Think-tank citoyen et média indépendant
Publié le 02.04.2025 à 06:00
Le projet E-CHO : une production de biocarburants contestée
Maureen Damman
Publié le 01.04.2025 à 06:00
La Base Marseille, un lieu de pluralité des luttes
Benjamin Remtoula
Publié le 31.03.2025 à 10:54
En Belgique, il faut encore se battre pour le droit à l’avortement
Mr Mondialisation
Publié le 28.03.2025 à 20:02
« Patriotisme » : la droite fidèle à ses propres valeurs ?
S. H.
Publié le 27.03.2025 à 10:50
Altruisme égoïste : agir pour le collectif c’est agir pour soi
Benjamin Remtoula
Publié le 26.03.2025 à 05:00
Atome 33 : Des québecois en lutte contre un poison industriel
Mr Mondialisation
Publié le 25.03.2025 à 05:00
Typhons, cyclones, inondations : miroirs d’un océan en surchauffe
Mr Mondialisation
Publié le 24.03.2025 à 12:33
Les scientifiques français se mobilisent contre Trump
Mr Mondialisation
Publié le 21.03.2025 à 13:08
États-Unis : 5 preuves que la résistance anti-Trump s’organise
Simon Verdiere
Publié le 20.03.2025 à 21:16
L’industrie des croisières : folie du tourisme de masse
Renard polaire
Publié le 02.04.2025 à 06:00
Le projet E-CHO : une production de biocarburants contestée
Renard polaire
Les « biocarburants » ont le vent en poupe, et les projets d’infrastructures pour les produire pleuvent partout sur l’hexagone (et ailleurs). Vendus comme une alternative aux hydrocarbures, l’impact de ces projets, fortement subventionnés par l’État, n’en est pas moins préoccupant : entre coupes de bois et consommation d’eau démentiel, la légitimité de ces projets dits « bas-carbone » est à réfléchir. Focus sur ce nouveau greenwashing.
La feuille de route nationale pour les biocarburants aéronautiques est de remplacer de 2 % le kérosène fossile en 2025 et de 5 % en 2030. Dans cette veine, un projet de biocarburants E-CHO, porté par l’entreprise Elyse Energy, principalement dédié à l’e-kérosène, devrait s’implanter sur le bassin de Lacq dans le sud-ouest de la France pour 2028. Or ce projet suscite aujourd’hui de vives controverses et fait face à une forte mobilisation locale.
Le projet E-CHO : une production gigantesque de biocarburants
Les biocarburants sont produits à partir de matières organiques, à la différence des carburants fossiles, dérivés du pétrole. Le préfixe « bio » faisant référence à la biomasse, le terme « biocarburant » peut laisser croire que ces carburants seraient « écologiques » , mais « ce n’est malheureusement pas du tout le cas » , déplore un article de l’association Greenpeace, qui préfère de ce fait les appeler « agrocarburants » .

Un projet de plus après l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’A69, les méga-bassines… dans le catalogue français des aberrations écologiques. Voici le projet de « biocarburants » de l’usine E-CHO, qui veut produire annuellement 50 000 tonnes de « e-méthanol » , destinées au transport maritime et à l’industrie, 87 000 tonnes de « e-biokérosène » pour l’aviation, et 27 000 tonnes de naphta (un mélange liquide d’hydrocarbures légers issu principalement du raffinage du pétrole brut), selon les sources officielles de l’entreprise.
Problème : les agrocarburants sont déjà vertement critiqués pour leur bilan carbone négatif, la déforestation et la perte de biodiversité qu’ils occasionnent, les conflits avec la production alimentaire, les monocultures intensives nécessaires à leur production, qui fragilisent les sols, contribuent à leur érosion et polluent les écosystèmes avec des pesticides et des engrais.

Aussi, les coûts de production sont élevés. Pour les technologies émergentes et les installations à grande échelle (au bilan carbone non moins lourd car alimenté par les énergies fossiles), le prix moyen d’approvisionnement du biodiesel était supérieur de 67 % à celui du gazole fossile en 2022.
Pire encore, selon un article du média Reporterre, la production de biocarburants pourraient in fine diminuer le stockage du carbone par le défrichage d’espaces naturels, diminuant encore plus son « bénéfice environnemental” réduit à peau de chagrin. Selon le rapport publié par Canopée et Rainforest Foundation Norvège en mars 2020 :
« Les objectifs actuels d’utilisation de biocarburants conduisent à une augmentation massive de la demande en huiles de palme et de soja à l’horizon 2030 […]. Cette augmentation se traduirait par la destruction de 7 millions d’hectares de forêts, dont 3,6 millions sur des sols tourbeux très riches en carbone. »
Déforestation et bilan carbone douteux
L’ampleur du projet E-CHO donne le vertige : d’après le bilan de concertation, l’usine de production de e-biokérosène, nécessiterait à elle seule 300 000 tonnes de biomasse sèche par an, soit l’équivalent de 500 000 tonnes de biomasse brute. Cette consommation massive de bois menace directement les forêts locales, avec une coupe estimée à 10 000 hectares par an (équivalant à la superficie de Paris intra-muros (105 km²) déboisée chaque année).

L’entreprise Elyse Energy affirme sur la page officielle du projet E-CHO, que son procédé permet de produire un carburant dont le bilan carbone est réduit d’au moins 70 % sur l’ensemble du cycle de vie par rapport aux carburants fossiles. Évidemment, cette affirmation ne tient pas compte du cycle de vie complet du produit.
Selon un article de Sud Ouest du 9 février 2025, des représentants des associations de défense des forêts, notamment Pierre Biscay, Peppino Terpolilli et Jacques Descargues, ont déclaré : « Il faudra attendre 60 à 80 ans pour avoir un meilleur bilan, car les arbres abattus auront repoussé, mais c’est dès aujourd’hui qu’il faut décarboner ! » Ces opposants au projet E-CHO affirment également :
« à l’horizon de 20 ans, le e-biokérosène – leur principale cible – émettra plus de CO2 que le combustible fossile. »
« Sur 15 ans, le volume des bois consommé équivaudrait à la totalité de la biomasse forestière des 20 000 hectares du massif forestier d’Iraty », alerte le collectif Touche Pas à Ma Forêt (TPMF) dans le magazine Mediabask.
Un impact positif limité
Selon le collectif Rester sur terre, qui reprend les chiffres de l’Insee sur la consommation pétrolière, le e-biokérosène produit par E-CHO ne représenterait que 1 % de la consommation française de kérosène sur la base des chiffres de 2019. Cette contribution marginale soulève des questions sur l’efficacité réelle du projet en termes de réduction des émissions du secteur aérien. De plus, comme le souligne le collectif TPMF :
« le secteur aérien fonde sa stratégie de décarbonation en partie sur les biocarburants et les utilise pour justifier la poursuite de sa croissance. »
Cette approche risque de perpétuer un modèle de transport non durable plutôt que d’encourager une véritable transition vers des modes de déplacement moins polluants.
Le projet E-CHO soulève également des inquiétudes quant à son impact sur les ressources en eau de la région. À l’heure où l’on compte les années les plus chaudes jamais enregistrées, de même que de trop nombreuses sécheresses, la gourmandise des biocarburants en eau, pourrait entrer en concurrence avec les besoins agricoles et domestiques locaux.

De plus, l’utilisation massive de biomasse pour la production de carburants pourrait détourner des ressources potentiellement utiles pour l’agriculture locale ou d’autres usages plus durables. Cette concurrence pour les ressources risque de perturber l’économie locale et d’affecter la sécurité alimentaire de la région. Le projet prévoit déjà de pomper 7,7 millions de m3 d’eau dans le Gave de Pau, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les ressources hydriques locales.
Mobilisation citoyenne croissante contre E-CHO
Face à ces enjeux complexes, un collectif regroupant 37 associations environnementales, Touche Pas à Ma Forêt – Pour le Climat (TPMF-PLC), renommé Forêts vivantes Pyrénées s’est formé pour alerter sur les conséquences du projet E-CHO. Ce mouvement citoyen organise des réunions publiques et des assemblées citoyennes pour informer et mobiliser la population locale.
Cette mobilisation souligne l’importance d’une approche participative dans les décisions concernant les grands projets industriels. Elle met en lumière la nécessité d’une évaluation transparente et exhaustive des impacts environnementaux, sociaux et économiques de tels projets. Comme le disait Loïc Schneider, le moine anticapitaliste, il faut agir en se concentrant sur des actions locales : « S’il n’y avait pas eu cette tension sur le terrain [ndlr : contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes] qui a amené l’attention des médias, et des victoires, même localisées qui représentent un début de basculement général, on n’aurait pas réussi à arrêter le projet d’aéroport. »

Et si on faisait autrement ?
Plutôt que de miser sur des solutions technologiques à grande échelle comme E-CHO, de nombreux experts préconisent une approche plus holistique de la transition écologique.
Une taxe sur le kérosène, seul carburant qui ne soit pas taxé, pourrait financer cette transition; d’autant que l’aviation ne profite qu’à une tranche aisée de la population mondiale. « Les compagnies aériennes ne paient pas de taxe sur le kérosène, ni de TVA sur les vols internationaux, et la TVA est réduite à 10 % sur les vols intérieurs. Des cadeaux fiscaux qui représentent un manque à gagner d’environ 4,7 milliards d’euros par an pour la France, selon l’association Transport & environnement. » comme l’écrit le média Vert.
Et si l’État permettait aussi de baisser le prix du train en injectant ces milliards dans le ferroviaire ? Idem pour le carburant maritime, qui on le rappelle reste très polluants, il existe d’autres alternatives mentionnées dans notre article sur la ville low-tech, dans lequel on parle de la marine à voile, par exemple, pour les importations de denrées non périssables, à l’image de l’expérience de l’entreprise bretonne Grain de Sail.
– Maureen Damman
Photo de couverture : Forêts Vivantes Pyrénées
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La Base Marseille, un lieu de pluralité des luttes
Renard polaire
On entend souvent parler de la nécessaire pluralité des luttes : mais qu’en est-il concrètement ? Comment cela se matérialise dans la pratique ? Nous sommes allés chercher une partie de la réponse à Marseille, au cœur du quartier populaire de Chartreux, dans les locaux de La Base (Base d’Action Sociale et Écologique). Un espace de partage, d’échanges et d’accueil de nombreux collectifs qui animent la vie militante phocéenne.
La Base est un tiers-lieu impulsé par Alternatiba Marseille qui regroupe aujourd’hui de nombreux collectifs. Sa spécificité réside dans sa gouvernance partagée : une organisation horizontale où aucun collectif n’est au-dessus des autres, chaque avis compte et l’espace est ouvert à tout le monde, sur la base du respect du lieu et de ses valeurs écologiques, sociales et démocratiques. Un espace apartisan mais profondément politique.
La rencontre
À la Base, se trouvent une buvette avec des produits bio et locaux, une cuisine partagée, un espace de travail, un espace extérieur végétalisé. C’est un lieu auto-organisé, construit et aménagé à base d’objets et de matériaux de récup’.

Shannon, militante écologiste, animaliste et féministe, est présente depuis les premiers pas de La Base il y a près de 5 ans ; Pascal, est lui aussi présent depuis la fondation du tiers-lieu. Sa vie est en grande partie dédiée au militantisme, aujourd’hui au sein d’Extinction Rébellion notamment et de Coup de Pouce aux Migrants, une petite association qui vient en aide aux personnes migrantes et sans-abris.
Il a également Richard, militant Marseille Révoltée, une “fédération marseillaise de mouvements féministes, sociaux, écolo, antifa, et LGBT+”, et Hélène, psychologue impliquée au sein de l’initiative Bien-être militant, dont l’objectif est de prendre soin de la santé mentale des activistes, parfois confrontés au burn-out.
Mais l’intention collective est de ne pas prendre sur soi la lumière, mais au contraire de valoriser un collectif, une vision politique, une dynamique de résistance. En poursuivant toujours l’essence de la Base : la mise à disposition d’un espace pour les associations et les individus pour leur permettre d’avancer dans leurs projets militants.
État des lieux
Créée en 2020, la Base est devenue réalité grâce à sa récolte de fonds : 22 000€ obtenus sur les 20 000 nécessaires à son lancement ; preuve du fort besoin d’organiser un espace de rencontre et de contestation militante dans un contexte difficile de confinement lié au Covid-19. La prospérité du tiers-lieu continue de dépendre des dons des adhérents : le loyer charges incluses est de 2 700€ et représente la quasi-totalité des dépenses. Les dons, les adhésions, mais encore la buvette associative permettent d’augmenter la cagnotte, malgré les variations financières qui créent un sentiment d’incertitude.
De même, l’activité du lieu repose sur une activité 100% bénévole. Des investissements nécessaires pour le bien commun mais qui laissent aussi certaines personnes dans un risque de précarité économique ou bien de surcharge de travail et émotionnelle. Un espace dépendant du travail bénévole peut aussi subir une forme d’incertitude par rapport au maintien de son activité sur le long-terme. Mais jusqu’ici, la Base tient le choc.
Le fonctionnement horizontal semble lui aussi porter ses fruits, le but étant de partager la gouvernance et d’éviter qu’une minorité de personnes décident pour le reste du groupe. Pour cela, plusieurs outils sont mis en place : les instances de décisions sont organisées sous forme de plénières où chaque avis compte, avec un droit de véto et de contre-proposition. Celui-ci peut alors aboutir à la création d’un espace de débat tel qu’un séminaire, avant de faire éventuellement l’objet d’une nouvelle proposition en plénière.

Ensuite, le pouvoir est divisé en différents groupes de travail (GT) qui ont mandat de confiance. Ces équipes ont la possibilité de prendre des initiatives en dehors des tâches auxquelles elles sont assignées, mais celles-ci doivent d’abord être discutées et validées en plénière si celles-ci ont un impact sur l’ensemble de La Base. Ces groupes sont ouverts à tous·tes, toujours dans une optique d’apprentissage personnel et d’organisation collective. Aussi, des réunions inter-GTs sont mises en place afin de partager les informations entre les groupes. Un moment utile à l’avancée du travail mais aussi convivial : l’occasion de partager un repas entre bénévoles ; rappelant que le lien social passent avant tout.
Enfin, comme dans toutes organisations humaines et malgré le partage de valeurs communes et positives, les bénévoles de La Base peuvent faire face à des conflits. Pour y pallier, l’espace militant dispose d’un groupe de veille, c’est-à-dire de médiation en cas de conflit.

Un lieu de lutte pour l’écologie et contre la précarité
Pascal porte une volonté de connexions entre différents combats. Avec Coup de pouce aux migrants, il organise des maraudes au cœur du quartier Saint-Charles à Marseille. L’association accompagne les personnes vers des structures où elles peuvent trouver soins et logement; elle offre parfois des nuits d’hôtel, particulièrement aux femmes qui font face à des difficultés et violences plus accrues. À Noël, les bénévoles récoltent des cadeaux à destination personnes à la rue : une occasion de “prendre le temps d’échanger et d’apprendre à se connaître”.
Coup de pouce aux migrants fait partie d’un réseau plus grand d’associations côtoyant la Base et venant au secours des populations étrangères en situation d’extrême pauvreté. Parmi elles, l’association 59 St-Just qui aide les mineurs étrangers non accompagnés, en les conduisant sur la voie de la scolarisation. Ou encore le collectif Sirakadjan, qui est parvenu à occuper l’église Saint-Ferréol en compagnie d’une soixantaine de mineurs sans logement. Une opération ayant eu de fortes répercussions médiatiques.
Le combat de Pascal s’est encore plus élargi lorsqu’il a rejoint le mouvement de désobéissance civile écologiste Extinction Rébellion. Il dit y trouver “une famille, des personnes non jugeantes et un collectif qui se remet toujours en question”. Avec XR Marseille, le militant organise un prochain événement qui lui est cher : le concours de la pub la plus sexiste à Marseille. Il aura pour vocation à dénoncer de manière ironique un matraquage publicitaire propageant une vision patriarcale de la société basée sur la domination des hommes sur les femmes.
En somme, la pluralité des combats que mènent Pascal et de nombreux activistes marseillais s’est amplifiée depuis leur mise en coexistence au sein de La Base. Pour permettre à cet espace précieux de continuer à exister, il est possible de le soutenir via leur campagne de dons.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)
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En Belgique, il faut encore se battre pour le droit à l’avortement
Renard polaire
Si pour certains la bataille semble gagnée, d’innombrables obstacles continuent d’entraver l’accès à l’avortement en Belgique. Criminalisation, stigmatisation, discrimination et marginalisation empêchent des centaines de personnes d’accéder chaque année à un cadre médical sécurisé. Dans un dossier alarmant, Amnesty International détaille pourquoi il est toujours essentiel de se battre pour le droit à l’avortement en Belgique.
« On n’est pas libre si on ne peut pas prendre les décisions concernant son propre corps. On n’est pas libre si on ne peut pas prendre les décisions concernant son avenir », c’est par ces mots forts que commence le nouveau dossier d’Amnesty International Belgique francophone, dédié aux entraves à l’accès à l’avortement dans le plat pays.

Mon corps, mon choix
À travers une campagne médiatique lancée cet été, plusieurs articles et de nombreuses interpellations publiques, les militants espèrent faire entendre leur revendication et faire bouger le monde politique :
« il est essentiel que les lois relatives à l’avortement respectent, protègent et mettent en œuvre les droits humains des personnes enceintes et ne les contraignent pas à avorter dans des conditions dangereuses. »
Amnesty International a notamment réalisé une vidéo mettant en scène la chanteuse Nsangu interprétant une chanson originale (bilingue français-néerlandais), qui interpelle les parlementaires belges sur la nécessité de protéger et promouvoir le droit fondamental à l’avortement en Belgique.
« D’innombrables obstacles continuent d’entraver l’accès à l’avortement, notamment la criminalisation, la stigmatisation sociale, la discrimination intersectionnelle et la marginalisation », énumère Amnesty.
« Dans la loi belge, des sanctions pénales existent à l’encontre des femmes et du personnel soignant qui ne respectent pas les dispositions légales, des entraves importantes à l’accès à l’avortement subsistent et des discriminations notables persistent, notamment envers les personnes LGBTQIA+, envers les personnes sans-papiers ou encore celles issues de milieux précarisés et marginalisés. »
Résultats : des centaines de personnes sont encore forcées chaque année de subir des grossesses non désirées, ou de partir à l’étranger le temps d’un avortement refusé dans leur pays de résidence. Une situation intenable, selon les militants, qui appelle à un « tournant décisif » dans l’évolution de la loi.
Des conditions jugées trop restrictives
En Belgique, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est partiellement dépénalisée depuis la loi Lallemand-Michielsen de 1991, autorisant l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse sous certaines conditions. En 2018, une réforme déplace l’avortement hors du Code pénal, une étape majeure vers la décriminalisation complète de l’acte médical.
« Toutefois, l’IVG n’est pratiquée que sous certaines conditions définies par la loi et reste criminalisée au-delà de 12 semaines, exposant personnes enceintes et soignants à des sanctions pénales », rappelle le dossier. Au-delà de ces conditions, et sauf en cas de menace grave pour la santé de la personne enceinte ou de malformation du fœtus, l’avortement n’est plus possible dans un cadre médical sécurisé.

Selon un rapport émis par un comité scientifique mandaté par le gouvernement en 2023, le délai légal de 12 semaines post-conception entraîne une configuration qui « a pour conséquence une dynamique quasi automatique de voyages vers les Pays-Bas à des fins abortives de femmes belges confrontées à une grossesse non désirée ». En 2021, elles étaient plus de 370 à se rendre dans ce pays voisin.
« Or, la nécessité d’entamer un voyage afin d’accéder à un avortement après le délai légal entraîne des coûts et obstacles pouvant priver certaines personnes d’un accès aux services en la matière – et touche de manière disproportionnée les personnes issues de milieux précarisés et/ou marginalisés », explique l’association.
Une atteinte au droit à la vie et la santé de milliers de personnes
En plus du délai maximal d’intervention, toute personne désireuse d’avorter en Belgique devra se conformer à d’autres critères énoncés par la loi. D’abord, un délai de six jours de réflexion doit être respecté entre la première consultation prévue et le jour de l’IVG. Ensuite, le personnel soignant est dans l’obligation d’informer le bénéficiaire de soin des différentes possibilités d’accueil de l’enfant, et notamment de l’adoption.
Pour l’organisation, cette criminalisation partielle de l’avortement et des conditions jugées trop restrictives ne font pas « disparaître » ces actes médicaux, « elle les rend juste plus dangereux, portant ainsi atteinte aux droits à la vie et à la santé de milliers de personnes ».

Au-delà de l’encadrement légal, d’autres obstacles se dressent concrètement devant les femmes et personnes enceintes désireuses de mettre un terme à leur grossesse : pénurie de personnel de santé, refus de prodiguer des soins, discrimination financière et pression sociale.
En outre, les hommes et des garçons intersexes, transgenres et non-binaires qui peuvent également avoir une grossesse et avoir besoin d’avorter ne sont pas reconnus par la loi actuelle, qui ne mentionne textuellement que l’avortement des femmes. Amnesty défend que :
Parler des « personnes enceintes » (…) permettrait de lutter contre ces discriminations croisées dans l’accès à un avortement sécurisé »
Un plaidoyer pour relancer le débat politique
Finalement, l’organisation de défense des droits humains plaide pour une dépénalisation totale de l’avortement en Belgique. Elle demande également que les obstacles qui entravent l’accès à l’avortement soient supprimés afin de permettre l’accès de toutes les personnes enceintes à des soins de santé de qualité et prodigués dans des conditions sûres. Cela comprend notamment l’allongement du délai légal maximum d’intervention, la suppression du délai de réflexion et la reconnaissance explicite de l’avortement en tant que soin de santé.
Malgré les engagements politiques pris par l’ancienne majorité gouvernementale en 2020 et les recommandations du comité scientifique en charge de l’évaluation de la loi et de la pratique de l’avortement en Belgique trois ans plus tard, aucune avancée législative n’a jusqu’à maintenant eu lieu. Une situation attribuée aux « logiques partisanes et convictionnelles continuant de primer sur l’intérêt des citoyennes belges » par certaines associations.
Au sein de l’UE, même combat
Ailleurs en Europe, la bataille en faveur du droit à l’avortement se poursuit également. « Dans les 49 pays de la région européenne, 44 ont légalisé l’avortement », explique Leah Hoctor, directrice régionale pour l’Europe du Centre pour les droits reproductifs (CRR), dans un article de la RTBF. Pourtant, 20 millions de personnes ne disposent toujours pas d’une possibilité d’avortement sûre et accessible au sein de l’Union européenne (UE).
Au Portugal par exemple, de nombreux médecins se déclarent objecteurs de conscience, ce qui oblige les établissements de santé à rediriger les patientes ailleurs. Rien qu’en 2023, 530 femmes y résidant ont eu recours à une IVG dans des cliniques frontalières de Vigo et de Badajoz en Espagne, explique Diana Pinto, coordinatrice nationale de la campagne My Voice, My Choice. Pourtant, en Espagne aussi des barrières existent : entre 2011 et 2020, 45 000 femmes espagnoles ont dû se rendre en dehors de leur province pour avorter, rapportait RTVE en 2022.
Pour faire changer la loi et inciter le monde politique à passer des promesses à l’action, Amnesty lance une pétition qui a déjà recueilli plus de 20 000 signatures.
– Lou Aendekerk
Photo de couverture :
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« Patriotisme » : la droite fidèle à ses propres valeurs ?
Renard polaire
Illusion de démocratie, servitude volontaire, fin du monde… Léonor Franc est un écrivain et professeur de philosophie habitué de nos colonnes. Auteur de l’excellent Les crimes des gens ordinaires. Essai sur la violence ignorée, il revient aujourd’hui pour Mr Mondialisation sur les contradictions de la droite politique dans sa notion de « patriotisme ».
Parce que la droite se dit patriotique, traditionaliste et sécuritaire, la gauche est souvent prête à défendre tout l’inverse : pour cette dernière, le patriotisme serait un nationalisme belliqueux, les traditions seraient rétrogrades et la liberté importerait plus que la sécurité. Mais en faisant cela, la gauche alimente l’idée que la droite défend vraiment les valeurs qu’elle affiche. Or est-ce bien le cas ? Si la réponse est négative, n’y a-t-il pas là une opportunité pour la gauche de réinvestir des valeurs généralement négligées par elle ?
Tibo Inshape, désormais premier Youtubeur français, se positionne ouvertement à droite et fait du patriotisme l’une de ses valeurs cardinales. Visiblement, une immense partie de la jeunesse francophone adhère à son propos. Mais qu’est-ce que le patriotisme ?

Le patriotisme : une coquille vide
« c’est au cœur du concept de patriotisme que de ne pas s’interroger sur son sens »
Face à cette question, les discours creux abondent : « C’est aimer la patrie » (réponse tautologique) ou encore « C’est donner la priorité à la France, aux Français ». Mais qu’est-ce que la patrie et qu’est-ce que la France ? Nous atteignons alors déjà une profondeur d’analyse rarement atteinte par l’individu « patriote », à tel point qu’on pourrait supposer que c’est au cœur du concept de patriotisme que de ne pas s’interroger sur son sens.
Ce sont avant tout les politiciens qui doivent faire comme si ce mot avait un sens. Ils anticipent que ce terme sera apprécié par la plupart. Il va sans dire que peu de gens se diront antipatriotes, peu de gens répondront « Non » à « Vive la France ». Le mot « patriotisme » est, pour utiliser une expression de Nietzsche, de la « moraline » : un comprimé de morale vide mais qui fait du bien, au moins sur le mode d’un effet placebo.
« Le « patriotisme » c’est de la « moraline » : un comprimé de morale vide mais qui fait du bien »
Moins on s’interroge sur la signification de ce mot, plus on doit le répéter et agiter des drapeaux français pour donner l’impression, et surtout se donner l’impression, que cette signification est connue, évidente, qu’il n’y a pas besoin de l’énoncer. Plus on ignore la signification d’un mot, plus il faut être prolixe à son sujet, afin de recouvrir de bruit ce néant. Surtout, faire en sorte que l’on soit nombreux à agiter le drapeau en même temps. Si c’est le cas, alors c’est sûr, le drapeau signifie quelque chose de clair, car il serait trop invraisemblable que tant de gens ignorent le sens de ce qu’ils font, n’est-ce pas…
Le patriotisme puriste ou les patriotismes relatifs
En vérité, la question « Qu’est-ce que la patrie française ? » est loin d’admettre une réponse évidente. Elle requiert une réflexion. Mais, pour la plupart des « patriotes », la revendication est plus importante que la réflexion. Revendiquons, prenons plaisir à nous intégrer dans un même mouvement de revendication collective, jouissons de ce sentiment d’identité, ressentons l’enthousiasme d’avoir des opposants, signe que notre combat en est un, puis, éventuellement, un jour, demandons-nous si tout cela était fondé, si nous savions vraiment le sens des mots que nous utilisions.
« L’identité d’une nation n’est pas moins insaisissable que l’identité d’une personne »
Toute personne qui réfléchit sait à quel point tout d’abord définir le mot « France » est une véritable gageure. L’identité d’une nation n’est pas moins insaisissable que l’identité d’une personne. Elle est faite de souvenirs biaisés, tronqués, de mythes, de régimes politiques qui changent, de langues, de traditions et de religions qui changent aussi, sans que l’on puisse trouver cette continuité tant désirée.
Est-il dans l’essence de la France d’être démocratique ? L’histoire de sa monarchie fut plus longue. La France est-elle chrétienne ? Les Gaulois ne l’étaient pas. Un vrai Français est-il descendant des Francs ? Les Francs étaient un peuple… germanique. Les slogans écrits en latin, comme on en trouve chez certaines organisations d’extrême droite, sont-ils plus français ? Le latin est pourtant la langue des envahisseurs romains, la langue d’un « grand remplacement », celui de la romanisation de la Gaule.
Face à cette immense indétermination, chacun posera les limites qu’il souhaite, en faisant commencer la France aux Gaulois, ou à Clovis, ou à la Révolution, etc. Parfois la France est même transférée au Royaume-Uni, entre 1940 et 1944.
« celui qui défend la patrie fait toujours croire que sa définition de la patrie est la seule correcte possible »
Evidemment, celui qui défend la patrie fait toujours croire que sa définition de la patrie est la seule correcte possible. Le patriotisme doit reposer sur cette grande mystification, du moins s’il se justifie par « l’identité nationale ». Souvent, le patriote identitaire ignore que sa définition de la patrie est une définition parmi d’autres. Ou alors il le sait mais ne le révèle pas, sachant que son auditoire ne lui posera pas la question qui dérange.
Encore une fois, le patriotisme est souvent plus utilisé comme une arme que comme une idée. Dans ce cas, peu importe ce qu’est la nation : l’important est ce que le mot « nation » fait dans l’esprit des masses pour les convaincre de se battre. Ce n’est pas un hasard si le drapeau national est agité presque exclusivement dans des contextes de compétition : guerres, sports ou courses au pouvoir, pour faire croire que l’autre camp politique n’est pas français. Le patriotisme n’est jamais vraiment un argument, il est toujours d’abord un objet de revendication et un moyen de distinction.
Certes, le concept de patriotisme n’est pas non plus un néant. L’identité de la France ne s’étend pas jusqu’aux Arapesh. Le concept est simplement approximatif. Mais le patriotisme consiste à faire oublier ce caractère approximatif, à inventer une évidence.
Car le soldat ne pourrait pas sacrifier sa vie pour une approximation. « L’Allemagne avant tout le reste », scandaient les Nazis, comme s’il était facile de distinguer l’Allemagne du reste, l’Allemand du non-Allemand. Comme s’il n’y avait aucune continuité entre l’intérieur et l’extérieur. Comme si l’identité allemande ne portait en elle la trace d’aucun autre peuple. Aujourd’hui encore, en cachant qu’il y a d’autres types de patriotisme possibles, en faisant croire que leur patriotisme est le seul digne de ce nom, les mouvances identitaires ne sont jamais des mouvances qui défendent une identité, mais qui en imposent une.
« Le patriotisme, c’est faire passer le drapeau avant l’idée »
Car le patriotisme n’est pas vraiment une idée. Celui qui critique le patriotisme n’est pas un penseur mais un ennemi. Le patriotisme, c’est faire passer le drapeau avant l’idée. D’où le fait que le soldat défend la nation dans toutes les circonstances : que la France soit dirigée par un tyran ou par le peuple, qu’elle soit raciste ou humaniste. Si la France devient une monarchie raciste, le « soldat patriote » doit encore être prêt à mourir pour elle.
La droite est-elle patriotique ?

Il me semble qu’il fallait ce long détour pour répondre à la question : la droite française actuelle est-elle patriotique ? On sait désormais qu’il convient d’ajouter : de quel patriotisme parle-t-on ? Naturellement, du patriotisme de droite : celui de la France chrétienne, souverainiste…
Dans ce cas, on ne peut que souligner une incohérence. La droite dit défendre les « racines chrétiennes de la France » alors que, par exemple, son programme vis-à-vis des migrants s’oppose diamétralement au message de Jésus, lequel prône l’accueil et l’amour du prochain quelle que soit son origine.
La droite dit défendre la « souveraineté nationale » tout en acceptant, pour l’un de ses partis, l’influence (pour ne pas dire l’ingérence) de la Russie dans ses financements. La droite chante la Marseillaise à n’en plus finir alors que son acte de naissance est antirévolutionnaire, lorsqu’elle a demandé un droit de veto illimité pour le roi. L’extrême droite se dit souverainiste alors que le plus grand parti qui la représente tire son nom d’un parti collaborationniste, le Rassemblement national populaire. Adopter un certain type de patriotisme est une chose, être incohérent dans sa défense en est une autre.
Mais la gauche a-t-elle un autre patriotisme à opposer ? Doit-elle accepter ce concept ou en sortir ? Et, si elle le construit, peut-elle ne pas le trahir ? Sur ce vaste sujet, je me contenterai simplement d’une remarque. Si la France est attaquée par un pays plus tyrannique qu’elle (et malheureusement il en existe beaucoup), alors il est tout à fait louable de défendre la France.
Toutefois, dans ce cas, on défend d’abord la liberté, non pas un pays. La France est défendue de surcroît. C’est en quelque sorte une coïncidence. On ne défend pas la France elle-même puisqu’on est conscient du fait qu’elle est loin d’être une nation pleinement libre et qu’elle pourrait devenir plus tyrannique, comme n’importe quelle nation. La liberté, elle, n’a pas de drapeau national, car elle est intemporelle et incorruptible, contrairement à une nation.
« La seule obligation que j’ai le droit d’adopter, c’est d’agir à tout moment selon ce qui me paraît juste », écrit Thoreau. Si le patriotisme consiste à abandonner sa conscience morale à la patrie, alors il faut abandonner le patriotisme. Car, poursuit le philosophe américain, « pourquoi, dans ce cas, chacun aurait-il une conscience ? »
– Léonor Franc
Cet article vous a plu ? Se procurer Les crimes des gens ordinaires. Essai sur la violence ignorée aux éditions Skhedia.
(Re)lire d’autres articles de Léonor Franc :
- Face au lavage de cerveau, une rébellion encore possible ?
- Léonor Franc : « La fin du monde a déjà eu lieu »
- La tyrannie repose autant sur l’oppression que sur l’indifférence
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Publié le 27.03.2025 à 10:50
Altruisme égoïste : agir pour le collectif c’est agir pour soi
Renard polaire
L’homme est-il un loup pour l’homme ? Ou sommes-nous faits pour la collaboration et l’entraide ? Et si notre survie, voire notre bonheur, dépendait paradoxalement de celui des autres ? Redorer le blason de la solidarité comme vecteur d’émancipation individuelle, l’époque s’y prête peu, et pourtant… Petits rappels.
Avez-vous déjà entendu ces affirmations au cours de discussions avec vos proches : “notre espèce est un virus”, « l’être humain est mauvais », “il est égoïste ou violent par nature”, etc. ? Difficile de donner tort à ce constat plutôt lucide à l’heure de dresser le bilan de l’activité humaine. Or, si cela n’était pas une fatalité ? Et si l’altruisme de l’humain était aussi salvateur que son égoïsme est destructeur ?
L’humain est un virus pour l’humain, mais aussi son antidote

Condition même de sa survie, puis du développement et de l’optimisation de sa santé et de son bien-être, l’altruisme est à nouveau, plus que jamais, la condition sine qua non d’entrave à l’extinction de l’espèce humaine. Les liens sociaux ne viennent plus compenser notre vulnérabilité au sein du règne animal, mais s’élèvent désormais contre nos propres déviances.
Il est en effet important de rappeler notre fragilité afin de bien comprendre qu’un effondrement du vivant nous deviendra très vite hostile. L’humain est donc bel et bien un virus, mais il est aussi son antidote.
Or, pour cela, faudrait-il renoncer à notre ego, à notre liberté individuelle et notre recherche de bonheur personnel, “juste” pour sauver l’humanité ? En réalité, nous ne sommes pas confrontés à un choix entre “altruisme” et “égoïsme” et encore moins entre “solidarité” et “liberté” ; ce dont les idéologues du néolibéralisme voudraient nous faire croire pour pérenniser leur système.
Certes, l’égoïsme pur, la prépondérance des intérêts individuels (ou d’une minorité d’individus) sur ceux des autres, est l’antonyme de l’altruisme. Alors pourquoi proposons-nous d’associer l’altruisme et l’égoïsme ? En tant qu’être social, nos intérêts personnels sont intrinsèques aux règles collectives : la loi contraint mais elle protège avant tout (en théorie). Et quand celle-ci est juste, nous avons intérêt à la respecter.
« les dons à priori désintéressés, sont en réalité profondément intéressés : une sorte de retour sur investissement par la chaleur humaine et non plus par la froideur mercantile ».
Mais cela vaut aussi pour les règles implicites, à savoir ces normes sociales qui favorisent l’interaction, les liens sociaux, la cohabitation ; comme l’a théorisé Marcel Mauss dans son Essai sur le don (je donne, je reçois, je rends). L’anthropologue français révèle que les dons à priori désintéressés, sont en réalité profondément intéressés : une sorte de retour sur investissement par la chaleur humaine et non plus par la froideur mercantile.
“La honte bourge”

Alors pourquoi le communisme et même le socialisme font-ils aussi peur ? Pourquoi le partage équitable des richesses est-il perçu comme une utopie irréaliste ? Sans doute que la folie des grandeurs corrompt notre raisonnement : comment penser une société à 7 milliards d’individus ?
Simplifions. Imaginons que la Terre soit peuplée de 100 habitant.es et qu’elle ne dépasse pas la taille d’un village : 10 de ces personnes posséderaient les 3⁄4 des richesses du village, et les 50 les plus malchanceuses (principalement des femmes et les personnes racisées) ne récolteraient que 8% à se partager. Pire : 11 d’entre elles seraient affamées, alors que la trésorerie et le bon vouloir de la personne la plus riche pourrait mettre fin à cette famine.
À petite échelle, la majorité de la population gagnerait à partager les richesses. L’’intérêt général saurait normalement motiver de renverser le pouvoir de cette minorité qui profite des ressources et du travail des plus démuni.es.
Et si nous troquions enfin la “peur rouge” par la “honte bourge” ?
L’intérêt de l’altruisme
Si une once d’humanité suffirait à nous mettre en mouvement pour construire une société égalitaire, certains arguments de nature utilitaristes permettraient à défaut de convaincre les plus égoïstes d’entre nous.
Par exemple, en donnant aux plus pauvres accès au même niveau d’éducation et de sécurité financière qu’au reste de la population, nous décuplerions le nombre d’expert.es dans tous les domaines, et donc d’avancées toujours plus grandes dans les sciences, l’ingénierie, l’art, la santé, etc. qui profiteraient à l’ensemble.
Enfin, et contrairement à la fausse promesse néolibérale, ce n’est que par l’organisation socialiste (au sens de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers), que nous avons accès à la liberté. Soyons concrets : la liberté de polluer et de surconsommer, par exemple des protéines carnées, est un sabotage délibéré de notre environnement, de la pérennité du vivant (humains et non-humains) et donc aussi de nos propres intérêts et libertés à long terme.
« Par l’individualisme recrudescent et l’étirement de l’échelle sociale jusqu’à rupture, nous sommes retournés à la loi du plus “fort” «
Le néolibéralisme renvoie donc l’humain à l’état de nature sous une autre forme, comme l’a théorisé J-J. Rousseau. En effet, l’être social s’était extirpé des injustices de la nature par son altruisme et son organisation collective. Par l’individualisme recrudescent et l’étirement de l’échelle sociale jusqu’à rupture, nous sommes retournés à la loi du plus “fort”.
Sauf que ni la force, ni le travail, ni l’intelligence seuls ne permettent de réussir en méritocratie. La principale “force” d’un individu dans la jungle capitaliste, c’est son héritage.
Selon une nouvelle analyse des données Forbes révélée par le @FT, 80% des milliardaires français auraient hérité de leur fortune. La France serait largement en tête. On est loin des entrepreneurs à succès. https://t.co/BbqapC4vRe pic.twitter.com/yZFcVpd3I7
— Quentin Parrinello (@QParrinello) May 14, 2021
L’égoïsme altruiste ou l’égoïsme de domination ?
L’altruisme égoïste est donc tout cela : la liberté de se réaliser et de s’épanouir au service du collectif, plutôt que de satisfaire ses propres intérêts en écrasant ou même en ignorant ceux des autres. Dans une projection politique d’organisation sociale, l’altruisme et l’égoïsme ne sont pas tout à fait contraires.
Ce qu’il convient d’opposer ce sont les formes d’égoïsme en soi : celle qui profite à la communauté en opposition à celle qui écrase autrui au profit d’une minorité.
Décider par exemple de mener sa propre résilience écologique à la nature est plutôt neutre en soi, et n’a même rien d’altruiste s’il est effectué dans le repli, la dépolitisation et l’indifférence du sort des plus vulnérables.
Enfin, nous avons l’opportunité d’agir au service de l’intérêt général, de perfectionner la société humaine et en conséquence de satisfaire nos conditions d’existence et d’épanouissement. L’altruisme est donc une posture philosophique qui nous incite à choisir la voie de la solidarité et de la justice sociale.
Ce type d’organisation n’est certes pas évident car l’humain n’est ni bon ni mauvais, mais il a tout intérêt de s’associer pour sa survie. Par association, nous supposons l’union des individus, son organisation et ses prises de décision dans un objectif commun et altruiste de survie face à l’effondrement climatique, et pour le reste du vivant dont, qu’il le veuille ou non, il dépend.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)
Article inspiré de la vidéo « Un argument égoïste pour rendre le monde meilleur – L’altruisme égoïste » de Tout Simplement – Kurzgesagt.
Photo de couverture : Julien Gate.
The post Altruisme égoïste : agir pour le collectif c’est agir pour soi first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 26.03.2025 à 05:00
Atome 33 : Des québecois en lutte contre un poison industriel
Renard polaire
Ville florissante de l’ouest du Québec, Rouyn-Noranda s’est développée autour de la fonderie Horne, fleuron industriel de l’extraction de cuivre et d’autres métaux précieux. Pendant des décennies, l’usine incarne la prospérité locale, jusqu’à ce que les habitants mettent le doigt sur un un poison insidieux : la population présente des niveaux d’arsenic anormalement élevés dans l’organisme. Face à cette pollution invisible, une mobilisation s’amorce, portée par un groupe de citoyens déterminé à exiger des comptes, à l’industrie mais aussi aux gouvernements complices. Dans Atome 33, Grégoire Osoha plonge au cœur de cette bataille, révélant les dessous d’un scandale environnemental où santé publique et intérêts industriels ne font pas le même poids.
Rouyn-Noranda, petite ville du Québec, dans l’est du Canada. Pour les quelques 44 000 habitants qui vivent au pied de la fonderie Horne, la quotidien s’écoule paisiblement…ou presque.
À l’occasion d’une étude sanitaire de routine, des dizaines de familles découvrent avec stupeur des taux d’arsenic bien supérieurs à la moyenne dans le corps de leurs enfants.

Une pollution massive et insidieuse
« C’est le début d’une lutte, celle de la population qui demande à la fonderie de réduire sa pollution invisible », explique Grégoire Osoha, auteur du livre Atome 33 qui retrace l’action collective de ces citoyens déterminés.
« Ce qu’ils ne mesurent pas encore, c’est l’immense influence de l’entreprise face à eux, qui n’est autre que le géant mondial des matières premières : Glencore. »
Au fil des 224 pages du récit publié aux éditions Marchialy, le lecteur est plongé dans deux chronologies parallèles : d’une part, l’indignation des citoyens, qui les poussent à partir en lutte contre cette pollution latente à laquelle ils sont exposés depuis des décennies avec l’aval du gouvernement, et d’autre part l’histoire de la fonderie et de son rachat par le géant Glencore, une importante entreprise anglo-suisse de négoce, courtage et d’extraction de matières premières.

Finalement, l’auteur et journaliste propose un reportage fouillé et profondément humain, dévoilant les ficelles d’un scandale sanitaire passé longtemps sous silence en faveur du profit financier.
Une ville, une mine
« Depuis sa création dans les années 1920, la ville de Rouyn-Noranda en Abitibi-Témiscamingue est indissociable, aux yeux de tous les Québécois, de son cuivre, de ses mines, de ses cheminées et de sa fonderie. Elle l’est désormais tout autant du combat de quelques-uns contre la pollution générée par l’atome 33 », explique Grégoire Osoha, qui s’est rendu sur les lieux pour l’écriture de son deuxième ouvrage, après Voyage au Liberland, également publié aux éditions Marchialy.
L’atome 33, c’est l’arsenic, souvent présenté comme le roi des poisons. L’exposition chronique à cette molécule a un impact prouvé sur le développement de cancers (poumon, foie, peau, prostate, etc.) et favorise également le développement de problèmes endocriniens, cardio-vasculaires et neurologiques. « On note aussi une augmentation des fausses couches, bébés mort-nés et retards de croissance intra-utérine ainsi qu’une augmentation du nombre d’enfants présentant des retards de développement, un quotient intellectuel plus bas, des troubles d’apprentissage, d’attention et de concentration », détaille le site de l’ARET, un comité de citoyens et de parents d’enfants de la ville.

Au Québec, la quantité maximale autorisée d’arsenic dans l’air ambiant est de 3 ng/m3. Une norme systématiquement dépassée à Rouyn-Noranda. « En 2007, une attestation d’assainissement, accordée par le gouvernement, autorise une moyenne annuelle d’émissions d’arsenic de 200 ng/m3, alors qu’en 2005 et 2006, la fonderie émettait déjà en moyenne 150 ng/m3 par an », note l’association citoyenne. Dix ans plus tard, une nouvelle attestation d’assainissement autorise à nouveau une moyenne annuelle d’émissions d’arsenic de 200 ng/m3.
Histoire d’un fleuron industriel
Comment expliquer ces dérogations à répétition ? La réponse ne tient qu’en quelques mots : la fonderie Horne. En 1917, un riche gisement de cuivre, d’or et d’argent est découvert sur les rives du lac Osisko. Une décennie plus tard, la fonderie ouvre ses portes et attire à ses pieds des milliers de personnes, désireuses d’y travailler. Les municipalités de Rouyn et de Noranda, plus tard regroupées, sont nées.

En 2008, la fonderie Horne est l’une des plus importantes fonderies de cuivre au monde, pour la plus grande fierté des habitants de la ville. Dans les années 2020, elle traite une marchandise en provenance de 18 pays et recycle également l’or et d’autres métaux précieux. Après près de 100 ans d’activité, elle se classe parmi les plus grands centres de recyclage de composants électroniques en Amérique du Nord.
« Circuits intégrés de radios-réveils en panne, d’ordinateurs devenus désuets du fait de l’obsolescence programmée, de télécommandes fatiguées… Par dizaines de milliers de tonnes, ces rebuts, qu’il convient désormais d’appeler « ressources », arrivent chaque année dans les ports canadiens et sont convoyés en train ou en camion jusqu’en Abitibi-Témiscamingue », raconte le journaliste dans son ouvrage. Au cœur de ces débris, qui seront bientôt triés puis déchiquetés, on retrouve au choix du cadmium, du mercure ou de l’arsenic.
« Ici, tout est cuivre »
« Une ville, une mine », un slogan qui représente bien l’énergie de Rouyn-Noranda. « On va voir un spectacle au théâtre du Cuivre, on fait ses courses sur les promenades du Cuivre, on se rend chez le médecin à la clinique médicale du Cuivre et on prend un permis de chasse chez Moto Sport du Cuivre », décrit l’auteur qui déambule dans les rues de la ville.
Autrefois canadienne, la fonderie a depuis été rachetée par le géant Glencore, une multinationale incontournable sur le marché mondial des matières premières. « L’entreprise à laquelle les citoyens rouynorandiens ont affaire n’est donc pas vraiment cette imposante et bien palpable fonderie locale que leurs parents et avant eux leurs grands-parents ont toujours connue. Il ne suffit pas d’aller se poster devant l’entrée pour apercevoir et même, pourquoi pas, saluer ses dirigeants. Non, leur fonderie appartient désormais à une hydre fascinante et insaisissable. À la fois lointaine et puissante. Méconnue du grand public, mais forte de milliards de dollars de bénéfices annuels », rapporte Grégoire Osoha.

L’inaction coupable du gouvernement
Une course au profit qui ne se fait pas sans heurt. En 2018, après une étude sanitaire de routine, les familles de la ville découvrent médusés les résultats des analyses effectuées sur leurs enfants. « Au total, un enfant né au début des années 2000 et élevé dans le quartier Notre-Dame aura été exposé en moyenne à 60 fois le taux d’arsenic communément admis dans les autres villes du pays », découvrent, effarés, les habitants du secteur le plus à proximité de l’industrie.
« D’autant plus que de nouvelles données affligeantes ont été récemment publiées par la Santé publique. Celles-ci font état d’une espérance de vie de 77,5 ans dans le quartier Notre-Dame, quand elle atteint 82,5 ans en moyenne au Québec. Les cas de cancers du poumon à Rouyn-Noranda sont 30 % plus fréquents que la moyenne québécoise. Et les complications liées aux grossesses sont à l’avenant », résume l’auteur d’Atome 33.

« Comment l’État a-t-il pu tolérer d’aussi forts niveaux de pollution en toute connaissance de cause ? », se questionnent les citoyens, premières victimes de ce scandale sanitaire aux proportions insensées. Pour répondre à cette question, et espérer inverser la tendance, des collectifs se constituent et entrent en lutte contre l’entreprise et les autorités publiques, qui ont trop longtemps passé sous silence ces taux démentiels.
David contre Goliath dans un récit puissant
C’est au printemps 2018 que Grégoire Osoha s’est rendu sur place et a suivi l’action collective de ces citoyens déterminés. Il se met alors en tête de retracer l’histoire de cette pollution silencieuse afin de comprendre pourquoi il est si difficile encore aujourd’hui d’obtenir gain de cause quand la santé des populations est impactée. À travers ce récit, il pointe les dérives d’un système qui semble prêt à tout pour faire plus de profits.
Si la victoire n’a pas (encore) eu lieu, des victoires restent à célébrer. À l’image de David contre Goliath, le combat est inégal, mais la bataille ne sera pas abandonnée tant que le taux d’arsenic rejeté par la fonderie ne respectera pas les normes nationales. Grâce à un style fluide et rythmé, le lecteur est emporté sur les rives du lac Osisko, desquelles on aperçoit, dressées vers les ciel, les deux cheminées de la fonderie. Dans sa bouche, le « goût de la mine » s’infiltre, râpeux et amer, et ressemble à s’y méprendre au goût de l’injustice.
– Lou Aendekerk
Photo de couverture de l’article : Fours à réverbères dans la première fonderie en 1975. Wikimedia.
The post Atome 33 : Des québecois en lutte contre un poison industriel first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 25.03.2025 à 05:00
Typhons, cyclones, inondations : miroirs d’un océan en surchauffe
Renard polaire
Parue dans Nature Climate Change, une nouvelle étude révèle que les années 2023-2024 ont connu une augmentation sans précédent des jours de canicule marine, provoquant des phénomènes météorologiques extrêmes, le blanchissement des coraux et l’effondrement des pêcheries. Malgré les avertissements des scientifiques, les interventions préventives ont été limitées. Les auteurs alertent sur de nécessaires « stratégies proactives” pour faire face « aux événements futurs inévitables ».
Les océans du globe ont connu trois fois et demi plus de jours de vague de chaleur l’année dernière et en 2023 que toute autre année jamais enregistrée, selon une nouvelle étude parue dans la revue Nature Climate Change le 28 février 2025. Ce phénomène, qui se définit à l’instar des vagues de chaleur terrestres par une période de température supérieure à la normale sur une certaine période, a de multiples conséquences sur les écosystèmes marins et les communautés côtières.
Des vagues de chaleur records
« La hausse soutenue des températures des océans a coûté des millions de vies marines et causé des milliards de dollars de dégâts dus aux tempêtes, a augmenté les risques d’échouage des baleines et des dauphins, a porté préjudice à la pêche commerciale et a déclenché un blanchissement mondial des coraux », détaillent les chercheurs, atterrés par les résultats de leur recherche.
En cause ? Le changement climatique d’origine humaine, amplifié par le phénomène El Niño et une couverture nuageuse importante, qui ont provoqué des températures de surface de la mer (SST) records en 2023 et 2024. « Le nombre de jours de SST élevée en 2023-2024 a augmenté de 240 % par rapport à toute autre année enregistrée », expliquent les auteurs du rapport. Au total, 8,8 % de la surface totale des océans ont affiché les températures les plus élevées jamais enregistrées sur la même période.
Des impacts environnementaux et humains considérables
Ces conditions jamais vues ont donné lieu à des événements dramatiques dans le monde entier. En 2023, en Nouvelle-Zélande, une vague de chaleur marine a alimenté le cyclone Gabrielle, tuant 11 personnes et causant plus de 8 milliards de dollars de dégâts. Les échouages de baleines et de dauphins sur les côtes du pays se sont également multipliés.

Dans la région, les vagues de chaleur océaniques ont « radicalement transformé nos écosystèmes marins », estime Alex Sen Gupta, professeur associé à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie), auprès du média EnergyMix.
« La disparition définitive des forêts de varech sur des centaines de kilomètres de côtes d’Australie-Occidentale et l’état de dégradation extrême de la Grande Barrière de Corail, comparé à il y a quelques décennies seulement, en témoignent ».
En Amérique du Sud, les pics de températures océaniques ont éloigné les anchois péruviens de leurs eaux habituelles, entraînant la fermeture de nombreuses pêcheries en 2023 et 2024, avec des pertes estimées à 1,4 milliard de dollars. Les vagues de chaleur ont également provoqué des « morts massives de poissons » de plusieurs espèces.
Sur le continent africain, près de 6 000 personnes sont mortes en Libye en 2023 lorsque les fortes pluies de la tempête Daniel ont provoqué l’effondrement du barrage de Derna, « l’inondation la plus meurtrière jamais enregistrée en Afrique », note la Scottish Association for Marine Science.
« La tempête Daniel a été rendue plus intense et pluvieuse par la hausse des températures de la mer due au changement climatique ».
En outre, le typhon Doksuri a frappé la Chine, Taïwan, les Philippines et le Vietnam, affectant plus de deux millions de personnes et causant près de 200 décès. De même, le Japon a connu de graves inondations côtières dues à l’intensification des tempêtes. « Dans l’océan Indien, les vagues de chaleur marines ont probablement contribué à l’intensification des phénomènes cycloniques, augmentant le risque de déplacements et de pertes économiques dans les régions vulnérables », note The CarbonCopy,
L’Europe également touchée
En Europe, « les vagues de chaleur marines ont contribué à des températures terrestres record dans les îles britanniques, ont nui aux populations de poissons et ont failli provoquer l’extinction de la grande nacre en Méditerranée », détaille l’association de chercheurs. Au large de l’Espagne, les vagues de chaleur marines ont touché certaines sortes de coquillages, mettant à mal les moyens de subsistance des fermes qui les récoltent traditionnellement.
Plus au Nord du continent, les populations d’oiseaux marins d’Écosse ont été affectées par le déclin de leurs sources de nourriture, tandis que l’aquaculture a subi des pertes dues à la prolifération d’algues nuisibles. « Les espèces d’eaux chaudes se sont déplacées vers le nord, autour des îles britanniques, entraînant une augmentation du tourisme d’observation de la faune sauvage. Le réchauffement des océans a alimenté la tempête Daniel, qui a provoqué des inondations meurtrières en Grèce, en Bulgarie et en Turquie », complètent les scientifiques.
Action ou réaction ?
Aussi extrêmes et violents soient-ils, la plupart de ces évènements ont pu être anticipés par les chercheurs, qui ont alerté à de nombreuses reprises les gouvernements. Certains États ont agi en conséquence, mettant en œuvre des plans d’intervention nationaux, tandis que d’autres ont manqué d’interventions coordonnées.
À titre d’exemples, en Australie, un quart de la population de poissons-mains rouges, considéré comme l’espèce de poisson la plus rare au monde, a été placée dans des aquariums avant la vague de chaleur marine, puis relâchée lorsque les eaux se sont refroidies. Aux États-Unis, certains coraux et conques ont été déplacés vers des eaux plus profondes et plus fraîches afin d’éviter les effets mortifères des hausses de températures. Au Pérou, le gouvernement a versé des indemnités aux pêcheurs qui n’ont pas pu prendre la mer lorsqu’il a été contraint de suspendre la pêche à l’anchois.
« Si l’ampleur des vagues de chaleur marines est alarmante, certaines interventions préventives ont fait une réelle différence. L’Australie a connu un succès remarquable, où les prévisions de vagues de chaleur marines ont permis d’en réduire les impacts. Si davantage de régions avaient accès à ces prévisions et les mettaient en œuvre, nous pourrions mieux protéger la pêche, l’aquaculture et les communautés côtières contre des pertes dévastatrices », espère le Dr Alistair Hobday, directeur de recherche du programme Sustainable Marine Futures du CSIRO.
Malheureusement, certaines régions du monde ne disposent pas de moyens suffisants pour de tels dispositifs. Bien souvent, les défis et urgences socio-économiques prennent le pas sur la préservation de l’environnement ou l’anticipation. C’est le cas notamment en Asie, où la réponse aux canicules a été largement réactive plutôt que proactive, note l’étude. À l’échelle globale, les chercheurs estiment que la réduction des dégâts était en grande partie insuffisante, probablement en raison de ressources limitées, de déconnexions entre les organisations et d’une mauvaise communication.
Une seule « solution permanente »
Dans une optique préventive, les auteurs de l’étude suggèrent différentes stratégies potentielles, comme une surveillance renforcée des températures de surface de la mer, la mise en œuvre de projets de conservation des coraux et des mesures d’adaptation telles que la relocalisation des espèces vulnérables.
Face à l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur marines, les scientifiques insistent sur la nécessité de revoir en profondeur nos modes de vie et en particulier sur la réduction majeure d’émissions de gaz à effet de serre liée à la consommation d’énergies fossiles. « En attendant, la préparation aux vagues de chaleur marines et les interventions visant à limiter la disparition des espèces ont connu quelques succès, mais il ne s’agit pas de solutions permanentes », conclut le Dr Kathryn Smith de l’Association de biologie marine du Royaume-Uni, dans les colonnes du Guardian.
– Lou Aendekerk
Photo de couverture : Le typhon Doksuri a déclenché des pluies torrentielles et une suspension des transports dans le Fujian, dans le sud-est de la Chine. 2023. Wikimedia.
The post Typhons, cyclones, inondations : miroirs d’un océan en surchauffe first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 24.03.2025 à 12:33
Les scientifiques français se mobilisent contre Trump
Renard polaire
Face aux attaques répétées contre la recherche scientifique aux États-Unis – coupes budgétaires, censure idéologique et répression des chercheurs – la mobilisation s’intensifie. Alors que l’administration Trump renforce son offensive contre les sciences, la communauté académique française se lève en soutien à ses collègues américains à l’occasion de plusieurs manifestations Stand up for Science organisées sur tout le territoire.
Le 7 mars, devant le campus Pierre-et-Marie-Curie de l’université de la Sorbonne à Paris, 2 500 personnes se sont rassemblées pour dénoncer l’offensive contre les sciences déclenchée par le président américain Donald Trump. Dans plusieurs autres villes de France, des chercheurs de toutes les disciplines se sont également réunis pour défendre la recherche à travers une vaste mobilisation, en soutien à leurs confrères et consoeurs d’outre-Atlantique. Au total, ils seraient plus de 8 000 à s’être mobilisés.

Un assaut frontal contre la recherche et la démocratie
Et pour cause, entre licenciements massifs, abandons de projets, suppressions de données, censures de certaines thématiques, pertes de budgets et isolement sur la scène internationale, les agressions envers la recherche sont brutales depuis le début du second mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche.
« Par le passé, des scientifiques avaient été attaqués sur leurs opinions. Là, nous sommes visés sur la définition même de notre métier, et c’est sans précédent de ce point de vue-là. C’est une attaque massive contre la démocratie », s’exclame l’historien Patrick Boucheron lors de la conférence de presse qui a précédé la marche, couverte par les journalistes de Vert.
Des coupes budgétaires et une censure sans précédent
En quelques semaines, l’administration Trump et le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) d’Elon Musk ont successivement retoqué les programmes d’aide à l’inclusion au sein des universités, réduit les financements de recherche et restreint l’accès à de nombreuses bases de données.
En outre, le Président s’est empressé de supprimer le programme de la NASA destiné à la surveillance de la Terre, qui évaluait les taux de gaz à effet de serre, mais aussi la pollution touchant la santé des populations. Cette décision dramatique a eu pour effet d’interrompre la continuité des observations, impactant profondément tous les pays qui basaient en partie leur recherche sur ces données.
Donald Trump s’est aussi attaqué à plusieurs agences fédérales, dont l’USDA en charge de l’agriculture, en leur interdisant de poursuivre des travaux sur certaines thématiques. « Il a ainsi fait supprimer des sites fédéraux au moins 8 000 pages web mentionnant des sujets désormais interdits, touchant au changement climatique, à l’environnement, à la biodiversité ou aux études de genre », relève l’Académie des sciences dans un communiqué.
L’institut français note aussi le démantèlement du plan fédéral de réformes écologiques et sociales pour la protection de l’environnement et le développement des énergies propres et renouvelables. A contrario, la Maison Blanche annonce un soutien massif à l’industrie des énergies fossiles.
Une offensive idéologique contre l’inclusion et la diversité
Pour justifier ces interventions, Donald Trump évoque une lutte contre la prétendue « idéologie woke » et assure défendre des valeurs réactionnaires qui redonneront sa grandeur à l’Amérique. Sous ce prétexte, l’administration s’attaque en réalité à toutes les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion. L’Académie des sciences conclut :
« Toute discrimination positive est désormais interdite : ceci s’applique tout aussi bien aux étudiants étrangers aux États-Unis qu’aux femmes et aux minorités dans les entreprises, les universités et les institutions académiques »
À ce titre, une liste d’une centaine de termes proscrits ou « à surveiller » est rapidement parvenus à la National Science Foundation, qui supervise la recherche scientifique américaine. Parmi eux figurent notamment « handicap », « femme », « racisme », « victime », « justice sociale », « personne noire » ou « latino/latina » et encore « discrimination ». Des termes génériques des sciences sociales, comme « historiquement », « politique », « socioculturel » et « socio-économique », apparaissent également dans la liste.
Qualifiée d’un « assaut lexical contre la recherche » par les analystes du Monde, cette guerre du vocabulaire vise sans détours à « combattre et modeler à la source le débat politique, au risque de la censure », assure le journal.

Entre exil et risque de représaille : des chercheurs en danger
Pour les scientifiques d’outre-Atlantique, la crainte des représailles est réelle. « Nous avons reçu de premières candidatures américaines », indique Patrick Boucheron à Vert, faisant référence au programme de recherche Pause, censé accueillir au sein des institutions françaises des scientifiques en exil, privés de leur liberté académique dans leur pays d’origine. Lancée en 2017, cette initiative était alors destinée à offrir une opportunité aux scientifiques menacés en Syrie, en Afghanistan, en Ukraine ou en Russie.
« L’Université et la recherche font aujourd’hui l’objet d’attaques d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale », expliquent Olivier Berné, astrophysicien, Patrick Lemaire, biologiste et Emmanuelle Perez-Tisserant, historienne, initiateurs de l’action Stand up for sciences en France. Basée sur le même modèle que son homologue américain, la mobilisation a atteint son objectif de visibilisation de la menace qui pèse sur la communauté scientifique.
L’Europe face aux mêmes dérives ?
Si l’offensive « est particulièrement alarmante aux États-Unis », où les institutions de recherche, les agences de régulation, les droits civiques et les fondements mêmes de la démocratie sont mis à mal par l’administration Trump, la solidarité internationale s’avère « indispensable », selon les trois chercheurs, alors que « de semblables menaces pèsent sur l’Europe ».
Institutions scientifiques ciblées, financements fragilisés, chercheurs accusés de « wokisme » : la recherche subit en France une offensive croissante, souvent menée par l’extrême droite. Au micro de Vert, Valérie Masson-Delmotte, climatologue et ancienne co-présidente de l’un des groupes de travail du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), questionne :
« Je vous invite à réfléchir sur les symboles quand, en France, on mure l’entrée de l’Office français de la biodiversité, de l’Anses, de l’Inrae. Qu’est-ce que ça veut dire : on veut intimider, on ne veut pas laisser parler ? »
« Nous ne sommes pas au même niveau d’attaques, mais il faut prendre soin de la science, qui est un bien commun » : C’est ce qu’a fermement défendu le mouvement Stand up for Science, aux Etats-Unis mais également dans l’Hexagone, le 7 mars dernier.
– Lou Aendekerk
Photo de couverture : Marche de mobilisation Stand up for Science, organisée à Nantes. – Crédits : Stand up for science
The post Les scientifiques français se mobilisent contre Trump first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 21.03.2025 à 13:08
États-Unis : 5 preuves que la résistance anti-Trump s’organise
Renard polaire
Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, de multiples décisions et prises de position constituent de graves menaces. Racisme, sexisme, impérialisme, obscurantisme, l’avenir du pays sombre dans une fascisation flagrante. Pourtant, face à cette perspective, de nombreux Américains sont déjà entrés en résistance.
Pour son second mandat, Donald Trump paraît bien déterminé à passer la vitesse supérieure en matière de projets réactionnaires. En quelques semaines, une pluie de mesures ahurissantes s’est abattue sur les États-Unis et continue d’être alimentée.
Pour autant, après quelques mois de sidération, scientifiques, féministes, étudiants et politiciens se sont mis en ordre de bataille pour enrayer cette dynamique effrayante. Pour un peu d’espoir, Mr Mondialisation vous présente six exemples de résistance au néofascisme américain.
1 — Les scientifiques vent debout
Connu pour ses multiples dénis de réalité, Donald Trump s’est également largement employé à dénigrer les faits scientifiques afin de séduire son électorat complotiste. La première victime de cette conception du monde est sans aucun doute la planète.
Le nouveau président n’a d’ailleurs jamais caché son climatoscepticisme, notamment en quittant les accords de Paris pour la seconde fois. Mais d’autres domaines liés à la science ont aussi été massivement attaqués, comme la médecine, ou encore les universités et le milieu de la recherche qui ont subi des milliers de licenciements, des coupes budgétaires et des censures au nom de « la lutte contre le wokisme ».
Plusieurs habitants et organisations sont alors entrés en résistance, notamment au niveau judiciaire pour contester des renvois et faire annuler des décisions aberrantes du gouvernement.
Dans le même temps, un collectif nommé « Stand up for Science » s’est constitué dans tout le pays et au-delà des ses frontières. Vendredi 7 mars dernier, plusieurs milliers de citoyens et scientifiques se sont ainsi rassemblés dans le monde pour s’opposer aux positions du président américain.

2 — Bernie Sanders, l’indéfectible
Depuis la victoire de Donald Trump, le camp démocrate, et notamment son aile libérale, semble être restée paralysée. Toutefois, un homme paraît ne pas avoir abandonné la lutte contre la présidence d’extrême droite. Cet homme, c’est l’indépendant Bernie Sanders, bientôt 84 ans, et pourtant plus actif que jamais.
Lancé dans une tournée géante à travers l’Amérique « contre l’oligarchie », celui qui avait brigué par deux fois, sans succès, l’investiture démocrate aux présidentielles, continue de soulever les foules en défendant un projet réellement à gauche, à l’inverse de Kamala Harris ou Joe Biden dont les politiques néolibérales avaient déçu beaucoup d’électeurs.
THOUSANDS of people went out to see Bernie Sanders in Warren, MI yesterday as part of his “Fighting Oligarchy” tour
— REVOLUTION TELEVISED (@revolution-tv.bsky.social) 2025-03-09T22:06:08.349Z
S’il n’est pas candidat à la présidence en 2028, en raison de son âge, il tente malgré tout de canaliser la colère anti-Trump pour faire avancer des idées progressistes dans le pays.
Assurance maladie et université publiques et gratuites ou encore grand plan écologique font notamment partie de ses aspirations phares. Autour de ces mesures, il souhaite pouvoir céder le flambeau à une nouvelle génération qui continuera à porter ces idées et à s’opposer à Donald Trump. La jeune sénatrice Alexandria Ocasio-Cortez, qui a participé à cette tournée, pourrait bien représenter un espoir à l’avenir.

3 — Des centaines de manifestations
Dans tous les pays, les manifestations ne cessent de se multiplier, même si le choc semblait avoir dans un premier temps anesthésié les foules. Un grand rassemblement avait d’ailleurs déjà eu lieu juste avant l’investiture du président. Les cortèges en faveur de Gaza n’ont néanmoins jamais reculé, et se poursuivent d’autant plus aujourd’hui face aux idées ahurissantes de déportation massive de Donald Trump.
Mais les protestations ne se limitent pas à ce sujet puisque l’on a pu voir des gens réunis pour la science, pour les droits des femmes, des personnes transgenres, ou encore des personnes immigrées. Dans les parcs nationaux, durement frappés par les mesures économiques de l’administration américaine, plusieurs mouvements de résistance se sont aussi construits.
4 — La mobilisation des artistes
Pour faire correspondre le pays à sa vision du monde, Donald Trump s’en est également pris à la sphère de la culture, en confisquant par exemple le contrôle du centre Kennedy, une célèbre salle de représentation de Washington. Il n’a pas hésité à en exclure immédiatement un spectacle de Drag Queens et d’autres divertissements mettant en scène la communauté LGBT.
Dans le milieu du show-business, de multiples acteurs et actrices, chanteuses et chanteurs et musiciens musiciennes se sont, en outre, positionnés contre le président américain. De nombreuses stars ont ainsi marqué leur opposition au gouvernement, comme Jane Fonda, Bruce Springsteen, Sean Penn, Neil Young ou encore Lady Gaga.
5 — Désobéissance civile
Face aux lois iniques de Donald Trump, certains citoyens et entreprises ont tout bonnement décidé de désobéir pour entrer en résistance. Certaines villes ont par exemple rejeté l’idée de participer aux opérations de « chasse » contre les sans-papiers. Des associations ont d’ailleurs en ce sens fait suspendre juridiquement des décrets d’expulsion.
Certaines compagnies, comme Apple, ont, quant à elles, refusé d’appliquer les directives de suppressions des politiques d’inclusivité. Un manuel de sabotage des années 40 a, en outre, refait surface dans le pays de l’oncle Sam, marquant l’intérêt d’un nombre croissant d’Américains pour une certaine forme de résistance, comme l’incompétence volontaire.
Pour contrer les attaques d’extrême droite, de multiples citoyens ont par ailleurs mis en place une assistance juridique pour les plus défavorisés qui sont les plus touchés par la situation.
6 — Boycott contre les soutiens du gouvernement
Certains citoyens ont également décidé de boycotter les produits des sociétés qui auraient cédé aux injonctions du gouvernement ou qui le soutiendraient. La NAACP, association de défense des droits des noirs américains, a par exemple demandé à ses sympathisants d’orienter leurs achats vers des entreprises n’ayant pas abandonné les programmes de diversité, comme réclamé par Donald Trump.
Et ces appels, repris par d’autres organisations et même des pasteurs, n’ont pas été sans effet puisque selon le Guardian, un quart des Américains auraient délaissé leurs magasins préférés pour des raisons politiques.
Mais la compagnie la plus visée par les boycotts est sans aucun doute Tesla, la marque de voitures électriques appartenant au milliardaire d’extrême droite Elon Musk, soutien et membre du gouvernement Trump. Des boycotts qui traversent d’ailleurs les frontières : l’idée de se passer des produits américains commence à faire son chemin en France.
Même si la discrétion, voire la soumission de certains Américains à Donald Trump, a pu étonner et décevoir les observateurs internationaux, il faut donc noter que bon nombre d’entre eux n’ont pas cédé et cherchent à organiser la résistance. Et il y en aura bien besoin.
– Simon Verdière
Image article : Lincoln Memorial, 3/7/25 @Victoria Pickerin/Flickr
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Publié le 20.03.2025 à 21:16
L’industrie des croisières : folie du tourisme de masse
Renard polaire
À l’heure où la raison nous exhorte à ralentir et à limiter notre empreinte écologique, le monde de la croisière incarne l’antithèse de la sobriété. Gigantisme et superflu définissent cette forme de tourisme de masse, plus que jamais prêt à tout écraser sur son passage.
Piscines à vagues, cinémas, casinos, salles de sport… Les navires de croisière, outre leurs dimensions démesurées, abritent aujourd’hui de véritables centres de commerce et de loisirs, conçus pour consommer. Une logique d’expansion constante qui met à mal les territoires marins comme terrestres, peu importe les mesures prises pour tenter de limiter l’impact de ces monstres des mers.

L’expansion constante d’un tourisme de consommation
Si la navigation de loisir remonte à plus d’un siècle, il faut attendre les années 1970 pour voir apparaître les premiers paquebots conçus pour le tourisme de masse. Des « fun ships » sur lesquels les voyageurs sont invités à rester à bord – même lors des escales – grâce à une large gamme de divertissements : piscines, spa, casinos, cinémas, patinoires, salles de sport, mini-golfs…
Ce qui aurait pu prendre la forme d’un tourisme lent – axé sur un transport moins gourmand que l’avion et partie intégrante du voyage -, s’est mué en un business destructeur, générateur de surtourisme et de surconsommation.
Car c’est bien d’un tourisme de la consommation dont il s’agit, s’inscrivant dans une logique inverse de celle du slow tourisme : les escales des navires de croisière dépassent rarement une nuit, se concentrant généralement sur une seule journée. À terre, les voyageurs se dépêchent « d’ingurgiter » l’escale du jour, ne bénéficiant que de quelques heures pour faire le tour d’une ville, achetant des souvenirs sans valeur et s’entassant autour des lieux les plus touristiques, au détriment de visites plus éloignées et authentiques.
Une ode au sur-tourisme qui écrase des villes comme Venise (qui a banni en 2021 l’accès des gros navires au centre-ville, dangereux pour la lagune), Kyoto ou Amsterdam, victimes de ce tourisme expéditif, et en cela malheureusement ancré dans une époque où tout se doit d’aller vite.
« Les voyageurs pourront ainsi dire qu’ils ont « fait » telle ou telle destination, cochant les lieux brièvement traversés comme on valide une liste de courses »
Les voyageurs pourront ainsi dire qu’ils ont « fait » telle ou telle destination, cochant les lieux brièvement traversés comme on valide une liste de courses, sans avoir eu le temps d’en visiter les recoins, d’y apprécier l’atmosphère ou d’échanger avec ses habitants.

Certaines villes escales servent d’ailleurs bien plus souvent de lieux de transit et non de destinations en elles-mêmes : les croisiéristes n’y font que passer, prenant trains ou cars pour se rendre dans une destination proche plus touristique.
C’est par exemple le cas de la vile du Havre, qui accueille chaque année environ 350.000 croisiéristes (370.000 en 2019) mais dont la très grande majorité fait de la ville un point de départ vers Paris, Rouen, Étretat ou encore Honfleur, comme le souligne l’Autorité Environnementale dans son Avis délibéré de 2023: « L’escale du Havre reste avant tout une escale de transit, pour 95 % des passagers. » Sans oublier ceux qui ne descendent pas du bateau pour profiter des attractions disponibles et conçues pour que les croisiéristes consomment avant tout… à bord !
Un tourisme de masse dévorant qui ne cesse de croître, dans une logique de rendement poussée à l’excès. Ainsi, les navires qui sortent des chantiers sont de plus en plus gros et de plus en plus lourds, avec l’objectif d’accueillir toujours plus de passagers. Une sorte de « course à l’armement » sans limite, hormis celle de l’Homme à construire encore plus grand.

En parallèle de cette industrie dévorante résiste toutefois une autre forme de croisière, plus éthique et axée sur la découverte. Nettement plus confidentielle mais également beaucoup plus chère, elle attire des voyageurs souvent aisés, désireux de réduire l’empreinte carbone de leurs voyages. Certaines de ces croisières sont à visée scientifique ou environnementale, quand d’autres proposent d’explorer les lieux visités durant une semaine, et non quelques heures.
Enfin, les navires, d’une taille bien plus raisonnable et parfois sans moteur – il existe des voiliers de croisière – accueillent généralement quelques dizaines de voyageurs. Une autre vision de la croisière, malheureusement souvent réservée aux plus privilégiés, mais qui démontre que ce mode de tourisme n’est pas uniquement celui des immeubles flottants.
Le coût environnemental réel d’une croisière
« 2023 a enregistré 31,7 millions de croisiéristes : un record absolu »
L’année 2023 a enregistré 31,7 millions de croisiéristes : un record absolu qui réjouit les spécialistes d’un secteur qui ne cesse de grossir. Nouveaux voyageurs, nouvelles agences, nouveaux navires… L’industrie de la croisière se porte à merveille, malgré des alertes de plus en plus audibles sur son atteinte au climat.
Les associations de protection de l’environnement sont mobilisées depuis des années contre l’expansion du secteur, à échelle mondiale comme locale où des groupes s’organisent pour tenter de faire entendre raison aux municipalités, à défaut d’avoir un impact sur les compagnies.
C’est ainsi qu’est né en 2022 à Marseille le collectif citoyen Stop Croisières qui, par le biais d’études, de chiffres et d’actions de terrain, tentent d’interpeller riverains, décideurs et croisiéristes sur l’impact de ce secteur touristique. Pollution atmosphérique et maritime, tourisme de masse, taille des navires, aménagements à bord… Stop Croisières lutte contre ces « ogres des mers et des côtes que sont les bateaux de croisière », développant un argumentaire documenté pour étayer ses propos.

Ainsi, le collectif rappelle que l’empreinte carbone d’un voyage en croisière de huit jours et quatre escales équivaut à un rejet de 2,2 tonnes d’équivalent CO2. Sachant qu’en 2022, la moyenne de l’empreinte carbone des Français était évaluée à 9,7 tonnes par personne et que les derniers Accords de Paris préconisait une empreinte n’excédant pas 2 tonnes, la « gourmandise » d’un tel voyage est notable.
Dans les faits, Stop Croisières liste tous les impacts du secteur de la croisière. Du côté de la pollution atmosphérique, les bateaux en mer comme à quai rejettent des taux très élevés de particules fines, d’oxydes de soufre et d’oxyde d’azote, particulièrement néfastes pour la santé.
La pollution marine n’est pas en reste avec des rejets d’eaux grises et usées ainsi que des hydrocarbures et de déchets solides en haute mer, sans oublier l’impact des sonars sur la faune marine, ou encore les risques de collision avec les cétacés. La consommation de ressources est également passée au crible, de la construction à la démolition en passant par l’usage de carburant ou d’électricité. Sans oublier l’implantation obscure de certaines compagnies, leur permettant de passer au-dessus des lois.
Résultat, il ne reste pas grand-chose de « propre » pour défendre la croisière.
L’exemple du Havre, qui s’apprête à accueillir encore plus de navires
« Les projets « zéro émissions » ne peuvent masquer l’objectif premier : le très lucratif « toujours plus ».
Plus de bateaux, plus grands, plus de voyageurs, donc, mathématiquement, un impact écologique démultiplié ».
Le Havre, port maritime ouvrant sur la Manche, possède une histoire forte avec la navigation. Le dernier vainqueur du Vendée Globe, Charlie Dalin, est Havrais. Les exemples ne manquent pas pour lier la cité avec celles et ceux qui incarnent son implantation maritime. C’est un des arguments avancés par la municipalité, sous l’égide d’Édouard Philippe, pour soutenir le projet de nouveau terminal croisière.
Électrification des quais, avitaillement en GNL (gaz naturel liquéfié), terminaux à énergie positive… La liste de nouveautés vantant un projet « zéro émissions » est valorisée sur les sites de la ville, mais elles ne peuvent masquer l’objectif premier : le très lucratif « toujours plus ».
Plus de bateaux, plus grands, plus de voyageurs, donc, mathématiquement, un impact écologique démultiplié. Pas sûr que l’équilibre final soit en faveur de la réduction des émissions carbones…

« 600.000 croisiéristes à l’horizon 2030, soit 250.000 de plus qu’à l’heure actuelle ».
Le Havre souhaite accueillir 600.000 croisiéristes à l’horizon 2030, soit 250.000 de plus qu’à l’heure actuelle. L’impact économique sur la ville se veut positif : c’est oublier que la très grande majorité des voyageurs ne restent pas au Havre ! Dans son « Business book 2025 », la ville est d’ailleurs en premier lieu présentée comme « une porte d’entrée vers Paris ». Le Havre reste un lieu de passage : les retombées économiques du secteur de la croisière y sont donc maigres.
Militante écologiste installée au Havre il y a quinze ans, Lydie voyait d’abord les navires de croisière d’un bon œil. C’est notamment suite à sa mobilisation contre un terminal méthanier porté par TotalEnergies que l’activiste a réalisé l’impact des croisières sur l’environnement.
« la croisière propre, ça n’existe pas ! »
Avec l’aide du groupe local d’Extinction Rébellion, elle a décidé de faire entendre la voix de l’écologie : lors de la présentation du projet par la mairie à la presse en 2022, le petit groupe, soutenu par Stop Croisières Marseille, s’installe devant l’Hôtel de Ville avec des banderoles rappelant l’impact désastreux des croisières sur l’environnement : « Le maire est venu contre-attaquer en nous demandant comment on pouvait être contre la croisière propre, se souvient Lydie. Sauf que la croisière propre, ça n’existe pas ! »
Malheureusement pour le groupe, le projet, prévu pour 2026, était déjà plié, malgré la réserve de l’Autorité Environnementale dont le rapport laisse beaucoup de points en suspens.
« Avec Stop Croisières Le Havre, nous continuons d’informer les gens, nous n’abandonnons pas, explique Lydie. Je me bats également au niveau national, je suis allée à Marseille l’an dernier, où nous avons demandé une enquête publique face au désir d’accueil de la municipalité de 13.500 croisiéristes par jour… »

Malgré les chiffres qui étayent parfaitement ses arguments en faveur de l’écologie, Lydie a conscience qu’elle fait face à « 15 ans de préparation de l’opinion publique. Les promesses faites aux commerçants, l’amour des Havrais pour les grands bateaux… Il est difficile de lutter dans ce contexte, faute de soutien. Nous sommes David contre Goliath. »
Nul doute toutefois qu’elle sera engagée, au Havre ou ailleurs, le samedi 7 juin prochain dans le cadre d’une grande Journée européenne anti-croisière.
– Renard Polaire
Source image d’en-tête : Seaq68 / Pixabay
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