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Publié le 13.11.2024 à 05:00
La lente descente aux enfers des prisons belges
Mr M.
Publié le 12.11.2024 à 13:22
La mangrove disparaît de 1% chaque année
Mr M.
Publié le 11.11.2024 à 18:04
En Italie, des féministes occupent un planning familial abandonné
Mr M.
Publié le 08.11.2024 à 10:47
Ahou Daryaei : des hommages qui divisent les femmes ?
Elena Meilune
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H.
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Publié le 13.11.2024 à 05:00
La lente descente aux enfers des prisons belges
Mr Mondialisation
Prisons surpeuplées et délabrées, manquements graves aux normes d’hygiène, accès insuffisant aux services de base et aux soins médicaux,… Amnesty International dénonce une fois de plus les conditions de vie déplorables des détenus en Belgique. Alors que les membres du personnel carcéral et les syndicats se mobilisent en faveur d’une réforme majeure du système pénitentiaire, les autorités tardent à prendre des mesures pour améliorer leurs conditions de détention.
« Ils sont parfois trois, enfermés toute la journée dans une cellule prévue pour deux, d’à peine 2,50 m sur 3,50 m », relate Philippe Hensmans, ancien directeur de la section belge francophone d’Amnesty International et bénévole au sein d’un comité de surveillance du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP). Loin de l’image populaire de « l’hôtel cinq étoiles », le quotidien au sein des prisons belges est marqué par le manque de personnel, un surpeuplement carcéral, le manque d’hygiène et des actes de violence récurrents.
En 2008, un méga plan de construction de sept nouvelles prisons était lancé pour remédier à la surpopulation. La prison de Haren (1200 places), ayant vu le jour en 2022, est déjà surpeuplée.Quand les prisons débordent
Le territoire belge compte à ce jour 39 établissements pénitentiaires, « soit 10 773 places pour les 12 130 détenus, selon les données du SPF Justice au 15 mai 2024 », explique Guylaine Germain dans un article du Fil, la revue trimestrielle publiée par Amnesty International Belgique Francophone (AIBF).
Au printemps 2023, le taux de surpopulation était encore supérieur pour atteindre les 17%. 250 détenus dormaient alors sur des matelas posés à même le sol. À ce jour, plus de 280 « lits » supplémentaires sont encore installés dans les cellules du pays, rapporte Amnesty.
Parmi les détenus, « 30% sont des prévenus (soit des personnes qui n’ont pas encore été définitivement jugées et donc présumées innocentes, ndlr.), qui peuvent attendre longtemps avant de passer en jugement. Cela illustre le retard que la justice a pu accumuler dans le traitement des dossiers », assène encore Philippe Hensmans.
Une politique d’incarcération stricte
L’ancienne politique pénale, qui permettait aux condamnés à des peines de moins de trois ans de les purger sous bracelet électronique, a été révisée sous l’impulsion de Vincent Van Quickenborne, ancien ministre de la Justice. Désormais, même les courtes peines doivent être exécutées en prison, ce qui accroît considérablement le nombre de détenus. Didier Breulheid, délégué permanent à la CSC, explique dans une interview accordée à RTL :
« Le gouvernement actuel a décidé de mettre en place la loi d’application des courtes peines, donc on a beaucoup plus de détenus dans nos prisons qui n’y étaient pas avant »
Il précise que cette loi devait être accompagnée de la création de 15 maisons de détention, des établissements à petite échelle où les détenus bénéficieraient d’un accompagnement personnalisé et de plus de libertés. À ce jour, seuls 2 centres de ce type sont en activité, un chiffre bien loin des promesses initiales.
« La prison est infestée de punaises de lit »
Favorisée par cette politique pénitentiaire stricte, la surpopulation carcérale conduit à de nombreux problèmes : « À Mons, la prison est infestée de punaises de lit », explique Bastien, avocat, qui s’y rend fréquemment pour rendre visite à ses clients. « À cause de la surpopulation, il y a des matelas au sol dans les cellules. Il y a des rats, des souris. À la prison de Forest, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux hygiéniques », illustre encore Eliott, un confrère, dans les pages de la RTBF.
« Ce sont des situations anormales ! », s’alarme Pierre Sculier, président d’avocats.be. « Il y a aussi le problème des toilettes sans paravent pour protéger l’intimité, ce qui entraîne des problèmes intestinaux ou même de constipation ».
D’autres risques sanitaires sont à déplorer : les épidémies de gales et de tuberculose font souvent leur apparition au sein des prisons. Durant les fortes chaleurs estivales, l’aération est loin d’être suffisante. « De nombreuses prisons du pays développent ainsi des soucis de salubrité: champignons, moisissures, humidité… », relève Amnesty.
Les gardiens de prison à bout
Une situation difficile à supporter pour le personnel pénitentiaire, qui se trouve dans l’impossibilité de prendre en charge chaque détenu dignement, donnant lieu à davantage de conflits entre les prisonniers et envers les gardiens. En 2023, plusieurs grèves se succèdent au sein des prisons du pays pour dénoncer une « situation intenable ». Philippe Hensmans assène :
« En avril 2023 à Nivelles, on m’a déclaré 8 gardiens pour 250 détenus. Impossible d’accéder aux services minimums ».
Selon l’Institut fédéral des droits humains, des traitements inhumains, assimilés à de la torture, en ont découlé.
Crédit : Center on Religion and GeopoliticsEn octobre de la même année, le Conseil de l’Europe a réitéré ses critiques au sujet des problèmes structurels du système carcéral belge et de l’absence de recours efficaces. « Il a exhorté les autorités à prendre des mesures rapides et durables pour réduire le nombre de personnes détenues et améliorer les conditions de détention », rappelle le rapport d’Amnesty.
Changer de regard sur le rôle de la prison
Entre temps, peu de choses ont changé. Avocats, syndicats et défenseurs des droits des détenus militent pour une autre politique carcérale : incarcérer le moins possible, si ce n’est pas du tout pour certains. « Les solutions sont connues, mais on ne les applique pas », regrette Marc Nève, directeur du CCSP, qui cite notamment les travaux d’intérêt général, la surveillance électronique ou par un assistant de justice, la liberté conditionnelle, les quotas pour la préventive ou des mécanismes de justice restaurative tels qu’exposés dans le film Je verrai toujours vos visages.
« Dans l’imaginaire collectif, on professe que seule la prison est une vraie peine. La Belgique annonce toujours ouvrir de nouveaux établissements mais cette course à toujours plus ne va pas. La prison ne sert à rien, elle aggrave même la situation. Il faut d’autres initiatives pour diminuer la détention, mais il n’y a aucune réflexion au niveau politique », regrette l’avocat.
– L.A.
Photo de couverture de Ron Lach
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La mangrove disparaît de 1% chaque année
Mr Mondialisation
La mangrove, forêt entre terre et mer bordant les littoraux tropicaux, abrite une biodiversité précieuse et unique. Grignotée par la crevetticulture, les coupes de bois, la pollution et le dérèglement climatique, elle est désormais en danger. François Fromard, chercheur au Laboratoire Écologie fonctionnelle et environnement (ECOLAB), contribue à mettre en lumière ce maillon de l’équilibre planétaire.
Une mangrove est une forêt composée d’espèces ligneuses : les palétuviers, capables de prospérer les pieds dans l’eau salée. Elle se développe le long des littoraux de régions tropicales et intertropicales, globalement entre les latitudes + 30 et – 30, et se forme au niveau de l’estran, la partie du littoral située entre les limites des plus hautes et des plus basses marées.
« Il existe tout un tas d’autres conditions environnementales qui expliquent sa formation, mais ce sont les modalités générales nécessaires à son développement », explique François Fromard, l’un des 43 chercheurs et spécialistes mobilisés pour la réalisation du livre Mangrove, une forêt dans la mer.
Une mangrove. Flickr.Une biodiversité singulière
La mangrove est l’un des 14 grands biomes terrestres définis par WWF. « Quand on observe les littoraux tropicaux et intertropicaux, indique François Fromard, on se rend compte que 75 % sont couverts de mangroves. Elles constituent une zone d’interface entre les milieux maritimes et terrestres. » La mangrove est au carrefour d’échanges divers, d’énergie, de nutriments, et le berceau d’une biodiversité bien particulière : des poissons « gros yeux » pouvant respirer hors de l’eau, des crabes ingénieurs et une multitude de bactéries indispensables au recyclage de la matière organique.
« Peu d’espèces, au fil de l’évolution, se sont adaptées aux contraintes fortes propres aux mangroves, notamment aux grandes variations de salinité, poursuit le chercheur. Ce qui les caractérise, c’est donc à la fois une faible biodiversité végétale mais, en même temps, une capacité d’adaptation extrême de ces espèces. »
Les mangroves jouent aussi un grand rôle nourricier et représentent des sources de revenus essentielles pour un certain nombre de populations humaines, dépendante notamment de sa richesse en poissons, en crabes, en crevettes. Les êtres humains font aussi feu de son bois, en use pour bâtir ses habitations ou ses embarcations.
Mangrove. Flickr.Un rempart face aux aléas climatiques
Confrontées aux vents et aux vagues, les mangroves remplissent à merveille leur rôle de rempart côtier. « Lorsqu’elles sont intactes, c’est-à-dire pas détériorées par des coupes de bois ou des constructions humaines, elles sont comme des écrans qui permettent de casser l’énergie des vents, des vagues et protègent en partie les habitations qui se trouvent derrière », remarque le scientifique. Une mangrove adulte, en bon état, atténue de près de 20 % l’énergie des vagues et des vents.
« Dans certaines régions d’Indonésie, affectées par de puissants cyclones dans les années 90, des chercheurs ont observé que les zones où les dégâts étaient les moins importants correspondaient à celles où les mangroves étaient restées intactes », illustre François Fromard. Une mangrove ne protège pas intégralement des évènements extrêmes, mais elle offre donc une certaine résistance face à leurs ravages potentiels.
La mangrove constitue également un moyen efficace d’atténuer la présence de carbone dans l’atmosphère. Elle a la capacité d’absorber et de stocker une quantité importante de CO2 et contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique. Elle permet aussi, par ailleurs, de filtrer et retenir un certain nombre de polluants organiques, azotés, phosphorés…
« Dans une certaine mesure, elle fonctionne un peu comme une éponge et contribue à dépolluer les eaux qu’elle borde »
Un imaginaire puissant
Les sociétés humaines éprouvent à la fois un attrait et une répulsion pour les mangroves. « L’aspect même de la mangrove est un peu mystérieux. Elle n’est pas forcément facile d’accès, son eau est turbide, vaseuse, boueuse, les moustiques sont légion. Dans certaines régions, elles inquiètent, représentent un lieu hostile, à éviter. Dans d’autres, elles sont considérées comme un lieu de culte, un endroit protecteur, un écosystème qui offre d’importantes ressources. »
À Mayotte, une légende raconte même que les Moina Issa, des esprits à l’apparence de petites femmes, vivent dans les mangroves et les protègent. Elles ont une main plus petite que l’autre, se déplacent en bondissant et peuvent exaucer les vœux de quiconque leur apporte des offrandes. A contrario, elles peuvent abattre le malheur sur tout individu irrespectueux envers la mangrove.
lohasteru. FlickrTrésor en péril
Cet écosystème, source d’inspiration et riche en services rendus, semble pourtant moins étudié et exposé à la lumière médiatique que le récif corallien. « La mangrove fait moins parler d’elle, c’est vrai, reconnaît François Fromard. D’un point de vue scientifique, les recherches sur les récifs coralliens sont beaucoup plus anciennes et avancées. Pourtant, quand on s’intéresse à la répartition mondiale des coraux et à celle des mangroves, elles se superposent presque parfaitement, de façon assez étonnante. Elles ont, dans les grandes lignes, les mêmes exigences climatiques : elles demandent des régions chaudes, des eaux plutôt calmes. »
Surtout, comme les coraux, elles sont en péril. Chaque année, près d’1 % de la surface mondiale occupée par la mangrove disparaît. La principale raison de ce recul des mangroves est le développement tentaculaire de la crevetticulture, surtout en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud. Des mangroves y sont défrichées et troquées contre des bassins où sont élevées des crevettes.
La crevetticulture. Flickr« L’élevage fonctionne pendant trois, quatre ou cinq ans, puis les rendements baissent, explique François Fromard. Le bassin est alors abandonné et un autre est créé à côté. Ainsi de suite. Peu à peu, la mangrove perd du terrain. » Au niveau du Delta du Mékong, au sud du Vietnam, elles ont quasiment intégralement disparu sous l’effet du développement de la crevetticulture.
« L’urbanisation et les coupes de bois ont aussi un effet désastreux pour les mangroves. À Madagascar, où l’essentiel des forêts primaires a été détruit, c’est désormais la mangrove qui est utilisée pour produire du charbon de bois. »
Les pertes sont considérables, notamment en matière de biodiversité, d’équilibre des littoraux côtiers, de stockage de carbone. Les services écosystémiques rendus par la mangrove disparaissent avec elle, et les côtes qui en sont dépourvues se retrouvent à la merci de l’érosion.
Préserver les mangroves, maillon de l’équilibre planétaire, apparaît alors comme un enjeu de gouvernance essentiel. « Il arrive que des pays décrètent qu’une mangrove est protégée, observe François Fromard. Parfois, cela fonctionne, mais dans certains États, les protections sont très théoriques et ne fonctionnent pas. Bien souvent, aussi, le statut des mangroves n’est pas très clair : relèvent-elles du domaine publique ? Du domaine privé ? Doivent-elles être gérées par des forestiers ? » Ce flou juridique et administratif les rendent vulnérables, car plus difficiles à protéger ou restaurer.
« L’information, l’éducation et la compréhension du fonctionnement et du rôle des mangroves pourraient également contribuer à leur sauvegarde, tout comme le développement de structures, de mesures de gestion, de protection des mangroves existantes et le reboisement, la replantation de mangroves détruites », souffle François Fromard.
Trésor des littoraux, la mangrove doit garder les pieds dans l’eau.
– Alexandre-Reza Kokabi
Photo de couverture de Aristedes Carrera sur Unsplash
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En Italie, des féministes occupent un planning familial abandonné
Mr Mondialisation
Dans l’Italie de Giorgia Meloni, les droits des femmes sont sérieusement menacés, particulièrement en ce qui concerne l’accès à l’avortement. Un rétropédalage inquiétant qui s’oppose à l’autodétermination des femmes. Face aux violences de genre et aux politiques réactionnaires, le mouvement féministe et transféministe italien tente de reprendre la main par l’occupation d’un planning familial.
Difficultés d’accès à l’IVG
Si la loi de 1978 ayant assuré la dépénalisation de l’avortement n’est pas directement remise en cause, la plupart des régions rendent de plus en plus difficile l’accès à l’IVG, du fait de la prise de pouvoir de celles-ci par la coalition des droites (Forza Italia) et des extrême-droites (Fratelli d’Italia et Lega). Les régions sont en effet « autonomes et compétentes en matière de santé publique » en Italie d’après Politis.
Une aubaine pour le gouvernement Meloni qui met progressivement et concrètement en péril les droits des femmes. Selon la gynécologue Marina Toschi, les gouvernants « ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible ». De plus, les structures publiques des consultori (équivalent du pluriel italien de planning familial, consultorio au singulier) sont en net déclin dans le pays, contraintes de fermer une à une faute de financement par les pouvoirs publics.
En Vénétie, où l’on retrouve les villes de Venise et Padoue, les fonds monétaires sont prioritairement attribués aux familles anti-choix (terme plus révélateur de son impact social par rapport à celui de « pro-vie ») selon Politis, plutôt que de financer des politiques de soutien aux familles.
À Padoue, on ne retrouve plus que 4 espaces de planning familial, soit 1 pour 52 000 habitants. La loi de 1975 stipule pourtant qu’un consultorio doit recouvrir une population de 20 000 habitants.
Pour Marina Toschi, ce soutien financier aux femmes enceintes « n’est pas pour l’enfant, c’est pour empêcher l’avortement » ; dans un pays où l’éducation et les informations sur l’IVG sont presque inexistantes, où beaucoup d’hôpitaux ne proposent pas cette pratique, où les procédures pour avorter sont complexes, et où conséquemment de nombreuses femmes avortent illégalement. En Vénétie, 70% des gynécologue invoquent la clause de conscience et refusent d’administrer des services d’avortement, selon Non Una Di Meno. Un pays où l’IVG est légal n’est pas synonyme d’accès sûr et libre à ce droit, l’Italie en est la preuve.
Avortons le patriarcat. Photo : Luca Profenna.En France, l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution représente une protection supplémentaire. Mais la formation du nouveau gouvernement Barnier vient menacer à nouveau sérieusement ce droit. Au-delà d’être illégitime démocratiquement après la victoire du NFP aux élections législatives, ce gouvernement voulu par Emmanuel Macron est composé d’au moins 5 ministres anti-IVG et homophobes selon Caroline De Haas, militante féministe et fondatrice de NousToutes.
Occupation d’un consultorio abandonné
Dans ce contexte, l’occupation d’un ancien planning familial (fermé en 2019) par le mouvement féministe Non Una Di Meno à Padoue, est plus que symbolique. En effet, ce type d’espace représentait autrefois une grande avancée pour le féminisme, mais aussi un lieu de soutien, de solidarité, et d’accompagnement médical pour les femmes.
Cette occupation souligne la volonté de reprise de contrôle sur les droits des femmes et l’accès aux soins, alors que l’extrême-droite et les injonctions néolibérales mènent à bien leur projet d’écrasement des minorités et la destruction des services publics au nom de la sacro-sainte croissance.
Selon Alessia, que nous avons interviewée aux côtés d’Eva (toutes deux militantes féministes à Padoue), le planning familial accueillait des personnes de zones très amples et populaires, ne se limitant pas à son seul quartier. C’était un lieu « où l’on pouvait exercer son propre droit, avant tout celui de la santé ». Elle précise que la – bonne – santé ne signifie pas seulement l’absence de maladie, mais englobe aussi l’accès au bien-être, aussi bien individuel que collectif et relationnel.
Création de la Consultoria
L’ancien planning familial a été occupé le 8 mars 2024 par Non Una Di Meno Padoue lors de la grève transféministe. Le mouvement italien a alors expliqué ce choix :
« Cela fait des années que cet espace a été abandonné par les institutions, laissant un vide dans le quartier et dans toutes la zone sud-ouest de Padoue. Les conséquences de la casse sanitaire se reflètent aujourd’hui sur nos corps de manière violente, nous laissant sans prévention ni soins médicaux. »
« Consultoria libérée ». Crédit : Luca Profenna.Elles ajoutent qu’au-delà de la désertification strictement médicale, « les femmes se voient priver de lieux de discussion et d’écoute, de confrontation et d’auto-formation sur la sexualité, le consentement et l’affectivité ». Les consultori devraient donc être des lieux sûrs ouverts à tous·tes, où l’on pourrait parler d’avortement, d’autodétermination et de liberté de choix, d’après le mouvement.
Autre symbole important, c’est l’extension féministe de l’espace du planning familial, sur le fond comme sur la forme. En effet, le nom choisi pour ce lieu féministe : La Consultoria est en réalité la renomination au féminin (comme symbole de l’activisme féministe) du mot consultorio.
D’après Eva, l’objectif de la Consultoria n’est pas de se substituer aux consultori, mais de s’en inspirer, les relancer et les faire évoluer. Le but est de « créer un espace alternatif, une conception alternative du féminin et des femmes », mais encore un lieu d’expérimentation et de confrontation. Pour Alessia, la création de la Consultoria et sa déclinaison féministe entrent dans une logique de « réappropriation d’un récit sur la santé publique », de dénonciation des conditions des femmes, mais aussi de politisation :
« qui mieux que nous [les femmes] pour connaître notre propre corps ? »
La puissance de l’occupation de l’espace public
Un espace physique était devenu nécessaire pour l’un des mouvements sociaux les plus importants de la ville, n’ayant pas eu de siège fixe durant plusieurs années. Dans un précédent article, nous parlions de l’importance de l’occupation de l’espace public. Cette forme d’action est en effet un excellent moyen de faire de la politique, de propager une forme de réalité divergente par rapport à celle imposée – et par ailleurs abstraite – par le contrôle de l’administration.
« Sorella facciamoci spazio » (Sœur faisons-nous un espace)
Cette phrase résonnait comme une évidence au sein du mouvement. Si la création de la Consultoria est un grand pas en avant, Alessia met en garde sur le risque de s’enfermer à l’intérieur de cet espace : les activités au nouveau siège de Non Una Di Meno doit s’ajouter à l’occupation des places et de la rue, et non s’y substituer ; comme une plus-value aux forces déjà présentes.
Crédit : Luca Profenna.L’espace de la Consultoria permet aussi au mouvement d’être plus accessible, visible et permet de proposer plus d’activités qu’auparavant, en plus de la théorie et de l’auto-formation.
La Consultoria propose aujourd’hui des assemblées, des formations, des moments de socialisation, d’information, d’accompagnement ; elle accueille aussi des personnes expertes : une gynécologue et une thérapeute du plancher pelvien sont récemment passées pour transmettre des outils. Pour Alessia, ce sont des instruments d’autodétermination, qui permettent aux femmes de pouvoir rétorquer leur expertise lorsqu’un médecin les infantilise.
De même, pour Eva, la Consultoria est un « laboratoire de construction ». Bien que les militantes ne cherchent pas à se substituer aux pratiques médicales et ne prennent pas d’initiatives gynécologiques par exemple, elles considèrent que le partage de savoirs est toujours un cercle vertueux.
Histoire Non Una Di Meno
Non Una Di Meno (« Pas une de moins » en italien) est un mouvement féministe, transféministe et intersectionnel, dont la branche italienne est née en 2016. Celui-ci se bat contre toutes les formes de violence de genre, et contre tous les visages qui assument le maintien du patriarcat dans la société dans laquelle nous vivons.
Le mouvement reprend la forme de Ni Una Menos né en Argentine en 2015, et qui s’est élargi à l’international. À l’origine, la poètesse mexicaine Susana Chávez déclarait : « Pas une femme de moins, ni une morte de plus » ; dénonçant les féminicides survenus dans sa ville natale de Ciudad Juárez, où la poétesse est morte pour la même raison : être une femme.
Les mobilisations féministes de mai 2015 font suite à divers épisodes de violences patriarcales et au féminicide de l’adolescente de 14 ans, Chiara Paez, dans la province argentine de Santa Fe. Ces crimes ont conduit quelques semaines plus tard à la création de Ni Una Menos.
À bas le patriarcat !
Pour Alessia, la naissance de Non Una di Meno est la conséquence de la violence patriarcale que subissent les femmes et les minorités de genre, y compris à l’intérieur des mouvements sociaux : centres sociaux, espaces multisports, associations de la société civile, etc.
Même lorsque ces espaces défendent des valeurs antifascistes et féministes, des comportements machistes et misogynes se produisent ; avec peu de réactions, autocritiques ou visibilité donnée à ces agissements de la part des camarades. Pour Alessia, ces phénomènes surviennent à cause des normes sociales qui nous ont habitués à ces types de comportement.
« Pas tous les hommes = toujours trop nombreux », pancarte à l’intérieur de la Consultoria. Photo : Fsociété.Nommer et rendre visible les violences produites par les hommes est indispensable pour dénoncer un système patriarcal intégré par tous les hommes. Les violences sexistes et sexuelles (VSS) touchent absolument tous les milieux, toutes les classes sociales, tous les secteurs d’activité, tous les partis politiques, et sont commises en grande majorité par des hommes.
Le patriarcat est donc un phénomène total et un système inculqué à chaque homme (mais aussi intégré par les femmes). Seul un processus continu de déconstruction peut remédier à cela.
En France, des VSS existent également au sein de partis de gauche, des groupes militants et associatifs. Par exemple, les violences sexuelles commises par l’Abbé Pierre, d’après 20 témoignages. Ce personnage a été idéalisé au vu de ses combats pour défendre les personnes marginalisées. Pourtant, l’homme a abusé de personnes dans le besoin, mineurs inclus. Il a profité de sa position de force, selon la journaliste Isabelle De Gaulmin, mais aussi de la complicité de l’Église restée silencieuse.
Féminicide de Giulia
La ville de Padoue a particulièrement été secouée par le féminicide de Giulia Cecchettin le 11 novembre 2023, à l’âge de 22 ans, commis par son ancien compagnon. La jeune fille était portée disparue avant que son corps ne soit retrouvé dans un ravin une semaine plus tard.
« D’amour on ne meurt pas. Sœur, moi je te crois ». Photo : Luca Profenna.Selon Eva, l’assassinat de l’étudiante de l’Université de Padoue a littéralement changé le cadre de l’activisme féministe et le discours des citoyen·nes : « Nous somme passées de petites assemblées à de grandes assemblées au sein de l’Université », constate-t-elle.
Dès l’annonce du féminicide du Giulia, de nombreuses manifestations se sont succédés à Padoue, dont une réunissant 15 000 personnes selon Il Manifesto). Puis, le 25 novembre 2023, lors de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, un demi-million de manifestant·es à Rome a été dénombré.
« Quand Giulia a disparu, avant même de retrouver son corps, nous savions, nous avions toutes le pressentiment de ce qu’il s’était passé »
Ce pressentiment n’est pas anodin : Cela révèle les peurs que vivent les femmes au quotidien du fait que ces violences se succèdent.
Le féminicide de trop
Pour Alessia, le meurtre de Giulia est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien trop plein (120 féminicides recensés en Italie en 2023) : « Giulia était potentiellement la proche de n’importe qui d’entre nous ». Surtout, l’auteur du crime, Filippo, lui aussi jeune étudiant à l’Université de Padoue, pouvait être le proche de n’importe qui.
« Plus jamais seul.e. Plus jamais silencieux.se. » Photo : Luca Profenna.Selon Alessia, les médias mainstream définissent les vies du meurtrier et de la victime comme « normales », un adjectif que n’utilise pas les militantes. Mais leur profil de jeunes étudiants blancs issus des classes moyennes, montre que les violences de genre peuvent arriver à n’importe qui et être commise par tout profil d’homme, pas seulement à la marginalité, comme voudraient le faire croire les idées reçues et les discours racistes. Aucune femme n’est à l’abri des violences du patriarcat.
Fait inédit : le père et la sœur de Giulia ont de suite communiqué de manière claire et lucide, en invitant à la mobilisation et en dénonçant ce féminicide comme le fruit du patriarcat et de la possessivité masculine.
Alessia salut par ailleurs le courage d’Elena Cecchettin, sœur de la défunte, pour son passage en direct sur Rete 4 (chaîne de télé privée italienne présentant une ligne éditoriale favorable à l’extrême-droite) et le ciblage de son discours à l’encontre des dominations patriarcales. Les attaques des forces d’extrême-droite, dont la Lega, ne se sont pas faites attendre, d’après Alessia.
De plus, Eva considère que les massives mobilisations pour Giulia permettent aux femmes de ne plus être vues comme « l’habituelle fille qui exagère », comme une « folle » ou bien une « hystérique », lorsqu’elles disent avoir peur qu’un garçon les violente. La militante ajoute :
« Ce féminicide nous a profondément touché, dans nos cœurs, en particulier dans la communauté universitaire. […] Cela nous touche tous·tes, nous réalisons que nous pouvons perdre ainsi la vie à padouE, ce féminicide est la réalité de nos vies. »
Eva raconte s’être mise à penser à toutes ses copines qui ont eu des problèmes de jalousie avec leurs compagnons : « Giulia était n’importe laquelle de mes copines, ou moi-même, c’est une camarade. Il ne s’agit plus d’une nouvelle du téléjournal que l’on regarderait de loin », dit-elle avec effroi et responsabilité.
Créer un langage féministe
« Pro-Vie ? Non, Anti-Choix » ; au sujet des personnes opposées au droit à l’avortement. Photo : Luca Profenna.D’après Alessia, « les camarades qui ont organisé Non Una Di Meno ont été d’emblée très claires sur les concepts comme le consentement, le respect, l’éducation et les différences ». Elle ajoute que l’une des forces du mouvement est sa capacité à nommer les choses par la diffusion d’un langage spécifique. En effet, c’est en nommant et en donnant un cadre aux violences de genre, que l’on parvient à les inscrire dans les consciences collectives : « si nous ne pensons pas une forme de domination introspectivement, alors celle-ci n’existe pas ».
D’ailleurs, la militante insiste sur l’importance de l’infusion du vocabulaire féministe dans la progression du mouvement : « Non Una Di Meno n’a pas surgit le 25 novembre dernier (2023), c’est le fruit de huit années où tant de femmes et de personnes queer ont commencé à nommer dans l’espace public ces types de violences ».
Cela a permis à ces personnes de mettre en lumière les violences patriarcales, dans une société qui voudrait les rendre coupables. À peine quelques années en arrière, il aurait été reproché aux victimes de féminicide de l’avoir « bien cherché » . Mais la donne semble avoir progressivement changé selon Alessia :
« Le travail de Non Una Di Meno a été celui de démanteler tous ces stéréotypes en créant un langage qui parvient à créer un imaginaire de libération vis-à-vis du système patriarcal. »
Pour Eva, le vocabulaire féministe atteint même le discours mainstream ; une terminologie que l’on commence à voir apparaître dans les médias de masse. Non Una Di Meno parvient à concilier son discours radical avec sa pénétration dans les discours de masse, malgré le risque de récupération par le système capitaliste.
Le revers de la médaille de l’occupation de l’espace public par les féministes, mais encore par les communautés LGBTQI+, est la recrudescence d’une onde de misogynie et d’homophobie en opposition :
« Les forces fascistes se veulent de plus en plus féroces parce qu’elles ont peur de l’avancée de notre discours politique. »
Alessia reste d’ailleurs attentive sur le fait que combattre le fascisme ne suffit pas à gagner sur les questions du féminisme, de l’avortement, de la santé ou encore des droits humains. En effet, des partis politiques, prétendument proches des idées de gauche, votent en faveur de l’effort de guerre, selon la militante. Ces partis ont, par exemple, attendu de longs mois avant de prendre position contre le génocide en Palestine. L’impérialisme et le féminisme ne font pas bon ménage.
Dégradation du système de santé
« Nous faisons grève contre la violence patriarcale ». Sur les panneaux de gauche à droite : « Avec les sœurs palestiniennes » / « Pas de pays libre sans les femmes libres » / « Pas de 8 mars sans une Palestine libre ». Photo : Luca Profenna.Ce qui nous a marqué en premier lieu lors de notre rencontre avec les militantes de la Consultoria, c’est leur capacité et leur volonté de penser l’intersectionnalité des luttes, de comprendre l’imbrication entre les violences de genre, de classes sociales ou encore de race. Par exemple, si la dégradation du secteur de la santé touche avant tout les femmes, notamment en ce qui concerne les difficultés d’accès à l’avortement, Alessia critique en amont les logiques néolibérales qui affecte les populations les plus vulnérables.
Selon la militante, les logiques criminelles de casse de la santé publique s’aggravent progressivement depuis plus de 20 ans. La logique du profit conduit à la privatisation du secteur, aux listes d’attente interminables, au renvoi du patient le plus tôt possible chez lui (parce qu’il est coût pour l’hôpital qui fonctionne désormais comme une entreprise), à la fermeture des consultori (4 sur les 12 dernières années à Padoue), ou encore à des coupes budgétaires, etc.
Le consultorio, né sur les ondes féministes des années 70, représentait ainsi une institution avant-gardiste très différente de la santé publique, avec une vision collective et une prospective non seulement sanitaire, mais aussi psychologique et sociale. Des espaces centrés sur la santé de genre, la logopédie pour les enfants, la parentalité, des services de psychologie ou encore de gynécologie.
Désormais, ces lieux d’entraide sont directement attaqués par les politiques gouvernementales, lorsqu’ils ne sont pas abandonnés. En effet, le gouvernement Meloni a adopté le 23 avril 2024 une mesure autorisant les organisations anti-avortement à accéder aux consultori, une stratégie qui vient contrer idéologiquement l’autodétermination des femmes.
« Nous voulons un Consultorio (équivalent du planning familial) pour chaque 20 000 habitants ». Photo : Luca Profenna.Pour Eva, le consultorio devrait être un espace d’aide pour tous types de problèmes, comme un premier point d’accès. Quant à Alessia, elle s’inquiète des conséquences de la centralisation de la santé. En Vénétie par exemple, les grands hôpitaux centralisent la santé alors que les petites présences territoriales ferment peu à peu. Cela représente une double peine pour les personnes vivant en périphéries et délaissés par le système.
Conclusion
En somme, la Consultoria occupée par Non Una Di Meno est révélatrice de la volonté d’autodétermination des femmes et des minorités. La progression du mouvement et des valeurs transféministes sont le fruit d’un travail de longue haleine, et de la diffusion d’un langage permettant de révéler l’existence des violences de genre dans les consciences. Les mobilisations suite au féminicide de Giulia sont à la fois l’expression d’un trop plein et d’une menace constante et quotidienne pour les femmes.
L’occupation de l’espace public est d’autant plus cruciale que le gouvernement néo-fasciste italien oppose une force tout à fait contraire aux droits des femmes et des minorités de genre. Les espaces de santé publique se dégradent voire disparaissent, en particulier les consultori ; alors que l’accès à l’IVG est peu à peu piétiné par les décideurs politiques, et ce dans l’irrespect de la loi de 1978 garantissant – en théorie – le droit à l’avortement.
– Benjamin Remtoula (Fsociété)
Photo de couverture de Luca Profenna.
The post En Italie, des féministes occupent un planning familial abandonné first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 08.11.2024 à 10:47
Ahou Daryaei : des hommages qui divisent les femmes ?
Mr Mondialisation
Récemment, nous avons publié une vidéo artistique sur nos réseaux sociaux, un hommage, parmi tant d’autres, au geste d’Ahou Daryaei. Cette étudiante iranienne de 30 ans s’est en effet montrée en sous-vêtements dans l’espace public pour protester contre « l’application abusive du port obligatoire du voile ». Mais l’angle de ce type d’illustrations a fini par nous questionner en interne… Pourquoi ? L’une de nos rédactrices vous partage son malaise. Édito.
En effet, le 6 novembre, nous avons relayé une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux. Elle représentait la jeune étudiante iranienne en sous-vêtements, marchant au milieu d’une foule de femmes voilées. Cette dernière nous a paru dans un premier temps inoffensive et bienveillante, un soutien parmi d’autres à l’acte politique courageux de la jeune femme iranienne dans un contexte oppressif envers les femmes.
Toutefois, l’art est aussi le fruit subjectif de nos biais, un support d’interprétations non-neutre, source de débats précieux qu’il ne faut pas négliger. Sur la base de cet esprit critique essentiel, voici l’éclairage de notre rédactrice Elena Meilune sur ce type de représentations qui semblent opposer deux types de femmes tout en occultant les fondements du système répressif en place et la responsabilité des hommes dans cette situation.
Billet d’opinion
« J’ai ressenti un profond malaise en découvrant certaines illustrations d’Ahou Daryaei »
J’ai ressenti un profond malaise en découvrant certaines illustrations d’Ahou Daryaei, réalisées par des artistes et partagées en ligne. On y voit souvent Ahou représentée comme une figure imposante au centre d’une foule de femmes voilées, leurs regards exprimant la stupeur, la sidération, voire un jugement ou une condamnation.
Bien que l’intention des artistes soit louable, certaines de ces images peuvent être, selon moi, contre-productives dans le cadre de la lutte pour les droits des femmes. L’art, dans toute sa subjectivité, a le pouvoir de transmettre des messages d’une profonde résonance. Évidemment, le but n’est aucunement de le censurer, mais plutôt de suggérer que l’on prête davantage attention aux symboles qu’il véhicule, car ses représentations influencent notre perception des réalités complexes qu’il dépeint.
Commençons par rappeler le contexte : la semaine dernière, Ahou Daryaei, doctorante iranienne en littérature française à l’université Azad de Téhéran, a été harcelée par les miliciens des gardiens de la révolution pour « port incorrect » du hijab et l’un d’entre eux a déchiré son vêtement. En signe de protestation, elle s’est dévêtue et a transformé son corps en une manifestation vivante, marchant en sous-vêtements devant l’université, sous les regards passifs et parfois sidérés des femmes et des hommes présents.
Elle a rapidement été arrêtée puis transférée de force dans un hôpital psychiatrique (selon le Centre pour les droits humains en Iran), une procédure couramment employée par le régime iranien pour discréditer les opposantes. De fait, elle a probablement déjà subi et risque de subir davantage de violences abjectes.
Par ce geste extrêmement courageux, Ahou Daryaei est aussitôt devenue une des figures symboliques de la lutte pour les droits des femmes en Iran, deux ans après la mort de Mahsa Amini, elle aussi arrêtée, puis violemment battue par la police des mœurs pour « port de vêtements inappropriés ».
Cet événement avait à l’époque déclenché un soulèvement sans précédent en Iran, porté par le slogan « Femme, Vie, Liberté », réclamant non seulement l’égalité des sexes, mais aussi un changement de régime. Ces manifestations ont été marquantes par leur radicalité et leur persistance, durant près d’un an malgré une répression intense, ayant causé la mort de centaines de manifestant.e.s et l’arrestation de milliers d’autres.
Une vision occidentale biaisée et déshumanisante des femmes iraniennes ?
Revenons maintenant aux illustrations qui circulent actuellement. Nombre d’entre elles semblent créer, à mes yeux, une dichotomie entre Ahou Daryaei et les autres femmes, tandis que les hommes, pourtant présents lors des événements, sont globalement absents des représentations. Ces œuvres montrent une passivité et une soumission massive des femmes iraniennes, alors qu’en réalité, la résistance contre le régime autoritaire continue depuis des années, avec un grand nombre de femmes engagées dans cette lutte.
Ces images pourraient suggérer à tort que le problème vient des femmes qui portent le voile et qu’elles en seraient responsables ou complices parce qu’elles ne se révoltent pas, ce qui constitue une simplification excessive, injuste, voire fausse, étant donné que le mouvement pour la liberté se poursuit activement en Iran. Ces illustrations pourraient ainsi encourager des stéréotypes erronés mais bien ancrés, tout en rejetant la culpabilité sur les victimes (mécanisme omniprésent au sein des structures patriarcales).
Certes, les femmes présentes lors de l’arrestation d’Ahou Daryaei n’ont pas réagi. Mais il est légitime de penser que la peur de se faire arrêter, tabasser, violer, voire tuer, a pesé dans leur absence de réaction, le tout alors que les précédentes révoltes ont été étouffées dans une extrême violence. Par ailleurs, aucun homme n’a non plus tenté de s’interposer, et pourtant cette inaction masculine n’est pas représentée dans les illustrations. Ni l’oppression exercée par les tyrans du régime.
Au lieu de cela, c’est la passivité des femmes qui est mise en avant, opposée au courage d’Ahou Daryaei, leur responsabilité semblant réduite au port ou non du voile. Au-delà du simplisme de cette vision, on peut être certain qu’en France et ailleurs en Europe, l’extrême droite va s’emparer de ces images, les sortant de leur contexte iranien pour alimenter la persécution des femmes voilées en Occident, question par ailleurs différente en bien des points de celle des iraniennes. Pourtant, la vraie liberté consisterait à laisser les femmes choisir librement de porter ou non un vêtement, sans contrainte ni interdiction d’aucune part.
Je trouve que ce type de représentation offre une vision biaisée de la situation, réduisant les femmes iraniennes voilées à des figures désincarnées, passives et opprimées, comme si leur identité se limitait à ce voile qu’elles portent. Cela ne fait qu’alimenter un regard déshumanisant et paternaliste souvent adopté dans les représentations occidentales des femmes du Moyen-Orient.
Dans un monde où l’on cherche à saisir la diversité des vécus féminins, cette vision binaire – entre femmes voilées oppressées et femmes dévoilées « libérées » – ne reflète ni la complexité des choix individuels ni la diversité des expériences des femmes iraniennes. Ces illustrations finissent par nier les luttes et les aspirations réelles des femmes iraniennes en imposant une grille de lecture réductrice, à travers laquelle elles deviennent des symboles d’oppression sans voix, des figures que l’on plaint sans jamais écouter.
De fait, s’opposer au port obligatoire du voile pour les femmes iraniennes d’une part ne doit pas servir de prétexte binaire à les blâmer, voire les diaboliser, si elles le portent, ni à leur imposer de se dévoiler par la contrainte, mais plutôt d’occasion de remettre au centre des décisions leur parole et leurs sensibilités multiples.
Dessin de Fargol Ghadimi : https://www.instagram.com/p/DB4XvRXti0R/Un contexte de peur omniprésent
Il est vrai que la vidéo d’origine d’Ahou Daryaei montre une scène troublante. Elle donne effectivement une impression de solitude et d’isolement d’Ahou.
Dans ce contexte, il est important toutefois de rappeler que les personnes présentes ce jour-là vivent dans un cadre répressif extrême qui peut expliquer la prudence de celles et ceux qui l’ont vue, qui ne se sont pas approché.e.s, par peur des conséquences. Dans une telle situation, même si on fait face à un acte très courageux, l’effroi peut paralyser. Ce n’est donc pas tant la marque d’un manque d’empathie ou de solidarité que l’indice d’un réflexe de survie plus ou moins conscient sous un régime où les actes de rébellion sont sévèrement punis (par des arrestations, des violences physiques, sexuelles, voire la mort).
Dans de telles situations, il est courant que le soutien se manifeste de manière plus discrète et non immédiate, par des mots ou des gestes en privé ou par des actions plus petites et individuelles, pour éviter d’attirer l’attention.
De notre point de vue occidental, il peut en effet être plus facile d’admirer le courage d’Ahou Daryaei, car nous ne vivons pas dans cette peur quotidienne. Mais cela ne diminue en rien le combat des femmes qui luttent pour leurs droits dans des environnements où le simple fait d’exprimer leur mécontentement peut mettre leur vie en danger.
Ce genre de situation montre précisément pourquoi il est important de rester vigilant.e.s quant aux interprétations occidentales des actes de résistance dans des contextes culturels et politiques très différents des nôtres. Plutôt que de chercher une réaction unanime d’une seule admiration, il peut être pertinent d’analyser également ce qui provoque ce silence et cette distance : la peur, les répressions passées, et le climat d’oppression qui pèse sur chaque femme en Iran.
La bravoure d’Ahou Daryaei reste indéniable et admirable en tout point, mais elle n’annule pas les réactions humaines et compréhensibles des autres femmes, et elle ne doit pas non plus servir à juger ou culpabiliser celles qui, elles, ont encore peur de s’exprimer ou de résister ouvertement.
L’héroïsation qui isole et hiérarchise
L’héroïsation est un phénomène très prégnant à travers l’histoire, en partie en raison de la manière dont nos sociétés valorisent l’individualisme et les récits de réussite personnelle. Depuis des siècles, nos cultures sont marquées par des récits particulièrement héroïsés, qu’il s’agisse de personnages historiques, de figures politiques ou même de célébrités et d’entrepreneurs pour notre époque.
Ce besoin de désigner des « héros » vient du désir de donner un visage symbolique aux luttes ou aux idées, mais il peut aussi simplifier des réalités complexes en les concentrant sur des individus plutôt que sur des mouvements collectifs. Cette tendance à l’héroïsation est aujourd’hui renforcée par les réseaux sociaux, où des images frappantes ou des actions spectaculaires d’individus peuvent captiver l’attention d’un large public et devenir virales, parfois à la limite du culte de la personnalité.
Pourtant, présenter des individus comme des icônes de mouvements bien plus vastes peut parfois réduire ces luttes aux actes de quelques figures et conduire à ignorer l’effort collectif qui les soutient. L’héroïsation d’une figure comme Ahou Daryaei, bien qu’inspirante par son incroyable bravoure, peut également conduire à la création d’une hiérarchie implicite qui oppose d’emblée son courage à la prétendue passivité des autres.
Cette approche fait abstraction des dynamiques de peur, de répression, et des multiples formes de résistance qui existent à d’autres échelles moins spectaculaires. Or, une lutte collective comme celle des femmes iraniennes se nourrit de multiples actes, de gestes de solidarité discrets, d’une résilience quotidienne.
« En plaçant Ahou sur un piédestal, bien qu’honorer son geste reste légitime, certaines illustrations peuvent donner l’impression que seule une poignée de femmes exceptionnelles s’opposent au régime, occultant ainsi l’engagement et les sacrifices de milliers d’autres qui luttent aussi à leur manière, parfois même en silence. »
En plaçant Ahou sur un piédestal, certaines illustrations peuvent donner l’impression que seule une poignée de femmes exceptionnelles s’opposent au régime, occultant ainsi l’engagement et les sacrifices de milliers d’autres qui luttent aussi à leur manière, parfois même en silence.
Ainsi, une représentation plus nuancée permettrait de rendre hommage à toutes ces femmes et de souligner l’ampleur d’un mouvement de résistance qui appartient à tout un peuple et ne se limite pas à des figures héroïques seules. Elles ne sont pas seules.
La pression sur les femmes et la déresponsabilisation des hommes
Il est également important de souligner que certaines femmes peuvent, par intériorisation des valeurs patriarcales ou par peur, jouer un rôle de soutien auprès d’un système oppressif. Cela ne signifie pas qu’elles sont elles-mêmes la source de cette oppression, mais qu’elles subissent des pressions profondes qui les conditionnent à agir dans le sens de leur propre oppression, parfois en participant directement aux structures de pouvoir.
Ce système impose des valeurs et des normes si profondément ancrées qu’elles finissent par se transmettre et se perpétuer, même involontairement, à travers les comportements de celles et ceux qui en sont pourtant les victimes.
Source : https://www.leprogres.fr/societe/2024/11/04/ahou-daryaei-l-etudiante-qui-defie-les-mollahs-en-iran-inspire-les-artistesCependant, pointer du doigt uniquement ces femmes, sans évoquer l’origine de ces comportements – les structures patriarcales et autoritaires héritées et en place, les pressions familiales, sociales, et souvent économiques – risque de renforcer un discours culpabilisant à leur encontre, plutôt que de se concentrer sur les racines de l’oppression et leur déconstruction.
Dans les illustrations d’Ahou Daryaei, ces choix artistiques peuvent renvoyer une image de passivité généralisée qui pourrait être mal interprétée, voire utilisée pour alimenter des stéréotypes et des discours de stigmatisation, en Occident comme ailleurs. Ce qui est essentiel, c’est de s’assurer que ces représentations montrent que l’oppression n’est pas une question de « bonne » ou de « mauvaise » attitude des femmes, mais bien d’un système qui impose ses valeurs par la force, la peur, et la manipulation.
On pourrait croire que seules les femmes ont la responsabilité de se soulever pour mettre fin à cette situation et qu’il n’y a rien à attendre des hommes, ce qui est, selon moi, encore une fois, une idée erronée. Cela met une pression démesurée sur les femmes et déresponsabilise la moitié de la population.
La responsabilité de cette situation incombe en premier lieu aux institutions répressives, et non aux personnes qui subissent cette violence. Dire simplement que les opprimé.e.s devraient se révolter s’ils/elles ne veulent plus être opprimé.e.s est une vision simpliste et dangereuse qui nie les rouages de l’aliénation et du conditionnement. En réalité, l’immense majorité de la population iranienne est opposée au régime en place, femmes et hommes confondu.e.s. Et si le soulèvement massif de 2022 a été violemment réprimé, des actions de résistance continuent d’avoir lieu pour lutter contre ce régime à chaque instant, y compris en dehors des moments forts qui surgissent.
– Elena Meilune
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Où en est l’effondrement des abeilles ? Interview
Mr Mondialisation
Yann Maillet, apiculteur en Bretagne, et Fani Hatjina, chercheuse et biologiste spécialiste des abeilles en Grèce dressent pour nous un constat sans appel : l’effondrement des colonies d’abeilles est manifeste face aux catastrophes climatiques répétées dues au dérèglement climatique, entre inondations et sécheresses en Europe. Entretien éclairant.
Plus qu’un échange avec deux spécialistes sur le constat alarmant de l’avenir des colonies d’abeilles, leurs réponses forment également un appel à trouver des solutions collectives et durables. D’autant que – bonne nouvelle – certaines ont déjà fait leurs preuves pour faire face aux menaces qui pèsent sur l’apiculture aux quatre coins du monde.
Interview
Mr Mondialisation : Vous luttez tous deux pour la préservation des abeilles. Quelle est votre approche respective ?
Yann Maillet : Passionné par les abeilles aux quatre coins du monde comme en France, je pratique l’apiculture en Bretagne depuis longtemps. Je souhaite surtout partager mes constats au plus grand nombre sur le modes de vies de ces insectes, leur capacité essentielle au vivant de pollinisation des plantes et arbres et leur lutte intense contre le varroa ces dernières années (une espèce d’acariens parasites de l’abeille adulte originaire d’Asie du Sud-Est).
Abeilles sur fleur de tetradium Daniellii-Yann MailletFani Hatjina : Biologiste, chercheuse et directrice de l’Institut des sciences animales ELGO DIMITRA en Grèce. Un doctorat sur les abeilles en poche sur le comportement de pollinisation des abeilles mellifères depuis 1997, j’ai pu poursuivre mes recherches sur les effets des pesticides sur les abeilles, l’élevage d’abeilles résistantes aux maladies et la conservation des populations locales. Je suis également présidente du conseil de l’IBRA (l’Association internationale de recherche sur les abeilles) et de la commission sur la santé des abeilles de la Fédération mondiale des apiculteurs APIMONDIA.
Fani, apicultriceMr M : Quel est votre constat sur l’effondrement des colonies d’abeilles ?
Fani Hatjina : En Grèce, l’effondrement des colonies est indéniable mais pas critique. Les deux principales menaces sont : les parasites, qui ont un impact négatif dans le monde entier, tels que l’acarien Varroa, le Nosema cerana et, d’autre part, les pesticides. Ces dernières années, des milliers de colonies se sont effondrées et des ruchers entiers ont dû être déplacés à la suite d’incendies et d’inondations.
« La destruction des forêts a entraîné la diminution des sources mellifères telles que les pins. Or 60 % du miel en Grèce était produit à partir des pins ! ».
La destruction des forêts a entraîné la diminution des sources mellifères telles que les pins. Il faut rappeler qu’il y a peu de temps encore 60 % du miel en Grèce était produit à partir des pins ! Ces perturbations climatiques avec les incendies, les inondations et les longues saisons sèches ont déjà des répercussions dans toute la Méditerranée et un impact important sur les abeilles.
À Chypre et dans certaines îles grecques, la migration d’oiseaux et les attaques de frelons, qui constituaient un problème dans le passé, a été un problème majeur. Face aux frelons, ces abeilles restent cloîtrées anormalement à l’intérieur de leurs colonies. Elles ne butinent pas pendant de longues périodes. On a observé que ces attaques de frelons étaient beaucoup plus importantes qu’auparavant.
Colonies d’abeilles en Grèce-FaniNous avons pu faire un autre constat effrayant grâce à notre modèle de projection climatique qui permet d’imaginer le pronostic pour les 40 et 80 prochaines années. Les précipitations en Grèce devraient diminuer respectivement de 15 ou 20 % et la température annuelle pourrait augmenter de 2,5 à 3,5 degrés C, si bien sur aucune mesure marquante n’est prise. Ce qui est également inquiétant, c’est que les plantes mellifères disparaîtront ou cesseront de produire le nectar et le pollen qu’elles produisaient auparavant. Les abeilles ne seront alors plus en mesure de butiner et de polliniser les cultures.
Cadre d’abeilles plein-FaniSi l’on regarde en détail les espèces endémiques, on compte principalement des populations de ce que nous appelons l’abeille macédonienne (Apis mellifera macedonica), mais nous avons également d’autres espèces comme l’abeille crétoise (Apis mellifera adami) et l’abeille cécropia (Apis mellifera cecropia). Il est certain qu’elles présentent des différences de résistance aux maladies et à la sécheresse.
Nous pensons que l’abeille crétoise est plus résistante aux sécheresses et aux frelons tandis que l’abeille macédonienne, adoptée presque partout en Grèce continentale, mais plus docile, ne peut pas se défendre contre les frelons, en particulier contre le frelon oriental. Point positif, elle montre tout de même une forte résistance à un minuscule acarien appelé acarien trachéen. Certains apiculteurs en viennent à importer des reines d’abeilles étrangères ce que je trouve dommage.
Abeille sur fleur de pissenlit-Yann Maillet« Lorsque les périodes de pluie sont excessives comme en Europe l’année dernière, cela conduit irrémédiablement à des famines pour les abeilles ».
Yann Maillet : Lorsque les périodes de pluie sont excessives comme en Europe l’année dernière, cela conduit irrémédiablement à des famines pour les abeilles. La pluie a dévasté les arbres pollinisateurs en empêchant la pollinisation. Cette année a été marquée par de nombreux épisodes pluvieux, une véritable catastrophe pour les cultures qui finissent noyées et les abeilles meurent de faim. L’année précédente étant déjà elle aussi catastrophique.
Les pesticides entraînent l’effondrement des abeilles qui ne rentrent plus dans la ruche. Même si le miel est biologique, les produits chimiques utilisés dans les champs agricoles à proximité posent un risque réel pour les abeilles qui finissent contaminées. Des insecticides pulvérisés sur des plages de Bretagne, éloignées des champs où butinent ces abeilles, ont déjà provoqué leur mort ce qui montre l’étendue des dégâts à une bien plus large échelle qu’espéré.
Le comportement des abeilles est fascinant et complexe lorsqu’elles sont confrontées à de telles difficultés. Elles recherchent souvent de l’eau dans les piscines en période de sécheresse. En Europe, l’abeille noire est par exemple une espèce qui s’adapte bien aux conditions environnementales difficiles et qui sait faire face à de nombreuses problématiques naturellement : elle est par exemple capable de tuer ses propres reines lorsque nécessaire pour renouveler la colonie. Ces abeilles ferment aussi elle-même leur alvéole lorsque l’hygrométrie est inférieure à 18 %. Je pense que préserver l’abeille noire est important mais il ne faut pas être trop extrême comme c’est parfois le cas en luttant à tous prix contre la diversité des espèces ce qui est peine perdue.
Lorsque l’homme en vient à faire lui-même des croisements avec d’autres espèces afin de les rendre résistantes, comme l’abeille Buckfast, cela peut causer des dommages. Même si ce croisement a permis de créer des variétés plus productives elles sont aussi plus violentes. En effet l’abeille Buckfast travaille rapidement, mais elle consomme beaucoup de ressources.
Mr M : Quelles peuvent être les solutions pour aider à contrecarrer ces impacts négatifs sur les abeilles ?
« il faut Planter des arbres pas seulement mellifères mais de tout type ».
Yann Maillet : Planter des arbres pas seulement mellifères mais de tout type. Le Tetradium daniellii est un arbre particulier, souvent prisé des apiculteurs. Il produit des graines rapidement grâce à sa floraison, qui survient généralement au bout de trois à quatre ans. Mellifère, il attire les abeilles et contribue à la production de miel. Mais il est également particulièrement résistant à la sécheresse et peut même pousser les pieds dans l’eau, ce qui en fait un arbre très adapté aux zones arides.
On peut voir des spécimens plus anciens, comme celui du parc de la Tête d’Or à Lyon, qui a plus de 60 ans. Yves Darricau a insisté sur l’importance des arbres face à la sécheresse en soulignant leur capacité à s’adapter. La lavande afghane est une autre plante mellifère qui a besoin de très peu de ressources pour survivre et à la floraison rapide. Sans oublier la bourdaine, un arbre à considérer en cas de sécheresse pour les apiculteurs. Je préfère les arbres aux plantes pour plusieurs raisons.
@PixabayUn champ rempli de colza ou d’autres plantes ne peut pas rivaliser avec l’importance d’un arbre dans un écosystème. Dans un domaine qui peut couvrir 23 hectares, les arbres tels que les tilleuls y jouent un rôle crucial pour attirer et nourrir les insectes pollinisateurs. Lorsque la pollinisation n’a pas lieu, cela n’affecte pas seulement les abeilles et les apiculteurs mais aussi directement l’ensemble de l’agriculture comme la culture des pommes.
Il existe plusieurs façons de faire de l’apiculture : d’abord favoriser l’autonomie des abeilles en leur laissant plus de liberté et en leur proposant les essences nécessaires dans leur environnement. L’organisation méthodique de la ruche en compartiments, avec un corps pour la provision que l’apiculteur ne touche jamais et une hausse pour la récolte est indispensable. L’apiculteur a quoi qu’il en soit un rôle essentiel dans la protection des abeilles notamment pour lutter contre le varroa et le frelon asiatique.
Fani Hadjina : Planter davantage d’arbres, en particulier des arbres mellifères ainsi que des arbustes qui, en plus de fournir de la nourriture aux pollinisateurs et aux abeilles, ont un effet positif sur le cycle de l’eau. Nous envisageons à présent de nourrir les abeilles plus longtemps qu’auparavant pour les maintenir en vie. Nous devons penser à fournir de l’ombre et à maintenir les colonies au frais pendant la majeure partie de la saison. Les colonies domestiques supportent mieux le froid que la chaleur. En cas de sécheresse sévère, il ne faut pas hésiter à installer des systèmes d’arrosage à l’intérieur même des colonies.
De nombreuses terres agricoles ont été abandonnées dans les campagnes et les îles, ce qui n’est pas bon pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité. Il faut développer davantage l’agriculture durable. Nous avons besoin de stratégies pour lutter contre les crises climatiques et les apiculteurs doivent savoir adapter leurs pratiques aux nouveaux défis. En Jordanie, des structures spécifiques dans le désert sont mises en place pour préserver l’eau de pluie pour les abeilles, une aide cruciale par les temps qui courent.
Mr Mondialisation remercie Fani Hadjina et Yann Maillet pour leurs réponses éclairantes et cet état des lieux de l’avenir des abeilles en Grèce et en Bretagne.
Poursuivre votre lecture avec notre article Mamadou, l’apiculteur écolo et solidaire du Sénégal.
– Audrey Poussines
The post Où en est l’effondrement des abeilles ? Interview first appeared on Mr Mondialisation.Publié le 06.11.2024 à 05:00
Huile de coco : fin du mythe d’un produit à la mode
Mr Mondialisation
L’huile de coco est devenue en quelques années la star en cuisine et des produits de beauté alternatifs. Mais ce produit dont les conditions de production sont sujettes à caution serait même l’un de pires aliments que l’on puisse manger… Décryptage
L’huile de coco est particulièrement populaire parmi les défenseurs d’une alimentation saine et équilibrée. Avec les scandales à répétitions de l’huile de palme, le produit a envahi l’espace des produits alternatifs souvent même industriels.
Son image « cool », « tendance » et « écolo » lui a rapidement permis de se faire une place rapidement dans les trousses de toilette et les cuisines. Une évolution rapide qui s’est faite sans prendre suffisamment du recul sur les conditions de production et de distribution de cette huile « miracle », ni sur ses conséquences à long terme sur la santé.
État scientifique des lieux
Désormais, des voix s’élèvent pour freiner l’engouement. Karin Michels, directrice de l’Institut de prévention et d’épidémiologie des tumeurs de l’Université de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) et professeure à l’Université de Santé publique à Harvard s’est faite connaître pour ses mises en garde. Elle accuse le « super-aliment » d’être « un des pires aliments que l’on puisse manger ».
La scientifique s’inquiète non seulement de l’absence de preuves scientifiques solides quant aux supposés bienfaits de l’huile de coco, mais aussi de la composition du produit qui contient presque exclusivement des acides gras saturés et qui ont la réputation de boucher progressivement les artères coronaires. À titre de comparaison, l’huile de coco contient 89 % d’acides gras saturés, alors que le beurre en contiendrait 62 % et le lard 43 %. En 2017, l’Association américaine du Cœur mettait elle aussi en garde dans une publication officielle contre l’ingestion d’aliments contenant une proportion importante d’acides gras saturés, dont l’huile de coco.
Huile de coco : fin du mythe d’un produit à la mode ? Flickr.Les résultats d’une recherche datant de 2018 et publiée dans l’American Journal of Clinical Nutrition montrent que les personnes consommant quotidiennement des produits laitiers riches en acides gras saturés n’avaient pas de risque significativement plus élevé de décès par attaque cardiaque ou AVC en comparaison avec les personnes n’en consommant pas. Mais l’étude ne cible pas spécifiquement l’huile de coco. Une seconde étude de 2017, menée sur 135 000 participants dans 18 pays et publiée dans la revue Lancet, établit pour sa part un lien entre une plus grande consommation d’acides gras et une réduction du risque de décès par maladies cardiaques.
Pour expliquer ces résultats, les chercheurs avancent que l’huile de coco serait capable d’augmenter l’activité des cellules pour assimiler les aliments, et donc élèverait la dépense d’énergie. Ce phénomène, la thermogenèse, est aussi provoqué par les protéines, mais l’huile de coco serait l’aliment qui ferait brûler le plus de calories. Mais là encore, les études et les preuves scientifiques manquent. Jusqu’à présent, l’Organisation mondiale de la Santé conseille de consommer modérément l’huile de coco et tous les autres produits riches en acides gras saturés. Les médecins nutritionnistes proposent le plus souvent comme alternative les huiles d’olive ou de colza.
Ni éthique, ni végane, ni écolo ?
Les interrogations à propos des bienfaits de l’huile de coco rappellent les autres polémiques autour de ce produit. En effet, l’huile de coco illustre parfaitement les problématiques éthiques et écologiques liées aux produits d’importation. Ainsi 40 à 60 % des 3,5 millions de producteurs de noix de coco aux Philippines – pays dont provient l’essentiel de la production – vivent dans l’extrême pauvreté.
Photographie : Boisvieux / CorbisPar ailleurs, pour suivre la demande croissante du monde occidental, certaines plantations d’Asie du Sud-Est se sont mises à exploiter des singes pour récolter les précieux fruits. Les bébés singes sont arrachés à leur mère puis enchaînés, battus, pour les rendre obéissants et améliorer leur productivité pour la récolte des noix de coco. Enfin, la forte demande d’huile de coco pousse à la monoculture, la déforestation et l’utilisation de fertilisants et de pesticides polluants. Des éléments qui incitent, une nouvelle fois, à la prudence et à la modération.
– Mr Mondialisation
Photo de couverture : Michal Bocek / Flickr
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L’agroécologie pourrait nourrir 9,5 milliards d’humains
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« En nous inspirant de l’agroécologie, nous pourrions produire de quoi alimenter sainement une population mondiale de plus de 9,5 milliards d’habitants en 2050 » : voilà la promesse de Marc Dufumier, ingénieur agronome. Son nouvel ouvrage intitulé La transition agroécologique, qu’est-ce qu’on attend ?, publié aux éditions Terre Vivante, dresse un plaidoyer inspiré et convaincant. À découvrir sans attendre !
Réforme radicale de la politique agricole commune européenne (PAC), valorisation de l’agriculture paysanne, rémunération des services environnementaux rendus par les agriculteurs ou encore renégociation des accords de libre-échange … Dans son nouvel ouvrage paru aux éditions Terre Vivante, Marc Dufumier offre une vision sans concession des conditions socio-économiques à mettre en place pour que les pratiques agricoles vertueuses s’imposent, au profit du plus grand nombre.
En moins d’une centaine de pages, l’auteur assemble les rouages d’un système agricole basé sur une agroécologie scientifique et place la production alimentaire au coeur de la transition écologique et sociale.
Un plaidoyer pour l’agroécologie
Impliqué dans la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation de nombreux projets de développement agricole dans son pays natal comme à l’étranger, l’agronome s’est longuement interrogé sur les formes d’agricultures qui seraient les plus à mêmes de fournir une alimentation saine aux populations, sans occasionner de pollutions majeures à l’environnement. Aujourd’hui, il se dit « convaincu » qu’il serait « techniquement possible » de nourrir l’humanité grâce aux pratiques qui relèvent de l’agroécologie.
Marc Dufumier. Wikimedia.Si la solution parait si évidente, pourquoi ces techniques agricoles vertueuses sur tous les plans peinent-elles à s’imposer massivement ? « La production ! », répondent en coeur les partisans d’une agriculture industrielle et intensive, qui avancent la nécessité de répondre aux besoins alimentaires d’une population croissante à l’échelle du globe et dénoncent des rendements potentiellement insuffisants de l’agroécologie.
Faim dans le monde : produire plus ou partager mieux ?
Parmi les 8 milliards d’habitants que nous sommes aujourd’hui sur la planète :
« il y en a encore plus de 700 millions, dont 98% vivant dans les pays du Sud, qui souffrent d’une faim chronique, avec une ration énergétique nettement inférieure à l’apport de 2400 kcal par jour conseillée pour un homme en moyenne »
Bien loin d’une croyance largement répandue, l’enjeu majeur de notre système agricole ne se résume pourtant pas à atteindre une production suffisante pour nourrir une population mondiale en croissance. « Pour nourrir correctement un adulte sans aucune insuffisance nutritive, il faut disposer annuellement de l’ordre de 200 kg de céréales (ou son équivalent en pommes de terre, manioc, patates douces, etc…) par habitant. Or, la production mondiale dépasse déjà aujourd’hui en moyenne les 330 kg d’équivalent-céréales par personne et par an », explique le chercheur.
L’ouvrage détaille de manière concise et pourtant complète les différents enjeux qui traversent les systèmes alimentaires actuels. Crédits : Terre Vivante : https://www.terrevivante.org/boutique/livres/societe-engagement/la-transition-agroecologique/« Toutefois le drame est que les populations les plus pauvres ne bénéficient toujours pas d’un pouvoir d’achat suffisant pour se les procurer ». La priorité n’est donc pas tant de vouloir produire plus de nourriture que de mettre fin aux inégalités de revenus pour que l’accès aux productions alimentaires existantes soit assuré à travers le globe.
Quand nourrir le monde ne suffit plus pour nourrir son foyer
Au-delà de la réduction des inégalités, Marc Dufumier plaide également pour une revalorisation considérable du métier nourricier, à la base de nos systèmes alimentaires. « Entre une concurrence exercée par des producteurs nettement plus compétitifs sur le marché mondial, des conditions iniques imposées par certaines entreprises situées en amont ou en aval de la chaîne de production, des législations foncières souvent inadaptées aux situations locales et un accès limité aux crédits adéquats », les agriculteurs européens peinent à vivre dignement de leur labeur.
Largement subsidiées par la PAC, qui encourage l’agrandissement et la spécialisation des exploitations au détriment d’une agriculture paysanne et vivrière, les fermes se transforment en « firmes », intégrées dans une chaine de production monopolisée par quelques géants du secteur.
« À la dépendance alimentaire d’autrefois (importations de produits alimentaires) a donc succédé une dépendance technologique, énergétique et financière à l’égard de ces grandes sociétés (importations de matériel d’engrais de synthèse et de produits pesticides très coûteux financièrement) et en énergie fossiles »
Techniques et éthique au service de la terre
Pour inverser la tendance, l’ouvrage encourage la rémunération des services environnementaux rendus par les exploitants engagés dans des pratiques durables (comme la séquestration du carbone dans l’humus des sols ou la préservation de la biodiversité cultivée), la taxation des engrais azotés de synthèse ou encore des subventions basées sur l’embauche de main d’oeuvre plutôt que sur le nombre d’hectares.
En outre, réduire la part des activités agricoles dédiées à la production et alimentation des animaux d’élevage et diversifier les cultures au sein d’une même région multiplierait les interactions favorables entre les exploitations, tout en permettant aux consommateurs d’accéder à une offre alimentaire locale attractive et véritablement nourricière.
Sur un plan technique, l’ouvrage passe aussi en revue les attraits du développement de pratiques agroécologiques. Au-delà des gain de rendement et d’efficacité, l’auteur démontre les bienfaits environnementaux d’une meilleure gestion de l’eau de pluie, de l’enrichissement des sols grâce aux engrais verts, de l’introduction d’auxiliaires de culture ou encore des haies bocagères.
En tant qu’agronome, Marc Dufumier explore également comment de nouvelles techniques agricoles peuvent améliorer les systèmes de production sans nuire à l’environnement ou aux populations. – Crédits : Terre Vivante : https://www.terrevivante.org/boutique/livres/societe-engagement/la-transition-agroecologique/L’agroécologie, clé d’un avenir nourricier et durable
Finalement, l’enjeu sera de promouvoir dans les diverses régions du monde « des formes d’agriculture capables de bien mettre en valeur les potentialités productives des écosystèmes locaux, sans engendrer de pollution majeure de l’air des eaux et des sols, ni occasionner de préjudices pour les générations futures », explique Marc Dufumier.
L’ouvrage, fluide et condensé, propose un aperçu exhaustif et documenté des solutions agroécologiques capables de transformer notre système agroalimentaire. Avec sa sortie, l’auteur entend bien favoriser l’émergence de nouveaux systèmes de culture et d’élevage relevant de l’agroécologie, « capables d’assurer conjointement une alimentation saine, une agriculture durable et des revenus décents pour l’immense majorité des paysans, au Nord comme au Sud ».
Pour y parvenir, Marc Dufumier appelle de ses voeux des politiques économiques, commerciales et environnementales ambitieuses, offrant aux agriculteurs du monde entier les moyens et l’envie de cultiver un avenir où l’alimentation est source d’équité et de santé pour tous.
N.B. : La maison d’éditions de cet ouvrage, Terre Vivante, traverse actuellement de graves difficultés financières qui impactent l’ensemble de ses activités. Créée il y a 45 ans et intégralement indépendante, l’organisation souhaite continuer à diffuser des connaissances essentielles pour un monde meilleur et lance une campagne d’appel aux dons. Si vous souhaitez les soutenir, rendez-vous sur la page Ulule de la collecte.
– L. Aendekerk
Photo de couverture : Flickr
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Turquie : des milliers de prisonniers politiques aux portes de l’Europe
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Depuis l’arrivée de Erdogan au pouvoir en 2002, le nombre de personnes incarcérées dans les prisons turques a été multiplié par 6. Dans les centres pénitentiaires, les droits humains sont systématiquement bafoués, une stratégie étatique pour faire taire la résistance politique. Depuis Istanbul, une opposition s’organise pour dénoncer cette répression. Reportage.
Des dizaines de visiteurs se pressent dans les anciens quartiers grecs et arméniens d’une Istanbul cosmopolite, combien ont en tête que depuis plus de 20 ans, le pays est dirigé par un parti musulman ultraconservateur qui soumet l’opposition à une répression féroce ? Une situation qui contraint de nombreux militants à l’exil, quand d’autres décident de rester. À partir de leurs témoignages, voici la réalité des prisons turques.
Vue aérienne de la péninsule historique et de la ligne d’horizon moderne d’Istanbul. WikimediaUn emprisonnement de masse
À Istanbul, le 6 et 7 octobre 2024, le Dem Parti (Parti de l’Égalité et de la Démocratie des Peuples) – parti d’opposition au AKP (Parti de la justice et du développement) d’Erdogan – a invité une poignée d’associations, de docteurs et de psychothérapeutes d’Europe de l’Ouest pour évoquer les conditions de détention en Turquie. En 2024, le pays compte plus de 362 000 détenus dans ses 403 prisons, alors qu’ils n’étaient que 58 000 en 2001. Un taux d’incarcération de 4,2 pour 1 000 habitants, contre 1,1 pour 1 000 en France.
« Il y a des gens en prison pour n’importe quelle raison » explique un des représentants de l’association des droits humains.
“Les prisons sont un miroir du gouvernement, leur but est de marginaliser une certaine catégorie de la population”.
Participer à une manifestation, revendiquer son identité culturelle kurde ou des idées progressistes, voilà de quoi sont coupables une bonne partie des personnes incarcérées.
Certains proches de prisonniers sont eux-mêmes incarcérés pour « soutien au terrorisme » et il est arrivé que des familles soient arrêtées en portant en terre le cercueil de détenus décédés. « C’est une tentative d’isoler les prisonniers » explique un membre d’une association d’avocats progressistes.
Des droits humains systématiquement bafoués
En 2015, l’ONU a édicté un ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (aussi connues sous le nom de règles Nelson Mandela). Des normes bien loin d’être respectées en Turquie.
Morts suspectes, tortures, insultes et menaces, problèmes d’accès à l’eau potable, nourriture insuffisante et de mauvaise qualité, manque d’aération, cellules surpeuplées obligeant les détenus à dormir par terre, restriction des courriers, de l’accès aux journaux, aux livres, à la télévision, à la radio, transferts dans des prisons loin de la famille pour limiter les possibilités de visite… les exemples sont nombreux, révélant l’aspect systémique des violations des droits des prisonniers.
Les sanctions sont arbitraires, notamment la possibilité de libération pour bonne conduite est laissée à la libre appréciation de l’administration carcérale, et refusée aux prisonniers politiques. Lesquels peuvent même voir leur peine prolongée de 6 mois à un an sans passage devant un tribunal.
Interdiction d’être malade
La situation des prisonniers malades ou âgés est tout particulièrement source d’inquiétude pour les associations de familles. L’accès aux rendez-vous médicaux, aux examens, aux médicaments, aux régimes alimentaires spéciaux etc. relève du parcours du combattant. Soumis au bon vouloir de l’administration pénitentiaire, les délais d’attente peuvent se compter en mois.
Les transferts vers les hôpitaux se font dans des véhicules mal ventilés et les prisonniers y attendent dans les sous-sols, souvent à côté de la morgue. Les gardiens restent présents lors des examens médicaux, y compris gynécologiques. Cela conduit de nombreux prisonniers à renoncer aux soins.
La plupart du temps, ce sont les codétenus qui assistent le quotidien des prisonniers les plus fragilisés. Des demandes de libération pour raison médicale peuvent être faites mais restent soumises à l’approbation de l’administration pénitentiaires. En pratique, elles sont souvent refusées au détenus politiques, qui meurent parfois sans que la famille ne soit autorisée à venir faire un dernier adieu.
Être une femme dans les prisons turques
D’après H., une militante kurde qui a été emprisonnée de ses 20 à ses 34 ans, certaines femmes sont violées ou menacées de viol après avoir été arrêtées. Le harcèlement sexuel est également monnaie courante.
V., qui a été incarcérée pendant plusieurs années, explique qu’elle et ses codétenues essayaient « de se rapprocher des gardiennes avec des valeurs humanistes. Mais nous ne faisions face qu’à du nationalisme et du racisme ».
“Bien que ces femmes soient des musulmanes conservatrices, elles nous forçaient à nous dénuder complètement pour les fouilles corporelles. C’est interdit par l’islam, car le corps de la femme est vu comme privé. Mais elles nous voyaient comme des hérétiques, donc elles pouvaient faire n’importe quoi avec nous. C’était comme une compétition entre elles, un concours de celle qui appliquerait les traitements les plus humiliants.”
L’île d’Imrali et les prisons « type F »
Les prisons de type F, qui permettent une mise à l’isolement des détenus politiques, se sont multipliées au cours des dernières années en Turquie. Leur modèle est l’île d’Imrali, où Abdullah Öcalan, le leader du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), est emprisonné depuis 25 ans. Bien que certains pays européens considèrent toujours le PKK comme une organisation terroriste, du fait des pressions politiques du gouvernement turc, cette appellation a été rejetée en 2018 par la Cour Européenne.
Manifestation kurde en décembre 2018 sur le vieux port à Marseille. FlickrEntre mars 2021 et octobre 2024, aucune communication entre les détenus de l’île d’Imrali et l’extérieur n’a été possible, que ce soit avec les avocats ou la famille. Les prisonniers peuvent aussi être empêchés d’avoir des contacts entre eux. Le Comité pour la Prévention de la Torture (CPT) du Conseil de l’Europe considère que l’isolement est contraire aux droits humains.
En effet, il peut être à l’origine de troubles mentaux graves : manque de concentration, anxiété, troubles du sommeil, problème de communication et même hallucinations, du fait du manque de stimuli externe que le cerveau remplace par des stimuli internes. Les suicides sont plus fréquents parmi les prisonniers en isolement, mais également les maladies physiques comme les troubles musculo-squelettiques, les infections et les cancers.
Répression politique : la complicité européenne.
Depuis 2016, l’Union européenne renvoie des réfugiés depuis la Grèce vers la Turquie. L’UE finance même à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros des « camps de réfugiés » vers lesquels ont été déportés des centaines de milliers d’Afghans et de Syriens, avant d’être parfois à nouveau déportés vers leurs pays. Des camps dans lesquels mauvais traitements et tortures sont la norme.
Considérer la Turquie comme un « pays sûr », cela implique aussi qu’il est possible de renvoyer, selon la même logique, les réfugiés politiques turcs. Ainsi, en avril 2024, pour la première fois, la France a expulsés 3 réfugiés politiques kurdes vers la Turquie, dont l’un de manière illégale. Ils ont été immédiatement incarcérés par Ankara.
Participation d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avec le président turque, Recep Tayyip Erdogan, au sommet de l’OTAN à Vilnius. Juillet 2023. Wikimedia.Résister de l’intérieur
Les anciens prisonniers racontent comment, avec l’incarcération massive de militants, notamment kurdes, une culture de la résistance politique se forme derrière les barreaux. Frapper contre les portes, crier des slogans, commencer une grève de la faim, de nombreuses stratégies ont été éprouvées.
Pour résister psychologiquement, les détenus se plongent dans la lecture, l’écriture, le dessin, l’apprentissage de l’anglais… et la solidarité. « Nous mettions l’argent en commun [pour acheter de la nourriture en plus, du matériel de ménage ou d’hygiène, etc. qui ne sont pas fournis gratuitement par l’administration] » explique un ancien prisonnier. Dans les prisons pour femmes, les détenues prenaient soin des enfants ensemble. « Je me souviens que nous avions créé une sorte de petite voiture avec des boites » raconte S., avocate et ancienne prisonnière politique.
Prison d’Imrali. Wikimedia.La vie après la prison
Quand S. a été libérée, elle se souvient qu’elle se sentait perdue et ne savait pas où aller. « Parfois ils libèrent les gens à minuit, sans même appeler les familles ! » ajoute-t-elle. « Je me suis rendue compte que j’étais devenue très sensible aux odeurs, aux bruits… »
« Quand vous avez été tant de temps avec une ou deux personnes dans une cellule, se retrouver dans un endroit bondé est un peu effrayant » souligne A., ancien prisonnier. Au cours de ses 30 ans d’incarcération, la société a évoluée et l’adaptation –notamment au téléphone portable – n’a rien d’une évidence.
Cependant, A. conclut avec une note optimiste :
“Maintenant, il y a des associations, des partis politiques… Aujourd’hui, il y a plus d’opportunités que dans les années 1990 de continuer la lutte, à la fois en Turquie et au Rojava.”
– Camille Durant
Photo de couverture : Wikimedia
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Climat : 9 mesures justes pour diminuer le trafic aérien
Mr Mondialisation
Rare secteur dont la contribution au réchauffement climatique continue d’augmenter chaque année, l’aérien pèse encore lourdement sur le bilan climatique français. Loin des fausses solutions technologiques, le Réseau d’Action Climat (RAC) entend réduire le trafic de manière efficace et socialement juste. Voici 9 mesures justes et efficaces sur le sujet.
Création d’une taxe « grands voyageurs », interdiction des jets privés ou fermeture des liaisons aériennes courtes, le rapport détaille le profil des passagers aériens et évalue 9 mesures pour réduire le trafic selon leur impact sur le climat, les recettes fiscales générées et la répartition de l’effort.
20 % des ménages les plus aisés génèrent 42 % des émissions de l’aérien
En 2019, le secteur aérien représentait 7% des émissions françaises de CO2. Alors que l’Association internationale du transport aérien (IATA) envisage un record pour l’année 2024, avec 4,96 milliards de passagers attendus dans les aéroports du monde entier, les experts français sont catégoriques : le trafic aérien devra impérativement baisser pour satisfaire les conditions de l’Accord de Paris.
Loin d’être suffisamment convaincantes, même les solutions technologiques les plus prometteuses (carburants de synthèse, biocarburants…) ne pourront jouer un rôle dans la transition qu’à cette condition préalable.
Crédit : Rapport « COMMENT REDUIRE LE TRAFIC AERIEN de manière juste et efficace? » – RAD 2024« Une question-clé se pose alors : comment réduire le trafic de manière efficace et socialement juste ? »
Une question-clé se pose alors : comment réduire le trafic de manière efficace et socialement juste ? Pour le Réseau Action pour le Climat (RAD), une coalition d’organisations de défense de l’environnement, il n’y a « aucune réponse évidente » qui se dessine à ce jour. Mais face à l’urgence, l’association publie un nouveau rapport qui détaille 9 mesures ambitieuses et justes, espérant fournir de nouvelles pistes d’action à l’échelle de la France.
« Aujourd’hui en France, le passager moyen est plutôt jeune, aisé, diplômé. Il habite en ville et voyage essentiellement pour ses loisirs ».
Aujourd’hui en France, le passager moyen est plutôt jeune, aisé, diplômé. Il habite en ville et voyage essentiellement pour ses loisirs. « Les vols de loisirs représentent ainsi 75% des émissions contre 13 % pour les vols professionnels et 12 % pour les vols familiaux », détaille l’organisation.
Bien loin du mythe de la « démocratisation » avancé par les compagnies low cost, les inégalités d’accès au voyage aérien sont claires : « sur 100 voyageurs aériens, on dénombre 37 cadres supérieurs (contre 14 dans la population générale), et seulement 8 ouvriers (contre 21 dans la population générale) ». La position géographique joue également un rôle : « un habitant de la région parisienne a ainsi 2 fois plus de chance qu’un habitant de zone rurale de prendre l’avion, toutes choses égales par ailleurs ».
Cette répartition inégalitaire, déjà présente en 2008, s’est renforcée en 2018 : le dernier décile de population, soit les personnes les plus aisées, est encore plus représenté parmi les passagers aériens (+ 4 points), tout comme les cadres supérieurs (+ 10 points).
Le low-cost ou le mythe de la démocratisation des voyages en avion
S’il est vrai que de plus en plus d’individus aux revenus hétérogènes prennent l’avion, l’arrivée de nouveaux voyageurs plus populaires s’accompagne en parallèle de l’intensification des pratiques des plus riches, qui multiplient les voyages en avion. « Dit autrement, l’essor du low cost n’a pas remis en cause les inégalités sociales d’usage de l’avion car il a permis à des personnes qui voyageaient déjà en avion de le faire encore plus souvent, et sur des périodes plus courtes », note le rapport.
Crédit : Rapport « COMMENT REDUIRE LE TRAFIC AERIEN de manière juste et efficace? » – RAD 2024Afin de répartir équitablement le poids de la transition à la lumière de ces données, le RAD envisage neuf mesures de modération du trafic selon trois critères : leur impact climatique (soit la quantité d’émissions produites), les recettes fiscales générées permettant potentiellement à l’Etat d’investir dans des moyens de transport décarbonés, et enfin « la répartition de l’effort au sein de la population », soit l’impact de la mesure sur les populations aux revenus modestes ou aisés.
A titre d’exemple, la fin des programmes de fidélité type « miles » est une mesure particulièrement justes, puisqu’elles font reposer l’effort sur les passagers les plus aisés. « Autrement dit, ces mesures n’auront aucun impact sur l’immense majorité de la population ».
Taxer les « grands voyageurs » : une mesure juste et efficace
Parmi les neuf propositions passés au crible, « une mesure spécifique satisfait tous les critères », analyse l’organisation. La création d’une “taxe grands voyageurs” apparaît comme un atout incontournable. « Plus un passager prend régulièrement l’avion, plus le prix unitaire d’un billet augmente. Selon notre modélisation, cette mesure permettrait de baisser les émissions du secteur aérien de 13,1 %, tout en faisant peser l’essentiel de l’effort sur les passagers les plus réguliers et en générant 2,5 milliards de recettes ».
Pour le reste, l’association plaide également pour l’interdiction des jets privés – qui étaient pas moins de 250 000 à décoller ou atterrir dans le pays en 2023, la fermeture des liaisons les plus courtes comme Paris-Toulouse et Paris-Marseille, ou encore le plafonnement du trafic aérien à la baisse (-20%), qui engendrerait une réduction des émissions de CO2 de 1,66 à 4,96 mégatonnes par an.
« ces différentes mesures permettraient des économies fiscales de 100 milliards d’euros nécessaires à la relance du ferroviaire »
Au total, ces différentes mesures permettraient des économies fiscales de 100 milliards d’euros nécessaires à la relance du ferroviaire, comme annoncés par le gouvernement Borne en février 2023. Une aubaine dans un contexte budgétaire difficile. « Elles permettraient aussi d’améliorer l’équité fiscale entre les Français qui partent en vacances en voiture, et payent une taxe sur le carburant, et ceux qui voyagent en avion, qui n’en payent pas », ajoute le rapport.
Crédit : Rapport « COMMENT REDUIRE LE TRAFIC AERIEN de manière juste et efficace? » – RAD 2024Financer massivement les moyens de transport décarbonés
Pour le Réseau Action Climat, la réduction du trafic aérien est indispensable pour respecter l’Accord de Paris, mais loin suffisante. « Elle doit s’accompagner d’investissements massifs dans le ferroviaire, afin de permettre au plus grand nombre de voyager en train en France et en Europe ». A ce titre, l’organisation plaide pour l’ouverture de nouvelles lignes de train de nuit, la réduction du montant des péages ferroviaires ou encore la mise en place d’un billet de congés annuels à prix abordable.
Avant la France, d’autres pays européens ont sauté le pas. L’Italie a par exemple baissé drastiquement ses péages ferroviaires, ce qui a eu pour conséquence « une croissance importante de l’offre, et une baisse conséquente du prix des billets ». L’Autriche a quant à elle massivement investi dans les trains de nuit, proposant récemment des nouvelles lignes depuis Vienne vers de nombreuses destinations européennes (Rome, Amsterdam, Paris, Bruxelles, Milan, Zurich, Hambourg…).
« L’Allemagne a lancé un « ticket climat » (Deutschlandticket) à la sortie de la crise sanitaire. Pour 49 € par mois, celui-ci permet d’emprunter le train en illimité (transports urbains, trains régionaux et interrégionaux – seuls les trains à grande vitesse sont exclus) », ajoutent les auteurs du rapport. La France parviendra-t-elle à suivre leur exemple ?
– L.A.
Image d’entête @juno1412/pixabay
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Publié le 31.10.2024 à 12:54
Portrait : les cookies vegan et artisanaux de Rébecca
Mr Mondialisation
L’histoire de Magic Cookie, c’est celle de sa fondatrice Rébecca Sciortino. Jeune cheffe pâtissière en situation de handicap installée à Metz, elle a fondé sa marque en alliant gourmandise, éthique et inclusivité… On vous la présente, ainsi que ses délicieuses créations !
À l’occasion de la campagne Kisskissbankbank de Magic Cookie, lancée pour pérenniser la petite entreprise, Rébecca nous en dit plus sur son parcours et ses aspirations tant personnelles que professionnelles.
Magic Cookie, une planche de salut
Le parcours qui mena Rébecca à créer Magic Cookie s’est construit sur les écueils que la vie mit sur son chemin. Artisane cheffe pâtissière diplômée, elle fonde et dirige entre 2014 et 2018 le premier laboratoire sans gluten homologué du Grand Est où elle préparait du pain, des pâtisseries et des petits plats.
Malheureusement, un handicap respiratoire l’oblige à cesser cette activité et à reprendre des études de psychologie à l’Université de Lorraine. C’est à ce moment qu’elle crée Magic Cookie, via le réseau d’étudiants entrepreneurs de l’Université (PeeL), pour pouvoir allier sa passion avec les contraintes de son handicap.
Pourquoi des cookies ? Ce fut un choix naturel nous explique Rébecca : « Dans ma première boutique, ils étaient déjà le produit phare, apprécié par mes clients. Il m’a donc semblé logique de continuer sur cette voie, d’autant plus que le marché actuel est favorable à ce type de produit. Cependant, je voulais proposer quelque chose de différent pour éviter de me noyer dans un marché saturé. »
Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce handicap qui vous a contrainte à renoncer à votre laboratoire en 2018 ?
Rébecca Sciortino : Je suis atteinte d’un trouble du spectre autistique (TSA) ainsi que d’une maladie respiratoire rare, la dyskinésie ciliaire primitive, parfois qualifiée de « cousine » de la mucoviscidose. Ces conditions m’ont contrainte à fermer mon laboratoire sans gluten en 2018.
À cette époque, plutôt que de rester inactive, j’ai décidé de retourner à l’université pour étudier la psychologie clinique, une manière de « rentabiliser » ma convalescence et de transformer cette épreuve en opportunité de développement personnel. C’est dans ce contexte que j’ai rejoint le programme PeeL en tant qu’étudiante entrepreneure.
Pendant la pandémie, étant immobilisée chez moi à cause de ma condition de santé et du COVID, j’ai beaucoup réfléchi à un projet qui allierait mes compétences et mes passions, tout en respectant mes contraintes physiques. Magic Cookie est né de cette réflexion. Cela me permet de travailler à mon propre rythme, d’intégrer mes soins et ma rééducation à mon emploi du temps.
C’est parfois difficile, surtout lors des jours où la fatigue ou la douleur se font plus ressentir. Cependant, Magic Cookie me permet de concilier discipline et souplesse, tout en respectant mes valeurs, que ce soit sur le plan social ou environnemental.
M : Comment avez-vous accordé Magic Cookie et votre handicap ?
Rébecca : Je dirais que je me suis adaptée à mon handicap grâce à la résilience et à la créativité. J’ai créé une entreprise qui me correspond, en dehors des normes classiques, dans laquelle je peux évoluer selon mes besoins et mes valeurs, notamment en tant que personne neuro-atypique. Cela me permet d’échapper à la rigidité des normes sociales et professionnelles, souvent difficiles à gérer pour une personne Asperger.
Hélas, un triste coup du sort va obliger Rébecca à arrêter temporairement son activité en 2023 quand, enceinte, elle perd son petit garçon, Hector, après six mois de grossesse. Si elle se remet aux fourneaux en début d’année, c’est poussée par son entourage et comme un moyen de se reconstruire, de vivre malgré tout.
D’abord, elle ne croit guère à la promesse qu’elle fait à ses proches, se lancer complètement dans son entreprise si elle parvient à vendre 1000 cookies, sans publicité ni soutien financier : « Quand j’ai fait ce pari avec mes proches, je traversais une période difficile après la perte de mon bébé. Je ne croyais pas vraiment que ça fonctionnerait. Cependant, la vente des 1000 premiers cookies a prouvé qu’il y avait un véritable potentiel. »
Un potentiel certain car il ne lui a fallu que deux mois pour vendre ces 1000 cookies, uniquement via les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille. Et le 3 mars, la marque Magic Cookie est déposée, l’aventure prend un nouveau tournant.
Dorénavant, il lui appartient de développer le concept de sa marque à l’univers mêlant gourmandise et esthétique fantastique tout en restant fidèle à ses engagements éthique et écoresponsable. Pour cela, elle peut compter sur le soutien de clients fidèles, qui la suivent depuis 2013 et le lancement de son laboratoire sans gluten !
Des cookies magiques et vertueux
Les Magic Cookies répondent à plusieurs exigences, fondamentaux pour leur créatrice : ils sont entièrement végétaux, et confectionnés artisanalement avec des ingrédients locaux et issus de l’agriculture biologique. Les emballages des cookies sont également écoresponsables, pour réduire au minimum l’empreinte environnementale de la marque.
M : Comment êtes-vous parvenu à remplacer les ingrédients d’origine animale dans la recette de vos cookies ? Pour les avoir goûtés (et adorés), on ne remarque pas la substitution.
Rébecca : En ce qui concerne le remplacement des ingrédients d’origine animale, notamment le beurre, la pâtisserie est une science de l’équilibre. Quand on retire un ingrédient, il faut compenser avec d’autres. Heureusement, remplacer le beurre est l’un des aspects les plus simples. Il existe aujourd’hui d’excellentes margarines et huiles végétales, bio ou non, qui sont tout aussi bonnes que le beurre traditionnel.
Au début, je n’ai même pas mentionné à mes clients que mes cookies étaient sans beurre ni œufs pour prouver que cela ne changeait rien au goût. Les beurres végétaux que j’utilise sont de haute qualité, avec de meilleures propriétés nutritionnelles, et ne rancissent pas. Pour les œufs, c’est un peu plus complexe, mais je me base sur un mélange spécifique de protéines végétales, que je préfère garder secret. La clé est de comprendre la chimie des ingrédients et d’adapter les recettes en conséquence.
M : Trouver des fournisseurs locaux et bio n’a pas dû être une mince affaire !
« je travaille toujours avec le meunier qui m’accompagne depuis le début, un artisan passionné, propriétaire du dernier moulin à eau de sa région ».
Rébecca : Effectivement, ce n’était pas facile, mais j’avais déjà un bon réseau grâce à mon ancienne activité. Par exemple, je travaille toujours avec le meunier qui m’accompagne depuis le début, un artisan passionné, propriétaire du dernier moulin à eau de sa région. Pour le café, la rencontre avec mon torréfacteur s’est faite par hasard, mais elle a donné lieu à une belle collaboration, notamment pour la création du Magic Cookie café noisette.
Pour les matières grasses et le chocolat bio, j’ai dû chercher un peu plus loin. J’ai trouvé un fournisseur certifié végan en dehors de ma région, car je ne pouvais pas en trouver un localement. C’était un défi, mais la qualité des produits est primordiale pour moi.
Les permanents citron amandes, matcha chocolat blanc, kinako cacahuète, frangipane, chocolat vanille, café noisetteSix parfums (ci-dessus) constituent la carte permanente de Magic Cookie auxquels s’ajoutent des saveurs temporaires (spéculoos et citrouillette seront disponibles jusqu’au 1er novembre !).
La touche « magique » s’inspire des fortune cookie, ces biscuits chinois renfermant une prédiction ou une maxime : chaque cookie est flanqué d’un QR code qui renvoie à un message conçu pour encourager une démarche de positivité et de bien-être. Ils sont au nombre de 79 (inspirés des 78 arcanes du tarot, plus un dernier dédié à l’esprit de résilience de Magic Cookie).
Ainsi, les Magic Cookie réconfortent à la fois le corps (le palais surtout !) et l’esprit, et comme Rébecca le décrit : « L’objectif est d’apporter bienveillance et douceur, tout en invitant chacun à libérer la magie qu’il a en lui. Le tarot, pour moi, est un outil de développement personnel, loin des pratiques divinatoires traditionnelles. »
Magic Cookie grandit
Depuis ses débuts, Rébecca confectionne ses cookies seule, tout en continuant ses études jusqu’en juin dernier : la journée devant ses cours et la soirée aux fourneaux. De plus, le financement de Magic Cookie reposait entièrement sur ses épaules. Mais devant l’augmentation rapide de la demande, il ne lui est plus possible de tenir ce rythme à elle seule :
« Au début, je les fabriquais effectivement dans ma cuisine, car la législation le permet pour la biscuiterie artisanale. Mais rapidement, j’ai compris qu’il me faudrait un laboratoire pour rendre l’activité viable à long terme. Depuis février, je travaille dans un laboratoire professionnel et tout y est désormais confectionné. La production à domicile n’est plus envisageable, d’autant que je vis avec une personne très gourmande »
D’où le lancement d’une campagne Kisskissbankbank pour pérenniser son activité par l’achat de matériel et l’agrandissement de sa trésorerie. Et si les fonds collectés le lui permettent, d’acquérir un véhicule pour faciliter les livraisons.
M : Grâce à la campagne de financement, vous pourrez vous développer en achetant du matériel, voire un véhicule de livraison. Envisagez-vous aussi d’acquérir un local et d’embaucher des employés ?
Rébecca : Absolument ! Mon rêve est d’ouvrir un point de vente physique, peut-être même une franchise haut de gamme végétale, à l’opposé des chaînes américaines souvent critiquées pour leur impact écologique et social.
« J’aimerais créer un espace qui reflète mes valeurs : respect de l’environnement, éthique sociale, et bienveillance au sein de l’entreprise ».
J’aimerais créer un espace qui reflète mes valeurs : respect de l’environnement, éthique sociale, et bienveillance au sein de l’entreprise. J’aimerais également embaucher et former des collaborateurs pour leur montrer qu’un autre modèle est possible, où l’humain et la planète sont au centre des préoccupations.
Je suis peut-être idéaliste, mais je crois vraiment en un management bienveillant et respectueux.
Le coffret Halloween de Magic CookieLes contributeurs du financement KissKissBankBank ont le choix entre de multiples contreparties : un « Magic Mug » made in France, un Tote-Bag brodé 100% coton Bio et 100% Made in France, une pochette de stickers collector, un set de tarot avec son guide… Et bien sûr des coffrets Magic Cookie : les parfums permanents ou l’édition Halloween, ainsi que des offres d’abonnement. Tous les détails figurent sur la page de la campagne.
En reconnaissance de ses engagements, Magic Cookie a reçu le Label Éco-Défis 2024 qui accompagne les entreprises locales engagées dans une démarche respectueuse de l’environnement. Encouragée par son torréfacteur et sa fournisseuse de thé, Rébecca a également postulé pour obtenir comme eux l’agrément MosL Qualité reconnaissant les produits et savoir-faire locaux et de qualité.
Enfin, Magic Cookie vient de recevoir ce 24 octobre le Prix « Coup de cœur » de la Rotary au Concours de Projets du Forum Est-Horizon pour récompenser son exemplarité au niveau social et écologique.
En décembre, Rébecca et ses cookies seront également présents au marché de Noël de Metz. Avis à nos lecteurs et lectrices gourmands qui seraient sur place !
Sur le long terme, le rêve de Rébecca serait d’ouvrir une boutique à Paris et de transformer Magic Cookie en une franchise de coffee shop haut de gamme. Ce qu’on lui souhaite, conquis par ses cookies. D’ici là, restez au courant de l’actualité de Magic Cookie via ses comptes instagram et facebook, sans oublier sa campagne Kisskissbankbank.
– S. Barret
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