !

Et cette ressemblance ne s’arrête pas aux droits ou à la place dans la société. Elle contamine aussi l’apparence physique : quand les femmes porteront des pantalons, comment pourra-t-on les différencier des hommes ? Et que restera-t-il aux hommes comme spécificité ? Cette peur d’émasculation fait écho à la vague actuelle de transphobie frappant les personnes transgenres, et les femmes trans plus particulièrement.
Pour pousser la caricature jusque dans le grotesque : « Une suffragette demande à une femme à barbe (dangereuse) : Comment avez-vous réussi ? »
« les femmes se crêpent le chignon pour un rien »
Pour décrédibiliser une lutte féministe, le recours aux clichés sexistes tels que « la femme hystérique qui s’énerve pour un rien » demeure une valeur sûre. Comment pourrait-elle participer à la vie de la cité si elle ne peut contrôler ses émotions ?
« Qu’est-ce que ces épouses sauvages sont en train de dire ? » se demande un pauvre homme au sujet d’une réunion sur le droit de vote des femmes.
Justification pour ne pas les autoriser à voter fût un temps, ce même imaginaire est convoqué de nos jours pour expliquer leur absence à des postes de pouvoirs ou le fait de ne pas les soutenir dans leur combat.
D’où la sortie misogyne d’Eric Zemmour en 2013 : « Elles n’expriment pas le pouvoir, elles n’incarnent pas le pouvoir, c’est comme ça. Le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent. » On ne compte plus les sorties sexistes de l’essayiste et homme politique d’extrême-droite.
« En plus, les féministes/suffragettes sont des femmes moches et aigries qui n’ont pas trouvé d’hommes »
« Origine et développement d’une suffragette : à 15 ans, un petit animal de compagnie ; à 20 ans, une petite coquette ; à 40 ans, toujours pas mariée ! ; à 50 ans, une suffragette »
Car quelle féministe n’a pas entendu qu’elle était « mal baisée » et que son engagement féministe provenait de cette frustration ? Les féministes (comme Minute Simone ou Héloïse Simon) n’ont pas manqué de s’emparer de ce poncif éculé au profit de leur lutte. Un cliché sans aucune valeur mais d’autant plus ironique que selon une étude, les femmes féministes auraient une sexualité plus satisfaisante que les autres.
Et leur laideur présumée se retrouve dans la bouche de célébrités comme Françoise Hardy ou grâce aux memes pullulant en ligne. Comme les féministes rejettent les codes d’une société genrée, elle ne peuvent que sortir des canons de beauté pour leurs détracteurs.

S’il fallait retenir une leçon de tous ces exemples, c’est de ne pas se laisser atteindre par ces attaques anti-féministes rabâchées de génération en génération. En les renvoyant d’où elles viennent : des tréfonds de l’histoire.
La lutte pour les droits de femmes n’est pas encore au bout de ses peines et se heurtera toujours à des volontés contraires. C’est en persévérant pour un monde plus juste et digne pour l’ensemble des êtres que l’on parvient à triompher à terme. A l’heure d’un backlash généralisé, il demeure d’autant plus important de rester mobilisé et de ne pas laisser l’anti-féminisme se populariser comme une mode. Le féminisme n’est pas un gros mot, mais une grande cause.
– S. Barret
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Publié le 07.03.2025 à 13:42
OFNI : levons le tabou des collisions avec les cétacés
Renard polaire
À l’occasion de la dernière et récente course du Vendée Globe, le sujet des OFNI (Objet flottant non identifié) a resurgi. Autrefois tabou, le terme est devenu familier aux oreilles des profanes de la voile, et interroge : à quel point le trafic maritime impacte-t-il la vie des animaux marins ?
OFNI, pour Objet Flottant Non Identifié, est un acronyme bien connu des marins et sonne toujours comme une menace car il représente un danger potentiel pour les navigateurs.
Depuis quelques années, le terme est devenu récurrent dans la bouche de certains skippers, décidant de briser l’omerta sur ce qui représente finalement, le plus souvent, une violente collision avec…un mammifère marin.
OFNI et Vendée Globe, vers la fin d’une omerta
Appelés communément OFNI mais pouvant également être définis sous l’acronyme d’OANI (Objet Aquatique Non Identifié), les Objets Flottants Non Identifiés sont un peu la hantise de tous les marins. Menaces sous-jacentes impossibles à prévoir, ils peuvent prendre la forme de gros débris (épaves, conteneurs, troncs d’arbres), mais également d’animaux marins.
Malgré la présence de sonars de plus en plus technologiques, les bateaux ne peuvent capter tous les obstacles présents sur leur route, ce qui met en danger la vie des personnes à bord… comme celle des animaux impactés. Parmi les nombreux abandons de la course du Vendée Globe (presque la moitié des départs), il est reconnu dans le milieu qu’une partie d’entre eux est due à des collisions avec un OFNI.
« L’appellation OFNI associe les animaux à des encombrants, qui ne font pourtant qu’évoluer dans leur milieu naturel »
Les OFNI sont donc souvent des animaux marins de grande taille : baleines, cachalots, orques, etc. Dans le langage maritime, les cétacés deviennent donc « obstacles », et « objets » : une sémantique quelque peu douteuse, car elle associe les animaux à des encombrants, qui ne font pourtant qu’évoluer dans leur milieu naturel.
À l’inverse des OVNI, il n’est désormais plus possible d’ignorer ce que sont ces OFNI : les skippers ont conscience que s’ils ne peuvent encore les éviter, ils savent souvent les identifier. Or, admettre en les nommant que l’on a heurté, blessé et potentiellement tué un animal qui passait – dans son élément naturel – reviendrait à assombrir la fête que représente une course comme celle du Vendée Globe.

« Nous ne voulons pas passer pour des tueurs de baleines »
« Nous ne voulons pas passer pour des tueurs de baleines », a déclaré en 2020 le skipper français Fabrice Amedeo, désireux de briser l’omerta sur le sujet. En 2016, le skipper Kito de Pavant abandonne la course suite à un choc avec un cachalot. En 2020, c’est au tour du navigateur espagnol Didac Costa d’entrer en collision avec une baleine. Pour lui, plus de peur que de mal. Pour la baleine, les conséquences sont inconnues, même si Fabrice Amedeo est conscient que le sort des animaux heurtés est souvent funeste.
« Un Ofni {…} c’est souvent une baleine et on n’ose pas dire qu’on tape des baleines ou qu’on tue des baleines parce que quand on tape une baleine, en général on la tue », a-t-il déclaré peu de temps avant son départ pour le Vendée Globe 2024.
Pour Laurine Gounot, chargée de mission Programme collisions au sein de l’association MIRACETI, la parole commence en effet à se libérer dans le milieu de la course au large, après de longues années de tabou : « Le MMAG, un groupement qui lutte pour la préservation des mammifères marins, a mis en place différents systèmes pour détecter les OFNIS et a surtout créé des zones d’exclusion en partenariat avec le consortium Share The Ocean. Celles-ci, même si elles ne sont que des recommandations, sont de plus en plus prises en compte pour les itinéraires de courses au large telles que le Vendée Globe. »

L’omerta sur les OFNIS reste toutefois difficile à briser car le milieu de la voile renvoie l’image d’un sport « propre ». Principalement mus par la poussée vélique, les voiliers sont perçus comme nettement moins impactant qu’un navire classique : une osmose apparente avec le milieu marin qu’il est mal vu de critiquer. Pourtant, le monde de la voile tel qu’il existe aujourd’hui reste également tourné vers une forme de performance, surtout au niveau professionnel, et souvent au détriment du reste.
Les codes masculins y sont encore très forts, malgré la percée de skippeuses comme la jeune Violette Dorange. Le milieu de la compétition, perméable à la société dans laquelle il évolue, répond par ailleurs encore à de vieux codes capitalistes, financé par des sponsors peu éthiques (Charal, Maître CoQ, Sodebo, Mcdonald…). Le secteur fait également vivre un marché de matériaux très polluants, comme la peinture antifouling pour protéger les coques, très polluante et aux propriétés biocides.
Depuis plusieurs décennies, la voile en Occident n’est pas exempte de s’être octroyée la mer comme terrain de jeu, sans contradiction. C’est une problématique souvent connue des sportifs de haut-niveau dont l’activité se déroule en pleine nature : un lien sincèrement affectif à l’environnement et l’exploitation de ce dernier comme un décor « à disposition » de tous les défis ou plaisirs.
Il aura fallu que quelques skippers osent briser le silence et reconnaître que, malgré son apparence inoffensive, la voile porte atteinte au monde marin comme les autres formes de navigation.
L’impact désastreux du trafic maritime en général sur les cétacés
Plus largement, il y a encore quelques décennies, les échouages groupés de cétacés échappaient à notre compréhension. Aujourd’hui, le milieu scientifique s’accorde à dire que les sonars des navires sont la cause la plus fréquente des échouages massifs.
Ces mêmes sonars, notamment militaires, désorientent les animaux qui se retrouvent parfois égarés, mettant en péril leur survie. Il est aisé d’oublier qu’il y a sous la surface lisse de l’eau une vie marine extrêmement dense, complexe, codée et auprès de laquelle les inventions humaines modernes interfèrent, rarement pour le meilleur.

Les OFNI concernent tous les types de navigation, même s’ils restent plus dangereux pour de petites navigations que pour des porte-conteneurs. Si les cétacés heurtant un voilier ont de fortes chances de se blesser, il est facile d’imaginer l’impact d’un cargo ou d’un navire de croisière sur les animaux.
« En Méditerranée, nous estimons à environ 36 le nombre de rorquals communs mortellement touchés chaque année, sur une population de 1700 individus »
« En Méditerranée, nous estimons à environ 36 le nombre de rorquals communs mortellement touchés chaque année, sur une population de 1700 individus, détaille Laurine Gounot. Il s’agit d’animaux à forte longévité, donc à taux de reproductivité faible. De ce fait, la résilience de l’espèce est impactée au-delà de 2 individus morts par an.«
Il ne faut donc pas oublier que si les OFNI représentent un risque pour la navigation, les animaux « obstacles » en sont les premières victimes.
« Il existe aujourd’hui de nombreux projets pour aider les navires à détecter les OFNIS, mais la plupart sont encore au stade du développement, explique Laurine Gounot. Avec MIRACETI, nous avons créé un dispositif de signalement des cétacés en temps réel, aujourd’hui obligatoire en France, mais qui a ses limites car il est basé sur l’observation visuelle. »
En attendant de pouvoir intégrer d’autres technologies de détection aux navires, MIRACETI accentue son travail de sensibilisation et de formation des personnels navigants, de plus en plus réceptifs à la problématique des collisions. « Nous transmettons bonnes pratiques et recommandations, car les écoles de navigation manquent de modules liés à l’environnement… Nous savons aujourd’hui que le contexte est ce qui influe le plus le risque de collisions : une vitesse élevée, au-delà de 10 nœuds, dans une zone fréquentée par les cétacés créent un cocktail à risque.«

En septembre dernier, un drame s’est déroulé au large de Tahiti : la jeune baleine à bosse Sweet Girl, bien connue des locaux, a été percutée par un bateau de tourisme navigant bien trop vite (30 nœuds au lieu des 5 réglementaires). L’animal a vu sa mâchoire supérieure arrachée sous l’effet du choc : un accident terrible entraînant une très longue agonie, puis la mort par noyade de Sweet Girl (attention, images difficiles).
Les plongeurs présents sur place n’ont rien pu faire d’autre que d’assister aux cris déchirants de la jeune baleine à bosse, morte dans des souffrances épouvantables à cause d’un ferry qui, comme beaucoup d’autres, ne respectait pas les règles de préservation de la vie marine.
Pêche, whale watching déraisonné, sonars, densité du trafic… Cétacés et faune marine sont victimes d’une invasion humaine destructrice qui pille leur milieu, capture des animaux par accident, brouille leurs moyens de communication, encombre mortellement leurs voies de navigation et les soumet à des situations de stress.
Cet impact délétère a notamment poussé la Commission Européenne, en 2023, à imposer une mesure d’interdiction de la pêche chaque hiver dans le Golfe de Gascogne, d’une durée de quatre semaines. Une décision qui fait gronder le milieu de la pêche mais qui représente une véritable bouée d’oxygène pour les grands dauphins, dauphins communs et autres marsouins qui vivent à proximité.

En effet, les captures accidentelles y sont très élevées : les chalutiers emprisonnent les animaux dans leurs filets, les blessent en les remontant (s’ils ne sont pas déjà morts) et les relâchent avec des fractures, des amputations et autres lésions physiques. Nombre d’animaux retrouvés échoués sur les plages en portent les stigmates. En cela, ces quatre semaines représentent un répit bienvenu pour les animaux, puisque le nombre de dauphins retrouvés morts pendant cette période a été divisé par quatre en 2024.
Le cas des orques de Gibraltar : « Nous sommes les intrus »
Cela fait maintenant plusieurs années que des groupes d’orques, dans les environs du détroit de Gibraltar, sèment la terreur au sein des usagers de la mer : les collisions et interactions entre orques et bateaux ont atteint le nombre de 600 entre 2020 et 2024. Dans les faits, il s’agit de petits groupes d’orques s’obstinant à détruire les gouvernails à coup de rostre ou de queue, ou à abîmer la coque des bateaux.
D’aucuns se sont retrouvés à devoir faire réparer leur matériel, à écoper une infiltration d’eau, voire à assister au naufrage de leur embarcation. Un comportement nouveau, que les épaulards semblent se transmettre d’un groupe à l’autre.
Navigateurs et scientifiques ont d’abord pensé qu’il s’agissait d’apprentissages de techniques de chasse ou d’agressions de la part des cétacés, sur-sollicités par le nombre de bateaux. D’autres s’accordent sur le fait qu’une orque matriarche aurait vécu une expérience traumatisante avec un bateau et tente depuis de s’interposer face à ce qu’elle associe à un danger, incitant ses congénères à faire de même. Une théorie qui, si elle peut s’avérer véridique, ne doit être confondue avec l’hypothèse d’une « vengeance », qui reste un concept anthropomorphique.
La cétologue et éthologue Fabienne Dufour met en garde contre cette théorie : selon elle, penser que les animaux se vengent risque d’amener à un comportement dangereux de la part des hommes, car « cela pourrait légitimer des actions violentes prises à l’encontre de ces animaux ». La spécialiste alerte sur le fait que l’épaulard est une espèce menacée, en particulier les orques ibériques de Gibraltar, et qu’il faut avant tout trouver un moyen d’éviter ces interactions, notamment en contournant leur territoire.
Cette théorie du traumatisme est remise en cause par différents scientifiques. Celle du jeu est aujourd’hui la plus relayée, notamment suite à la parution d’un rapport de la Commission Baleinière Internationale qui, il y a un an, soutenait cette hypothèse comme étant la plus plausible après observation poussée du comportement des animaux. Actuellement, il n’existe toutefois pas encore de consensus.

Ce dont ces faits attestent, c’est de l’intelligence incroyable des orques qui évoluent en groupes familiaux très organisés : apprentissage, culture, transmission, adaptation… Le détroit de Gibraltar est l’une des voies navigables les plus fréquentées de la planète et les groupes d’orques qui y vivent sont soumis à un stress permanent. Orques et Hommes y chassent les mêmes proies, à commencer par le thon rouge. En empiétant sur les plates-bandes, les bateaux représentent une menace pour les orques et pour la survie des groupes.
Si les destructions de navires ne peuvent être interprétées comme un retour de bâton, il s’agit d’une situation où, tout comme nous, l’animal interfère avec son milieu. Même si ce ne sont potentiellement que des jeux, ces déboires vécus par les navires relatent l’action d’animaux qui ne sont plus passifs vis-à-vis des Hommes. Au-delà du fait que les spécialistes ne savent exactement en déterminer la cause, c’est cette pro-activité de l’animal qui effraie, car elle nous fait soudainement chuter de notre piédestal.
« L’Homme n’est plus seul maître à bord ».
Peut-être serait-ce l’occasion de se souvenir, comme le dit Rafael Pecci Arogon, responsable du chantier naval de Barbate, que « ce sont des animaux qui sont dans leur habitat quand nous, nous sommes les intrus. »
– Renard Polaire
Source image en-tête @pasja1000/Pixabay
The post OFNI : levons le tabou des collisions avec les cétacés first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 06.03.2025 à 05:00
Contre la haine, mieux comprendre la transidentité
Renard polaire
Depuis sa réélection, Donald Trump a multiplié les attaques contre les droits fondamentaux des personnes transgenres, dans un contexte d’hostilité croissante à l’égard des minorités. Cette situation fait écho à la montée des idées réactionnaires en France.
La stigmatisation des personnes trans est explosive ; y compris au sein de certains courants soit disant féministes qui incitent à l’exclusion des personnes déjà marginalisées. On fait le point.

La transphobie de l’institution Trump
Ces dernières semaines, le président américain a intensifié les mesures régressives visant les personnes transgenres, remettant en cause plusieurs acquis récents en matière de droits civiques. Par exemple, un décret exige désormais que les documents d’identité fédéraux reflètent le sexe assigné à la naissance, excluant l’identité de genre.
Cette mesure d’atteinte aux droits humains fondamentaux risque de priver de nombreux individus trans et non-binaires de l’accès à leurs documents officiels, avec des conséquences majeures sur leur vie quotidienne.
L’administration américaine a également entrepris de supprimer des sites web fédéraux tout contenu lié aux communautés LGBTQI+, affectant des milliers de pages. Cette initiative a entraîné la disparition de ressources essentielles pour ces communautés, notamment des informations sur la santé, des guides de soutien et des données sur les droits civiques. En outre, une proposition de loi en Arizona vise à interdire l’utilisation de pronoms par les étudiants transgenres, sauf autorisation écrite des parents. Une mesure qui va les mettre en danger, dans un contexte déjà hostile.
Les personnes trans sont désormais également interdites de rejoindre l’armée, mesure que les organisations de défense des droits humains dénoncent comme une purge. Elle est actuellement contestée en justice, pour violation des droits constitutionnels des personnes concernées.
Violences et discriminations transphobes : des chiffres alarmants
Les personnes trans font partie des catégories de population les plus opprimées alors qu’elles sont moins de 1 % à l’échelle mondiale. Selon des études menées par diverses organisations, les taux de violence, de harcèlement et de meurtre sont alarmants. Aux États-Unis, par exemple, le National Coalition of Anti-Violence Programs (NCAVP) rapporte que les personnes transgenres, et particulièrement les femmes trans racisées, sont victimes d’agressions physiques et de meurtres bien plus fréquemment que la population cisgenre. Et au regard des meurtres anti-LGBTQI+, la fraction d’assassinats de personnes trans est complètement disproportionnée par rapport à leur population. Dans le cas des violences sexuelles, les femmes trans rencontrent encore plus d’obstacles que les femmes cisgenres au regard de la justice.
De plus, une étude de 2015 menée par le National Center for Transgender Equality a révélé que 47 % des personnes transgenres aux États-Unis avaient été agressées physiquement ou sexuellement au cours de leur vie, et près de 1 personne trans sur 10 avait été victime de violences graves, comme des violences policières ou des attaques.
En Europe, les statistiques sont tout aussi inquiétantes, bien que la collecte de données sur la violence à l’égard des personnes trans reste insuffisante. Ces chiffres montrent une réalité particulièrement violente, notamment pour les personnes trans racisées, les femmes trans, et celles vivant en situation de précarité. Le manque de reconnaissance des violences spécifiques subies par les personnes trans dans de nombreuses législations, ainsi que la stigmatisation généralisée, aggravent d’autant plus cette situation tragique. La première cause de mortalité chez les hommes transgenres est le suicide, en lien étroit avec la transphobie dont ils sont victimes.
Mensonges et préjugés transphobes
Les personnes trans sont confrontées à une hostilité croissante, nourrie par des discours désinformés et malveillants. Et pour justifier leur haine, les détracteurs de la transidentité se servent généralement de cas isolés et de caricatures pour propager des discours truffés de contre-vérités. Voici quelques mythes et préjugés infondés concernant la transidentité :
1. « La transidentité est une maladie mentale »
FAUX. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a retiré la transidentité de la liste des maladies mentales en 2019. Elle est aujourd’hui reconnue comme une variation naturelle de l’identité de genre. La détresse ressentie par certaines personnes trans (dysphorie de genre) est principalement due à la transphobie et aux obstacles sociétaux, plutôt qu’à leur identité elle-même. Il est également prouvé que les transitions améliorent considérablement le bien-être des personnes transgenres.
2. « Être trans, c’est une mode »
FAUX. Les identités transgenres existent depuis toujours, dans toutes les cultures. La seule chose qui a changé ces dernières années est la visibilité et la reconnaissance accrue de leurs droits, même si ceux-ci sont de nouveau menacés par la désinformation propagée par l’extrême droite.
Dans de nombreuses cultures anciennes, les personnes transgenres ou à genre non-binaire étaient reconnues et parfois même vénérées. Par exemple, en Amérique du Nord autochtone, les « Two Spirit » (« deux-esprits ») incarnaient à la fois des expressions masculines et féminines de genre. Ces personnes occupaient souvent des rôles importants au sein de leurs communautés et étaient perçues comme une bénédiction. Bien entendu, cette diversité des genres ne correspondait pas aux normes imposées par les colons européens, qui ont rapidement cherché à l’effacer.
En Inde, les Hijras – généralement des personnes assignées hommes à la naissance qui s’identifient et vivent en tant que femmes – sont présentes dans la culture et la religion depuis des siècles, notamment en tant que figures spirituelles. Elles sont à la fois respectées et marginalisées, dans une dualité complexe qui témoigne des contradictions sociétales autour de la diversité de genre.
L’ère coloniale et l’essor du christianisme principalement (mais aussi d’autres religions monothéistes) ont entraîné une répression brutale des identités de genre « non conformes ». Dans le même temps, ces systèmes ont tenté d’éradiquer les spiritualités et croyances païennes, souvent en harmonie avec la nature et la diversité des genres. En Europe, pendant des siècles, les personnes trans étaient perçues comme des individus anormaux, des pécheurs, et ont été sujets de moqueries et de violences.
Pourtant, la diversité sexuelle et de genre existe depuis la nuit des temps. L’histoire de la transidentité est une histoire de résistance, de résilience et de quête de reconnaissance. Malgré leur existence millénaire, les personnes trans ont longtemps été invisibilisées, stigmatisées et discriminées. Aujourd’hui, grâce aux luttes menées par plusieurs générations d’activistes, la transidentité est de plus en plus reconnue et englobe une diversité d’expressions de genre légitimes.
Cependant, le chemin vers l’égalité est encore semé d’embûches. Les parcours de transition restent extrêmement complexes à tous les niveaux : personnel, social, professionnel, médical et administratif. Rien que pour changer d’état civil, une personne trans doit répondre à des critères stricts. Si elle s’écarte des normes de genre imposées (par exemple, une femme trans jugée « pas assez féminine »), son changement peut lui être refusé.
Contrairement à certains préjugés, ce ne sont pas les personnes trans qui renforcent les stéréotypes de genre : c’est la société qui les leur impose. Pour avoir accès à des droits fondamentaux, elles sont souvent contraintes de s’y conformer. Cette lutte est indissociable du féminisme : notre corps, notre choix.
3. « Les femmes trans ne sont pas de « vraies » femmes » (et inversement pour les hommes trans)
FAUX. Le genre ne se limite pas à la biologie. La notion de « vraie femme » ou de « vrai homme » repose sur des critères arbitraires et évolutifs. Réduire les femmes à des organes reproducteurs est une vision sexiste qui va à l’encontre même de la lutte féministe, puisque c’est précisément cette réduction qui a historiquement servi de justification à leur oppression.
Mais alors, qu’est-ce qu’une « vraie femme » ? Une personne qui a ses règles ? Alors les personnes ménopausées ne seraient pas des femmes ? Une personnes capable d’enfanter ? Cela exclurait donc les femmes stériles ? Ces critères sont absurdes et reflètent des stéréotypes oppressifs. Le féminisme combat ces étiquettes restrictives, qui enferment les femmes dans des rôles déterminés par leur biologie. Son but est de traiter chaque personne comme un être humain à part entière, indépendamment de son sexe et de son genre.
Par ailleurs, même le sexe biologique est un concept multifactoriel, qui ne se réduit pas simplement aux chromosomes ou aux organes génitaux. Il inclut des dimensions génétiques, hormonales, anatomiques et morphologiques.
Quelle différence entre le sexe et le genre ?
Le sexe est une caractéristique biologique déterminée à la naissance en fonction des chromosomes (XX, XY ou variations intersexes), des organes génitaux et des caractéristiques hormonales. On parle généralement de sexe féminin et masculin, mais il existe des variations naturelles qui ne rentrent pas strictement dans ces catégories. Ainsi, même en biologie, le sexe est une réalité complexe. Selon les spécialistes, environ 2 % de la population naît avec des caractéristiques intersexuées, soit un chiffre plus élevé que celui des personnes transgenres (moins de 1 % de la population).
Le genre, quant à lui, est une construction sociale et culturelle. Il définit les rôles, attentes et comportements associés aux identités masculines et féminines dans une société donnée. Il n’est ni figé, ni universel : il varie selon les époques, les cultures et les contextes sociaux. Le genre inclut également les identités non binaires ou fluides, qui ne se reconnaissent pas forcément dans la stricte dichotomie homme/femme.
Non, les personnes trans ne sont pas des « hommes déguisés en femmes » (ou inversement)
L’identité de genre ne se réduit pas aux apparences. Être trans ne signifie pas « faire semblant » : c’est un profond ressenti d’inadéquation entre l’identité et le sexe assigné à la naissance. La transition (sociale, hormonale ou chirurgicale) est un parcours personnel, que chacun·e vit différemment.
Certains mettent en avant les cas de personnes ayant regretté leur transition pour discréditer l’ensemble des parcours trans. Toutefois, si ce taux peut aller jusqu’à 14,4 % (voire 20 % pour les arthroplasties totales du genou selon une étude), il inclut principalement les regrets dus à la pression sociale et à la transphobie engendrée par la transition. En revanche, le taux de regrets résultant du doute concernant l’identité de genre varie seulement entre 0,09 % et 2,4 % selon les études. C’est complètement dérisoire. Mais bien sûr, l’extrême droite, qui adore mettre en avant des exceptions pour décrédibiliser toute idée de tolérance, s’en sert d’épouvantail.
Par ailleurs, à titre de comparaison, selon une enquête européenne, entre 9 et 16 % des parents regrettent avoir eu des enfants. Et ici, il ne s’agit pas seulement d’un choix personnel qui concerne son propre corps, mais d’une décision qui implique la vie et le bien-être d’autres êtres humains. Pourtant, personne ne milite pour empêcher les gens d’avoir des enfants sous prétexte qu’une minorité d’entre eux pourraient le regretter. Ce parallèle met en évidence l’incohérence et la malhonnêteté intellectuelle des discours transphobes : ils ne visent pas à protéger les individus d’un potentiel regret, mais bien à entraver le droit des personnes trans à disposer d’elles-mêmes.
4. « La transidentité met en danger les enfants »
Pour ne rien changer, une nouvelle panique morale propagée par l’extrême droite : « Attention, ils s’attaquent aux enfants ! » Évidemment, tout le monde veut protéger les enfants, donc comment ne pas tomber dans le piège ? Avez-vous remarqué que l’extrême droite utilise systématiquement l’argument de la « protection des enfants » pour discréditer tout mouvement prônant l’égalité ou la tolérance ? Une technique vieille comme le monde.
En matière de malhonnêteté intellectuelle, ils n’en sont pas à leur coup d’essai. Exploiter l’émotion et notre instinct primaire de protection pour manipuler l’opinion publique est une méthode bien rodée, permettant d’infuser la haine de l’autre et de justifier la mise en place de politiques discriminatoires. Un paradoxe, quand on y pense.
En réalité, cette idée alarmiste selon laquelle la transidentité mettrait les enfants en danger ne repose sur aucun fondement sérieux. Elle véhicule la peur et la confusion en insinuant que reconnaître l’identité des enfants transgenres pourrait leur nuire, alors que cette reconnaissance contribue au contraire à leur bien-être. Un site qui démonte avec brio ces arguments est « Toutes des femmes », qui propose une analyse approfondie des enjeux liés à la transidentité chez les mineurs.
La médicalisation précoce : un mythe
La prise en charge médicale des enfants trans est un processus long et progressif, débutant par une exploration de l’identité de genre avec un suivi psychologique et médical pluridisciplinaire (psychologues, médecins, etc.). Aucun enfant ne subit une transition médicale (hormonale ou chirurgicale) avant d’avoir atteint une maturité suffisante. Ces parcours sont soumis à des protocoles médicaux stricts et nécessitent un suivi approfondi.
Les bloqueurs de puberté, souvent diabolisés, sont en réalité un traitement réversible reconnu par la communauté scientifique pour aider les enfants trans à éviter les souffrances liées aux transformations corporelles non désirées.
Par ailleurs, les bloqueurs de puberté sont utilisés depuis des décennies pour traiter la puberté précoce chez les enfants cisgenres. Un traitement validé par les instances médicales et considéré comme sûr et réversible. Quant aux chirurgies de réassignation sexuelle, elles sont extrêmement rares chez les mineurs et généralement réservées à l’âge adulte après un long processus d’évaluation.
Quid des enfants intersexes mutilés sans leur consentement ?
Contrairement aux discours alarmistes sur les transitions médicales des enfants trans, il existe une autre réalité gravissime : les opérations imposées aux enfants intersexes dès la naissance pour leur assigner un sexe, sans leur consentement. Ces interventions irréversibles visent à conformer ces enfants aux attentes sociales et constituent une véritable mutilation.
Les bloqueurs de puberté sont également utilisés sur les enfants intersexes, souvent sans leur consentement, pour les conformer aux normes binaires de sexe, pour aligner leur développement sur une identité sexuelle assignée par les médecins ou les parents. Des interventions médicales vivement critiquées par des organisations de défense des droits humains étant donné qu’elles peuvent être réalisées sans le consentement des personnes concernées. Contrairement aux bloqueurs prescrits aux enfants trans ou aux enfants atteints de puberté précoce, ces traitements ne visent pas à offrir un choix, mais à imposer une trajectoire corporelle perçue comme « normale » par la médecine et la société. Rien qu’en 2016, la France a été condamnée à trois reprises par l’ONU pour des mutilations réalisées sur des enfants intersexes.
Or, les mêmes militants transphobes qui se réclament de la « biologie » pour refuser la reconnaissance des personnes trans ne dénoncent pas ces mutilations – et les soutiennent même souvent. Faut-il en conclure que, selon eux, les personnes nées intersexes ne seraient pas « naturelles » ? Une contradiction flagrante qui prouve que leur combat ne repose pas sur la science, mais sur un désir de contrôle des corps et des identités.
Les enfants trans existent bel et bien
Beaucoup de personnes transgenres témoignent avoir ressenti dès leur plus jeune âge une incongruence entre leur identité de genre et leur sexe assigné à la naissance. L’augmentation des témoignages de jeunes trans s’explique par une meilleure visibilité et une diminution de la stigmatisation, et non par un effet de mode. Si certains enfants explorent leur identité et évoluent avec le temps, d’autres sont très clairs sur leur genre dès leur plus jeune âge. L’essentiel n’est pas d’imposer une vision adulte, mais d’accompagner ces enfants avec bienveillance.
Les enfants transgenres qui sont soutenus dans leur parcours, qui peuvent s’exprimer librement sur leur genre et qui reçoivent l’amour et l’acceptation nécessaires, ont de bien meilleures chances de vivre une vie épanouie. En revanche, lorsqu’on leur impose de réprimer leur identité de genre ou qu’on les empêche d’exprimer qui ils sont, ils courent un risque accru de dépression, d’anxiété, et de pensées suicidaires.
Des travaux scientifiques montrent que l’accompagnement des enfants transgenres, loin de les « mettre en danger », est une des clés pour leur santé mentale et leur bien-être. D’après une étude notamment, le taux de pensées suicidaires diminue de 93 % chez les jeunes qui vivent dans une famille avec un soutien parental fort. Une autre étude a montré que les enfants trans qui sont soutenus dans leur identité de genre ont une santé mentale aussi favorable que les enfants cisgenres.
D’autres recherches ont mis en lumière le fait que l’absence de soutien familial adéquat chez les jeunes transgenres accroît considérablement leur risque de souffrir d’anxiété, de dépression, de faible estime de soi. L’absence de soutien parental est associée à un taux de tentatives de suicide 14 fois plus élevé chez les jeunes transgenres. Les soins d’affirmation de genre, combinés à un environnement familial favorable, contribuent à une trajectoire de santé mentale stable chez les jeunes transgenres.
Il n’y a pas d’« épidémie » de jeunes trans
L’idée d’une « épidémie » de jeunes trans est infondée scientifiquement. L’accroissement des coming out trans s’explique notamment par un meilleur accès à l’information et une sensibilisation accrue des professionnels de santé. Pourtant, faire son coming out en tant que personne trans reste une prise de risque énorme en raison du rejet familial et social. Imaginer que des enfants le font par effet de mode est extrêmement réducteur.
On ne peut pas « guérir » la transidentité
La transidentité n’est pas une maladie, il n’y a rien à guérir. Les thérapies de conversion visant à « corriger » la transidentité sont inefficaces, dangereuses et scientifiquement discréditées. Les professionnels encouragent plutôt un accompagnement bienveillant, permettant aux jeunes d’explorer leur identité en toute sécurité. Rappelons que l’homosexualité a elle aussi été psychiatrisée et médicalisée, considérée auparavant comme une pathologie, une déviance. C’est en 1990 seulement que l’OMS a cessé de la considérer comme une maladie mentale. Des progrès récents et encore très fragiles.
L’éducation sexuelle et affective : un danger pour les enfants, vraiment ?
L’idée selon laquelle l’éducation scolaire au genre et à la sexualité « corrompt » les enfants repose sur une désinformation flagrante. Les cours d’éducation à la vie relationnelle, sexuelle et affective (EVRAS) ont pour but de sensibiliser les enfants à leurs droits, de leur apprendre à reconnaître les situations d’abus et de leur fournir des outils pour se protéger.
Il est important de rappeler que la majorité des agressions sexuelles sur mineurs sont des incestes (77%), se produisant dans le cadre familial et non sous l’influence d’un prétendu « endoctrinement scolaire ». Ces cours sont une mesure préventive essentielle pour lutter contre les violences faites aux enfants. Réserver l’éducation sexuelle au cadre familial est criminel.
Concernant l’identité de genre, elle n’apparaît dans le programme scolaire français qu’à partir du lycée et a pour but de sensibiliser au respect de la diversité. Ces enseignements visent à promouvoir le respect, la compréhension et l’inclusion. Il ne s’agit pas d’imposer une idéologie, mais de donner aux jeunes des clés pour comprendre le monde qui les entoure. Encore une fois, la diversité sexuelle et de genre existe. On ne peut pas la faire disparaître simplement parce qu’elle dérange certaines personnes.
5. « Les personnes trans veulent imposer leur idéologie »
FAUX. Revendiquer des droits fondamentaux (accès aux soins, respect, protection contre la discrimination) n’est pas « imposer une idéologie », mais simplement réclamer une égalité de traitement. Les personnes trans ne forcent personne à transitionner, elles demandent juste à exister librement. Personne ne vous force non plus à lire ou à visionner des contenus qui les concernent (en encore moins à les bombarder de commentaires haineux). De surcroît, la propagande anti-trans est bien plus virulente sur internet que les discours des personnes concernées. La désinformation et la haine a, comme pour de nombreux sujets, le monopole sur la toile.
6. « Les personnes transgenres sont toutes homosexuelles »
FAUX. L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont deux choses distinctes. Les personnes transgenres peuvent être hétérosexuelles, homosexuelles, bisexuelles, asexuelles, etc.
7. « L’inclusion des personnes trans met en danger les femmes cisgenres »
FAUX. Ce mythe repose sur l’idée erronée que les femmes trans seraient une menace dans les espaces non mixtes (toilettes, vestiaires, sports). Or, aucune étude sérieuse ne prouve une augmentation des violences due à la présence de femmes trans. En revanche, les personnes trans elles-mêmes, tout en représentant un infime pourcentage de la population, sont bien plus exposées aux violences que les personnes cisgenres (quatre fois plus, selon une étude). Environ 80 % des personnes transgenres ont déjà subi des agressions dans l’espace public (physiques, verbales ou sexuelles).
Entre octobre 2022 et septembre 2023, 320 meurtres de personnes trans et non binaires ont été enregistrés dans 59 pays, selon le TGEU (Transgender Europe). Un chiffre toutefois sous-estimé en raison du manque de reconnaissance légale et de la sous-déclaration des crimes, et en même temps disproportionné en sachant que l’on parle ici de moins de 1 % de la population. L’espérance de vie moyenne des femmes trans en Amérique latine est estimée à 35 ans, en raison des violences systémiques, de l’exclusion sociale et de la précarité.
Les femmes trans subissent le sexisme, comme toutes les autres femmes, si ce n’est davantage : on parle de transmisogynie. Même si elles ont été perçues comme des hommes une partie de leur vie, elles ne conservent pas leurs privilèges masculins en transitionnant. De plus, n’ayant généralement pas respecté les normes de genre dès l’enfance, elles n’ont souvent jamais réellement eu accès à ces privilèges. Lorsqu’elles sont identifiées comme trans, elles sont d’autant plus vulnérables aux violences, car la société patriarcale punit bien plus sévèrement les femmes perçues comme ayant renoncé à être des hommes.
Penser qu’une personne puisse traverser un parcours aussi difficile, l’exposant à des violences démesurées, voire au meurtre, dans le seul but de nuire aux femmes, relève de l’absurde. Puisque le féminisme lutte contre le sexisme, les discriminations et les oppressions, il est donc logique d’unir nos forces entre celles et ceux qui subissent ces injustices.
8. « Les femmes trans dans les compétitions féminines sportives, c’est de la triche »
FAUX. L’idée que les femmes trans seraient « illégitimes » dans les compétitions sportives féminines repose sur des préjugés faux et discriminatoires. Tout d’abord, les performances en sport ne dépendent pas uniquement du sexe biologique. Elles sont influencées par une multitude de facteurs : l’entraînement, la technique, la motivation, et bien sûr, la génétique. Par ailleurs, de nombreuses athlètes cisgenres bénéficient également de prédispositions physiques naturelles, comme une taille ou une musculature plus avantageuse. Cela n’enlève rien à leur mérite, et cela ne les rend pas « moins légitimes ».
En outre, les femmes trans qui participent à des compétitions sportives féminines doivent souvent suivre un traitement hormonal pour aligner leur taux de testostérone sur celui des autres femmes. Ces régulations hormonales sont strictement contrôlées par les fédérations sportives, et les athlètes doivent respecter des seuils spécifiques pour garantir l’équité. Cette démarche vise à niveler les différences hormonales, afin d’assurer une compétition juste et équilibrée. Donc, aucun avantage de ce point de vue là en comparaison des autres compétitrices.
En réalité, les femmes trans sont régulièrement confrontées à des discriminations et des violences, y compris dans le monde du sport. Beaucoup ont dû surmonter des obstacles immenses pour se faire une place dans des disciplines desquelles elles étaient exclues, d’abord en raison de leur sexe assigné à la naissance. L’inclusion des femmes trans dans le sport n’est pas une tentative de « privilégier » certaines athlètes, mais plutôt de les reconnaître comme des femmes à part entière, avec des droits égaux à ceux des autres.
9. « Les femmes trans sont des hommes fétichistes de la féminité »
FAUX. Être une femme trans, ce n’est pas une « mascarade » ou une tentative de jouer à être une femme pour des raisons superficielles. Une femme trans est une personne dont l’identité de genre est féminine, mais qui a été assignée homme à la naissance. Cette identité est profondément ressentie et vécue au-delà de la simple apparence ou de l’orientation sexuelle. Le fétichisme, en revanche, se rapporte à l’attirance sexuelle pour des caractéristiques ou des objets spécifiques, ce qui n’a rien à voir avec l’expérience de vivre en tant que personne trans.
La transition n’est pas une quête de validation extérieure. Les personnes trans ne cherchent pas à « fétichiser » les genres ou à satisfaire des fantasmes. La transition est un processus profond et personnel qui vise à aligner leur corps avec leur identité de genre. Il ne s’agit pas d’une performance pour les autres, mais d’un chemin de bien-être et de reconnaissance de soi.
Par ailleurs, beaucoup de femmes trans ont dû affronter des obstacles immenses pour être acceptées dans leur genre et vivre en accord avec leur identité. Réduire leur existence à des stéréotypes erronés comme le fétichisme est non seulement inexact, mais également cruel.
Peur, haine et désinformation, les ressorts de la transphobie
En fin de compte, la transphobie ne repose sur aucun fondement scientifique ou logique : elle est nourrie par la peur, l’ignorance et une volonté politique de désigner des boucs émissaires. Si l’homophobie est aujourd’hui moins « acceptable », ce sont les trans qui prennent pour leur grade, comme s’iels étaient responsables de tous les maux de la société. Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la propagation de discours haineux, qui trouvent un écho dans les groupes conservateurs et réactionnaires.
Défendre les droits des personnes trans, c’est défendre le droit de chacun·e à exister librement, sans peur et sans honte. Il est temps d’arrêter de débattre de leur existence et de se concentrer sur l’urgence de leur protection, à l’heure où leurs droits les plus fondamentaux sont plus que jamais menacés.
– Elena Meilune
Bibliographie et ressources
Articles scientifiques et rapports
- Baams, L. (2018). « Disparities for LGBTQ and Gender Nonconforming Adolescents. » Pediatrics, 141(5). Disponible sur : https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC5951662/
- Bastien-Charlebois, J. (2015). « Les trajectoires de transition des personnes trans* au Québec : du parcours transitoire au parcours transitionnel. » Santé mentale au Québec, 40(3), 103-126. Disponible sur : https://www.erudit.org/fr/revues/smq/2015-v40-n3-smq02336/1034913ar/
- Coleman, E., et al. (2022). « Standards of Care for the Health of Transgender and Gender Diverse People, Version 8. » medecine/sciences. Disponible sur : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2022/09/msc220224/msc220224.html
- National Transgender Discrimination Survey Report on Health and Health Care (2010). National Center for Transgender Equality. Disponible sur : https://transequality.org/sites/default/files/docs/resources/NTDS_Report.pdf
- Williams Institute (2021). « Violent Victimization among Transgender People in the United States. » Disponible sur : https://williamsinstitute.law.ucla.edu/press/ncvs-trans-press-release/
- Violence Against the Transgender Community in the United States (2013). National Coalition of Anti-Violence Programs. Disponible sur : https://avp.org/wp-content/uploads/2017/04/2013_ncavp_hvreport_final.pdf
Organisations et ressources institutionnelles
- Amnesty International (2023). « Violences sexuelles : Amnesty International dénonce les obstacles rencontrés par les femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe lors des dépôts de plainte en France. » Disponible sur : https://www.amnesty.fr/presse/violences-sexuelles-amnesty-international-denonce-les-obstacles-rencontres-par-les-femmes-migrantes-transgenres-et-travailleuses-du-sexe-lors-des-depots-de-plainte-en-france
- Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR). « Orientation sexuelle et identité de genre : la situation des personnes intersexes. » Disponible sur : https://www.ohchr.org/fr/sexual-orientation-and-gender-identity/intersex-people
- Trajectoires Jeunes Trans (2023). « Chiffres-clés sur les jeunes transgenres. » Disponible sur : https://trajectoiresjeunestrans.fr/personnes-concernees-et-proches/chiffres-cles
Articles et chroniques en ligne
- Amnesty International (2023). « Intersexe, genre et discrimination. » Disponible sur : https://www.amnesty.fr/chronique/intersexe-genre-operation-discrimination
- Desclic (2023). « Comprendre et accompagner les mineurs transgenres. » Disponible sur : https://www.desclic.net/post/comprendre-et-accompagner-les-mineurs-transgenres
- Encyclopédie canadienne (2022). « Two-Spirit: Identité et culture autochtone. » Disponible sur : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/two-spirit
- Jean Vincot (2023). « Détransition, retransition et ce que tout le monde oublie. » Mediapart. Disponible sur : https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/020623/detransition-retransition-et-ce-que-tout-le-monde-oublie
- Nations Unies (2019). « Les personnes transgenres font face à une épidémie de violence, avertit un expert indépendant de l’ONU. » Disponible sur : https://news.un.org/fr/story/2019/05/1044591
- Toutes des femmes (2023). « Ressources sur les droits des femmes et des personnes transgenres. » Disponible sur : https://toutesdesfemmes.fr/ressources/
Émissions et podcasts
- Radio France – France Culture (2023). Les transidentités racontées par les trans. Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-transidentites-racontees-par-les-trans
- Radio France – France Inter (2023). « Meurtres par armes à feu aux États-Unis : les personnes transgenres en première ligne. » Disponible sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/meurtres-par-armes-a-feu-aux-etats-unis-les-personnes-transgenres-en-premiere-ligne-3353281
Publié le 05.03.2025 à 10:50
Remettre en cause le droit du sol est une très mauvaise idée
Renard polaire
En s’appuyant sur l’importante immigration que connaît l’île de Mayotte, de nombreux politiciens français, dans la roue de l’extrême droite, remettent en cause le droit du sol. Or, cette idée n’apporte aucune solution aux crises sociales et crée une fracture entre les citoyens, établissant ainsi une réelle rupture d’égalité. Décryptage.
Alimentant les préjugés racistes, la remise en question du droit du sol représente une attaque concrète à la devise républicaine de la France « liberté, égalité, fraternité ». Elle ne ferait en réalité que créer des tensions entre les individus nés de parents français et les autres. De fait, il s’agirait là d’une discrimination qui n’aurait en outre aucun effet bénéfique sur les problèmes économiques, d’intégration ou même de sécurité.
Un droit ancestral
Venant du camp qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec l’illusoire rengaine du « c’était mieux avant », il est ironique de voir émerger la remise en question du droit du sol qui remonte pourtant en France à 1515 sous le règne de François Ier, où il est instauré en matière de succession. Depuis, un enfant d’immigré né en France peut alors hériter de ses parents ; autrefois, l’État pouvait simplement saisir les biens d’un étranger à sa mort.
C’est ensuite avec la Révolution de 1789 que le concept de nationalité française va progressivement se dessiner. Les Français ne sont ainsi plus des sujets du roi, mais des citoyens. C’est finalement le Code civil de 1803 qui fixe concrètement cette notion. On met en place une première mouture hybride entre droit du sang et droit du sol ; toute personne de père français prend son nom et sa nationalité. En outre, tout habitant né en France de géniteur étranger peut demander la nationalité à ses 21 ans.
À partir de 1851, on vote même le double droit du sol qui établit qu’un enfant né en France d’un père étranger lui aussi né en France est de facto Français. Finalement, en 1889, tout individu né en France devient automatiquement français à sa majorité, sauf s’il le refuse.
Une marotte de l’extrême droite
Depuis cette époque, l’extrême droite n’a cessé de remettre en cause ce droit. Elle a même d’ailleurs réussi à l’abolir quand elle arrive aux commandes sous le régime de Vichy de Philippe Pétain entre 1940 et 1944. Il sera finalement restauré par le gouvernement provisoire de Charles de Gaulle.
Dans les années 80, les identitaires profitent de mouvements sociaux organisés par des ouvriers d’origine maghrébine pour attiser le racisme dans la population. Petit à petit, la question du droit du sol est remise sur la table. Comme les prémices des évènements actuels, les idées du Front National s’immiscent au sein de la droite française et en particulier du RPR (ancien nom de LR), alors au pouvoir.
Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua, qui assurait en 1988 que le FN avait « les mêmes valeurs que la majorité », ce qui n’est pas sans rappeler les positions de Bruno Retailleau ou de Gérald Darmanin, fait d’ailleurs voter une loi pour restreindre le droit du sol en 1993. Ainsi, à partir de ce moment là, un enfant né en France de parent étranger devra faire la demande pour obtenir la nationalité entre ses 16 et 21 ans. Une disposition finalement abrogée par le gouvernement Jospin, cinq ans plus tard.
Un droit du sol qui n’a jamais été automatique
Dans les faits, la France a donc toujours eu un système mixte entre droit du sol et droit du sang. Ainsi, contrairement aux États-Unis où un individu né dans le pays est automatiquement américain, une personne née en France doit répondre à plusieurs conditions.
Si ses deux parents n’ont pas la nationalité et ne sont pas nés sur le territoire, alors un enfant sera considéré comme étranger jusqu’à ses 13 ans, date à laquelle il pourra faire une demande de nationalité à condition d’avoir vécu au moins 5 ans dans l’hexagone. S’il remplit cette dernière condition, il obtiendra également la citoyenneté de manière automatique à sa majorité.
Le faux argument de Mayotte
Lorsque les élus du Rassemblement National, des Républicains et de Renaissance viennent expliquer qu’il faudrait remettre en cause le droit du sol à Mayotte sous prétexte que l’acquisition de la nationalité française serait un appel d’air pour l’immigration comorienne, il est donc aisément compréhensible que cette thèse est plus que fallacieuse.
Qui peut en effet imaginer que des individus planifieraient d’aller accoucher dans un autre pays illégalement tout en espérant y rester pendant treize longues années avant de pouvoir offrir à leur enfant la nationalité française ? L’argument est d’autant plus ridicule qu’une loi de 2018 a déjà durci les conditions de ce droit à Mayotte. De plus, pour qu’il s’applique, il faut également que l’un des parents réside de manière régulière et ininterrompue en France depuis au moins trois mois au moment de la naissance.
Le pied dans la porte
Il n’est pas très compliqué de comprendre qu’en prenant Mayotte comme prétexte, l’extrême droite et la droite française veulent en réalité abolir le droit du sol sur l’intégralité du territoire français. Marine Le Pen l’a d’ailleurs clamé haut et fort « il faut supprimer le droit du sol partout ».
En 1940, quand l’extrême droite au pouvoir remettait cette disposition en cause, elle visait avant tout les juifs pour qui elle avait même établi la déchéance de nationalité lorsqu’ils étaient de parents étrangers. Aujourd’hui, leurs héritiers politiques parlent à longueur de journée d’immigration et d’islam ; de fait, il n’y a pas de doute à avoir sur leurs principales cibles.
Une rupture d’égalité
Quand Gérald Darmanin soutient qu’« être français, ça ne peut pas être le hasard de la naissance. Être français, c’est une volonté », il fait précisément une distinction entre les Français d’origine étrangère et les autres.
Les premiers devraient ainsi prouver leur souhait d’appartenir à la nation tandis que les autres n’auraient rien à faire. Et pourtant en quoi les uns seraient-ils moins assujettis au « hasard de la naissance » que les autres ? De fait, personne ne choisit où il naît ; cette réflexion absurde n’a que pour but de créer une citoyenneté à deux vitesses et alimenter la suspicion sur une catégorie de la population.
Les mêmes droits pour tous
Les valeurs de la République française, dont la droite et l’extrême droite ne cessent pourtant d’hypocritement se réclamer, ont toujours établi l’égalité comme un point fondamental. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 affirme d’ailleurs dès son article premier que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Comment, dans ces conditions, parler d’une véritable démocratie lorsque certains habitants du pays, qui travaillent et paient des impôts, n’auraient pas les mêmes droits que tous les autres, en particulier celui de voter ? Comment peut-on espérer de cette façon que les individus d’origine immigrée se sentent pleinement intégrés à la République si dès le départ on les considère comme des Français de seconde zone ?
Remettre en cause le droit du sol, c’est d’ailleurs déjà faire grandir dans le cœur d’un enfant de parent étranger qu’il ne serait pas un citoyen comme tout le monde. Et ce bien qu’il suive la même école et le même parcours que la progéniture de personnes françaises. De fait, il ne devrait pourtant pas avoir à faire d’efforts « d’intégration » puisqu’il a vécu toute sa vie dans le pays comme n’importe qui.
À la recherche d’une vie meilleure
Constamment pointer du doigt les étrangers ou les personnes d’origine étrangère n’a en réalité rien à voir avec la nationalité française. Obtenir la citoyenneté d’un pays n’a jamais fait de quelqu’un un modèle de vertu. Prétendre restreindre cet accès n’aura par ailleurs aucun effet sur l’immigration elle-même, si ce n’est celui d’alimenter le sentiment d’injustice entre plusieurs classes sociales.
Ce procédé n’aura en outre aucun impact sur les problèmes sociaux ou de pauvreté, pas plus que sur la sécurité. Lorsqu’un individu quitte son pays, ce n’est pas pour décrocher un statut, mais bien pour tenter d’obtenir une vie meilleure pour lui et pour ses enfants.
Plus d’égalité, plus de partage
Revenir sur le droit du sol repose en réalité sur une logique démagogique et discriminatoire, que ce soit à Mayotte ou sur l’ensemble du territoire. Par là, la droite et l’extrême droite ne cherchent qu’une seule chose : alimenter la division au sein des classes populaires. De ce fait, ils espèrent faire oublier que l’essence même de leur projet est avant tout fondée sur le rejet de l’altérité et la défense de l’élite économique.
Or, la cohésion nationale, la sécurité et des conditions sociales dignes passent, à l’inverse, par une égalité des droits sans distinction d’ethnie, de langue, de religion ou de culture. De même, pour parvenir à cet idéal, le partage des richesses, et à terme l’abolition des classes, apparaît comme une solution bien plus crédible.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Bruno Retailleau le 12 décembre 2013 à la Convention sur l’Immigration : « Politique d’immigration, reprenons le contrôle »
The post Remettre en cause le droit du sol est une très mauvaise idée first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 04.03.2025 à 10:40
Violences sexuelles : une de nos rédactrices témoigne
Renard polaire
Une de nos rédactrices brise le silence sur les violences sexuelles et psychologiques qu’elle a subies. Avec une honnêteté désarmante, elle raconte son parcours, de la culpabilité initiale à la prise de conscience féministe. Un récit intime et universel qui dénonce la banalisation des violences envers les femmes et appelle à une remise en question profonde de notre société. Témoignage.
Avec la parole des femmes qui se libère, je me rends compte que de nombreuses situations que j’ai vécues plus jeune étaient inacceptables. À l’époque, quand je ressentais un profond mal-être face à certains comportements abusifs, je me disais que c’était de ma faute. Parce que la société considérait ces comportements comme « normaux », je pensais que j’étais trop sensible, que j’exagérais. Dire « non », c’était risquer de passer pour une folle, une hystérique.
Aujourd’hui, en entendant tant d’autres femmes raconter des histoires similaires, je réalise que nous avons été nombreuses à devoir nous taire, à accepter l’inacceptable, souvent pendant des années. Comme si nos corps et nos individualités ne nous appartenaient pas.

D’abord prendre conscience de nos blessures invisibles
Alors oui, j’ai mes problèmes, comme tout le monde. Mais ce qui me fascine aujourd’hui, c’est de voir à quel point la bienveillance est devenue une priorité pour moi. Dans mes relations, qu’elles soient amicales ou amoureuses, c’est ce qui m’attire le plus. Pas de chance, ce n’est pas vraiment ce qui est valorisé par la société.
En ce qui me concerne, je vois peu à peu les bienfaits à déterrer les vieux traumatismes qui m’ont inconsciemment conduit à répéter pendant longtemps les mêmes schémas destructeurs, jusqu’à ce que je décide enfin d’arrêter de fuir et de commencer un travail sur moi-même. C’est inconfortable, souvent douloureux, mais à terme, c’est libérateur. Je me rends mieux compte aujourd’hui de ce que peut être l’amour, au-delà de mon conditionnement, au-delà des idées qui se sont greffées dans mon inconscient d’enfant il y a quelques dizaines d’années, et qui sont restées là pendant tout ce temps, attendant que j’y jette enfin un œil.

Aujourd’hui, je ne sais peut-être pas exactement ce que je veux (quoi que je m’en rapproche…), mais je suis certaine de ce que je ne veux plus. Et ça, c’est déjà énorme. Le plus dur, c’est de déconstruire les croyances enfouies au fond de nous, celles qui nous font croire que les comportements toxiques, la culpabilité et l’auto-sabotage, sont la norme. Une fois que l’on commence à s’en libérer, on voit une nette différence, dans tous les domaines de notre vie.
Pour en revenir à ces situations inacceptables que j’ai vécues, en prendre conscience n’est pas facile non plus. Se rendre compte de cette extrême violence, avant tout structurelle, qui façonne les individus, ce n’est pas facile. Il serait plus aisé de se dire que tout va bien, qu’il n’y a pas de problème. Par moments, clairement, j’en bave. Beaucoup de colère et d’amertume à gérer. Parce que c’est injuste, et je ne supporte pas l’injustice. Pourtant, en même temps, c’est extrêmement libérateur. Une prise de conscience difficile mais nécessaire, et salvatrice. J’en ressors avec bien plus de force et de courage. Et ça me donne envie de partager ce cheminement, en espérant qu’il puisse aider d’autres personnes.
L’expérience directe de la violence : une réalité bien trop courante
J’ai subi des agressions sexuelles, une tentative de viol (dont j’ai heureusement pu me défendre, même si les séquelles, physiques et psychologiques, restent bien réelles), ainsi que du harcèlement de rue. La plupart du temps, il s’agissait d’inconnus, ou presque. Mais dans mes relations amoureuses, j’ai aussi été victime de viols conjugaux. À l’époque, j’étais naïve, mal informée sur le consentement. Je ne savais pas que le terme « viol » pouvait s’appliquer au couple. Aujourd’hui, quand j’y repense, ça me remplit de rage. D’autant plus que je ne suis pas seule. Nous sommes des milliers, des millions à avoir subi ces violences sans avoir pu mettre des mots dessus. Un témoignage édifiant à ce sujet :
Maintenant, je sais. Dans un couple, comme ailleurs, quand l’un·e refuse et que l’acte a quand même lieu, c’est un viol. Quand l’un·e n’a pas la possibilité de consentir de façon libre, éclairée et enthousiaste, c’est un viol. Même quand il n’y a pas de violence physique. Sans même parler de la contrainte par du chantage affectif, des menaces déguisées, de la culpabilisation, de l’emprise, de la manipulation… Ces mécanismes sont insidieux, destructeurs, et pourtant si communs.
Une enquête révèle que 9 femmes sur 10 ont déjà ressenti une pression de leur partenaire pour avoir un rapport sexuel. 9 sur 10. C’est énorme. Et pourtant, on commence à peine à en parler, à dire que non, ce n’est pas normal. Le sexe n’est pas un dû. Le devoir conjugal n’existe pas. Ça peut paraître évident, mais dans une société qui nous conditionne à croire le contraire, il faut parfois des années pour s’en rendre compte.
Et puis, soyons honnêtes : quel plaisir peut-on prendre à imposer une relation sexuelle à une personne qui n’en a pas envie ? Pour moi, c’est une des facettes les plus abjectes de l’humain. Le sexe devrait être un moment de partage, d’abandon en toute sécurité, et non une arme de domination ou une simple validation de l’ego. Mais dans une société qui valorise l’égoïsme et les rapports de force, est-ce si étonnant ?

Au-delà des violences sexuelles, je ne compte plus les fois où j’ai ressenti un profond malaise face à certains comportements masculins. Des hommes de tous horizons, milieux, nationalités… Un seul point commun : cette assurance écrasante, cette impunité, cette façon de considérer leur comportement comme normal parce que la société l’a toujours légitimé. À force, cette accumulation m’a écœurée des relations intimes. J’en suis arrivée à ne plus supporter qu’on me touche. Aujourd’hui, je réapprends, petit à petit, à faire la paix avec mon corps. Mais c’est un chemin long, semé d’embûches.
J’ai aussi connu le harcèlement, les violences psychologiques, et à de rares fois, physiques. J’ai même déjà craint pour ma vie en quittant un homme, tant il paniquait à l’idée d’être rejeté. Et pourtant, à ce moment-là, je me suis dit que je préférerais mourir plutôt que de rester avec lui. Quand tu en arrives à penser ça, quand ce genre de situation se répète, tu finis par comprendre que ce n’est pas toi le problème. Que c’est tout un système qui déconne.
« Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent. » – Margaret Atwood
Je n’ai jamais porté plainte. Parce que je ne voulais pas revivre ces violences, encore et encore. Parce que je voulais ne plus jamais revoir ces hommes. Parce que j’ai autant confiance en la justice pour condamner des violences faites aux femmes qu’en Trump pour finir un livre.
J’aurais peut-être dû. Mais j’ai passé suffisamment de temps à me sentir coupable pour des choses dont je n’étais pas responsable. J’admire celles qui osent affronter ce parcours du combattant, sachant qu’elles seront forcées de revivre leur traumatisme et que les chances de voir leur agresseur condamné restent minces, quelles que soient les horreurs qu’elles ont subies.
Parfois, tout ça me donne envie de hurler. Mais j’ai horreur des cris. Alors j’écris, je compose, je marche. Parce que la colère, aussi légitime soit-elle, ne doit pas devenir un poison. Mais au contraire, peut devenir une force.

Une société qui excuse et perpétue ces violences
Certains me diront peut être que je n’ai pas eu de chance, que je me suis dirigée moi-même vers de « mauvaises personnes ». Alors effectivement, plus jeune, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un amour sain. Mais notre société tout entière baigne dans la culture du viol et légitime depuis longtemps les violences faites aux femmes. Et ces violences ne sont pas le fait de monstres isolés mais bel et bien d’hommes ordinaires, intégrés à notre quotidien. Comme l’a montré Hannah Arendt avec le concept de banalité du mal, les pires horreurs ne viennent pas forcément d’individus sadiques, fous à lier, mais simplement de ceux qui perpétuent un système sans même le questionner.

En ce qui me concerne, si pendant un temps j’ai accepté certaines situations, parce que personne ne m’avait appris à dire non, je suis loin d’être une brebis égarée à qui il est arrivé quelques malheurs parce qu’elle n’a pas été prudente. Les témoignages lourds de femmes qui ont subi ces violences se multiplient chaque jour. Dans mon entourage, presque toutes les femmes que je connais ont vécu des situations similaires et doivent à ce jour continuer à faire face à d’ignobles comportements.
Nous évoluons toutes et tous dans une société profondément malade qui nous conditionne, qui a conditionné nos parents et nos grands-parents. Mais heureusement, certaines choses évoluent.
Aujourd’hui, je suis aussi infiniment reconnaissante d’être bien entourée. Merci. À mes ami·es, à celles et ceux qui m’ont aidée à me reconstruire. J’ai beaucoup appris de ces expériences. Et même si je ne remercierai jamais la violence, je sais qu’elle m’a appris quelque chose d’essentiel : ma propre capacité de résilience.

Le féminisme : un combat d’hier, d’aujourd’hui et de demain
Longtemps, je n’ai pas compris l’importance du féminisme. Je trouvais les féministes « reloues » (spoiler : aujourd’hui, c’est moi la reloue… Et bon ok, je l’étais déjà avant, pour d’autres raisons mais passons). Malgré ce que j’avais subi, je ne voyais pas (ou ne voulais pas voir) l’ampleur des violences physiques, psychologiques et sexuelles faites aux femmes de manière générale, ni leur banalisation criminelle.
Quand j’ai commencé mon travail de rédactrice, je me suis essentiellement focalisée sur l’anticapitalisme, la lutte des classes et l’écologie. Mais il me manquait donc cette composante essentielle : le féminisme. Et la lutte pour les droits des minorités.
« Parce que tout est lié. Toutes ces problématiques reposent sur des dynamiques de domination et d’oppression qui se nourrissent entre elles. »
Par ailleurs, ça marche aussi dans l’autre sens, les personnes qui s’engagent d’abord dans la lutte féministe auront elles aussi souvent tendance, par la suite, à s’orienter également vers d’autres combats essentiels tels que l’écologie, parce que toutes ces luttes sont complémentaires.
Nos droits sont récents et fragiles. (Je parle ici de féminisme mais ça vaut aussi pour tous les droits sociaux acquis au cours du siècle dernier). Avant 1965, une femme en France ne pouvait pas ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari. Elle avait grosso modo le statut d’un enfant.
Droit à la contraception : 1967. Droit à l’avortement : 1975 (Loi Veil). Jusqu’en 1980, le viol conjugal était légal. Il a fallu attendre 1992 pour qu’une condamnation ait enfin lieu. Ce ne sont donc pas des histoires anciennes, c’était il y a à peine une ou deux générations. Donc ces féministes reloues à cause desquelles « on peut plus rien dire » ont quand même permis des avancées majeures qui profitent à tout le monde. Et ces droits fondamentaux ne cessent d’être remis en cause avec la montée en puissance de l’extrême droite et des idées conservatrices.
Et les arguments pour discréditer le féminisme sont nombreux
« Elles sont allées trop loin et ont pris trop de pouvoir »
Alors que rien qu’en France, on a plus d’une centaine de féminicides chaque année (ah, ces hommes qui tuent « par amour »…) et plus d’un millier de tentatives de féminicides. 85 % des violences conjugales sont subies par les femmes. En France, 1 femme sur 2 a déjà subi des violences sexuelles. Et la plupart ne vont jamais jusqu’à porter plainte parce qu’elles savent que la majorité de ces plaintes sont classées sans suite.
97 % des auteurs des violences sexuelles sont des hommes et dans 91 % des cas, les femmes connaissent leur agresseur (donc bien loin du mythe de l’étranger psychopathe rencontré dans une ruelle sombre). L’écart de salaire moyen entre les hommes et les femmes est de 24 %, et de 15 % en temps de travail équivalent. En moyenne, 1h30 de travail domestique en plus pour les femmes par jour. Et aux hommes qui diront « oui mais chez moi ça se passe pas comme ça ». Ok, pas de soucis, si c’est le cas, c’est très bien ! Mais ce n’est pas parce que vous êtes une exception que la règle n’existe pas. Merci à celles et ceux qui voient plus loin que leur nombril.

Le sempiternel cliché pour décrédibiliser les femmes. Parce qu’un homme en colère, c’est « normal », mais une femme en colère, elle est tarée. On pourrait changer de disque, non ? Même pas envie d’argumenter.
Fun fact : le mot « misandrie » est apparu dans le dictionnaire en 1970, histoire de coller une étiquette sur des femmes qui réagissaient à des siècles de misogynie et d’oppression. Souvent interprété à tort comme la haine des hommes en général, il représente en réalité le rejet de la domination masculine et de toutes les violences que celle-ci engendre. Qui plus est, soyons clairs : la misandrie dérange, elle agace. La misogynie tue. Cf. les féminicides mentionnés plus haut mais aussi les attentats meurtriers commis notamment par des incels, par pure et simple haine des femmes :
« Le féminisme sert le capitalisme parce maintenant, les femmes travaillent, donc le système dispose d’une double main d’œuvre ».
Et bien oui, le capitalisme instrumentalise absolument tout, même ton chat et ta grand-mère. Mais ce n’est pas une raison pour nier la légitimité d’une cause. Donc oui, il faut lutter contre ce système productiviste et consumériste mais cela ne signifie pas que l’on doit revenir à une société où les femmes étaient des usines à gosses.
Il n’y a rien d’incompatible à lutter contre l’exploitation capitaliste et défendre l’égalité des sexes, bien au contraire : c’est un même combat. Personnellement, je ne pense absolument pas que « c’était mieux avant ». Par contre, ce qui est certain, c’est qu’on peut faire immensément mieux.
« Féminisme = sécuritarisme »
Il est crucial de rappeler que le but du féminisme n’est pas d’imposer plus de contrôle ou de répression, mais bien de transformer en profondeur les mentalités. La solution ne repose pas sur une surenchère sécuritaire ou une défiance systématique, mais sur un changement culturel et éducatif profond. Le combat féministe vise à déconstruire les rapports de domination, à enseigner le respect et l’égalité dès le plus jeune âge. C’est en modifiant les comportements à la racine, en éduquant sur le consentement, l’égalité et la responsabilité, que nous pourrons véritablement prévenir les violences et permettre à toutes et tous de vivre dans une société plus juste et sécurisante.
Merci à toutes les femmes qui font entendre leur voix. Et merci aux hommes qui savent écouter, remettre en question ce que la société attend d’eux, et soutenir cette lutte indispensable. Ce n’est pas facile de prendre conscience d’un problème, encore moins quand on a l’impression que celui-ci ne nous concerne pas.
Liberté, Égalité, Adelphité.
– Elena Meilune
Photo de couverture : Des milliers de personnes réunies le samedi 14 septembre pour soutenir Gisèle Pelicot et toutes les victimes de viol © Tiphaine B.
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Prise de Kaboul en 2021 : où en sont les femmes afghanes ?
Renard polaire
En Afghanistan, depuis la prise de Kaboul très médiatisée de 2021, les femmes afghanes font face aux répressions des talibans. Or, le sujet semble avoir disparu des plateaux TV. Le point sur leur condition en 2025.
En Afghanistan, dans le silence international, les femmes continuent de se battre pour conserver le peu de droits qui leur restent, adhérant activement à des mouvements de contestation.
Alors que sonne 2025, les améliorations demandées par les femmes sont encore bien loin d’être entendues. Pour leur donner plus de visibilité, entretien croisé avec les porte-paroles Maryam Marof Arwin de Women’s and Children Strengthen Welfare Organization et Sabira Abkhari de l’Afghan Women for justice movement.
Entretiens
Mr Mondialisation : Quels sont vos objectifs en 2024, où les répressions et violences continuent d’avoir lieu à l’encontre des femmes afghanes ?

Women’s and Children Strengthen Welfare Organization : Je m’appelle Maryam Marof Arwin. Je suis présidente de l’Organisation Afghane de renforcement du bien-être des femmes et des enfants (AWCSWO) prodiguant des services aux personnes souffrantes, violentées et privées de leurs droits et libertés. Afin de renforcer le bien-être et le confort des femmes et des enfants touchés par la violence, nous n’avons épargné aucun effort.
« Depuis l’année dernière, nous nous sommes engagés encore plus en multipliant les manifestations non violentes »
Nous défendons le droit à une égalité exempte de discrimination dans tous les domaines de la vie : égalité, de genre, familiale, sociale, économique et politique. Les femmes et les enfants afghans, part vulnérable de la société, ont toujours été touchés par la guerre et la violence dans l’indifférence. Depuis l’année dernière, nous nous sommes engagés encore plus en multipliant les manifestations non violentes. Je continue à communiquer sur toutes mes actions sur les réseaux sociaux locaux tout en agissant au quotidien auprès des femmes en situation de fragilité.

Afghan women for justice movement : Je suis Sabira Abkari, militante des droits des femmes, ancienne activiste économique et ancienne entrepreneuse de la province de Daykundi en Afghanistan. En 2016, je suis devenue membre de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Femmes Afghanes (AWCCI).
J’ai progressivement voulu autonomiser les femmes et les aider dans cette démarche. Je crois que toutes les femmes doivent gagner en puissance par le biais de l’autosuffisance économique. Lorsque les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan, en août 2021, j’ai rejoint les manifestations de femmes contre leur prise de pouvoir.
Un certain nombre de femmes qui m’entouraient ont créé un mouvement dirigé par des femmes qui s’appelle le Mouvement des femmes afghanes pour la justice (AWJM) dont j’ai rapidement fait partie. Maintenant, je suis membre du conseil de direction de l’AWJM. J’ai organisé de nombreuses manifestations extérieures et intérieures contre les talibans en Afghanistan et au Pakistan. Je récolte de l’informations sur toutes les manifestations de femmes pour les relayer.
« En plus de nombreuses manifestations, nous avons ouvert plusieurs écoles secrètes pour les filles qui ne sont pas autorisées à étudier »
Entre août 2021 et février 2022, j’ai participé à toutes les manifestations de femmes contre les talibans en étant l’une des principales organisatrices de ces manifestations. Malheureusement en mars 2022, j’ai dû quitter le pays en raison de la menace grandissante des talibans. En plus de nombreuses manifestations de rue et à domicile, nous avons ouvert plusieurs écoles secrètes pour les filles qui ne sont pas autorisées à étudier. Nous avons également organisé plusieurs distributions de nourriture et d’argent pour les familles nécessiteuses.
« En 2024, les femmes étaient toujours privées de travail, d’université, d’école et de gymnase »
2024 n’a pas été une bonne année pour le peuple afghan, en particulier pour les femmes. Les femmes étaient toujours privées de travail, d’université, d’école et de gymnase. Pire encore, les médecins et les sages-femmes sont toujours plus ciblées. Récemment, un certain nombre de manifestants et d’activistes ont été emprisonnés et gravement torturés. Nous avons lancé en réponse une entreprise de sensibilisation à la sécurité pour soutenir et éduquer les filles enceintes en Afghanistan afin que nous puissions éduquer les filles mineures sur le mariage dont le mariage forcé.

Mr M : Pourquoi les talibans visent-ils particulièrement sur les femmes et d’autres populations plus fragilisées ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Les Talibans considèrent les femmes comme subordonnées aux hommes et responsables de la préservation de l’honneur de leurs familles en adhérant à un code de conduite très strict. Ils croient qu’en restreignant la liberté des femmes et en les maintenant dans l’isolement, ils peuvent ainsi s’assurer que les familles ne seront pas déshonorées. De plus, ils cherchent à contrôler les femmes pour mieux maintenir leur pouvoir.

Afghan women for justice movement : En Afghanistan, sous le régime des talibans, les femmes n’ont aucune liberté et sont privées de leurs droits les plus élémentaires. Elles n’ont pas accès à l’éducation, au travail et à la participation politique et sociale.
« Ils considèrent les femmes comme la propriété des hommes »
À mon avis, il y a deux raisons pour lesquelles les femmes sont des cibles pour les talibans. Premièrement, les talibans forment un groupe ethnique et religieux extrémiste et fondamentaliste. Ils considèrent les femmes comme la propriété des hommes. Ils sont analphabètes et extrêmement traditionnels. Et la deuxième raison est que le régime taliban change les droits des femmes et les droits de l’homme en fonction de leur négociations politiques gagnant de cette manière des points dans l’arène politique.

Mr M : En 2025, où en êtes-vous face à l’escalade répressive imposée par les talibans ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Les restrictions imposées par les talibans sont extrêmement oppressives et injustes. Elles empêchent les gens de vivre leur vie librement et les privent de droits humains fondamentaux telles que la liberté d’expression, l’éducation et la sécurité. Ces restrictions ont des conséquences sur le long terme sur les personnes qui y vivent, car elles ne sont pas autorisées à se développer, à grandir et à prendre des décisions par elles-mêmes.
Malheureusement, leurs chances de retrouver leur liberté pour les femmes emprisonnées dépendent du pays dans lequel elles se trouvent et des lois qui régissent ce pays. De manière générale, elles peuvent faire appel de leur condamnation. Elles peuvent purger leur peine et être libérés après un certain laps de temps.
« Les talibans n’ont pas leur place dans le « monde moderne » ! »
Afghan women for justice movement : Jamais les femmes ne se rendront. Nous lutterons toujours pour les droits des femmes et nous nous battrons pour obtenir un gouvernement légitime qui reconnaisse toutes nos revendications et tous les droits des femmes. Quand les talibans partiront, nous resterons là pour reconstruire un Afghanistan libre ! Ce que les talibans appliquent comme restrictions contre les femmes n’a été vu dans aucun pays du monde, pas même dans d’autres pays islamiques. Les talibans n’ont pas leur place dans le « monde moderne » !
Mr M : Qu’en est-il de ces organisations nationales et internationales de défense des droits des femmes afghanes affrontant les restrictions successives ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a joué un rôle majeur en aidant à ramener la paix et la stabilité en Afghanistan, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Civicus et NRF sont deux organisations internationales de la société civile qui œuvrent pour améliorer la vie du peuple afghan en promouvant la gouvernance démocratique et en renforçant la société civile. Enfin, Zan Times, est une plateforme de médias numériques Afghane qui œuvre à la promotion d’un journalisme de haute qualité et indépendant. Ces organisations sont essentielles pour fournir des analyses et des commentaires sur les questions liées à la démocratie, à la sécurité et aux droits de l’homme en Afghanistan.

« désormais seules les organisations qui travaillent en étroite collaboration avec les talibans sont actives en Afghanistan »
Afghan women for justice movement : Les organisations de défense des droits de l’homme ont toutes quitté l’Afghanistan. Le pire est que désormais seules les organisations qui travaillent en étroite collaboration avec les talibans sont actives en Afghanistan. Il existe de nombreuses organisations en dehors de l’Afghanistan qui fournissent une assistance aux militants civils enregistrés qui ont fui l’Afghanistan. Le problème majeur est que ceux qui s’opposent aux talibans sont aujourd’hui, souvent au sein même des frontières, et ceux-là ne sont pas officiellement enregistrés. C’est pour cette raison que la plupart des femmes qui protestent sont toutes plus ou moins privées de l’aide de ces organisations.
Mr M : Quelle était la situation des femmes avant la prise de Kaboul ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Avant que les talibans ne commencent à gouverner l’Afghanistan dès le 15 août 2021, les femmes du pays jouissaient d’un niveau de liberté et de droits plus élevé qu’aujourd’hui. Les femmes avaient pleinement accès à l’éducation et aux soins de santé, ainsi qu’à l’emploi et à la participation politique. Elles n’avaient pas à adhérer aux codes vestimentaires restrictifs imposés par les talibans, ni à subir les mêmes punitions sévères pour violation des codes sociaux. Le régime oppressif des talibans a restreint les libertés des femmes de manière incroyablement oppressive, notamment en leur interdisant même d’aller à l’école ou de quitter leur domicile non accompagnées.

Afghan women for justice movement : Si vous voulez dire pendant le gouvernement précédent, les femmes afghanes n’ont pas vu leur prise en considération s’améliorer non plus nettement pendant les vingt ans qui se sont écoulés entre les deux périodes de règne des talibans. Des postes d’État ont été attribués à certaines femmes symboliquement ou sur la base de relations personnelles. De nombreux fonds ont été prélevés au nom des droits de l’homme et des droits des femmes auprès des institutions des droits de l’homme et des pays donateurs mais en raison de la corruption et des pots-de-vin, peu d’argent a véritablement été utilisé pour développer les droits des femmes.
Au cours des dernières années, lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir, toutes les questions relatives aux femmes ont cependant été restreintes par les talibans. Elles ne peuvent pas voyager sans Muharram (ndlr – un homme de la famille qui doit s’assurer de la sécurité mais surtout de l’honneur d’une femme). Elles sont privées d’université et de Lycée. Il leur est interdit de travailler. On peut dire que les femmes sont complètement exclues de tous les domaines.
Mr M : Comment tenez-vous dans un tel climat oppressif en tant que femme ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Je crois que la meilleure façon pour une femme de survivre en Afghanistan est de bien s’entourer : d’avoir un fort soutien de sa famille pour obtenir de l’aide dans les tâches quotidiennes, être soutenu et nouer des relations solides avec d’autres femmes de la famille. Il faut rester informé de tout changement dans les coutumes et les lois locales qui pourrait affecter les droits des femmes.
Enfin, dans la mesure du possible, ces femmes doivent accéder à des ressources telles que l’aide juridique, les programmes d’alphabétisation et les services de microfinance, qui peuvent aider à les autonomiser et leur fournir les outils dont elles ont besoin pour prendre des décisions éclairées sur leur avenir. La majorité des femmes afghanes qui se sont échappées ne sont pas en sécurité ! La plupart restent dans leur pays par manque de ressources et de connaissances sur la situation à l’étranger. Il existe également un manque de structures de soutien pour les femmes qui ont émigré loin de leur pays d’origine, ainsi qu’une peur de l’inconnu en termes d’attentes juridiques, culturelles et sociétales.

« L’Afghanistan est comme une grande prison pour femmes »
Afghan women for justice movement : Certaines manifestantes ont été forcées de quitter l’Afghanistan en raison de menaces directes des talibans. Un certain nombre de ces femmes se trouvent au Pakistan, un pays peu sécurisé pour les femmes Afghanes. La plupart des femmes qui protestent sont toujours en Afghanistan et poursuivent leurs luttes et leurs protestations contre les talibans. L’Afghanistan est comme une grande prison pour femmes. Mais les femmes, elles, n’abandonneront jamais !
Mr M : D’autres figures marquantes vous inspirent-elles en tant que membres d’organisation de défense des droits des femmes ?
Women’s and children strengthen welfare organization : Malalai Joya, sans hésiter. C’est une éminente féministe afghane et militante des droits de l’homme qui a passé une grande partie de sa vie à défendre les droits des femmes afghanes. Elle a été qualifiée de « femme la plus courageuse d’Afghanistan » pour son franc plaidoyer pour plus de droits de la population afghane tout en militant contre ces seigneurs de la guerre.
Elle continue de se battre pour les droits des femmes afghanes, aujourd’hui encore, même en exil. Elle est un excellent exemple du courage et de la résilience dont les femmes afghanes ont fait preuve lorsqu’il s’agit de défendre leurs convictions malgré d’immenses difficultés. Ces femmes courageuses ont apporté d’énormes contributions à leurs communautés en s’opposant aux politiques oppressives des talibans. Elles ont risqué leur vie pour fournir une éducation, lutter pour les droits des femmes et dénoncer les injustices.

Merci à Maryam Marof Arwin (Awsco) et Sabira Abkhari (Awfjm) pour leur temps et combat précieux.
– Propos recueillis par Audrey Poussines.
The post Prise de Kaboul en 2021 : où en sont les femmes afghanes ? first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 27.02.2025 à 16:01
En ces temps difficiles, le rire en voie de disparition ?
Renard polaire
« On riait en moyenne 19 minutes par jour en 1936, contre 4 aujourd’hui. Un enfant de 5 ans rit 92 fois quotidiennement contre 8 fois pour un adulte. 80% de nos rires sont des rires forcés, non spontanés, selon le professeur Robert Provine de l’université du Maryland »… Notre rire est-il malade ? Edito.
C’est sur ces mots que s’ouvre le seul-en-scène « Le comble du vide » qui se joue actuellement à Montmartre. Dans cette création, une écrivaine mondialement connue annonce quelques jours avant sa mort qu’une « grande agélastie » (la perte de la capacité à rire) va s’abattre sur le monde. L’extinction du rire. Voilà un point de départ idéal pour construire un scénario croustillant. Et délicieusement fictionnel ? Pas si sûr.

Le « Rire ». Le vrai, le noble, celui avec un grand « R », cet air plein les poumons, qui vous plonge dans cette ivresse, vous rend libre, soulagé de tout échafaudage socialo-poli. Ce rire, vous l’avez testé et vous l’avez aimé, forcément. Allez chercher dans votre mémoire votre dernier fou rire (que l’on espère récent), ce fou rire que la Grèce Antique avait surnommé « le secoueur ». Et repensez à ce phénomène qui disparaît au moment où il apparaît : quel mystère.
Un instant où l’alignement entre le monde extérieur et notre théâtre intérieur est total, où le stimulus de dehors fait un avec notre corps. Vertige qui nous rappelle à quel point être pleinement dans le présent est tout sauf une invention théorique de quelques gourous du développement personnel.
Derrière ces chiffres évoqués (certainement délicats à calculer) et cette supposée érosion du rire, une question de taille est posée : notre capacité à rire est-elle en danger ? On ne traite pas tant ici de ce qui fait rire, des vannes, de l’évolution de l’humour au cours des époques, mais bien du rire en lui-même. Pour poser la question « Peut-on rire de tout ? », le préalable, c’est de pouvoir rire.
Le monde au corps-à-corps
Partout notre civilisation thermo-industrielle s’attaque au vivant, en commençant par la seule chose que nous possédons vraiment : notre corps. Dans ce même spectacle, « Le comble du vide », le comédien décrit quatre grandes armes de notre monde pour éteindre petit à petit les soubresauts de vie qui traverse notre carcasse humaine :
– le corps se fait sucrer, gorgé d’une alimentation industrielle ultra-processée et lentement mortifère,
– le corps se fait truquer, se voyant petit à petit remplacé par une orgie de machines, d’automatisations et autres inventions domotiques si « pratiques » qu’elles nous retirent notre capacité à faire sans résistance de notre part,
– le corps se fait scruter, écrasé par les injonctions à l’apparence uniformisée vendue par nos amis et amies publicitaires et influenceurs,
– le corps se fait capturer enfin, par nos smartphones et nos réseaux greffés à nos bras à longueur de journées.
Tant est si bien que le corps s’éteint. Et forcément le rire, dont le principal véhicule est notre corps, avec. Nous avons créé un monde qui nous coupe de lui-même, avec une efficacité folle. Sans bruit, notre capacité à ressentir les choses s’efface, notre disponibilité aux stimulus extérieurs, point de départ du rire, s’éteint. Ce monde nous engourdit à petit feu, par les écrans, le remplissage et l’individualisation à outrance : un rire solitaire est un rire qui meurt immédiatement.
Où va le monde alors ?
« Rire, c’est dominer les événements de la vie »
Vous en conviendrez : un monde sans rire, c’est aussi plat qu’un trottoir de rue comme dirait l’autre. Les grandes esclaffades communicatives remplacées par le silence de rictus agonisants devant une énième vidéo de chat, ça ne fait rêver personne. Mais il y a plus grave.
Le rire est un bouclier politique qui date d’avant, avant, avant hier. Piochons au hasard dans le rétroviseur et allons à Athènes, au 4ème siècle. Un groupe de conteurs comiques appelés « Les Soixantes » se réunit au sanctuaire d’Héraclès régulièrement pour faire rire et réfléchir. Les premiers Comedy Clubs.
Dès lors, et dès qu’une crise survient, qu’une guerre éclate, qu’un oppresseur s’installe, il fait inévitablement face à un déferlement d’hilarité intensive, combative, créative et sûrement plein d’autres adjectifs en « ive ». Le rire est à la fois un outil et un thermomètre de notre capacité ou non à lutter, à critiquer (lire absolument : Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, petit et sans arme, de Srdja Popovic).
« Rire, c’est dominer les événements de la vie » disait Rabelais. Paraphrasons-le donc « Ne plus rire, c’est laisser les événements de la vie nous dominer. » Mai 68, Larzac et plus récemment les Printemps Arabes, les Gilets Jaunes, les guerres en Ukraine et à Gaza : partout et à toutes époques, le rire et la créativité frappent avec douceur, bouleversants et parfois héroïques combats d’humains luttant pour leur survie.
La bonne nouvelle, c’est que le rire est une espèce plus que vivace. Et que tant que deux ou trois sont réunis en son nom, comfme disait ce bon vieux comique de Jésus, il peut renaître de ses cendres.

Quelles voies alors pour protéger ce sésame et le déployer face à la violence de notre civilisation thermo-industrielle ? Les clés sont multiples, toutes nécessaires, toutes fragiles, aussi.
Protéger
Protéger les corps.
Protéger notre temps, spécialement le temps creux : le rire est allergique au plein et friand de vide. Observez ce silence qui précède tout éclat de rire, ce silence que l’humoriste prend soin de préserver avant de prononcer la fatidique chute.
Protéger notre créativité. ChatGPT est le créateur le moins drôle, le plus fade de l’histoire des créateurs. Gorgeons-nous donc des mots, paroles, spectacles d’antan et d’aujourd’hui et goûtons à cette saveur unique que seul un humain est capable de faire jaillir de sa petite boîte crânienne.
« le rire est allergique au plein et friand de vide »
Protéger nos collectifs. Nos espaces de rencontres, nos anecdotes, sont autant de lieux où le lien perdure, se renforce et où le rire est renouvelé, traqué, guetté.
Et les bruyants de ce monde pourront presser plus fort, les Staline pourront tonner avec force qu‘ « un peuple heureux n’a pas besoin d’humour », cela ne fera que renforcer et alimenter ceux et celles qui veulent vivre et rire, ne serait-ce qu’un peu. Battons-nous donc et ne laissons pas les mains invisibles effacer ces fulgurances de vie qui nous traversent. C’est une question de rire ou de mort.
« Le comble du vide » est joué tous les mercredis soirs au théâtre du Funambule de Montmatre jusqu’au 2 avril. Un spectacle dont personne ne parle sur les réseaux sociaux. Billetterie et bande-annonce :
– Vianney
Image d’entête @Chu Chup Hinh/Pixabay
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En Éthiopie, découverte d’un loup pollinisateur !
Renard polaire
Une étude de l’été 2024 publiée dans la revue Ecology a révélé une pratique inattendue chez le loup d’Éthiopie, qui, lèche la Kniphofia foliosa, fleur endémique du pays. Cette découverte bouscule la compréhension des interactions entre les grands carnivores et les plantes : le loup d’Éthiopie contribue-t-il à la pollinisation ?
Malgré l’importance du loup d’Éthiopie au sein de l’écosystème local, il reste fortement menacé par l’activité humaine et certaines maladies transmises par le chien domestique.

Loup d’Éthiopie : découverte d’un pollinisateur inattendu !
Le loup d’Éthiopie, ou « Renard du Simien », est l’un des canidés les plus rares au monde. Endémique des hauts plateaux éthiopiens, avec une population estimée, selon la revue Nature, à moins de 500 individus à l’état sauvage, dont 300 dans le parc national du mont Balé au centre de l’Éthiopie. Divisés en 122 meutes, ces loups sont répartis de manière fragmentée à travers les hauts plateaux éthiopiens, et se nourrissent principalement de rongeurs, notamment le rat-taupe géant, d’autres petits mammifères, et alternativement de nectar de Kniphofia foliosa, cette fleur endémique, dans des proportions qui restent aujourd’hui inconnues.
En dehors de la population du mont Balé, une autre population significative est présente dans le parc national du mont Simien, au nord-ouest de la vallée du Rift. Des groupes plus restreints subsistent dans d’autres massifs montagneux, notamment dans les montagnes du nord-est de Choa, la région de Gojjam, et diverses zones montagneuses entre les monts Balé et Simien.
L’interaction plante-carnivore : une grande découverte !
Le loup d’Éthiopie intègre la liste des thérophiles, c’est-à-dire des mammifères non-volants qui participent à la pollinisation des plantes, parmi lesquels on retrouve la musaraigne à trompe, la souris Namaqua, certains marsupiaux et primates.
L’étude sur le loup d’Éthiopie, dirigée par la Dr. Sandra Lai de l’Ethiopian Wolf Conservation Programme (EWCP), a utilisé une combinaison de méthodes d’observation directe et de suivi GPS pour documenter le comportement de six loups issus de trois meutes différentes sur une période de quatre jours.
Il a été observé que les loups visitaient régulièrement la plante endémique surnommée « tison du diable », allant jusqu’à lécher 30 fleurs par session d’observation, action par laquelle du pollen était visiblement déposé sur les museaux des loups après ces visites. La Dr. Lai explique : « Ce comportement pourrait représenter un cas rare d’interaction potentielle plante-pollinisateur impliquant un grand carnivore. »
« C’est une découverte qui remet en question nos conceptions traditionnelles sur les rôles écologiques des prédateurs. »
Cette découverte soulève plusieurs questions importantes pour les chercheurs : Dans quelle mesure les loups contribuent-ils réellement à la pollinisation de K. foliosa et potentiellement d’autres espèces végétales ? Le nectar pourrait-il représenter une source importante de nutriments pour les loups, en particulier pendant les périodes où les proies sont rares ? Existe-t-il des adaptations spécifiques chez K. foliosa ou d’autres plantes qui favoriseraient la visite des loups, comme l’allongement de leurs tiges ? Cette nouvelle habitude alimentaire pourrait être une adaptation à la diminution des proies dans leur habitat changeant, ou alors simple plaisir gustatif. Pour l’instant, toutes ces questions restent en suspens.
Le Dr. Ethan Brown, écologue à l’Université d’Addis-Abeba et co-auteur de l’étude, souligne que : « cette découverte pourrait avoir des implications significatives pour notre compréhension de l’écologie des hauts plateaux éthiopiens. Elle suggère que les loups pourraient jouer un rôle plus complexe dans leur écosystème que ce que nous pensions auparavant. », permettant ainsi davantage de protections pour cet animal extrêmement menacé.
Un carnivore au bord de l’extinction
Le « loup d’Abyssinie » comme bien d’autres animaux tels que la tortue verte et le saumon atlantique, sont sur la liste rouge du classement 2023 de l’IUCN, association mondiale de protection de la biodiversité qui élabore chaque année un classement par niveau de préoccupation des espèces.

Le canidé fait malheureusement face à de nombreuses menaces qui mettent en péril sa survie. La perte et la fragmentation de son habitat, dues à l’expansion de l’agriculture et du pâturage en altitude, forcent les loups à se réfugier dans des zones de plus en plus restreintes et isolées. Cette situation limite les échanges génétiques entre les populations, les rendant plus vulnérables aux maladies et aux changements environnementaux, alors qu’ils sont déjà fragilisés par l’hybridation avec les chiens domestiques.
La proximité avec les activités humaines pour la recherche de nourriture entraîne également des conflits. Le débat sur la cohabitation avec le loup n’a pas fini de défrayer les chroniques. Aujourd’hui, bon nombre de scientifiques s’accordent sur sa nécessité écosystémique, comme le prouve la régénération des forêts là où ils sont réintroduits ou en nombre suffisant.
Sauvons le loup !
Le Dr. Claudio Sillero, fondateur du Programme de conservation du loup éthiopien (EWCP), commente : « Ces découvertes montrent à quel point nous avons encore à apprendre sur l’un des carnivores les plus menacés au monde », qui a mis en place un programme de conservation de l’espèce.
Des vétérinaires affiliés mènent ainsi des campagnes de vaccination contre la rage et la maladie de Carré, les principales menaces pour l’espèce. En 2020, l’EWCP a vacciné 17 clans de loups, distribuant 558 vaccins oraux avec un taux de consommation de 85%, en parallèle d’une vaccination de 3200 chiens, principal vecteur de ces maladies mortelles.
Plus ancienne, la création de parcs nationaux dans les montagnes où vivent les loups a permis de protéger au moins leur habitat. Ces parcs ont encouragé le développement de l’écotourisme, qui finance en partie les programmes et sensibilise davantage à la conservation des loups. Les scientifiques collaborent étroitement avec le gouvernement éthiopien et les communautés locales, pour mettre en place des programmes éducatifs dans les écoles et les villages afin de sensibiliser à l’importance de la protection de l’espèce.
Lutter contre la déforestation avant tout !
Malgré les programmes de vaccinations et de sensibilisation, lutter contre la déforestation reste la meilleure des solutions pour sauver le loup d’Éthiopie qui pourrait retrouver son habitat naturel, et éviter toute proximité avec les humains ou les chiens.
À cause des coupes de bois pour le chauffage ou la cuisine, la couverture forestière de l’Éthiopie a considérablement diminué, passant de 35 % il y a un siècle à seulement 4 % dans les années 2000 selon un article de l’ONU, qui a ainsi lancé un programme de reforestation en plantant plus de 2,9 milliards d’arbres depuis le début de l’initiative en 2019. « Les experts estiment que les forêts éthiopiennes pourraient absorber jusqu’à 200 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030, soit l’équivalent des émissions annuelles de 50 millions de voitures », selon le media Greencross.
– Maureen Damman
Photo de couverture : Charles J. Sharp
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Capitalisation des retraites : la blague néolibérale revient sur la table
Renard polaire
Durant les négociations sur le budget de l’État, le sujet des retraites est à nouveau arrivé sur la table. Au-delà de la très contestée réforme de l’an passé, certains médias et libéraux en profitent pour remettre encore en question notre système actuel et promouvoir celui par capitalisation. Une suggestion qui avantagerait, une nouvelle fois, les plus aisés, au détriment des plus pauvres.
C’est le retour d’un vieux débat via le spectre de néolibéraux et de médias qui imposent sa discussion dans le paysage politique. Système propre à la doctrine libérale, la retraite par capitalisation se fonde sur l’idéologie illusoire de la méritocratie. Elle engendre surtout de grandes inégalités plongeant les plus précaires vers la misère et les obligeant à travailler jusqu’à la mort. Plaçant l’individu avant la collectivité, il met à mal toute idée de solidarité en plus de se livrer au hasard des marchés financiers.
Répartition, capitalisation, quelles différences ?
Pour bien préciser les choses, il est essentiel de rappeler les disparités fondamentales entre le système par répartition et celui par capitalisation. Dans le premier, qui existe en France, les retraites sont supportées en temps réel par les cotisations des travailleurs. Il s’agit d’un fonctionnement public basé sur la solidarité où les jeunes générations permettent aux anciennes de vivre.
À l’origine, tel qu’il était pensé par ses instigateurs communistes, ce système, faisant partie intégrante de la sécurité sociale, devait être financé intégralement par les cotisations sociales, comprenant les cotisations salariales (la partie « brut » du salaire) et les cotisations patronales réunies dans une caisse gérée par les salariés eux-mêmes. Au fil des ans et des politiques néolibérales, l’État a néanmoins repris la main et pourvoie aujourd’hui de moitié ce régime par l’impôt, comme expliqué dans un précédent article.
Toujours est-il que le processus de solidarité publique reste de mise, et que malgré les réformes successives menées pour le conduire à la privatisation, les Français y sont malgré tout largement attachés.
L’individu avant le collectif
Et de fait, à cause de la dégradation volontaire du procédé, et notamment via l’âge de départ et des faibles montants offerts à certains travailleurs, quelques individus commencent à pousser pour la retraite par capitalisation.
De cette façon, il n’y aurait plus de cotisations collectives, mais une somme donnée par chaque salarié, chaque mois, à un organisme privé : banque, assurance, fonds de pension. Tout au long de la carrière, ces organismes se chargeraient d’investir l’argent sur les marchés financiers pour tenter de le faire fructifier. Puis, quand une personne décide de prendre sa retraite, ces organismes versent alors une rente mensuelle ou bien tout le capital d’un seul coup.
Un système pour les riches
Évidemment, lorsque l’on gagne très bien sa vie, on peut se permettre d’investir beaucoup d’argent dans ce système et on aura toutes les chances de s’en sortir relativement bien à l’arrivée. Plus on pourra mettre de côté, plus on aura de possibilités de varier ses placements et donc de minimiser les risques.
À l’inverse, ceux qui n’ont pas les moyens d’économiser énormément se retrouvent à la merci des aléas du marché et de ses dépressions. Lors de la grande crise de 2008, par exemple, des milliers de personnes âgées, qui avaient donné toute leur existence à des fonds de pension, se sont vus complètement ruinés.
Pour les pauvres, le travail jusqu’à la mort
La retraite par capitalisation représente également un pari sur notre espérance de vie. En effet, là où la retraite par répartition garantit une rente jusqu’à la fin de notre existence, celle par capitalisation reposera sur le même montant global, que l’on vive dix ans ou trente ans après sa sortie du monde du salariat.
De ce fait, lorsque l’on a eu une carrière décousue (pour diverses raisons ; maladie, famille, etc.) ou des métiers peu rémunérateurs ne permettant pas de placer énormément d’argent, on peut se retrouver dans une situation extrêmement précaire à l’aube du troisième âge.
De nombreuses personnes doivent alors continuer à travailler éternellement pour obtenir des revenus suffisant pour survivre. Et pour ceux qui en deviennent physiquement incapables, l’issue peut être terrible, jusqu’à finir à la rue.
Des exemples déchirants
Aux États-Unis, le pays qui a le plus recours à la capitalisation au monde, les conséquences sont très souvent désastreuses pour des millions de gens. On y voit ainsi des seniors qui se retrouvent sans-abri, et d’autres qui sont obligés de garder un emploi jusqu’à un âge canonique.
En 2024, certains médias avaient d’ailleurs évoqué le cas d’un vétéran de l’armée américaine avec des ressources trop faibles. Âgé de 90 ans, il était encore contraint de ranger les chariots d’un supermarché pour survivre. Une situation d’autant plus critique, que le système de santé est lui aussi privé et que les assurances coûtent de plus en plus cher avec l’âge, ce qui entraîne des besoins de revenus considérables.
Un système rejeté partout dans le monde
L’un des autres exemples marquants est le Chili qui dans les années 70 fut le laboratoire du néolibéralisme. Après avoir fait renverser le gouvernement socialiste de l’époque, les États-Unis ont imposé cette nouvelle doctrine qui devait s’étendre ensuite au monde entier, le tout mené par le tyran Pinochet.
La retraite par capitalisation y a été l’une des mesures mises en place par la dictature d’extrême droite, sous l’égide américaine. Au fil des décennies, elle aura conduit des millions de seniors chiliens à la pauvreté extrême. Un fait qui aura été l’une des causes des manifestations monstres connues par le pays au cours des dernières années. Récemment, Gabriel Boric, le président de gauche très modérée, a timidement contesté la situation par une réforme qui fait reculer la capitalisation au profit d’un système mixte public privé.
Une résistance populaire nécessaire
De fait, partout dans le monde, les retraites par capitalisations ont déclenché la colère de nombreuses personnes. Aujourd’hui, plus aucun pays riche ne repose entièrement sur ce procédé, la plupart d’entre eux ayant adopté un système mixte.
À l’inverse, ceux qui comme la France disposent d’un mécanisme intégralement collectif sont de plus en plus menacés par les fidèles du capitalisme qui entendent bien offrir une grosse partie du gâteau aux grands groupes privés.
La dégradation globale et voulue de la sécurité sociale participe à la stratégie libérale de provoquer la colère contre les organismes publics pour créer des partisans du système privé. Or, dans les faits, cette voie ne fonctionne pas et ne profiterait qu’à une minorité. Pour y échapper, la majorité devra encore continuer de se battre pour défendre ce conquis social hérité du Conseil National de la Résistance.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Photo de MART PRODUCTION. Pexels.
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Exploitation animale : à quand la fin de la fourrure ?
Renard polaire
Le 1er février 2025, la Norvège a mis un terme à l’élevage d’animaux pour la vente de leur fourrure. Au-delà de cette excellente nouvelle, qu’en est-il de cette industrie à plus grande échelle ? Les associations et ONG multiplient les combats pour faire évoluer les mentalités et tenter de convaincre le monde de la mode que la fourrure appartient au passé.
L’industrie de la fourrure est source de souffrances multiples, en plus d’être une bombe sanitaire à retardement. Retour sur le déploiement de cette industrie mortifère et non-nécessaire.

De l’habillement nécessaire à la dérive consumériste
Le port de fourrure animale est aussi vieux que l’humain est devenu Sapiens : l’évolution a fait qu’une fois dépourvu de poils, l’humain n’a eu d’autre choix, pour faire face aux températures les plus extrêmes, que de se vêtir de la peaux des animaux (cuir comme fourrure). S’il est difficile de dater exactement l’apparition des premiers textiles en fibre végétale, il apparaît que le travail des fibres de lin ou de coton a permis, il y a environ 34 000 ans, de confectionner les premiers vêtements d’origine non-animale.
En parallèle, la soie, le cuir ou la laine ont continué d’être travaillés. Les matières artificielles extraites des végétaux, comme la cellulose ou la viscose, sont apparues au XIXème siècle. Enfin, le XXème siècle verra l’apparition de matières synthétiques comme le polyester, l’acrylique ou l’élasthanne.
Dès lors, l’usage de textiles d’origine animale va perdre sa nécessité. Fourrures, peaux et cuirs persistent pour leur esthétique, leur confort ou encore leur solidité : des caractéristiques qui existent également chez les matières synthétiques, d’autant plus avec les innovations et progrès actuels qui permettent la fabrication de vêtements techniques très performants.

Aujourd’hui, le port de fourrure n’est plus qu’une question de mode et donc, de superflu. ll est également associé à un « signe extérieur de richesse » : la vraie fourrure est un apparat généralement réservé aux plus privilégiés, qui l’étalent de la même manière qu’une voiture de luxe ou des bijoux de grande valeur.
C’est encore plus le cas avec les peaux exotiques (alligator, serpent, autruches…), utilisées en maroquinerie de luxe. Porter une étole ou un manteau réalisé à partir de fourrures animales est synonyme de réussite sociale, et de la capacité à se payer des vêtements inaccessibles aux classes populaires. Confort et chaleur pouvant désormais s’apprécier sur des vêtements sans matière animale, la fourrure n’est donc plus qu’une coquetterie bourgeoise.
A contrario, les gros manteaux de fourrure ayant quasiment disparu au fil des décennies, le pelage animal se retrouve de plus en plus sur des produits accessibles à tous, et nettement moins visibles. En effet, il peut arriver de se retrouver avec un col en fourrure animale sur un vêtement dont l’étiquette mentionne une « fourrure synthétique », trompant ainsi le consommateur et démontrant au passage qu’un col en fausse fourrure ferait exactement le même effet. Une duperie qui ne fait que mettre le doigt sur le pire de l’exploitation animale : il peut désormais être moins cher d’utiliser de la fourrure de lapin ou de chien viverin que des poils synthétiques ! Cette logique économique en dit long sur les conditions de vie des animaux concernés.

L’industrie de la fourrure, source de souffrance pour l’animal et de danger pour l’humain
L’industrie de la fourrure animale (hors laine, cuir et peaux exotiques) touche certaines espèces spécifiques comme le lapin, le chien viverin, le renard, le vison, le castor ou encore le raton-laveur. Des espèces sauvages sont également touchées, comme les coyotes, les ours ou les phoques, victimes de piégeage et de braconnage.
Les conditions de vie des animaux élevés pour leur fourrure sont dignes des pires élevages à viande : enfermés dans des cages exigües, n’ayant pas accès à la vie extérieure, vivant sur des grillages et dans leurs propres excréments, les animaux évoluent dans un environnement qui va à l’encontre totale de leurs besoins les plus fondamentaux. Face à ces conditions, certains développent des troubles du comportement, s’auto-mutilent et vont parfois jusqu’à s’agresser voire se manger entre eux.
Ces êtres sensibles naissent, vivent et meurent dans des conditions épouvantables, traités comme une simple matière première et ce, quel que soit le pays concerné. En effet, les élevages finlandais ou danois, les plus réputés en matière de fourrure, ne valent guère mieux que ceux issus de Chine ou d’autres pays d’Asie, souvent pointés du doigt pour leurs atrocités. Avant que la France ne mette fin à l’exploitation d’animaux sauvages pour leur fourrure (n’épargnant ainsi pas les lapins Orylag, considérés comme domestiques), L214 avait révélé que notre pays aussi faisait vivre l’enfer à ses animaux :
Au-delà des conditions de vie et d’abattage épouvantables, l’entassement d’animaux dans un environnement clos favorise l’apparition de zoonoses. Il n’est pas si lointain, ce souvenir du COVID 19 : des millions d’animaux avaient été abattus dans la précipitation au Danemark ou aux Pays-Bas au plus fort de la pandémie, face à la prolifération du virus parmi les animaux. La peur d’alors résidait dans le fait de voir apparaître une nouvelle variante du virus, transmissible à l’humain et résistante aux vaccins.
La pandémie a servi de rappel à l’ordre aux industriels de la fourrure, au détriment de la vie de millions d’innocents. Le COVID a remis sur la table le fait que l’enfermement d’animaux sauvages ou domestiques dans des conditions exigües favorisait le développement, voire l’apparition, de virus – un fait qui était pourtant relayé de longue date par les associations de protection animale et la communauté scientifique. Un électrochoc tardif, qui aura eu comme effet positif d’accélérer la fin des élevages dans certains pays européens.
Il aura donc fallu que la santé humaine soit en danger pour que l’on se penche enfin sur l’industrie de la fourrure… Anthropocentrisme, quand tu nous tiens !

Rencontre avec le collectif SIPE : pour un avenir sans fourrure
Récemment, Mr Mondialisation a partagé sur ses réseaux les vidéos du collectif parisien SIPE (Stop à l’Impunité des Professionnels de l’Élevage) qui organise régulièrement des actions devant des boutiques de la capitale. Créé en 2021, SIPE a pour objectif d’obtenir des victoires à court terme, avec des retombées tangibles sur le sort des animaux.
« Nous avons commencé nos campagnes anti-fourrure en 2022, explique Max, membre du collectif, notamment suite aux campagnes de CAFT USA. Nous avons alors suivi les cibles désignées à l’international, telles que LVMH ou Max Mara. »
Le collectif a également pris l’habitude de manifester devant les Galeries Lafayette, d’abord de manière assez vigoureuse : « Au début, nous misions surtout sur le fait de faire du bruit devant le magasin. Aujourd’hui, nous essayons plutôt de mobiliser la clientèle des Galeries Lafayette à agir avec nous tant que le magasin n’aura pas adopté de politique anti-fourrure. La plupart des gens comprennent et savent que la fourrure, c’est tout simplement non nécessaire. »

Si Arthur Lemoine, directeur des Achats et des offres au sein des Galeries Lafayette, a déclaré en 2024 que le magasin n’avait pas prévu de bannir la fourrure, SIPE a tout de même obtenu quelques victoires significatives : « L’offre de fourrure a nettement réduit dans le magasin physique, souligne Max. Nous avons par exemple relevé qu’une marque comme Max Mara trompait le consommateur avec des « fausses* fourrures, en réalité vraies. Les Galeries Lafayette ont dans la foulée fait disparaitre la marque de leur site internet…»
Si l’industrie de la fourrure est en déclin, SIPE continue d’être présent sur le front et de rappeler qu’il existe encore de nombreux freins à sa disparition. En 2024, la tendance mob wife aesthetic – qui s’inspire des femmes des films de mafia classiques des années 80 et 90 – a fait revenir la fourrure sur le devant de la scène, vraie comme fausse.
« Le problème, c’est que la fausse fourrure tend à encourager l’usage de la vraie. De plus, ce type de tendances rappelle que l’industrie de la fourrure fait tout pour rajeunir son image. Si les jeunes générations sont plus ouvertes à la question de l’environnement et de la protection animale, le fait est que les vidéos TikTok mettant en valeur la fourrure ont également un impact sur elles. »
Le principal frein contre l’arrêt de la fourrure reste les entreprises qui font vivre cette industrie. Première en cause, LVMH qui, à travers ses multiples marques, entretient cette tendance mortifère. « Pour tenter de faire plier ce mastodonte qu’est LVMH, nous ciblons d’abord ses marques les plus faibles, ou celles qui proposent le moins de fourrure, précise Max. Des marques comme Marc Jacobs, Céline ou Patou se sont récemment engagées à abolir la fourrure. A contrario, Fendi et Louis Vuitton sont les pires, et les plus résistantes. Ce sont nos cibles ultimes… »

En effet, tant que ces géants de la mode comme LVMH n’auront pas banni la fourrure de leur collection, une proposition de loi semble utopique : le poids de ces groupes dans les décisions politiques est plus fort que celui de l’opinion publique.
Reste-t-il alors un espoir de voir enfin l’industrie terrible de la fourrure disparaître, et plus globalement, celle des animaux au service de la mode ?
« Nous avançons combat après combat, raisonne Max. Actuellement, celui de la fourrure est le plus accessible car l’industrie est en déclin, mais il est loin d’être gagné. Celui sur le cuir exotique, par exemple, est plus complexe et difficile d’accès. Nous ne l’oublions pas pour autant. »
En effet, si le combat contre la fourrure commence à porter ses fruits, il ne faut pas oublier les autres victimes de la mode : animaux à écailles ou à plumes souffrent tout autant du capitalisme actuel, au nom du superflu et du profit.
– Renard Polaire
Source image d’en-tête : ©Wikipedia
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